tag:theconversation.com,2011:/global/topics/parti-socialiste-ps-20140/articlesParti socialiste (PS) – The Conversation2024-01-04T21:57:08Ztag:theconversation.com,2011:article/2204422024-01-04T21:57:08Z2024-01-04T21:57:08ZJacques Delors, le premier dirigeant politique européen<p>Jacques Delors, qui s’est éteint le 27 décembre dernier à 98 ans, restera dans l’histoire comme l’homme de la relance de l’Europe.</p>
<p>Il façonna ce personnage durant son mandat de président de la Commission européenne (1985-1995), dix années au cours desquelles il joua un rôle décisif et novateur : il a, tout simplement, inventé la fonction de dirigeant politique européen, et a été le premier à l’exercer.</p>
<h2>Père fondateur, non ; bâtisseur, oui</h2>
<p>Il n’a pas été l’un des <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20311-quelles-sont-les-personnalites-lorigine-de-la-construction-europeenne">« pères fondateurs de l’Europe »</a>. Non seulement parce qu’il appartient à la génération d’après : les fondateurs (Adenauer, Schuman, Spaak, Beyen, Bech, De Gasperi, Martino, Hallstein, Mollet – ainsi que Monnet qui n’est jamais entré en politique) sont nés entre 1875 et 1905, alors que Delors est né en 1925 ; mais aussi parce que les fondateurs ont été avant tout des dirigeants nationaux – certes décidés à unir leurs pays, à les reconstruire ensemble et à mettre fin à l’état de guerre entre eux. C’est à cet effet qu’ils inventèrent dans les années 1950 la supranationalité : ils instituèrent la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-traite-de-paris-1951/">par le traité de Paris de 1951</a> puis la Communauté économique européenne (CEE) <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-traites-de-rome-1957/">par le traité de Rome de 1957</a>. Lorsque Delors arrive au pouvoir comme ministre français des Finances en 1981, tout ceci est acquis.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/1957-2017-que-reste-t-il-des-traites-de-rome-70791">1957-2017 : que reste-t-il des traités de Rome ?</a>
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<p>Si Delors n’a pas été à l’origine de la construction européenne, il lui donne un coup d’accélérateur décisif lors de ses dix années à la tête de la Commission. Sous sa férule réformatrice, le marché commun du traité de Rome devient le marché unique – institué par <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/l-acte-unique-europeen-1986/">l’Acte unique européen de 1986</a> entré en vigueur en 1992, puis l’Union européenne avec le <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-traite-de-maastricht-1992/">traité de Maastricht</a> qui entre en vigueur en 1993.</p>
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<p>Émerge un véritable territoire politique européen : l’Acte unique mutualise des pans entiers de souveraineté puisqu’il n’y a plus d’obstacle à la mobilité des femmes et des hommes, ni à la circulation des biens et des services. C’est le temps de la création des programmes de mobilité étudiante <a href="https://www.cairn.info/erasmus-et-la-mobilite-des-jeunes-europeens--9782130581260-page-1.htm">Erasmus</a> et <a href="https://www.etudionsaletranger.fr/programme-leonardo/le-programme-leonardo">Leonardo</a> ; de l’essor d’une politique régionale dite de <a href="https://www.touteleurope.eu/l-europe-en-region/qu-est-ce-que-la-politique-de-cohesion-de-l-union-europeenne/">cohésion</a> – sorte de plan Marshall permanent de soutien aux régions et aux pays les moins prospères ou en crise ; et de l’instauration d’une politique européenne de R&D très bien financée (<a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2017/608697/EPRS_IDA(2017)608697_FR.pdf">PCRD</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1984/08/06/europe-160-millions-de-dollars-pour-le-programme-esprit_3009596_1819218.html">Esprit</a>, <a href="https://www.entreprises.gouv.fr/fr/numerique/ressources/eureka">Eureka</a>, bientôt suivis d’Airbus, de Galileo et du spatial en lien avec <a href="https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/Des_faits">l’Agence spatiale européenne</a>).</p>
<p>Le marché unique s’est lui-même fondu dans l’Union européenne du traité de Maastricht. Signé en 1991, entré en vigueur en octobre 1993, « Maastricht » mutualise des éléments de la souveraineté régalienne : justice, police, affaires étrangères, défense le sont à petits pas et très partiellement. La monnaie, elle, est totalement mutualisée, et Delors est personnellement très impliqué puisqu’à la fin des années 1980, il a présidé l’instance qui invente l’euro.</p>
<p>Margaret Thatcher, qui n’a pas vu venir cette dynamique à laquelle elle tenta, seule souverainiste du Conseil européen, de s’opposer, fut poussée à la démission par sa propre majorité parlementaire en 1990.</p>
<p>Au passage, la Commission Delors accompagne avec finesse l’unification de l’Allemagne et l’intégration de l’ex-RDA dans la CEE, ainsi que <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/801">l’élargissement</a> en 1995 à trois pays neutres (la Suède, la Finlande et l’Autriche) et l’association à l’UE des pays de l’Est libérés du communisme et <a href="https://www.cvce.eu/obj/conclusions_du_conseil_europeen_de_copenhague_extrait_sur_les_criteres_d_adhesion_a_l_ue_21_22_juin_1993-fr-24104be4-664b-41b8-8e16-756c57868498.html">devenus candidats</a> – trois développements totalement imprévus et rendus possibles par la fin de la guerre froide et de l’URSS.</p>
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<p>Delors incarne mieux que tout autre le passage de la CEE à l’UE et de l’Europe des Dix à l’Europe des 25. Bien entendu, il n’était pas seul. L’Europe était et demeure, selon <a href="https://www.cvce.eu/histoire-orale/unit-content/-/unit/07f58085-4b00-405f-a403-a603c1397fd5/7a55379d-7ca2-4086-bcda-61ed3ad44b17/Resources">sa propre formule</a>, une « fédération d’États-nations ». La construction européenne met effectivement en place une <a href="https://theconversation.com/lavenement-de-letat-europeen-un-etat-baroque-unique-au-monde-143328">sorte d’État fédéral</a> qui associe non pas des États fédérés mais des États souverains ; non pas des peuples mais des nations, indépendantes et politiquement construites.</p>
<p>Delors fut le premier à mettre en scène le système politique européen et à en utiliser tout le potentiel. Dès la rédaction collective de l’Acte unique, il favorise le renforcement progressif des pouvoirs du Parlement européen, historiquement bien moindres que ceux du Conseil (nom donné au parlement des États membres) et donc le caractère bicaméral de la CEE. En incarnant la Commission européenne, il lui fait jouer pleinement son double rôle d’administration centrale des politiques publiques européennes et d’inspirateur de dispositifs et de solutions à décider par les États. Il téléphone régulièrement aux chefs de gouvernements pour avancer, proposer, négocier ; il en tutoie un certain nombre. Il est des leurs. Ils l’ont d’ailleurs choisi, en 1984, en connaissance de cause.</p>
<h2>1984 : le candidat idéal</h2>
<p>Cette année-là, les dirigeants des Dix, à qui il revient de choisir ensemble le ou la présidente de l’exécutif européen, veulent désigner un président de la Commission fort. Car la commission qui entrera en fonctions en janvier 1985, aura fort à faire. Au <a href="https://www.deezer.com/fr/episode/399246497">sommet de Fontainebleau de juin 1984</a> que préside François Mitterrand, les Dix se sont mis d’accord pour relancer la construction européenne : au prix tout relatif du compromis sur le <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/budget-europeen-qu-est-ce-que-le-rabais-britannique/">rabais britannique</a>, ils mettent fin au blocage budgétaire exercé par le gouvernement de Margaret Thatcher depuis 1979, ouvrent grand la porte à l’Espagne et au Portugal, <a href="https://www.cvce.eu/recherche/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/d4c04734-67dc-4e67-8168-1f996b10672f">qui adhéreront en 1986</a>, annoncent la création du passeport européen, la suppression des contrôles aux frontières internes de la CEE, l’équivalence des diplômes universitaires au sein de la CEE, la création d’un drapeau et d’un hymne européens et, <em>last but not least</em>, la mise en place d’un « comité Spaak » destiné à <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20670/1984_juin_-_fontainebleau__fr_.pdf">approfondir la construction européenne et sa vie politique</a>.</p>
<p>Pour ces dirigeants de l’Europe des Dix – Kohl, Mitterrand, Craxi, Martens, Lubbers, Santer, Thatcher, FitzGerald, Schlüter et Papandreou –, Delors sera <em>the right man at the right place</em>. Il a la confiance des trois leaders socialistes, puisqu’il est l’un des proches de François Mitterrand depuis le milieu des années 1960, mais aussi celle des cinq démocrates-chrétiens et des deux conservateurs : ministre des Finances depuis 1981, il est celui qui a su imposer aux courants souverainistes et marxistes du gouvernement de gauche français la préférence pour l’Europe et l’économie de marché, et la faire endosser par le président Mitterrand. Et de 1969 à 1972, il avait été le conseiller de Jacques Chaban-Delmas, un premier ministre de droite, gaulliste social.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’heure de Vérité (Antenne 2 | 20/05/1982).</span></figcaption>
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<p>Delors a fait ses preuves : il sait diriger, il connaît la vie politique nationale et supranationale, il a une vision claire des tenants, des aboutissants et des enjeux de l’économie internationale. Dans ses différentes fonctions, il a mis en pratique sa foi dans l’intelligence collective, la concertation et la négociation, qui débouche sur la contractualisation. Il n’a le culte ni de l’État ni du parti d’avant-garde : pour lui, les États et les partis sont des acteurs certes importants, mais parmi d’autres. Il n’y a « pas de solutions durables sans le concours des différents groupes de producteurs, chefs d’entreprise, salariés, paysans… », a-t-il écrit.</p>
<p>C’est un homme de 60 ans qui s’apprête à transformer l’Europe. À cet âge-là, dans la France des années 1980 et de la victoire de la gauche, on prend sa retraite ! C’est que Delors est entré en politique sur le tard : son premier mandat électif date de 1979, lorsqu’il devient député européen sur la liste du parti socialiste français – mandat qu’il interrompt en 1981 en entrant au gouvernement. En 1983, il est élu maire de Clichy, en banlieue parisienne – fonction qu’il quitte en rejoignant Bruxelles. C’est tout pour les élections. En 1977 et en 1978, alors membre des instances dirigeantes du PS, Delors décline les propositions de s’engager comme candidat dans les batailles électorales des municipales puis des législatives.</p>
<p>Jusqu’au début des années 1980, l’essentiel de <a href="https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/video-qui-etait-jacques-delors-sa-vie-en-cinq-dates-cles-CNT000002aZ6Ld.html">son parcours</a> a donc moins été celui d’un homme politique que celui d’un ingénieur de la réforme et d’un homme d’idées : durant les décennies 1960 et 1970, il co-anime des clubs et des réseaux de réflexion, comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Club_Jean-Moulin">Jean Moulin</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1979/11/27/le-club-echange-et-projets-la-france-s-rsquo-enfonce-dans-le-sous-developpement-en-matiere-d-information_2763906_1819218.html">Échanges et projets</a>. En 1990, encore, il fonde le <a href="https://institutdelors.eu/publications/discours-de-jacques-delors-au-colloque-du-club-temoin-sur-les-relations-entre-la-france-et-leurope/">club Témoin</a>.</p>
<p>C’est un chrétien de gauche : l’inclusion, la justice sociale et la solidarité lui importent au premier chef – plus que l’émancipation individuelle et l’extension des droits de la personne. Pour y parvenir, il est convaincu de la centralité du travail dans la société. C’est pourquoi il consacre ses efforts à la création d’emplois, au partage du travail et à son humanisation. « Pas d’économique sans social, pas de social sans économique, et pas d’économique sans modernisation », écrit-il.</p>
<p>Militant syndical, il contribue à la déconfessionnalisation de la <a href="https://www.cftc.fr/notre-histoire">CFTC</a> et à la <a href="https://f3c.cfdt.fr/portail/f3c/nous-connaitre/histoire-de-la-cfdt/histoire-de-la-cfdt-srv1_612979">naissance de la CFDT</a>. Dans les années 1960, il n’est pas énarque mais chef de service au Commissariat général au Plan ; le Plan n’était-il pas le <em>think tank</em> de l’État ? De là, il est appelé à rejoindre le cabinet de Jacques Chaban-Delmas, nommé premier ministre par le nouveau président Pompidou.</p>
<p>Il est alors l’inspirateur de l’implantation de la formation professionnelle dans toutes les entreprises (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000687666/">loi de 1971</a>) et des <a href="https://www.lesechos.fr/1996/03/contrat-de-progres-mode-demploi-832267">contrats de progrès</a> dans les entreprises publiques. Si Mitterrand était devenu président en <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/24174-election-presidentielle-1965-ses-specificites">1965</a>, Delors l’aurait sans doute suivi à l’Élysée car il avait avec discrétion rejoint son équipe de campagne. D’ailleurs, en 1981, il s’imaginait plus en secrétaire général de l’Élysée ou en commissaire au Plan qu’en ministre des Finances. Avec ces quelques éléments en perspective, on est moins surpris qu’il <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/jacques-delors-election-presidentielle-1994-politique">n’ait pas franchi le pas de la candidature à l’élection présidentielle de 1995</a>.</p>
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<p>Mais revenons à 1984. La nomination de Delors comme futur président de la Commission à partir du 1<sup>er</sup> janvier 1985 s’impose d’autant plus qu’il ne candidate pas. Aucun des prétendants (Cheysson, Christophersen, Biedenkopf…) ne fait l’unanimité ni même ne convainc. Aucun ne coche toutes les cases que coche Delors.</p>
<p>Helmut Kohl le premier évoque son nom en arrivant à Fontainebleau. <em>Mutatis mutandis</em>, Delors n’est-il pas, au vu de toutes ses qualités, ce qu’en Allemagne on reconnaîtrait comme un dirigeant chrétien-démocrate adepte de l’économie sociale de marché ? Kohl, aux affaires depuis 1982, a en très peu de temps scellé avec Mitterrand une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/helmut-kohl-et-francois-mitterrand-au-coeur-de-l-amitie-franco-allemande-il-y-avait-une-vraie-affection-entre-les-deux-hommes_2241227.html">solidarité d’une grande vigueur</a>, éprouvée dans la crise des euromissiles et les spéculations contre le franc. 1984 est le sommet où le tandem franco-allemand se déploie avec une rare intensité et une efficacité maximale.</p>
<p>Mitterrand n’est pas fâché d’exfiltrer Delors du gouvernement : il vient de nommer premier ministre Laurent Fabius, qui le déteste ; il est fatigué des menaces à la démission, l’un des pêchés mignons de Delors, qui a par ailleurs refusé en 1983 le poste de premier ministre au motif qu’il voulait le cumuler avec celui de ministre des Finances. L’essentiel est pourtant ailleurs. Avec Fontainebleau, Mitterrand prend un tournant majeur : il <a href="https://www.sciencespo.fr/centre-etudes-europeennes/sites/sciencespo.fr.centre-etudes-europeennes/files/01_2012%20la-place-de-la-construction-europeenne-dans-la-conquete-puis-la-conservation-du-pouvoir-par-les-socialistes-francais-1966-1984.pdf">se drape dans son habit de grand président français européen</a>, qui fait de la construction européenne sa priorité et la planche de salut de son programme socialiste et progressiste.</p>
<p>Delors lui est loyal et fidèle : depuis 20 ans, il l’a prouvé à maintes reprises. Dans le même temps, son indépendance, sa réticence à l’embrigadement partisan et idéologique, son positionnement social-démocrate, son indifférence au marxisme – toutes caractéristiques pour lesquelles il n’a jamais été en odeur de sainteté au sein du <a href="https://www.slate.fr/story/210404/congres-epinay-cinquante-ans-parti-socialiste-lecon-politique-oubli-signification">PS d’Épinay</a> – sont autant de qualités pour diriger un exécutif supranational à une époque où les socialistes sont minoritaires au sein du Conseil européen.</p>
<h2>L’européanisation de la politique des États membres</h2>
<p>Le legs le plus original et le plus porteur transmis par Delors aux générations suivantes et actuelles est la façon dont il a dénationalisé et européanisé la politique. Il a été secondairement un homme politique français car il a été avant tout un homme politique européen. Il contribue comme ministre des Finances à la relance de l’Europe de 1984 par le rôle qu’il a joué dans la conversion du PS français et de la société française à l’Europe communautaire.</p>
<p>Désigné président de la future Commission, il joue un rôle déterminant dans la mise en œuvre et le déploiement de cette relance de la construction européenne. Comme l’écrit <a href="https://www.letemps.ch/opinions/le-discours-de-jacques-delors-qui-fit-rever-les-suisses">Chantal Tauxe dans <em>Le Temps</em></a>, « on se figure mal aujourd’hui (combien) la création du marché et de la monnaie uniques (a été) une sorte de big bang de l’intégration européenne ».</p>
<p>Avant même son entrée en fonctions, il entreprend le tour des capitales. À chaque chef de gouvernement, il propose quatre modalités de relance de la construction européenne. Dans l’immédiat, une fit consensus – même les thatchériens la soutinrent : le marché unique. La politique européenne de création par le droit d’un marché à la taille de l’espace européen est tout sauf du néo-libéralisme : c’est un marché institué, régulé et encadré.</p>
<p>Il s’est agi de mettre fin, d’une part aux obstacles non tarifaires au commerce entre pays (c’est-à-dire autres que les droits de douane : des règlements nationaux ou régionaux utilisés à des fins protectionnistes), et d’autre part aux monopoles d’État sur la production et la distribution de l’électricité, du gaz, du courrier postal, des télécommunications, des communications terrestres (routières, ferroviaires, fluviales) et aériennes. Les conséquences de l’ouverture d’un marché européen dans les secteurs en question sont immenses pour les populations et les sociétés : démocratisation des transports, de la mobilité, de l’usage du téléphone…</p>
<h2>Un héritage durable</h2>
<p>Le 17 janvier 1989, reconduit par les dirigeants des Douze, Delors rappelle, dans le premier <a href="https://www.cvce.eu/obj/discours_de_jacques_delors_devant_le_parlement_europeen_17_janvier_1989-fr-b9c06b95-db97-4774-a700-e8aea5172233.html">discours</a> au Parlement européen de son nouveau mandat bruxellois, que ce qui est à l’œuvre est « la combinaison du jeu du marché – qui ne peut fonctionner sans un minimum de règles –, du dialogue social et de l’action des institutions publiques […], et ce dans le respect du principe de subsidiarité afin d’éviter une centralisation excessive et inutile ». Et d’ajouter : « Le succès de l’Acte unique européen […] ne dépendra pas que du dynamisme et du savoir-faire de la Commission. Loin de là ! Il sera fonction de l’esprit d’innovation de chaque région. Il ne sera possible que si les bureaucraties nationales renoncent à vouloir tout contrôler et à raisonner uniquement en termes de transferts financiers. »</p>
<p>L’héritage que laisse Delors à la classe et aux partis politiques d’aujourd’hui est donc celui-ci : ne vous laissez pas enfermer par l’illusion du monopole national de la politique. La politique réduite au national fait partie du problème. Pour trouver des solutions, faites de la politique entre Européens et prenez vos décisions à l’échelle européenne.</p>
<p>De fait, dans la durée, ce legs est vivant et entretenu. Même avec difficulté, même si cela a parfois pris du temps, les classes politiques européennes n’ont cessé de résoudre les problèmes et les défis par des solutions européennes :</p>
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<li><p><a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/qu-est-ce-que-le-mecanisme-europeen-de-stabilite-mes/">Mécanisme européen de stabilité</a> (MES) ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/qu-est-ce-que-le-pacte-budgetaire-europeen/">Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro</a> (TSCG) ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/politiques-economiques/theories-economiques/politique-monetaire/l-assouplissement-quantitatif/">Quantitative easing</a> (QE) mis en œuvre par la Banque centrale européenne pour sortir de la crise des dettes souveraines et de la zone euro (2010-2018) ;</p></li>
<li><p>mandat unique donné à la Commission européenne par les 27 pour négocier le Brexit et établir un <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/relations-non-eu-countries/relations-united-kingdom/eu-uk-trade-and-cooperation-agreement_fr">nouveau traité bilatéral avec le Royaume-Uni</a> (2016-2020) ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/green-deal/">Pacte vert pour la transition climatique et énergétique</a> ;</p></li>
<li><p><a href="https://france.representation.ec.europa.eu/strategie-et-priorites/le-plan-de-relance-europeen_fr">plan de relance européen</a> financé par l’émission inédite de bons du trésor européens ;</p></li>
<li><p>création d’une politique industrielle et d’une <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/coronavirus-response/safe-Covid-19-vaccines-europeans/questions-and-answers-Covid-19-vaccination-eu_fr">politique de vaccination</a> pour faire face aux conséquences sanitaires, économiques et sociales de la pandémie du Covid-19 qui a tué près de 1,4 million d’Européens (2020) ;</p></li>
<li><p>coordination et convergence sans précédent de la politique étrangère et de défense pour <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-response-ukraine-invasion/eu-solidarity-ukraine/">soutenir l’Ukraine</a> agressée par la Russie, <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/les-sanctions-contre-la-russie-fonctionnent-2023-12-21_fr">sanctionner</a> cette dernière, et <a href="https://fr.euronews.com/my-europe/2023/08/31/lue-se-desengage-du-gaz-russe-malgre-la-hausse-des-importations-de-gnl">mettre fin</a> aux importations d’énergie russe (depuis 2022).</p></li>
</ul>
<p>Et tout cela avec un Parlement européen dont le rôle et l’influence n’ont cessé d’augmenter.</p>
<p>De façon significative, face au Brexit, au Covid et à la guerre d’Ukraine, le rôle d’impulsion, d’invention et de coordination de la Commission européenne est à nouveau très tangible, comme il l’était du temps de Delors. Et comme alors, son lointain successeur, Ursula von der Leyen, en poste depuis 2019, a donné à l’Europe un visage, une incarnation et un leadership. Mais l’époque a changé et ce changement ne doit rien à Delors ni à son héritage : cette fois, avec éclat, et alors que le Conseil européen s’est féminisé, ce visage et ce leadership européens sont ceux d’une femme !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220442/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>S’il fut notamment ministre français des Finances de 1981 à 1985, c’est avant tout pour son rôle majeur à la tête de la Commission européenne (1985-1995) que Jacques Delors restera dans les mémoires.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, européaniste au Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200182023-12-20T19:57:51Z2023-12-20T19:57:51ZLa gauche peut-elle encore exister dans le débat sur l’immigration ?<p>Alors que la Macronie a <a href="https://lcp.fr/actualites/projet-de-loi-immigration-les-principales-mesures-issues-de-la-cmp-248673">multiplié les concessions sur sa droite</a> pour finalement obtenir le vote de son projet de loi sur l’immigration, la gauche n’est pas parvenue à faire entendre sa voix. </p>
<p>Pourtant, le 4 décembre dernier, le parti Génération·s conviait socialistes, communistes, insoumis et écologistes à une « <a href="https://x.com/GenerationsMvt/status/1729889002344661392?s=20">Soirée de la fraternité</a> ». Elle visait à fédérer contre le projet de loi <a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">« immigration »</a> et l’emprise des idées d’extrême droite sur le débat public. </p>
<p>Trois jours plus tard, la gauche, sans Jean-Luc Mélenchon et ses proches, tenait un nouveau meeting à Saint-Ouen pour apparaître dans un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-lien-entre-immigration-et-delinquance-est-une-illusion-205603">débat saturé des voix de la droite et de l’extrême droite</a>. </p>
