tag:theconversation.com,2011:/global/topics/gratuite-21971/articlesgratuité – The Conversation2023-01-24T19:06:56Ztag:theconversation.com,2011:article/1977642023-01-24T19:06:56Z2023-01-24T19:06:56ZUn domaine public payant ? L’oxymore proposé par Victor Hugo<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/504297/original/file-20230112-47543-plofod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C196%2C1203%2C904&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'écrivain pensait pouvoir ainsi financer la création littéraire.</span> </figcaption></figure><p>Pour la plupart des lecteurs, parler de « domaine public payant » contiendra une forme de contradiction. Quand on parle de domaine public, tout le monde suppose qu’il est gratuit. Les œuvres qui en font partie peuvent a priori être librement exploitées sans requérir l’autorisation ou payer des indemnités à l’auteur ou à ses ayants droit.</p>
<p>En droit de la propriété intellectuelle, il faut en fait <a href="https://www.sacd.fr/fr/droit-moral-droit-patrimonial">distinguer les droits moraux des droits patrimoniaux</a>. Ces derniers concernent le fait de pouvoir tirer une rémunération de son œuvre. L’auteur en dispose toute sa vie et, dans de nombreux pays, jusque 70 ans après sa mort pour ses ayants droit sauf cas particulier. <a href="https://www.liberation.fr/culture/2015/06/03/pourquoi-saint-exupery-est-il-tombe-dans-le-domaine-public-partout-sauf-en-france_1322085/#:%7E:text=En%20France%2C%20l%E2%80%99%C5%93uvre%20de,%C2%ABmort%20pour%20la%20France%C2%BB.">L’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry</a> par exemple, peut désormais être exploitée librement en Belgique (le crash de son avion, abattu par un chasseur allemand, a eu lieu en juillet 1944), mais, car « mort pour la patrie », une prorogation fait qu’il faudra en France attendre 2032. Ce sont ces droits-là qui tombent dans le domaine public. Les droits moraux, qui englobent le respect du nom de l’auteur et de la qualité de son œuvre, ne s’éteignent, eux, jamais.</p>
<p>Dans presque tous les pays développés, y compris la France et les États-Unis, le domaine public est donc gratuit. Il existe cependant une poignée de pays en développement en Amérique latine et en Afrique francophone où ce n’est pas le cas. L’idée avait été défendue en particulier par Victor Hugo, dont nous avons retracé le cheminement dans un <a href="http://www.serci.org/rerci_files/2021/marzetti.pdf">article</a> récent et dont nous montrons les différences avec les modèles actuellement en place.</p>
<p>Un rapport de <a href="https://www.wipo.int/publications/en/details.jsp?id=4143&plang=EN">l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle</a> publié en 2010 répertorie les États qui disposent d’un domaine public payant : il s’agit de l’Algérie, du Kenya, du Rwanda, du Sénégal, de la République démocratique du Congo, de la Côte d’Ivoire, et du Paraguay. Il faut y ajouter deux pays qu’omet le rapport : l’Argentine et l’Uruguay sous ce régime depuis respectivement 1958 et 1937.</p>
<p>Dans ces pays, il y faut, pour exploiter une œuvre entrée dans le domaine public, payer une taxe à l’État. Cela vaut tant pour rééditer des œuvres dont le droit d’auteur a expiré, que pour celles qui n’ en ont jamais eu. Et peu importe la nationalité du créateur : réimprimer au Paraguay des œuvres complètes de Rabelais requiert le paiement d’une taxe. À la discrétion de l’organisme qui administre le système, les bénéfices peuvent aussi être reversés sous la forme de bourses, de subventions et d’aides aux auteurs nationaux.</p>
<h2>Un système opaque</h2>
<p>En Argentine, pays objet de certains de nos <a href="https://repub.eur.nl/pub/112363">travaux</a>, le domaine public payant a été instauré autoritairement en 1958 (le parlement avait alors été dissous). Le <a href="https://fnartes.gob.ar/novedades/dominio-publico-pagante-un-plan-de-facilidades-de-pago-para-los-contribuyentes">Fondo Nacional de las Artes</a>, l’autorité chargée de l’application du domaine public payant en Argentine) déclare ce qui suit :</p>
<blockquote>
<p>« L’utilisation d’une œuvre est un concept large, qui comprend son édition, sa reproduction, sa représentation, son exécution, sa traduction et son adaptation. Ainsi, une station de radio qui passe “El día que me quieras” de Gardel et Le Pera doit payer la redevance, qu’il s’agisse de la chanson originale ou d’une version ; la reproduction d’un film comme “Frozen” de Disney doit également payer, puisque son histoire est une adaptation de “La Reine des neiges” de Hans Christian Andersen ; et l’utilisation d’une œuvre comme “La Création d’Adam” de Michel-Ange dans un jeu vidéo, également. »</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0tGsHECwLWY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Pour diffuser ce titre de Carlos Gardel, décédé en 1935, une radio argentine doit payer une taxe ; une station française peut, elle, le faire librement.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le champ d’application de la taxe sur le domaine public a de plus été étendu, l’an passé, aux œuvres dans <a href="https://www.boletinoficial.gob.ar/detalleAviso/primera/270743/20220901">l’environnement numérique</a>.</p>
<p>Comme nous le démontrons, en rendant les accès plus coûteux, la chose porte préjudice aux consommateurs d’œuvres culturelles et aux artistes qui veulent les adapter ou les modifier. On ignore de plus quelle part de l’argent collecté est effectivement distribuée à les bénéficiaires visés par la loi, et selon quels critères la répartition est opérée. La décision est prise en effet par un organisme d’État à huis clos. Si l’on se fie à la documentation comptable consultée, ce qui est effectivement redistribué aux auteurs nationaux ne dépasse pas un quart de ce qui est collecté. Cela semble peu par rapport aux barrières posées.</p>
<p>Le domaine public payant, tel qu’il s’applique aujourd’hui, est « successif ». C’est-à-dire qu’il commence après l’expiration de la durée <em>post-mortem</em> du droit d’auteur pour les héritiers, ce qui se distingue fortement du domaine public payant « immédiat » qu’imaginait Victor Hugo au XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Une « bizarre invention de législateurs ignorants » ?</h2>
<p>Victor Hugo n’est, en fait, pas tout à fait le père intellectuel de la notion. L’idée originale reviendrait à Pierre-Jules Hetzel, républicain qui comme l’auteur des <em>Misérables</em> a choisi l’exil en 1852. C’est depuis Bruxelles qu’il avait publié un livre à ce sujet en <a href="http://controverses.mshparisnord.fr/notices/not_hetzel_1858.html">1858</a>, <em>la propriété littéraire et le domaine public payant</em>, réimprimé à Paris en <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97711129/f3.item.r=La%20propri%C3%A9t%C3%A9%20litt%C3%A9raire%20et%20le%20domaine%20public%20payant">1862</a>. On doit néanmoins à Hugo de l’avoir fait connaître, grâce notamment à deux <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Actes_et_paroles/Depuis_l%E2%80%99exil/1878">célèbres discours</a> prononcés au Congrès littéraire international de juin 1878 qui a eu lieu à Paris.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/504295/original/file-20230112-60724-vekgr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/504295/original/file-20230112-60724-vekgr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/504295/original/file-20230112-60724-vekgr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=828&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/504295/original/file-20230112-60724-vekgr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=828&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/504295/original/file-20230112-60724-vekgr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=828&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/504295/original/file-20230112-60724-vekgr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1040&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/504295/original/file-20230112-60724-vekgr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1040&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/504295/original/file-20230112-60724-vekgr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1040&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Pierre-Jules Hetzel avait inspiré à Victor Hugo l’idée d’un « domaine public payant immédiat » ; son portrait est cependant aujourd’hui utilisable gratuitement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À cette époque, il existait en France un système de propriété intellectuelle qui accordait des droits économiques et moraux absolus à l’auteur pendant sa vie. Après la mort de l’auteur, elle était transférée à ses héritiers pour une durée limitée, similaire à l’actuel droit d’auteur, bien que plus courte.</p>
<p>Hugo voulait remplacer cette protection <em>post-mortem auctoris</em>, qu’il considérait comme une « capricieuse et bizarre invention de législateurs ignorants », par un domaine public payant immédiat. Celui-ci profiterait à la fois à la société, au reste de la communauté des auteurs et même aux héritiers. Pour lui, il était inconcevable que quelqu’un qui n’avait pas contribué à la création de l’œuvre puisse décider de son sort, comme le fait de la publier ou non, chez quel éditeur et à quel prix.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les écrits de Hugo et Hetzel, mais aussi le droit comparé et les expériences étrangères, pourraient servir d’inspiration à la France, où l’idée de l’introduction d’un domaine public payant réapparaît constamment.</p>
<p>En 2008, les éditeurs indépendants de France, représentés par <a href="https://www.nonfiction.fr/article-1713-un-plan-durgence-pour-ldition-indpendante.htm">L’autre Livre</a>, ont suggéré la création d’une taxe pour les impressions d’œuvres tombées dans le domaine public pour « sauver » le marché des livres indépendants (proposition n°9). Une étude commandée par <a href="https://sgdl.org/phocadownload/ressources/etudes/2009%20-%20MOTIF%20-%20Contribution%20du%20domaine%20public%20%C3%A0%20l%E2%80%99%C3%A9conomie%20%C3%A9ditoriale%20(%C3%A9tude).pdf">LeMOTif</a>, observatoire des habitudes de lecture et du marché du livre français, a cependant conclu que pareil prélèvement s’avèrerait inefficace. Le rapport dit <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/104000006.pdf">« Zelnick »</a> financé par le ministère français de la Culture et de la Communication en 2010 a lui plaidé pour la création d’une taxe sur les films pour financer la numérisation et la préservation du patrimoine cinématographique français.</p>
<h2>Renforcer la gratuité, éviter les abus</h2>
<p>Plus récemment, la France insoumise relançait le <a href="https://www.livreshebdo.fr/article/le-domaine-public-payant">débat</a> en parlant de <a href="https://www.numerama.com/politique/240115-privatiser-le-domaine-public-les-incertitudes-du-programme-de-melenchon.html">« socialisation »</a> du domaine public. Ses représentants ont présenté deux propositions de loi sur le sujet, mais sans succès.</p>
<p>Il semble qu’une telle « socialisation » aurait en pratique pour effet de limiter l’accès aux œuvres dans le domaine public. Plutôt que de taxer, au regard de ce qui se fait au-delà de nos frontières, il semble qu’il vaudrait mieux au contraire renforcer la gratuité, tout en offrant des protections contre les abus comme le propose le <a href="https://www.culture.gouv.fr/var/culture/storage/culture_mag/rapport_lescure/files/docs/all.pdf">rapport Lescure</a> de 2013 (propositions 74 et 75) :</p>
<blockquote>
<p>« Renforcer la protection du domaine public dans l’univers numérique : établir dans le code de la propriété intellectuelle une définition positive du domaine public ; indiquer que les reproductions fidèles d’œuvres du domaine public appartiennent aussi au domaine public, et affirmer la prééminence du domaine public sur les droits connexes. Valoriser le domaine public numérique sans en restreindre la diffusion : encadrer les exclusivités prévues dans les partenariats public – privé de numérisation ; encourager des politiques de valorisation fondées sur l’éditorialisation et sur les services à valeur ajoutée. »</p>
</blockquote>
<p>Si à un droit d’auteur <em>post-mortem</em> à la durée déjà longue succède une taxe perpétuelle sur le domaine public, ce serait entraver l’accès à la culture, rendre plus coûteux l’usage des œuvres de l’esprit par les citoyens, ajouter des barrières supplémentaires pour la création d’œuvres dérivées telles que les adaptations, anthologies, colorisations de vieux films ou documentaires contenant des images d’archive. Les expériences d’autres pays montrent aussi que cela ne favorise pas la circulation des œuvres en format numérique.</p>
<p>Remplacer les droits <em>post-mortem</em> par un domaine public payant immédiat, comme le proposait Hugo, serait une autre affaire. La proposition de Hugo visait à équilibrer les intérêts de la société, des auteurs et de leurs héritiers. Aujourd’hui cela se heurterait cependant au régime international du droit d’auteur : la proposition serait contraire à tous les traités internationaux sur le sujet et au droit communautaire. Depuis la <a href="https://www.wipo.int/treaties/fr/ip/berne/index.html">Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques</a> de 1886, le droit d’auteur a, en effet, pris une autre direction, celle du maintien de droits exclusifs <em>post-mortem</em> pour des périodes de plus en plus longues.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197764/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maximiliano Marzetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’auteur des « Misérables » imaginait une taxe publique pour faire usage d’une œuvre dès la mort de son créateur, conciliant les intérêts de la société avec ceux des héritiers bénéficiaires.Maximiliano Marzetti, Assistant Professor of Law, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1891812022-09-13T13:19:27Z2022-09-13T13:19:27ZAffaire Cambie : un jugement de la Cour suprême pourrait-il affaiblir le système public de santé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/483296/original/file-20220907-9292-1k6aqw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4992%2C3570&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une équipe médicale procède à une chirurgie du genou, à la clinique privée Cambie, à Vancouver. Elle est au coeur d'un recours judiciaire afin de faire invalider les dispositions d’une loi qui interdit certaines assurances privées.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Darryl Dyck</span></span></figcaption></figure><p>Les gouvernements des provinces canadiennes sont, plus que jamais, sous pression pour trouver des solutions aux problèmes d’accès aux services de santé.</p>
<p>Parmi les solutions actuellement considérées, au <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1869314/refondation-reseau-sante-plan-legault-dube">Québec</a> et en <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/ontario-to-fund-more-private-clinic-surgeries-send-patients-to-temporary-ltcs-to-ease-health-care-pressures-1.6554694">Ontario</a> notamment, il y a le recours accru au secteur privé, mais avec un financement qui resterait public.</p>
<p>Certains vont plus loin. Ils estiment qu’il faudrait autoriser plus largement, en marge du système public, une offre de services de santé qui seraient financés directement par les patients ou par l’entremise d’assureurs privés. Les tenants de cette approche suggèrent qu’il pourrait en résulter une plus grande accessibilité pour ceux qui auraient les moyens de recourir à ces services et, <a href="https://press.uottawa.ca/is-two-tier-health-care-the-future.html">ce qui est beaucoup moins certain</a>, un allégement du fardeau du système public.</p>
<p>Cette approche se heurte toutefois à des obstacles juridiques qui sont présentement contestés devant les tribunaux. <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/private-health-care-court-1.5480975">La Cour suprême du Canada pourrait d’ailleurs avoir à se prononcer à ce sujet</a> dans le cadre de l’affaire <a href="https://www.canlii.org/en/bc/bcca/doc/2022/2022bcca245/2022bcca245.html">Cambie</a>. On le saura sous peu.</p>
<p>Il s’agit d’un recours judiciaire entrepris par la clinique privée de chirurgie Cambie Surgeries Corporation et d’autres intervenants au cours des années 2010 en Colombie-Britannique. L’objectif est de faire invalider les dispositions d’une loi provinciale qui interdisent l’assurance privée « duplicative » (couverture privée d’assurance pour des services déjà assurés dans le cadre du système public) et la « surfacturation » (facturation suivant un tarif supérieur à celui du système public) pour les services médicaux, sous le motif qu’elles constitueraient une atteinte aux droits à la vie et à la sécurité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un centre médical" src="https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La clinique privée Cambie Surgery Centre, à Vancouver, en Colombie-Britannique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jonathan Hayward</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De quoi est-il question ? Et à quoi peut-on s’attendre à ce sujet pour l’avenir ?</p>
<p>Étant avocat et engagé depuis plus de vingt ans dans diverses activités d’enseignement et de recherche liées au droit et aux politiques de la santé, je m’intéresse aux questions qui concernent l’encadrement du secteur public et du secteur privé en santé.</p>
<h2>Retour sur l’affaire Chaoulli : l’histoire va-t-elle se répéter ?</h2>
<p>Pour mieux anticiper le dénouement possible dans le dossier Cambie, il faut nécessairement revenir à l’affaire <a href="https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/2237/index.do">Chaoulli</a>, qui a fait couler beaucoup d’encre au Québec et ailleurs au Canada au début des années 2000.</p>
<p>Le Dr Jacques Chaoulli et un patient, George Zeliotis, avaient alors entrepris de contester les dispositions des lois québécoises interdisant l’assurance privée duplicative. Ils fondaient leur recours sur plusieurs droits protégés par les chartes, <a href="https://www.canlii.org/fr/ca/legis/lois/annexe-b-de-la-loi-de-1982-sur-le-canada-r-u-1982-c-11/derniere/annexe-b-de-la-loi-de-1982-sur-le-canada-r-u-1982-c-11.html">canadienne</a> et <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/C-12">québécoise</a>, dont notamment les droits à la vie et à la sécurité.</p>
<p>Les tribunaux québécois ayant rejeté ces contestations en <a href="https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2000/2000canlii17910/2000canlii17910.html">2000</a> et en <a href="https://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2002/2002canlii33075/2002canlii33075.html">2002</a>, la Cour suprême s’est pour sa part prononcée en 2005. Elle a alors estimé que les restrictions contestées pouvaient, dans certaines circonstances, compromettre le droit à la vie et à la sécurité des personnes qui ne peuvent obtenir en temps utile les services requis par leur état de santé auprès du système public, puisqu’elles les privent potentiellement d’un accès à ces services auprès du secteur privé.</p>
<p>Sur la base de la charte québécoise, une courte majorité (4 juges sur 7) a conclu que cette atteinte n’était pas justifiable dans une société libre et démocratique et que les restrictions en question devaient donc être invalidées. Ces juges ont alors notamment considéré que l’expérience d’autres provinces et de pays de l’OCDE indiquait que des choix différents, ayant moins d’impacts sur les droits des individus, pouvaient être faits pour atteindre les objectifs de sauvegarde du système public. Devant les failles de ce dernier, ils ont estimé que les tribunaux devaient intervenir.</p>
<p>Les juges minoritaires, eux, ont plutôt trouvé comme principale justification des mesures contestées qu’elles visent à soutenir un système public qui, aussi imparfait soit-il, a pour objectif d’assurer l’équité dans l’accès aux services de santé, en fonction des besoins des individus plutôt que de leur capacité de payer. Ils ont de plus estimé que devant la complexité des enjeux, il fallait faire preuve de déférence quant aux choix du législateur à cet égard.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=680&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=680&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=680&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Dr Jacques Chaoulli réagit à la décision de Québec d’initier une révision de lois applicables, lors d’une conférence de presse à Montréal, le 16 février 2006.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Ian Barrett</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À la suite de ce jugement, le gouvernent québécois n’a eu d’autres choix que d’initier une <a href="https://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2006C43F.PDF">révision de lois applicables</a>. Il a ainsi procédé à une ouverture parcimonieuse au secteur privé pour certaines chirurgies bien ciblées (cataractes, hanches et genoux), en offrant également une garantie d’accès à ces services dans le secteur public.</p>
<p>Le bilan de ces mesures est sans doute mitigé, mais elles n’ont pas entraîné, à elles seules, le démantèlement du système public au profit du secteur privé.</p>
<h2>Les similitudes et les particularités du dossier Cambie</h2>
<p>Le recours judiciaire entrepris par la clinique privée Cambie Surgeries Corporation a plusieurs similitudes avec l’affaire Chaoulli. D’abord, les tribunaux de première instance et d’appel ont rejeté la contestation, dans des jugements rendus en <a href="https://www.canlii.org/en/bc/bcsc/doc/2020/2020bcsc1310/2020bcsc1310.html">2020</a> et <a href="https://www.canlii.org/en/bc/bcca/doc/2022/2022bcca245/2022bcca245.html">2022</a>. Cet été, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a reconnu l’atteinte aux droits en cause, mais n’a pas invalidé les dispositions contestées, considérant notamment qu’elles sont justifiables dans le cadre d’une société libre et démocratique.</p>
<p>Le Dr Brian Day, fondateur de la clinique Cambie, <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/private-health-care-court-1.5480975">a alors annoncé qu’il prévoyait qu’une demande d’autorisation d’en appeler serait soumise à la Cour suprême du Canada</a>, ce qui a été confirmé à la fin septembre 2022. Si la Cour suprême autorise cet appel, l’affaire <em>Chaoulli</em> retiendra certainement l’attention. Il n’est toutefois pas assuré que le jugement à venir irait dans le même sens.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Un homme en cravate est assis, avec un ordinateur sur un bureau" src="https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Dr Brian Day, fondateur de la clinique Cambie, a annoncé qu’il est prévu qu’une demande d’autorisation d’en appeler soit soumise à la Cour suprême du Canada.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Darryl Dyck</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y a quelques <a href="https://www.canlii.org/en/bc/bcsc/doc/2020/2020bcsc1310/2020bcsc1310.html">éléments distinctifs sur les plans factuels et juridiques</a>. Par exemple, dans le dossier Cambie, l’interdiction de la surfacturation est également contestée. Aussi, c’est uniquement sur la base de la Charte canadienne que le plus haut tribunal du pays aurait à se prononcer, ce qui peut conduire à une analyse un peu différente que sous la Charte québécoise.</p>
<p>Dans l’arrêt Chaoulli, il n’y avait pas de majorité claire sur la violation de la Charte canadienne, notamment sur la question de la conformité aux « principes de justice fondamentale ». Le juge de première instance et deux des trois juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ont estimé que les mesures contestées sont conformes à ces principes, puisqu’elles ne sont ni arbitraires ni disproportionnées.</p>
<p>Par ailleurs, il faut considérer les changements intervenus dans la composition de la Cour suprême depuis 2005. Aucun des juges qui siégeaient dans l’affaire Chaoulli n’est aujourd’hui sur le banc. Aussi, l’approche de certains juges nouvellement nommés n’est pas bien connue sur de tels enjeux.</p>
<h2>Le maintien d’un système public fort : une question d’abord politique</h2>
<p>Si la Cour suprême devait invalider les interdictions législatives concernant la surfacturation et l’assurance privée duplicative, il s’agirait bien sûr d’un développement favorable à l’expansion du secteur privé en santé.</p>
<p>Pour préserver le système public, les autorités de la Colombie-Britannique pourraient toutefois tenter de faire comme le Québec après le jugement Chaoulli. Elles pourraient ainsi procéder à une ouverture circonscrite à certains services privés en offrant des garanties d’accès correspondantes dans le système public.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Du personnel soignant, en tenue médicale, se prépare pour une opération" src="https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une équipe médicale à l’œuvre à la clinique privée Cambie, à Vancouver.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Darryl Dyck</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’inverse, même si la Cour suprême confirmait la validité des dispositions contestées, le développement d’une offre parallèle de services privés ne serait pas définitivement exclu.</p>
<p>L’idée d’une plus grande ouverture au privé en santé, sous différentes formes, est présente dans les programmes de certains partis politiques fédéraux et provinciaux. Si la <a href="https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/C-6/TexteComplet.html"><em>Loi canadienne sur la santé</em></a> pose des conditions visant le maintien par les provinces d’un système public accessible et universel, elle n’interdit pas qu’il y ait des services privés de santé qui se développent en marge de ce même système. D’autres contestations judiciaires visant certaines mesures de protection du système public pourraient aussi intervenir dans le futur.</p>
<p>L’existence d’un système public de santé capable de répondre aux besoins de l’ensemble de la population de façon équitable est le fruit d’un consensus politique plus ou moins fort, selon les époques. Ce n’est pas le résultat d’une quelconque exigence enchâssée dans le « marbre constitutionnel », que les tribunaux auraient pour mandat de protéger contre vents et marées.</p>
<p>Des actions gouvernementales déterminées et novatrices sont donc requises pour faire en sorte que le système public de santé soit à la hauteur des besoins et ainsi éviter que l’adhésion de la population à son égard ne s’effrite.</p>
<p><em>NDLR Le 6 avril 2023, <a href="https://scc-csc.ca/case-dossier/info/dock-regi-fra.aspx?cas=40412">la Cour suprême a rejeté la demande d'autorisation d'en appeler dans l'affaire Cambie</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189181/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>En plus de ses activités académiques à l'Université de Sherbrooke et à l'Université de Montréal, Marco Laverdière occupe les fonctions de directeur général et de secrétaire de l'Ordre des optométristes du Québec. / In addition to his academic activities at Université de Sherbrooke and Université de Montréal, Marco Laverdière serves as the executive director and secretary of the Ordre des optométristes du Québec.</span></em></p>La Cour suprême pourrait avoir à décider s’il faut invalider l’interdiction de l’assurance privée et de la surfacturation pour les services médicaux en raison d’une atteinte aux droits fondamentaux.Marco Laverdière, Avocat, enseignant et chercheur associé en droit et politiques de la santé / Lawyer, lecturer and research associate in Health Law and Policy, Université de Sherbrooke Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1827962022-05-17T18:33:15Z2022-05-17T18:33:15ZGratuité des transports : comprendre un débat aux multiples enjeux<p>La gratuité des transports fait beaucoup parler d’elle. Récemment, elle est apparue à plusieurs reprises dans les débats de la campagne présidentielle : par exemple appliquée aux transports urbains comme une réponse à la tension sur les carburants provoquée par la guerre en Ukraine, pour Yannick Jadot, ou appliquée au TGV comme une mesure de pouvoir d’achat pour les jeunes, pour Marine Le Pen. Quand bien même la tarification des transports urbains ne relève pas de l’échelle gouvernementale tandis que celle du TGV n’en relève que de façon indirecte par l’intermédiaire de la SNCF.</p>
<p>La présence médiatique de la gratuité des transports est toutefois demeurée plus faible que lors des dernières élections municipales, qui ont vu de très nombreuses listes proposer une telle mesure, comme l’a analysé la chercheuse sur les comportements de mobilité du Cerema <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03591222/document">Sophie Hasiak</a>.</p>
<p>Depuis le milieu des années 2010, la gratuité est devenue l’un des thèmes majeurs des débats portant sur les politiques publiques de mobilité à l’échelle locale, c’est-à-dire celle assurées par des autorités organisatrices. Toutefois, comme pour le <a href="https://www.editions-libel.fr/maison-edition/boutique/quarante-ans-de-tramways-en-france/">tramway au cours des années 1990</a>, la gratuité se trouve aujourd’hui au cœur de controverses très vives.</p>
<h2>Une mesure polarisante</h2>
<p>On peut s’interroger sur les ressorts du caractère clivant d’une mesure qui pourtant ne paraît pas être en elle-même susceptible de changer la vie urbaine du tout au tout. Le caractère radical de l’opposition paraît lié au fait que les transports publics sont un secteur où les investissements sont massifs, qu’ils soient symboliques, supposés porter l’image de la ville ou l’urbanité des lieux, comme dans le cas du tramway ou du Grand Paris Express, ou financiers, comme à Lyon, <a href="https://www.sytral.fr/401-les-finances.htm">où 492 millions d’euros doivent être investis en 2022</a>, ce que la gratuité viendrait dégrader.</p>
<p>L’opposition peut aussi se fonder sur l’idée que cette mesure, qui a nécessairement un coût, ne serait pas la plus appropriée pour décarboner les mobilités, ce qui est affiché comme <a href="https://www.pur-editions.fr/product/7399/nouvelles-ideologies-urbaines">l’objectif central des politiques publiques</a>. Du côté des pro-gratuité, ce sont souvent les revendications venues des groupes les plus radicaux de la gauche qui sont les plus visibles du fait que la gratuité renvoie à un droit à la mobilité, voire un <a href="https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1967_num_6_1_1063">droit à la ville</a>, quand bien même cette mesure est instaurée par des majorités de gauche comme de droite.</p>
<p>Cette polarisation nuit à une compréhension satisfaisante de ce qu’est la gratuité des transports, en particulier du fait qu’elle conduit à poser la question en des termes généraux, souvent abstraits des éléments de contexte qui peuvent donner à cette mesure des sens bien différents, en fonction de la fréquentation du réseau, de son taux de couverture des dépenses de fonctionnement, de la conception de l’offre de transport…</p>
<p>Pour discuter d’un phénomène, il convient d’abord de le documenter. C’est l’objectif que s’est fixé l’<a href="http://www.obs-transport-gratuit.fr/">Observatoire des villes du transport gratuit</a>, né en 2019 avec l’appui de la Communauté urbaine de Dunkerque et de l’Agence d’urbanisme et de développement de la région Flandre-Dunkerque (Agur), puisque cette ville est l’une des principales agglomérations françaises à avoir décrété la gratuité sur son réseau. Il s’agit ainsi d’ouvrir le regard sur la gratuité, au-delà de ce qui est souvent l’entrée principale des débats : le report modal.</p>
<h2>Le report modal comme seule clé de lecture ?</h2>
<p>Alors que le champ médiatique présente généralement le sujet sous l’angle de la question financière, le report modal est le thème principal des débats dans les publics experts, pour qui la question du financement relève plus de choix politiques que d’une véritable difficulté.</p>
<p>Le report modal, qui pourrait désigner tout changement d’un mode de transport pour un autre, est ici compris comme celui devant voir les personnes se reporter depuis l’automobile vers les transports collectifs.</p>
<p>La question est de savoir qui sont celles et ceux qui constituent la hausse de fréquentation généralement constatée après une mesure de gratuité. S’agit-il d’automobilistes ? De cyclistes ? De piétons ? Ou de nouveaux déplacements qui n’étaient jusque-là pas réalisés ? Par exemple, le report modal est l’entrée principale des articles publiés par The Conversation, signés des économistes <a href="https://theconversation.com/transports-publics-gratuits-une-mesure-inefficace-contre-la-pollution-en-ville-133197">Frédéric Héran</a> et <a href="https://theconversation.com/leffet-limite-de-la-gratuite-des-transports-en-commun-sur-la-pression-automobile-180893">Quentin David</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/leffet-limite-de-la-gratuite-des-transports-en-commun-sur-la-pression-automobile-180893">L’effet limité de la gratuité des transports en commun sur la pression automobile</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Cette question n’est évidemment pas illégitime. Mais elle pose bien des difficultés. D’une part, elle est difficile à objectiver, puisque la gratuité n’arrive jamais seule dans un contexte urbain qui serait immuable, du fait d’effets démographiques, d’ouvertures de zones commerciales ou de nouvelles aires d’urbanisation.</p>
<p>Les enquêtes ne sont d’ailleurs pas toujours disponibles pour mener des comparaisons. D’autre part, l’objectif du report modal, pour intéressant est rarement atteint par les politiques publiques de transport, y compris les plus coûteuses, comme <a href="https://journals.openedition.org/rge/3508?lang=de">celles qui ont porté l’essor du tramway</a>. La vision qu’il suppose est assez réductrice, dans la mesure où il reste cantonné à l’offre de mobilité, alors que l’on sait que les leviers sont aussi du côté de la demande, alimentée par la forme urbaine dépendante d’une automobile encore assez peu contrainte.</p>
<p>L’enjeu du report modal croise aussi l’enjeu financier. Si les transports publics sont une activité qui n’est jamais rémunératrice, les rendre gratuits correspond-il à un usage pertinent des deniers publics ? Ces crédits devraient-ils être utilisés autrement ? C’est justement ce dont une évaluation élargie doit permettre de juger en complétant l’entrée par le seul report modal.</p>
<h2>Une nécessaire pluralité des questionnements</h2>
<p>Premièrement, au vu de l’hétérogénéité des situations, il est primordial d’évaluer les résultats attendus en fonction des objectifs fixés en amont. Or, différents buts peuvent être poursuivis par la mise en place de la gratuité : intégration sociale, report modal, décongestion du centre-ville, attractivité pour certains publics, distinction du territoire métropolitain vis-à-vis de ses périphéries, amélioration du taux de remplissage de son réseau, attractivité vis-à-vis des entreprises…</p>