<p>À travers la capacité de la gauche à opposer sa vision sur l’immigration, se joue, plus largement, son aptitude à produire de nouvelles idées et à les diffuser dans la société.</p>
<h2>Le rapport à l’altérité</h2>
<p>Si le projet de loi <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/11/loi-immigration-rejetee-a-l-assemblee-les-differentes-options-dont-dispose-le-gouvernement_6205231_823448.html">« immigration »</a> a suscité tant de discussions passionnées, c’est qu’il <a href="https://theconversation.com/comment-la-double-peine-du-projet-de-loi-immigration-renforce-la-confusion-des-pouvoirs-219578">convoque de nombreux enjeux</a> au-delà de la seule question des entrées et sorties de personnes étrangères. Derrière le masque de l’immigration, se discutent le rapport de la société à l’altérité et le statut à reconnaître à la diversité culturelle.</p>
<p>Ce thème a resurgi cet été avec les révoltes populaires suite <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/mort-de-nahel-la-version-policiere-encore-mise-a-mal-par-un-rapport-de-ligpn-et-de-nouvelles-auditions-20231220_LUXTBYT57RAUXAYASD74ZBNWOM/">au décès par tir policier de Nahel à Nanterre</a>, puis avec l’attentat terroriste d’Arras. Comme lors des <a href="https://www.cairn.info/quand-les-banlieues-brulent--9782707152176.htm">« émeutes » de 2005</a>, à chacune de ces séquences, c’est moins l’immigration qui est en question que le rapport identité-égalité et les conditions sociales d’une société apaisée.</p>
<p>En brandissant le risque d’un « grand-remplacement », la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/02/14/valerie-pecresse-se-defend-de-son-utilisation-du-terme-complotiste-du-grand-remplacement-au-cours-de-son-meeting-a-paris_6113617_6059010.html">droite et l’extrême droite</a> ont engagé une offensive liant l’immigration, la diversité culturelle et le destin collectif de la France. Accusée de naïveté ou de laxisme, la gauche ne parvient pas à opposer un contre-discours, ni à adopter une position clairement identifiable.</p>
<h2>Gauche et immigration : distance et défiance</h2>
<p>Pour comprendre les raisons de ces difficultés, il importe de revenir sur l’histoire récente de la relation entre la gauche et l’immigration. Dans les années 1970, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070411955-la-france-et-ses-etrangers-l-aventure-d-une-politique-de-l-immigration-de-1938-a-nos-jours-patrick-weil/">l’immigration devient un « objet social »</a>, en raison de la présence des immigrés dans l’industrie française et de la grande précarité dans laquelle ils vivent, dans les foyers ou dans les cités de transit. Alors que le gouvernement prend une série de mesures restrictives en <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2008-2-page-69.htm">matière d’immigration</a>, les <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2002-2-page-3.htm">mouvements sociaux « immigrés » se structurent</a>, souvent avec le soutien d’organisations syndicales ou associatives de gauche.</p>
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<p>Dans le même temps, les partis de gauche expriment déjà des visions différentes. Le Parti communiste soutient l’arrêt de l’immigration, et, tout en affirmant la solidarité de classe entre travailleurs, <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2001-4-page-150.htm">déplore la concentration d’immigrés dans les communes qu’il gère</a>. Si une partie des socialistes partage cette attitude, le PS cherche également à mobiliser les mouvements de solidarité et les militants, notamment de classes moyennes, engagés dans l’anticolonialisme, le tiers-mondisme et les différentes luttes de l’immigration. Avec la <a href="https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00140/declaration-de-francois-mitterrand-sur-la-rupture-de-l-union-de-la-gauche.html">rupture de l’Union de la gauche en 1977</a>, les tensions entre les deux partis de gauche sur l’immigration s’accroissent. À la veille de l’élection de 1981, les socialistes accusent les communistes de diviser la classe ouvrière et de faire le jeu de la droite. Dans une déclaration du 11 février 1981, le Bureau exécutif du PS affirme ainsi au sujet de la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/01/03/la-mise-a-sac-du-foyer-des-immigres-de-vitry-sur-seine-et-ses-prolongements-l-association-gestionnaire-estime-a-300-000-francs-au-moins-les-degats-causes-au-batiment-mis-a-sac-dans_3041436_1819218.html">destruction d’un foyer de travailleurs immigrés</a> par la municipalité communiste de Vitry-sur-Seine :</p>
<blockquote>
<p>« La situation est grave et il n’est pas acceptable de se tromper d’adversaire en s’attaquant, comme le fait la direction du Parti communiste, aux conséquences de la politique du pouvoir et non aux causes ».</p>
</blockquote>
<h2>Une position héritée des années 1980</h2>
<p>La question de l’immigration en politique connaît ensuite un véritable tournant durant les années 1980. Aux élections municipales de 1983, puis aux élections européennes de 1984, le Front National constate ses premiers succès. Très majoritairement, la gauche prend conscience des effets électoraux de ce thème et craint ses répercussions auprès des classes populaires, particulièrement dans les territoires les plus durement touchés par la crise économique (comme en région parisienne ou dans le Nord). </p>
<p>Au plan national, si la gauche tente de faire porter à la droite les stigmates de l’extrême droite, elle déplore également rapidement l’exploitation politique de ce thème par ses adversaires.</p>
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<p>Certes, le gouvernement socialiste engage momentanément une politique culturelle valorisant la <a href="https://www.cairn.info/dire-la-france--9782724619454.htm">France plurielle</a> et soutient SOS-Racisme. Cependant, la gauche adopte rapidement une stratégie de neutralisation à deux volets. D’une part, il s’agit d’éviter que les questions culturelles liées aux immigrés ou à leurs descendants, jugées favorables à la droite, ne constituent un enjeu d’opposition politique entre la droite et la gauche. </p>
<p>D’autre part, il s’agit de reformuler ce thème à partir de la question sociale, en insistant sur le logement, l’éducation, l’emploi et la redistribution. Ces deux dimensions aboutissent, à la fin des années 1980, au paradigme de l’intégration, conciliant <a href="https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/differences.htm">« indifférence aux différences »</a> et primauté de l’action sociale. Depuis lors, la position de la gauche n’a guère changé, continuant de considérer que l’immigration est avant tout un thème qui profite à la droite et répliquant sa crainte de le voir se constituer en enjeu politique de premier plan.</p>
<h2>Un thème source de fractures</h2>
<p>Au-delà de son analyse électorale, la difficulté de la gauche à produire des réflexions collectives en matière d’immigration s’explique par l’existence de profondes divisions. Les enjeux que contient ce thème ne recoupent qu’imparfaitement le clivage de classe qui oppose traditionnellement la droite et la gauche. À l’inverse, ils traversent ces familles politiques en leur sein.</p>
<p>La gauche voit s’opposer plusieurs visions. D’un côté, les partisans de la cause des immigrés insistent sur la défense des droits humains, l’antiracisme puis la lutte contre les discriminations et l’islamophobie. Dès les années 1980, certains y voient même de nouvelles bases pour réunir la gauche au moment où le « tournant de la rigueur » rend les questions économiques plus clivantes.</p>
<p>D’un autre côté, se réclamant du « réalisme » face à la naïveté des « droits-de-l’hommiste », une autre partie de la gauche craint que cet engagement ne favorise la droite. Elle défend une grande fermeté en matière migratoire et un renvoi des identités particulières à la sphère privée.</p>
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<p>Présente dès les années 1980, cette opposition est maximisée <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/la-gauche-qui-vient-place-a-la-republique/">à la fin des années 2000 et durant les années 2010</a>. La crise financière de 2008 constitue un premier tournant. Elle scinde l’aile libérale de la gauche : d’un côté, les partisans d’une refondation de l’identité sociale-démocrate autour de la « diversité » et de la lutte contre les discriminations ; de l’autre, les adeptes d’une position « national-libérale » articulant « politique de marché et valorisation identitaire de la nation ». </p>
<p>Les attentats terroristes de 2015 marquent un second tournant. La ligne « national-libérale » gagne en importance et tente de recomposer l’opposition politique entre un bloc central et « des extrêmes » autour de la « question républicaine ».</p>
<h2>L’enjeu organisationnel de la bataille d’idées</h2>
<p>Le débat autour de la loi « immigration » donne à voir l’ampleur du chantier de refondation à gauche. Pour faire entendre sa voix, elle doit s’emparer d’un thème qu’elle a durablement contourné et parvenir à définir une position collective clairement identifiable. Elle ne peut le faire sans ouvrir en son sein un débat qu’elle a très largement considéré comme favorable à la droite et défavorable à sa propre audience auprès des classes populaires.</p>
<p>Certes, <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-1-page-22.htm">l’évidement idéologique observé au PS</a> questionne plus largement la capacité de la gauche à produire de nouvelles idées et à adapter son projet aux évolutions de la vie politique. Comme elle ne fait pas partie de ses emblèmes, l’immigration permet d’observer de manière particulièrement évidente les capacités d’innovations idéelles de la gauche.</p>
<p>Cependant, un regard vers le monde syndical, associatif ou académique permet de constater que la gauche n’est pas en manque de perspectives en la matière. La philosophie politique a, par exemple, esquissé d’importantes pistes pour penser ensemble <a href="https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/110623/avec-nancy-fraser-penser-la-justice-et-la-diversite-des-luttes">redistribution et reconnaissance</a>.</p>
<p>Au-delà des idées, les difficultés de la gauche à exister dans le débat sur l’immigration posent plus directement une question organisationnelle. Tout d’abord, l’analyse qu’elle fait de la « pensée populaire » sur l’immigration est d’autant plus susceptible d’être parasitée par les sondages et leur exploitation médiatique que les <a href="https://www.cairn.info/revue-germinal-2021-2.htm">classes populaires sont globalement les grandes absentes des partis de gauche</a>.</p>
<p>De plus, c’est sa capacité à diffuser ses idées dans la société et à relayer les demandes populaires qui est clairement mise en cause. Or, cela dépend de ses relations avec les mondes intellectuels, syndicaux et associatifs, de son aptitude à mobiliser durablement les militants, de ses pratiques d’éducation populaire et donc, <em>in fine</em>, de sa capacité à représenter une offre politique clairement identifiée. Dès lors, si la récurrente question des idées est effectivement centrale, elle ne peut trouver d’issue qu’articulée à celle des pratiques et de l’ancrage social de la gauche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220018/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Nicolas Baudot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le débat autour de la loi « immigration » donne à voir l’ampleur du chantier de refondation à gauche face à un véritable défi idéologique et organisationnel.Pierre-Nicolas Baudot, Docteur en science politique. Université Paris-Panthéon-Assas, ATER à l'Université Clermont-Auvergne, spécialisé en histoire sociale des idées partisanes, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2155402023-10-16T17:02:55Z2023-10-16T17:02:55ZComment les divisions sur le conflit israélo-palestinien montrent les faiblesses de la gauche<p>À l’aune des massacres commis au Proche-Orient par le Hamas, la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/francois-ruffin-se-desolidarise-du-clan-de-jean-luc-melenchon-20231011">fragmentation</a> de la Nupes semble relever d’un fait divers.</p>
<p>Elle n’est pas causée par la nouvelle étape du conflit israélo-palestinien. Elle ne constitue sans doute pas non plus le stade ultime de la décomposition du cartel formé par la France Insoumise, le PS et les écologistes, ni par la position du PCF qui <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/15/le-pcf-prend-acte-de-l-impasse-qu-est-devenue-la-nupes-et-appelle-a-un-nouveau-type-d-union-de-la-gauche_6194607_823448.html">« prend acte de l’impasse »</a> dans laquelle se trouverait la Nupes.</p>
<p>Fragile dès sa formation en 2022, cette alliance d’une gauche française, amputée par la constitution de la République en Marche en 2016, lui a permis d’exister lors des dernières élections législatives. Divisée sur la question centrale du rôle de l’Union européenne, elle avance en ordre dispersé. Ses principaux dénominateurs communs demeurent la recherche de la chute du gouvernement d’Elisabeth Borne et de l’incarnation d’une alternative à Emmanuel Macron comme à Marine Le Pen.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-vieux-demon-de-la-gauche-francaise-215459">L’antisémitisme, vieux démon de la gauche française ?</a>
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<h2>Des difficultés européennes</h2>
<p>L’importance des divergences au sein de la Nupes dans la <a href="https://theconversation.com/terrorisme-ou-crimes-de-guerre-215541">qualification</a> des meurtres et des prises d’otages par la branche militaire du Hamas n’est pas pour autant à minimiser. Elle renvoie à la difficulté de la gauche européenne de trouver un électorat stable alors que de nouvelles droites populaires achèvent de lui enlever le monopole de la contestation sociale.</p>
<p>Au lendemain des tueries perpétrées par les commandos palestiniens,le contraste entre les propos du chancelier social-démocrate allemand et de la France Insoumise est par exemple évident. Pour <a href="https://www.lepoint.fr/monde/attaque-du-hamas-israel-a-le-droit-de-se-defendre-selon-olaf-scholz-08-10-2023-2538489_24.php">Olaf Scholz</a>, Israël a le « droit de se défendre » contre des attaques « barbares ».</p>
<p>Par contre, pour le groupe parlementaire français, il ne parait pas y avoir de hiérarchie entre les formes de violence des deux parties au conflit. Selon les termes d’un <a href="https://www.euractiv.fr/section/international/news/attaque-du-hamas-contre-israel-la-reaction-de-la-france-insoumise-provoque-des-remous-a-gauche/">communiqué controversé</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. »</p>
</blockquote>
<p>Il n’y a guère que le député LFI de Paris Rodrigo Arenas pour <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/attaque-du-hamas-contre-israel-le-depute-rodrigo-arenas-se-demarque-du-groupe-insoumis-20231009">déclarer</a> que « La justesse des causes anticoloniales et du refus des oppressions perdent leur légitimité le jour où elles acceptent les massacres de civils et le terrorisme aveugle ».</p>
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<p>Les ambiguïtés de la France Insoumise à l’égard des crimes commis le week-end des 7 et 8 octobre doivent un peu à <a href="https://www.abebooks.com/9781848852976/Hundred-Years-Socialism-West-European-1848852975/plp">l’héritage de l’extrême gauche européenne des années 1970</a>. Pour celle-ci, <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001108/la-palestine-apres-la-mort-de-yasser-arafat.html">l’OLP de Yasser Arafat</a> restait un mouvement laïc de libération nationale poursuivant une cause juste, même lorsque des athlètes israéliens étaient assassinés à Munich en 1972 par Septembre noir.</p>
<p>Cette mouvance, alimentée par la propagande « anti-impérialiste » chinoise et cubaine, attribuait un caractère progressiste aux nationalismes arabes. Elle ne reconnaissait aucune valeur aux réalisations démocratiques et économiques d’Israël. <a href="https://www.fnac.com/a927310/Ilan-Greilsammer-La-Nouvelle-histoire-d-Israel">La dimension socialiste</a> du projet sioniste initial était notamment ignorée.</p>
<h2>Une gauche européenne à bout de souffle ?</h2>
<p>Le poids de cet héritage ne doit pourtant pas être surestimé même si l’hostilité à l’égard d’Israël est encore caractéristique de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/attaque-du-hamas-contre-israel-en-europe-la-gauche-radicale-europeenne-isolee-PQ2ZXX3EO5HERJUFVCLLTGIW7Q/">forces ou de membres de la gauche radicale</a>, notamment en Espagne, en Belgique, en Grande-Bretagne et en Grèce.</p>
<p>Il ne permet pas de comprendre que ce qui se joue à gauche aujourd’hui, de la Scandinavie au nord de la méditerranée, n’a plus rien à voir avec les gesticulations <a href="https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/04/maladie.pdf">du gauchisme</a> pour reprendre le terme de Lénine. L’enjeu relève de la mathématique électorale des forces gouvernementales.</p>
<p>Actuellement, la gauche d’origine socialiste reste une force politique importante en Europe mais elle a perdu sa dimension hégémonique. D’abord, en France comme en Espagne ou en Suède lorsque le <a href="https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/suede-le-parlement-renverse-le-gouvernement-une-premiere-dans-l-histoire-du-royaume/">gouvernement Lofven</a> était encore en place (jusqu’en juin 2021), elle ne recueille plus un nombre de voix suffisant pour gouverner seule. Ensuite, les électeurs les moins aisés ont retiré leur confiance à un discours promettant la garantie d’une vie bonne par une correction marginale de l’économie sociale de marché, incapable d’à assurer un pouvoir d’achat suffisant à tous les travailleurs.</p>
<p>Dans ce contexte d’affaiblissement et de fragmentation des partis, deux options ont été expérimentées par la gauche, avec un succès variable.</p>
<h2>Deux expérimentations aux résultats mitigés</h2>
<p>La première est <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-gauche-entre-la-vie-et-la-mort/">d’origine anglo-saxonne et germanique</a>. Privilégiée par les sociaux-démocrates, elle parie sur la régulation du libéralisme économique et l’organisation politique de la mondialisation. Elle entérine la perte d’audience auprès des salariés les moins rémunérés et compense cette perte par la recherche du vote des classes moyennes, mais aussi des jeunes, des femmes et des différentes minorités culturelles et sexuelles.</p>
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<figcaption><span class="caption">Clip de campagne présidentielle de Bill Clinton, 1992 (John Froio et Cheryl Froio/Deed of Gift).</span></figcaption>
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<p>Inspirée par les New Democrats de Bill Clinton, elle a été importée par les gouvernements successifs de Tony Blair et Gordon Brown en Angleterre. Introduite en Allemagne, sur la base d’un rapprochement avec les écologistes, depuis <a href="https://journals.openedition.org/rea/205">Gerhard Schröder</a>, elle a été préconisée en France par la Fondation Terra Nova et <a href="https://tnova.fr/democratie/politique-institutions/gauche-quelle-majorite-electorale-pour-2012">y a inspiré</a> les gouvernements socialistes depuis Lionel Jospin. Si elle n’a pas profondément modifié la sociologie, vieillissante, des partis, elle a, au moins un temps, contribué à leur maintien au pouvoir.</p>
<p>Cette recomposition du socle électoral de la gauche implique de conserver la valorisation de l’économie de marché et le libéralisme culturel <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070136407-le-sens-du-peuple-la-gauche-la-democratie-et-le-populisme-laurent-bouvet/">typiques du réformisme social-démocrate</a>. Elle demande aussi de miser sur la construction européenne et l’extension à l’échelle mondiale de son principe constitutif d’encadrement du libre-échange par des organisations internationales.</p>
<p>La seconde est notamment inspirée en France par les philosophes <a href="https://www.albin-michel.fr/pour-un-populisme-de-gauche-9782226435293">Michel Foucault et Chantal Mouffe</a>. Elle vise à agréger les individus estimés exposés à la « domination », économique mais aussi culturelle et sociale, réputée typique du capitalisme.</p>
<p>Conformément à une relecture du schéma marxiste par Antonio Negri, une <a href="https://selforganizedseminar.files.wordpress.com/2011/07/hardt_negri_multitude.pdf">« multitude »</a> d’individus seraient discriminés en raison de leur place subalterne sur le marché du travail, leur genre, leurs croyances ou encore leurs origines géographiques. Ils sont supposés constituer une majorité qu’il revient à la gauche d’éveiller à la conscience politique d’elle-même. Cette option emporte que les sociétés européennes ne sont pas réformables par des accommodements raisonnables avec le capitalisme mais que des bouleversements, incluant par exemple la fondation d’une VI<sup>e</sup> république dans le cas français et la remise en cause des traités européens, est nécessaire.</p>
<h2>Populisme, woke : la direction Mélenchon/Bompard</h2>
<p>En France, cette seconde option a été adoptée par la France Insoumise dès sa constitution. Elle lui a valu d’être qualifiée indifféremment de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">« populiste »</a> en raison de son intention de représenter un « peuple » comme de <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/comment-l-ideologie-woke-infiltre-la-classe-politique-20211107">« woke »</a> pour son investissement dans la défense de minorités.</p>
<p>Depuis la mise en place d’une nouvelle direction animée par <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/la-france-insoumise-la-nouvelle-direction-autour-de-manuel-bompard-attise-les-critiques-au-sein-du-mouvement_5536845.html">Manuel Bompard en décembre 2022</a>, un discours à destination la population d’origine arabe et de confession musulmane a gagné en visibilité. Il a, jusqu’à présent, signifié reléguer au second plan la thématique laïque <a href="https://theconversation.com/la-republique-la-que-de-jean-luc-melenchon-un-debat-qui-fracture-la-gauche-et-bien-plus-encore-151955">longtemps caractéristique du discours de Jean-Luc Mélenchon</a> au profit de la justification de l’abaya dans l’espace public, voire de la violence spontanée en réaction à un racisme attribué à des membres des forces de l’ordre.</p>
<p>L’efficacité de ce discours assez spécifique à la France dans le contexte européen est à présent <a href="https://www.foreignaffairs.com/middle-east/martin-indyk-why-hamas-attacked-and-why-israel-was-taken-surprise">mise à l’épreuve</a> par la résurgence du conflit israélo-palestinien. Plus subtil que ce qui en est retenu dans le cadre des joutes médiatiques, le discours politique de LFI évite un alignement sur l’une ou l’autre force politique palestinienne en même temps qu’il se prévaut <a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-vieux-demon-de-la-gauche-francaise-215459">d’une distinction entre antisionisme et antisémitisme</a>.</p>
<h2>Une confusion dangereuse pour la société française</h2>
<p>Quoiqu’il en soit, ce discours s’il développe une sympathie indifférenciée et appuyée pour les populations d’origine arabe et de confession musulmane en France et en Palestine, est porteur de deux implications.</p>
<p>La première est d’exposer la société française au risque d’une confusion entre l’agenda politique de celle-ci et celui d’autres régions du monde.</p>
<p>Une démagogie qui encouragerait l’assimilation, ne serait-ce que par le fait d’une juxtaposition des propos, d’une part de la violation de droits des Palestiniens par le gouvernement Nétanyahou et d’autre part de la défense de la laïcité des services publics français serait potentiellement explosive. Comme Benedict Anderson <a href="https://www.versobooks.com/en-gb/products/1126-imagined-communities">l’a montré</a>, les nationalités sont avant tout des communautés imaginaires et imaginées. De ce fait, contribuer à la formation d’une communauté dont les frontières ne correspondraient plus aux frontières d’un État démocratique mais engloberaient des zones de guerre est dangereux car de nature à étendre géographiquement le cadre des violences.</p>
<p>La seconde est de décentrer le débat politique national. La pérennité de la démocratie demande à ses acteurs de ne pas cliver la société civile par des discours réducteurs qui opposent « amis » et « ennemis ». Elle sollicite le caractère fédérateur des partis et leur aptitude à n’inscrire à l’agenda que ce qui est atteignable par la représentation des citoyens et une mise en commun, fiscale, de moyens.</p>
<p>Autrement dit, il n’y a pas en France, ou ailleurs en Europe, une question arabe et/ou musulmane, mais bien la nécessité, pour garantir la paix civile, de débats respectueux des principes constitutionnels sur la place des religions dans l’espace public, sur la gestion des flux migratoires et les conditions d’attribution de la nationalité.</p>
<p>Le conflit israélo-palestinien appartient par contre au registre du droit international dans lequel les États tiers au conflit sont éventuellement compétents, lorsqu’ils agissent dans le respect des principes des Nations unies.</p>
<p>Si elle devait persister dans sa stratégie, la France Insoumise ne s’expose pas seulement à briser un cartel mais à polariser une société déjà fracturée. L’histoire de l’Europe a déjà montré comment l’antisémitisme pouvait s’insinuer dans de telles fractures.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Sente ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les divergences qui taraudent la gauche européenne à propos du conflit israélo-palestinien soulignent sa difficulté à trouver un électorat stable face à la montée de nouvelles droites populaires.Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094172023-08-06T15:24:45Z2023-08-06T15:24:45ZLa social-démocratie est-elle de retour ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537039/original/file-20230712-23-uzawu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C0%2C5609%2C3719&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'ancien premier ministre Bernard Cazeneuve arrive avec l'ancien président François Hollande pour le lancement de son parti politique "La Convention" à Créteil, le 10 juin 2023. </span> <span class="attribution"><span class="source">Behrouz Mehri / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le printemps 2023 a vu le retour inattendu des références à la social-démocratie. Le 10 juin, l’ancien premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve lançait son mouvement, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-convention-bernard-cazeneuve-lance-le-mouvement-des-orphelins-de-la-gauche-et-anti-nupes_5879939.html">La Convention</a>. Se revendiquant d’une « gauche sociale-démocrate », il fustigeait l’impasse de la Nupes et la stratégie jugée brutale de la <a href="https://theconversation.com/lfi-du-pari-a-la-mutation-185571">France Insoumise</a> (LFI). Quelques mois plus tôt, le député LFI François Ruffin adoptait une stratégie prônant le « rassemblement » après s’être déclaré « social-démocrate » à la une <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20221109.OBS65720/francois-ruffin-je-suis-social-democrate.html">du <em>Nouvel Observateur</em></a>. À son tour, le secrétaire national du parti communiste Fabien Roussel tendait la main au « centre gauche », estimant la Nupes <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/le-billet-politique-du-mardi-11-avril-2023-9845217">dépassée</a>. </p>
<p>Au sein du PS, la stratégie d’alliance a également suscité de profondes divisions, exprimées lors du dernier congrès. Faut-il voir dans ces initiatives éparses un « retour de la social-démocratie » ? Pour cela, il importe d’observer le sens acquis par cette étiquette, ainsi que le degré d’homogénéité des acteurs qui s’en réclament.</p>
<p>Dès son apparition au XIX<sup>e</sup> siècle, la <a href="https://theconversation.com/la-social-democratie-est-morte-vive-la-social-democratie-89782">social-démocratie</a> a été parcourue par d’importants débats quant au rapport à l’égalité sociale, à la participation démocratique ou aux institutions. Aujourd’hui, la revendication de cette identité ne recouvre qu’imparfaitement les positions politiques adoptées en réalité. Le politiste Fabien Escalona et l’économiste Romaric Godin ont ainsi montré que l’héritage de la social-démocratie se retrouve <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160622/legislatives-quel-camp-peut-vraiment-se-dire-social-democrate">plutôt dans le programme de la Nupes qu’auprès de ses critiques</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1590692192427077636"}"></div></p>
<p>En plaçant l’égalité sociale, la redistribution, les procédés démocratiques et la refonte institutionnelle au cœur de son action, le programme de la Nupes interroge bien, sans toujours le revendiquer, les fondements du néo-libéralisme.</p>
<p>À l’inverse, par leur contribution <a href="https://www.cairn.info/la-resistible-ascension-du-neoliberalisme--9782348068904.htm">au délitement de l’État social</a> et leur inclinaison pour une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/11/15/la-politique-de-l-offre-de-hollande-une-vraie-rupture-dans-l-histoire-de-la-gauche_1790391_823448.html">« politique de l’offre »</a>, l’« aile gauche du macronisme » comme les héritiers du hollandisme semblent s’être écartés des fondements doctrinaux de la social-démocratie. Ce constat invite à interroger le rôle politique dévolu à cette étiquette.</p>
<h2>Revendiquer une « culture du gouvernement »</h2>
<p>Le lancement de La Convention illustre la fonction politique de la référence à l’identité sociale-démocrate. Entouré de François Hollande et de plusieurs des figures de la social-démocratie européenne, Bernard Cazeneuve a construit son discours autour de la revendication d’une culture de gouvernement. Il a rejoué l’opposition traditionnelle entre les courants radicaux de la gauche, jugés irréalistes, et sa branche réformiste, raisonnable, capable d’assumer sa vocation à gouverner.</p>
<p>Ce schéma s’observe dans la trajectoire de nombre des partis socialistes européens. Leur identité s’est progressivement ancrée dans les capacités à intégrer les contraintes économiques et budgétaires de l’État et à exercer durablement le pouvoir, plutôt que dans une revendication idéologique ou une <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/la-reconversion-partisane-de-la-social-democratie-europeenne-p.html">alternative politique marquée</a>.</p>
<p>En France, c’est ce qu’illustre le premier septennat de François Mitterrand. La rupture avec le projet de 1981 et <a href="https://www.cairn.info/les-socialistes-francais-face-a-la-troisieme-voie--9782706126185.htm">l’adoption des outils de la gouvernementalité libérale</a> sont alors justifiées en tant que gages de la capacité du parti à gérer les affaires courantes du pays.</p>
<p>En prolongeant ce schéma, le discours de Bernard Cazeneuve passe sous silence les positions social-libérales du hollandisme (concernant, par exemple, les crédits d’impôts aux entreprises ou la loi travail). Il renvoie également la Nupes à une irresponsabilité de radicaux, voire à une extrême gauche pendant de l’extrême droite.</p>
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<p>En arguant que le pouvoir ne se conquiert pas par les marges, il s’agit de revendiquer une position centrale susceptible d’agréger des intérêts divers et de profiter des logiques d’alternance. C’est une position que reprennent les courants qui, au sein du PS, se sont exprimés contre la Nupes. Cependant, en dépit de leur revendication de centralité, la ligne Cazeneuve comme les anti-Nupes du PS demeurent largement minoritaires au plan électoral.</p>
<h2>L’avenir et les mouvements du balancier</h2>
<p>Il est possible de distinguer plus précisément plusieurs types de stratégies.</p>
<p>Autour de Bernard Cazeneuve, un premier camp anticipe la fin du macronisme (et, dans une moindre mesure, la fin du mélenchonisme) et attend que le mouvement de balancier profite à la gauche. Pour que cela se produise, cette gauche veut se défaire de tout soupçon de radicalité susceptible d’effrayer les électeurs du bloc central. Elle cherche aussi à incarner un versant <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-toujours-et-encore-le-neo-liberalisme-179680">plus social et plus écologiste du macronisme</a>, pour ne pas être simplement confondue avec celui-ci.</p>
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<p>Chez les anti-Nupes du PS, où les élus locaux occupent une place centrale, la logique est autre. Ceux-ci voient dans l’alliance Nupes un accord électoral forgé sur les bases d’un rapport de force national qui diffère de leur situation locale. Le socialisme local s’est progressivement construit dans une forme de dépolitisation et dans la constitution d’alliances autour du PS. La conclusion d’un accord national marqué à gauche et où le PS est nettement minoritaire entre en contradiction avec cette dynamique.</p>
<p>Enfin, les positions adoptées par François Ruffin visent à dépasser l’hétérogénéité de l’électorat de gauche et l’hostilité d’une partie de celui-ci à l’égard de la <a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-peut-elle-se-donner-les-moyens-de-ses-ambitions-189731">France Insoumise</a>. Pour cela, il rompt avec les stratégies conflictuelles et centre son propos autour de l’emblème fédérateur du social.</p>
<p>La question qui se pose est de savoir si ces divers acteurs sont réellement disposés à faire évoluer leur projet. Sont-ils susceptibles d’y intégrer des innovations permettant de proposer une alternative lisible au paradigme néolibéral et une issue à la crise sociale-démocrate ?</p>
<h2>Les capacités d’évolutions doctrinales en question</h2>
<p>Dans les années 1970, la social-démocratie est parvenue à renforcer puis à conserver ses positions de pouvoir en renouvelant son projet et son assise électorale. <a href="https://books.openedition.org/pur/92469">En France</a>, le PS a proposé une perspective de refonte du <a href="https://www.cairn.info/les-socialistes-francais-et-l-economie--9782724618600.htm">mode de gestion de l’économie</a> et un <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2007-4-page-77.htm">débouché politique au libéralisme culturel</a>. Cette offre lui a permis d’agréger les intérêts de certains segments des classes populaires et des classes moyennes salariées.</p>
<p>Par la suite, l’offre sociale-démocrate s’est progressivement trouvée <a href="https://www.cairn.info/histoire-globale-des-socialismes-XIXe-XXIe-si%C3%A8cle--9782130822103-page-576.htm">assimilée à l’économie néolibérale</a>, sans parvenir à incarner une réelle alternative.</p>
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<p>Par ailleurs, une autre partie de la gauche est restée campée sur l’opposition chimérique entre les enjeux socio-économiques (redistribution, emploi, imposition…) et les enjeux culturels (oppression des femmes, des minorités…). Elle a ainsi freiné les innovations programmatiques. Par le passé, intégrer la diversification des combats pour l’émancipation a pourtant permis à la social-démocratie de <a href="https://www.cairn.info/histoire-globale-des-socialismes-XIXe-XXIe-si%C3%A8cle--9782130822103-page-576.htm">mieux résister au déclin électoral que les partis communistes notamment</a>, en faisant évoluer sa base électorale. En France, ce fut, par exemple, le cas avec la politique culturelle <a href="https://www.cairn.info/dire-la-france--9782724619454.htm">sous François Mitterrand</a>, avec le PACS sous Lionel Jospin ou le mariage pour tous sous François Hollande.</p>
<h2>Le sociétal contre le social ?</h2>
<p>En se revendiquant d’une gauche « universaliste et républicaine », Bernard Cazeneuve multiplie les critiques sur les compromissions de LFI (évoquant un <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/04/05/lfi-on-savait-que-cetait-le-parti-de-loutrance-on-sait-maintenant-que-cest-le-parti-de-linsulte-condamne-bernard-cazeneuve-11113512.php">« parti de l’outrance »</a> ou l’accusant de <a href="https://www.bfmtv.com/politique/cazeneuve-fustige-lfi-dont-la-strategie-fabrique-des-votes-d-extreme-droite-en-quantite-industrielle_AD-202212040378.html">« fabriquer des votes d’extrême droite en quantité industrielle »</a>.</p>
<p>Fabien Roussel puis François Ruffin placent en opposition le « social » et le « sociétal » (questions de genre, de sexe, de religion, de multiculturalisme, etc.). Ils tentent de neutraliser le second au titre du potentiel <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/video-presidentielle-2027-la-gauche-doit-parler-a-tout-le-pays-pas-seulement-a-sa-fanbase-estime-l-insoumis-francois-ruffin_5860883.html">clivant</a> qu’ils lui attribuent.</p>
<p>En reposant sur l’implicite d’une défiance des classes populaires à l’égard des enjeux dits « culturels », cette analyse repose sur une distinction artificielle entre deux dimensions étroitement articulées. Les <a href="https://theconversation.com/quartiers-populaires-40-ans-de-deni-209008">classes populaires</a> sont elles aussi concernées par les enjeux de lutte contre les diverses formes de stigmatisation. De plus, d’une part, la lutte pour l’émancipation interroge directement les fondements du régime économique (concernant par exemple, la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-lindex-egalite-professionnelle-nameliorera-pas-la-remuneration-des-femmes-202396">division sexuelle du travail</a>). D’autre part, la mise en cause du néo-libéralisme contient des implications quant à la dignité individuelle et collective (comme les questions liées au système de retraite).</p>
<p>Rejeter cette position revient à espérer qu’une partie de l’électorat de gauche délaisse ses revendications d’émancipation, au nom du « rassemblement ». À travers cela apparaît une série de résistances à un renouvellement doctrinal qui, pourtant, caractérise l’histoire longue de la social-démocratie et lui a permis, par le passé, d’incarner une alternative électorale et de se maintenir au rang des partis de gouvernement.</p>
<p>En définitive, il apparaît donc qu’en France, en 2023, évoquer un retour de la social-démocratie revient avant tout à opposer arbitrairement radicalité et responsabilité politique. Cela conduit à prêter une cohérence interne à des stratégies politiques divergentes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209417/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Nicolas Baudot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La social-démocratie fait son retour dans le débat public. Mais en 2023, elle semble être utilisée comme synonyme de « non-radicalité » et « capacité à gouverner » plus que comme un projet politique.Pierre-Nicolas Baudot, Doctorant en science politique à l'Université Paris-Panthéon-Assas, ATER à l'Université Clermont-Auvergne, spécialisé en histoire sociale des idées partisanes, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2019052023-03-15T19:58:17Z2023-03-15T19:58:17ZRéforme des retraites : l’heure de vérité<p>Pour la seconde fois sous l’ère d’Emmanuel Macron, le dossier des retraites se trouve mis sur la table des discussions : lors du premier quinquennat, la réforme avait franchi une étape parlementaire, puis elle avait été enterrée sous les sables de l’épidémie du Covid-19. Elle se voulait systémique, uniformisant et universalisant un système de calcul par points à la place des années de cotisation, mettant un terme aux régimes spéciaux.</p>
<p>Aujourd’hui, la nouvelle version de cette même réforme apparaît comme un défi majeur du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Elle a conduit à une union syndicale rare en France et à une forte mobilisation dans la rue. Elle a aussi engendré des débats houleux à l’Assemblée nationale, mettant à jour les dissensions entre la droite représentée par Les Républicains et la Macronie.</p>
<p>La séquence attend un possible épilogue parlementaire ce jeudi 16 mars, alors que l’on se pose toujours des questions sur la forme que prendra le mécontentement social.</p>
<h2>Une provocation ?</h2>
<p>Lors de la campagne présidentielle en 2022, Emmanuel Macron avait affiché très clairement dans <a href="https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme">son programme</a> sa volonté de faire de la réforme des retraites l’une des priorités de son second mandat.</p>
<p>Si l’objectif déclaré est le même qu’en 2019, « sauver le régime par répartition », la démarche est cette fois inversée et resserrée : il s’agit maintenant d’une réforme paramétrique, subordonnant les mesures d’accompagnement à la fixation préalable d’un recul du départ à taux plein, au lieu d’une réforme d’attribution des points rendant secondaire cette fixation.</p>
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<p>En imposant ce renversement, qui place les <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-les-syndicats-peuvent-ils-reprendre-la-main-197468">syndicats</a> en position protestataire, Emmanuel Macron agissait-il par provocation ?</p>
<p>Il semble bien que non : les temps avaient changé, l’Assemblée nationale aussi. Surtout, la France sortait à peine de cette crise sanitaire exceptionnellement coûteuse, qui avait lourdement aggravé la dette publique et qui amenait le président, sinon à prôner l’austérité, au moins à renoncer à l’insouciance et à l’abondance.</p>
<h2>Le nouveau rôle de l’Assemblée nationale</h2>
<p>Dans ce contexte, le report de l’âge à 65 ans résonne comme un appel à l’effort collectif. Au Parlement, terminée la belle époque de la majorité absolue, l’heure est désormais à la <a href="https://theconversation.com/legislatives-la-vie-politique-bouleversee-par-un-scrutin-inattendu-185375">discussion politique et au compromis</a>.</p>
<p>Aucune réforme névralgique ne peut être entreprise sans la garantie préalable d’un consensus avec une part majoritaire de la représentation. Seule cette position politique débordant de la majorité présidentielle, preuve d’une véritable autorité politique, permettrait de poursuivre la négociation avec les syndicats pour l’application, et d’apaiser postérieurement la crise sociale assumée. Le choix de l’âge barrière à 65 ans allait d’ailleurs parfaitement dans cette direction, puisqu’il s’agissait de celui retenu par LR depuis François Fillon. Le pont était donc naturel. Restait à le franchir.</p>
<p>Ce fut difficile. À l’évidence, les oppositions n’ont pas assumé leur part du message envoyé par les Français au moment des dernières législatives : faute de mode de scrutin adapté aux nuances de l’opinion, les électeurs avaient bricolé spontanément une manière de proportionnelle, n’octroyant pas de blanc seing à la majorité présidentielle et invitant au dialogue et au compromis entre les différents partis. Loin d’ouvrir le jeu, on l’a rigidifié encore plus.</p>
<h2>Entre effraction et soustraction électorales</h2>
<p>Emmanuel Macron, élu par effraction en 2017, semble aux vieux partis décimés avoir été réélu par soustraction. La gauche, explosée et implosée en même temps, a fait le choix d’un réalignement autour de sa forme radicale, fermant le ban à tout rapprochement avec la majorité présidentielle. Ne reste donc disponible dans cet univers politique triphasé que l’espace incertain de la droite modérée tiraillée entre ses aspirations centristes et sa peur d’être débordée par le RN devant ses électeurs.</p>
<p>Dans cette logique du déni de légitimité, on cherche le conflit et le blocage. Les débats sur la réforme des retraites en auront été le paroxysme, même si le gouvernement estime avoir fait des concessions en annonçant un âge légal finalement établi à 64 ans lors de la présentation de la réforme en janvier 2023.</p>
<p>Il faudra au gouvernement avoir recours à tout un <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">capharnaüm constitutionnel</a> pour contourner le blocus qu’a tenté de réaliser l’opposition de gauche soutenue, avec une discrète fermeté, par l’extrême droite : art. 48, 47-1, 44 al. 3, tout un arsenal disponible prévu par la constitution, précisément pour faire face à ce genre de situation.</p>
<p>D’autant que le feu du débat à l’Assemblée était synchronisé avec la protestation de la rue : les tambours syndicaux unifiés rythmant la marche des huit journées de protestation.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Personne n’a craqué ! » : la colère de Dussopt face à LFI qui quitte l’Assemblée. YouTube.</span></figcaption>
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<p>Aujourd’hui, bien qu’une très large partie de l’opinion se soit déclarée défavorable à la réforme, l’exécutif n’a pas cédé sur l’essentiel, et il se pourrait même à terme, lorsque les choses seront apaisées, la négociation sociale reprise, que cette intransigeance ne vienne à son crédit. Car les enjeux de cette affaire sont aussi multiples que considérables, au plan interne comme au plan international. Il pourrait même marquer un tournant de ce deuxième quinquennat.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/retraites-comment-la-reforme-incarne-le-bras-de-fer-entre-le-pouvoir-et-la-rue-198083">Retraites : comment la réforme incarne le bras de fer entre le pouvoir et la rue</a>
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<h2>Réduire la fracture politique</h2>
<p>La capacité de la France d’entreprendre, après le fameux quoiqu’il en coûte, un redressement de sa dépense publique sans creuser plus la dette, ne peut que rassurer ses partenaires politiques européens. Et c’est là un enjeu important, en cette période de hausse des taux d’intérêt.</p>
<p>Mais c’est dans la vie politique interne que le jeu bénéfice/perte est potentiellement le plus fort. Parvenir à briser les circonvallations qui retenaient le président isolé des acteurs de la vie politique était une gageure qui tardait à se résoudre. S’ils parviennent, sur un sujet socialement sensible, à amener Les Républicains à surmonter au final leurs craintes du RN et le gros de leurs divisions, Elisabeth Borne et Emmanuel Macron auront franchi une étape décisive.</p>
<p>Désormais, cette brèche pourrait potentiellement être empruntée à d’autres occasions. Et sans doute aussi par d’autres forces politiques : le parti socialiste, aujourd’hui allié aux autres forces de la Nupes continuera-t-il longtemps à laisser la droite monopoliser le dialogue avec Emmanuel Macron ?</p>
<p>Enfin, s’il surmonte dans les prochaines semaines un mur d’opinion hostile à son projet en arguant de la solidarité et du long terme, le président aura replacé la question essentielle de la légitimité sur son vrai terrain : celui de l’autorité qu’implique la décision politique.</p>
<p>Pour cela, il faut qu’au fil d’article 47-1 en aiguille d’article 44 al. 3, de négociations en reculs tactiques, le projet de loi de réforme des retraites soit adopté par le Parlement après les derniers ajustements de la commission mixte paritaire. Mais aussi, au vu des concessions réciproques obtenues, que le scénario se déroule sans recours à l’article 49 al. 3 qui en affaiblirait la portée politique. À Emmanuel Macron de relever alors le défi de « l’après ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que le texte est présenté aux députés pour le vote final ce jeudi 16 mars, la séquence politique ouverte par la réforme des retraites trouvera-t-elle sa conclusion cette semaine ?Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1855712022-06-27T16:06:11Z2022-06-27T16:06:11ZLFI : du pari à la mutation ?<p>L’épisode d’effervescence politique que connaît actuellement la France et ses trois principales forces politiques – le centre-droit incarné par Emmanuel Macron et ses alliés, le Rassemblement national (RN) et l’alliance de gauche autour de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) – <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">interroge</a> non seulement les modalités de la participation politique, à l’aune d’une abstention toujours plus importante, mais aussi la position qu’occupent ces trois forces.</p>
<p>Le RN, fort de ses 89 députés, peut désormais compter sur une assise solide au parlement. Emmanuel Macron et ses soutiens tirent les leçons du revers législatif. Le chef de l’État espère plusieurs compromis : partisans mais peut-être aussi programmatiques et institutionnels, afin d’assurer une continuité gouvernementale. Enfin, au cœur de la Nupes, La France Insoumise, LFI, détermine sa stratégie pour les semaines à venir.</p>
<p>Or beaucoup s’interrogent : son leader, Jean-Luc Mélenchon, peut-il garder une forme de mainmise sur la vie parlementaire en n’étant plus lui-même député ?</p>
<p>Après les résultats, le leader de 73 ans a très vite appelé ses alliés de la Nupes à poursuivre l’alliance électorale et programmatique sous la forme d’une vraie force politique au sein d’un seul groupe parlementaire. <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/nupes/legislatives-2022-en-coulisses-la-proposition-de-jean-luc-melenchon-sur-le-groupe-unique-de-la-nupes-fait-grincer-des-dents_5211877.html">Proposition qui a été immédiatement rejetée</a> par les principaux intéressés, désireux et capables de s’émanciper des stratégies du leader des Insoumis. En effet, grâce à cette alliance, les partis obtiennent le <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/nupes/legislatives-ps-eelv-lfi-pcf-combien-de-sieges-remportent-les-differents-partis-de-la-nupes-845665f8-f074-11ec-8647-9c04f7b41067">découpage suivant</a> : 72 sièges pour LFI, 24 pour le Parti socialiste (PS), 12 pour le Parti communiste français (PCF) et 23 pour Europe-Ecologie Les Verts (EELV).</p>