<p>La gratuité étant un choix politique, c’est ainsi qu’il faut la comprendre, peut-être y compris dans ce qu’elle peut porter de stratégie personnelle des élues et élus, comme dans le cas de <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=TURB_136_0018&download=1">Patrice Vergriete</a> à Dunkerque, qui a construit son premier mandat sur cet enjeu, ou, historiquement, de <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2015-1-page-123.htm">Michel Crépeau</a> à La Rochelle, à l’heure des premiers vélos en libre-service en 1976, dont le succès lui a permis de s’afficher comme figure de l’écologie politique émergente.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bokizLXTT90?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le maire de Dunkerque Patrice Vergriete s’explique sur la gratuité des bus dans sa ville. YouTube.</span></figcaption>
</figure>
<p>Deuxièmement, il convient d’observer l’ensemble des effets de la gratuité : temps court et temps long, effets financiers et effets sociaux, effets sur les pratiques comme sur les images sociales, effets sur le réseau comme sur l’urbanisme et l’équilibre territorial en général… Ce que l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a entrepris, en finançant des études s’intéressant au <a href="https://www.wizodo.fr/photos_contenu/effets-gratuite-transports-jeunes-dunkerquois-avril21.pdf">groupe social des jeunes</a> ou aux effets de la gratuité sur les <a href="https://librairie.ademe.fr/mobilite-et-transport/5129-changer-les-pratiques-dans-les-services-urbains-de-transport-en-commun.html">pratiques professionnelles</a> au sein de l’exploitant d’un réseau.</p>
<p>Dans une approche économique, il est possible de porter un regard différent, comme celui des économistes <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=TURB_136_0012&download=1">Sonia Guelton et Philippe Poinsot</a>, qui se penchent par exemple sur les finances locales des villes à gratuité, finalement peu mises à l’épreuve par une telle mesure. Dans un contexte où les recettes ne couvrent bien souvent que de 10 à 15 % des coûts d’exploitation, les situations financières des villes à gratuité et des villes à réseau payant peuvent d’ailleurs être assez similaires. Il en va différemment pour les villes bien plus performantes sur ce critère, comme les agglomérations parisienne et lyonnaise, qui font toutefois plus figure d’exceptions que de normes en la matière.</p>
<p>Troisièmement, il faut aussi accepter que la gratuité, comme beaucoup d’autres mesures, ne puisse s’évaluer de façon complètement isolée et indépendamment d’autres éléments de contexte. En d’autres termes, une forme de modestie s’impose, du fait que la gratuité n’arrive pas seule dans un contexte qui resterait figé avant et après sa mise en œuvre et où les données collectées en amont existeraient et permettraient de mener des comparaisons simples avec celles collectées en aval. Une telle situation ne peut exister car la gratuité ne prend son sens que parmi d’autres mesures touchant aux mobilités. Ce qui ne signifie pas que rien ne peut en être dit mais que la première entrée doit être celle du contexte local, loin des jugements généraux portant sur la pertinence <em>a priori</em> ou non de la mesure.</p>
<h2>Refonder le débat</h2>
<p>Ce constat invite donc à construire collectivement un cadre de débat où la gratuité des transports puisse être discutée sereinement, en se départant des réactions épidermiques ou des spontanéités militantes qu’elle suscite habituellement. <a href="http://www.editions-descartes.fr/Titres-des-Editions-Descartes/Approche-laique-de-la-mobilite-une/85.htm">Une approche laïque de la gratuité</a>, pour reprendre Jean-Pierre Orfeuil.</p>
<p>Certains supports ont d’ores et déjà engagé un tel mouvement, comme la revue <a href="https://www.cairn.info/revue-transports-urbains-2020-1.htm">Transports urbains</a> ou le <a href="https://forumviesmobiles.org/regards-croises/15548/la-gratuite-des-transports-fait-elle-ses-preuves">Forum Vies Mobiles</a>. Tout récemment, une nouvelle marche a été franchie par la <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-gratuite-des-transports-une-idee-payante/">première publication de l’Observatoire des villes du transport gratuit</a>, qui aborde les grandes idées reçues touchant à la gratuité pour les déconstruire à partir des éléments scientifiques disponibles. Qu’elles plaident en faveur de la gratuité ou contre elle, ces idées reçues sont essentielles à éclairer, tant elles perturbent un débat qui a tant de difficultés à se poser.</p>
<p>Une autre façon de le faire est aussi d’élargir le regard à l’international, comme le propose le projet <a href="https://www.cosmopolis.be/research/low-fares-no-fares-analysis-economic-operational-socio-spatial-and-political-dynamics-fare">LiFT</a>. Si des conditions nationales peuvent expliquer des situations de gratuité, comme l’existence particulière du versement mobilité en France, regarder ailleurs permet de se défaire de nombre de préjugés sur la gratuité.</p>
<p>Le sens qu’elle prend au Luxembourg, à Tallinn ou à Kansas City n’est pas identique, du fait des objectifs, des contextes sociaux et urbains ou du statut de ce que sont les transports publics, pensés comme solutions écologiques visant le report modal ou comme solution sociale pour les plus pauvres. Plus généralement, le sens de la gratuité des transports n’est peut-être pas le même que celle d’autres services urbains ou services publics locaux, souvent gratuits mais rarement qualifiés comme tels.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/transports-publics-gratuits-une-mesure-inefficace-contre-la-pollution-en-ville-133197">Transports publics gratuits, une mesure inefficace contre la pollution en ville</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>C’est donc aussi aux mots qu’il convient de réfléchir. Gratuité agit comme une catégorisation qui masque bien des différences entre les villes ayant aboli tout ou partie de la tarification de leur réseau, de même qu’elle masque des continuités avec les villes où la tarification existe, en particulier sur le plan financier. Plus globalement, ce débat invite à revoir le sens d’expressions centrales dans les études de transport, comme l’idée de report modal ou les catégorisations habituelles entre automobilistes, piétons ou cyclistes, ce que nous sommes bien souvent toutes et tous au fil de nos activités.</p>
<p>Finalement, c’est même peut-être la notion de transport qui mérite d’être revisitée. Ce débat sur la gratuité ne nous invite-t-il pas à penser que le transport n’est pas juste là pour nous transporter mais se trouve être un vecteur portant bien d’autres choses : nos idéaux, nos envies, notre désir de vitesse ? La base étroite sur laquelle la gratuité se trouve souvent jugée n’est-elle pas celle qui vit dans l’illusion que le transport sert à transporter, alors qu’il porte une forte diversité de charges, du désenclavement territorial à l’idée d’innovation technologique en passant par les ambitions politiques, qu’on le veuille ou non ? Dès lors, si le transport porte autre chose, la gratuité ne peut-elle pas apporter autre chose ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182796/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Passalacqua est co-président de l'Observatoire des villes du transport gratuit.</span></em></p>La gratuité est devenue l’un des sujets majeurs des débats portant sur les politiques publiques de mobilité à l’échelle locale. Elle se trouve aujourd’hui au cœur de controverses très vives.Arnaud Passalacqua, Professeur en aménagement de l'espace et urbanisme, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1625732021-06-14T17:13:30Z2021-06-14T17:13:30ZBières gratuites, armes à feu… pourquoi les incitations anglo-saxonnes à la vaccination seraient inefficaces en France<p>Nous assistons actuellement, surtout aux États-Unis, à la mise en place d’une <a href="https://www.vaccines.gov/incentives.html">spirale incitative</a>, qui se veut vertueuse : si, dans certains États, une bière ou un repas sont offerts à ceux qui acceptent la vaccination, dans d’autres, la participation à une loterie permettant de gagner tant des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/un-vaccin-contre-le-covid-19-peut-vous-faire-gagner-une-arme-a-feu-en-virginie-occidentale_fr_60b75998e4b04b216be15385">armes à feu</a> que des bourses d’études, est proposée.</p>
<p>Cette spirale incitative est construite sur la mise en place de ce qu’on appelle une motivation extrinsèque, une incitation qui vient de l’extérieur, la plupart du temps ayant un équivalent monétaire facile à évaluer.</p>
<p>Cette motivation extrinsèque vise à pousser une personne à prendre des décisions lorsque la personne n’est pas intimement convaincue de son utilité et qu’elle a besoin d’un levier externe, de type « carotte », pour s’engager.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1389269510612467716"}"></div></p>
<p>Cela se distingue des motivations intrinsèques, qui correspondent aux raisons internes à l’individu, à ses convictions. Ce sont celles qui fonctionnent chez les personnes qui d’elles-mêmes sont allées se faire vacciner.</p>
<p>Les résultats communiqués quant aux effets de ces « carottes » sur la vaccination s’avèrent encourageants. Certains pays, dont la France, seraient tentés de suivre l’exemple et de mettre en place de tels leviers monétaires. Serait-ce toutefois véritablement efficace dans le contexte hexagonal ?</p>
<p>Nous allons donner une réponse simple et documentée : non. Cependant, il existe d’autres moyens de faire vacciner la population française et convaincre les hésitants, et nous allons expliquer le plus simple des mécanismes.</p>
<h2>Effet contraire au but recherché</h2>
<p>Non, parce que, premièrement, pour qu’une incitation extrinsèque fonctionne, elle doit agir sur un marché au sein duquel les transactions de type monétaire sont courantes.</p>
<p>Le marché de la santé aux États-Unis est un <a href="https://theconversation.com/paying-people-to-get-vaccinated-might-work-but-is-it-ethical-160959">marché monétisé</a>. Puisque les individus y ont l’habitude de payer pour les services de santé, ils trouveraient normal que, pour certaines transactions, ils puissent bénéficier d’une réduction de prix, voire d’un gain monétaire.</p>
<p>C’est tout le contraire en France. Au sein de l’hexagone, la santé s’apparente à ce que l’on pourrait qualifier de marché répugnant, tel que défini par l’économiste américain Alvin Roth, prix « Nobel » d’économie 2012. Elle ne rentre pas dans le cadre des transactions commerciales, et le fait d’intégrer éventuellement ce domaine au marché semblerait intrinsèquement immoral. Tout comme en France les individus ne payent pas directement pour les services de santé, il n’y aurait pas lieu qu’ils y attendent des gains monétaires.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-la-science-economique-sauve-des-vies-conversation-avec-alvin-roth-prix-nobel-deconomie-2012-123461">Quand la science économique sauve des vies, conversation avec Alvin Roth, prix Nobel d’économie 2012</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Non, parce que, deuxièmement, dans ce cadre précis se mettrait même en place un effet d’éviction (« <a href="https://rady.ucsd.edu/faculty/directory/gneezy/pub/docs/fine.pdf">crowding out</a> »). C’est ainsi que l’on désigne une situation où survient l’effet contraire au but recherché quand les incitations s’avèrent mal calibrées. Lorsque le marché n’est pas monétisé et que les individus s’engagent dans des actions vertueuses (se faire vacciner) parce qu’ils ont une motivation intrinsèque, la mise en place d’incitations monétaires externes détruirait cette motivation intrinsèque.</p>
<p>Il a en effet été abondamment démontré que les individus perçoivent la mise en place d’un prix ou d’une récompense comme un signal qu’une motivation extrinsèque serait nécessaire, donc que leur motivation intrinsèque n’aurait pas lieu d’exister. Autrement dit, si le gouvernement est obligé de me payer pour me faire agir ainsi, c’est que je n’avais pas raison de le faire en absence de cette récompense externe, ou qu’alors le gouvernement a <a href="https://www.jstor.org/stable/2951373">quelque chose à cacher</a>… Ceci, en plus d’éroder la motivation de ceux déjà convaincus par la vaccination, alimenterait la défiance conspirationniste de surcroît.</p>
<p>Non, parce que, troisièmement, sans rentrer même mentionner certains choix éthiquement discutables (des armes pour se faire vacciner, manipulation par les nudges, etc.), la mise en place d’incitations monétaires crée quand même une forme d’injustice pour ceux qui, sans incitation, ont déjà fait le choix de se faire vacciner. Eux, ils n’ont pas bénéficié d’incitations monétaires, donc n’en retirent aucun gain, malgré leur comportement plus vertueux.</p>
<p>Si le choix de se vacciner provient d’un souci de bien-être social pour contribuer à atteindre l’immunité collective, la question éthique se pose légitimement. Pourquoi récompenser ceux qui n’ont pas ce souci ? Elle est particulièrement saillante d’ailleurs car la perception de pareille inégalité atténuerait un peu plus encore les motivations intrinsèques.</p>
<p>Non, parce que, quatrièmement, la mise en place de cette spirale, qui se veut vertueuse, pourrait révéler des comportements calculateurs et même stopper la vaccination. Pour quelle raison irais-je me faire vacciner maintenant lorsque je vois justement que de plus en plus d’incitations sont mises en place ? Il semble qu’il vaille mieux attendre, un plus beau cadeau pourrait apparaître quand le gouvernement sera vraiment désespéré…</p>
<p>Alors, que faire ?</p>
<h2>Le « opt-out » plus que le « opt-in »</h2>
<p>Nos <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3839654">recherches</a> rappellent l’ensemble des leviers qui ont été testés pour inciter à la vaccination. Nous en classifions quatre types :</p>
<ul>
<li><p>les interventions sur les normes sociales qui essaient de manipuler l’impression publique de ce que d’autres personnes approuvent ou désapprouvent, jouant sur une motivation intrinsèque de conformisme. Celles-ci ont montré de bons résultats dans le domaine de la vaccination ;</p></li>
<li><p>un deuxième type rappelle simplement les dangers individuels ou publics de ne pas se faire vacciner ;</p></li>
<li><p>le troisième joue sur le fait de rappeler les intentions ou des rendez-vous manqués, pour transformer les intentions de vaccination en acte ;</p></li>
<li><p>le quatrième, sur lequel on va se concentrer ici, essaie de rendre la vaccination plus facile, pour baisser la barre que la motivation intrinsèque doit franchir avant de pousser les gens à agir.</p></li>
</ul>
<p>Étant donné qu’en France l’accès aux soins (et donc à la vaccination) reste gratuit, et qu’il est <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2774381">démontré</a> que la réduction des frictions (telles que la difficulté à s’inscrire) et des facteurs de tracasserie (tels que les temps d’attente, les lieux de service peu pratiques et la paperasserie) augmentent l’utilisation des services, le seul coût qu’il est possible de réduire est le coût cognitif.</p>
<p>Actuellement en France, il faut prendre rendez-vous sur des plates-formes qui ne sont <a href="https://www.midilibre.fr/2021/05/06/vaccination-anti-covid-pourquoi-la-prise-de-rendez-vous-sur-doctolib-ne-fonctionne-pas-toujours-9529402.php">pas toujours faciles d’accès</a>. Un levier qui s’est montré particulièrement intéressant pour changer le comportement consiste simplement dans un changement des choix par défaut.</p>
<p>Des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20606147/">chercheurs</a> de Rutgers University, aux États-Unis, avaient envoyé une lettre à 408 employés de leur établissement pour les informer d’une campagne de vaccination contre la grippe. Un sous-groupe des employés a reçu un mail indiquant une heure, une date et un lieu pour se faire vacciner, avec toutefois une option pour annuler le rendez-vous ou en poser un autre – on parle d’une condition « opt-out ». Les autres ont reçu la condition « opt-in », leur demandant de fixer leur propre rendez-vous. Seule la moitié de ce second groupe est passée à l’action quand le taux de vaccination est monté à 92 % dans le premier.</p>
<p>Implémenter un tel système au niveau national représenterait certes un défi logistique, et serait difficile à centraliser. Mais avec une coopération des centres locaux de vaccination, au moins un premier opt-out pourrait être offert à la population non vaccinée.</p>
<p>On pourrait envisager un opt-out à deux niveaux, où, une fois le premier rendez-vous refusé, l’option par défaut serait de choisir un autre moment, et l’option de ne pas prendre rendez-vous apparaîtrait seulement si le deuxième choix était annulé. Un système opt-out a l’avantage que non seulement il minimise l’effet d’éviction, mais pourrait le transformer en « effet d’emballement » (<em>crowding in</em>), en mettant en avant l’hypothèse que chacun veuille participer à l’effort collectif.</p>
<p>Pour les individus particulièrement hésitants par rapport au vaccin, le système d’opt-out pourrait toujours paraître un peu coercitif. On note cependant qu’une étude sur les intentions des parents britanniques de faire vacciner leurs enfants contre la rougeole dans les écoles a montré qu’un système opt-out était considéré comme <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31606869/">acceptable</a> d’un point de vue éthique.</p>
<p>Ces individus sont souvent réticents par rapport à des solutions « techniques », qui visent des effets et non à traiter les causes des problèmes systémiques. Ils n’ont pas tout à fait tort. Les vaccins peuvent être vus comme n’étant qu’une partie de la réponse à une ère où les pandémies sont prédites à devenir de plus en plus communes.</p>
<p>La vaccination peut nous aider à retrouver une vie normale au plus vite, mais la prévention, par exemple, à travers une gestion plus saine de l’environnement et de notre relation avec la nature semble une solution à long terme beaucoup plus raisonnée qu’une course vers les vaccins pour répondre à chaque nouvelle crise. Reconnaître que c’est une motivation intrinsèque et valable qui pourrait aussi ralentir la vaccination est, du même coup, un autre élément utile dans la communication sur le Covid-19.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162573/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Angela Sutan a reçu des financements de l' ANR a travers le dispositif ISITE-BFC International Coach program (ANR-15-IDEX-003, PI URI Gneezy). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Eli Spiegelman a reçu des financements de l' ANR a travers le dispositif ISITE-BFC International Coach program (ANR-15-IDEX-003, PI URI Gneezy)</span></em></p>Les spécificités du système de santé freinent l’efficacité des « carottes » employées aux États-Unis ou au Royaume-Uni pour convaincre ceux qui hésitent à recevoir l’injection..Angela Sutan, Professeur en économie comportementale, Burgundy School of Business Eli Spiegelman, Professeur permanent, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1331972020-06-21T20:23:24Z2020-06-21T20:23:24ZTransports publics gratuits, une mesure inefficace contre la pollution en ville<p>Tout le monde semble considérer la gratuité des transports publics comme une solution favorable à l’environnement, puisqu’elle permet de réduire le trafic automobile et que les bus polluent moins que les voitures. Même si quelques spécialistes en <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02191358">doutent</a>, le sujet ne suscite aucun débat. Il est pourtant possible de montrer qu’il n’en est rien.</p>
<p>Prenons le cas de Dunkerque. Dans cette ville, la gratuité totale des bus a fait bondir la fréquentation de 77 % entre 2017 et 2019 et la part des transports publics dans l’ensemble des déplacements (la « part modale ») <a href="https://www.wizodo.fr/photos_contenu/doc-28d84e88b62278b031fb2c7f3a818caa.pdf">est passée de 5 à 9 %</a>, ce qui entraîne, imagine-t-on, une baisse de 4 points du trafic auto et de la pollution. La réalité est plus complexe.</p>
<h2>Des bus peu vertueux</h2>
<p>Intéressons-nous d’abord à ces transports en commun. Un bus thermique n’est, en fait, pas très écologique. C’est un véhicule assez lourd (12 tonnes à vide pour un bus standard), qui n’est rempli qu’aux heures de pointe et près des lieux générateurs de trafic. Si bien que son taux d’occupation moyen est assez faible (<a href="https://www.bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?routier2.htm">10 voyageurs par bus en moyenne</a> dans les villes de 150 000 à 250 000 habitants).</p>
<p>Résultat, <a href="https://www.ademe.fr/expertises/mobilite-transports/chiffres-cles-observations/chiffres-cles">selon l’Ademe</a>, les émissions de CO<sub>2</sub> d’un bus en province ne sont inférieures que de 36 % par personne transportée à celles des voitures particulières en milieu urbain.</p>
<p>Si l’on considère que les bus affichent un bon taux de remplissage grâce à la gratuité, on peut toutefois estimer qu’une personne circulant dans un bus gratuit est à peu près deux fois plus vertueuse qu’un automobiliste (c’est le cas à Dunkerque).</p>
<p>Des bus hybrides ou électriques, des tramways ou métros font certes mieux mais sont bien plus coûteux, et justement l’argent manque dans les réseaux gratuits faute de recettes pour investir. Il faudrait de plus comparer ces solutions à des voitures hybrides ou électriques.</p>
<h2>Un faible report modal</h2>
<p>Il est possible d’évaluer avec une précision suffisante l’impact de la gratuité des transports publics <a href="https://actuvelo.fr/2019/10/30/gratuite-des-transports-publics-et-incoherence-de-la-politique-de-deplacements-urbains-les-enseignements-du-cas-de-dunkerque/">sur l’évolution des parts modales</a>.</p>
<p>Ainsi, à Dunkerque, la part de l’automobile a baissé d’environ 3 %, mais celle des modes actifs également : – 3 % pour la marche et – 12 % pour le vélo. Des résultats qui concordent avec des calculs réalisés dans quatre autres villes européennes : Châteauroux, Hasselt, Avesta et Templin. Comment les expliquer ?</p>
<p>Les cyclistes sont les premiers attirés car leur profil est proche de celui des usagers des transports publics (lycéens, étudiants, femmes ou personnes âgées non motorisés) et les distances qu’ils parcourent aussi. Les piétons le sont déjà moins car si leur profil est aussi assez proche, leurs déplacements sont en revanche beaucoup plus courts. Les automobilistes quant à eux, considèrent que leur véhicule reste en général une solution bien plus souple, plus confortable et en moyenne deux fois plus rapide qu’un déplacement en transport en commun.</p>
<p>Autrement dit, quand à Dunkerque la part du bus augmente de 4 points passant de 5 à 9 %, celle de la voiture baisse en fait de seulement 2 points (et non de 4), chutant de 67 à 65 %. Quant à celle des modes actifs, elle perd 1,5 point, glissant de 27 à 25,5 %. Le reste correspond à du « trafic induit », c’est-à-dire des déplacements qui n’existaient pas auparavant mais sont encouragés par la gratuité des trajets.</p>
<h2>La refonte du réseau à prendre en compte</h2>
<p>Tous les effets observés ne sont pas attribuables à la gratuité. De nombreuses villes en profitent en effet pour réorganiser et améliorer leur réseau au même moment.</p>
<p>C’est le cas de Dunkerque ou d’Aubagne, mais pas de Niort. Cette dernière ville a même réduit l’offre de transport pour éviter d’augmenter les impôts. Or elle n’a enregistré <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/02/07/a-niort-les-bus-gratuits-n-ont-pas-fait-bondir-la-frequentation_6028831_3224.html">qu’une hausse de la fréquentation de 25 % environ</a>.</p>
<p>À Dunkerque, la gratuité n’expliquerait que <a href="https://www.gart.org/wp-content/uploads/2019/10/Recueil-de-positions_%C3%89tude-GART-sur-la-gratuit%C3%A9-des-transports-publics_02102019.pdf">42 % de l’essor de la fréquentation</a>.</p>
<h2>Confusion entre conducteurs et passagers</h2>
<p>Les automobilistes ne sont pas forcément des conducteurs. Une partie d’entre eux sont des passagers qui, s’ils prennent le transport public, ne vont pas réduire pour autant le trafic en ville. Dans l’agglomération de Dunkerque, 27 % des automobilistes sont des passagers, <a href="http://www.agur-dunkerque.org/publications/publication62">et parmi ces passagers près de la moitié sont des enfants</a>.</p>
<p>Malheureusement, les données concernant l’origine des usagers du bus ne permettent pas de distinguer les conducteurs des passagers, parmi les anciens automobilistes.</p>
<p>Il est pourtant probable que ces derniers soient plutôt des passagers que des conducteurs. À Dunkerque, 7 usagers des bus gratuits sur 10, qu’ils soient mineurs ou majeurs, <a href="https://www.wizodo.fr/photos_contenu/doc-28d84e88b62278b031fb2c7f3a818caa.pdf">n’ont pas de voiture</a>.</p>
<p>En empruntant les bus, les anciens piétons et cyclistes qui étaient auparavant très vertueux contribuent en outre désormais à la pollution urbaine et à la détérioration du climat. Certes, les déplacements à pied et à vélo représentent de petites distances, mais ce sont sans doute les déplacements les plus longs et les plus fatigants qui sont avant tout concernés. Et ce ne sont pas non plus les déplacements en voiture les plus longs (qui débordent le périmètre des transports urbains) qui sont supprimés.</p>
<h2>Du mésusage qui encombre les bus</h2>
<p>Le trafic induit, qui représente 10 à 15 % de l’ensemble des usagers, est souvent considéré sous un angle uniquement positif : des personnes peu mobiles en profitent pour sortir de chez elles et se socialiser.</p>
<p>Mais il comporte aussi une part de mésusage. Les usagers prennent désormais le bus pour de petits déplacements faisables à pied, pour se rencontrer entre copains ou se distraire, pour se promener sans motif particulier, pour se reposer un moment, pour éviter d’être mouillé quand il pleut, pour se réchauffer l’hiver ou être au frais l’été… Tous ces usages n’ont rien de condamnable en soi, mais contribuent à saturer les transports publics. Il faut alors augmenter l’offre à grands frais, ce qui encourage encore le mésusage.</p>
<p>Autrement dit, les budgets publics seraient mieux alloués à subventionner des lieux de convivialité qui ne roulent pas, n’ont pas de moteur polluant et n’ont pas besoin de chauffeur (cinémas, médiathèques, centres culturels, cafés alternatifs…), ainsi qu’à aménager des espaces publics de qualité (bancs, abris, plantations…).</p>
<h2>Un bilan environnemental nul</h2>
<p>Qu’en est-il alors de la baisse de pollution tant attendue ? Reprenons le cas de Dunkerque : d’un côté, la part des déplacements en voiture diminue de 2 points seulement, et le trafic automobile un peu moins, puisqu’il est probable que les bus gratuits attirent plutôt des passagers de voiture.</p>
<p>De l’autre, les déplacements en bus progressent de 4 points (en émettant deux fois moins de pollution par personne transportée que les automobilistes), parce qu’ils attirent aussi des usagers non motorisés et qu’ils génèrent du trafic induit (dont une part de mésusage).</p>
<p>Résultat, la politique de relance des transports publics n’a en rien réduit la pollution à Dunkerque. Qu’on ne puisse qu’en partie attribuer ces effets à la gratuité ne modifie pas le bilan.</p>
<h2>D’autres mesures beaucoup plus efficaces</h2>
<p>Existe-t-il alors des solutions plus efficaces pour réduire la pollution ? Bien entendu. Mais il faut avoir le courage de s’engager dans une politique de déplacements urbains cohérente et dynamique, d’inciter et de contraindre, d’associer au développement des modes alternatifs à l’automobile des mesures de modération de la circulation.</p>
<p>Dans une ville moyenne, il faudrait tout à la fois généraliser les zones 30 et réduire le nombre et la largeur des files de circulation sur les artères, <a href="https://www.cerema.fr/fr/actualites/zones-circulation-apaisee-13-fiches-telecharger">comme à Lorient</a>, encadrer et tarifer le stationnement, y compris des deux-roues motorisés, comme à Vincennes, et en même temps améliorer la <a href="https://www.francebleu.fr/infos/transports/la-rochelle-des-affiches-pour-que-pietons-et-cyclistes-respectent-mieux-les-regles-de-circulation-1577364064">qualité des espaces publics pour les piétons</a>, aménager un réseau cyclable sur les artères, réaliser des lignes de bus à haut niveau de service, <a href="https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/saint-nazaire-44600/les-bus-helyce-ont-commence-circuler-1320281">avec des voies réservées</a> qui prennent de la place à la voiture.</p>
<p>On traite ainsi le problème à la source, avec moins d’effets pervers et à moindre coût, tout en offrant diverses alternatives, au lieu de vouloir à tout prix ménager la chèvre et le chou.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133197/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Héran ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Rendre gratuits les transports publics n’a pas l’efficacité escomptée et induit divers effets pervers.Frédéric Héran, Économiste et urbaniste, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1368722020-05-13T18:57:00Z2020-05-13T18:57:00ZLe moment est venu de créer un revenu d’existence en démocratisant la monnaie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334369/original/file-20200512-82357-1r1b19k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C484%2C8930%2C6240&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Et si nous changions radicalement notre vision de l'argent ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/Xeo_7HSwYsA">Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le président Macron, dans son discours du lundi 13 avril, a conclu sur les mots du Conseil National de la Résistance « nous retrouverons les jours heureux ». Or, le Covid-19 l’a révélé au monde entier, nous ne pourrons retrouver les jours heureux qu’en changeant radicalement de société.</p>
<p>Pour remédier à la crise économique et sociale consécutive à la pandémie du Covid-19, de nombreuses initiatives, en France, mais aussi <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/chronique-eco-du-vendredi-17-avril-2020">d’autres pays occidentaux</a>, proposent l’instauration rapide d’un « revenu d’existence ». L’objectif est de distribuer un revenu de base pour, à la fois, limiter les situations d’extrême pauvreté et aussi éviter une trop forte contraction de la demande.</p>
<p>En tant que spécialistes de l’économie sociale et solidaire, nous proposons le revenu d’existence RECRE, permettant à la fois de dépasser le capitalisme et de <a href="https://www.cairn.info/defaire-le-capitalisme-refaire-la-democratie--9782749266305-page-259.html">renouveler la démocratie</a>.</p>
<p>Le RECRE est le versement mensuel, individuel et inconditionnel d’un revenu permettant de vivre dans la dignité sans obligation de travailler.</p>
<p>Cette proposition va plus loin que les initiatives de revenu universel lues dans la presse. Elle veut promouvoir une démocratie radicale, c’est-à-dire, selon le <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Le-public-et-ses-problemes">philosophe John Dewey</a>, de donner la possibilité à tous ceux qui le souhaitent de participer activement à la solution des problèmes qu’ils rencontrent.</p>
<p>La singularité de ce revenu c’est de reposer sur la création monétaire et non pas sur le principe de la redistribution. Pour comprendre son fonctionnement, nous partirons de l’exemple des <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-1-page-81.htm">Systèmes d’Échanges Locaux</a> (SEL).</p>
<h2>Qu’est ce qu’un SEL ?</h2>
<p>Un SEL est une association à but non lucratif où les membres échangent certains biens, connaissances ou savoir-faire à l’aide d’une monnaie qui leur est propre (le Piaf par exemple pour le <a href="http://www.seldeparis.org">SEL de Paris</a>). Il ne s’agit pas d’un simple troc mais d’une réciprocité multilatérale. Djamila aide Marc dans la réparation d’un vélo et reçoit en échange X unités monétaires, elle peut donc à son tour faire garder ses enfants par Eric en lui donnant ses X unités.</p>
<p>Actuellement, le SEL de Paris est le plus grand qui compte environ 400 adhérents. Dans d’autres lieux le cercle peut être plus restreint et compter quelques dizaines d’adhérents.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cFjnSgCrNgw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Fonctionnement d’un SEL en Lorraine.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les règles de fonctionnement (Combien vaut le service ? Quel est le niveau de débit acceptable ?…) sont entièrement délibérées par les adhérents.</p>
<p>De ce fait, ces règles varient d’un groupe à l’autre mais on retrouve la même conception de la monnaie : un pur nombre qui permet la production et la mesure de l’activité. Ainsi, ces expériences citoyennes permettent de révéler trois choses sur la monnaie :</p>
<ul>
<li><p>La monnaie est un élément central d’une solidarité démocratique. Certes, elle revêt, en régime capitaliste, une dimension spéculative, mais comme le souligne <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/bibliotheque-des-savoirs/la-subsistance-de-l-homme">l’anthropologue Karl Polanyi</a>, elle est aussi une abstraction indispensable aux échanges économiques que l’on doit préserver d’une logique prédatrice. C’est, en effet, une construction sociale indispensable à la formation d’une communauté politique (dans un SEL, les membres de l’association) et au développement de l’activité économique.</p></li>
<li><p>La monnaie n’est pas une marchandise parmi d’autres, c’est un enregistrement comptable préalable à l’activité économique. On retrouve ainsi, la <a href="https://www.persee.fr/doc/cep_0154-8344_1999_num_35_1_1265">théorie schumpetérienne</a> de la monnaie créance qui permet aux banques de créer ex-nihilo de la monnaie à l’occasion d’un crédit à l’entrepreneur innovant. Cependant, différence notable avec l’économie capitaliste, cette création, dans un SEL, n’est pas gérée par une banque privée ou par une banque centrale, bras armé de l’État, mais autogérée par les adhérents.</p></li>
<li><p>La monnaie nombre, créée de toutes pièces, permet d’engager la production par la distribution de revenus. Ces revenus sont dits primaires car ils découlent directement de la production effectuée par les acteurs. De ce fait, ils obtiennent des droits de tirage sur la richesse globale sans passer par les fourches caudines et donc conditionnelles des règles de la redistribution (prestations sociales : revenus secondaires). Un SEL peut ainsi décider de distribuer de la monnaie pour permettre à ceux qui n’ont pas de revenu d’entrer dans l’échange.</p></li>
</ul>
<h2>Une solidarité démocratique nouvelle</h2>
<p>Ces trois enseignements sont à la base de RECRE. Il s’agit, tout d’abord, d’instaurer un revenu universel par création monétaire favorisant une solidarité démocratique entre tous les habitants du territoire. Cette création monétaire se fait au nom d’une valeur commune : le droit pour tous de vivre dans la dignité.</p>