<p>Au sein de LFI en revanche, s’affranchir de la ligne directement portée par Jean-Luc Mélenchon demeure plus complexe. Le mouvement créé en 2016 – et non parti, terme que le fondateur et les militants récusent – est principalement incarné par l’ancien sénateur de l’Essonne.</p>
<p>C’est lui encore qui a formé une génération de jeunes trentenaires, souvent issus de sa formation précédente, le Parti de Gauche. Ainsi, en témoignent les parcours de Mathilde Panot, Adrien Quatennens, Manuel Bompard, Ugo Bernalicis, députés dont le capital politique se fonde sur celui de leur mentor.</p>
<p>Dans ce contexte, difficile d’imaginer que ses lieutenants se désolidarisent de ce qui a fait le noyau dur de LFI, <a href="https://theconversation.com/france-insoumise-un-cesar-a-la-tete-dun-mouvement-anarchique-169482">rassemblé autour de son chef</a>.</p>
<h2>Plus de courants qu’il n’y paraît</h2>
<p>En revanche il convient d’analyser les autres tendances au cœur de LFI qui ont été déterminantes dans la création et le projet d’union de la gauche. Le mouvement n’est pas, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">selon nos recherches</a>, un bloc monolithique. S’il existe un courant « mélenchoniste » il existe aussi un courant « ruffiniste » autour du militant François Ruffin et son réseau issu <a href="https://www.cairn.info/revue-mots-2020-2-page-103.htm">notamment du média Fakir</a>.</p>
<p>Des divergences existent. Par exemple, au sujet du concept de France périphérique de <a href="https://www.liberation.fr/politique/francois-ruffin-jusquici-nous-ne-parvenons-pas-a-muer-en-espoir-la-colere-des-faches-pas-fachos-20220413_5SLOQ2OMTVDYPG3IPAM5OTXGTA/">Christophe Guilly</a>, expression utilisée par François Ruffin, mais récusée par le chef de file des Insoumis.</p>
<p>Concernant l’Union européenne ensuite. Ainsi, François Ruffin revendique ses <a href="https://lvsl.fr/francois-ruffin-il-y-a-deux-invisibles-les-oublies-en-bas-et-les-ultra-riches-en-haut/">« pulsions protectionnistes »</a> quand Mélenchon a tergiversé en abandonnant progressivement la <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/120419/la-france-insoumise-et-le-plan-b-quatre-annees-d-ambiguite">stratégie dite du plan B</a> qui envisageait une possible sortie de l’UE.</p>
<p>Rappelons par ailleurs qu’aux élections législatives de juin 2017, François Ruffin fut le seul député français élu avec le soutien de l’ensemble des partis politiques de gauche. Il préfigurait, avec cinq années d’avance, la future Nupes.</p>
<p>Une autre tendance apparaît aussi autour de Clémentine Autain. C’est elle qui dès juin 2019 avait appelé à un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/06/29/clementine-autain-reunit-son-big-bang-pour-regenerer-la-gauche_5483116_823448.html">« big bang de la gauche »</a>. Jean-Luc Mélenchon rejetait à l’époque cette option stratégique avant d’admettre, après la présidentielle de 2022, le projet de la Nupes comme seule issue possible pour imposer les forces de gauche sur l’échiquier politique.</p>
<p>La Nupes est donc aussi bien une victoire pour Ruffin et Autain que pour Mélenchon.</p>
<p>Or rien ne garantit aujourd’hui, à l’issu des législatives, que ces trois tendances ne vont pas effriter peu à peu le ciment sur lequel elles reposent.</p>
<h2>Sous un vernis consensuel, une culture de la verticalité</h2>
<p>Autain comme Ruffin, et bien sûr Mélenchon, ont réussi à agréger et consolider un solide réseau militant. Et, comme je le montre dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">mes enquêtes de terrain</a> pendant trois ans au sein de LFI, s’il existe parfois une forme d’admiration chez les plus jeunes pour le leader, les relations entre les cadres et les militants demeurent assez souples.</p>
<p>Il n’existe pas, par exemple, de mainmise hiérarchique, d’intermédiaires tout puissants, comme peuvent parfois l’affirmer d’anciens courtisans qui dépeignent désormais la France insoumise en mouvement <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/pourquoi-le-fonctionnement-de-la-france-insoumise-est-anti-democratique-20220503">« dictatorial »</a>. Certes la culture autour de l’homme providentiel, le leader puissant existe, mais elle assez banale dans la <a href="https://www.cairn.info/l-ego-politique--9782200283100.htm">culture politique de la Vᵉ Rép</a> et la médiatisation des <a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">personnalités politiques</a> comme le montre d’ailleurs <a href="https://editions.flammarion.com/le-retour-du-prince/9782081481473">Vincent Martigny</a>.</p>
<p>En revanche, il est intéressant d’analyser la façon dont LFI structure ces réseaux et pense le mouvement. La base militante bénéficie d’une grande autonomie, la charte du mouvement promet une forte horizontalité, plus de démocratie, de consensus. Cependant, on observe que les moyens financiers et matériels mis en œuvre pour parvenir à cette promesse font défaut. Dans les faits, les décisions sont prises de façon verticale et le mouvement fonctionne de manière assez rigide.</p>
<p>Ainsi, la stratégie LFI a été de faire de la présidentielle un enjeu politique principal au détriment d’autres formes de militantisme. De la même façon, les militants n’ont pas accès aux grandes décisions stratégiques, et ont une faible marge de manœuvre sur les décisions programmatiques. Il n’existe pas de système de vote sur les programmes ou les investitures contrairement au PS par exemple, au PC et à EELV : Mélenchon décide seul avec sa garde rapprochée.</p>
<h2>Un turn-over important</h2>
<p>Ce fonctionnement suscite un turn-over important dans le mouvement. Le départ de Charlotte Girard, responsable du programme durant la campagne présidentielle de 2017, en constitue l’exemple le plus éloquent. Il n’existe pas de fidélisation des militants LFI hormis ceux qui ont eu accès à des postes d’assistants parlementaires par exemple lors du premier quinquennat, soit quelques dizaines de personnes sur un mouvement comptant une base militante de plusieurs milliers. Dès la fin de l’année 2017, 9/10<sup>e</sup> des personnes ont quitté le mouvement, même si elles ont pu poursuivre leur engagement politique ailleurs : associations pour le climat, bénévolat, syndicalisme. Rappelons aussi que le fait d’adhérer à LFI (gratuitement et en quelques clics sur Internet) n’engage aucunement à s’investir au sein d’un <a href="https://lafranceinsoumise.fr/groupes-action/carte-groupes/">groupe d’action</a>. Autrement dit, le nombre de militants est largement inférieur au nombre de membres.</p>
<p>Ce mode de gouvernance au sein de LFI peut être déstabilisant pour les alliés de la Nupes qui ont un tout autre fonctionnement. La gauche dans sa globalité s’est réorganisée et a, d’une manière inédite au XX<sup>e</sup> siècle, fait union autour de la plus radicale des formations politiques de gauche. Ces militants doivent désormais apprendre à collaborer ensemble : en dépit des hypothèses émises par certaine, une désunion semble, à court terme, difficilement envisageable. L’union a été plébiscitée <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/sondage-viavoice-la-nupes-une-alliance-des-gauches-et-des-verts-desiree-mais-desequilibree-20220511_U5FXPUPXIRD75FYHEQJUNZHZKI/">par une part importante</a> des sympathisants de gauche, et si la victoire n’a pas été complète, notamment pour Jean-Luc Mélenchon, le fossé qui sépare la Nupes et la Macronie demeure plus important que les tensions entre les formations de gauche.</p>
<h2>Une délicate culture du compromis</h2>
<p>Reste à imaginer comment LFI parviendra à s’imposer dans l’arène politique sur le temps long. Le manque de pluralisme et la verticalité imposée par Jean-Luc Mélenchon a certes laissé place à une accélération de la culture du compromis lors de la constitution de la Nupes. Mais cet assouplissement de la machine idéologique pour travailler de concert avec des alliés peut-elle se traduire par un investissement équivalent sur les bancs de l’Assemblée ?</p>
<p>Les règles institutionnelles de la V<sup>e</sup> ne favorisent pas cette culture. Le fait majoritaire et la prééminence de l’exécutif sur le législatif n’incitent pas ou peu à passer des compromis.</p>
<p>Notons cependant que la V<sup>e</sup> République a beaucoup évolué au cours des soixante dernières années et il semble que, tant du côté de la majorité présidentielle que du côté de la Nupes, la quête de compromis s’impose désormais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185571/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manuel Cervera-Marzal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au sein de LFI, s'affranchir de la ligne portée par Jean-Luc Mélenchon demeure complexe: le mouvement pourra-t-il se fondre dans un projet de gauche collectif?Manuel Cervera-Marzal, Chercheur qualifié au FNRS (Université de Liège / PragmApolis), Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1823432022-05-04T18:42:26Z2022-05-04T18:42:26ZUnion des gauches : retour sur 50 ans d’alliances et de déchirements<p>En 2022, le printemps des gauches françaises a des allures de tempête. Si cette saison est difficile pour une partie de la classe politique, elle s’inscrit cependant à l’intérieur d’un cycle et la tempête n’a rien d’accidentel.</p>
<p>Les origines en sont connues. Vu la violence de l’orage, l’issue reste toutefois indéterminée et un naufrage toujours possible.</p>
<p>Alors que des coalitions se forment avant les législatives sans savoir ce que cela préfigure sur le long terme, quatre temps peuvent être distingués à l’intérieur de l’histoire de la gauche française au cours des cinquante dernières années.</p>
<h2>De l’union des gauches à la « gauche plurielle »</h2>
<p>Le premier temps fut celui de l’union de ses principales organisations politiques traditionnelles, socialiste, communiste et radicale. François Mitterrand et Georges Marchais mais aussi Robert Fabre, en furent les artisans en tant que signataires, en 1972, d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_commun">« programme commun »</a>. Les formations d’extrême gauche de même que la mouvance écologiste incarnée par René Dumont restaient exclues de cette association fragile qui permit à la descendance de la SFIO, Le Parti socialiste, de s’imposer sur ses partenaires comme parti à vocation présidentielle entre 1974 et 1995.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Yzk2TyBuD1M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En juin 1972, c’est la naissance de l’union de la gauche qui adopte un programme commun pour les élections présidentielles de 1974.</span></figcaption>
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<p>Le deuxième temps fut celui de la reconnaissance de l’irréductibilité du caractère pluriel de la gauche française. Les différentes composantes de celle-ci se rejoignent à la fin du siècle dernier a minima dans un attachement à des politiques redistributives et la recherche de la définition d’une qualité de vie en Europe que la seule liberté économique de produire et de consommer ne garantit pas.</p>
<p>La notion de « gauche plurielle » occupe alors une place centrale dans le vocabulaire de Lionel Jospin entre 1997 et 2002. Le gouvernement dont il est le Premier ministre, alors que Jacques Chirac a accédé à la présidence de la république en 1995, ne bénéficie pas au Parlement que du soutien des partis socialiste et communiste ainsi que des radicaux de gauche. Il peut également s’appuyer sur les écologistes et le « mouvement des citoyens » inspiré par Jean-Pierre Chevènement.</p>
<p>L’alliance des composantes de la « gauche plurielle » ne résiste pas en 2002 à la consolidation, patiemment réalisée par Jean-Marie Le Pen, de l’implantation du Front national dans la plupart des régions du pays. La séduction d’un discours nationaliste, devenu également social, l’emporte sur une rhétorique progressiste, traditionnelle et essoufflée.</p>
<p>Bâtie comme un cartel d’organisations politiques, la « gauche plurielle » néglige la construction d’une assise sociologique, c’est-à-dire les catégories sociales et professionnelles dont elle vise la représentation. Selon les termes du politologue <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070136407-le-sens-du-peuple-la-gauche-la-democratie-et-le-populisme-laurent-bouvet/">Laurent Bouvet</a>, elle tend à perdre le « sens du peuple ».</p>
<p>En outre, le Parti socialiste qui en demeurait le pôle principal échoue à convaincre que la méthode européenne est le seul choix politique réaliste pour réguler et dynamiser une économie de marché qui était minée par la stagflation avant la relance continentale favorisée par l’Acte unique en 1983 et le Traité de Maastricht en 1991.</p>
<h2>De la fracture à la recomposition/décomposition ?</h2>
<p>Le néo gaullisme de Jacques Chirac auquel succède Nicolas Sarkozy en 2007 rassure en même temps qu’il peut paraître plus cohérent dans l’articulation qu’il propose entre libéralisme et européisme. Le mandat de François Hollande est un sursaut entre 2012 et 2017, mais il n’inverse pas une tendance. La gauche plurielle se délite et le PS se divise.</p>
<p>Le troisième temps de la valse des gauches est donc celui de la fracture. Entre 2017 et avril 2022, les gauches françaises ne sont plus définies par leur pluralité mais par une double rupture. D’une part, Jean-Luc Mélenchon a confirmé son ambition d’incarner une stratégie alternative à l’européisme social-démocrate en bâtissant, à partir d’un Front de Gauche, le mouvement dit de la France Insoumise qui deviendra celui de l’Union populaire.</p>
<p>D’autre part, le ministre de l’Économie de François Hollande a misé sur l’obsolescence du parti socialiste pour lancer une entreprise social-libérale qui comprend l’avenir du pays dans les termes d’une modernisation fondée sur des politiques de l’offre et d’une participation à une Union européenne renforcée. En 2017, la victoire d’Emmanuel Macron est totale. À gauche, le Parti socialiste et la France Insoumise totalisent moins de 10 % des sièges de l’Assemblée nationale dans laquelle aucun élu d’une liste écologiste n’est présent.</p>
<p>Les tractations lancées en avril 2022 laissent présager un quatrième temps, celui d’une composition. Reste à voir, au fil du second mandat d’Emmanuel Macron, s’il s’agira d’une recomposition ou d’une décomposition.</p>
<h2>État des lieux provisoire</h2>
<p>À la veille des élections législatives du mois de juin, les débats au sein d’une gauche nationale fragmentée sont le produit d’une histoire d’au moins cinquante ans et non d’accidents récents.</p>
<p>La faiblesse, en avril, du mouvement écologiste dans lequel Olivier Faure voyait l’avenir du Parti socialiste confirme à la fois la centralité conservée par les préoccupations matérielles des citoyens et le peu de crédibilité depuis les années 1970, hormis en Allemagne, des Verts pour assurer la transition énergétique. Ce déficit de crédibilité et de représentation à l’échelle nationale contraste avec le statut de force politique de premier plan dans plusieurs grandes villes depuis les élections municipales de 2020. Dans la nuit du 1<sup>er</sup> au 2 mai, EELV a pourtant misé sur une alliance avec la France Insoumise dans une « Nouvelle union populaire écologique et sociale » plutôt que sur une lente conquête nationale basée sur ses bilans municipaux et la stimulation d’une « économie sociale » post-capitaliste dans les territoires.</p>
<p>Ensuite, les débats internes du PS rendent compte de la permanence d’un attachement à la contestation du bien-fondé du projet européen jalonné par les traités de Rome, Paris et Lisbonne. D’essence jacobine et notamment défendue par Jean-Luc Mélenchon avant qu’il ne quitte le parti, ses tenants prétendent pouvoir négocier d’autres traités que ceux qui ont été conclus.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-socialisme-est-il-mort-181209">Le socialisme est-il mort ?</a>
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<p>Enfin, une partie des orientations de la République en Marche reproduit les contenus du « socialisme de l’offre », dont il existe des variantes germaniques, anglo-saxonnes et scandinaves qui avaient déjà séduit une partie de l’électorat du PS en 2017. La question ouverte est de savoir dans quelle mesure Emmanuel Macron réussira en juin à conserver cet électorat, voire à l’étendre dans l’hypothèse d’une fédération de gauches par Jean-Luc Mélenchon. Le ralliement au Président de la République de Jean-Pierre Chevènement est un indice. Le choix des électeurs est toutefois plus incertain que celui des leaders. Et cette incertitude concerne notamment la proportion dans laquelle Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon réussiront respectivement à canaliser le mécontentement social. Car, de l’opposition à l’extension aux couples homosexuels du droit au mariage aux manifestations des « gilets jaunes », ce mécontentement frappe par son caractère pluriel.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, les élections législatives de juin 2022 ne seront qu’une étape dans la restructuration du paysage politique français et européen.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-pourra-t-elle-sinscrire-dans-la-duree-180978">La France insoumise pourra-t-elle s’inscrire dans la durée ?</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Christophe Sente contribue à différentes revues européennes et fondations, parmi lesquelles la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS).</span></em></p>Avec l’union des gauches sous la banderole de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) assiste-t-on à une nouvelle étape dans la restructuration du paysage politique français ?Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1811222022-04-12T18:27:28Z2022-04-12T18:27:28ZUn effondrement socialiste qui vient de loin<p>Le score de 1,72 % de <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/10/anne-hidalgo-obtient-le-score-le-plus-bas-de-l-histoire-du-ps-a-l-election-presidentielle_6121504_6059010.html">suffrages exprimés</a> en faveur d’Anne Hidalgo, candidate du Parti socialiste, lors du premier tour de l’élection présidentielle 2022, marque sans ambiguïté l’effondrement de l’une des plus vieilles organisations partisanes de France, <a href="https://francearchives.fr/fr/pages_histoire/39935">héritière de la Section française de l’Internationale ouvrière</a> (SFIO) fondée en 1905 sous l’impulsion de Jean Jaurès et de Jules Guesde. [Refondé en 1969], le Parti socialiste a pris son essor à la suite du congrès d’Épinay de 1971 qui <a href="https://books.openedition.org/pur/92469?lang=fr">installe François Mitterrand à sa tête</a>.</p>
<p>Si <a href="https://spire.sciencespo.fr/notice/2441/7dae05403o8pmo8nmasehuf0l2">son histoire</a> a connu de nombreux rebondissements, la fin du quinquennat de François Hollande (2012-2017) ouvre des failles profondes qui ne sont toujours pas refermées.</p>
<h2>Les fractures du quinquennat Hollande</h2>
<p>L’élection présidentielle de 2017 met en lumière l’affaiblissement du PS dont témoigne le score déjà historiquement faible réalisé par son candidat <a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/presidentielle-5-chiffres-qui-font-tres-mal-pour-hamon-24-04-2017-6885441.php">Benoît Hamon</a>. La majorité des cadres du parti, de même que ses élites gouvernementales, se rallient à la candidature d’Emmanuel Macron. Au niveau de l’électorat, la logique de « vote utile » joue à plein. Les électeurs reportent massivement leurs voix vers l’ancien ministre de l’Économie de François Hollande mais aussi, pour une part significative, vers Jean-Luc Mélenchon, qui attire alors 16 % des électeurs ayant voté François Hollande au premier tour en 2012.</p>
<p>Ces résultats soulignent l’accentuation des divisions internes de la famille socialiste sous le quinquennat Hollande. Celles-ci commencent à poindre après le « choc » du 21 avril 2002 et, plus encore, du référendum de 2005 pour une Constitution européenne, où le camp du « non » compte de chauds partisans comme Laurent Fabius ou Henri Emmanuelli. <a href="https://www.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/sources-brutes/20120122.OBS9488/l-integralite-du-discours-de-francois-hollande-au-bourget.html">Le discours du Bourget prononcé par le candidat Hollande en janvier 2012</a>, cristallise un malentendu entre ce dernier et son électorat. </p>
<p>Exaspérés par la politique sécuritaire, le climat de tensions et les affaires de la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012), la plupart des électeurs socialistes ne veulent pas voir (ou prendre au sérieux) la modération du programme économique et social de François Hollande. Sa charge contre la finance, qu’il désigne comme son ennemi principal, et son engagement pour un contrôle plus important des <a href="https://www.luipresident.fr/francois-hollande/engagement/mettre-fin-aux-produits-financiers-toxiques-224">produits financiers toxiques</a> relèvent davantage de considérations tactiques que d’une conviction de fond. Les fondements de son programme économique portent sur la compétitivité des PME et le retour à l’équilibre des finances publiques dès la fin du quinquennat. Le président assume d’ailleurs rapidement cette approche « social-libérale » et annonce, en novembre 2012, la mise en place du CICE, un crédit d’impôt sur les bénéfices des entreprises à hauteur de 20 milliards d’euros par an.</p>
<p>L’approfondissement de cette orientation économique avec la nomination de Manuel Valls à Matignon en mars 2014 conduit quelques mois plus tard à la démission du ministre de l’Économie d’alors, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/demission-du-gouvernement-valls-montebourg-et-hamon-s-en-vont_1697397.html">Arnaud Montebourg</a>, ainsi qu’à celle de Benoît Hamon, éphémère ministre de l’Éducation nationale. Peu après, une partie du groupe parlementaire socialiste affirme à son tour publiquement son opposition à la voie « social-libérale », personnifiée par le Premier ministre et son nouveau ministre de l’Économie, Emmanuel Macron. Ces députés <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/08/27/les-frondeurs-du-parti-socialiste-traitres-et-heros_5503455_823448.html">« frondeurs »</a> s’opposent au gouvernement jusqu’à la fin du quinquennat, traduisant la faiblesse du leadership du président sur le parti dont il avait longtemps été le premier secrétaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Manuel Valls, septembre 2015.</span></figcaption>
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<p>Si la politique économique de François Hollande fut bien éloignée du discours du Bourget, il est important de noter la continuité de ses positions sur le sujet. <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/francois-hollande-est-il-encore-le-fils-spirituel-de-jacques-delors_1163305.html">Proche de Jacques Delors dans les années 1980</a>, il propose alors de répondre aux défis de la mondialisation et de l’approfondissement de la construction européenne par une politique fondée sur la compétitivité des entreprises et une flexibilité accrue du marché du travail qui serait contrebalancées par la défense de l’État social, une protection plus individualisée des travailleurs et le développement de la formation continue. Sous son quinquennat néanmoins, ses choix politiques sur des sujets économiques, sociaux mais aussi régaliens déstabilise et clive sa famille politique, au premier chef la <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/debat-sur-la-decheance-de-nationalite/">proposition de déchéance de nationalité</a> à la suite des attentats du Bataclan en 2015 puis la loi travail dite <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2016/05/25/projet-de-loi-el-khomri-pas-question-de-revenir-sur-l-article-2-pour-stephane-le-foll_4926225_823448.html">loi El Khomri</a> l’année suivante, qui accroît la flexibilité du marché du travail.</p>
<h2>Des élites socialistes de plus en plus déconnectées de leur électorat</h2>
<p>Comment comprendre ces propositions en décalage avec l’idéologie de la gauche traditionnelle ? Les mutations sociologiques de l’électorat socialiste apportent quelques éléments d’explications. Ce dernier en effet a profondément évolué au cours des dernières décennies.</p>
<p><a href="https://www.lhistoire.fr/10-mai-1981-pourquoi-mitterrand-gagn%C3%A9">En 1981</a>, 72 % des ouvriers et 62 % des employés ont voté pour François Mitterrand au second tour : des chiffres que la gauche n’a jamais retrouvés depuis.</p>