<p>Il s’agit, également, d’initier une gestion démocratique de la <a href="https://theconversation.com/pas-de-transition-sans-une-nouvelle-approche-de-la-monnaie-pour-une-monnaie-deliberee-59476">monnaie</a> en soumettant ses règles de fonctionnement à la délibération de tous. La monnaie cesse d’être un bien public géré par le système bancaire privé.</p>
<p>Notre proposition suppose donc deux choses : premièrement la reconnaissance de la monnaie comme bien commun favorisant les activités économiques jugées utiles par la communauté. Ce qui suppose, d’une part, de reconnaître et d’encourager légalement les monnaies autonomes de type SEL et les <a href="https://www.cairn.info/revue-innovations-2012-2-page-67.htm">monnaies sociales non complémentaires</a> par exemple les monnaies locales.</p>
<p>Cela suppose, d’autre part, de généraliser les banques éthiques et revenir au principe fondateur des banques coopératives et mutualistes : créer de la monnaie pour et par les sociétaires qui sont à la fois les clients et les décideurs.</p>
<p>Deuxièmement, et c’est sans doute le plus essentiel mais aussi le plus compliqué, démocratiser les institutions monétaires pour que la monnaie devienne pleinement un bien public.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9eBBIYWeUxs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La NEF une banque éthique et coopérative.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il convient alors, tout d’abord, de redonner à l’État la possibilité d’utiliser la monnaie indépendamment des banques et de leur logique de rentabilité des fonds prêtés à court terme. Concrètement, la banque centrale doit non seulement pouvoir financer directement l’État (ce qui est pour l’instant interdit dans le cadre l’union monétaire européenne) mais plus fondamentalement redevenir un outil au service de la politique et cesser d’être un outil de contrôle des dépenses publiques.</p>
<p>On pourrait ainsi instituer la distribution d’un revenu d’existence à tous les habitants d’un territoire en utilisant la monnaie au nom de la dignité humaine.</p>
<p>Il s’agit dans le même temps d’opérer un contrôle démocratique sur les institutions bancaires par exemple en réservant des minorités de blocage à des citoyens élus dans les directoires des banques centrales. Dans le cadre de cette proposition de démocratisation du système monétaire que l’on vient d’esquisser, RECRE serait un revenu distribué en monnaie officielle. Dans l’idéal ce revenu se matérialiserait en euro si on imagine une réinvention de l’Union européenne.</p>
<p>Enfin, dernière caractéristique, il ne s’agit pas d’un revenu secondaire alimenté par l’imposition, mais d’un revenu primaire, à savoir un droit de tirage déterminé – par des procédures délibératives – sur la production globale.</p>
<h2>Une nouvelle forme de distribution du revenu</h2>
<p>Par rapport à la proposition des présidents de département, RECRE n’est pas une prestation sociale mais bien une nouvelle forme de distribution du revenu. Il ne s’agit pas, non plus, contrairement <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20180913.OBS2310/ce-que-l-on-sait-du-revenu-universel-d-activite-propose-par-macron.html">au projet d’Emmanuel Macron</a>, de « revenu universel d’activité », de limiter l’État social en rassemblant toutes les prestations dans un versement social unique puisque RECRE peut être complémentaire de la protection sociale existante.</p>
<p>Ce revenu primaire ne se substitue pas d’avantage au salaire minimum, c’est au contraire un revenu supplémentaire, indépendant de l’activité individuelle. Ce n’est pas non plus, une mesure temporaire, le fameux « hélicoptère monétaire » consistant pour la banque centrale à distribuer de la monnaie aux ménages pour <a href="https://theconversation.com/lhelicoptere-monetaire-le-dernier-recours-des-politiques-economiques-134672">qu’ils consomment</a>.</p>
<p>C’est au contraire un revenu permanent versé de la naissance à la mort. Enfin, ce n’est pas une aumône philanthropique destinée aux plus pauvres mais une reconnaissance effective de l’égale dignité de chacun. Toutes ces caractéristiques nouvelles en font un puissant outil de transformation sociale permettant de fonder, sur d’autres bases intellectuelles, le débat public.</p>
<h2>Remettre en cause la centralité du travail</h2>
<p>Le RECRE permet une rupture radicale avec l’imaginaire productiviste qui emprisonne nos sociétés dans les contraintes du marché.</p>
<p>Il offre à tous ceux qui se sentent proches de la décroissance d’assumer leur choix sans pour autant sombrer dans la pauvreté. La monnaie n’est plus au service de la croissance et de l’accumulation du capital mais au service de la dignité humaine.</p>
<p>Par ailleurs le RECRE remédie à la dégradation du salariat (précarité, « bullshits jobs »…) et, plus fondamentalement, il ose remettre en cause la centralité du travail dans l’existence. Il n’est plus nécessaire de travailler pour vivre dans la dignité. Enfin, il s’attaque, en plus du salariat, à l’autre pilier du capitalisme : la propriété.</p>
<p>Le revenu n’est plus, dans cette perspective, uniquement lié à l’activité individuelle et à la possession de titres de propriété (action, terre, immobilier, brevet…). Une partie du revenu est lié, via la création monétaire, à un droit de tirage égalitaire sur un patrimoine commun (connaissances, techniques, nature…).</p>
<h2>Une rupture avec la démocratie libérale actuelle</h2>
<p>Enfin le RECRE permet une rupture profonde avec la démocratie libérale représentative actuelle.</p>
<p>Les droits de l’homme ne sont plus uniquement conçus comme des libertés détachées des réalités économiques. Le droit à la dignité humaine s’ancre dans un droit économique soit recevoir un revenu permettant de vivre décemment. Il susciterait aussi, ainsi que l’ont montré de nombreux philosophes politiques, comme <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2002-2-page-285.htm">Carnelius Castoriadis</a>, l’engagement des citoyens dans le projet démocratique.</p>
<p>Car délibérer prend du temps et nécessite, comme le souligne <a href="https://calmann-levy.fr/livre/condition-de-lhomme-moderne-9782702112755">Hannah Arendt dans son analyse de la démocratie grecque</a>, d’être libéré des contraintes du travail. Dès lors, le RECRE, en réduisant les inégalités concrètes, rend plus effectif l’égalité de droit qui est à la base de la démocratie.</p>
<p>Au final, le RECRE est une révolution intellectuelle qui combat les autoritarismes de marché et les choix arbitraires de l’État. Ainsi, il apporte les moyens économiques favorables à l’avènement d’une démocratie radicale. Tout comme l’énonçait le programme du Conseil National de la Résistance en son temps, c’est en instaurant un « ordre social plus juste » que l’on peut espérer retrouver les jours heureux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136872/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La singularité d’une mise en place d’un revenu RECRE est de reposer sur la création monétaire et non pas sur le principe de la redistribution.Éric Dacheux, Professeur en information et communication, Université Clermont Auvergne (UCA)Daniel Goujon, Maître de conférences en sciences économiques, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1303282020-01-30T17:37:15Z2020-01-30T17:37:15ZCosmétiques : les actions qui séduisent les millennials en magasin<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/312003/original/file-20200127-81346-1oem1sj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=105%2C8%2C5284%2C3579&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près des trois quarts des millenials seraient prêts à utiliser une bouteille consignée.</span> <span class="attribution"><span class="source">Iakov Filimonov / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les « millennials », également appelés génération Y, sont les personnes nées entre 1980 et 2000. En France, selon <a href="https://blog.digimind.com/fr/insight-driven-marketing/marques-medias-reseaux-sociaux-millennials-francais-en-chiffres">Digimind</a>, il seraient environ 16 millions, soit un quart de la population active. Ce groupe de consommateurs adopte des comportements spécifiques qui présagent souvent des évolutions à venir d’autres tranches d’âges, telles que la génération X ou les personnes nées entre 1965 et 1980, en matière de consommation. Les millennials représentent donc un groupe de consommateurs particulièrement intéressant à étudier.</p>
<p>Le fait d’avoir grandi avec des technologies mobiles et connectées les rend en effet plus susceptibles d’adopter de nouveaux usages, de nouvelles pratiques. On appelle d’ailleurs également les millennials les « digital natives » ou la « génération Internet ». Selon une étude <a href="https://www.airofmelty.fr/combien-de-temps-par-jour-les-15-34-ans-passent-ils-a-surfer-sur-leur-mobile-a666477.html">Médiamétrie</a>, les 15-34 ans passent par jour 1h24 à surfer (consultation de sites ou d’applis) sur leur mobile (contre 46 minutes pour les français, toutes catégories d’âge confondues).</p>
<p>Pour les marques de <a href="https://www.cosmetiquemag.fr/">cosmétiques</a>, les millennials représentent un fort potentiel. Une <a href="https://books.audencia.com/index.php?lvl=notice_display&id=36153">étude quantitative</a> (via un questionnaire en ligne), réalisée dans le cadre du mastère spécialisé Stratégies marketing à l’ère digitale (SMED) d’Audencia, indique leurs réactions à différentes actions que les marques de cosmétiques vendues en grandes et moyennes surfaces (GMS) pourraient mettre en œuvre afin de conquérir et fidéliser ce segment de consommateurs spécifique. Mais avant, cette étude souligne que tous ne font pas leurs courses de la même façon au sein des rayons cosmétiques des GMS.</p>
<h2>Quatre approches différentes</h2>
<p>L’étude réalisée dans le cadre du SMED indique que 26 % des millennials interrogés prennent leur temps au sein des rayons cosmétiques en GMS et touchent les produits avant d’en choisir un (dont 91,2 % de femmes). De la même manière, 23,7 % flânent dans ces rayons sans liste d’achat et achètent leurs produits selon leur humeur et leurs envies (dont 67,7 % de femmes).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/311959/original/file-20200127-81346-mxvv6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311959/original/file-20200127-81346-mxvv6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311959/original/file-20200127-81346-mxvv6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311959/original/file-20200127-81346-mxvv6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311959/original/file-20200127-81346-mxvv6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311959/original/file-20200127-81346-mxvv6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311959/original/file-20200127-81346-mxvv6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311959/original/file-20200127-81346-mxvv6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Audencia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/311960/original/file-20200127-81399-1vc2wjr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311960/original/file-20200127-81399-1vc2wjr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311960/original/file-20200127-81399-1vc2wjr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311960/original/file-20200127-81399-1vc2wjr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311960/original/file-20200127-81399-1vc2wjr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311960/original/file-20200127-81399-1vc2wjr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311960/original/file-20200127-81399-1vc2wjr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311960/original/file-20200127-81399-1vc2wjr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Audencia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une <a href="https://observatoirecetelem.com/wp-content/themes/obs-cetelem-V3/publications/2018/observatoire-cetelem-consommation-2018.pdf">étude européenne de l’Observatoire Cetelem</a> corrobore ces premiers résultats en indiquant que pour 57 % des 18-35 ans, faire du shopping est un plaisir (contre 42 % des plus de 35 ans). Ils dépensent dès lors le plus, selon <a href="https://www.servicesmobiles.fr/comprendre-les-millennials-grace-a-la-donnee-de-paiement-50897/">Joko</a> (appli de cashback) dans les enseignes de grande distribution (Leclerc, Carrefour et Auchan ; 45 % de leur portefeuille de dépenses) et sur Amazon.</p>
<p>L’étude réalisée dans le cadre du SMED par Charlotte Cauro indique également qu’à l’inverse, 36,6 % des millennials ne perdent pas de temps et vont droit au but au sein des rayons cosmétiques en GMS (dont 45,8 % d’hommes). Enfin, seulement 13,7 % se laissent aller à quelques extras en termes d’achats en fonction des promotions (dont 88,9 % de femmes). Par la suite, une analyse en composante principale a divisé les 12 actions étudiées que les marques de cosmétiques pourraient mettre en place en GMS en 4 groupes d’actions.</p>
<h2>Améliorer la proximité perçue</h2>
<p>Le premier groupe est relatif aux actions que les marques de cosmétiques en GMS pourraient mettre en place pour améliorer leur relation de proximité avec les millennials. Ainsi, 74,8 % des millennials interrogés seraient prêts à flasher le code-barre du produit acheté et un code-barre sur le ticket de caisse, afin de collecter des points pour recevoir de la marque à laquelle ce produit appartient des échantillons ou des mini produits gratuits, pour découvrir ainsi un peu plus cette marque et ses produits. 62,6 % souhaiteraient disposer de conseils et astuces beauté des marques vendues en GMS via une application à télécharger. 51,1 % voudraient quant à eux découvrir le produit et ses composants, sa marque et son histoire, via une application de jeu.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/311961/original/file-20200127-81395-1j3u80d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311961/original/file-20200127-81395-1j3u80d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311961/original/file-20200127-81395-1j3u80d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311961/original/file-20200127-81395-1j3u80d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311961/original/file-20200127-81395-1j3u80d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311961/original/file-20200127-81395-1j3u80d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311961/original/file-20200127-81395-1j3u80d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311961/original/file-20200127-81395-1j3u80d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Audencia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces résultats vont dans le sens d’une étude précédente réalisée par <a href="https://www.lsa-conso.fr/m-commerce-pourquoi-le-millennials-est-un-consommateur-different,264347">ComScore</a> qui indique que les 18-34 ans aiment les applis fonctionnelles, telles que Amazon, Gmail et Google Maps, ainsi que celles qui leur permettent de se divertir, telles que Facebook et YouTube.</p>
<h2>Travailler le packaging</h2>
<p>Deux groupes d’actions suivants sont relatifs au packaging des produits mais leurs objectifs sont différents. En premier lieu, les millennials souhaiteraient que les marques mettent en place des actions afin de réduire l’empreinte écologique des packagings de leurs produits.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311994/original/file-20200127-81395-isqnj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311994/original/file-20200127-81395-isqnj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311994/original/file-20200127-81395-isqnj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311994/original/file-20200127-81395-isqnj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311994/original/file-20200127-81395-isqnj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311994/original/file-20200127-81395-isqnj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311994/original/file-20200127-81395-isqnj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Près de 3 millennials sur 4 souhaiteraient pouvoir flasher le code-barre du produit pour accéder à plus d’informations et recevoir des échantillons gratuits.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Iakov Filimonov/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, 71 % des millennials interrogés seraient prêts à utiliser une bouteille consignée et la remplir quand elle est vide directement en magasin, même si cela représente pour eux un coût en termes d’organisation et de logistique. 67,9 % seraient également enclins à rapporter leur flacon vide en magasin, afin que celui-ci s’occupe de son recyclage.</p>
<p>Dans une moindre mesure, les millennials souhaiteraient des actions relatives à la personnalisation des packagings. 55 % seraient prêts à acheter une bouteille collector, à un prix légèrement plus élevé, pour la remplir ensuite avec un système de berlingos. En revanche, seulement 30,5 % seraient prêts à participer à un atelier de cocréation avec la marque pour trouver le nouveau produit de l’année à venir ainsi que son packaging.</p>
<h2>Découvrir la marque et son univers</h2>
<p>Le troisième groupe d’actions est relatif à la découverte des marques de cosmétiques et de leur univers. 72,5 % des millennials interrogés voudraient découvrir les coulisses du développement d’un produit et 51,1 % les coulisses de sa commercialisation. <a href="http://mktforms.gtnexus.com/rs/979-MCL-531/images/GTNexus_millennials_Brand_Loyalty_Infographic_FR.pdf">L’étude menée par YouGov France pour GT Nexus</a> complète ce résultat en indiquant que 72 % des 18-34 n’hésitent pas à ne plus acheter leur marque préférée si celle-ci ne correspond plus à leurs valeurs : la qualité des produits, leur disponibilité, les conditions de travail des employés qui les produisent et la démarche éco-responsable de l’entreprise.</p>
<p>Les millennials accordent donc de plus en plus d’importance à ce qui se passe en amont, dans les coulisses de la marque, lors de la fabrication et l’acheminement des produits, ce qui influencent directement ces quatre raisons de non-achat. Les millennials souhaitent ainsi que les marques s’engagent en termes de qualité produit et de Responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) et le montrent. Ils leur demandent de l’authenticité et de la transparence dans leurs démarches, engagements et actions. Ils souhaitent ainsi protéger leur santé et l’environnement. Une <a href="https://yuka.io/wp-content/uploads/social-impact/Mesure%20d%27impact%20-%20Yuka.pdf">étude menée par Yuka</a> a d’ailleurs souligné que 90 % des utilisateurs pensent que cette appli nutritionnelle peut pousser les marques et industriels à proposer de meilleurs produits.</p>
<h2>Créer de l’animation en et hors magasin</h2>
<p>Le quatrième groupe comprend des actions que les marques de cosmétiques pourraient mettre en œuvre afin de générer de l’animation en et hors magasin. 67,9 % souhaiteraient ainsi que ces marques proposent des pop-up stores (ou magasins éphémères) pour découvrir et essayer les produits et 59,5 % voudraient le faire dans un lieu plus insolite encore (lié par exemple au divertissement, à la culture ou à l’hôtellerie).</p>
<p>D’ailleurs, le <a href="http://www.topcom.fr/zoom/barometre-in-store-media-ipsos-comment-les-francais-font-leurs-courses-du-quotidien-par-quoi-sont-ils-influences/">baromètre Shopper d’In-Store Media avec Ipsos</a> a montré que les 18-34 ans sont plus influencés que la moyenne des Français par les animations réalisées par les marques et les informations données. Ils sont plus réceptifs au fait de pouvoir essayer un produit (64 % contre 56 %) et aux informations (écrans, affiches) délivrées (55 % contre 50 %).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311997/original/file-20200127-81357-1ovr2qx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311997/original/file-20200127-81357-1ovr2qx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311997/original/file-20200127-81357-1ovr2qx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311997/original/file-20200127-81357-1ovr2qx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311997/original/file-20200127-81357-1ovr2qx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311997/original/file-20200127-81357-1ovr2qx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311997/original/file-20200127-81357-1ovr2qx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les 18-34 ans sont plus sensibles à la possibilité d’essayer un produit que leurs aînés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TRMK/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il s’agit donc de moments privilégiés pendant lesquels les consommateurs sont ouverts et attentifs. Les marques et distributeurs doivent impérativement les exploiter afin de collecter des datas sur leurs consommateurs pour leur proposer ensuite une expérience toujours plus personnalisée. Enfin, seulement 39,7 % seraient intéressés par un linéaire innovant et visible (par exemple avec un néon ou un design soigné). Les linéaires actuels en GMS leur semblent donc satisfaisants en l’état afin de créer de l’animation en rayon.</p>
<p>L’étude réalisée dans le cadre du SMED montre donc que les millennials sont des « consom’acteurs » engagés qui souhaitent voir des évolutions de la part des marques et industriels, tant sur les produits délivrés (formules et packagings) que dans leurs prises de paroles. Dans un monde toujours plus digital où les consommateurs sont toujours plus connectés, les résultats de cette étude soulignent qu’il faut engager les consommateurs et leur faire prendre part à l’histoire de la marque qui s’écrit.</p>
<hr>
<p><em>Charlotte Cauro, diplômée d’Audencia, a participé à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130328/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les jeunes consommateurs hyperconnectés attendent notamment des marques qu'elles mettent à disposition plus d'informations sur l'empreinte écologique des produits.Anne Launois, Professeur associée, AudenciaCindy Lombart, Professeure de marketing, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1250922019-10-10T21:37:58Z2019-10-10T21:37:58ZPodcast : Fortnite est-il un jeu d'argent ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/296456/original/file-20191010-188829-1a9i82y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=61%2C22%2C910%2C586&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le système de microtransactions de Fortnite compte beaucoup dans la rentabilité exceptionnelle du jeu, dont l'accès reste gratuit.</span> <span class="attribution"><span class="source">Ina Lihach / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/283351/original/file-20190709-44457-1q47nmx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/283351/original/file-20190709-44457-1q47nmx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/283351/original/file-20190709-44457-1q47nmx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/283351/original/file-20190709-44457-1q47nmx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/283351/original/file-20190709-44457-1q47nmx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/283351/original/file-20190709-44457-1q47nmx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/283351/original/file-20190709-44457-1q47nmx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>« C'est dans la boîte ! », le podcast de la stratégie d'entreprise signé The Conversation France, vous propose l'étude de cas de multinationales bien connues des consommateurs et des citoyens. Julien Pillot, enseignant-chercheur à l'INSEEC School of Business and Economics, et Thibault Lieurade, chef de rubrique Économie + Entreprise, vous donnent rendez-vous deux fois par mois pour décrypter les aspects stratégiques les moins visibles… qui sont aussi les plus essentiels !</em></p>
<p><em>Retrouvez tous les épisodes précédents sur <a href="https://theconversation.com/fr/podcasts/strategie-entreprise-etude-cas-numerique-podcast">The Conversation France</a>, <a href="https://www.deezer.com/fr/show/345262">Deezer</a> et <a href="https://open.spotify.com/show/6IBNs4HbMEmLbrQuzgDFpx">Spotify</a>.</em></p>
<hr>
<p>Même si vous n’êtes pas un <em>gamer</em>, vous avez sans doute entendu parler du jeu vidéo Fortnite. Difficile de passer à côté du best-seller de l’éditeur américain Epic games, qui a rassemblé une communauté de quelque 250 millions de joueurs à travers le monde depuis son lancement en 2017 ! Mais Fortnite, qui a entamé sa <a href="https://www.numerama.com/pop-culture/627376-fortnite-chapitre-3-saison-2-sortie-theme-carte-rumeurs-tout-ce-que-lon-sait.html">treizième saison en juin</a>, n’est pas qu’un phénomène de société : il s’agit aussi d’un phénomène économique. En effet, ce <em>Battle Royale</em>, dans lequel les joueurs doivent s’éliminer jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un, est devenu l’un des plus rentables au monde grâce à un business model qui repose sur un système de microtransactions implanté dans l’univers virtuel du jeu, dont l’accès reste gratuit.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fortnite-un-phenomene-economique-social-sportif-et-culturel-124543">Fortnite, un phénomène économique, social, sportif et culturel</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Si vous voulez de nouvelles armes ou de nouveaux costumes pour vos personnages créés sur la plateforme, il vous faudra ainsi débourser quelques euros. Jusqu’à un passé récent, vous pouviez aussi tenter dans votre chance en achetant une « loot box » au contenu aléatoire. Si Epic Games a récemment pris la décision de révéler à l’avance le contenu de ces « loot boxes », c’est que le parallèle avec les jeux d’argent et de hasard est naturel, comme en témoignent les décisions de pays comme la Belgique ou les Pays-Bas de les interdire. Problème : il s’agit d’un levier de monétisation très important pour les jeux free-to-play.</p>
<p>Que se passerait-il alors si d’autres juridictions suivaient l’exemple ? Comment perpétuer le succès économique ? Heureusement pour Epic games et les autres éditeurs de jeux vidéo qui proposent le même modèle, les leviers de croissance ne manquent pas, parmi lesquels figure l’eSport dont les compétitions ont détrôné aux États-Unis les championnats des sports traditionnels en popularité… Mais avec la structuration de la filière de l’eSport se profilent déjà de nouveaux problèmes autour de la régulation des paris entourant cette pratique compétitive du jeu vidéo…</p>
<p><br></p>
<h2>Pour aller plus loin</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/296459/original/file-20191010-188829-wohm45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296459/original/file-20191010-188829-wohm45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296459/original/file-20191010-188829-wohm45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296459/original/file-20191010-188829-wohm45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296459/original/file-20191010-188829-wohm45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296459/original/file-20191010-188829-wohm45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296459/original/file-20191010-188829-wohm45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296459/original/file-20191010-188829-wohm45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les microtransactions dans les jeux-vidéo : jeux d'argent ou business model légal ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur/INSEEC</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Extraits diffusés dans ce numéro</h2>
<p>*<em>Le sacre de « Bugha », vainqueur de la Coupe du monde de Fortnite en juillet dernier à New York *</em></p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qWnBPjCdOlM?wmode=transparent&start=13" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p><strong>« Néo », coach eSportif, et Franck Riester, ministre de la Culture, invités de l'émission « Clique Dimanche » sur Canal+</strong></p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TDdIcUlTp8Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p><br></p>
<hr>
<p><em>Un grand merci à toute l'équipe du <a href="https://www.scandleparis.com">Scandle</a>, 68 rue Blanche dans le IX<sup>e</sup> arrondissement de Paris, pour l'accueil dans son studio.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125092/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le jeu vidéo phénomène tire une partie de ses (importants) revenus des « loot box », des « pochettes surprises » numériques payantes. Mais est-ce légal ? Certains pays estiment que non.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie et Stratégie (Inseec U.) / Pr. et Chercheur associé (U. Paris Saclay), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1245432019-10-10T21:37:53Z2019-10-10T21:37:53ZFortnite, un phénomène économique, social, sportif et culturel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/296045/original/file-20191008-128681-1k4peoo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=57%2C22%2C1859%2C1054&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fortnite, le jeu le plus populaire de tous les temps.</span> <span class="attribution"><span class="source">Epic games</span></span></figcaption></figure><p>Jeudi 13 août, l’éditeur américain de jeux vidéo <a href="https://www.epicgames.com/">Epic Games</a> a créé la surprise <a href="https://www.numerama.com/tech/642416-fortnite-est-banni-de-lapp-store-dapple-apres-la-provocation-depic-games.html">en s’attaquant frontalement à deux géants du numérique, Apple et Google</a>, via une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=euiSHuaw6Q4">campagne de communication savamment orchestrée</a> doublée d’une action en justice. </p>
<p>Si Epic Games a pu envisager de se lancer dans tel assaut, c’est grâce au succès phénoménal de son titre phare, le jeu Fortnite. Lancé en 2017, celui-ci est devenu rapidement le jeu vidéo le plus populaire du monde, dépassant en 2020 <a href="https://www.gamekult.com/actualite/fornite-depasse-les-350-millions-de-joueurs-enregistres-et-va-feter-ca-samedi-3050827613.html">le cap des 350 millions de joueurs inscrits</a>. Cette réussite exceptionnelle a permis à Epic Games d’atteindre début août <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/epic-games-leve-1-78-milliard-de-dollars-et-atteint-une-valorisation-de-17-3-milliards.N992964">une valorisation de plus de 17 milliards d’euros</a>. </p>
<p>Comment expliquer cette rentabilité hors norme, alors même que Fortnite est téléchargeable et jouable gratuitement ?</p>
<h2>Aventuriers, ninjas et soldats</h2>
<p>Fortnite peut se jouer selon trois modes différents. Dans <a href="https://www.epicgames.com/fortnite/en-US/patch-notes/v9-40"><em>Fortnite : Save the World</em></a>, des équipes de quatre joueurs de classes différentes – constructeur, aventurier, ninja et soldat – <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FtNFXQtDcGc">s’associent pour survivre</a> dans un monde post-apocalyptique peuplé de zombies. </p>
<p>Dans <a href="https://www.epicgames.com/fortnite/fr/creative"><em>Fortnite Creative</em></a>, les joueurs sont invités à exprimer leur créativité pour construire des <em>maps</em> (cartes), des édifices, des objets et des défis. Enfin, dans <a href="https://www.epicgames.com/fortnite/fr/battle-pass/season-x"><em>Fortnite Battle Royale</em></a>, 100 joueurs, seuls ou en équipes, sont largués sur un terrain qui rétrécit et doivent s’éliminer jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un survivant. C’est avec <a href="https://ieeexplore.ieee.org/abstract/document/8574781">cette version <em>Battle Royale</em></a>, gratuite, que <em>Fortnite</em> est devenu un succès extraordinaire et phénomène mondial.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Efy94PTca94?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trailer du jeu de survie « Fortnite : Save the World ».</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un jeu freemium qui bat tous les records</h2>
<p>La promotion de Fortnite a été assurée par des <em>pro gamers</em> (joueurs professionnels) payés pour diffuser leurs parties à leurs communautés de fans qui se comptent parfois en dizaines de millions. Le 14 mars 2018, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=OPhZ9DAVvHc">Ninja</a>, le gamer le plus suivi du monde, a invité le joueur de football américain Juju Smith-Shuster et les rappeurs Drake et Travis Scott à jouer en équipe à <em>Fortnite : Save the World</em>. Leurs parties ont <a href="https://www.millenium.org/news/290475.html">battu le record de spectateurs</a> sur la plate-forme spécialisée Twitch avec 635 000 <em>viewers</em> (spectateurs). <a href="https://www.twitch.tv/gotaga">Twitch</a> a d’ailleurs largement bénéficié du succès de Fortnite avec la mise en avant d’idoles du jeu comme le joueur français le plus titré sur console : <a href="http://www.leparisien.fr/video/gotaga-le-francais-star-du-jeu-video-05-10-2019-8166723.php">Gotaga</a>.</p>
<p>D’autres joueurs professionnels ont diffusé leurs parties gratuitement, amplifiant le buzz positif autour du jeu qui a battu le <a href="https://fr.ign.com/fortnite-ps4/44659/news/fortnite-bat-le-record-de-revenu-annuel-de-lhistoire-du-jeu-video">record de revenu annuel pour un jeu vidéo</a> avec 2,4 milliards de dollars en 2018. Si <a href="https://www.forbes.com/sites/paultassi/2019/06/22/fortnite-revenues-fall-almost-40-from-last-year-but-its-still-a-cash-cow/#dd2a88e75b66">Fortnite aurait perdu 38 % de rentabilité</a> depuis le début de l’année 2019, il reste le premier des jeux sur console, et aurait rapporté <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/27/business/steam-epic-games-store.html">plus de 4 milliards de dollars en deux ans</a>, atteignant 250 millions de joueurs. Même Netflix mentionne dans son rapport d’activité que <a href="https://www.polygon.com/2019/1/17/18187400/netflix-vs-fortnite-hbo-hulu-competition">son principal concurrent dans l’économie de l’attention</a> est Fortnite.</p>
<p>La rentabilité de Fortnite est assurée grâce aux <a href="https://esport-insights.com/les-microtransactions-la-mine-dor-de-fortnite/">microtransactions</a>. Le jeu a son économie et sa propre monnaie : le <em>V-Buck</em>. Si <em>Fornite Battle Royale</em> est gratuit, il est possible d’acheter un <em>Battle Pass</em> (passe de combat) qui donne accès à des défis supplémentaires et aux mises à jour en exclusivité pour 10 dollars. Les autres dépenses n’ont <a href="https://channels.theinnovationenterprise.com/articles/how-being-free-made-fortnite-billions">pas d’impact sur le déroulement du jeu</a> et consistent essentiellement à acheter des éléments cosmétiques et esthétiques. Ainsi, les joueurs dépensent régulièrement quelques dizaines d’euros pour des <em>skins</em> (costumes numériques), des accessoires, et les fameuses danses de célébration <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_q8CXb3c_oo">popularisées par des sportifs professionnels</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_q8CXb3c_oo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quand les athlètes reprennent les célébrations de Fortnite… .</span></figcaption>
</figure>