<p>En devenant un parti de gouvernement, les socialistes ont mis en œuvre, surtout après 1984 et la nomination à Matignon de Laurent Fabius, une politique économique privilégiant la modernisation industrielle, la libéralisation financière, et <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2018-2-page-65.htm">l’approfondissement de la construction européenne</a> tout en s’efforçant de défendre l’État social dans un contexte de chômage de masse touchant l’ensemble des sociétés occidentales. Ces choix des socialistes au pouvoir, pas complètement assumés et expliqués, contribuent à <a href="https://revuegerminal.fr/2021/11/14/la-gauche-peut-elle-vraiment-se-passer-des-classes-populaires/">éloigner le PS des classes populaires</a>.</p>
<p>À partir des années 1990, ces électeurs se réfugient dans l’abstention. Une part significative rallie le Front national de Jean-Marie Le Pen tandis qu’une petite minorité opte pour des partis de gauche plus radicaux. Surtout, la gauche n’attire plus les nouvelles générations d’ouvriers et d’employés qui, après 1995, votent majoritairement et sans discontinuer pour <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national%20--%209782724618105-page-323.htm">la droite et l’extrême droite</a>.</p>
<p>Ce divorce avec les couches les plus populaires de l’électorat s’accompagne d’une autre rupture, plus progressive et silencieuse, avec les personnels de l’État, longtemps bastion privilégié du socialisme français. Depuis les années 2000, les <a href="http://www.pub-editions.fr/index.php/ouvrages/socialistes-et-enseignants-le-parti-socialiste-et-la-federation-nationale-de-l-education-de-1971-a-1995.html">enseignants</a> ont par exemple cessé de voter en masse pour le PS, à l'exception notable de l'élection présidentielle de 2012) lui reprochant des prises de positions trop favorables à l’égard de la <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-41540-2_13">mondialisation libérale</a> et des politiques éducatives ne répondant pas à leurs attentes.</p>
<p>En dehors de quelques mesures phares impulsées sous les gouvernements de Michel Rocard et Lionel Jospin – [Revenu minimum d’insertion], <a href="https://easynomics.fr/2020/05/03/lionel-jospin-et-les-35-heures/">semaine des 35h</a>, <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/vingt-ans-apres-sa-creation-quel-bilan-pour-la-couverture-maladie-universelle-6706653">couverture maladie universelle</a> – le parti assume en effet une politique de l’offre tournée vers la compétitivité des entreprises et la primauté d’une régulation de l’activité économique par des mécanismes de marché dont la puissance publique doit toutefois <a href="https://www.cairn.info/les-socialistes-francais-et-l-economie%20--%209782724618600.htm">corriger les excès par des politiques sociales ciblées</a>.</p>
<p>Ces orientations politiques creusent les divisions de la gauche et affaiblissent le PS. Si ce dernier s’est appuyé sur des organisations telles que le Parti communiste ou les Verts pour nouer des alliances ponctuelles au gré des scrutins européens ou locaux, il ne parvient plus à créer une dynamique, comme ce fut par exemple <a href="https://theconversation.com/lunion-de-la-gauche-a-t-elle-un-avenir-147058">le cas dans les années 1970</a>.</p>
<p>À partir de 2017, le rejet assumé du <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">clivage gauche-droite</a> par Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, rejoignant sur ce point la position des leaders du FN qui, dès la fin des années 1990, lui substituent l’opposition entre « mondialistes » et « nationaux », porte un coup dur au PS désormais perçu comme l’une des principales incarnations du « vieux monde » politique.</p>
<h2>La faiblesse des réseaux socialistes</h2>
<p>L’enracinement sociétal de la SFIO puis du PS qui, contrairement aux social-démocraties d’Europe du Nord, furent toujours des partis d’élus et non de masse, est resté faible à l’exception de rares fédérations emblématiques comme celle du Nord. Dans les années 1970 cependant, le décollage du PS s’explique par une capacité de mobilisation au-delà de ses traditionnelles mairies. Le parti trouve des relais dans des syndicats ouvriers (la CFDT) et étudiants (l’UNEF) mais aussi dans les milieux associatifs et coopérateurs. Il est ainsi courant que les militants PS soient également encartés à la CFDT et exercent des fonctions associatives, par exemple dans les fédérations de parents d’élèves. L’influence du PS sur ces réseaux a disparu depuis longtemps et l’épisode de la Loi Travail a achevé de déstabiliser la CFDT, historiquement ouverte à un dialogue (qui ne fut jamais simple) avec le socialisme de gouvernement.</p>
<p>Plus largement, dans la perspective d’une recomposition et d’une réinvention du PS, l’affaiblissement des <a href="https://theconversation.com/debat-macron-et-les-gilets-jaunes-le-miroir-de-la-desintermediation-107635">corps intermédiaires</a>, qui s’est accéléré sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, le prive d’un levier de sortie de crise.</p>
<p>Un autre facteur, plus souterrain, peut également être mobilisé pour comprendre la déconnexion croissante entre les élites socialistes et la société. Il réside dans la relation que cette organisation entretient avec l’État <a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/les-socialistes-europeens-et-letat/">depuis les années 1980</a>. Des politistes ont mis en lumière un phénomène de <a href="https://www.theses.fr/084447273">« cartellisation »</a>. En devenant un parti de gouvernement, le PS a accru sa dépendance vis-à-vis de l’État non seulement pour ses finances, de plus en plus dépendantes de l’argent public, mais aussi pour son expertise avec la pénétration massive de hauts fonctionnaires au sommet de l’appareil. Cette mue du PS en une « agence semi-publique centralisée » l’a considérablement éloigné des <a href="https://www.cairn.info/les-systemes-de-partis-dans-les-democraties-occide--978272461055.htm">militants et de la société</a>.</p>
<p>Facteurs de court, moyen et long terme se conjuguent donc pour expliquer le score dérisoire de la candidate socialiste au premier tour de l’élection présidentielle. Depuis 2017, le PS est bien en voie de « pasokisation », vocable passé dans le langage des sciences sociales en référence au Parti socialiste grec (PASOK) qui disparaît presque complètement du paysage politique à la suite de la terrible crise économique et sociale ayant frappé le pays à la fin des années 2000. Pasokisation n’est cependant pas synonyme de disparition. </p>
<p>Comme l’ont montré de nombreux travaux, « les partis meurent longtemps » et disposent d’une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2017/05/30/les-partis-meurent-longtemps_5135737_823448.html">forte capacité de résilience</a> dont témoigne le regain électoral timide mais réel de certains partis sociaux-démocrates européens. Le PASOK lui-même pourrait offrir un bon exemple de sortie de crise au PS : après une décennie compliquée, cette organisation retrouve des couleurs grâce à la réactivation de réseaux d’élus et de syndicalistes locaux ainsi qu’à l’émergence d’un nouveau leader.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181122/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Fulla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le premier tour de l’élection présidentielle 2022 marque l’effondrement de l’une des plus vieilles organisations partisanes de France.Mathieu Fulla, Agrégé et docteur en histoire, membre permanent du Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810802022-04-11T21:07:34Z2022-04-11T21:07:34ZAnne Hidalgo et Valérie Pécresse, victimes aussi d’une falaise de verre ?<p>Pour la première fois de l’histoire, il n’y a jamais eu autant de femmes candidates à l’élection présidentielle et les partis historiques, le Parti socialiste (PS) et Les Républicains (LR) ont placé deux femmes à leurs têtes, pour concourir à l’élection présidentielle.</p>
<p>Valérie Pécresse (LR), battue dans les urnes ce dimanche 10 avril avec un score de 4,79 % <a href="https://www.marianne.net/politique/droite/valerie-pecresse-sous-la-barre-des-5-la-droite-pulverisee">ne cache plus</a> sa fatigue et son épuisement. Elle témoigne que « rien » ne lui a été épargné durant cette campagne. Quant à Anne Hidalgo (PS), elle a peiné à fédérer autour de son programme avec une dégringolade dans les estimations de vote jusqu’à un score historiquement bas le soir du premier tour : à 1,74 %, la candidate socialiste est placée <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/04/11/resultats-de-la-presidentielle-2022-avant-le-second-tour-deux-strategies-se-dessinent-chez-macron-et-le-pen_6121567_823448.html">juste au-dessus</a> de Philippe Poutou et Nathalie Artaud.</p>
<p>Valérie Pécresse et Anne Hidalgo seraient-elles victimes du phénomène de la « falaise de verre » ? L’analyse du parcours de ces femmes en politique pourrait être observée au regard de ce que les scientifiques en leadership ont théorisé depuis de nombreuses années.</p>
<p>Ainsi deux chercheurs de l’Université d’Exeter, Michelle Ryan et Alexander Haslam en 2005, ont <a href="https://psycnet.apa.org/record/2005-06147-001">montré</a> à partir d’un échantillon de 100 entreprises cotées à la Bourse de Londres (FTSE) que lors des situations de crise au sein d’une entreprise, les femmes étaient nommées à leur tête. Et non pas l’inverse : ce ne sont pas les femmes qui conduisent à la crise mais bien elles que l’on place quand c’est déjà trop tard.</p>
<h2>Un échec quasi inévitable</h2>
<p>La falaise de verre, terme emprunté à la métaphore du <a href="https://journals.openedition.org/sdt/16326">plafond de verre</a> constitue, aussi une autre forme de discrimination, insidieuse et subtile, plaçant les femmes dirigeantes dans une situation de leadership précaire. Ainsi leur échec en tant que leader est quasiment inévitable, puisque le contexte économique est en crise, ce qui les conduit inexorablement à être stigmatisée en cas d’échec.</p>
<p>Il semble que les candidates du PS et des LR aient été placées au bord du précipice, dans une course électorale difficile à gagner. D’ailleurs, les <a href="https://www.unige.ch/fapse/psychosociale/collaborateurs/kulich">travaux de Clara Kulich</a> suggèrent que placer les femmes à la tête d’une entreprise en crise est observé comme un symbole de changement, voire même de bouc émissaire pour expliquer un échec, dans certains cas.</p>
<p>Depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, les partis traditionnels ont traversé une <a href="https://theconversation.com/disruption-ou-irruption-la-republique-dans-limpasse-presidentielle-174980">crise politique majeure</a>. Positionner deux femmes qui ont pourtant gagné des élections régionales pour Valérie Pécresse et la mairie de Paris pour Anne Hidalgo, les a conduits malgré tout à l’échec.</p>
<p>La falaise de verre s’est illustrée tout au long de leur campagne présidentielle. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/02/01/presidentielle-2022-le-parti-socialiste-au-bord-de-la-crise-de-nerfs_6111818_823448.html">Au PS</a>, Anne Hidalgo a obtenu le soutien timide d’Olivier Faure. Le premier secrétaire <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/anne-hidalgo-les-traitres-et-les-planques-recit-d-une-semaine-sous-tension-au-ps_2167479.html">reproche</a> cependant à sa candidate de ne pas en faire assez. Anne Hidalgo, l’accuse de son côté de ne pas assez la <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/primaire-populaire-gauche/presidentielle-le-ps-reaffirme-son-soutien-a-anne-hidalgo-apres-la-victoire-de-christiane-taubira-a-la-primaire-populaire_4935877.html">défendre</a>.</p>
<p>Le maire de Dijon et socialiste François Rebsamen évoquait d’ailleurs que le Parti socialiste <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/19h20-politique/presidentielle-2022-anne-hidalgo-est-plombee-par-le-parti-socialiste-affirme-francois-rebsamen-qui-soutient-emmanuel-macron_4974957.html">« tire la candidate vers le bas »</a> au vu de la crise qu’il traverse : difficile dans ce contexte pour Anne Hidalgo de faire des miracles et de redresser une situation déjà critique depuis le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/ps/le-ps-va-t-il-survivre-au-quinquennat-de-francois-hollande_829003.html">quinquennat de François Hollande</a>.</p>
<p>Quant à Valérie Pécresse, elle s’est vue reprochée tout au long de la campagne son manque d’<a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/ni-un-monstre-froid-ni-une-macron-valerie-pecresse-en-quete-d-authenticite_2166863.html">authenticité</a>. Bien que très consciencieuse, connaissant son programme sur le bout des doigts, elle a été victime du « syndrome de la bonne élève », ses détracteurs critiquant son manque d’incarnation de la fonction présidentielle, ce qui a contribué à la discréditer.</p>
<p>La campagne présidentielle n’a pas permis aux femmes de se détacher à côté des autres candidats. Bien au contraire, cette campagne a mis en exergue les biais invisibles (comme la falaise de verre) rencontrés par les femmes dirigeantes.</p>
<p>D’ailleurs Michelle Ryan et Alexander Haslam soulignent qu’en cas d’échec, la dissonance entre les attentes stéréotypées de leadership (fermeté, puissance) et les stéréotypes féminins (douceur, bienveillance) est alors renforcées. L’échec conduit alors à discréditer les femmes aux positions de leadership.</p>
<h2>Des attentes et injonctions contradictoires</h2>
<p>Exercer du leadership lorsque l’on est une femme constitue une difficulté particulière parce que les attentes sociales apposées aux femmes (de douceur et de sympathie) sont en contradiction flagrante avec les attentes de leadership (de pouvoir et de domination). Par conséquent, un <a href="https://psycnet.apa.org/record/2018-19642-001">article publié</a> dans la revue <em>The Leadership Quarterly</em> en 2018, suggère que les femmes qui parviennent à asseoir leur leadership et à le voir reconnu par les suiveurs savent gérer avec dextérité, des injonctions paradoxales contradictoires. Être à la fois ferme et compétente, tout en faisant preuve de douceur et de sympathie. Le problème est que ces qualités sont souvent vues comme opposées et difficiles à mettre en place, en même temps.</p>
<p>Il semblerait ainsi que seule Marine Le Pen soit parvenue à gérer ces tensions contradictoires. Elle a réussi à lisser son discours, pour paraître <a href="https://www.lepoint.fr/politique/marine-le-pen-les-francais-estiment-que-son-image-s-est-adoucie-17-01-2022-2460773_20.php">« adoucie »</a>, « davantage sympathique et chaleureuse » dans les yeux des Français (33 %, +4 points par rapport à mai 2021), considérée comme une attente stéréotypée féminine ; tout en étant perçue comme « capable de prendre des décisions » (52 %) (<em>Le Point</em>, 17/01/2022), attente stéréotypée de leadership.</p>
<p>Le parcours des femmes en politique permet d’illustrer le long et difficile cheminement des <a href="https://www.telerama.fr/radio/podcast-popol-entre-engagement-et-bonne-humeur-la-politique-au-feminin-7009021.php">femmes pour accéder au pouvoir</a>, des entreprises ou des administrations publiques. Alice Eagly, l’une des premières chercheuses américaines à travailler sur le leadership des femmes évoque la métaphore du <a href="https://www.apa.org/news/podcasts/speaking-of-psychology/women-leaders">« labyrinthe »</a> pour illustrer le cheminement difficile et complexe traversé par les femmes pour parvenir aux positions stratégiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181080/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Saint-Michel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le résultat des deux candidates des partis historiques montre aussi que le cheminement des femmes en politique demeure difficile, excepté peut-être pour Marine Le Pen.Sarah Saint-Michel, Maître de conférences, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1811232022-04-11T21:07:31Z2022-04-11T21:07:31ZUn pays fracturé pour un second tour incertain<p>Comme on pouvait s’y attendre, le scrutin du 10 avril n’a pas purgé la situation provoquée par <a href="https://theconversation.com/disruption-ou-irruption-la-republique-dans-limpasse-presidentielle-174980">l’irruption d’Emmanuel Macron en 2017</a> dans la porcelaine fragilisée du système des partis. Au contraire. Loin de stabiliser un nouvel ordre politique, <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">il dévoile un paysage lunaire</a> incertain d’où semblent exclus, à droite comme à gauche, les vieux partis de gouvernement : il y a cinq ans, avec un Benoît Hamon à 6,36 %, c’est le Parti socialiste qui prenait le chemin de la sortie ; voici le tour des Républicains de sombrer, écartelés entre Emmanuel Macron et Éric Zemmour, et qui se retrouvent en dessous de la barre des 5 %. Pendant que le PS, dépassé par Jean Lassalle et Fabien Roussel, réalise le score le plus faible de son histoire à moins de 2 %.</p>
<p>Terrible descente aux enfers dans une France à deux vitesses où, paradoxalement, les partis qui restent les maîtres du jeu au plan local se voient décapités au plan national !</p>
<h2>Triangulation meurtrière</h2>
<p>Faute d’avoir réformé les institutions politiques en revitalisant l’équilibre des pouvoirs et en ouvrant les conditions d’une pleine représentation démocratique, on a laissé l’implacable mécanique de l’élection présidentielle faire son œuvre de guillotine sèche, dans une atmosphère où la colère et la peur se disputent à la résignation.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-dynamique-spectaculaire-du-vote-utile-181044">Entre les siphonnages croisés</a>, à base de vote utile ou de vote refuge, et le vote protestataire, la <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">vieille bipolarisation droite/gauche</a> a fait long feu.</p>
<p>L’heure est à l’agglomération des électeurs autour de trois pôles : un pôle d’extrême droite, fort de ses 32,29 % et qui gagne 1,6 million de voix par rapport à 2017 ; un pôle de gauche radicale, autoproclamé par Mélenchon unité populaire, avec 22 % ; un pôle central autour du président sortant, qui rassemble 27,84 % des suffrages.</p>
<p>Autour de ce dernier, isolé au milieu des terres de sables mouvants, un habitat dispersé pour les lambeaux des partis non-alignés sur les pôles : Roussel, Jadot, Pécresse, Hidalgo ne totalisent à eux quatre que 13,45 % (4 727 073 suffrages). À elle seule, Valérie Pécresse, tombant à 1 679 470, perd 5 533 525 des voix réunies <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9sultats_d%C3%A9taill%C3%A9s_de_l%27%C3%A9lection_pr%C3%A9sidentielle_fran%C3%A7aise_de_2017">par François Fillon</a>.</p>
<p>Les Républicains, pris en tenaille entre l’extrême droite et Emmanuel Macron, font donc particulièrement les frais du naufrage : ils ont été victimes du siphonnage par ces deux pôles. Une mésaventure du même genre est arrivée aux écologistes et aux socialistes, victimes collatérales des sirènes du vote utile chantées par Jean-Luc Mélenchon.</p>
<h2>Défaites spectaculaires</h2>
<p>Dans ce jeu de vases communicants, certaines défaites sont particulièrement spectaculaires : des douze candidats, seuls trois émergent au-dessus de 20 %, tandis que neuf sont en dessous de la barre des 10 % et huit au-dessous de celle des 5 %. Et près de 15 points séparent le quatrième du troisième ! Étrange déconnexion d’un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins-dete/entre-decompositions-et-recompositions-ou-va-la-vie-politique-francaise">champ politique en pleine recomposition</a>, dont on saisit difficilement la cohérence avec le paysage politique local. Souvenons-nous qu’en 2017, les quatre premiers candidats se tenaient dans un mouchoir de poche…</p>
<p>Jean-Luc Mélenchon peut se targuer d’un score plus élevé que le laissaient attendre les sondages, quoique moins important sans doute qu’il ne l’espérait : avec 21,95 %, il progresse de 655 000 voix par rapport à 2017 (+5,97 %). L’apport d’un vote utile d’écologistes et de socialistes ne suffit pas à compenser le handicap causé par la présence de son ancien allié communiste, qui a cette fois fait cavalier seul : il échoue de 421 000 voix à dépasser Marine Le Pen.</p>
<p>Emmanuel Macron, de son côté, réussit à franchir le cap en tête, précédant de près de quatre points sa principale rivale. Avec 27,84 % des suffrages, il améliore de plus de 1 130 000 voix son score de 2017 (+13 %). Quant à Marine Le Pen, avec 23,15 % elle réussit, par une habile utilisation du vote utile, à surmonter le handicap d’une candidature Zemmour et progresse de plus de 450 000 voix par rapport à la précédente élection (+5,96 %).</p>
<h2>Les reports de voix</h2>
<p>Le chemin du second tour est semé d’incertitudes et d’embûches. Car la partie qui va se jouer est doublement complexe. Il y a, bien sûr, la désignation de l’occupant du fauteuil présidentiel. Mais au-delà, il y a la question de <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-institutions-politiques--9782707158611-page-87.htm">l’efficience des institutions</a> et leur capacité à répondre aux attentes d’un pays profondément divisé et fracturé.</p>
<p>Le résultat du premier tour laisse planer une fausse clarté sur l’issue du second. Cette cristallisation tripolaire antagoniste freine ce qui est un des deux éléments essentiels de la dynamique d’un second tour : les <a href="https://www.cairn.info/comment-les-electeurs-font-ils-leur-choix--9782724611076-page-381.htm">reports de voix</a>.</p>
<p>Marine Le Pen semble n’avoir aucune inquiétude à se faire de ce point de vue, la texture du vote d’extrême droite étant homogène et les deux autres candidats de son camp, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, appelant sans surprise et sans condition à voter pour elle. Elle peut de surcroît, au vu de l’attitude du numéro 2 de la primaire LR, Éric Ciotti, partisan d’une droite dure, espérer une part des voix recueillies par Valérie Pécresse.</p>
<p>Et cerise sur le gâteau, dans le cadre d’une sorte de « tout sauf Macron », elle pourrait bénéficier de certains suffrages de Jean-Luc Mélenchon bien que ce dernier a appelé à plusieurs reprises dimanche soir à ne « pas donner une seule voix » à l’extrême droite sans pour autant donner une consigne en faveur d’Emmanuel Macron.</p>
<h2>Une campagne ardue pour Emmanuel Macron</h2>
<p>Face à ces deux blocs qu’unit leur commune hostilité au président-candidat, Emmanuel Macron ne dispose pas des mêmes ressources potentielles. Certes, aussi bien Anne Hidalgo que Valérie Pécresse, Yannick Jadot et Fabien Roussel ont fermement et clairement appelé à voter pour lui. Mais leur potentiel reste faible, à supposer qu’il soit discipliné. Il lui faudra ferrailler dur pour amener à lui les électeurs de gauche qui auront voté Mélenchon afin d’éviter trop de déshonneur à leur camp. Reste à jouer sur la participation et susciter une dynamique parmi les abstentionnistes du premier tour. Cette participation a été médiocre : seulement deux points de plus qu’en 2002 et quatre de moins qu’en 2017. Il y a donc là du soutien à espérer.</p>
<p>Ce qui sera lié à la deuxième dimension de l’élection : l’efficience démocratique dans le fonctionnement des institutions. Car il y a un <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">déficit de confiance dans les élus</a>. Il y a peu de chance, en effet que le 24 avril purge la France du malaise entretenu dans l’opinion publique. Le risque est lourd de voir la légitimité du vainqueur remise en cause.</p>
<p>Les années qui viennent de s’écouler ont suffisamment montré que l’élection, pour brillante soit-elle, ne suffit pas à elle seule à garantir un consentement au politique. Il va falloir inventer un mode de gouvernement qui sorte de l’impasse dans laquelle l’illusion présidentielle a plongé le pays au fil des décennies.</p>
<p>L’horizon serait très sensiblement différent si au lieu d’être réduites à un miroir aux alouettes présidentielles, des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/02/24/quel-serait-le-visage-de-l-assemblee-nationale-avec-la-proportionnelle-integrale-ou-partielle_6071093_4355770.html">législatives à la proportionnelle</a> permettait un pluralisme et une diversité des opinions représentées. Et si un fonctionnement des institutions se faisait plus respectueux de l’équilibre des pouvoirs. Cela aura été la lourde erreur du quinquennat que de s’économiser cette réforme. Il faut aujourd’hui en solder le prix.</p>
<p>Emmanuel Macron semble l’avoir compris, qui déclarait au soir du premier tour :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis prêt à inventer quelque chose de nouveau pour rassembler les convictions et les sensibilités diverses. »</p>
</blockquote>
<p>Faute de s’être donné les moyens de pouvoir agir immédiatement, il lui faut se contenter de tracer une perspective cavalière, pour tenter de convaincre de la manière dont il entend procéder pour sortir de cette pratique verticale et concentrée dans l’exercice du pouvoir.</p>