<p>Certaines <em>skins</em> sont très rares, disponibles pour une durée limitée, et collectionnées par des joueurs qui cumulent parfois plusieurs centaines ou milliers d’euros d’achats <a href="https://www.researchgate.net/profile/Jie_Cai16/publication/335101010_Who_Purchases_and_Why_Explaining_Motivations_for_In-game_Purchasing_in_the_Online_Survival_Game_Fortnite/links/5d4f0b0ba6fdcc370a8c289e/Who-Purchases-and-Why-Explaining-Motivations-for-In-game-Purchasing-in-the-Online-Survival-Game-Fortnite.pdf">pour se différencier des autres</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UkRM6PCxxKM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ce joueur possède un vestiaire de <em>skins</em> des 10 premières saisons de Fortnite d’une valeur de plus de 15 000 dollars.</span></figcaption>
</figure>
<p>Fortnite <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/Internet/publicite-comment-fortnite-attire-les-marques-qui-ciblent-les-jeunes-820727.html">attire des marques qui plaisent aux jeunes</a> comme Samsung, Huawei, Nike, Disney, Wendy’s, la NFL… et leur propose une plate-forme d’<a href="https://marketing.toolbox.com/article/nikes-fortnite-inclusion-offers-opportunities-for-brands-in-video-games"><em>in-game marketing</em></a> dont l’audience, qui passe des dizaines d’heures à jouer chaque semaine, est immense.</p>
<p>Epic Games pourrait redouter que Fortnite devienne une <a href="https://www.polygon.com/2019/5/23/18635920/fortnite-jumpman-john-wick-marvel-brand-advertisement">publicité géante</a> et que cela finisse par lasser les joueurs, mais le jeu ne fait que refléter le monde réel que les messages promotionnels ont envahi. Le placement de produit est fait de manière <a href="https://www.forbes.com/sites/paultassi/2019/09/06/with-limitless-ad-deals-fortnite-is-turning-into-sponsorship-super-smash-bros/#61f30f447239">beaucoup plus ludique et originale</a> qu’une publicité traditionnelle, avec une efficacité redoutable pour les marques. Les joueurs semblent apprécier ces campagnes promotionnelles qui reprennent des codes de pop culture, génèrent des clics et des posts, et stimulent les ventes.</p>
<p>Si la performance économique de Fortnite est déjà exceptionnelle, <a href="https://fortune.com/2019/07/05/fortnite-success-future/">malgré un ralentissement depuis quelques mois</a>, il existe encore des perspectives de croissance significative. La conception de Fortnite favorise le jeu sur smartphone, ce qui en a fait le jeu le plus rentable sur mobile en 2018, devant Candy Crush. Par ailleurs, la société chinoise de télécommunication <a href="https://www.gamesindustry.biz/articles/2013-03-22-tencent-paid-usd330m-for-48-percent-share-in-epic-games">Tencent a acquis 40 % d’Epic Games</a> pour 330 millions de dollars en juin 2012, et y a <a href="https://www.begeek.fr/epic-games-affirme-que-le-geant-chinois-tencent-ninfluence-pas-ses-decisions-310485">investi 1,25 milliard de dollars en octobre 2018</a>. Ce sont des atouts pour conquérir l’immense marché asiatique qui privilégie le mobile gaming et où Fortnite est encore peu connu.</p>
<h2>Une communauté puissante et passionnée</h2>
<p>Fortnite est accessible à tous car les règles sont simples et la prise en main plus facile que pour d’autres jeux du même type. On peut y jouer sur ordinateur, sur console ou sur smartphone, ce qui maximise son audience potentielle. <a href="https://www.theverge.com/2019/3/3/18246868/attention-economy-fortnite-advertising-user-engagement">Les jeunes joueurs apprécient de se retrouver entre amis</a> dans cet environnement virtuel pour y partager un moment divertissant, ce qui contribue à leur fidélisation. Fortnite est réputé pour être particulièrement addictif car <a href="https://www.psychologytoday.com/au/blog/darwins-subterranean-world/201809/video-games-and-emotional-states">il stimule les émotions et la motivation</a> des joueurs qui développent un attachement pour l’univers du jeu et sa communauté. Beaucoup d’enfants de moins de 12 ans, âge minimum recommandé, <a href="https://dl.acm.org/citation.cfm?id=3335613">jouent à <em>Fortnite</em> et y passent plus de 2 heures par jour</a>.</p>
<p>Grâce à cette dimension communautaire, Fortnite est un univers où le marketing viral est particulièrement performant. Epic Games renforce cette fonction sociale avec l’<a href="https://www.wsj.com/articles/fortnite-maker-epic-games-scoops-up-houseparty-app-11560361102">acquisition de l’application</a> de vidéo-chat <a href="https://houseparty.com/">Houseparty</a> en juin 2019. Ce réseau social très apprécié des adolescents permet de gérer des conversations vidéo entre groupes d’amis.</p>
<p>Des <a href="https://medium.com/@houseparty/houseparty-is-joining-epic-games-8b6344a4d8e2">synergies entre Fortnite et Houseparty</a> pourraient être bénéfiques aux deux plates-formes. Le <a href="https://www.gamesradar.com/fortnite-creative-codes/">mode créatif du jeu</a> s’appuie aussi sur la communauté pour faire du <a href="https://www.engadget.com/2019/04/21/fortnite-rune-event/?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAIMQxDVzb83H-hPudsNMqoksANmCMiNotkhlt6e2B2yuv1P5i-Q4fLL5p2ozTYWmxiwMt5UTsGv4R6-2XREyu0UJCoiOM7tqnQfor005Je_zpGHJ87F7x6E_-WEsBf9jPHmps6-1y7wD6SPQauk3wpaqKjeEH-f2_KmOkPFVLBpu">crowdsourcing et bénéficier de l’imagination de millions de passionnés</a> qui contribuent au renouvellement perpétuel du jeu. Certains modes de jeu alternatifs sont très appréciés, comme le <a href="https://dropnite.com/deathruns.php"><em>Deathrun</em></a> qui consiste à concevoir une carte la plus hostile possible avec pour défi de réussir à la traverser le plus vite possible.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yaWI4yQ8Xm8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le mode créatif de Fortnite expliqué par 16 créateurs de contenu.</span></figcaption>
</figure>
<p>Afin que Fortnite reste attractif pour les nouveaux joueurs, qui ne pourraient pas survivre dans le jeu très longtemps face à des professionnels et des passionnés aguerris, Epic Games a annoncé en septembre 2019 qu’il ajoutait <a href="https://www.engadget.com/2019/09/23/fortnite-epic-games-adding-bots/">des robots joueurs dans les aires de combat</a>. Ces intelligences artificielles imiteront les comportements des vrais joueurs, permettront à chacun d’avoir des adversaires de son niveau et accompagneront les novices dans leur progression. Plus les joueurs auront d’expérience, <a href="https://apptrigger.com/2019/09/26/improved-matchmaking-bots-can-help-fix-fortnites-biggest-problem/">moins ils seront confrontés à ces robots</a>. Cette annonce a <a href="https://www.dexerto.com/fortnite/ninja-explains-unhappy-fortnite-matchmaking-changes-1058091">créé la polémique</a> et déçu les puristes qui l’ont perçue comme un signe de déclin du jeu.</p>
<h2>Des compétitions e-sport aux dotations record</h2>
<p>La relation entre Fortnite et le sport traditionnel est à la fois unique et puissante. De nombreux <a href="https://www.youtube.com/watch?v=U68wj3PfiWs">athlètes professionnels <em>streament</em> leurs parties</a> et font référence au jeu dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FQNCwzFgSNw">leurs célébrations</a>. De son côté, Fortnite a intégré des <em>skins</em> et accessoires en référence à certains sports ou événements sportifs comme la Coupe du monde de football de 2018 ou le championnat de la NFL. Cette <a href="https://www.polygon.com/2019/5/23/18635920/fortnite-jumpman-john-wick-marvel-brand-advertisement">promotion croisée</a> (<em>cross-promotion</em>) apporte un bénéfice réciproque et réduit la frontière entre le réel et le virtuel.</p>
<p><em>Fortnite Battle Royale</em> est rapidement devenu l’un <a href="https://www.winamax.fr/news_interview-de-blax-fortnite-40421?param=interview-de-blax-fortnite-40421">des jeux majeurs d’e-sport</a>, rejoignant des titres cultes plus anciens comme <a href="https://play.euw.leagueoflegends.com/fr_FR"><em>League Of Legends</em></a> (2009), <a href="https://starcraft2.com/fr-fr/"><em>Star Craft 2</em></a> (2010), <a href="https://www.gamekult.com/jeux/counter-strike-global-offensive-3010009826.html"><em>Counter-Strike : Global Offensive</em></a> (2012), <a href="http://fr.dota2.com/"><em>DOTA 2</em></a> (2013), et <a href="https://www.callofduty.com/fr/blackops3"><em>Call Of Duty : Black Ops 3</em></a> (2015) puis <a href="https://www.callofduty.com/fr/blackops4"><em>4</em></a> (2018). La coupe du monde de Fortnite organisée en juillet 2019 à New York avait une dotation globale record de 30 millions de dollars et constitue un <a href="https://www.dexerto.com/fortnite/top-20-highest-earning-fortnite-pro-players-tfue-bizzle-186867">des événements majeurs de l’histoire de l’e-sport</a>. Sur 40 millions de participants aux qualifications dans 200 pays, 100 se sont affrontés lors de la finale. 8 joueurs ont gagné plus d’un million et le champion en solo de 16 ans, <a href="https://www.forbes.com/sites/mattperez/2019/07/26/fortnite-world-cup-by-the-numbers/#cc8d6526be0c">Kyle « Bugha » Giersdorf, a gagné 3 millions de dollars</a>, soit plus que le vainqueur du tournoi de tennis de Wimbledon. Les 19 000 places prévues pour assister à la compétition dans l’Arthur Ashe Stadium ont été vendues. 2,3 millions de spectateurs l’ont suivi en streaming sur Twitch et YouTube.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OMlew5x8lFU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le champion du monde 2019 solo de Fortnite, Kyle « Bugha » Giersdorf, interviewé par Jimmy Fallon.</span></figcaption>
</figure>
<p>En août 2019, Epic Games a décidé de lancer le <a href="https://www.epicgames.com/fortnite/competitive/fr/events/season-x"><em>Fortnite Champion Series</em></a>, un championnat par saison avec des millions de dollars de dotation à partir de la saison X. Du 20 au 23 septembre 2019, la <a href="https://zevent.fr/">quatrième édition du Z Event</a>, marathon caritatif de <em>gaming</em> francophone en live pendant 55 heures, a permis de récolter plus de 3,5 millions d’euros au profit de l’institut Pasteur, <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/09/23/z-event-un-marathon-de-jeux-video-recolte-plus-de-3-5-millions-d-euros-pour-l-institut-pasteur_6012688_4408996.html">établissant le record du monde du <em>stream</em> caritatif</a>. Organisé par ZeratoR, <em>streamer</em> et commentateur de compétitions e-sport, l’événement a rassemblé 54 joueurs influents dont Gotaga, Squeezie (plus gros YouTubeur français), et Joueur du Grenier (youtubeur expert en rétrogaming). Le Président de la République, <a href="http://www.lefigaro.fr/jeux-video/les-gamers-de-zevent-recoltent-plus-de-3-5-millions-d-euros-pour-l-institut-pasteur-20190923">Emmanuel Macron, a félicité</a> les participants pour leur engagement.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8KBv7RwCh-8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment les <em>streamers</em> du Z Event ont récolté 3,5 millions d’euros pour l’Institut Pasteur.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un jeu iconique à l’univers culturel en expansion</h2>
<p>Comme tous les jeux du même genre, <em>Fortnite Battle Royale</em> s’inspire du roman dystopique japonais de Kōshun Takami, <a href="https://www.livraddict.com/biblio/livre/battle-royale.html"><em>Battle Royale</em></a>, sorti en 1999. Dans ce bestseller, 42 collégiens doivent s’entretuer dans un programme expérimental mené par un gouvernement imaginaire de la République de Grande Asie. Le roman a été adapté en <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/08/22/manga-iconique-des-recits-de-survie-battle-royale-est-reedite-en-france_5345036_4408996.html">manga</a> et en <a href="https://www.imdb.com/title/tt0266308/">deux films</a> avec la star <a href="https://www.imdb.com/name/nm0001429/">Takeshi Kitano</a> en 2000 et <a href="https://www.imdb.com/title/tt0338763/">2003</a>. En retour, Fortnite a été décliné en <a href="https://www.amazon.fr/Fortnite-Pi%C3%A9g%C3%A9-Battle-Royale-Fields/dp/B07PDTXFFQ/">romans</a>, <a href="https://www.amazon.com/Last-Hope-Survival-Unofficial-Fortniters/dp/1510745203/">bandes dessinées</a>, ou <a href="https://www.amazon.fr/Fortnite-Battle-Royale-survie-Officiel/dp/201709630X/">guides</a>. Une <a href="https://www.breakflip.com/fr/fortnite/actualites/fortnite-un-dessin-anime-en-preparation-annonce-lors-du-summer-block-party-e3-2019-14040">série animée</a> serait en préparation et des figurines de collection envahissent les magasins. Si le concept de <em>Fortnite Battle Royale</em> rappelle aussi <a href="https://www.imdb.com/title/tt1392170/?ref_=nv_sr_1?ref_=nv_sr_1"><em>Hunger Games</em></a>, le jeu n’est pas sanglant ou violent. Au contraire, <a href="https://www.theguardian.com/games/2018/may/27/fortnite-conquered-the-world-video-game-teenagers-parents">il met en avant un côté fun et décalé</a>, avec un style cartoonesque lumineux, des couleurs vives et pas une goutte de sang.</p>
<p><em>Fortnite Battle Royale</em> fonctionne <a href="https://www.newstatesman.com/culture/games/2018/06/video-game-fortnite-addictive-parents-fear">comme une série télé</a> avec des saisons d’une dizaine de semaines qui correspondent à des modifications dans la carte et dans les modalités de jeu. Des événements et des épisodes spéciaux sont également organisés avec des zones spéciales, des personnages non-joueurs temporaires, des monstres géants, des objets collectors et des défis spécifiques. <a href="https://www.millenium.org/news/346509.html">La saison 11 qui commence mi-octobre 2019</a> a fait l’objet de teasing et de spéculations, comme un potentiel premier changement total de carte.</p>
<p>Fortnite est devenu un monde virtuel comparable à <em>Second Life</em> en son temps dans lequel des événements culturels sont organisés comme le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NBsCzN-jfvA">concert du DJ Marshmello</a> auquel 10,7 millions de joueurs ont assisté dans le jeu, et des millions d’autres via les retransmissions sur YouTube et Twitch. Fornite propose même une <em>skin</em> en référence à l’artiste qui est un amateur du jeu et qui a multiplié par 5 les vues de ses vidéos sur YouTube suite à ce concert virtuel. <a href="https://www.polygon.com/2019/5/23/18635920/fortnite-jumpman-john-wick-marvel-brand-advertisement">Les studios de cinéma collaborent aussi avec Fortnite</a>. Des films comme <em>It</em>, <em>Avengers</em>, ou <em>John Wick</em> ont eu droit à leurs propres zones, <em>skins</em>, objets et défis promotionnels.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NBsCzN-jfvA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Marshmello tient le premier concert Fortnite à Pleasant Park.</span></figcaption>
</figure>
<p>Même la <a href="http://www.jeuxvideo.com/news/1116575/france-2-va-reproduire-son-emission-la-course-des-champions-dans-fortnite.htm">chaîne France 2 se met à <em>Fortnite</em></a> avec une déclinaison promotionnelle de sa nouvelle émission, « La Course des Champions », <a href="https://www.goodnite.fr/map/6658/la-course-des-champions">dans le mode créatif du jeu</a> et diffusée sur Twitch.</p>
<p>La capacité de Fortnite à se réinventer – dans son esthétique, dans son gameplay et dans son modèle économique – est essentielle à la poursuite du succès du jeu et d’Epic Games.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124543/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Fortnite est-il devenu le jeu vidéo le plus populaire de tous les temps, et l’un des plus rentables alors qu’il est gratuit ?Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1207692019-09-18T18:42:12Z2019-09-18T18:42:12ZLe consommateur est un travailleur comme les autres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/290086/original/file-20190829-106517-kjqnt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C468%2C4917%2C3245&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les utilisateurs de la plate-forme « C'est qui le patron ?! » vont évaluer 20 000 produits de grande consommation.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Stelko / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em><a href="https://theconversation.com/profiles/francoise-passerard-447339">Françoise Passerard</a> (Paris School of Business), <a href="https://theconversation.com/profiles/clarence-bluntz-451254">Clarence Bluntz</a> (Université Paris-Dauphine), <a href="https://theconversation.com/profiles/julien-pillot-193241">Julien Pillot</a> (Inseec School of Business & Economics) et Thibault Lieurade, chef de rubrique Économie + Entreprises, étaient les invités de l’émission <a href="http://www.rfi.fr/emission/20190919-gratuite-existe-elle-vraiment">« 7 milliards de voisins »</a> consacrée à la gratuité sur RFI le jeudi 19 septembre, en partenariat avec The Conversation France.</em></p>
<hr>
<p>« C’est qui le Patron ? ! » (CQLP) a accompli un nouvel exploit. Après avoir réalisé en 2016 le <a href="https://theconversation.com/cest-qui-le-patron-les-limites-de-linjonction-a-la-consommation-responsable-113218">meilleur lancement des 30 dernières années</a> pour une marque du secteur agro-alimentaire, la coopérative est devenue en juillet 2019 la première entreprise à effectuer un sondage auprès de ses clients pour leur demander s’ils seraient d’accord pour payer 30 % plus cher le même produit. Plus étonnant, ceux-ci ont répondu « oui », à 88 % !</p>
<p>CQLP commercialise depuis 2017 du beurre bio. Comme pour les autres produits de la marque, son prix a été « décidé par les consommateurs » à l’occasion d’un sondage réalisé sur son site Internet. Le prix retenu était de 2,20 euros. Ce beurre bio garantit un revenu minimum aux producteurs ainsi qu’une prime à la conversion pour ceux en transition vers le bio. Il a rencontré un succès fulgurant, <a href="https://lamarqueduconsommateur.com/encore-un-record-pour-le-beurre-bio-des-consommateurs/">devenant le beurre bio le plus vendu en France</a>.</p>
<p>Mais au début de l’été 2019, la coopérative envoie un e-mail à ses membres :</p>
<blockquote>
<p>« Notre partenaire industriel, la coopérative Sodiaal, nous alerte sur un élément inédit, le caractère non durable et plus soutenable du produit sur les bases sur lesquelles nous l’avions construit ensemble à l’origine. »</p>
</blockquote>
<p>Ce mail est accompagné d’une vidéo explicative, dans laquelle deux représentants de Sodiaal, qui collecte et transforme en beurre le lait des producteurs, annoncent ne pas pouvoir poursuivre avec un prix à 2,20 euros.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jGOYA7ypX5o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Explications sur l’augmentation du prix (vidéo CQLP, juillet 2019).</span></figcaption>
</figure>
<p>On fabrique le beurre en extrayant la matière grasse du lait. Ce qui reste ensuite est transformé en poudre de lait, un coproduit important de l’industrie laitière. Sodiaal et CQLP avaient fait leurs calculs en pariant sur une valorisation de cette poudre bio à 3 300 euros la tonne ; or, Sodiaal n’a pas su trouver de débouchés. Dès lors, elle doit être écoulée comme de la poudre conventionnelle, à 1 900 euros la tonne. CQLP et Sodiaal ont fait un pari sur une hypothèse de valorisation, et ils ont perdu. La coopérative a alors mis ses membres devant un choix simple : accepter une augmentation du prix de plus de 30 %, de 2,20 à 2,94 euros, ou abandonner la commercialisation du beurre bio (et donc le soutien aux producteurs) :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289871/original/file-20190828-184196-78khmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289871/original/file-20190828-184196-78khmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289871/original/file-20190828-184196-78khmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289871/original/file-20190828-184196-78khmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289871/original/file-20190828-184196-78khmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289871/original/file-20190828-184196-78khmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289871/original/file-20190828-184196-78khmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Extrait du mail de CQLP à ses membres.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Travail gratuit</h2>
<p>Sodiaal n’est pas une petite coopérative laitière. C’est l’un des plus gros transformateurs français, avec un chiffre d’affaires qui atteint 5 milliards d’euros. Elle possède un portefeuille de marques diversifié (Candia, Yoplait, Yop…) et emploie de nombreux experts chargés de travailler sur ses mix-produits et la valorisation du lait. Ici, ces professionnels se sont trompés. Comment expliquer que les consommateurs aient ainsi accepté d’assumer la responsabilité de cette erreur ?</p>
<p>Pour les habitués de la démarche de CQLP, ce n’est guère étonnant. Ses membres sont ravis de payer plus cher ou de travailler gratuitement pour la coopérative, que ce soit en effectuant des visites de contrôle sur les exploitations ou en réalisant eux-mêmes des animations en magasin. Récemment, CQLP a annoncé vouloir <a href="https://lamarqueduconsommateur.com/bfm-business-cest-qui-le-patron-annonce-le-lancement-dun-grand-audit-de-20-000-produits-et-services/">auditer plus de 20 000 produits de grande consommation</a> avec l’aide de ses membres. Autant d’activités assurées d’ordinaire par des travailleurs rémunérés : acheteurs, auditeurs, commerciaux, agences de communication.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1149446940377198593"}"></div></p>
<p>Des sociologues ont appelé cela la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1469540513509641">« prosommation »</a> ; en marketing, on parle de <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9781315699035/chapters/10.4324/9781315699035-9">« service-dominant logic »</a>. C’est un phénomène en expansion, notamment grâce à l’avènement des réseaux sociaux qui ont permis de rapprocher producteurs et consommateurs comme jamais auparavant.</p>
<p>Étonnamment, les consommateurs qui travaillent gratuitement sont souvent prêts à payer plus pour les biens qu’ils aident à produire. C’est le cas par exemple pour CQLP. Il est donc permis de penser qu’une valeur supplémentaire émerge de ce type d’interactions marchande. La prosommation permet de faire entrer dans la sphère marchande une forme de valeur non économique, qu’on pourrait appeler valeur morale, qui va au-delà de la simple relation commerciale et donnant-donnant entre un acheteur et un vendeur.</p>
<p>Les marques qui surfent sur la « consommation responsable » parviennent ainsi à faire travailler des consommateurs de leur plein gré, en leur permettant d’exploiter cette valeur profonde. Les consommateurs acceptent, parce que ces activités ne sont pour eux pas seulement des activités de consommation mais bien un travail porteur de sens.</p>
<h2>Une réponse à la perte de sens</h2>
<p>Le penseur André Gorz avait <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2855">théorisé</a> l’impossibilité pour les ouvriers de s’émanciper par leur travail. La division du travail, le progrès technologique et l’avènement de la société de consommation ont créé un gouffre infranchissable entre le producteur et l’objet de sa production. Le travail devient vide de sens, divisé en tâches minuscules et répétitives. La seule manière de mettre du sens dans la vie est alors de consommer, une activité que Gorz qualifiait de <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Metamorphoses-du-travail">« socialisation asociale »</a>, parce qu’elle atomise les individus plutôt que de leur permettre de construire et d’habiter un monde commun.</p>
<p>André Gorz parlait des ouvriers, mais le même phénomène se retrouve aujourd’hui dans beaucoup d’emplois. On ne compte plus les articles sur la perte de sens au travail et sur les <a href="http://editionslesliensquiliberent.fr/livre-Bullshit_Jobs-546-1-1-0-1.html">« bullshit jobs »</a>. Ces emplois absurdes sont souvent ceux des CSP+, c’est-à-dire la catégorie qui contient le plus de « consommateurs responsables ». Le travail que les consommateurs effectuent gratuitement serait alors une réponse à la perte de sens qu’ils subissent dans leur activité professionnelle.</p>
<p>La consommation responsable, parce qu’elle n’est pas seulement individuelle mais qu’elle fait appartenir à une communauté par le travail qu’elle entraîne, permettrait de conjuguer l’intérêt privé et l’intérêt collectif. Avec CQLP, les consommateurs voient le produit se faire, se rapprochent des éleveurs, les « aident » : une communauté de sens se crée, qui permet de faire ressortir cette valeur morale, par des activités qui se valent pour elles-mêmes, qui sont leur propre but.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1110345776461504512"}"></div></p>
<p>Mais comment s’assurer que cette valeur n’est pas « captée » aux dépens du consommateur ? Qu’est-ce qui permet de dire que Sodiaal et CQLP ne profitent pas du sentiment de communauté pour éponger un coût qui aurait pu être pris en charge par un groupe gigantesque qui <a href="http://www.web-agri.fr/actualite-agricole/economie-social/article/sodiaal-rachete-au-chinois-synutra-une-partie-de-son-usine-de-carhaix-1142-146271.html">rachète des usines</a> et <a href="http://www.web-agri.fr/actualite-agricole/economie-social/article/la-banque-europeenne-d-investissement-accorde-un-pret-a-sodiaal-1142-144989.html">bénéficie d’un prêt de la Banque européenne d’investissement</a> ?</p>
<p>CQLP se targue d’être entièrement transparent et de traiter ses membres comme des partenaires à part entière. Une vidéo d’un quart d’heure a été postée sur YouTube pour leur expliquer les tenants et aboutissants de l’augmentation du prix. Cette vidéo a été vue 718 fois, alors que 2 354 personnes ont voté pour le sondage. La question du prix du lait est un problème complexe qui fait s’arracher les cheveux aux économistes, aux politiciens <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-interview-eco/crise-du-lait-on-apercoit-le-bout-du-tunnel-selon-le-vice-president-du-geant-du-lait-sodiaal_3180043.html">et surtout aux éleveurs</a>, et qu’il est impossible de comprendre en 15 minutes. Où s’arrête la prosommation et où commence le marketing ?</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/290077/original/file-20190829-106486-1iia8kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/290077/original/file-20190829-106486-1iia8kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/290077/original/file-20190829-106486-1iia8kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/290077/original/file-20190829-106486-1iia8kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/290077/original/file-20190829-106486-1iia8kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/290077/original/file-20190829-106486-1iia8kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/290077/original/file-20190829-106486-1iia8kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/290077/original/file-20190829-106486-1iia8kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les consommateurs de « C’est qui le Patron ? ! » ont voté massivement en faveur d’une hausse des prix sur un même produit.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>CQLP présente la répartition de la valeur comme objective, avec seulement deux alternatives : une augmentation de 30 % du prix, ou l’abandon du produit. La gestion de Sodiaal sort de l’équation ; d’ailleurs CQLP se garde bien de présenter son partenaire comme un groupe international : Sodiaal est « une coopérative, qui collecte le lait bio <a href="https://lamarqueduconsommateur.com/produits/beurre-bio/">auprès de 372 producteurs</a> ». Si Sodiaal est bien une coopérative, ce sont en fait environ 20 000 éleveurs qui travaillent pour elle, soit un producteur sur trois en France.</p>
<h2>Différencier cocréation et captation de valeur</h2>
<p>Le concept largement admis de souveraineté du consommateur rend légitime le travail gratuit ou le surprix de la consommation responsable. Mais c’est précisément parce qu’on en appelle à la valeur morale du consommateur, si importante car elle lui permet d’exister pour lui-même, que celui-ci court le risque d’être exploité. La prosommation s’épanouit dans une communauté de confiance ; pour favoriser cette confiance, des organisations telles que CQLP ont tendance à effacer tous les aspects commerciaux et économiques dans la relation avec le consommateur (ici, le rôle de Sodiaal). La coopérative utilise en permanence l’expression « nous les consommateurs » et fait un usage intensif des réseaux sociaux, ce qui permet de donner l’impression d’une relation d’égal à égal pour mieux faire ressortir la valeur morale. Or, la création d’une communauté de confiance entre une organisation et ses clients <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/002224379903600204">permet à ces derniers d’accepter plus aisément une hausse des prix</a>.</p>
<p>Le fait qu’un travail ne soit pas rémunéré n’implique pas forcément que la relation de prosommation est « injuste ». Il n’existe pas dans l’absolu de partage « équitable » de la valeur. La répartition de celle-ci entre l’entreprise, les actionnaires, les salariés, les fournisseurs, les consommateurs et bien d’autres est considérée comme équitable quand elle s’accomplit au sein d’un marché et d’une société démocratique qui fonctionnent.</p>
<h2>Encadrer de nouvelles valeurs</h2>
<p>Mais pour fonctionner, ce partage de la valeur doit être encadré. Le salarié a son contrat et le code du travail. D’après les règles comptables en vigueur, il n’y a pas de profit, pas de création de valeur pour l’entreprise et ses actionnaires, tant que son salaire n’a pas été payé. Si le consommateur se transforme de plus en plus en travailleur et en collaborateur, comme c’est le cas pour CQLP, il doit lui aussi être protégé. Les normes comptables peuvent et doivent évoluer pour représenter ce nouveau rôle.</p>
<p>Dans le cadre de l’économie des communs, <a href="http://commonstransition.org/value-commons-economy/">des systèmes comptables ont été développés</a> pour protéger la valeur créée par des travailleurs non rémunérés et s’assurer que la valeur non marchande n’est pas injustement captée dans les transactions commerciales. <a href="https://brave.com/brave-rewards/">Le navigateur Internet Brave</a> utilise un système de tokens pour rémunérer ses utilisateurs en échange des publicités qu’ils regardent et donc de l’attention qu’ils fournissent. Le modèle comptable CARE-TDL, <a href="http://www.compta-durable.com/05-2018/retour-lancement-de-loperation-collective-care-region-paca/">testé en ce moment</a> dans plusieurs entreprises de la région PACA, propose quant à lui de prendre en compte le maintien de plusieurs capitaux (humains, naturels…), au travers de la mise en place d’amortissements supplémentaires. On pourrait ainsi imaginer un « capital consommateur ».</p>
<p>Les initiatives de prosommation sont appelées à se développer. De plus en plus de consommateurs veulent « bien faire ». Une régulation des marchés « par le haut » semble aujourd’hui impossible, comme le montrent l’<a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/Affichage-environnemental-Cese-2019-33155.php4">échec de l’Affichage environnemental</a> et les <a href="https://theconversation.com/etiquetage-des-aliments-pour-etre-efficace-le-nutriscore-doit-devenir-obligatoire-119611">débuts difficiles du NutriScore</a>, que le gouvernement n’a pas réussi à imposer aux industriels et qui n’a été sauvé que grâce à des applis telles que Yuka, qui reposent sur des bases de données participatives.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1145661214053359617"}"></div></p>
<p>Pour aller dans le bon sens, la consommation responsable a besoin d’être collective, car le consommateur ne peut pas créer du sens seul, ce que CQLP a très bien compris. Elle ne doit pas se circonscrire au seul acte d’achat, durant lequel le consommateur ne peut se saisir de toutes les informations nécessaires pour faire un choix éclairé. Encore une fois, CQLP montre ici la marche à suivre, en faisant participer les consommateurs à la vie de l’organisation grâce à leur travail gratuit. Toutefois, ce nouveau mode de relation pourrait être mieux encadré, notamment par des normes comptables qui intégreraient le consommateur comme partie prenante de l’organisation, au même titre que les salariés. CQLP est certes une coopérative de consommateurs, mais elle ne compte que 8 000 membres (inactifs pour la plupart), ce qui est peu par rapport aux millions de clients de la marque.</p>
<p>« C’est qui le Patron ? ! » et les autres initiatives qui lui ont emboîté le pas ont permis de lancer le débat sur la revalorisation du travail des producteurs. Il s’agit maintenant que ce débat soit ouvert à tous les acteurs de la chaîne et encadré afin que cette revalorisation ne se fasse pas seulement à la charge des consommateurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120769/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clarence Bluntz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Mais qui capte la valeur du travail gratuit que le consommateur est prêt à fournir de manière « responsable » ?Clarence Bluntz, Doctorant en comptabilité sociale et environnementale, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1237002019-09-18T18:42:01Z2019-09-18T18:42:01ZLa gratuité, casse-tête du régulateur face aux GAFAM<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/292794/original/file-20190917-19030-32dk7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C13%2C983%2C652&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'économie numérique a démultiplié les services gratuits. </span> <span class="attribution"><span class="source">Quka / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/275295/original/file-20190519-69174-sfh58j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em><a href="https://theconversation.com/profiles/francoise-passerard-447339">Françoise Passerard</a> (Paris School of Business), <a href="https://theconversation.com/profiles/clarence-bluntz-451254">Clarence Bluntz</a> (Université Paris-Dauphine), <a href="https://theconversation.com/profiles/julien-pillot-193241">Julien Pillot</a> (Inseec School of Business & Economics) et Thibault Lieurade, chef de rubrique Économie + Entreprises, étaient les invités de l’émission <a href="http://www.rfi.fr/emission/20190919-gratuite-existe-elle-vraiment">« 7 milliards de voisins »</a> consacrée à la gratuité sur RFI le jeudi 19 septembre, en partenariat avec The Conversation France.</em></p>
<hr>
<p>Si les « modèles du gratuit » n’ont <a href="https://timesmachine.nytimes.com/timesmachine/1875/02/20/82755928.pdf">rien de nouveau</a>, l’économie numérique leur a donné une ampleur inédite. Du réseau professionnel LinkedIn aux applications de rencontres en passant par les jeux vidéo, les acteurs du numérique déploient une panoplie de stratégies dans lequel l’utilisateur accède librement à un service partiel selon une logique <a href="https://hbr.org/2019/03/how-companies-can-get-the-most-out-of-a-freemium-business-model">freemium</a>. Dans certains cas, l’utilisateur n’est même jamais mis à contribution, une « tierce activité » (comme le licensing) ou un « tiers financement » (comme la publicité) assurant les revenus de l’éditeur du service.</p>