<p>À la lecture des résultats du premier tour, l’exercice promet d’être périlleux. Danton disait qu’il fallait de l’enthousiasme pour fonder une République. Il en faut aussi pour la conserver.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre éclatement des partis traditionnels, division des électeurs en trois pôles et reports de voix compliqués, l’issue du second tour n’est acquise pour personne.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1793852022-03-22T19:35:17Z2022-03-22T19:35:17ZÉlections présidentielles 2022 : que reste-t-il de Karl Marx chez les candidats ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/452413/original/file-20220316-13-1i54aqm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C12%2C1180%2C790&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Karl Marx sur un mur à Saint-Romain-au-Mont-d’Or, en région Rhône-Alpes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/home_of_chaos/4016285125">Thierry Ehrmann/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’affirmation fréquente selon laquelle les enjeux internationaux ont peu d’influence sur des élections nationales est aujourd’hui fragilisée par la déflagration internationale provoquée par l’offensive lancée par l’État russe sur le territoire ukrainien. S’il est bien peu pertinent d’en tirer des conclusions dès à présent, il est fréquent que les pouvoirs en place ressortent relativement renforcés par des périodes de forte instabilité.</p>
<p>Aussi il n’est pas inutile de réaffirmer que les questions nationales sont délimitées par les enjeux internationaux, et c’est d’emblée dans une optique internationale que Marx et Engels avaient développé leurs réflexions, notamment en concluant un de leurs textes les plus influents par « Prolétaires de tous les pays unissez-vous » (<em>Manifeste du parti communiste</em>, 1848).</p>
<p>C’est à partir de leur pensée que nous allons tâcher de donner des clés de compréhension du moment représenté par l’élection présidentielle de 2022 en France, tout en nous gardant de la concevoir comme « un dogme, mais [plutôt comme] un guide pour l’action » (Engels, <em>Lettre à Sorge</em>, 1886), avec pour perspective « l’épanouissement [du] véritable royaume de la liberté » (Marx, <em>Le Capital</em>, 1867).</p>
<h2>« L’histoire est l’histoire de la lutte de classes »</h2>
<p>La théorie de Marx peut être décomposée en deux grands axes, la question économique avec une analyse du capitalisme articulée autour de la plus-value (richesse tirée de l’exploitation) et une réflexion sur le développement historique, avec la conception des modes sociaux comme transitoires.</p>
<p>C’est ainsi que les modalités d’extraction de la plus-value génèrent des classes sociales, et qu’elles se confrontent dans des rapports sociaux qui peuvent interroger l’existence d’une structure sociale dominante à un moment donné.</p>
<p>Si aucun des 12 candidats ne se revendique explicitement de Marx, nous pouvons en trouver des occurrences dans le programme de Nathalie Arthaud, de Lutte ouvrière, et dans celui de Philippe Poutou, du Nouveau Parti anticapitaliste (une fois chacun). C’est dire si cette figure ne semble pas porteuse pour des élections, et nous allons ici tâcher d’apporter un éclairage spécifique en nous appuyant sur les concepts qu’il a développés.</p>
<p>Depuis plus de deux siècles, les deux principales classes qui s’affrontent (pôles entre lesquels se trouvent une multitude de configurations complexes) sont la classe capitaliste, détentrice du capital, et donc des moyens de production, et la classe des travailleurs, détentrice de sa force de travail, les élections étant présentées comme un « thermomètre » (Engels, <em>L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État</em>, 1884) mesurant les rapports de classe. C’est ainsi à partir de ces catégories de classe que nous pouvons distinguer les organisations qui présentent un candidat aux élections, entre ceux qui sont issus de la mobilisation des travailleurs, et ceux qui ne le sont pas, à défaut les partis de la classe capitaliste.</p>
<h2>Les candidats du travail</h2>
<p>Dans le camp historiquement lié aux travailleurs, nous pouvons trouver les candidats de Parti socialiste (premier parti ouvrier de France, section française de l’Internationale ouvrière), du Parti communiste français (section française de l’Internationale communiste, après rupture avec le PS-SFIO), de La France insoumise (qui a principalement émergé du PS même si elle a regroupé d’autres courants), de LO et du NPA (tous deux issus de la lutte menée autour de Léon Trotsky pour construire une quatrième internationale contre le courant stalinien).</p>
<p>En adoptant les catégories de réforme et révolution, le premier implique des compromis avec le capitalisme, le second préconisant une rupture, pour qualifier les discours de ces organisations, nous pouvons les classer de la manière suivante. Le PS, le PCF et LFI se trouvent de toute évidence dans la première catégorie. Outre la différence significative entre les deux premiers et le troisième tenant à ce que le PS et le PCF ont connu une importante pratique du pouvoir, leurs différences programmatiques relèvent de l’ampleur des compromis.</p>
<p>Précisément pour cette élection, le PS, avec Anne Hidalgo, ne souhaite pas s’opposer au capitalisme et envisage une démarche de compromis. Un exemple porte sur la durée du travail, une clé de l’histoire du mouvement ouvrier, et de laquelle elle ne souhaite pas « modifier la durée légale [mais] inciter les entreprises qui le souhaitent à avancer vers la réduction du temps de travail ». Elle ne se situe pas dans une perspective internationaliste mais nationale, « en réaffirmant notamment le rôle de la France comme puissance maritime [et en] garanti[ssant] nos intérêts et nos valeurs face au “G2” États-Unis/Chine ».</p>
<p>Le PCF quant à lui, avec Fabien Roussel, s’il propose de porter certaines revendications visant à améliorer le niveau de vie des travailleurs salariés (hausse du salaire minimum, abrogations des lois récentes sur le travail et sur l’assurance-chômage, semaine de travail à 32 heures…), est également favorable au maintien du capitalisme, en se prononçant en faveur d’« une économie de marché régulée par un État stratège ».</p>
<p>Quant à LFI, avec Jean-Luc Mélenchon, si elle n’a jamais participé à un gouvernement, son soutien au capitalisme reste moins explicite, et des mesures transitoires sont proposées, telle que les « 35 heures hebdomadaires », le « rétablissement de l’ISF… une sixième semaine de congés payés » et donc « des propositions de rupture avec le néolibéralisme », à savoir la forme la plus récente du capitalisme.</p>
<p>Si elle évoque un renforcement démocratique des institutions, elle ne remet pas en cause le capitalisme lui-même mais envisage de l’améliorer le, du point de vue des travailleurs, sans pour autant mentionner de classes sociales, mais en évoquant les « gens » ou les « citoyens ». Il est ainsi plus question d’agir sur la superstructure légale encadrant le capitalisme que sur l’infrastructure constitutive des rapports sociaux.</p>
<p>LO et le NPA portent un discours les situant plutôt dans la seconde catégorie. Les candidats de ces organisations, respectivement Nathalie Arthaud et Philippe Poutou reprennent plusieurs revendications ouvrières comme le smic à 1 800 euros net, l’augmentation des salaires, leur indexation sur les prix, une diminution nette du temps de travail, la retraite à 60 ans, une sixième semaine de congés payés, l’interdiction des licenciements… et font référence à une rupture avec le capitalisme : « combattre pour le renversement du capitalisme » pour la première ; « ce système est dangereux et n’est pas réformable » pour le second.</p>
<h2>Les candidats du capital</h2>
<p>Quant aux partis de la classe bourgeoise, nous pouvons distinguer les candidats et organisations représentant une fraction plus tournée vers la concurrence internationale (Valérie Pécresse pour Les Républicains ; Emmanuel Macron pour La République en marche), et ceux plus repliés sur le champ national de peur de ne pas être à la hauteur dans cette confrontation, avec pour corollaire un développement de la xénophobie et du chauvinisme (Marine Le Pen pour le Rassemblement national ; Éric Zemmour pour Reconquête !).</p>
<p>Les autres candidats issus de partis de la classe capitaliste jouent quant à eux des rôles d’appoint visant à renforcer l’un de ces deux camps (Jean Lassalle, ancien élu UDF, pour Résistons, en appui à la première catégorie ; Nicolas Dupont-Aignan pour Debout la France, pour la seconde catégorie), ou un des partis de la classe ouvrière s’il atteint le pouvoir, dans une logique de Front populaire (Yannick Jadot, Europe Écologie–Les Verts).</p>
<p>Aussi pour reprendre et actualiser des catégories de la tradition marxiste quant aux régimes politiques pouvant exister dans un cadre capitaliste, nous pouvons juger que les partis et candidats de la première catégorie se situent entre démocratie parlementaire et bonapartisme, alors que les partis de la seconde partie sont plutôt entre bonapartisme et fascisme.</p>
<p>Si les élections occupent un rôle important mais non décisif dans la pensée de Marx et Engels, si les catégories qu’ils ont développées ne sont utilisées que de façon marginale dans cette campagne électorale, il nous semble qu’elles peuvent être utiles pour fournir des clés de compréhension des enjeux de cette élection, à travers leur raisonnement en termes de classes sociales issues de théories sur la valeur et sur le développement historique.</p>
<p>Reste que le curseur à tracer entre les camps est relativement instable et mouvant, en raison à la fois de l’évolution des rapports sociaux et du développement technologique, le résultat de ces élections peut être envisagé, du point de vue marxien, comme une mesure relativement imprécise du rapport de classes à un moment déterminé, sachant qu’il sera également influencé par tout un ensemble d’événements se situant à l’extérieur de leur champ national.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179385/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabien Tarrit ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On ne retrouve que quelques courtes occurrences au théoricien dans le programme de Nathalie Arthaud, de LO, et de Philippe Poutou, du NPA.Fabien Tarrit, Maître de conférences, UFR Sciences économiques, sociales et gestion, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1788412022-03-10T20:28:47Z2022-03-10T20:28:47ZIndustrie, croissance, travail : ce que les socialistes français du XIXᵉ siècle nous disent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450870/original/file-20220309-19-1y3ukny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=330%2C213%2C867%2C623&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">«&nbsp;Grand laminoir pour réduire en feuilles les blocs de caoutchouc purifié&nbsp;», extrait de la série «&nbsp;Les merveilles de l’industrie, ou description des principales industries modernes&nbsp;», par Louis Figuier [1873-1877].
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fdctsevilla/4726596383/">Fondo Antiguo de la Biblioteca de la Universidad de Sevilla</a></span></figcaption></figure><p>Que nous apprend l’héritage philosophique des socialistes français du XIX<sup>e</sup> siècle ? À un mois d’une élection présidentielle où la gauche s’avance, selon les sondages, en <a href="https://www.sudouest.fr/elections/presidentielle/presidentielle-macron-toujours-en-progression-devant-le-pen-pecresse-et-zemmour-selon-un-sondage-9559705.php">position minoritaire</a>, plusieurs couches de ce bassin culturel souvent oublié peuvent être exploitées. Taxés d’utopiques, ces auteurs avaient en effet formulé des propositions qui peuvent s’inscrire dans nos préoccupations actuelles.</p>
<p>Les <a href="http://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=111087066">recherches</a> que nous avions menées sur ces penseurs orientent les interrogations notamment sur la société industrielle, la croissance, le travail et l’éducation.</p>
<p>D’abord, la société industrielle s’identifie à un effort collectif de création produisant des choses et des hommes. C’est son « seul but raisonnable et positif », précise le philosophe, économiste et militaire français Saint-Simon dans <em>L’Industrie</em>.</p>
<p>Une telle société doit se doter d’un système d’institutions qui favorisent la dissémination de l’information et la communication. La société n’est pas un cadre où se réalise automatiquement le développement économique. L’évolution économique est soumise au système de décision de la société. Il ne peut y avoir de transformation économique et sociale sans que soit élaborée une théorie du changement.</p>
<p>Pour Saint-Simon, il s’agit de « revoir toutes les idées pour les asseoir sur les principes de l’industrie, pour rapporter toute la morale à la production », morale centrée sur la satisfaction de tous les besoins des membres du corps social. La progressivité d’une société est définie par rapport à un certain nombre d’objectifs à établir en commun et à leur acceptation, notamment par « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ».</p>
<p>Le mouvement n’est pas synonyme de progrès (« l’on n’a pas le moins du monde prouvé qu’une chose est en progrès quand on a montré qu’elle se meut » précise, le théoricien révolutionnaire Proudhon). Poser la création comme la résultante d’un projet émanant de tous les groupes sociaux résonne fortement dans nos sociétés de plus en plus fragmentées dans lesquelles les taux de pauvreté sont loin de diminuer.</p>
<h2>Processus d’insoutenabilité</h2>
<p>L’action de l’homme sur la nature est d’abord une lutte contre la rareté. D’où la nécessité d’un nouveau paradigme reposant sur une « philosophie inventive et organisatrice » (Saint-Simon) qui a une dimension à la fois quantitative et qualitative. Certes, les besoins sociaux sont tels qu’il faut accroître fortement la production, mais les auteurs considèrent que les transformations sont globales et liées, les relations entre les variables stratégiques importent plus que leur croissance isolée.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=836&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=836&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=836&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1051&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1051&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1051&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Claude de Rouvroy de Saint-Simon.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/saint-simon-claude-de-rouvroy-de-519b87">Österreichische Nationalbibliothek</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Telle est, semble-t-il, la signification de la notion d’industrie chez Saint-Simon qui est un phénomène à la fois scientifique, technique, productif et social, qui requiert une transformation des habitudes d’esprit et des comportements. Les aspects structurels et mentaux peuvent donc entraver le développement économique et les transformations qui l’accompagnent.</p>
<p>Proposition d’actualité au moment où les sociétés affrontent les problèmes de la réindustrialisation et de la transition écologique.</p>
<p>De là découlent plusieurs processus d’insoutenabilité. Le premier est que la transformation de la société a une dimension politique, elle requiert une transformation du cadre institutionnel pour que le développement technique et économique apparaisse comme un résultat.</p>
<p>De même, la croissance n’est pas soutenable lorsque les efficacités de production sont séparées des problèmes de consommation et des questions de répartition qu’elles autorisent, ou dans lesquels elles trouvent leur caractère légitime. Comme le souligne Proudhon :</p>
<blockquote>
<p>« Qu’importe en effet que la richesse totale augmente si la répartition est telle que le grand nombre soit plus pauvre qu’auparavant. »</p>
</blockquote>
<p>On sait combien le thème des inégalités s’inscrit dans les travaux économiques récents.</p>
<p>Les socialistes du XXI<sup>e</sup> siècle relevaient également que la croissance était un phénomène instable. Il y a insoutenabilité lorsque le capital productif s’accumule de façon déséquilibrée entre les différentes activités, ce qui accroît le chômage technologique en raison des « perfectionnements industriels » qui créent « une tendance constante à… éliminer de la production les travailleurs ».</p>
<p>Pour atténuer ce phénomène, Proudhon envisage d’élaborer une « prévoyance sociale », c’est-à-dire une politique de formation reposant sur une « organisation intégrale de l’apprentissage… comme loi organique de transition applicable à tous les cas possibles ». Il ajoute que le travail de déclassement et de reclassement dans la société est continuel, ce qui exige d’élever le niveau de formation de la main-d’œuvre et la qualité de l’intervention humaine en faisant « passer le [travail] de la pratique spontanée à la science ».</p>
<h2>Nouveaux blocages</h2>
<p>Au moment où le thème de la valeur-travail imprègne la réflexion politique, il n’est pas inutile de rappeler combien ces auteurs insistent sur l’importance du travail qualifié dans la création des richesses. Le nombre et la qualité des personnes éduquées restent la source majeure de la croissance de la production. La dynamique économique et sociale repose sur les connaissances et les compétences du chercheur, du technicien, de l’ouvrier, des cadres et des chefs de l’industrie. La période de constitution du capital humain qualifié est longue.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pierre-Joseph Proudhon.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/home_of_chaos/48078354203">Thierry Ehrmann/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Proudhon admet que « le capital social accumulé [dans l’homme de talent]… crée une capacité productive envisagée comme un bien de production lui-même produit qui a un certain coût… qui représente la somme égale à ce qu’il a coûté de produire ».</p>
<p>Si la France devait perdre subitement ses ressources en main-d’œuvre qualifiée, « il [lui] faudrait au moins une génération entière pour réparer ce malheur » admet Saint-Simon dans sa <em>Parabole</em>. Près de 150 ans plus tard, l’économiste français Alfred Sauvy insistera sur l’importance décisive de la capacité technique et des idées par rapport aux actifs matériels.</p>
<p>Au final, la propriété privée des moyens de production crée des rapports de domination entre les groupes sociaux. Cependant, la relation de propriété n’a qu’un caractère abstrait si ne sont pas prises en compte la dimension politique du pouvoir dans l’entreprise (la participation directe des salariés aux décisions, selon Proudhon, ou l’adhésion des salariés aux choix proposés par la direction, selon Saint-Simon).</p>
<p>La socialisation des moyens de production ne peut donc opérer une réduction des aliénations dans le travail qu’à la condition que les entreprises transforment leur processus de décision et recomposent le travail selon une visée de psychosociologie en intégrant l’analyse des groupes et des motivations.</p>
<p>Si la détention des moyens de production n’est pas à l’ordre du jour, la question de la démocratie économique au sein des entreprises et celle de la fracturation des collectifs de travail dans de nombreuses activités par la transformation algorithmique des tâches et le télétravail constituent aujourd’hui des blocages sociaux et psychologiques d’une importance majeure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les propositions formulées par Saint-Simon ou encore Proudhon entrent en résonnance avec les préoccupations actuelles sur plusieurs thématiques économiques.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1769062022-02-23T18:38:22Z2022-02-23T18:38:22ZLes gouvernements agissent-ils sur les priorités affichées dans leur programme ?<p>Les campagnes électorales contribuent-elles à façonner les politiques publiques comme elles sont supposées le faire en démocratie ? Ou bien devient-il de plus en plus difficile pour les représentants d’incarner de véritables alternatives et, une fois au gouvernement, de marquer leur différence ?</p>
<p>Cette question concerne notamment la façon dont les problèmes innombrables qui se posent en permanence sont hiérarchisés : la priorité est-elle à l’adoption de mesures pour le pouvoir d’achat, à la lutte contre le changement climatique ou à l’égalité femmes-hommes ? Les campagnes jouent-elles un rôle dans ce processus de hiérarchisation ? Dans un <a href="https://global.oup.com/academic/product/do-elections-still-matter-9780192847218?cc=fr&lang=en&">ouvrage récent</a>, nous questionnons la thèse du déclin des mandats en nous appuyant sur des données originales recueillies par le <a href="https://www.comparativeagendas.net/">Comparative Agendas Project</a> (CAP).</p>
<p>Notre étude portant sur cinq pays d’Europe occidentale depuis les années 1980, révèle que les priorités électorales sont un facteur majeur d’influence des agendas politiques. Pour autant, les programmes présentés se ressemblent souvent plus que ce que leurs auteurs aimeraient admettre. Et ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour la démocratie.</p>
<h2>Les tunnels de l’attention</h2>
<p>D’où viennent les thèmes de campagne ? La littérature existante en science politique offre deux visions opposées. Les théories de compétition sur enjeux (voir notre chapitre dans <a href="https://www.larcier.com/fr/analyses-electorales-2017-9782802755715.html"><em>Analyses electorales</em></a>) prédisent des priorités très contrastées d’un parti à l’autre, correspondant à des identités et des profils très marqués. Ainsi un parti de gauche est censé mettre en avant des questions de justice sociale ou d’éducation, alors qu’on s’attend à ce qu’un parti droite parle davantage d’insécurité ou de discipline budgétaire.</p>
<p>D’autre part, les visions plus stratégiques des programmes, dont notamment l’ouvrage classique d’Anthony Downs sur la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ps/2014-v33-n1-ps01449/1025597ar/">« théorie économique de la démocratie »</a> (publié en 1957, et en 2013 en français), mettent l’accent sur les incitations des partis à converger vers les priorités les plus prometteuses. Pour gagner une élection, les principaux partis devront convaincre l’électeur médian, celui qui fera pencher la balance en leur faveur. La compétition a donc lieu au centre et quel que soit le vainqueur, les politiques correspondront aux préférences de l’électeur médian.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-droits-de-succession-sont-ils-un-outil-efficace-pour-reduire-les-inegalites-177405">Les droits de succession sont-ils un outil efficace pour réduire les inégalités ?</a>
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</em>
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<p>Nous avançons un argument intermédiaire selon lequel les partis sont comme des serpents dans un tunnel : ils ont des identités et des priorités distinctes (la composante du « serpent » dans notre modèle), mais doivent répondre aux problèmes du moment et aux propositions de leurs concurrents, ce qui se traduit par un chevauchement ou un recoupement transpartisan considérable (le « tunnel »).</p>
<p>Alors que la littérature a tendance à se concentrer le plus souvent sur des questions très spécifiques (principalement la protection de l’environnement et l’immigration) qui donnent lieu à des niveaux de priorité contrastés, les données recueillies par les équipes <a href="https://www.comparativeagendas.net/news">projet agendas comparés (CAP)</a> permettent, elles, de couvrir l’ensemble des enjeux électoraux. Les priorités inscrites au programme des partis reflètent-elles plutôt leurs priorités passées, suivant l’idée que chacun resterait sur ses thèmes de prédilection (stabilité) ou répondent-elles aux priorités de leurs concurrents (chevauchement) comme l’implique l’idée de tunnel d’attention ? Nos analyses révèlent que des tunnels d’attention existent sur presque tous les sujets. Le chevauchement domine tandis que la stabilité est faible sur la plupart des sujets, comme l’illustre le graphique ci-dessous.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 1. Effet des priorités passées (stabilité) du parti et des priorités actuelles dans les programmes des partis concurrents (recoupement) sur l’attention à chaque enjeu dans le programme d’un parti. Note : les codes de 1 à 23 sur la gauche correspondent aux grands thèmes selon la grille CAP : (1) politique macro-économique ; (2) droits ; libertés et discriminations ; (3) santé ; (4) agriculture et pêche ; (5) travail et emploi ; (6) éducation ; (7) environnement ; (8) énergie ; (9) immigration ; (10) transport ; (12) justice et sécurité ; (13) politiques sociales ; (14) logement et aménagement ; (15) régulations économiques ; (16) défense ; (17) science et technologies ; (18) commerce extérieur ; (19) politique étrangère ; (20) état et institutions ; (23) culture.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E.Grossman, I.Guinaudeau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les tunnels d’attention sont également visibles lorsqu’on cible un secteur particulier, comme l’illustre le graphique ci-dessous sur l’attention portée par les partis allemands au logement, par exemple, ou lorsqu’on suit une campagne particulière. Le livre cite plusieurs exemples tirés de campagnes françaises et danoises.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 2. Attention au logement dans les programmes des partis parlementaires allemands (1980-2017).</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Grossman, I. Guinaudeau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Lors de la campagne présidentielle 2017, par exemple, des sujets nombreux ont été abordés par de multiples candidats (sinon par tous), par exemple l’augmentation de l’allocation adulte handicapé, la lutte contre la fraude fiscale, le remboursement des lunettes ou la réduction de la fracture digitale. Ces tunnels, qui forment sans doute la partie immergée de l’iceberg, ne sont pas le résultat d’une concentration naturelle de tous les partis sur les mêmes questions, mais plutôt le résultat d’une concurrence intense et d’un équilibre du pouvoir de définition de l’agenda.</p>
<h2>Les agendas des systèmes de partis</h2>
<p>Les tunnels d’attention sont intéressants en soi pour leur influence sur les politiques publiques. Les modèles classiques de représentation par le mandat supposent que les élections servent à sélectionner et à autoriser des programmes politiques parmi plusieurs alternatives distinctes. La mise en œuvre des politiques promises dépendrait, ensuite, largement des marges de manœuvre institutionnelles des élus.</p>
<p>Notre perspective suggère, de façon assez différente, que les élections servent aussi à agréger un agenda politique de campagne dans le cadre d’un tunnel d’attention qui restera structurant une fois l’élection passée. Les contre-pouvoirs et l’influence des partis d’opposition ne doivent, dès lors, pas être vus comme des freins entravant l’exécutif dans la mise en œuvre de son « mandat » : ils peuvent, au contraire, exercer des pressions contraignant un gouvernement qui souhaiterait s’en éloigner.</p>
<p>Le tunnel fonctionne comme un mandat collectif : si l’exécutif ne prend aucune mesure dans un domaine qui a été mis en avant pendant la campagne, l’opposition et les partenaires de coalition ne manqueront pas de l’interpeller et de le mettre sous pression.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 3. Effet des niveaux d’attention sur les lois adoptées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Grossman, I. Guinaudeau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Nos résultats comparatifs corroborent cette lecture (voir le graphique 3). Les priorités des programmes électoraux ont bien un impact important sur les politiques gouvernementales. Le poids respectif des priorités mises en avant dans le manifeste du parti du Premier ministre, du gouvernement et du système de partis dans son ensemble diffère selon les institutions politiques. Cet impact n’a pas diminué avec le temps. Il est significatif dans tous les pays étudiés, à l’exception frappante du Royaume-Uni.</p>
<h2>Exception britannique</h2>
<p>Cette exception britannique est d’autant plus surprenante qu’il s’agit en principe du cas le plus probable d’action sur les priorités du programme, étant donné son système majoritaire qui donne à l’exécutif un <a href="https://books.google.fr/books/about/Patterns_of_Democracy.html?id=GLtX2zJrflAC&redir_esc=y">pouvoir comparativement fort</a> pour agir.</p>
<p>Comme nous le montrons, les incitations des partis peuvent aider à démêler ce paradoxe britannique. Nous nous concentrons sur leur forme la plus évidente : les incitations électorales telles qu’elles varient au cours du cycle électoral. Et nous confirmons que des incitations élevées en période électorale sont associées à des liens particulièrement forts entre les programmes et les politiques, en particulier au Royaume-Uni. Mais cette adéquation disparaît quelques mois après l’élection.</p>
<p>En France, l’effet des élections est un peu différent : fort dans la période post-électorale, faible au milieu du mandat et à nouveau plus fort à l’approche de la prochaine élection.</p>
<p>Notre étude bat en brèche l’idée selon laquelle la mise en œuvre de politiques publiques est plus efficace dans les systèmes dits majoritaires, où le pouvoir est concentré, comme la France, par rapport aux systèmes plus proportionnels, comme le Danemark.</p>
<p>Les systèmes majoritaires donnent des pouvoirs étendus aux partis au pouvoir pour mettre en œuvre leur politique, mais cela peut, en retour, limiter leurs incitations face à une opposition plus faible, moins susceptible d’examiner minutieusement tout écart. En revanche, les systèmes consensuels limitent les pouvoirs institutionnels des gouvernements, mais le « tunnel » d’attention peut les inciter à s’en tenir aux priorités de la campagne.</p>
<p>Ces résultats offrent non seulement une cartographie complète des agendas électoraux et politiques dans cinq pays d’Europe occidentale depuis 1980. Elles renouvellent également les théories de la représentation par le mandat et remettent en question le lieu commun selon laquelle les systèmes majoritaires seraient plus favorables à la mise en œuvre des programmes électoraux que les systèmes consensuels.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs viennent de publier <a href="https://global.oup.com/academic/product/do-elections-still-matter-9780192847218">« Do Elections (Still) Matter ? »</a>, aux éditions Oxford University Press.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176906/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emiliano Grossman a reçu des financements de l'Agences nationale de la Recherche (ANR-08-GOUV-005 et ANR-15-FRAL-006). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Isabelle Guinaudeau a reçu des financements de la fondation Humboldt.</span></em></p>Les partis ont des identités et des priorités distinctes mais doivent répondre aux problèmes du moment et aux propositions de leurs concurrents.Emiliano Grossman, Associate Professor en Science politique, Sciences Po Isabelle Guinaudeau, Chargée de recherches CNRS, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1758502022-01-30T19:10:25Z2022-01-30T19:10:25ZPrésidentielle 2022 : et si la gauche était au second tour ?<p>Les organisateurs de la Primaire populaire visant à déboucher sur une candidature de gauche commune lors de l’élection présidentielle 2022 ont annoncé avoir rassemblé <a href="https://twitter.com/PrimairePop/status/1485390877170319369">467 000 inscrits</a>.</p>
<p>Même si les conditions et les périmètres d’inscriptions diffèrent, ce chiffre est très supérieur aux nombres de personnes inscrites aux votes organisés par Europe Ecologie Les Verts (<a href="https://www.eelv.fr/resultats-du-premier-tour-de-la-primaire-ecologiste/">122 670 votants avec un taux de participation de 86,91 %</a>) ou par Les Républicains (<a href="https://www.linternaute.fr/actualite/politique/2570372-primaire-lr-victoire-de-valerie-pecresse-premiere-femme-a-representer-la-droite-a-la-presidentielle/#quels-sont-les-resultats-du-premier-tour-de-la-primaire-lr--">113 038 votants pour 140 000 adhérents</a>) et semble témoigner d’un intérêt certain pour l’idée d’une candidature de gauche unique et unifiée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1485390877170319369"}"></div></p>
<p>En dehors de Christine Taubira, les trois principaux candidats (Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon) ont annoncé qu’ils ne reconnaîtraient pas ce vote bien que leur nom fasse partie, contre leur volonté, des choix possibles.</p>
<p>Alors que les <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/tous-les-sondages-de-l-election-presidentielle-2022_GN-202110220314.html">sondages semblent condamner</a> l’ensemble de ces candidats à une élimination au 1<sup>er</sup> tour de l’élection présidentielle de 2022, un tel positionnement ne manque pas d’interroger.</p>
<p>Le concept de « coopétition », issu de la recherche en stratégie, et une perspective historique peuvent-ils nous aider à mieux comprendre ces stratégies, à priori vouées à l’échec ?</p>
<h2>La coopétition, une alliance entre concurrents</h2>
<p>Le terme de coopétition est un néologisme issu de la combinaison des mots coopération et compétition et renvoie aux formes de collaboration entre entreprises concurrentes.</p>
<p>Si les recherches ont montré que ce phénomène n’est pas <a href="https://theconversation.com/la-coopetition-moteur-de-levolution-des-especes-106264">spécifique à la stratégie d’entreprise</a> et que l’on en trouve des <a href="https://www.strategie-aims.com/events/conferences/29-xxviieme-conference-de-l-aims/communications/5021-looking-for-the-historical-origins-of-coopetition-back-to-antique-romans-traders/download">traces dès l’Antiquité</a>, c’est Ray Noorda, le fondateur de l’entreprise informatique Novell, qui utilise pour la première fois cette expression au milieu des années 80 pour décrire les échanges entre son entreprise et ses concurrents pour élaborer des standards et des référentiels communs.</p>
<p>L’ouvrage de Brandenburger et Nalebuff, <a href="https://public.summaries.com/files/8-page-summary/co-opetition.pdf"><em>Co-opetition</em></a>, théorise et popularise le concept en 1996. Les entreprises peuvent être à la fois des <a href="https://www.deepdyve.com/lp/emerald-publishing/cooperation-and-competition-in-relationships-between-competitors-in-ZeFswjs42u">concurrents et des partenaires dans le cadre de projets de coopération</a> et la coopétition peut représenter une solution pour <a href="https://www.jstor.org/stable/259226">faire face à la concurrence et/ou pour mutualiser et partager des ressources et des connaissances</a>.</p>
<h2>Un concept paradoxal</h2>
<p>L’idée de coopétition peut sembler paradoxale et contre-intuitive dans une économie capitaliste dominée par une logique concurrentielle mettant principalement l’accent sur la <a href="https://www.abebooks.fr/rechercher-livre/titre/choix-strategiques-et-concurrence-techniques-d%27analyse-des-secteurs-et-de-la-concurrence-dans-l%27industrie/">rivalité entre les entreprises</a>.</p>
<p>Force est pourtant de constater que le phénomène s’est fortement développé depuis plus de trente ans. Il est de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0019850121000857">plus en plus étudié et analysé par les chercheurs</a> qui ont mis en lumière différentes formes de coopétition (<a href="https://www.cairn.info/revue-management-2018-1-page-574.htm">technologique, de marché</a>, horizontale, verticale, intra-organisationnelle…) et qui ont constaté l’existence d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2007-7-page-87.htm">logique relationnelle</a> privilégiant désormais la coopération à l’affrontement en matière de stratégie d’entreprise.</p>
<p>Appliqué au champ politique, la coopétition peut concerner une collaboration entre formations de droite et de gauche comme dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale ou lors d’un épisode de <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=TDxYDwAAQBAJ">cohabitation</a>.</p>
<p>Il peut aussi s’agir d’une alliance entre partis d’un même bord politique dans le cadre d’un programme commun ou de candidatures communes pour une élection.</p>
<p>Enfin, il peut concerner des coopérations entre membres d’un même parti défendant des positions antagonistes et s’apparente alors à de la coopétition <a href="https://www.coopetitionlab.com/internal-coopetition/">intra-organisationnelle</a>.</p>
<p>Au-delà des formes possibles que peut prendre cette coopétition, la majorité des recherches s’interroge sur les <a href="https://www.researchgate.net/profile/Viktor-Fredrich/publication/263904244_Coopetition_Performance_implications_and_management_antecedents/links/53fb6a5b0cf2dca8fffe6bea/Coopetition-Performance-implications-and-management-antecedents.pdf">liens entre coopétition et performance</a> et se demande dans quelle mesure une telle stratégie s’avère payante pour les organisations qui y participent.</p>
<p>Dans le cas spécifique de la gauche française, un retour sur les élections présidentielles passées permet de mieux comprendre les avantages et les inconvénients que porteraient une telle stratégie en 2022.</p>
<h2>La gauche à l’élection présidentielle : entre union et désunion</h2>
<p>En 1969, l’absence de stratégie de coopétition entre les cinq candidats de gauche (sur un total de sept candidats) débouche sur un second tour entre le <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1970_num_20_2_393223">gaulliste Georges Pompidou et le président du Sénat, le centriste Alain Poher</a>.</p>
<p>En 2002, les cinq candidatures de gauche, qui s’ajoutent aux scores des candidats d’extrême gauche Arlette Laguiller et Olivier Besancenot (qui obtiennent respectivement 5,72 % et 4,25 %) contribuent à nouveau fortement à <a href="https://academic.oup.com/poq/article-abstract/68/4/602/1884181">l’absence du candidat de gauche Lionel Jospin au second tour et à la qualification surprise du candidat de l’extrême droite Jean-Marie Le Pen</a>.</p>
<p>À l’inverse, le <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/le-programme-commun-de-la-gauche-1972-1977-cetait-le-temps-des-programmes/?post_id=16789&export_pdf=1">Programme commun</a> de 1972 entre le Parti communiste, le Parti socialiste et les Radicaux de gauche servira de socle à l’élection de 1981 de François Mitterrand, premier président de gauche de la V<sup>e</sup> République.</p>
<p>La coalition de gouvernement de la <a href="http://www.slate.fr/story/178563/gauche-plurielle-unite-presidentielle-2022-ps-lfi-eelv-pc">Gauche plurielle de 1997</a> permettra aussi à Lionel Jospin de remporter les élections législatives suite à la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Jacques Chirac et d’être nommé premier ministre.</p>
<p>Ces exemples semblent légitimer l’idée qu’une coopétition entre forces de gauche concurrentes garantit de remporter une élection présidentielle ou une élection législative sous la V<sup>e</sup> République. Elle doit pourtant être mise en perspective.</p>
<h2>Gagner sans union</h2>
<p>L’histoire a montré que la gauche est capable de l’emporter sans passer par une stratégie d’union dès le 1<sup>er</sup> tour. Ce fut le cas en 2012 avec <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=_NlNktQGlMQC">l’élection de François Hollande</a>. Et il faut également se souvenir que le Programme commun n’était plus officiellement en vigueur (il est abandonné en 1977) quand François Mitterrand fut élu en 1981.</p>
<p>L’époque où le clivage droite/gauche structurait à lui seul les affrontements politiques et renvoyait à une lutte entre deux modèles de sociétés, l’une capitaliste et libérale et l’autre régulée et sociale, est désormais lointaine.</p>
<p>Les divisions sur l’Europe, la laïcité, l’écologie ou la Nation, pour ne citer que quelques thèmes, constituent désormais des <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/gauche-droite-la-fin-dun-clivage-sociologie-dune-revolution-symbolique">lignes de fracture à priori plus marquées que le clivage droite/gauche</a> et rendent plus difficiles, au-delà des problèmes de personnes, les rapprochements.</p>
<h2>Mutualisation d’idées et rapport de forces</h2>
<p>Une stratégie de coopétition sous-entend une mutualisation des idées et des forces qui semble par conséquent compliquée à mettre en place et qui ne peut se résumer à une simple alliance politique de circonstances.</p>
<p>L’idée que l’union fait la force se heurte aussi à la crainte de savoir qui sortira gagnant ou perdant d’une telle entente, notamment en vue des élections législatives à venir dans ce cas précis. À gauche, cette question renvoie au souvenir du Programme commun de 1972 qui aurait, pour beaucoup, fortement contribué à <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000137/la-rupture-du-programme-commun-declaration-a-la-presse-de-marchais-et-fabre.html">modifier le rapport de force entre le Parti communiste et le Parti socialiste en faveur de ce dernier</a>.</p>
<p>Les temps changent et, aujourd’hui, ce même Parti socialiste n’est plus la formation dominante de la gauche française. Aucune autre formation n’a pour le moment réussi à le remplacer. Ni La France Insoumise malgré les <a href="https://www.lesechos.fr/2017/04/jean-luc-melenchon-son-resultat-a-la-presidentielle-son-parcours-son-programme-165590">19,56 % de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017</a>, ni Europe Ecologie Les Verts après les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/06/22/l-assurance-de-yannick-jadot-apres-les-elections-europeennes-irrite-la-gauche_5480058_823448.html">13,5 % de la liste de Yannick Jadot aux élections européennes de 2019</a> et le succès de leurs candidats aux <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/municipales/resultats-des-municipales-2020-lyon-bordeaux-strasbourg-une-vague-ecologiste-deferle-sur-les-grandes-villes_4019095.html">élections municipales de 2020</a> n’ont réussi à imposer un leadership leur permettant de forcer un rassemblement autour de leurs idées.</p>
<h2>Même désunie la gauche au 2ᵉ tour n’est pas à exclure</h2>
<p>Finalement, la réponse à la question « La gauche doit-elle s’appuyer sur une stratégie de coopétition pour accéder au second tour de l’élection présidentielle 2022 et éventuellement l’emporter ? » n’est pas aussi évidente qu’elle n’y parait au premier abord.</p>
<p>Derrière Emmanuel Macron, pour le moment crédité de <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/tous-les-sondages-de-l-election-presidentielle-2022_GN-202110220314.html">24 % en moyenne</a> des intentions de vote au 1<sup>er</sup> tour, aucun candidat ne parvient aujourd’hui à dépasser les <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/tous-les-sondages-de-l-election-presidentielle-2022_GN-202110220314.html">18 % des intentions</a>.</p>
<p>Il n’est donc pas impossible que la qualification pour le second tour se joue, comme lors des élections présidentielles de 2002, autour de 16 %/17 %. Si un candidat de gauche prenait finalement l’ascendant sur les autres dans les semaines qui viennent et bénéficiait d’une dynamique nouvelle, il serait vraisemblablement très proche d’un tel score…</p>
<p>Vingt ans après l’élimination de Lionel Jospin par Jean-Marie Le Pen, le scénario d’un candidat de gauche profitant cette fois de la division de l’extrême droite (même si à ce stade, Valérie Pécresse parait la plus à même de tirer son épingle du jeu) et de la faiblesse relative des forces en présence pour se qualifier pour le second tour n’est donc pas totalement à exclure. Et explique peut-être aussi en partie la position des principaux candidats de gauche déjà déclarés vis-à-vis de la stratégie de coopétition que tente d’imposer la Primaire populaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175850/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À gauche, de nombreuses voix appellent à l’union derrière un seul candidat. Malgré les multiples prétendants, serait-il possible qu’un candidat de gauche se qualifie pour le second tour ?Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1749802022-01-16T17:15:58Z2022-01-16T17:15:58ZDisruption ou irruption ? La République dans l’impasse présidentielle<p>Il est tard, bien tard pour réparer ce qui, selon nous, restera l’erreur fondamentale du quinquennat d’Emmanuel Macron : n’avoir pas entrepris dès son élection une réforme des institutions afin de les mettre au diapason d’une France qui doute d’elle-même et de ses élus.</p>
<p>Il avait certes réussi un fameux « coup du roi » en faisant, d’un seul et premier tir, tomber dans ses bras la magistrature présidentielle. Son irruption surprise a fait voler en éclat le vieux système des partis dominants : exclus du jeu de l’alternance qui les rendait épisodiquement maîtres du jeu, privés du commode saute-mouton sur le dos de l’extrême droite, brouillés dans leurs repères par un Président qui s’affirmait et de droite et de gauche, subissant mécaniquement un lourd revers lors des législatives, ceux-ci n’étaient pas seulement défaits, ils risquaient <a href="https://theconversation.com/macron-la-french-deconnexion-89058">l’effondrement</a>.</p>
<p>La vague de « dégagisme » qu’avait habilement épousée le vainqueur les rendait gravement vulnérables. Restait au nouveau Président à profiter de cet affaiblissement pour réaliser son programme de campagne : élu sur une promesse de disruption, il lui fallait au moins mettre en route les moyens de la provoquer et tracer la voie d’une reconstruction de la légitimité des gouvernants. « Tout l’art de la politique, <a href="http://evene.lefigaro.fr/citation/tout-art-politique-servir-conjectures-29756.php">disait Louis XIV</a>, est de se servir des conjonctures. »</p>
<p>Mais la vague intention fut vite oubliée. Dès septembre 2017, on laissa dans l’indifférence les partis se refaire un début de santé en s’appuyant sur leurs bastions lors des <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/senatoriales/">sénatoriales</a>. On se garda bien de transformer en <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-sociologie-politique-de-la-france--9782200628727-page-97.htm">véritable parti</a> le mouvement original qui avait appuyé l’élection présidentielle. Et l’on succomba à la tentation d’un <a href="https://theconversation.com/traverses-presidentielles-le-caillou-dans-la-chaussure-du-president-macron-93871">président démiurge</a> concentrant la plénitude de l’espace et de la décision politiques.</p>
<h2>Désalignement des élus et des citoyens</h2>
<p>Ignorer le caractère illusoire de cette vision n’était pas la meilleure manière de restaurer la confiance entre élus et citoyens. Après une année tranquille, le pays entra dans une phase de turbulences dont il ne sortira plus, de gilets jaunes en réforme des retraites, d’antivax en antipasse… Entre violences sociales et violences verbales, s’enracine dans le pays une croyance à l’impuissance du politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-2022-comment-les-candidats-a-lelection-presidentielle-se-sont-saisis-de-la-colere-des-francais-174171">En 2022, comment les candidats à l’élection présidentielle se sont saisis de la colère des Français</a>
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<hr>
<p>À une brève euphorie succède un climat profondément dysphorique, installant un véritable mur de méfiance et entraînant une montée constante des abstentions qui frisent les <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/taux-de-participation-definitifs-au-second-tour-elections-des-20-et-27-juin">deux tiers</a> du corps électoral lors des régionales !</p>
<p>Cette désaffection croissante traduit en creux <a href="https://theconversation.com/les-partis-politiques-peuvent-ils-se-relever-des-crises-150763">l’effondrement des vieux partis dominants</a>.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-gauche-francaise-vit-elle-son-tournant-americain-174065">Particulièrement à gauche</a>, où tous les candidats à la présidentielle réunis atteignent péniblement 25 % des intentions de vote dans les sondages. La soustraction est particulièrement lourde pour les socialistes auxquels l’extinction de voix interdit même de trouver une candidature crédible pouvant prétendre au rassemblement.</p>
<p>La droite de gouvernement, moins fracturée en apparence, paraît mieux résister. Malgré cette impression relative de <a href="https://esprit.presse.fr/article/vincent-tiberj/a-force-d-y-croire-la-france-s-est-elle-droitisee-43763?s=09&utm_source=pocket_mylist">droitisation</a>, la situation des Républicains reste fragile et instable, tiraillés qu’ils sont entre un centre qui regarde vers Macron et une extrême droite qui, réunie, est estimée à 30 % et exerce un fort tropisme sur son autre flanc.</p>
<h2>Vers un nouveau choix par défaut ?</h2>