<p>D’aucuns pourraient alors s’étonner que la gratuité – si répandue dans le numérique – puisse devenir un problème qui pousse des plus en plus d’autorités de concurrence à ouvrir des enquêtes contre les géants du numérique, GAFAM (Google, Amazon, Apple, Facebook et Microsoft) en tête, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/07/17/antitrust-la-pression-monte-d-un-cran-sur-google-apple-amazon-et-apple_5490412_3234.html">y compris aux États-Unis</a> dont ils sont originaires. Car, <em>in fine</em>, comment un service gratuit en apparence pourrait-il nuire aux consommateurs et, au-delà, à l’intérêt général ?</p>
<h2>Concentration naturelle</h2>
<p>Déjà, certaines pratiques de marché basées sur l’exploitation des données personnelles interrogent. Le scandale <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/03/22/ce-qu-il-faut-savoir-sur-cambridge-analytica-la-societe-au-c-ur-du-scandale-facebook_5274804_4408996.html">Cambridge Analytica</a> par exemple, qui a révélé en 2018 l’utilisation frauduleuse de données Facebook à des fins d’influence politique, a placé le projecteur sur le commerce, et l’exploitation dissimulée, pouvant être fait des données personnelles. Et les <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/google-accuse-de-fournir-en-secret-des-donnees-privees-aux-annonceurs-1129034">suspicions autour des pratiques de Google</a>, soupçonné de contourner le Règlement général sur la protection des données (RGPD) en Europe, rappellent que les mesures légales de protection restent <a href="https://www.clubic.com/rgpd/actualite-867248-rgpd-consentement-explicite-positif-bafoue-niveaux.html">globalement inopérantes</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KZI9PRg32Pg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Affaire Cambridge Analytica : pourquoi c’est grave pour Facebook et ses utilisateurs » (vidéo lemonde.fr, 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Au-delà, c’est bien la concentration que l’on observe sur les marchés numériques autour de quelques leaders qui interroge. Or, une telle concentration est la résultante naturelle de ces services dont le succès repose sur d’importantes <a href="https://hbr.org/2016/04/pipelines-platforms-and-the-new-rules-of-strategy">économies d’échelle</a> et de puissants <a href="https://www.leconomiste.eu/decryptage-economie/581-comprendre-les-effets-de-reseau-les-consequences-strategiques.html">effets de réseau</a> (lorsque la valeur d’usage d’un service numérique augmente avec le nombre d’utilisateurs).</p>
<p>Ces deux facteurs entraînent rapidement un troisième effet : le <em>single-homing</em>, qui « enferme » le consommateur dans l’utilisation exclusive d’un seul service. Quand une offre numérique atteint un certain niveau de performance, les utilisateurs – offreurs comme demandeurs – n’ont en effet que peu d’intérêt à se tourner vers une offre concurrente, quand elle existe ! Cette <a href="https://theconversation.com/apple-contre-google-comprendre-leconomie-des-applications-2-63908">tendance</a> pourrait se résumer en une simple question, déclinable à la quasi-totalité des marchés numériques : pourquoi ferais-je appel à un autre service que celui proposé par le leader si la performance du service repose précisément sur le nombre d’utilisateurs ? À titre d’exemple, que vous soyez voyageur ou bien chauffeur, choisir une application de VTC concurrente à Uber réduira votre utilité partout où Uber est dominant : en moyenne, vous aurez moins de courses ou vous devrez patienter plus longtemps avant d’effectuer un trajet.</p>
<h2>Concurrence illusoire</h2>
<p>Dans ce jeu de conquête des espaces numériques, nul autre acteur que les GAFAM et les BATX (leurs pendants chinois) ne se sont illustrés avec autant de brio. Et la gratuité des services offerts y a indubitablement contribué : c’est elle qui a permis d’attirer un nombre conséquent d’utilisateurs jusqu’à créer les conditions d’un (quasi) monopole naturel.</p>
<p>Sauf disruption technologique, il est aujourd’hui illusoire de vouloir venir concurrence Google, Facebook ou Amazon (pour ne citer qu’eux). Le ticket d’entrée serait colossal et le retard en matière d’exploitation de données qualifiées abyssal. Les cas de Bing, aux parts de marché « confidentielles », mais également des <a href="https://www.europe1.fr/technologies/microsoft-enterre-definitivement-windows-phone-3459050">Windows phone</a>, désormais enterrés, en attestent : il ne suffit pas de disposer de moyens financiers et de capacités techniques pour entrer sur ces marchés. Les effets de réseaux, les routines des usagers, et les choix commerciaux des complémenteurs (notamment les développeurs d’applications), sont autant de barrières à l’entrée particulièrement hermétiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292785/original/file-20190917-19049-1c1hn8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292785/original/file-20190917-19049-1c1hn8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292785/original/file-20190917-19049-1c1hn8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292785/original/file-20190917-19049-1c1hn8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292785/original/file-20190917-19049-1c1hn8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292785/original/file-20190917-19049-1c1hn8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292785/original/file-20190917-19049-1c1hn8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La fin du Windows Phone souligne que la réussite n’est pas qu’une question de moyens financiers.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/comedynose/44322891492">Pete/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En résumé, la gratuité est à la base de l’acquisition d’audience qui, à son tour, va générer des effets d’entraînement jusqu’à créer des quasi-monopoles sur tous les <a href="https://www.hbrfrance.fr/magazine/2018/03/19445-plateformes-multifaces/">marchés dits « multi-faces »</a>, c’est-à-dire qui organisent la rencontre entre plusieurs catégories d’acteurs. Pour les autorités de la concurrence, qui cherchent à déterminer un éventuel abus de position dominante, toute la difficulté réside dans le fait que <a href="https://theconversation.com/trois-lecons-de-ski-pour-economistes-debutants-54915">tous les monopoles ne sont pas à combattre</a>, puisque certains se constituent par le seul mérite ou sont naturellement les structures de marché les plus efficaces. Rapportée au GAFAM, la question est d’autant plus complexe que leurs stratégies ont sur la concurrence des <a href="https://cirano.qc.ca/fr/sommaires/2019s-01">effets ambivalents</a>.</p>
<p>Dans un sens, les géants du numérique construisent une offre performante et offrent à de nombreux acteurs complémentaires l’accès à un marché colossal. Le jeu Angry Birds de l’éditeur Rovio n’aurait pu connaître pareil <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/20131002trib000788459/candy-crush-angry-birds-ces-jeux-qui-valent-des-milliards-ont-ils-un-avenir-.html">succès</a> sans la visibilité planétaire que lui ont conféré les magasins d’applications d’Android (Play Store) et d’Apple (App Store), ni le support technique des terminaux et systèmes d’exploitation mobiles.</p>
<h2>Stratégies d’éviction</h2>
<p>Mais inversement, ces mêmes géants ont une stratégie expansionniste (avant de devenir des empires commerciaux, Alphabet a commencé avec un moteur de recherche ; Amazon par une bibliothèque en ligne) qui peut se traduire par des stratégies d’éviction des « tiers financeurs ». Ces dernières peuvent prendre la forme de <a href="https://www.letemps.ch/economie/google-multiplie-14-tarifs-maps-suscite-colere">hausses de prix unilatérales</a> parfois difficiles à supporter, à l’image du service de cartographie de Google qui a été multiplié par 14 pour les entreprises mi-2018. Ces géants peuvent même choisir de se placer en concurrence frontale avec ces tiers financeurs pour les évincer. Quand, par exemple, Amazon décide de faire du sourcing pour <a href="https://hbr.org/2015/10/when-platforms-attack">vendre en propre</a> des produits jadis uniquement proposés sur sa marketplace, la plate-forme de Jeff Bezos montre clairement la sortie aux vendeurs indépendants qui proposent lesdits produits. Ils peuvent certes continuer de les proposer sur la marketplace, mais il est illusoire qu’ils parviennent à être compétitifs face à Amazon.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-amazon-et-la-spirale-du-low-cost-106731">Podcast : Amazon et la spirale du low-cost</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans le même temps, les géants du numérique se montrent particulièrement actifs sur le <a href="https://www.competitionpolicyinternational.com/competition-in-the-digital-age-reflecting-on-digital-merger-investigations/">front des acquisitions</a>. Les <a href="https://business-herald.com/enquete/lorsque-gafa-etouffent-start-up">détracteurs</a> de telles opérations y voient le moyen d’accaparer très tôt des innovations susceptibles de les concurrencer à terme. Mais il est cependant possible de leur opposer deux arguments : d’abord, se faire racheter par l’un des GAFAM est très souvent l’<a href="https://www.challenges.fr/high-tech/start-up-les-10-regles-pour-se-faire-racheter-par-apple-google-amazon_176764">objectif stratégique</a>, même des start-up du numérique ; et puis Instagram serait-il devenu Instagram sans le support technologique et commercial de Facebook ? Un véritable casse-tête…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1171892685550096384"}"></div></p>
<p>Finalement, ce ne sont pas tant les pratiques commerciales ou les stratégies tarifaires qui ont changé avec le numérique, mais bien la rapidité avec laquelle des (quasi) monopoles peu contestables sont apparus, bénéficiant pleinement du numérique pour étendre leur pouvoir de marché sur une base à la fois sectorielle et géographique. Or, comment réguler des firmes dont les frontières technologiques et activités évoluent constamment et dont lesdites activités, nativement mondialisées, ne peuvent être circonscrites à un territoire donné ? Est-il possible de les sanctionner, voire de les <a href="https://www.causeur.fr/demanteler-les-gafa-google-facebook-amazon-julien-pillot-inseec-165407">démanteler</a>, au prétexte qu’elles auraient annihilés toute forme de concurrence ? Ce serait méconnaître la concurrence féroce que ces géants – et les BATX – se livrent eux-mêmes sur des marchés aussi divers que le cloud, la publicité en ligne, le streaming, ou encore la smart city et le véhicule autonome.</p>
<h2>Et le consommateur dans tout ça ?</h2>
<p>Cette régulation est d’autant plus compliquée qu’il faut aussi inclure le consommateur dans l’équation, puisque la préservation de ses intérêts fait partie intégrante de la mission assignée aux autorités de concurrence. Sur ce terrain, un reproche peut principalement être émis à l’endroit de la domination qu’exercent les GAFAM : la gratuité de façade, contre l’exploitation des données personnelles. Or, ni la multiplication des campagnes de sensibilisation, ni la mise en place de mécanismes aussi visibles que le RGPD n’ont, pour l’heure, eu la moindre incidence sur le choix des consommateurs. Facebook a bien subi quelques pertes suite au scandale Cambridge Analytica, <a href="https://www.challenges.fr/high-tech/donnees-personnelles-facebook-risque-t-il-vraiment-de-perdre-des-abonnes-en-france_575688">mais reste ultra dominant</a>. Qwant reste dans l’ombre du géant Google, et les objets connectés, parfois très intrusifs, <a href="https://www.journaldunet.com/ebusiness/expert/70668/le-boom-des-objets-connectes-commence-son-deferlement-sur-les-baby-boomers.shtml">continuent de s’écouler par millions</a>. Est-ce à dire que le consommateur privilégie la performance brute du service au respect de sa vie privée ?</p>
<p>À force d’extension et de connaissance des clients (via l’exploitation des données), les GAFAM sont parvenus à construire des offres groupées performantes – telles que la suite servicielle de Google ou l’offre Amazon Prime – et plébiscitées par les consommateurs. Condamner ou réguler les GAFAM de façon trop hâtive, voire arbitraire, serait aussi courir le risque de renoncer à des services dont l’efficience repose sur leur adjonction au sein d’un même univers de marque. Et leur apparente gratuité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123700/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot est coordinateur du think tank trans-partisan "Le Jour d'Après" qui entend participer aux débats sur les réformes structurelles nécessaires à la modernisation et l'efficacité de notre modèle social, économique et institutionnel, en dépassant les clivages partisans.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Frédéric Marty ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les géants du numérique ont bâti leur domination sur des services en accès libre qui, en apparence, sont bénéfiques pour le consommateur.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie et Stratégie (Inseec U.) / Pr. et Chercheur associé (U. Paris Saclay), INSEEC Grande ÉcoleFrédéric Marty, Chargé de recherche en droit, économie et gestion, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1220682019-09-04T17:32:02Z2019-09-04T17:32:02ZEntre le « tout gratuit » et le « tout payant » la société perd ses repères<p>Suppression totale des tickets de transport en commun, comme pour les <a href="https://www.20minutes.fr/paris/2592727-20190901-paris-comment-profiter-gratuite-transports-commun-plus-jeunes">Parisiens seniors, les personnes handicapées et les enfants</a>, <a href="https://www.clubic.com/telecharger/actus-logiciels/article-842984-1-passez-libre-selection-logiciels-libres-open-source.html">logiciels offerts</a> tels que LibreOffice, OpenOffice, VLC Media Player, Blender ou encore Clementine, <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/petit-dejeuner-gratuit-a-l-ecole-cantine-a-un-euro-des-elus-denoncent-un-coup-de-com-20190424">petits déjeuners et goûters</a> donnés à l’école, <a href="https://www.presse-citron.net/banque-en-ligne/carte-bancaire/">cartes bancaires gratuites</a>… De plus en plus d’initiatives publiques et privées tendent vers une généralisation de la gratuité.</p>
<p>Pourtant à l’inverse, un phénomène opposé émerge en France et dans le monde : celui de la privatisation totale – défendant l’idée que tout service doit être rémunéré –, y compris, ce qui peut paraître impensable, le vivant. Il nous semble nécessaire de nous pencher sur certains excès liés au tout-privé.</p>
<p>Ainsi, nombreux sont ceux qui défendent le « paiement à l’usage » généralisé, comme nous avons pu en discuter dans un <a href="https://theconversation.com/la-privatisation-des-routes-une-idee-a-lencontre-du-modele-social-francais-120179?utm_source=twitter&utm_medium=twitterbutton">précèdent article</a> pour The Conversation.</p>
<p>Dans cette perspective, il est alors à craindre que le concept du « tout-payant », entraîne la défaillance des contreparties, c’est-à-dire des clients, laissant une majorité de la population sur le carreau avec des conséquences économiques désastreuses.</p>
<p>Mais qu’en est-il réellement ? Plusieurs concepts ont cheminé en parallèle de cette approche. L’un d’eux, ardemment défendu aujourd’hui, est celui de l’open source, qui s’oppose violemment au principe de l’usager-payeur et évolue depuis les années 1980. Ces modèles peuvent-ils cependant changer la façon de concevoir les politiques publiques oscillant entre le tout-payant et la gratuité ?</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Conférence de Richard Stallman « Les logiciels libres : les droits humains dans votre ordinateur » lors de la fête de l’Humanité 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman#/media/Fichier:Richard_Stallman_-_F%C3%AAte_de_l'Humanit%C3%A9_2014_-_010.jpg">Thesupermat/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le modèle de l’open source</h2>
<p>Le logiciel libre a été créé par <a href="https://stallman.org/">Richard Matthew Stallman</a> dans les années 1980. Il lance en 1983 le <a href="http://www.gnu.org/">projet GNU</a> et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/GNU">licence publique générale</a> connue sous le sigle GPL. Stallman estime que les programmes informatiques doivent être librement utilisés, analysés et modifiés.</p>
<p>À la fin des années 1990, l’appellation « open source » se substitue à celle du logiciel libre pour désigner les programmes réalisés collectivement, de manière décentralisée et dont le code source est disponible et modifiable, créant ainsi de nouveaux logiciels et des applications originales.</p>
<p>Patrice Bertrand, président de l’Open World Forum 2012 <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20120917trib000719886/ceci-est-une-revolution-ce-que-l-open-source-a-change-.html">rappelait dans un article de <em>La Tribune</em> que</a> :</p>
<blockquote>
<p>« À certains égards, l’open source est un mouvement humaniste. Il considère que le logiciel est, à la manière de la connaissance scientifique, une forme de patrimoine de l’humanité, un bien commun que nous enrichissons collectivement, pour le bien-être de tous. »</p>
</blockquote>
<p>Ce n’est donc pas l’idée d’un logiciel gratuit, mais d’un programme libre dans le sens où tout le monde peut l’amender, le transformer.</p>
<h2>Une logique libertaire noyautée par la marchandisation</h2>
<p>Globalement, dans la logique libertaire des défenseurs de l’open source, c’est la mise en accès libre de codes sources de logiciels pour une accessibilité publique et gratuite (Open Office, Bootstrap…). Ce modèle bascule cependant progressivement vers un monde davantage marchand.</p>
<p>De nouveaux acteurs économiques, <a href="https://fultron.net/qui-etaient-les-grands-acteurs-open-source-il-y-a-10-ans/">comme</a> Sun Microsystems, IBM ou Novell, investissent le secteur en plein essor – porté par la pression médiatique et les lobbies – avec de véritables stratégies de vente de solutions, de prestations de service et de rentabilité des investissements.</p>
<p>Aujourd’hui, selon une <a href="https://www.globalsecuritymag.fr/1-entreprise-sur-2-estime-l-open,20181119,82222.html">étude</a> de Pierre Audouin Consultants, le marché l’open source français pèse 4,4 milliards d’euros, soit plus de 10 % du secteur des logiciels et services avec une croissance annuelle de 8 %. Nous sommes loin de l’image du hippie utopiste ou du gentil hacker.</p>
<p>La littérature économique traite ce phonème sous l’angle <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2005-3-page-397.htm?contenu=plan#s2n5">individualiste</a>, se penchant sur l’intérêt donnant une rationalité à cet acte. En effet, l’agent économique, ici le développeur, met à disposition de la communauté un logiciel virtuel avec des contreparties monnayables dans la sphère marchande, notamment la réputation acquise au sein des communautés.</p>
<h2>Des logiciels ouverts nécessaires</h2>
<p>Le scandale <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/l-affaire-volkswagen-relance-le-debat-sur-l-open-source-dans-l-automobile.N352321">Volkswagen</a>, de 2009 à 2015 avait pourtant relancé le débat sur l’open source dans le monde de l’automobile et démontré l’intérêt des logiciels ouverts.</p>
<p>Le constructeur allemand avait en effet embarqué dans ses véhicules un système permettant de détecter les contrôles d’émissions de particules et d’en truquer les résultats pour être en conformité avec la loi et les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/12/08/dieselgate-bruxelles-passe-a-la-maniere-forte_5045633_3234.html">standards exigés en Europe</a> et aux États-Unis notamment.</p>
<p>Les codes utilisés dans l’industrie automobile sont protégés par le <a href="https://www.copyright.gov/legislation/dmca.pdf">Digital Millennium Copyright Act</a> aux États-Unis et par l’<a href="https://www.eff.org/deeplinks/2019/03/european-copyright-directive-what-it-and-why-has-it-drawn-more-controversy-any">European Copyright Directive</a> en Europe, mais un droit d’accès peut être accordé. Or, les constructeurs peuvent refuser cette latitude en invoquant des raisons techniques, ou <a href="https://www.smartcopying.edu.au/information-sheets/tafe/technological-protection-measures/technological-protection-measures-2018">« technological protection measures »</a> (TPMs).</p>
<p>Mais si l’open source n’est pas réellement toujours synonyme de gratuité, certaines organisations ont fait ce pari.</p>
<h2>La gratuité dans les transports</h2>
<p>Récemment, la communauté urbaine de Dunkerque annonçait la <a href="https://www.telerama.fr/idees/a-dunkerque,-les-transports-gratuits-tracent-leur-route,n5528416.php">totale gratuité de ses transports en commun</a>. La démarche <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01535544">est ancienne</a> : Compiègne avait initié le mouvement dès 1975 et une trentaine d’autres villes françaises lui ont emboîté le pas (Châteauroux, Gap, Niort, Vitré, Aubagne…).</p>
<p>La fréquentation des bus a immédiatement bondi au détriment de la voiture, avec des conséquences positives sur l’environnement, les fameuses externalités (retombées positives ou négatives d’une action) : <a href="https://www.francebleu.fr/infos/transports/dunkerque-le-succes-du-bus-gratuit-se-confirme-1547223917">au bout de quatre mois</a>, + 120 % le week-end et + 50 % en semaine. Et les chiffres <a href="https://www.lavoixdunord.fr/594386/article/2019-06-06/depuis-sa-gratuite-le-bus-transporte-65-de-voyageurs-en-plus">ne cessent d’augmenter</a>.</p>
<p>La gratuité des transports publics à l’échelle d’un pays entier existe aussi avec l’<a href="https://www.weforum.org/agenda/2018/06/estonia-is-making-public-transport-free/">Estonie depuis 2018</a> et le <a href="https://www.bbc.com/worklife/article/20190128-the-cost-of-luxembourgs-free-public-transport-plan">Luxembourg pour 2020</a>.</p>
<p>L’objectif est évidemment de pousser les automobilistes à substituer leurs véhicules par les modes communs plus vertueux écologiquement tout en désengorgeant les agglomérations. Le modèle est critiqué, notamment par la Fédération des associations d’usagers des transports (Fnaut) qui met en évidence des vices cachés.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Vlg9cgPtKfY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La gratuité des transports a été adoptée dans plusieurs communes françaises.</span></figcaption>
</figure>
<p>Premier grief, la déconsidération des biens liée à la gratuité engendrerait l’accroissement des dégradations. L’argument a été vite balayé par le <a href="https://www.la-croix.com/Economie/gratuite-transports-urbains-idee-gagne-lEurope-2018-09-04-1200966061">maire de Dunkerque</a> qui évoque 60 % de dégradations en moins pendant les week-ends de gratuité.</p>
<p>Le second argument suppose que la gratuité ne permet pas un report modal significatif de la voiture vers le transport public, selon l’<a href="https://www.lesechos.fr/2018/03/ces-villes-ou-les-transports-en-commun-sont-gratuits-987068">organisation patronale</a> des opérateurs. Le cas de Dunkerque prouve pourtant le contraire.</p>
<p>Face à ces expériences intéressantes et apparemment réussies, la généralisation de la privatisation semble cependant une tendance lourde y compris de ce qui semblait être des biens communs gratuits et accessibles à tous ou du vivant.</p>
<h2>La marchandisation du vivant</h2>
<p>Les paysans ne peuvent plus produire naturellement leurs propres graines. Les semences désormais stériles et accaparées par les grands groupes internationaux tels Bayer (Monsanto), doivent être achetées chaque année au prix fort, plongeant les agriculteurs dans la misère. Nous le constatons depuis longtemps en Inde où des millions de paysans ont été réduits à l’exode urbain, <a href="https://www.france24.com/fr/20130705-reporters-inde-ogm-monsanto-Maharastra-Mahyco-coton-agriculeurs-suicide-france24">y laissant parfois la vie</a>. Aujourd’hui, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/cash-investigation/videos-privatisation-du-marche-des-semences-tomates-hybrides-quatre-sequences-a-retenir-du-cash-investigation-sur-le-business-des-fruits-et-legumes_3496807.html">quatre multinationales</a> (avec DuPontDow, Syngenta et Limagrain) possèdent deux tiers des semences et trois quarts des pesticides mondiaux.</p>
<p>Ainsi une <a href="https://www.bioaddict.fr/article/cash-investigation-comment-les-multinationales-controlent-et-modifient-les-varietes-de-semences-a6256p1.html">enquête de Cash Investigation</a> a révélé que le kilo de graines de tomate pouvait atteindre 400 000 euros.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Mgd0_jv6TS4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait de Cash Investigation.</span></figcaption>
</figure>
<p>Au-delà des semences, c’est l’ensemble du vivant qui est privatisable dans de nombreux pays.</p>
<p>L’appropriation du patrimoine génétique est apparue en 1980 aux États-Unis. En 1972, le microbiologiste <a href="https://lemelson.mit.edu/resources/ananda-chakrabarty">Ananda Chakrabarty</a>, au service de General Electric, dépose une demande de brevet pour une bactérie génétiquement modifiée capable d’absorber le pétrole. La Cour suprême américaine estimera en <a href="https://caselaw.findlaw.com/us-supreme-court/447/303.html">1980</a> que la loi sur les brevets ne doit pas faire de distinction entre le vivant et l’inanimé.</p>
<p>Ainsi, en 1982, deux généticiens d’Harvard, Phil Leder et Timothy Stewart, introduisent dans une souris des gènes qui la rendent vulnérable au cancer et déposent le <a href="https://www.nytimes.com/1988/04/13/us/harvard-gets-mouse-patent-a-world-first.html">brevet de l’oncosouris</a>.</p>
<p>La souris est alors en quelque sorte « privatisée », à partir du moment où il est considéré que l’organisme modifié est une invention et donc brevetable.</p>
<p>Aujourd’hui, la pratique est relativement courante puisque nombreux parmi les brevets déposés aux États-Unis <a href="https://www.gerbeaud.com/nature-environnement/biopiraterie-privatisation-vivant.php">concernent des organismes vivants</a>.</p>
<h2>Les espaces naturels vers le tout privé</h2>
<p>Les espaces sont souvent privés (propriétés, terrains…), mais certains territoires qui paraissaient appartenir à l’humanité, c’est-à-dire en quelque sorte à personne, deviennent la proie de toutes les tentations financières. On pense ainsi à l’extension rapide des plages privées dans le monde même si la <a href="http://www.actunautique.com/2015/08/juridique-peut-on-privatiser-une-plage-publique.html">France</a> demeure restrictive en la matière ou encore la privatisation des mers et des océans, qui, <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=6&ved=2ahUKEwiDp5Sa4IDkAhUBhxoKHSs5DekQFjAFegQIBhAC&url=https%3A%2F%2Fdroitsetoceans.sciencesconf.org%2Fdata%2Fpages%2FNathalie_ROS.pdf&usg=AOvVaw1sq3hrQs2hnBIR4diM8F5d">selon la professeure de droit public Nathalie Ros</a> « cesse peu à peu d’être un mythe pour devenir une réalité ».</p>
<p>L’<a href="https://www.lejournalinternational.fr/Arctique-basses-tensions-sous-les-hautes-latitudes_a3660.html">appropriation de l’Arctique</a> est également en marche : cette zone géostratégique clef et riche en ressources (hydrocarbures, terres rares, métaux…) suscite intérêt et jalousie de la part d’États comme la Chine. On note aussi la vente et location d’îles paradisiaques en <a href="https://www.monplusbeauvoyage.fr/privatisation-ile-reve-nukutepipi-polynesie-francaise-voyage-luxe/">Polynésie française</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pbuC6z37rQs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’atoll de Nukutepipi appartient désormais aux plus offrants…</span></figcaption>
</figure>
<p>Enfin l’espace lui-même se privatise. Le <a href="https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/2262">Space Act</a> voté en 2015 par les États-Unis, permet aux firmes américaines de prospecter l’eau, les métaux, les <a href="https://www.cieletespace.fr/actualites/les-etats-unis-et-le-luxembourg-veulent-s-entendre-pour-forer-les-asteroides">astéroïdes et les planètes</a>, de les extraire, les exploiter et les vendre, laissant la plupart des pays incapables techniquement et financièrement d’envoyer des aéronefs dans l’espace sur la touche.</p>
<p>Nous sommes donc loin du du <a href="https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19670016/index.html">Traité de l’espace de 1967</a> qui interdisait justement cette exploitation privée des ressources extra-terrestres…</p>
<h2>La guerre des mots</h2>
<p>A cette liste viennent se rajouter les projets de privatisation <a href="https://theconversation.com/la-privatisation-des-routes-une-idee-a-lencontre-du-modele-social-francais-120179?utm_source=twitter&utm_medium=twitterbutton">des routes</a> ; les barrages hydrauliques en France avec les risques que cela comporte en termes de sécurité ; les projets liés à l’<a href="https://transhumanistes.com/homme-augmente/">homme augmenté</a> ; et même les mots.</p>
<p>Ces derniers deviennent le centre de toutes les attentions. Nous nous souvenons tous d’un secrétaire d’État au commerce (Thomas Thévenoud) qui eut maille à partir avec le fisc et qui déclara souffrir de phobie administrative. Il finit par <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20180208.OBS1901/phobie-administrative-en-plein-scandale-thomas-thevenoud-a-depose-la-marque-a-l-inpi.html">déposer cette expression à l’Institut national de la propriété industrielle</a> (<a href="https://www.inpi.fr/fr">INPI</a>). Le combat contre Yves Saint-Laurent pour interdire l’appellation de son <a href="https://www.lesechos.fr/1993/12/yves-saint-laurent-condamne-en-appel-pour-son-parfum-champagne-917204">parfum Champagne</a> en 1993 est aussi encore dans nos esprits. La privatisation syntaxique vaut quelques <a href="https://www.linkedin.com/pulse/ancien-monde-vs-nouveau-attention-coup-de-gueule-romain-cristofini/">coups de gueule sur les réseaux</a>.</p>
<p>La propriété intellectuelle aboutit ainsi à des abus <a href="https://www.numerama.com/pop-culture/472279-il-y-a-toujours-des-entreprises-qui-cherchent-a-privatiser-des-mots-du-langage-courant.html">traqués</a> par les journalistes Lionel Maurel et Thomas Fourmeux et qui indiquent quelques exemples afin de</p>
<blockquote>
<p>« dénoncer ce racket qui repose sur l’appropriation abusive d’un mot courant ».</p>
</blockquote>
<p>Face à cette généralisation, un risque peut survenir, celui de défaut de la contrepartie.</p>
<h2>Le risque de contrepartie</h2>
<p>Le risque de contrepartie, principe financier, repose sur le risque de défaillance d’un emprunteur qui ne peut plus rembourser l’ensemble de sa dette. De manière extensive, c’est l’incapacité au perdant ou au débiteur de payer le gagnant ou le créancier. La crise des subprimes en 2007 en est la <a href="https://www.louisbachelier.org/mesure-du-risque-de-contrepartie/">parfaite illustration</a>, créant une crise mondiale sans précédent.</p>
<p>Or, la privatisation tous azimuts entraîne non seulement un nouveau coût supplémentaire pour des biens et des services auparavant gratuits (plages, routes, semences…), mais en outre cette charge augmente rapidement. L’exemple du <a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal%3A212342/datastream/PDF_01/view">rail</a> est édifiant.</p>
<p>En effet, malgré le discours arguant la baisse des tarifs induit par la privatisation du transport ferroviaire, les exemples allemands et anglais la réfutent.</p>
<p>Ainsi, en Grande Bretagne, les prix du billet <a href="https://francais.rt.com/economie/48427-privatisation-rail-grande-bretagne-un-echec">sont six fois supérieurs</a> à la moyenne européenne pour un service de moindre qualité et ont bondi de <a href="https://trends.levif.be/economie/entreprises/privatisation-du-rail-le-point-dans-les-grands-pays-d-europe/article-normal-800801.html">25 %</a> (hors inflation) depuis 1995. La hausse est plus spectaculaire encore en Allemagne. De 2005 à 2016, les tarifs moyens <a href="https://www.bastamag.net/Baisse-des-effectifs-hausse-des-tarifs-qualite-de-service-moyenne-les-realites">ont explosé de 40 %</a> pour les trains régionaux (environ 2,2 fois plus vite que l’inflation sur la période) et de 31 % pour les trains longue distance (environ 1,7 fois plus vite que l’inflation). Dans tous les cas, une entreprise privée intègre dans ses <a href="https://www.fipeco.fr/pdf/0.58478900%201522218955.pdf">charges le coût du capital</a> qui représente la rémunération qu’elle doit verser aux actionnaires et aux agents qui l’ont financée.</p>
<p>De ce fait, elle est dans l’obligation de le répercuter dans le prix de vente final et s’avère systématiquement plus chère qu’une entreprise publique. Ou alors elle abandonne le produit non rentable comme récemment Medtronic qui a <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/france/diabete-l-unique-fabriquant-au-monde-de-pompes-insuline-implantees-arrete-sa-production-6478952">stoppé la fabrication de la pompe à insuline</a>, pourtant vitale pour nombre de jeunes diabétiques.</p>
<h2>Le leurre du tout gratuit ?</h2>
<p>Rappelons cependant que la gratuité est un leurre puisqu’elle repose généralement sur des prélèvements fiscaux ou sociaux, tels les soins à l’hôpital par les cotisations sociales salariales et patronales. Elle peut aussi trouver sa contrepartie dans la <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Numerique/lucrative-economie-donnees-personnelles-2018-04-11-1200930923">vente des données personnelles</a> comme le pratiquent Facebook ou Google.</p>
<p>De même le troc n’est pas non plus la gratuité puisqu’il y a échange marchand, seule l’intermédiation monétaire ayant été éliminée.</p>
<p>Il n’est pas question ici de remettre en cause la propriété, mais de dénoncer les dérives dangereuses d’une privatisation globale.</p>
<p>Rendons hommage à <a href="https://next.liberation.fr/livres/2009/04/28/michel-serres-la-marchandise-c-est-l-equilibre-la-culture-c-est-l-accroissement_653194">Michel Serres</a>, récemment disparu :</p>
<blockquote>
<p>« Si vous avez du pain, et si moi j’ai un euro, si je vous achète le pain, j’aurai le pain et vous aurez l’euro et vous voyez dans cet échange un équilibre, c’est-à-dire : A a un euro, B a un pain. Et dans l’autre cas B a le pain et A a l’euro. Donc, c’est un équilibre parfait. Mais, si vous avez un sonnet de Verlaine, ou le théorème de Pythagore, et que moi je n’ai rien, et si vous me les enseignez, à la fin de cet échange-là, j’aurai le sonnet et le théorème, mais vous les aurez gardés. Dans le premier cas, il y a un équilibre, c’est la marchandise, dans le second il y a un accroissement, c’est la culture. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/122068/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>S’il n’est pas question ici de remettre en cause la propriété, il est essentiel de s’attarder sur les dérives d’une privatisation globale et regarder de plus près les tentatives du tout-gratuit.Eric Vernier, Directeur de la Chaire Commerce, Echanges & Risques internationaux - ISCID-CO, Université du Littoral Côte d'Opale, Chercheur au LEM (UMR 9221), Université de LilleL'Hocine Houanti, Associate professor, ExceliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1201792019-07-18T19:08:05Z2019-07-18T19:08:05ZLa privatisation des routes, une idée à l’encontre du modèle social français<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/284475/original/file-20190717-147265-1myy1n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C103%2C2753%2C1879&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un voyage sur les routes du Chablis pourrait bientôt vous coûter très cher.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/78541579@N00/3442561906">PeterVermaercke/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les vacances approchent et vous vous apprêtez, comme de nombreux Français, à prendre la route. Et, qui sait, peut-être allez-vous vous-même emprunter les nationales pour éviter le coût trop élevé des péages ? Sauf que votre tactique risque de devenir inutile dans les mois à venir. En effet, les nationales pourraient bien être à leur tour, privatisées.</p>
<p>Ainsi d’après <a href="https://www.lalettrea.fr/entreprises_transports/2019/06/05/la-voie-des-nationales-va-s-ouvrir-pour-vinci-autoroutes-aprr-et-sanef,108359912-evl"><em>La Lettre A</em> du 5 juin 2019</a></p>
<blockquote>
<p>« des amendements au texte de loi d’orientation des mobilités, actuellement examiné à l’Assemblée nationale, vont autoriser l’État à faire entrer des dizaines de kilomètres de routes nationales dans le régime concessif, à la grande satisfaction des groupes autoroutiers ».</p>
</blockquote>
<p>Une idée fait donc <a href="https://www.autoplus.fr/actualite/route-autoroute-privatisation-concession-peage-1537123.html">son chemin</a> depuis au moins 2015, portée par les sociétés d’autoroutes et reprise depuis par des députés LREM et le gouvernement : privatiser les routes nationales et installer des péages.</p>
<p>Ce projet est notamment relayé dans les médias et au niveau politique par l’Institut européen de recherche militant pour la liberté économique et la concurrence fiscale <a href="https://fr.irefeurope.org/Informations/article/IREF-Europe">(IREF)</a>, un think tank français. Or, plusieurs écueils apparaissent, mettant en avant des contradictions inhérentes à la construction sociale même de la France.</p>
<h2>La construction du modèle français</h2>
<p>Sur un plan politique, la France s’est construite au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à partir du <a href="http://www.histoire-politique.fr/index.php?numero=24">programme du Conseil national de la résistance</a> (CNR), sur une philosophie remarquable : la démocratie globale, c’est-à-dire politique, mais aussi économique et sociale.</p>
<p>Dans cet esprit, les routes sont là pour relier les hommes entre eux, afin de faciliter l’élévation culturelle, intellectuelle et sociale en permettant à tous de se déplacer facilement, librement et gratuitement vers les centres de pouvoir, les musées, les lycées ou les hôpitaux. C’est l’essence même du <a href="https://la-philosophie.com/contrat-social-rousseau-resume">contrat social rousseauiste</a>. Ainsi, l’impôt devient dès lors la contribution de chacun, en fonction de ses capacités financières, au bien commun dont il peut user à sa guise. Or, faire payer les routes en fonction de son usage revient à faire payer à tout le monde la même chose quel que soit son revenu.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/284474/original/file-20190717-147299-1ka1xhc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/284474/original/file-20190717-147299-1ka1xhc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/284474/original/file-20190717-147299-1ka1xhc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/284474/original/file-20190717-147299-1ka1xhc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/284474/original/file-20190717-147299-1ka1xhc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/284474/original/file-20190717-147299-1ka1xhc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/284474/original/file-20190717-147299-1ka1xhc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Musée d’Orsay à Paris : et si demain tout devenait payant selon « l’usage » ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/50501966@N06/16658864714">Webmasternic7918/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Rémunérer tout service rendu</h2>
<p>Les défenseurs de la privatisation des routes incluent le <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2019/06/23/une-privatisation-des-routes-nationales-est-elle-envisagee-par-le-gouvernement_1734349">député Joël Giraud (LREM)</a> à l’initiative des amendements révélés début juin, l’IREF et l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (ASFA). Tous partent de l’hypothèse qu’il ne faut payer que ce que l’on utilise, qu’il faut rémunérer tout service rendu, proposition moquée par l’ingénieur et consultant <a href="https://jancovici.com/transition-energetique/pourquoi-ne-pas-privatiser-la-totalite-du-reseau-routier">Jean‑Claude Jancovici</a>.</p>
<p>Ferghane Azihari, chargé d’études à l’IREF et « entrepreneur intellectuel libertarien » (sic), défend le <a href="https://fr.irefeurope.org/Publications/Articles/article/Privatiser-les-routes-une-utopie">principe de l’usager-payeur</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Cette pratique courante à travers le monde a de nombreux avantages. En liant le financement des infrastructures à leur utilisation, elle réduit les incitations des pouvoirs publics et des concessionnaires au gaspillage. »</p>
</blockquote>
<p>Cela reviendrait donc à ne payer l’école que si on a des enfants, et ce uniquement durant la période scolaire et jusqu’à la sortie du parcours d’études. Ce devrait être alors aussi, comme certains le soulignaient avec un raisonnement par l’absurde, faire payer le trottoir aux piétons. Jacques Attali allait jusqu’à ironiser que « celui qui n’est pas malade ne devrait pas payer les hôpitaux ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1113459421030637568"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, quand on se fait livrer parce que l’on ne possède pas de voiture, le client ne paiera pas le péage directement. C’est le livreur qui réglera, le coût se répercutant donc sur le prix de la marchandise livrée, avec une incidence additive sur la TVA… Ce sera donc le consommateur le payeur final, et non l’usager de la route. Soit une contradiction évidente avec le sens affiché du projet.</p>
<h2>Un argumentaire en faveur des privatisations</h2>
<p>Deux théories principales sont mobilisées pour analyser la privatisation : les théories néo-institutionnelles des organisations et l’économie institutionnelle de la réglementation. Elles développent un argumentaire en faveur des privatisations construites sur deux idées complémentaires.</p>
<p>La gouvernance classique notamment par le contrôle par le marché des capitaux ou encore la <a href="https://www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_1996_num_47_6_409848">menace de liquidation</a> faisant défaut aux entreprises publiques.</p>
<p>Dans le même sens, la <a href="https://droit-finances.commentcamarche.com/faq/24059-theorie-de-l-agence-definition">théorie de l’agence</a> stipule que l’actionnariat privé dispose de plus d’outils de contrôle de la gouvernance que l’actionnariat public qui n’est pas engagé financièrement.</p>
<p>L’efficacité des politiques de privatisation reste mitigée.</p>
<p>Certes, certains auteurs ont démontré une <a href="https://www.researchgate.net/profile/Hassan_Obeid/publication/4874789_L%27impact_des_privatisations_sur_la_performance_des_entreprises_francaises/links/0deec53b3d888e85a8000000/Limpact-des-privatisations-sur-la-performance-des-entreprises-francaises.pdf">amélioration de la performance des entreprises</a> à la suite de leur privatisation comme <a href="http://faculty.tuck.dartmouth.edu/images/uploads/faculty/rafael-laporta/Related_Lending.pdf">au Mexique</a> ou <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1540-6261.1994.tb05147.x">sur l’emploi</a>.</p>
<p>Cependant, des chercheurs, comme Joel T. Harper qui a travaillé sur des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1475-6803.2001.tb00821.x">entreprises tchèques en 2001</a>, ont pu conclure que l’amélioration des résultats est plus expliquée par le secteur d’activité et le degré de concurrence que le changement du statut de l’entreprise.</p>
<h2>Des échecs cinglants ailleurs</h2>
<p>L’expérience des pays africains, notamment avec les fameux plans d’ajustement structurel, <a href="http://www.libreafrique.org/node/450">est très parlante</a>. Les conséquences socio-économiques sont importantes et se traduisent par des fermetures d’entreprises et des licenciements massifs mettant des familles entières sans revenu de survie. Dans le <a href="http://www.economie-politique.org/61740">cas algérien</a>, entre 1994 et 1998, 1 010 entreprises publiques ont dû fermer et plus de 500 000 emplois ont été supprimés.</p>
<p>Dans nombre de ces pays africains le secteur privé compétitif n’a pas pu émerger à cause notamment des spécificités sociopolitiques lourdes : bureaucratie, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/02/06/en-afrique-la-corruption-sape-les-bases-de-la-democratie_5419921_3212.html">corruption généralisée</a>, monopole de la « mafia » politico-financière sur les secteurs stratégiques, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/143/CESSOU/53893">prédominance du marché parallèle</a>.</p>
<p>Certains pays africains ont même fait un retour vers les nationalisations dans les grands services publics comme l’eau, l’électricité, les télécommunications ou encore les chemins de fer ou la sidérurgie (Tanzanie, Namibie…)</p>
<p>Sur un autre continent, la privatisation de l’électricité au Chili a entraîné des coupures d’approvisionnement pendant plusieurs mois, ce qui a <a href="https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2003-2-page-43.htm">affecté les entreprises elles-mêmes</a></p>
<p>En Grande-Bretagne, la privatisation de l’électricité a été accompagnée d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2003-2-page-43.htm">hausse en quatre ans de 20 % des factures</a> en défaveur des consommateurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/284466/original/file-20190717-147270-1bwihpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/284466/original/file-20190717-147270-1bwihpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/284466/original/file-20190717-147270-1bwihpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/284466/original/file-20190717-147270-1bwihpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/284466/original/file-20190717-147270-1bwihpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/284466/original/file-20190717-147270-1bwihpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/284466/original/file-20190717-147270-1bwihpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">The Cheshireman, juin 2010. Le chemin de fer anglais a été privatisé en 1994 mais certaines lignes repassent sous le contrôle de l’État, la question d’une renationalisation étant évoquée en raison d’une offre de service controversée et détériorée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/29448896@N04/6061095563">Graham Jenks/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les raisons, au-delà de la recherche de la rentabilité optimale pour financer les dividendes des actionnaires, se trouvent dans la philosophie même des entreprises privées qui gèrent les biens et services publics comme des biens privés. L’autre problème posé par la privatisation concerne les salariés. Ces derniers sont perçus comme un simple facteur de production qu’il faut payer le moins cher possible et qui demeure facilement licenciable et flexible à tous les niveaux.</p>
<p>Le lien entre d’une part privatisation des routes, d’autre part efficacité et rentabilité n’est donc pas si clair.</p>
<h2>Les autoroutes, sources de disputes</h2>
<p>Les profits des sociétés d’autoroute sont très élevés, <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/transports/autoroute/hausse-des-peages-la-privatisation-des-autoroutes-etait-elle-une-erreur-6169713">autour de 17 % du chiffre d’affaires</a>, un rendement exceptionnel.</p>
<p>Et ces bénéfices ne cessent d’augmenter : 20 % en dix ans. Cette augmentation sera encore plus importante sous l’effet du rattrapage accordé par l’État entre 2019 à 2023 suite au gel des tarifs décidé en 2015 par Ségolène Royale, ministre de l’Écologie et signé par Emmanuel Macron, ministre de l’Économie.</p>
<p>Cette manne financière ne présage pourtant pas en contrepartie d’un bon entretien des réseaux, à l’exemple du reste du continent.</p>
<p>L’Europe dispose de 80 000 km d’autoroutes dont une <a href="https://blog.francetvinfo.fr/bureau-bruxelles-france2/2019/02/01/autoroutes-en-europe-le-point-sur-les-privatisations-et-les-tarifs.html">minorité est privatisée</a> : l’Italie, l’Espagne, la Grèce, le Portugal et partiellement la Croatie. Les résultats sont plus qu’édifiants. En Italie, le <a href="https://www.lesechos.fr/2017/04/routes-a-labandon-ponts-ecroules-litalie-va-enfin-renover-son-reseau-158152">réseau est vieillissant</a> et manque cruellement d’investissement et d’entretien. En quatre ans, une dizaine de ponts dont <a href="https://theconversation.com/le-beton-arme-peut-lui-aussi-souffrir-de-cancer-102020">celui de Gênes</a> se sont écroulés dans le pays.</p>
<p>Les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/26/autoroutes-portugaises-la-voie-est-un-peu-trop-libre_3466415_3234.html">Portugais se détournent des autoroutes</a> considérées trop chères et inaccessibles.</p>
<p>D’autres pays européens disposent d’autoroutes gratuites à l’exemple de l’Allemagne. Dans ce modèle, c’est l’impôt acquitté par l’ensemble des citoyens qui assume indirectement les coûts des autoroutes.</p>
<h2>Tenir compte des bénéfices extra-monétaires</h2>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/decider-avec-les-parties-prenantes--9782707147844-page-157.htm">théorie des parties prenantes</a> intègre la notion d’externalités (retombées positives ou négatives d’une action).</p>
<p>Or la libre circulation gratuite dégage de nombreuses externalités positives qu’il ne faut pas négliger : bien-être des personnes favorable à la productivité, élargissement du bassin d’emploi permettant de trouver la bonne personne pour le bon poste, élévation du niveau de connaissances…</p>
<p>L’enjeu économique primordial des privatisations, du point de vue de l’intérêt général, est l’efficience dans la gestion des actifs en assurant leur transfert du secteur public marchand vers la sphère privée.</p>
<p>Or la justification d’un interventionnisme de l’État dans la sphère économique et industrielle, voire la propriété publique d’entreprise trouve son essence dans les défaillances du marché déjà démontrées <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-__conomie_de_la_r__glementation-9782707142658.html">notamment en 1929 et en 2007</a>.</p>
<p>Certaines situations comme les monopoles naturels (activités à coûts fixes importants à l’exemple du rail, de l’électricité, des routes..), sont autant de scénari qui favorisent le rôle économique des États.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/284471/original/file-20190717-147270-w440dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/284471/original/file-20190717-147270-w440dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/284471/original/file-20190717-147270-w440dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/284471/original/file-20190717-147270-w440dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/284471/original/file-20190717-147270-w440dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/284471/original/file-20190717-147270-w440dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/284471/original/file-20190717-147270-w440dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Prise de pouvoir, 17 novembre 2018. Privatiser les routes nationales dans le contexte actuel relèverait d’une provocation de plus.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/152717794@N07/32688578728">Aurélien Adoue/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les coûts fixes importants et l’accumulation des différentes charges (entretien des rails et des routes par exemple) font qu’un opérateur privé qui opterait pour une tarification optimale est condamné à la faillite. L’équation est très simple pour l’opérateur privé, soit il fixe lui-même ses prix au détriment du bien-être collectif, soit il sera dans l’incapacité de couvrir ses frais. Ce constat ne justifie pas toutes les nationalisations notamment celles d’entreprises qui opèrent dans des marchés concurrentiels.</p>
<p>C’est la somme des intérêts contradictoires de toutes ces parties prenantes qui doit être mesurée pour une véritable évaluation de l’efficacité des politiques de privatisation.</p>
<p>Et le modèle français a toujours porté l’attention sur cet équilibre entre toutes les parties.</p>
<h2>Une provocation</h2>
<p>Cependant, le « paiement à l’usage » généralisé mettrait fin au contrat social pour un unique contrat : le contrat marchand.</p>
<p>Dans une période socialement et économiquement difficile, notamment avec le mouvement des « gilets jaunes » qui est né du <a href="https://www.iris-france.org/124876-gilets-jaunes-carlos-ghosn-et-equite-fiscale/">sentiment d’injustice fiscale</a> et de l’excès du coût des trajets en voiture, vouloir faire payer encore plus le trajet domicile-travail relève de la provocation.</p>
<p>Nous voyons ici l’incohérence d’un tel concept. Car la privatisation des routes amènerait irrémédiablement l’État à devoir subventionner ces trajets pour alléger le budget des Français les plus modestes. Une nouvelle usine à gaz, plus coûteuse que le bénéfice de la privatisation, serait créée et enrichirait un peu plus les sociétés d’autoroutes par une compensation payée par le contribuable. Nous tomberions une fois de plus dans le principe de la socialisation des pertes et de la privatisation des profits. Apparaît donc la question de la compatibilité républicaine et de l’acceptabilité citoyenne du prix.</p>
<p>Et, au-delà, celle d’un monde où tout deviendrait marchand.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120179/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Privatiser les routes nationales et installer des péages : la mesure rompt brutalement avec la conception du contrat social rousseauiste aux fondements de la France moderne.Eric Vernier, Directeur de la Chaire Commerce, Echanges & Risques internationaux - ISCID-CO, Université du Littoral Côte d'Opale, Chercheur au LEM (UMR 9221), Université de LilleL'Hocine Houanti, Associate professor, ExceliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1202962019-07-15T21:38:51Z2019-07-15T21:38:51ZMais pourquoi aime-t-on autant la caravane du Tour de France ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/283841/original/file-20190712-173376-fp0pqr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C50%2C798%2C529&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quelque 160 véhicules composent cette « foire-exposition itinérante et humoristique ».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/marsupilami92/43980504831/">Patrick Janicek/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La caravane publicitaire du <a href="https://www.letour.fr/">Tour de France</a> est un convoi de véhicules et de chars publicitaires, décorés aux couleurs des marques qu’ils représentent et qui défilent ensemble sur le trajet de chacune des 21 étapes du Tour. Si les marques mises en avant cette année sont pour l’essentiel françaises, certaines, de renommées mondiales comme Coca-Cola, se sont associées à de précédentes éditions. Chaque année, cette véritable <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-mediologie-1998-1-page-239.htm">« colonne commerciale qui précède le peloton »</a>, comme la qualifie le journaliste Jean‑Louis Le Touzet dans un livre sur le sujet, est acclamée par 10 à 12 millions de spectateurs.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/283831/original/file-20190712-173338-na3kp4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/283831/original/file-20190712-173338-na3kp4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/283831/original/file-20190712-173338-na3kp4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=613&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/283831/original/file-20190712-173338-na3kp4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=613&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/283831/original/file-20190712-173338-na3kp4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=613&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/283831/original/file-20190712-173338-na3kp4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=770&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/283831/original/file-20190712-173338-na3kp4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=770&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/283831/original/file-20190712-173338-na3kp4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=770&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://netstorage.lequipe.fr/ASO/cycling_tdf/caravane-fr.pdf">A.S.O</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces derniers s’installent en famille, conquis par les actions marketing et publicitaires, sur le bord des routes, pour voir passer plus de 600 personnes à bord de <a href="https://netstorage.lequipe.fr/ASO/cycling_tdf/caravane-fr.pdf">160 véhicules</a> (11 kilomètres de convoi) toujours plus étonnants. Trente minutes de spectacle, gratuit et accessible à tous, pour recevoir un maximum de cadeaux promotionnels, deux heures avant de voir passer le maillot jaune, là encore sans avoir à débourser un centime. La gratuité du spectacle et des cadeaux attire une foule d’autant plus singulière que près d’une <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/vous-le-partagerez-aujourd-hui/vous-en-parlerez-aujourd-hui-tour-de-france-2019-la-fin-des-goodies_3493109.html">personne sur deux</a> ne viendrait que pour la caravane du Tour.</p>
<h2>Un contexte d’exposition publicitaire à part</h2>
<p>La popularité de la caravane est indissociable de celle du Tour de France. Bien qu’elle ne soit pas diffusée sur les chaînes télévisuelles, elle profite de la forte notoriété et de l’exceptionnelle médiatisation du Tour, l’un des événements sportifs les plus suivis dans le monde après les <a href="https://www.olympic.org/fr">Jeux olympiques</a> et la <a href="https://fr.fifa.com/">Coupe du Monde de football</a>. Pour bénéficier de cette exposition, le ticket d’entrée le moins cher s’élèverait à <a href="https://www.e-marketing.fr/Thematique/media-1093/Breves/business-Tour-France-256558.htm#Dv8mVTzWHSPJV8Gv.97">250 000 euros</a> selon les estimations, car le budget total de la caravane reste confidentiel.</p>
<p>Pour ce prix-là, les marques iront à la rencontre de spectateurs (et de potentiels clients) bien particuliers. Ces derniers font en effet la démarche volontaire de venir s’exposer à un véritable bain de publicité. Ils offrent ainsi leur totale disponibilité et leur plein enthousiasme à la réception des actions publicitaires offertes lors de ce show.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1149588817340297217"}"></div></p>
<p>Cette attitude tranche littéralement avec le matraquage publicitaire tant critiqué par les consommateurs qui expriment généralement une certaine lassitude, voire un sentiment d’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00913367.2002.10673665">intrusion dans leur sphère privée</a>. La caravane offre donc un contexte d’exposition à la publicité tout à fait unique en son genre.</p>
<p>Pour mieux comprendre l’état d’esprit des spectateurs, nous avons mené une étude qualitative exploratoire sur les années 2013, 2015 et 2017, couplant une observation participante à une quinzaine d’entretiens non-directifs auprès de spectateurs qui s’identifient comme « fans de la caravane ».</p>
<h2>Des stratégies pour plus de cadeaux</h2>
<p>Le terrain nous montre tout d’abord l’engagement des spectateurs envers les marques. Ils soutiennent et encouragent leurs marques préférées, arborant parfois des pancartes faites maison pour attirer l’attention des caravaniers et augmenter ainsi leurs chances de recevoir davantage de cadeaux. Étonnamment, certains spectateurs nous ont expliqué collectionner les cadeaux, acquis fièrement d’année en année, sans pour autant consommer les échantillons comme les sachets de bonbons Haribo ou de mini-saucissons Cochonou.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BrnIKMcVfKs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Les cadeaux que j’ai eu à la caravane du tour 2017 » (vidéo Frédo 1O68).</span></figcaption>
</figure>
<p>En lien avec cet engagement renouvelé dans le temps, les fans de la Caravane sont aussi nombreux à exprimer un profond attachement envers les sponsors historiques et envers la caravane en tant qu’événement populaire, social et culturel, qui réinvestit le champ de la consommation. Plus inattendu, une femme, appartenant à la génération des baby-boomers, évoque même la solidarité pour expliquer son attachement à la caravane :</p>
<blockquote>
<p>« Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, je me souviens que le magazine La Vie Catholique et les journalistes de radio recommandaient aux gens de ne pas se précipiter sur les produits de la caravane pour laisser la priorité aux plus nécessiteux parce que ça leur permettait de faire des provisions gratuitement ».</p>
</blockquote>
<p>Enfin, l’image positive des marques est renforcée chez les spectateurs qui s’amusent à comparer les chars et les véhicules les uns aux autres, et d’une année à l’autre. Certaines marques sont perçues comme amusantes par leur stratégie créative : <a href="https://www.cochonouetvous.com/">Cochonou</a> et sa légendaire 2CV à carreaux rouges et blancs, <a href="https://www.senseo.fr/TourdeFrance2019">Senseo</a> et ses dosettes géantes, ou <a href="https://www.letour.fr/fr/actus/2019/vittel-repart-sur-les-routes-du-tour-de-france-jusquen-2023/1275984">Vittel</a> qui régale les spectateurs en les brumisant, ce qui est fortement apprécié sous le soleil estival. D’autres marques ou institutions surprennent par leur présence, comme <a href="https://www.mecenat-cardiaque.org/tour-de-france.html">Mécénat Chirurgie cardiaque</a> qui sensibilise le public à la cause des enfants malades.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/BW0BqUblitX","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>« Tout est gratuit ! »</h2>
<p>La gratuité de l’événement et des cadeaux participe de l’ambiance festive autour du passage de la caravane. Les spectateurs espèrent patiemment recevoir de nombreux cadeaux des marques qu’ils affectionnent. Perçus comme des dons, les goodies offerts apportent une valeur sentimentale aux produits publicitaires. Les spectateurs ressentent de la gratitude envers ces marques qui les enchantent par leur créativité renouvelée. Cette forme de <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1996_num_50_1_3541_t1_0162_0000_2">« foire-exposition itinérante »</a> et humoristique), pour reprendre l’expression du sociologue Philippe Gaboriau, symbolise la popularité et l’abondance de la société de consommation en y ajoutant un petit supplément d’âme. Une jeune maman partage ainsi sa vision d’ensemble :</p>
<blockquote>
<p>« La caravane du Tour, c’est une sacrée expérience ! Tous nos repères changent, les rues sont interdites à la circulation, la musique est à fond, les voitures et les chars sont énormes. Tout est gratuit, c’est tellement rare ! Les gens font du troc de goodies et portent immédiatement les casquettes Skoda ou les t-shirts PMU… Nous, spectateurs, devenons instantanément des ambassadeurs ! Et l’ambiance est géniale avec des enfants qui gagnent un petit Journal de Mickey ou des gourmandises ».</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Bzvv8HdiRM4","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Les parcours d’étapes se trouvent ainsi littéralement théâtralisés dans une ambiance polysensorielle. Les spectateurs contribuent à cette mise en scène tout en s’amusant en famille, et entourés de monde. Une étape correspond à un lieu immersif de divertissement, délimité dans l’espace et le temps, orchestrant les offres commerciales des différentes enseignes partenaires. Dans ce contexte unique et éphémère, l’atmosphère euphorisante réenchante la publicité et renforce la fidélité des consommateurs.</p>
<h2>Le produit banal devient expérience</h2>
<p>La manière dont l’<a href="https://journals.openedition.org/terrain/1888">évènement</a> se déroule pour le spectacteur contribue aussi à rendre le passage de la caravane unique. Tout commence par l’anticipation de l’expérience en prenant le temps de rechercher la place idéale, de faire connaissance avec les voisins du moment, de guetter et d’attendre l’arrivée du convoi. L’excitation commence alors à monter et atteint son apogée lorsque les véhicules publicitaires se font entendre et apparaissent au loin. Ensuite, durant le passage de la caravane, de nombreuses sensations s’entremêlent entre l’action et l’expérience : les marques sont applaudies, fêtées, interpellées dans une ambiance folklorique, familiale et amicale.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OW_kMlF55Jg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« La caravane publicitaire du Tour de France cycliste 2017 à Longwy (Meurthe-et-Moselle) » (vidéo vhbleu).</span></figcaption>
</figure>
<p>Le temps d’après laisse place au plaisir du bilan et de la découverte des cadeaux reçus, en trois phases : le temps de la discussion entre proches et voisins, le temps du partage ou de l’échange de cadeaux, puis le temps du partage de l’expérience par le bouche-à-oreille sur les réseaux sociaux et dans la vie réelle. À partir des souvenirs créés, les fans développent le projet de retourner voir la caravane l’année suivante.</p>
<p>En rejoignant la caravane, les marques investissent donc le champ du <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01715953/document">marketing expérientiel</a>. Grâce au divertissement, la consommation de leurs produits, perçus au quotidien comme ordinaires, devient une <a href="https://hbr.org/1998/07/welcome-to-the-experience-economy">expérience événementielle</a>. En rendant les campagnes publicitaires extraordinaires et excitantes, la caravane du Tour continue d’émerveiller année après année depuis son apparition en 1930, dans un environnement qui n’a pourtant jamais été autant saturé de publicité.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/E2GM5268a44?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La caravane passe… à travers les âges (INA Sport).</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/120296/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Presque un spectateur sur deux se déplacerait sur les étapes avant tout pour plonger dans ce grand bain publicitaire, dont le succès repose sur le principe de la gratuité.Françoise Passerard, Professeur assistant en Marketing, PSB Paris School of BusinessPhillip Cartwright, Professor of Economics, PSB Paris School of Business and Visiting Researcher, Royal College of Music, PSB Paris School of BusinessLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1197042019-07-08T18:31:09Z2019-07-08T18:31:09ZÉconomie de la gratuité : rien n’est jamais vraiment « offert » sans contrepartie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/283268/original/file-20190709-44505-e9ahs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C85%2C904%2C580&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Utiliser des applications est généralement gratuit, mais, en contrepartie, les éditeurs récupèrent de la donnée.</span> <span class="attribution"><span class="source">AlesiaKan / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La notion de gratuité s’articule autour de deux dimensions. La première correspond à l’idée de non-contrepartie financière. « Gratis » signifie obtenir quelque chose pour rien, sans payer. En ce sens, l’économie de la gratuité semble en essor. Le marketing utilise depuis bien longtemps la technique de la gratuité. Pour exemple, Gillette, en offrant ses rasoirs et en faisant payer ses lames, a été l’une des marques pionnières dans ce domaine.</p>
<p>Le modèle freemium, qui consiste à proposer une version gratuite grand public couplée avec une version payante, est aujourd’hui largement exploité par les marques dans de nombreux secteurs. Avec Internet, l’économie de la gratuité semble à son apogée. Musiques offertes en ligne, logiciels open source, cours en ligne gratuits sous forme de MOOC, autant d’exemples qui illustrent l’essor du phénomène de gratuité. Et Chris Anderson d’intituler son <a href="https://www.pearson.fr/book/?gcoi=27440100672130">célèbre ouvrage</a> : « Free ! Entrez dans l’économie du gratuit ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282071/original/file-20190701-105215-1pei71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282071/original/file-20190701-105215-1pei71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282071/original/file-20190701-105215-1pei71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282071/original/file-20190701-105215-1pei71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282071/original/file-20190701-105215-1pei71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282071/original/file-20190701-105215-1pei71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282071/original/file-20190701-105215-1pei71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Gillette, marque pionnière en matière de modèle freemium.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mohd kamarul hafiz/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si les modèles économiques fondés sur l’absence de contrepartie pécuniaire semblent effectivement se développer, les services proposés n’en demeurent pas pour autant totalement gratuits, en ce sens que la réciprocité est toujours attendue. Gillette offrait ses rasoirs pour pouvoir mieux vendre ses lames. Les modèles freemium consistent in fine à miser sur le fait que certains des consommateurs vont passer à la version payante. Le développement de nombreux modèles gratuits, tels que celui de Waze par exemple, s’appuie sur une contrepartie financière pour l’entreprise, contrepartie assurée par la publicité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"923993330555478021"}"></div></p>
<p>Ceci nous amène à considérer la deuxième dimension de la gratuité, celle qui correspond à l’idée de faire quelque chose « pour rien », sans utilité évidente, sans attente de contrepartie, sans équivalence. D’aucuns diront que cette gratuité-là n’existe pas, comme le suggère l’adage américain bien connu, « There is no such thing as a free lunch » (« les déjeuners gratuits n’existent pas »). Dans quelle mesure peut-on alors parler d’économie de la gratuité ? Et comment l’appréhender ?</p>
<h2>Une gratuité « impossible a priori »</h2>
<p>En changeant de paradigme. Certains chercheurs parlent de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0276146709334298?journalCode=jmka">« paradigme sociaux dominants »</a> pour caractériser cet ensemble de valeurs et de comportements, formels et informels, qui caractérisent une société. Ils ont notamment montré que l’un des paradigmes sociaux dominants régissant les sociétés occidentales relevait du paradigme économique, et s’articulait autour de trois croyances :</p>
<ul>
<li><p>l’intérêt : le comportement individuel devrait être déterminé par l’intérêt économique de chacun ;</p></li>
<li><p>le progrès : l’économie est la meilleure mesure du progrès ;</p></li>
<li><p>la croissance : si la croissance économique persiste, tout le monde en profite.</p></li>
</ul>
<p>Changer de paradigme, c’est donc changer de perspective. « Le cadre de pensée marchand rend la gratuité impossible a priori », soulignait en 1992 Jacques T. Godbout, professeur à l’Université du Québec dans son livre <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-L_esprit_du_don-9782707152220.html">« L’esprit du don »</a>. Les sciences de gestion sont habituées à puiser dans différents champs disciplinaires pour nourrir leur réflexion. La théologie en fait partie, et de plus en plus de chercheurs mobilisent le cadre d’analyse de la religion pour éclairer les modèles économiques ou la psychologie du consommateur.</p>
<p>La doctrine sociale de l’Église peut ici s’avérer un cadre d’analyse fécond. Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EM Lyon Business School, suggérait aux gestionnaires en 2009, dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2009-3-page-1.htm">éditorial</a> de la revue <em>Sciences de gestion</em>, de lire l’encyclique <a href="http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20090629_caritas-in-veritate.html"><em>Caritas in veritate</em></a>, qui aborde le thème de la gratuité dans l’économie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282073/original/file-20190701-105191-l8qzgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282073/original/file-20190701-105191-l8qzgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282073/original/file-20190701-105191-l8qzgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282073/original/file-20190701-105191-l8qzgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282073/original/file-20190701-105191-l8qzgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282073/original/file-20190701-105191-l8qzgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282073/original/file-20190701-105191-l8qzgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le pape Benoît XVI estimait que la gratuité était nécessaire au bon fonctionnement de l’économie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Miqu77/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans cette encyclique, le pape Benoît XVI développe l’idée selon laquelle la gratuité est nécessaire au bon fonctionnement de l’économie :</p>
<blockquote>
<p>« Le grand défi qui se présente à nous est celui de montrer, au niveau de la pensée comme des comportements, que non seulement les principes traditionnels de l’éthique sociale, tels que la transparence, l’honnêteté et la responsabilité ne peuvent être négligées ou sous-évaluées, mais aussi que, dans les relations marchandes, le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale. »</p>
</blockquote>
<h2>Au-delà du « donner pour avoir »</h2>
<p>L’agir gratuit prend alors la forme d’un interstice entre « le donner pour avoir », spécifique à la logique de l’échange marchand et caractéristique des modèles de gratuité évoqués au début de cet article, et le « donner par devoir », propre à l’action publique et réglée par les lois de l’État. Le don gratuit, c’est « le transfert, librement déterminé, d’une ressource tangible ou intangible à une autre personne, sans demande ou attente d’un quelconque retour ou compensation », pour reprendre la <a href="https://ideas.repec.org/a/kap/jbuset/v145y2017i4d10.1007_s10551-016-3130-x.html">définition</a> des chercheurs Bénédicte de Peyrelongue, Olivier Masclef et Valérie Guillard. L’économie de la gratuité revient alors à considérer que les acteurs de l’entreprise, les consommateurs, ne donnent pas uniquement que pour recevoir.</p>
<p>La réciprocité n’est pas exclue, mais elle est ex-post, elle arrive de surcroît. Et ce retour éventuel n’est pas forcément quantifiable, ni estimable. Former un nouvel arrivant dans l’entreprise pour le simple plaisir de transmettre, mettre à disposition son canapé gratuitement pour le simple plaisir de la rencontre, partager sa passion du jardinage sur YouTube pour le simple plaisir du partage, proposer un logiciel en version libre pour faire avancer la recherche, autant de comportements qui témoignent d’une forme d’économie de la gratuité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282077/original/file-20190701-105215-1sjz4fy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282077/original/file-20190701-105215-1sjz4fy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282077/original/file-20190701-105215-1sjz4fy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282077/original/file-20190701-105215-1sjz4fy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282077/original/file-20190701-105215-1sjz4fy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282077/original/file-20190701-105215-1sjz4fy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282077/original/file-20190701-105215-1sjz4fy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Lorsqu’un jardinier met en ligne un tutoriel, le fait-il par simple amour du partage ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Perfectlab/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Parfois, ces comportements sont motivés par la volonté de dénoncer le mythe de la croissance et de la surconsommation. Simplicité volontaire, frugalité, sobriété heureuse… Autant de vocables qui sous-tendent l’idée de réinjecter de la gratuité dans l’économie, en considérant que de nombreuses ressources nous sont offertes gratuitement, par la nature mais aussi par nos relations. Changer de paradigme, c’est donc regarder l’économie de la gratuité depuis la « citée inspirée » décrite par les sociologues <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/De-la-justification">Luc Boltanski et Laurent Thévenot</a>, plutôt que depuis la « cité marchande ».</p>
<p>« There is no such thing as a free lunch. » Dans la sphère du marché, incontestablement. Il n’en demeure pas moins que l’économie a besoin de personnes ouvertes à la gratuité. La valeur créée est alors non pas une valeur d’usage ou d’échange, mais une valeur de liens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119704/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Vaal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les offres de produits et de services gratuits se multiplient. « There is no such thing as a free lunch », dit l’adage américain. Peut-on réellement parler de gratuité dans la sphère économique ?Anne Vaal, Doctorante, Chaire « marques et valeurs », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1187292019-06-12T18:51:36Z2019-06-12T18:51:36ZLes Canadiens satisfaits de leurs médias mais peu nombreux à payer pour s’informer en ligne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/279228/original/file-20190612-32356-f54r96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les Canadiens ont une confiance relativement élevée dans leurs médias comparativement à d'autres pays, mais cela ne signifie pas qu'ils veulent payer pour leurs nouvelles. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les Canadiens <a href="https://www.cem.ulaval.ca/wp-content/uploads/2019/06/dnr19_can_eng.pdf">sont généralement satisfaits du travail des médias et tendent à faire confiance aux nouvelles en général</a>. Mais lorsqu’il s’agit de payer pour des services en ligne, les actualités ne sont pas une priorité. </p>
<p>Ce sont quelques-uns des constats que l’on peut tirer des données canadiennes du <a href="http://www.digitalnewsreport.org">Digital News Report 2019</a> du Reuters Institute for the Study of Journalism de l'Université d'Oxford. Il s'agit d'une enquête internationale annuelle en ligne s’intéressant aux habitudes des consommateurs d’information, dont les résultats viennent de paraître.</p>
<p>En 2019, 9 % des répondants ont déclaré avoir payé pour de l’information en ligne (par exemple pour un abonnement à un média numérique, un paiement unique pour un article ou l'achat d’une application de nouvelles) ou avoir accédé à des sites d’information payants dans l’année précédant le sondage. Les Canadiens sont deux fois plus susceptibles que les Canadiennes d’avoir payé pour des nouvelles en ligne (12 pour cent contre 6 pour cent).</p>
<p>Seul 1 pour cent de l’ensemble des personnes interrogées rapportent avoir fait un don à un service de nouvelles en ligne pour cette même période. Ceci n’est pas surprenant, compte tenu de la rareté des producteurs de nouvelles au Canada qui sollicitent des dons. Par ailleurs, si les Canadiens sont peu portés à payer pour s’informer en ligne, c’est sans doute parce que les contenus gratuits y sont abondants.</p>
<p>Ces résultats soulèvent des interrogations quant à l’effet incitatif <a href="https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/programmes/a-propos-agence-revenu-canada-arc/budgets-gouvernement-federal/budget-2019-investir-classe-moyenne/journalisme-canadien.html">des crédits prévus dans le dernier budget fédéral pour les abonnements numériques</a> et les dons à des médias écrits canadiens. Ces deux mesures, accompagnées d’un crédit remboursable pour les frais de main-d’oeuvre, visent à soutenir le journalisme dans l’environnement numérique. Rappelons que les journaux peinent à compenser des pertes de plus de 60 pour cent de leurs revenus publicitaires. La majorité des dépenses publicitaires en ligne sont maintenant versées à des plateformes étrangères qui ne produisent pas de contenus d’information.</p>
<p>Les quotidiens s'efforcent d'élaborer de nouveaux modèles de financement pour compenser cette baisse. Verrons-nous plus de murs payants ou d'organismes à but non lucratif dans les années à venir ? Et les Canadiens contribueront-ils ainsi de façon plus substantielle aux financements des nouvelles ? </p>
<h2>Les jeunes plus enclins à payer</h2>
<p>Nos résultats suggèrent qu’il y a un potentiel de croissance. </p>
<p>En effet, les jeunes adultes sont deux fois plus nombreux à avoir payé pour des nouvelles en ligne (14 pour cent chez les 18-34 ans, 7 pour cent chez les 35 ans et plus). Il en est de même pour les hommes (12 pour cent) comparativement aux femmes (6 pour cent).</p>
<p>Bien que le cinquième des répondants qui ne payaient pas pour des nouvelles en ligne ont affirmé, <a href="http://media.digitalnewsreport.org/wp-content/uploads/2018/06/digital-news-report-2018.pdf">lors de l’enquête 2018,</a> qu’ils envisageaient de le faire dans l’année à venir, la proportion des répondants qui ont réellement acheté du contenu est demeurée identique depuis (9 pour cent). </p>
<p>S’ils devaient choisir un seul service d’abonnement payant en ligne pour la prochaine année, 40 pour cent des répondants privilégieraient un service de diffusion de vidéos en ligne comme Netflix et 10 pour cent un service de diffusion de musique comme Spotify. Seulement 9 pour cent conserveraient un abonnement à des nouvelles en ligne. </p>
<p>Les Canadiens âgés entre 18 et 34 ans sont encore moins susceptibles (4 pour cent) que les autres de choisir un abonnement à des nouvelles s’ils n’avaient droit qu’à un seul service payant pour l’année à venir.</p>
<h2>Confiance et satisfaction</h2>
<p>Environ la moitié (52 %) des Canadiens disent faire confiance « à la plupart des informations, la plupart du temps ». Cette proportion a quelque peu varié depuis 2016 (voir graphique). La baisse depuis le pic de 58 % observé en 2018 est particulièrement importante parmi les francophones (-12 points) et les répondants de moins de 35 ans (-11 points). Il faut souligner que l’échantillon francophones a été sondé en février, au plus fort de <a href="https://www.ledroit.com/opinions/votre-opinion/snc-lavalin-la-reputation-du-gouvernement-trudeau-risque-detre-entachee-908b9f10128c19a4eb9810bcdbf70291">l’affaire SNC-Lavalin</a>.</p>
<p>Les répondants font nettement moins confiance aux nouvelles dans les médias sociaux et les moteurs de recherche qu’aux nouvelles en général, et encore moins qu’aux nouvelles qu’ils consomment. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/279226/original/file-20190612-32356-sjtvz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/279226/original/file-20190612-32356-sjtvz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/279226/original/file-20190612-32356-sjtvz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/279226/original/file-20190612-32356-sjtvz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/279226/original/file-20190612-32356-sjtvz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/279226/original/file-20190612-32356-sjtvz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/279226/original/file-20190612-32356-sjtvz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Niveau de confiance dans les nouvelles en général, nouvelles consommées, nouvelles dans les médias sociaux et les moteurs de recherche, 2016-2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">The 2019 Digital News Report</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le Canada et l'Irlande en tête pour la profondeur de la couverture médiatique</h2>
<p>Les Canadiens ont une opinion relativement positive du contenu journalistique qu'ils consultent, particulièrement en ce qui concerne les nouvelles de dernière heure et la profondeur des reportages et analyses. En effet, pour cette dernière considération, le Canada et l'Irlande sont en tête de la liste des pays sondés dans le Digital News Report.</p>
<p>Les Canadiens apprécient un peu moins le ton de la couverture médiatique et la pertinence des sujets choisis pour les reportages. Une majorité d'entre eux (60 pour cent) sont cependant d'accord pour dire que les médias de leur pays les aident à comprendre les nouvelles - parmi les proportions les plus élevées dans les 38 pays étudiés.</p>
<p>Enfin, la plupart semblent se prémunir contre la désinformation, surtout les jeunes répondants. Les deux tiers des Canadiens (70 pour cent) et les trois quarts des répondants de moins de 35 ans (76 pour cent) ont consulté plusieurs sources pour comparer la couverture d'un reportage. Ils ont décidé de ne pas partager le contenu lorsqu'ils n'étaient pas certains de son exactitude ou ils ont commencé à se fier davantage aux sources de nouvelles qui sont considérées plus fiables, entre autres pratiques. </p>
<p>Nous ne pouvons qu'espérer que ces bonnes habitudes se poursuivront pendant la campagne électorale fédérale de cette année au Canada et au-delà.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118729/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le Centre d'études sur les médias, organisme sans but lucratif, reçoit du financement du Ministère de la Culture et des Communications du Québec, de Bell Média par l'entremise du Programme des avantages tangibles du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications, ainsi que du ministère du Patrimoine canadien et du programme Mitacs Accélération. Les partenaires universitaires du CEM sont le Département d'information et de communication de l'Université Laval, l'École des médias de l'UQÀM et l'Université de Montréal.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>The Reuters Institute for the Study of Journalism receives funding from more than 30 different funders, including foundations, research institutes, media regulators, media companies, industry associations, and technology companies. See more here: <a href="https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/funders-0">https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/funders-0</a></span></em></p>Les Canadiens ont une confiance relativement élevée dans leurs médias comparativement à d'autres pays, mais cela ne signifie pas qu'ils veulent payer pour leurs nouvelles.Colette Brin, professeure et directrice du Centre d'études sur les médias, Université LavalRasmus Kleis Nielsen, Director of Research, Reuters Institute for the Study of Journalism, University of OxfordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/912022018-02-05T19:43:12Z2018-02-05T19:43:12ZFake news et complotisme, pourquoi une telle accélération ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/204637/original/file-20180202-19956-6m58kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un homme s’abrite de la pluie sous un journal en papier.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Newspaper_hat_in_the_rain.jpg">Olivier Colas (http://olouf.fr) / Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Alors que l’on cherchait encore comment lutter contre les messages complotistes, les <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/fakenews/">fake news</a> sont venues amplifier la confusion. Est-ce qu’on nous ment (fake news) ou bien est ce qu’on veut nous le faire croire (<a href="http://bit.ly/2BHpmOG">complotisme</a>) ? Sommes-nous victimes de manœuvres de <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/desinformation/">désinformation</a> destinées à nous manipuler ? Ou bien la hantise du mensonge et du complot qui obsède les médias n’est-elle que le fruit de la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/LORDON/57960">paranoïa des puissants</a> ? La fascination pour ces questions devrait nous encourager à remettre en question la situation qui les a fait naître.</p>
<p>Le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa a démontré à quel point l’<a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Acc_l_ration-9782707154828.html">accélération constante de nos sociétés</a> est source d’aliénation. Tout comme elle fait basculer le climat, notre course en avant n’est pas sans conséquence sur nos capacités d’information et de communication.</p>
<figure>
<iframe src="https://videos.univ-lorraine.fr/video.php?id=3632&width=754&height=450&autostart=false" width="100%" height="450" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Information Overload : The Escalatory Logics of Social Acceleration, conférence de Hartmut Rosa au XX<sup>e</sup> Congrès de la Société française des sciences de l’information et de la communication, à Metz, le 9 juin 2016.</span></figcaption></figure>
<h2>Google et Facebook prennent notre information de vitesse</h2>
<p>Depuis quelques années, deux <a href="https://cfeditions.com/geants/">géants</a> dominent plus particulièrement le paysage médiatique. Google et Facebook sont ce que l’on appelle des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Infom%C3%A9diaire">infomédiaires</a> : ils organisent le contenu produit par d’autres. Leur réussite économique s’appuie sur la captation des revenus publicitaires grâce à des technologies de ciblage alimentées par la collecte des <a href="http://www.monde-diplomatique.fr/2013/11/BENILDE/49783">données personnelles</a> de leurs utilisateurs. A eux deux, ils représentaient <a href="https://www.ft.com/content/cf362186-d840-11e7-a039-c64b1c09b482">84 %</a> des dépenses de publicité en ligne dans le monde en 2017 (Chine exceptée), un marché qui a désormais dépassé celui de la publicité télévisée.</p>
<p>Attiré par une apparente gratuité, chaque utilisateur produit pour Google ou Facebook plus de valeur qu’il n’en reçoit en retour. En dehors de quelques mouvements militants qui combattent l’idée que l’on puisse « vendre du temps de cerveau humain disponible », cette <a href="https://theconversation.com/la-monetisation-excessive-de-lattention-conduit-elle-a-laddiction-lurgence-a-la-deconnexion-numerique-87565">monétisation de l’attention</a> est un modèle d’affaire tout à fait accepté, comme en atteste le lancement en France d’une offre de téléphonie <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/01/23/blu-l-offre-mobile-gratuite-pour-les-jeunes_5246005_3234.html">« gratuite »</a> dont les jeunes abonnés (15-25 ans) pourront « bénéficier » en contrepartie de leur exposition volontaire à des publicités.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9uPhbTu-GcI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vous avez dit intermédiation algorithmique ?</span></figcaption>
</figure>
<p>Le modèle économique de la pseudo-gratuité <a href="https://theconversation.com/les-relations-incestueuses-entre-fakenews-et-publicite-81502">valorise le clic</a> quelle que soit la qualité de l’information qui se cache derrière. Plus les utilisateurs de Google et Facebook sont devenus nombreux, et plus il est devenu rentable de produire une information fausse ou approximative qui <a href="https://theconversation.com/le-putaclic-ou-lart-de-faire-du-mauvais-teasing-73929">incite au clic</a> plutôt que de produire une information vérifiée et de qualité. La gratuité grâce à la publicité reste source de <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-la-presse-quotidienne-gratuite-20-ans-de-prejuges-59040">préjugés</a> lorsqu’elle est le fait de la presse, mais ne semble guère émouvoir lorsqu’il s’agit d’accéder à de l’information en ligne. Facebook contrôle pourtant le fil d’actualités de <a href="https://theconversation.com/changement-dalgorithme-sur-Facebook-moins-de-contenus-medias-plus-de-recettes-publicitaires-90660">deux milliards de personnes</a> et se partage avec Google une part écrasante du marché de la publicité en ligne en l’absence de <a href="https://theconversation.com/publicite-numerique-et-encadrement-des-algorithmes-89389">régulation</a> de l’activité éditoriale de leurs algorithmes.</p>
<h2>L’impensé numérique borne les initiatives journalistiques</h2>
<p>Acculés, les mondes du journalisme réagissent par la <a href="https://theconversation.com/tout-risquer-pour-un-media-87012">prise de risque</a> en créant de nouveaux médias. Ils plébiscitent des modèles d’abonnement, de souscription ou de mécénat institutionnel afin d’échapper au modèle publicitaire. Derrière ces louables intentions, chaque initiative est dépendante de lecteurs et de financeurs qui continuent d’évoluer dans un environnement truffé de <a href="https://theconversation.com/comment-resister-aux-sirenes-dinternet-62920">pièges</a> destinés à détourner puis retenir leur attention.</p>
<p>Dans ce paysage, les jeunes médias sont des enclaves de résistance encore trop isolées. Les centrales d’abonnement telles que <a href="https://beta.lapresselibre.fr/">La Presse Libre</a> sont balbutiantes et n’apportent pour l’heure pas de facilité pour la consultation et de croisement d’information. Le développement de moteurs de recherche respectueux de notre vie privée (<a href="https://www.qwant.com">Qwant</a>) et de réseaux sociaux distribués (<a href="https://joindiaspora.com/">Diaspora</a>, <a href="https://mastodon.social">Mastodon</a>) offre des alternatives bienvenues pour bénéficier des fonctionnalités auxquelles nous nous sommes habitués sans en cautionner les dérives. Toutefois, ces services perpétuent les formes d’infomédiation inspirées par leurs (peu vertueux) modèles et – avec elles – l’<a href="http://www.sfsic.org/index.php/sfsic-infos-151/publications/3004-parution-l-impense-numerique-tome-1-des-annees-1980-aux-reseaux-sociaux">impensé</a> autour d’une technologie prétendument neutre.</p>
<p>La fronde vient aujourd’hui de l’intérieur. Des repentis tels que <a href="http://www.tristanharris.com/">Tristan Harris</a>, spécialiste du design des interfaces et ancien « philosophe produit » chez Google, lancent l’alerte contre le recours généralisé à la <a href="https://theconversation.com/captologie-et-economie-de-lattention-87140">captologie</a> : un domaine de recherche qui s’intéresse au potentiel de persuasion des technologies numériques. Fin 2017, d’anciens cadres de Facebook ont fait part à leur tour de leur <a href="http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/12/12/d-anciens-cadres-de-Facebook-expriment-leur-culpabilite-d-avoir-contribue-a-son-succes_5228538_4408996.html">sentiment de culpabilité</a> pour avoir exploité certaines vulnérabilités de la psychologie humaine à seule fin de récolter plus de données et sans se préoccuper des conséquences pour le tissu social. Pour ces enfants de la Silicon Valley bercés par la métaphore informatique, nous sommes victimes d’un <em>hacking</em> (piratage) de notre attention.</p>
<h2>Ni s’arrêter, ni ralentir : raisonner…</h2>
<p>Avec la multiplication des écrans et l’absence de régulation des messages et des techniques publicitaires qui y ont cours, les plus jeunes sont les premières victimes. Sur le front de l’<a href="https://theconversation.com/enfants-plus-decrans-plus-de-pub-et-de-surpoids-76837">alimentation</a>, les messages de santé publique sont dépassés par des publicités qui s’insinuent dans toutes les activités quotidiennes. Les apprentissages au cours de la <a href="http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/05/31/la-surexposition-des-jeunes-enfants-aux-ecrans-est-un-enjeu-majeur-de-sante-publique_5136297_1650684.html">petite enfance</a> comme à l’<a href="https://theconversation.com/plus-les-ados-sont-devant-les-ecrans-plus-leurs-notes-sont-mauvaises-49555">adolescence</a> sont mis en péril par l’attrait et l’accessibilité immédiate des écrans. Les adultes ne sont pas épargnés par les <a href="http://journals.openedition.org/rfsic/2910">effets délétères</a> d’un usage excessif des moyens de communication numérique : dépendance, symptômes dépressifs et anxiétés, peur de « rater quelque chose » (FOMO), peur d’être privé de son smartphone… L’artiste et concepteur d’interfaces Chris Bolin en a tiré l’inspiration de sa dernière création : <a href="https://chris.bolin.co/offline/"><em>Offline Only</em></a>, un appel à la déconnexion dont le texte n’est accessible qu’hors-ligne.</p>
<p>Les géants du Web sont conscients de la défiance montante à leur égard. Une défiance attisée par les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/12/MATE/58207">soupçons très médiatisés</a> d’ingérence étrangère dans plusieurs scrutins électoraux récents. C’est pourquoi ils s’emploient à redorer leur image en finançant la <a href="https://digitalnewsinitiative.com/">presse</a>, la <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/01/22/l-offensive-de-charme-de-Facebook-en-france-passe-par-de-nouveaux-investissements_5244958_3234.html">recherche publique</a> (qu’ils tentent même de <a href="http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/09/01/google-accuse-d-avoir-fait-pression-sur-un-think-tank-pour-obtenir-le-depart-d-un-de-ses-experts_5179785_4408996.html">contrôler</a>) et en organisant des <a href="https://learndigital.withgoogle.com/digitalactive/f2f">formations</a> en partenariat avec les établissements universitaires. Si la perte de confiance dans le travail journalistique et dans les connaissances scientifiques nourrit la difficulté grandissante à distinguer le vrai du faux, on peut douter que frayer avec ceux qui y ont concouru contribue à remédier à la situation.</p>
<p>C’est bien la responsabilité du monde académique que de mettre entre toutes les mains les armes de la raison : problématiser, expérimenter, démontrer, douter, réfuter… La bataille de la science contre les fake news est <a href="https://theconversation.com/science-contre-fakenews-la-bataille-est-engagee-90161">engagée</a>, elle passe sans contestes par l’éducation et la formation. Le prochain colloque des présidents d’université parle de <a href="http://www.cpu.fr/actualite/luniversite-comme-rempart-aux-fakenews/">« rempart »</a>. Il faut souhaiter que l’université soit plus que cela : en matière d’information, les murs ne sont guère plus recommandables qu’en matière d’immigration.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KMAfO5cX8OQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Des scientifiques face aux fake news.</span></figcaption>
</figure>
<h2>… et résonner !</h2>
<p>Dans une contribution récente à la revue <em>Questions de communication</em>, Hartmut Rosa suggère que le remède à l’accélération aliénante réside dans la quête de <a href="https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2017-1-page-437.htm">résonance</a>. Pour cet héritier de la théorie critique de l’école de Francfort, père de la « critique sociale du temps », il s’agit de rechercher la différence plutôt que ce qui nous est semblable, dans des conditions qui favorisent l’enrichissement mutuel. Telle n’est pas l’ambition d’un moteur qui nous aide à trouver ce que l’on recherche, ni d’un réseau qui nous permet de garder le contact avec ceux qui nous ressemblent. Google a maintes fois montré qu’il pouvait apporter des réponses <a href="http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2016/12/algorithmes-tondus-liberation.html">négationnistes</a> à certaines requêtes. Quant à Facebook, le récit d’une <a href="https://theconversation.com/au-dela-du-mur-lalgorithme-de-Facebook-mis-a-lepreuve-84295">récente expérimentation</a> à l’Université de Neuchâtel illustre combien ses utilisateurs s’y trouvent préservés toute remise en question de leurs convictions.</p>
<p>Les infomédiaires de la résonance restent à inventer pour nous aider à appréhender une réalité qui ne peut se résumer en termes d’assertions vraies ou fausses. On pourra s’intéresser au projet <a href="https://medium.com/firefox-context-graph/context-graph-its-time-to-bring-context-back-to-the-web-a7542fe45cf3">Context Graph</a> de la fondation Mozilla (éditrice du navigateur web Firefox) qui vise à recommander des contenus au regard du contexte dans lequel se trouve l’utilisateur plutôt que de son réseau social. La Fédération Internet nouvelle génération a, quant à elle, lancé une initiative en faveur d’une <a href="http://www.internetactu.net/2017/10/18/pour-un-retro-design-de-lattention/">conception d’interfaces respectueuse de l’attention</a> de ses utilisateurs.</p>
<p><em>Non moins ambitieuse, une expérimentation vient de débuter à l’Université de Lorraine autour d’un dispositif innovant d’accès aux contenus en ligne. Pour en savoir plus et vous inscrire afin d’être tenu informé de l’évolution de cette recherche-action, rendez-vous sur <a href="http://needle.univ-lorraine.fr">needle.univ-lorraine.fr</a></em>.</p>
<figure>
<iframe src="https://videos.univ-lorraine.fr/video.php?id=5796&width=754&height=450&autostart=false" width="100%" height="450" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption>
<span class="caption">Bande-annonce de <em><a href="http://needle.univ-lorraine.fr">needle</a></em> : tissons un réseau par les internautes, pour les internautes.</span></figcaption></figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/91202/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Falgas est porteur du projet "needle" : un service innovant de navigation web contributive ayant bénéficié du soutien de l'Université de Lorraine au titre de la valorisation non-économique de la recherche.</span></em></p>Les leaders de la publicité en ligne – Google et Facebook – prennent notre information de vitesse tandis que s’inventent de nouveaux infomédiaires plus respectueux de notre attention.Julien Falgas, Chercheur associé au Centre de recherche sur les médiations, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/590402016-05-17T20:31:17Z2016-05-17T20:31:17ZUn an après : La presse quotidienne gratuite, 20 ans de préjugés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/171996/original/file-20170602-18817-10b81dw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La presse gratuite vue par Rémi Malingrëy</span> <span class="attribution"><span class="source">Rémi Malingrëy</span></span></figcaption></figure><p><em>Un après sa publication, Rémi Malingrëy a porté un regard graphique et personnel sur cet article. Le moins que l'on puisse écrire est qu'il touche juste ! Si 20 Minutes annonce une année 2016 bénéficiaire, Libération a récemment révélé que Direct Matin, rebaptisé CNews Matin par son propriétaire Vincent Bolloré, avait perdu la bagatelle de 100 millions d'euros en 10 ans d'existence. La presse, gratuite ou non, n'a pas toujours d'objectif commercial quand des stratégies d'influence en motivent l'édition.</em></p>
<hr>
<p>Ils ont vingt ans, occupent des positions de leaders sur leurs marchés, mais sont loin d’être toujours rentables. Ils ont vingt ans, sont nés dans la polémique mais semblent vieillir dans l’indifférence. Ils ont vingt ans et font désormais partie du paysage médiatique : peut-être serait-il enfin temps de s’y intéresser vraiment ?</p>
<p>« Ils », ce sont les quotidiens gratuits d’information, nés en Suède en 1995 avec <em>Metro</em>, exportés depuis dans de nombreux pays d’Europe – à l’exception notable de l’Allemagne, où les puissants éditeurs de quotidiens payants les ont rapidement étouffés. Voués aux gémonies à leur lancement, ils furent notamment accusés de brader une information qui, pour être de qualité, devrait nécessairement être payante. Mais ils furent aussi perçus comme une menace pesant sur la répartition des ressources publicitaires entre médias déjà établis.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/122510/original/image-20160513-10652-1s2jawp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/122510/original/image-20160513-10652-1s2jawp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/122510/original/image-20160513-10652-1s2jawp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/122510/original/image-20160513-10652-1s2jawp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/122510/original/image-20160513-10652-1s2jawp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/122510/original/image-20160513-10652-1s2jawp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/122510/original/image-20160513-10652-1s2jawp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/122510/original/image-20160513-10652-1s2jawp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Journaux gratuits de Valence, en 2006.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/micora/121804437/in/photolist-bLhdv-465HZ-7u4PDV-oh4Gqc-7BsS3y-7pAxTZ-6kbSE-6nddha-53x9Re-2j1hKq-eVMWKm-fC86U-6tKAXY-53xo4V-8mmfUe-53xo4T-5iMDFZ-8mmijH-4s31GM-53x9Rx-6zGKPJ-6k1f2J-o3f1HM-6f1V7P-dMKPx6-7AvHZQ-rS4a6A-53x9Rt-5112c-8SD31n-5rk1Jy-87wbea-4FX8q2-8M4gDy-53x9Rn-5iMDG8-6vzQv8-96X3f-8Dix7K-98AUxW-7MMhwy-qXjB4j-pFprBZ-8zRfRp-BVAFZ-5zGe9i-E1kxCC-6Z4yYB-j7pMkh-3d2Y4e">Javier Micora/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Avec le temps et le développement à peine décalé d’Internet, accusé des mêmes maux et faisant planer les mêmes menaces, les quotidiens gratuits ont cessé d’être l’objet de polémiques pour devenir des acteurs sinon reconnus, du moins installés dans la sphère médiatique. Tellement bien installés d’ailleurs qu’on ne les discute plus, et qu’ils sont passés sous le radar des discours publics, des emballements médiatiques… mais aussi des études universitaires.</p>
<p>En France et ailleurs, trop peu de travaux leur sont consacrés. À tel point que la journée d’études <a href="http://crem.univ-lorraine.fr/la-presse-quotidienne-gratuite-en-europe-1995-2015-0">« La Presse gratuite en Europe, 1995-2015 »</a>, organisée le 16 mars, à Metz, par le <a href="http://crem.univ-lorraine.fr">Crem</a> et le <a href="https://www.liser.lu">Liser</a>, était la première spécifiquement consacrée à ce sujet. Et que parmi les six intervenants présents, seuls deux étaient francophones, les quatre autres venant de Suède, du Danemark, d’Autriche et d’Israël.</p>
<h2>Les gratuits : un mauvais journalisme ?</h2>
<p>Prenons donc au sérieux les quotidiens gratuits, et commençons par le reproche qui leur a sans doute été le plus souvent adressé : impossible d’être qualitatif quand on est gratuit ! S’il y a du journalisme dans les gratuits, celui-ci ne saurait être qu’au rabais…</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/122511/original/image-20160513-10691-bmqhsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/122511/original/image-20160513-10691-bmqhsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/122511/original/image-20160513-10691-bmqhsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/122511/original/image-20160513-10691-bmqhsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/122511/original/image-20160513-10691-bmqhsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/122511/original/image-20160513-10691-bmqhsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/122511/original/image-20160513-10691-bmqhsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/122511/original/image-20160513-10691-bmqhsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Journaux gratuits vandalisés au Danemark en 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/boegh/5676193692/in/photolist-67X5Ud-9DzYCu-oWDfL-e5yqdN-sP7Lr-jzLYd-sP7Kv-s1Hce-Fvx2dY-kBaUk-NDgH2-e6FGXu-53QzJc">Boegh/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La chercheuse danoise Kirsten Sparre, de l’Université d’Aarhus, a étudié cette question à travers l’exemple de <em>MetroXPress</em>, un gratuit populaire et largement diffusé au Danemark. Pour elle, trois critères permettent d’approcher la valeur qualitative d’un journal : la reconnaissance des autorités publiques, celle de la profession et les bases informationnelles de la production de contenus. Son travail, qui s’appuie notamment sur une analyse comparative avec les autres quotidiens danois, montre que <em>MetroXPress</em> fait pleinement partie du champ du journalisme traditionnel dit « de qualité ». Tout d’abord, son travail est légitimité par les institutions, qui lui ont donné accès aux subventions publiques, à l’instar des organes de presse payants.</p>
<p>La profession reconnaît également la valeur informationnelle du journal en intégrant certains de ses journalistes d’investigation dans la liste des nominés pour des prix en journalisme. Enfin, c’est la rédaction elle-même qui produit la majeure partie des contenus publiés – à rebours de l’idée généralement répandue selon laquelle les gratuits font essentiellement un travail de mise en forme de dépêches d’agences –, et certains de ses articles sont cités par les autres médias.</p>
<p>Les critères mobilisés, même s’ils n’épuisent pas la question de la « qualité journalistique », permettent à Kirsten Sparre d’avancer que les actions menées en interne (renforcement de la rédaction par le recrutement de journalistes notamment) et les interactions entre le gratuit et son environnement sont autant d’éléments signalant l’existence d’une valeur professionnelle reconnue. La chercheuse indique cependant que cette reconnaissance est acquise au détriment de la rentabilité, puisque <em>MetroXPress</em>, détenu par le groupe suisse Tamédia, demeure déficitaire en 2014.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/122512/original/image-20160513-10682-1q4epd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/122512/original/image-20160513-10682-1q4epd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/122512/original/image-20160513-10682-1q4epd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/122512/original/image-20160513-10682-1q4epd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/122512/original/image-20160513-10682-1q4epd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/122512/original/image-20160513-10682-1q4epd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/122512/original/image-20160513-10682-1q4epd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/122512/original/image-20160513-10682-1q4epd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">20 Minutes dans le métro parisien en 2006.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/flyone1106/123770962/in/photolist-bWmN7-8dRay1-kr6KB-8fcDT4-bpcSvj-CEzJ3N-7yfs46-bsGLsE-2hA9Rg-9MD7jo-edBb1X-7qAxSR-875pvv-dEaPHq-rNiBRq-dUBkDB-cuDNSy-6WVShD-dbHE4H-7WPTAV-cuYoEC-74mjpZ-ixCysV-c3AqMJ-8xwpGa-64fGf6-k2byYH-hbuUcg-8p8Cam-fPa4dP-atMLeP-bTwp2k-aqr8nQ-7jiK8o-m5kw6U-qzwBxT-bMQTBR-4mXwLS-rwZAjR-5Urqp6-byWdNu-4FJTsS-88qwuz-fCmr9X-87Ah6k-ngtNJf-avq84n-8XCgtL-fSS3v5-pKpBv2">Ren Kuo/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La domination des logiques commerciales</h2>
<p>En France, le quotidien <em>20 Minutes</em> semble avoir pris le chemin inverse. Lancé en 2002, il était mû à ses débuts par une logique éditoriale fondée sur le primat des valeurs journalistiques et une quête de légitimité orientée vers la reconnaissance par l’élite journalistique et les politiques. Le chercheur Mathieu Lardeau, de l’Université Clermont-Auvergne, constate, entre 2007 et 2009, un basculement vers une logique commerciale, dans laquelle la production de contenu est avant tout définie par une approche marketing, la légitimité étant cette fois recherchée auprès des seuls annonceurs. La double quête de reconnaissance et de rentabilité, et les tensions qu’engendre l’opposition des deux logiques institutionnelles observées par Mathieu Lardeau, ne sont pas spécifiques à la presse gratuite, mais elles y prennent un tour particulier, le maintien d’une diffusion gratuite de l’information reposant sur des recettes exclusivement publicitaires.</p>
<p>Dans ce contexte particulier, doit-on considérer que la dépendance totale envers les ressources publicitaires est nécessairement un élément desservant la qualité journalistique des gratuits et leur rôle démocratique ? Pas toujours, comme le montre Christian Lamour, du Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (Liser). Prenant pour objets deux gratuits : <em>L’Essentiel</em> (Luxembourg) et <em>20 Minutes</em> (édition de Lille, France), il analyse la couverture de certains événements par ces médias (installation d’IBM à Lille, réglementation du travail transfrontalier au Luxembourg).</p>
<p>Ici, les spécificités géographiques des aires de chalandise faisant vivre les quotidiens et la nature socio-économique du bassin régional de lecteurs-consommateur sont des clés essentielles pour comprendre la présence d’un contenu journalistique participant d’une manière centrale au débat public. Les journalistes de ces quotidiens n’ont pas une logique « éditorialisante », mais à travers le choix des titres, des photos, des sources mobilisées et des citations, ils génèrent des contenus révélant certains antagonismes sur les choix de société dans leur espace de diffusion, c’est-à-dire les régions métropolitaines. Ces deux journaux gardent une certaine distance par rapport au pouvoir politique et participent à la fonction démocratique de la presse. Mais, cela veut-il dire pour autant qu’il n’y a qu’un seul modèle économique et journalistique de presse gratuite ?</p>
<h2>Un modèle homogène ?</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/122513/original/image-20160513-10697-pbtuxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/122513/original/image-20160513-10697-pbtuxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/122513/original/image-20160513-10697-pbtuxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/122513/original/image-20160513-10697-pbtuxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/122513/original/image-20160513-10697-pbtuxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/122513/original/image-20160513-10697-pbtuxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/122513/original/image-20160513-10697-pbtuxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/122513/original/image-20160513-10697-pbtuxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le journal gratuit israel hayom est surnommé « le journal de Bibi ».</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En Israël, l’exemple d’<em>Yisrael Hayom</em> constitue à lui seul un démenti adressé à tous ceux qui voudraient croire que la presse quotidienne gratuite, parce qu’elle est quotidienne et gratuite, serait partout et toujours issue d’un même moule. Revenant sur l’histoire et les caractéristiques de ce titre, Michael Dahan, du Sapir College de Jérusalem, en dresse un portrait édifiant, qui met à l’épreuve toute tentative de catégorisation.</p>
<p>Pas question ici de journalisme « de qualité » ou de logique commerciale. Pas question non plus de propagande politique, comme on aurait pu s’y attendre pour un journal surnommé « Bibiton », « le journal de Bibi », autrement dit celui du premier ministre Benjamin Netanyahou. <em>Yisrael Hayom</em>, qui ne lui appartient pas mais ne lui veut certes pas de mal, ne s’attache pas à défendre sa politique, mais à promouvoir son image et celle de sa famille. Un peu maigre, comme ligne éditoriale ?</p>
<p>Cela ne l’a pas empêché de devenir le quotidien le plus lu en Israël, trois ans à peine après son lancement en 2007. Son excellente distribution, en particulier auprès des jeunes effectuant leur service militaire, et sa politique agressive en matière de publicité (tarifs divisés par deux par rapport à la concurrence, qui en souffre en retour) explique sa réussite en termes de lectorat… et son constant échec financier, le journal étant financé à perte depuis sa création par l’homme d’affaires américain Sheldon Adelson, qui y engloutit un à deux millions de dollars par mois. La présence durable de ce quotidien déficitaire signale que ces organes de presse n’ont pas nécessairement un objectif commercial.</p>
<h2>Une dépréciation professionnelle parfois intériorisée…</h2>
<p>Les gratuits sont installés dans le paysage médiatique d’un nombre grandissant de pays. Mais leurs journalistes ont-ils pour autant le sentiment d’effectuer une profession aussi valorisante que celle de leurs collègues employés dans la presse payante ? En Autriche, on pourrait le penser, d’autant plus qu’ils ont su amener de nouveaux publics vers la lecture de la presse. Au cours des dix dernières années, la diffusion des quotidiens gratuits a en effet progressé de près d’un million d’exemplaires par jour, quand les quotidiens payants en perdaient 241 000.</p>
<p>Ce succès public (+750 000 exemplaires quotidiens) ne semble pourtant pas convaincre les journalistes eux-mêmes. Marie-Isabel Lohmann, de l’université de Klagenfurt, montre que ceux qui travaillent dans les gratuits se perçoivent comme remplissant moins bien que leurs collègues de la presse payante les rôles traditionnels dévolus aux médias que sont la sélection, la vérification et la hiérarchisation de l’information, ainsi que tout ce qui relève du journalisme comme « quatrième pouvoir » (journalisme d’investigation et fonction de « chien de garde » de la démocratie). Inversement, ils estiment avoir plus de facilité à créer un lien, voire une interactivité, avec leur lectorat… même s’ils se disent aussi plus susceptibles d’être influencés par les logiques commerciales.</p>
<h2>Quel avenir pour les gratuits ?</h2>
<p>Au menu de cette journée d’études auront manqué des réflexions sur les représentations de la ville véhiculées par la presse quotidienne gratuite (création d’une « humeur marchande » positive ou animation d’espaces publics démocratiques ?), sur les pratiques urbaines dans lesquelles elle s’insère (transports, temps morcelé, routines quotidiennes…). Le format proposé était évidemment trop court pour faire le tour d’une question aussi complexe, mais les éclairages internationaux dont elle a bénéficié permettent d’affirmer qu’il n’existe pas un modèle unique de presse quotidienne gratuite.</p>
<p>Vingt ans après ses premiers pas, elle emprunte aujourd’hui des chemins très différents selon les contextes, certains en direction d’une qualité journalistique qui lui vaudrait la reconnaissance de ses pairs, d’autres guidés par un intérêt financier qui met au premier plan l’augmentation des audiences et des recettes publicitaires, d’autres encore pavés d’intentions promotionnelles, pour ne pas dire propagandistes. Où mènent ces chemins ?</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/122514/original/image-20160513-10682-6nwlfc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/122514/original/image-20160513-10682-6nwlfc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/122514/original/image-20160513-10682-6nwlfc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/122514/original/image-20160513-10682-6nwlfc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/122514/original/image-20160513-10682-6nwlfc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/122514/original/image-20160513-10682-6nwlfc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/122514/original/image-20160513-10682-6nwlfc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/122514/original/image-20160513-10682-6nwlfc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Présentoir de Metro à Stockholm en 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ingolfbln/11125143495/in/photolist-hX6gyT-hX5HYs-hX5NeT-hX7iyF-6R477W-8rTpyT-7v63aJ-8cT2d3-dQ8MXQ-i3Dbf-paL5yG-9Jd5G3-hX6zSK-hX6LMy-hX6vPK-pqB4A4-uxbPR-9VFezW-i3DGN-i3DNC-9Jaf5R-dbepcX-i3Cyx-hX7AoT-hX6431-i3DWs-9JafJx-hX5DFw-i3CKY-9JaeYM-nyFbwk-hWFzSy-hCtCuR-2EJCp8-hCuzem-hX29gq-hAFoNt-hWD9Dk-hCuFQB-hUdTQW-hVskDp-dB2qb8-hUeSUn-hWzZZq-2EJCmv-hVsimt-hWAqhT-hX8vAM-hX2oow-hVq8th">Ingolf/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La presse quotidienne gratuite a-t-elle encore un avenir dans un monde où le premier mode de consommation de l’information tend à devenir le smartphone, objet mobile susceptible de vampiriser les temps et les lieux dans lesquels les gratuits avaient pu se faire une place ? De premiers résultats encore partiels, présentés par Ingela Wadbring, chercheuse à l’université de Gothenburg, semblent indiquer qu’il n’y a pas – encore ? – de cannibalisation de l’audience des gratuits par les dispositifs numériques mobiles. Le smartphone ne tuera donc pas les quotidiens gratuits, mais il représente un élément de plus dans un marché des médias à la fois de plus en plus concurrentiel et de plus en plus concentré.</p>
<p>Toujours puissants aux États-Unis, en développement en Chine, les quotidiens gratuits ont commencé à décliner en termes de diffusion et de nombre de titres en Europe après 2007, <a href="http://ojs.statsbiblioteket.dk/index.php/journalistica/article/view/15802">année de leur expansion maximale</a>. Moins de lecteurs, moins de journaux (en France, <em>Metronews</em> a cessé sa parution papier en 2015, ne reste plus que <em>20 Minutes</em>, à peine bénéficiaire en 2014, et <em>Direct Matin</em>, déficitaire), des difficultés à rester rentable dans un marché publicitaire lui aussi contraint : comme si les quotidiens gratuits cumulaient les difficultés de la presse papier payante et des sites d’information gratuits en ligne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/59040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Deux décennies après le lancement du premier quotidien gratuit en Suède, où en est le marché de ces médias alternatifs dérangeants ?Loïc Ballarini, Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université de LorraineAudrey Alvès, Maître de conférences en sciences de l'information et de la communication, CREM, Université de LorraineChristian Lamour, Chargé de recherche, Sciences de l'Information et de la Communication,, Luxemburg Institute of Socio-Economic Research (LISER)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/496732015-10-27T01:46:58Z2015-10-27T01:46:58ZChercheurs, votre travail est payé avec des fonds publics ! (2e catilinaire)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/99642/original/image-20151026-18446-yloeoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bibliothèque Universitaire, sciences.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/vocivelo/15156238059/in/photolist-p6iCMZ-p6iFxi-p6iDF2-p6iRFW-p6jT9F-pnMf2j-p6jvFS-p6iVZq-5EiJ7j-7PGpnu-mq634v-8GvJSC-2NrWpi-5saKew-a38scB-8H9C8V-5ZQuvQ-7d28xp-7b7AWb-xXpGK-5aXQpX-7d2dmR-7V4QRp-7b3L54-7b3KLz-7b3Mwr-7b3LwB-sZMNn-7b3Pix-7b7Cn9-7d24Kx-7d2cPc-7FgGqW-JmJcT-dfbMzX-5v52kZ-5v51Y6-5v51M6-7d26JX-7b7ysU-6TsnjD-dhWH8L-7b7Bxf-7b3Pjt-7b7AcA-7b7B7u-7b3NTB-7d26sX-7d29wX-79gKEo/">Anne Guegan / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Suite à mon billet contre les éditeurs, plusieurs amis m’ont fait remarquer qu’une autre catégorie portait sa responsabilité dans la prise en otage du savoir : nous, les chercheurs.</p>
<p>En effet, le modèle pervers des maisons d’édition – cautionné et revendiqué par une partie de leurs dirigeants dans <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/10/07/l-edition-de-savoir-ne-doit-pas-etre-soumise-au-seul-modele-de-la-gratuite_4784119_3232.html">cette tribune publiée par <em>Le Monde</em></a>, tout à la fois délirante et drôle – est soutenu par les pratiques des chercheurs et par leur – notre – indifférence quant à la circulation de leurs – nos – productions intellectuelles.</p>
<h2>Le travail des éditeurs ?</h2>
<p>Mais avant d’attaquer mes collègues, je reviens un instant sur les déclarations des amis éditeurs dans leur tribune publiée sur <em>Le Monde</em>. Ceux-ci proclament que les éditeurs font un grand travail de sélection, de mise en forme et de diffusion…</p>
<p>La sélection, du côté des éditeurs, est faite selon des critères commerciaux : ils choisissent le plus vendeur. La sélection scientifique est réalisée par les chercheurs eux-mêmes – avec le <em>peer review</em>. Par ailleurs, les directeurs de collection – qui font les choix de publication – sont très souvent des universitaires non rémunérés.</p>
<p>La mise en forme ? Plusieurs des signataires de la tribune dirigent des maisons d’édition qui ne payent même pas un relecteur pour corriger les manuscrits – je le sais par expérience. Ce qu’ils nous font payer, c’est uniquement une impression, très souvent de mauvaise qualité – désormais peu de personnes distinguent une impression offset d’une impression numérique et je constate que la plupart des livres publiés par ces « grands » éditeurs sont imprimés en numérique.</p>
<h2>La responsabilité des chercheurs</h2>
<p>Mais, chers collègues, la responsabilité est aussi la nôtre. Pour plusieurs raisons :</p>
<ol>
<li><p><strong>La gestion de nos carrières.</strong> Avouons-le, ce qui nous intéresse est de faire carrière et d’être mieux payé. Et nous publions pour pouvoir ajouter une ligne sur notre CV. Donc, pourquoi se soucier de la diffusion et de l’accessibilité ? Nous préférons obtenir un bon tampon d’un grand éditeur afin de satisfaire le comité de promotion, qui risque au contraire de ne pas (ou mal) considérer une publication numérique hors des circuits classiques.</p></li>
<li><p><strong>Nous aimons « le papier ».</strong> Cette attitude snob n’a pas lieu d’être. J’aime beaucoup la mer, mais je ne demande pas qu’on me paye avec les fonds publics mon séjour sur une plage grecque. Le papier est un luxe : si nous l’aimons, nous n’avons qu’à l’acheter – en finançant ainsi les éditeurs qui pourront continuer à en publier. Les fonds publics payent la production et la diffusion des contenus, non le plaisir de toucher les pages d’un ouvrage. D’autant que la plupart d’entre nous ignore tout du processus de production d’un livre et ne fait aucune différence entre un beau livre (imprimé en offset par exemple) et un objet médiocre (certaines impressions numériques dont les pages se décollent immédiatement).</p></li>
<li><p><strong>Nous manquons de temps.</strong> Il s’agit là d’un argument fréquent lorsqu’on demande aux collègues de faire l’effort de mettre leurs textes à disposition dans une archive institutionnelle – ce que la plupart des éditeurs permettent ! Vous n’avez pas le temps ? Vous êtes pourtant payés pour ça ! Que penser d’un médecin qui, après vous avoir diagnostiqué, vous annoncerait qu’il n’a pas le temps de rédiger votre ordonnance ?</p></li>
</ol>
<h2>Deux solutions possibles</h2>
<p>Je suggère aux amis qui croient à la nécessité morale de l’<em>open access</em> d’arrêter de citer les textes qui ne sont pas en accès libre. Et je propose aux institutions d’arrêter de comptabiliser les textes non libres pour des fins de carrière. Je ne vois pas pourquoi l’institution devrait prendre en compte un travail qu’elle a déjà payé deux fois et qui ne lui a pas été livré.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/49673/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marcello Vitali-Rosati ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Certes les éditeurs ne font pas toujours leur travail. Mais les chercheurs eux-mêmes, par leurs motivations affichées ou cachées, ont une grosse responsabilité.Marcello Vitali-Rosati, Professeur agrégé au département des littératures de langue française, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/496702015-10-26T02:12:56Z2015-10-26T02:12:56ZÉditeurs, arrêtez de prendre en otage la connaissance ! (1e catilinaire)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/99453/original/image-20151023-27625-t9kb2j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Livres d'occasion à "La caverne aux livres", Auvers-sur-Oise </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/gadl/395079578/in/photolist-AUToS-NcwU6-ehsC78-7rBzAv-ALEcX-jM5eLP-NcwTp-ALEcN-AUToY-mb8Pig-qv8zgs-4Dk2Rq-ARfuS-5e8m37-8kZBpk-565ENB-cYpuyW-kDY4Rg-rgWzXh-oiaAo-f7i4aH-9xdWcw-jK3rfB-Q31yW-oNSXFj-jK3rJc-jD5Jd7-jK88GJ-p6cRA6-8nwyww-fananM-49jdwd-f1Rq5x-mGazh7-QgC5t-jLrf5R-jCXope-jLttB5-8V4G8p-f8Hupd-jD3F7T-7hCwVU-2krYEh-jD1UQQ-ebjXCf-iU88mg-jD13gb-e5iS5q-jK61eD-c3LKPf">Alexandre Duret-Lutz / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Quo usque tandem abutemini, editores, patientia nostra ?</em></p>
<p>Mon cri est un cri de désespoir : depuis des années, ma pratique de chercheur et d’enseignant est sabotée par les éditeurs ! Oui, les éditeurs, ceux qui sont censés « diffuser » la connaissance, ceux qui se plaignent du numérique qui les pénalise, ce sont ceux-là même qui prennent en otage la connaissance et qui me mettent dans l’impossibilité d’enseigner et de faire de la recherche correctement.</p>
<h2>Des éditeurs qui éditent mais ne diffusent pas</h2>
<p>Quelques exemples ? Dans mon récent séminaire « Littérature et culture numérique », j’ai mis au programme une dizaine de livres – tous publiés après 2011 ! – et la quasi-totalité d’entre eux est introuvable. Les étudiants sont désespérés. J’essaie de soutenir les librairies indépendantes et ai, dès le mois d’avril dernier (en prévision de mon cours débutant en septembre), commandé ces livres chez un libraire proche de l’université. À la rentrée, les livres n’y sont pas. Le libraire me dit qu’ils sont indisponibles chez le fournisseur – en six mois, impossible de les avoir. Je conseille donc aux étudiants de les chercher en ligne : sur Amazon, on trouve parfois des exemplaires prêts à être livrés mais, souvent, un délai de 3 semaines est annoncé. Seule possibilité : acheter la version numérique, les rares fois où celle-ci existe. Morale de l’histoire ? Les étudiants achètent sur Amazon la version Kindle ou bien je numérise ma copie et la leur donne. Dix livres, publiés dans différentes maisons d’édition académiques, tous indisponibles !</p>
<p>Les maisons d’édition ne distribuent pas, même pas dans la forme la plus simple : rendre le livre disponible sur une plateforme de vente en ligne (voire même sur leur propre site). Et la plupart ne propose pas de version numérique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/99454/original/image-20151023-27615-ep3xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/99454/original/image-20151023-27615-ep3xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/99454/original/image-20151023-27615-ep3xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/99454/original/image-20151023-27615-ep3xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/99454/original/image-20151023-27615-ep3xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/99454/original/image-20151023-27615-ep3xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/99454/original/image-20151023-27615-ep3xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Au Salon du Livre de Paris 2015, quelques vaillants petits éditeurs.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/actualitte/16881128806/in/photolist-rHJcsW-zFt9Xn-o1aUiw-5gAMDB-ohnNR2-o1cosK-ojqYHF-ofDfXs-98Nq4B-dC5MuA-5opjUJ-ohugcu-o1aZWf-ofCdpy-ohtiPf-o1cAQF-ohudN1-ohC7qU-o1bAYt-ohBxo1-ohnDhn-54XmWz-ohoz1p-8U5Ebx-ojqznn-o1b2Jq-o1bddj-ohtSDy-ohCath-ohEghk-o1aAFN-o1b93C-o1aKLc-o1acVQ-o1cyi6-dAP63G-dAP4uw-dxs2K1-fgr8nr">ActuaLitté/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quelques précisions avant de continuer ma catilinaire. Première chose : je parle ici surtout de l’édition savante – ce que je dis ne s’applique pas immédiatement à l’édition littéraire ou à d’autres. Deuxième chose : le monde de l’édition me tient à cœur, je suis moi-même très actif dans ce domaine, j’ai fondé autrefois une maison d’édition, je suis directeur de collection aux Presses de l’Université de Montréal, j’aime toujours autant le papier bien que j’enseigne le numérique : je ne pense pas que les maisons d’édition doivent disparaître. Malheureusement, je pense qu’elles sont en train de tout faire pour disparaître. Troisième chose : bien évidemment, il y a des exceptions et de – rares – maisons d’édition qui font leur travail.</p>
<h2>Certains éditeurs travaillent à leur propre perte</h2>
<p>En quoi le modèle actuel me semble-t-il aberrant et en quoi les éditeurs sont-ils responsables de leur propre perte ?</p>
<ol>
<li><p>Il faut d’abord souligner que ces livres sont très souvent le fruit de recherches payées par l’université, qui ensuite – directement (bibliothèques) ou indirectement (étudiants, professeurs) – les rachète. L’auteur n’est pas payé par la maison d’édition, mais par son employeur : l’université. De plus, la plupart du temps, l’éditeur est payé pour son travail – par les financements publics concernant les publications savantes. Au cours des années, l’éditeur savant a accumulé le privilège d’être payé à l’avance sur ce qu’il publie. Pourquoi est-il payé ? Pour faire un travail d’édition (correction, mise en page…) mais aussi (et surtout) pour diffuser. Avant le numérique, l’unique système de diffusion était le papier ainsi que les canaux des maisons d’édition. Certes, aujourd’hui on se demande pourquoi laisser aux éditeurs ce privilège : les corrections et la mise en forme peuvent être faites au sein de l’université – les maisons d’édition demandent d’ailleurs déjà en partie l’aide non payée des universitaires pour l’évaluation des manuscrits – et la diffusion peut se faire pratiquement gratuitement sur le web. Pourquoi alors paye-t-on les éditeurs ? Cela aurait du sens si le travail de diffusion était excellemment fait et que les contenus devenaient véritablement visibles et accessibles. Mais c’est dans les faits tout le contraire.</p></li>
<li><p>La diffusion peut-être garantie sous plusieurs formes : certaines sont plus difficiles à mettre en place que d’autres. La faute des maisons d’édition est de n’en tenter aucune. La première manière d’assurer la diffusion est de faire en sorte que le livre soit présent dans les librairies, si possible en vitrine. Il serait évidemment important de s’assurer également de la couverture médiatique. Les maisons d’édition arrivent rarement à garantir ce type de distribution, mais il est clair que cela ne dépend pas seulement d’elles. Les diffuseurs se font payer cher et ne sont pas enclins à prendre des risques, les libraires non plus. Trop de livres sont publiés et les livres universitaires n’ont pas leur place dans les librairies. En même temps, les éditeurs pourraient cibler une distribution plus restreinte – par exemple, la librairie située juste à côté de l’université où enseigne l’auteur, la même qui est fréquentée en premier lieu par ses étudiants. Mais soit, on peut leur pardonner pour ça aussi. Une autre voie est de rendre le livre disponible sur les plateformes en ligne – on peut ne pas aimer Amazon, mais il y en a beaucoup d’autres. Je me suis moi-même chargé de le faire pour une maison d’édition et il n’y a rien de plus simple – il suffit de suivre le processus et de vérifier que tout va bien. Pourquoi ne le font-ils pas ? La dernière manière est de mettre à disposition des lecteurs potentiels une version numérique – peu coûteuse à produire, toujours disponible et facile à acheter : pourquoi ne le font-ils pas ?</p></li>
</ol>
<p>La réponse est simple : pourquoi se soucier de diffuser un livre lorsque l’on est déjà payé ? Pourquoi risquer ? Pourquoi perdre du temps ? Les maisons d’édition aiment leurs privilèges : elles sont payées pour prendre un texte – qui a lui aussi déjà été payé –, le corriger (pas toujours), le mettre en page, l’imprimer et le mettre dans un carton. L’impression est payée en amont par les organismes subventionnaires, les corrections et la mise en forme aussi. Pourquoi perdre du temps et risquer de l’argent pour distribuer ? À la limite, et sans rien faire, des bibliothécaires hautement motivés pourront démarcher intensément afin d’arracher quelques copies du carton – en les payant bien comme il faut.</p>
<p>En bref, nous payons les maisons d’édition avec de l’argent public pour prendre en otage la connaissance que nous produisons avec des fonds publics.</p>
<p>Ce modèle est aberrant : soit il est amené à changer, soit les maisons d’édition doivent disparaître.</p>
<p>Certes, elles se plaignent de l’apparition du numérique, car cette « nouveauté » remet en question leur équilibre : d’autres modèles sont possibles.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/99452/original/image-20151023-27587-1cgitl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/99452/original/image-20151023-27587-1cgitl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/99452/original/image-20151023-27587-1cgitl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/99452/original/image-20151023-27587-1cgitl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/99452/original/image-20151023-27587-1cgitl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/99452/original/image-20151023-27587-1cgitl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/99452/original/image-20151023-27587-1cgitl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/99452/original/image-20151023-27587-1cgitl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Livre numérique…</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ownipics/4837494207/in/photolist-8ntqux-bjKwCZ-ayudXh-jLttMK-s27oY9-7rBzGc-sgAPC4-5V4qA7-6N8S6F-jK6D2B-jD2qLG-5R2LKy-hgkJ2L-jLsFBF-qV49af-jLs6Xp-4FqD6R-BCx9d-jLttad-oWgrnD-kxuzV6-6yYXHm-2g8M1e-4kqctR-jLrgZT-p52jnv-ayucC9-dDcTx1-btY3ug-tT7ss3-76x5H9-7s5Xrq-hmTrik-p6daFA-htmxCc-Q31Ay-tWvFQr-7ke2oz-7s1ZVZ-fFpMj6-5ox3HC-jDdgMg-bA6giF-jK88VE-asTVeU-qQohCi-doyMhK-jK4enB-QgC8t-pDVZCr">Owni/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les solutions passent par la gratuité</h2>
<ol>
<li><p>Les connaissances universitaires doivent être mises à disposition en accès libre : elles sont payées par le public. Il semble donc nécessaire que tous les livres produits soient disponibles gratuitement sur le web. C’est un impératif moral, mais aussi économique : les livres en accès libre sont plus visibles et vendent davantage (c’est ce qu’a démontré l’expérience de la collection Parcours numériques). Dans un monde noyé sous les publications, mettre les ouvrages en accès libre est la meilleure manière d’en faire la publicité.</p></li>
<li><p>Il faut réduire ou repenser les financements accordés aux maisons d’édition : de cette manière, elles reviendront à leur métier premier qui est – entre autres – de vendre des livres. Un livre devrait en premier lieu être publié en accès gratuit sur le web. Puis, si un éditeur y croit et a envie de risquer, il pourrait le publier en papier tout en sachant que son retour sur investissement proviendra de la vente : il sera alors poussé à le distribuer. Une solution serait de financer les maisons d’édition sur la base de la diffusion – pas des ventes, mais de la disponibilité. Si le livre n’est pas disponible, pas de financement.</p></li>
<li><p>Les éditeurs doivent mettre en place des stratégies intelligentes de diffusion. Par exemple : sauter le diffuseur et cibler des librairies universitaires ou spécialisées particulières – comme la librairie à côté de l’université où enseigne l’auteur. La présence des ouvrages sur plusieurs plateformes de vente en ligne est aussi nécessaire, tout comme la disponibilité d’une version homothétique numérique (PDF, ePub).</p></li>
<li><p>Il est nécessaire de comprendre que le numérique et le papier peuvent être complémentaires – j’en ai déjà parlé dans un <a href="http://blog.sens-public.org/marcellovitalirosati/le-futur-du-livre/">précédent post de blogue</a>. Le fait de rendre des connaissances disponibles gratuitement en ligne ne réduit pas automatiquement les ventes, bien au contraire. Le métier de l’éditeur est aussi de penser l’arrimage de ces deux formes et d’utiliser ses compétences en matière de diffusion de la connaissance afin de proposer des modèles de lecture et de présentation de contenus différents selon les environnements et les publics.</p></li>
</ol>
<h2>Éditeurs, oubliez vos privilèges pour retrouver votre prestige !</h2>
<p>Pour résumer, si les éditeurs veulent continuer à exister, il faut qu’ils oublient leurs privilèges et qu’ils recommencent à proposer les services qui ont rendu leur existence nécessaire depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle : leur capacité à mettre en forme un contenu, à l’adapter au public, à le décliner sous différentes formes, à le rendre compréhensible, agréable et disponible et, enfin, à le faire circuler.</p>
<p>Chers éditeurs, vous pouvez le faire ! La perte de vos privilèges pourrait être, si vous la saisissez, l’opportunité de renouer avec votre prestige passé.</p>
<p>En attendant, je continue de rêver à un monde où les éditeurs recommenceraient à nous aider à faire circuler le savoir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/49670/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marcello Vitali-Rosati ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les éditeurs scientifiques et techniques font-ils vraiment leur travail de diffuseurs de la connaissance ? Pas sûr. Et si la solution passait par une diffusion gratuite des savoirs ?Marcello Vitali-Rosati, Professeur agrégé au département des littératures de langue française, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.