<p>L’image d’Emmanuel Macron reflète cette situation fracturée et incertaine de désalignement vis-à-vis des partis. D’un côté, il tire le juste bénéfice de sa fermeté internationale et de sa gestion de la crise sanitaire, avec ce « quoiqu’il en coûte » qui atténue son étiquette libérale. Cela lui permet de se maintenir à un niveau de satisfaction envié : le tableau de bord de <a href="https://www.ifop.com/publication/le-tableau-de-bord-des-personnalites-paris-match-sud-radio-ifop-fiducial-janvier-2022/">janvier</a> des personnalités Paris Match/Sud Radio-IFOP/Fiducial le crédite de 43 % d’approbation de son action.</p>
<p>Mais dans la même enquête, 70 % des Français estiment qu’il n’est pas proche de leurs préoccupations. <a href="https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-les-opposants-a-emmanuel-macron-dans-le-cadre-de-lelection-presidentielle-de-2022/">Un sondage concomitant</a> IFOP pour le JDD indique qu’aucun de ses opposants déclarés ou potentiels ne ferait mieux que lui : Valérie Pécresse, par exemple, ne se voit reconnaître cette qualité que par 17 % des sondés, 53 % considérant qu’elle ne ferait ni mieux ni moins bien !</p>
<p>Absence de réelle concurrence donc, qui relativise lourdement la primauté du Président en exercice, et qui risque de déboucher sur un nouveau choix par défaut. D’autant que dans tous les baromètres, Emmanuel Macron reste fixé <a href="https://elabe.fr/presidentielle-2022-7/">entre 23 et 26 %</a> d’intentions de vote, soit un score reproduisant celui de 2017. Un quart des exprimés, une abstention en hausse, moins de 17 % des inscrits, voilà qui n’augure pas d’un renforcement de sa légitimité en cas de réélection.</p>
<h2>La perte du sens de l’élection</h2>
<p>Tout le quinquennat a été marqué par un procès en illégitimité contre le Président, perçu comme élu dans une logique de rejet plus que d’adhésion. Et rien n’indique donc qu’on en ait tiré les conséquences. Pourtant, voici déjà vingt ans qu’une sirène d’alarme avait violemment retenti. Souvenons-nous du <a href="https://theconversation.com/discordance-des-temps-le-resistible-declin-du-regime-de-la-v-republique-125148">21 avril 2002</a> : un président sortant rassemblant moins de 20 % des exprimés, un chef du gouvernement peu contesté pendant cinq ans éjecté dès le premier tour, près de 30 % d’abstention…</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean‑Marie Le Pen arrive au second tour des élections le 21 avril 2002, archives INA, France 2.</span></figcaption>
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<p>Il n’était pas difficile de voir que le régime était à un tournant. La V<sup>e</sup> République avait alors montré sa capacité à exprimer autre chose qu’un présidentialisme exacerbé, en autorisant une gestion plurielle de la politique, un jeu institutionnel plus équilibré que la monarchie républicaine qu’on avait voulu en faire. Au lieu d’intégrer l’évolution, on s’est livré à ce que j’avais appelé, dans un article tragiquement anticipateur, la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/02/05/gymnopolis_4210466_1819218.html">« gymnopolitique »</a> : cette inversion du calendrier électoral qui enchaînait mécaniquement les élections législatives au résultat de la présidentielle et qui, interdisant aux Français de s’exprimer sur le bilan de la législature, dévitalisait le scrutin.</p>
<p>Et comment ne pas avoir anticipé que les différentes sensibilités composant la majorité parlementaire sortante prétendraient défendre leurs couleurs pour peser sur le débat ? L’écrasante logique majoritaire binaire aura raison de ce que seule une <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/video-les-motse-la-campagne-presidentielle-de-2022-proportionnelle_4780031.html">proportionnelle</a> aux élections législatives permettrait de respecter.</p>
<h2>Couper le cordon</h2>
<p>Pourtant, la vie politique française s’est poursuivie en exacerbant son hyperprésidentialisation qui pourrait se résumer ainsi : « le Président de la République concentre l’essentiel du pouvoir, or le Président ne résout pas nos problèmes, donc nous n’avons pas confiance dans le Président. »</p>
<p>Néanmoins, cette triple assertion n’est ni fondée juridiquement, ni inéluctable politiquement. <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quelle-place-la-constitution-fait-elle-au-president-de-la-republique">La constitution de 1958</a> donne les bases d’un régime parlementaire rationalisé, aucunement présidentiel.</p>
<p>Paradoxalement, ce sont ceux contre qui le régime s’est mis en place, les partis politiques, qui ont imposé et entretenu cette lecture et transformé les partis en machines électorales sans projet ni vision. Ils en sont morts cérébralement, tant il est devenu évident qu’un individu seul, ne paraît plus aujourd’hui en situation de représenter la pluralité citoyenne.</p>
<h2>Sauver la démocratie</h2>
<p>Il y a donc un préalable à toute régénération des institutions, sans qu’il soit besoin de recourir à une amphigourique VI<sup>e</sup> République : redonner souplesse, liberté de mouvement, représentativité, aux différents rouages de l’État. Seul un acte symbolique fort, accompagné d’un programme de réformes, pourra marquer cette intention.</p>
<p>Il faut couper la corde qui étrangle le Parlement, et dissocier les élections législatives de la présidentielle (les élections législatives sont actuellement prévues pour les 12 et 19 juin 2022).</p>
<p>L’opportunité s’en offre aujourd’hui : le Président pourrait dissoudre l’Assemblée nationale à la fin de février, et organiser le premier tour des législatives en même temps que celui de la présidentielle. De la sorte, le second tour de la désignation de députés aurait lieu avant que l’on connaisse le nouveau président.</p>
<p>Il y aurait là un signe fort de la volonté de combler sans tarder le fossé entre le pays citoyen et le pays électif. L’affaire est urgente : dans une enquête d’Harris Interactive publiée par Challenges en décembre 2021, <a href="https://www.challenges.fr/politique/pourquoi-il-faut-sauver-la-democratie_792492">61 % des sondés</a> estiment que la démocratie est en danger. Si le sentiment de frustration des Français continue de croître, on court le risque d’une rupture totale de la confiance entre les gouvernés et les gouvernants. Puisque l’image monarchique reste prégnante, laissons le mot de la fin à Louis XIV, qui écrivait dans ses mémoires : « Pour venir à bout des choses, le premier pas est de le croire possible. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De 2002 à 2022, le système politique n’a pas cherché à sortir d’un schéma où le président concentre les pouvoirs au détriment d’une volonté de rupture clairement affichée par l’électorat.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738832022-01-02T17:26:28Z2022-01-02T17:26:28Z2022 : un contexte politique original ?<p>À quatre mois du premier scrutin de l’élection présidentielle de 2022, les candidats des principaux partis sont déjà en campagne et le président de la République lui-même, non officiellement candidat, multiplie les interventions publiques pour mettre en valeur son bilan et souligner la nécessité de poursuivre son action, comme ce fut notamment le cas dans <a href="https://www.lci.fr/replay-lci/video-l-instant-pol-du-15-decembre-interview-d-emmanuel-macron-ou-en-etaient-les-autres-presidents-le-15-decembre-avant-leur-candidature-2204697.html">l’entretien télévisé du 15 décembre 2020</a>. Pourtant, la situation politique reste beaucoup plus confuse qu’elle ne pouvait l’être au même moment lors des scrutins antérieurs.</p>
<p>L’élection de 2017 avait été atypique, en permettant la victoire d’un candidat qui n’était issu d’aucun des grands partis qui s’étaient partagé le pouvoir depuis les années 1960. Le scrutin qui s’annonce s’inscrit également dans un contexte politique original, marqué par l’éclatement de l’offre politique, la persistance d’une crise politique structurelle et les incertitudes liées à la crise sanitaire.</p>
<h2>Une offre politique éclatée…</h2>
<p>L’élection présidentielle de 2017 a marqué une rupture majeure dans l’histoire électorale de la V<sup>e</sup> République, <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100505760">façonnée jusqu’alors par le clivage gauche-droite</a>.</p>
<p>Pour la troisième fois seulement, sur dix scrutins de ce type, le second tour n’a pas mis aux prises un candidat de la droite gouvernementale et un représentant de la gauche socialiste : les deux précédents avaient eu lieu en 1969 (avec un second tour opposant le centriste <a href="https://www.elysee.fr/alain-poher">Alain Poher</a> au gaulliste Georges Pompidou) et en 2002 (où Jacques Chirac s’était fait le défenseur de la République face à Jean‑Marie Le Pen).</p>
<p>Mais surtout les deux grands partis de gouvernement, le Parti socialiste (PS) et l’Union pour un mouvement populaire (UMP), se sont alors retrouvés marginalisés en raison de l’éclatement d’une offre politique où les propositions nouvelles (Emmanuel Macron) ou les discours protestataires (Marine Le Pen et Jean‑Luc Mélenchon) ont été plus attractifs. Cet éclatement explique que, pour la première fois depuis 2002, aucun des deux candidats présents au premier tour n’a dépassé 25 % des voix au premier tour. Or, cet affaiblissement des grands partis qui structuraient la vie politique française depuis les années 1980 a favorisé, lors des élections législatives qui ont suivi, la victoire d’une majorité nouvelle, constituée autour du nouveau président Emmanuel Macron.</p>
<p>Certains observateurs pouvaient alors penser que le paysage politique se réorganiserait autour de cette majorité « <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/macron-et-en-meme-temps-trois-questions-alice-baudry-laurent-bigorgne-et-olivier-duhamel">et de droite et de gauche</a> ».</p>
<h2>… et toujours plus fragmentée</h2>
<p>Cinq ans plus tard, on ne peut que constater qu’il n’en est rien et que l’offre politique proposée aux électeurs s’est encore davantage fragmentée. Au cours de son mandat, le président n’a pas réussi à élargir son socle électoral, qui se situe toujours entre 20 et 25 % des voix : aux élections européennes de juin 2019, la liste qui se réclamait de son action a obtenu 22,5 % ; et en décembre 2021, les instituts de sondage lui attribuent en moyenne 24 % d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/sondages/derniers-sondages-sur-election-presidentielle-2022-en-france-infographies-explorez-les-tendances-visualisez-les-marges-d-erreur-agregateur_4879975.html">intentions de vote</a>. Il a donc simplement consolidé son électorat, en le positionnant davantage au centre-droit, ce qui libère potentiellement un espace à gauche que personne n’est aujourd’hui en mesure de prendre.</p>
<p>La gauche n’a en effet pas réussi à dépasser les divisions qui séparent ses organisations partisanes. Même la gauche contestataire, qui s’était réunie autour de Jean‑Luc Mélenchon en 2012 et 2017, présente aujourd’hui deux candidats, l’un issu de la France insoumise, l’autre du Parti communiste. Et si la droite de gouvernement réussit à présenter une candidature unique (avec Valérie Pécresse), comme cela a été le cas au cours des trois précédents scrutins (avec Nicolas Sarkozy et François Fillon), l’extrême droite est, pour la première fois depuis 2002 (avec la candidature de Brunot Mégret), représentée par deux candidats, Marine Le Pen et Eric Zemmour.</p>
<p>Comme en 2017 ou en 2002, cette dispersion des candidatures rend plus incertain le résultat du scrutin, puisque le seuil d’accès au second tour est réduit. Si le président sortant est seul à occuper l’espace politique qu’il revendique, au centre, sa position est plus inconfortable que celle de ses prédécesseurs qui briguaient une réélection (Nicolas Sarkozy en 2012, Jacques Chirac en 2002, François Mitterrand en 1988 ou même Valéry Giscard d’Estaing en 1981) dans la mesure où il doit subir les attaques des forces politiques gouvernementales de gauche comme de droite. Son statut de favori, que lui octroient les sondages de l’automne 2021, reste donc très fragile.</p>
<h2>Une crise persistante</h2>
<p>Cet éclatement de l’offre politique est un des symptômes d’un mal plus profond qui ronge la démocratie française depuis les années 1980 : la crise de la représentation politique. Les Français se sont peu à peu éloignés de la vie politique telle qu’elle était organisée depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, autour des partis de masse et des élections au suffrage universel. Les militants se font plus rares, les électeurs aussi. Analysée dans un rapport remis en novembre 2021 au président de l’Assemblée nationale par la <a href="https://www.fondapol.org/etude/rapport-pour-lassemblee-nationale/">Fondation pour l’innovation politique</a>, l’abstention progresse à chaque scrutin, même si elle affecte moins les élections présidentielles (en 1981, elle était de 19 % au premier tour ; en 2017, elle s’élevait à 21 %) que les municipales (21 % en 1983, 36 % en 2014) ou, pire encore, les législatives (29 % en 1981, 51 % en 2017).</p>
<p>Plusieurs facteurs expliquent cette crise : la <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/plus-rien-faire-plus-rien-foutre-la-vraie-crise-de-la-democratie">déception de l’opinion</a> face à l’échec des alternances qui se sont succédé depuis 1981 ; les « affaires » qui ont affecté l’image des hommes politiques, suspectés au mieux de ne pas tenir leurs promesses, au pire d’être corrompus ; et <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/notre-histoire-intellectuelle-et-politique-pierre-rosanvallon/9782021351255">l’avènement d’une société individualiste</a>, qui préfère aux mobilisations collectives les engagements individuels et ponctuels.</p>
<h2>La fin de la disruption ?</h2>
<p>L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 était une conséquence de cette crise de la représentation politique traditionnelle. C’est bien parce qu’il apparaissait comme un candidat nouveau, étranger au « système » – notamment à celui des partis – et chantre de la « disruption » qu’il a supplanté les tenants de ce qu’on a alors significativement appelé « l’ancien monde ». Mais son incapacité à restructurer durablement l’offre politique, le discours et les pratiques politiques ont renforcé encore davantage ce sentiment de crise. Le fossé se creuse sans cesse davantage entre le peuple et des élites jugées arrogantes et coupées des <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/une-crise-de-la-representation-politique-plus-forte-que-jamais">réalités du Français</a>. Et Emmanuel Macron est justement considéré comme l’archétype de cette élite.</p>
<p>Comme leurs prédécesseurs, le Président et les membres du gouvernement ont été confrontés à une impopularité durable ; une fois passés les premières semaines de leur mandat, ils ne recueillent que très rarement plus de <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/10/117823-Indices-de-popularite-Octobre-2021.pdf">40 % d’opinions favorables</a>.</p>
<p>Le mécontentement qui parcourt la société française s’est également traduit par une succession de mouvements sociaux, qui expriment à la fois le rejet des médiations politiques traditionnelles, l’exaspération face à des décisions politiques jugées déconnectées des attentes des Français anonymes et parfois même la tentation du recours à la violence.</p>
<p>En 2016, François Hollande avait dû faire face au mouvement « Nuit debout » et, plus largement, à une mobilisation de rue contre la « loi Travail ». En novembre-décembre 2018, son successeur a été confronté à un mouvement d’une toute autre ampleur, celui des « gilets jaunes », qui a révélé la fracture entre le pouvoir politique et la « France des ronds-points », celle des territoires périurbains <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-fond-de-l-air-est-jaune-collectif/9782021426205">hantés par le déclassement</a>. Cette contestation l’a poussé à renouer un contact direct avec les Français et à susciter une nouvelle forme de participation citoyenne, par l’organisation d’un « grand débat national » au premier semestre 2019. Mais cette tentative n’a pas eu de réel débouché politique et est restée sans lendemain.</p>
<h2>L’abstention, donnée majeure de l’élection à venir</h2>
<p>L’irruption d’une crise sanitaire sans précédent n’a pas enrayé cette crise du politique, même si, sur le long terme, elle a contribué à renforcer la légitimité de l’exécutif. À l’automne 2021, les mouvements d’opposition au passe-sanitaire ont emprunté aux Gilets Jaunes une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/de-l-essence-au-passe-sanitaire-la-mutation-des-groupes-de-gilets-jaunes-sur-facebook_2162504.html">partie de leur discours et de leur mode de mobilisation</a>.</p>
<p>Et les scrutins qui se sont déroulés au cours de cette période particulière ont été sanctionnés par une <a href="https://theconversation.com/la-democratie-de-labstention-ou-les-defis-demmanuel-macron-163478">abstention sans précédent</a> : plus de 55 % pour les élections municipales de mars-juin 2020, plus de 66 % pour les élections régionales et départementales de juin 2021.</p>
<p>Le niveau de l’abstention est d’ailleurs l’une des clefs de la prochaine élection présidentielle, qui se déroulera dans ce même contexte de crise sanitaire, au cours duquel il est plus difficile de mobiliser directement les militants et les électeurs. Le renforcement des tensions qui parcourent la société française est ainsi l’un des éléments essentiels du contexte de l’élection présidentielle de 2022. Cette crise se traduit, au cours de ces premiers mois de campagne, aussi bien par la multiplication des candidatures qui entendent refuser le « système » (Eric Zemmour, Arnaud Montebourg) que par l’omniprésence des thématiques identitaires dans le débat public.</p>
<p>Mais le renouvellement des idées et des pratiques, qui conditionne la réconciliation d’une majorité de Français avec la politique, reste à ce jour invisible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173883/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont Auvergne.</span></em></p>Le renouvellement des idées et des pratiques, qui conditionne la réconciliation d’une majorité de Français avec la politique, reste à ce jour invisible.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1740652021-12-21T19:07:27Z2021-12-21T19:07:27ZLa gauche française vit-elle son tournant américain ?<p>Appréhendée au jour le jour, la difficulté des partis qui forment la gauche française à désigner un candidat unique est peu compréhensible. Le choix du grand angle et, plus particulièrement, la comparaison de modalités des élections française et américaine permettent de montrer que les obstacles rencontrés par <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/presidentielle-2022-anne-hidalgo-dans-le-piege-des-sables-mouvants-20211210">Anne Hidalgo</a> tiennent au moins autant à une crise du parti socialiste en tant qu’organisation qu’au peu d’audience d’un projet de gouvernement dont la facture est, cette fois, très classique. Et la candidature de Christiane Taubira ne permet pas de clarifier les choses. </p>
<p>Tout cela confirme une hypothèse qui pouvait déjà être posée au lendemain de <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2017/04/23/35003-20170423ARTFIG00184-benoit-hamon-autopsie-d-un-echec-programme.php">l’échec</a> de Benoît Hamon en 2017. La rénovation du programme par l’introduction de la revendication du <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/linvention-du-revenu-de-base/">revenu universel</a> n’avait pas suffi, ni pour imposer Hamon comme le candidat unique de la gauche ni pour lui assurer un score très supérieur à celui promis en 2021 par les sondages à la maire de Paris, soit de l’ordre de 6 %.</p>
<p>Les candidats progressistes qui, sortis des rangs de gouvernements socialistes, ont réussi à obtenir la confiance d’une part importante de l’électorat traditionnel du PS, sont Emmanuel Macron et <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">Jean-Luc Mélenchon</a>.</p>
<p>Si les contenus de leurs programmes respectifs les distinguent, ils partagent le fait d’avoir renoncé à s’appuyer sur une construction traditionnelle de fédérations et de sections à laquelle ils ont préféré la fluidité et l’agilité de mouvements recourant au porte à porte, à des formes de mobilisation spontanée, à la participation locale comme aux derniers produits de la technologie électorale.</p>
<h2>Une évolution des organisations progressistes françaises</h2>
<p>Une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/british-journal-of-political-science/article/abs/organizational-and-ideological-strategies-for-nationalization-evidence-from-european-parties/4F10C959DCBC194D3FF0949373F5C6E6">telle évolution</a> dans le <em>business model</em> des organisations progressistes françaises n’est pas sans rappeler la modernisation des campagnes américaines impulsées sous la présidence du Parti démocrate par Howard Dean avant l’élection de Barack Obama.</p>
<p>Les instituts de sondages n’envisagent pas une victoire de la France insoumise, <a href="https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-jean-luc-melenchon-semploie-a-relancer-sa-campagne-1364399">créditée de 8 à 10 % des intentions</a> de vote en novembre 2021. Par contre, si le président de la République française conserve en 2022 la confiance d’un nombre suffisants d’électeurs socialistes, le paysage politique national pourrait ressembler un peu plus à celui des États-Unis.</p>
<p>Il serait alors probablement dominé par l’opposition entre une force progressiste libérale qui succéderait, conformément à l’un des scénarios décrits par <a href="https://www.laprocure.com/presidence-anormale-racines-election-emmanuel-macron-essai-bruno-jeanbart/9791097455248.html">Bruno Jeanbart</a>, au PS, et un parti républicain éprouvant des difficultés à convaincre les franges les plus radicales de la droite. La pièce n’est toutefois pas jouée comme en témoigne l’impact de la candidature de Valérie Pécresse sur la répartition des rôles.</p>
<h2>La personnalisation du pouvoir</h2>
<p>La France et les USA sont, à l’évidence, des pays dont la culture est différente. Cependant, saisir leurs convergences importe pour comprendre les contraintes de leur fonctionnement politique et l’état de la conjoncture.</p>
<p>La fondation de ces deux nations sur un moment révolutionnaire au XVIII<sup>e</sup> siècle ne résume en effet pas leurs similitudes. Parmi celles-ci, l’institution d’une présidence de la république, caractérisée par une élection au suffrage universel, a une influence déterminante sur l’organisation des partis politiques bien que ceux-ci n’existent pas pour cette seule élection et interviennent aussi dans le cadre de structures parlementaires nationales et régionales. La fonction présidentielle était secondaire sous la IV<sup>e</sup> république comme pour nombre de constituants américains au lendemain de la <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/oso/9780197546918.001.0001/oso-9780197546918">révolution</a>.</p>
<p>Son renforcement a induit une personnalisation du pouvoir en même temps qu’une bipolarisation du champ partisan que les organisations doivent maîtriser pour réaliser le score électoral requis. C’est cette capacité qui est aujourd’hui mise à l’épreuve en France. Aux USA, les partis démocrate et républicain connaissent d’importantes divisions, mais celles-ci ne remettent pas en cause leur existence.</p>
<p>En France, la disparition de Charles de Gaulle, qui fut à même de rassembler une majorité par delà les frontières de la gauche et de la droite, a favorisé dans les années 1970 l’imitation du modèle américain d’organisation et la construction, en vue de la course à la présidence, de deux alliances à vocation majoritaire, dominées par une figure charismatique.</p>
<h2>L’avènement des partis présidentiels</h2>
<p>L’établissement, en 1972, d’un « programme commun » à trois formations ainsi que l’évolution de la composition sociologique du salariat au détriment du mouvement ouvrier communiste permirent l’élection de François Mitterrand en 1981. Elle assura l’installation – au moins jusqu’en 2002, sinon 2012 – du PS dans le rôle de « parti présidentiel » de gauche. Parallèlement, l’affirmation du mouvement néogaulliste dominé par la figure de Jacques Chirac sur l’UDF, inspirée par la démocratie-chrétienne de Valery Giscard d’Estaing, fédéra un nombre suffisant d’électeurs de droite pour constituer un autre grand parti présidentiel.</p>
<p>Ce dernier se montra capable de surmonter les défaites de 1981 et 1988 avant de remporter une succession de victoires entre 1995 et 2012. Il se maintient aujourd’hui sous le nom des « Républicains » à l’intérieur d’une compétition qui l’oppose au « Rassemblement national » de Marine Le Pen, voire à l’initiative d’Eric Zemmour.</p>
<p>Contrairement au cas américain, l’existence de deux formations capables de rassembler, chacune sur son nom, un peu plus ou un peu moins de la moitié des électeurs n’a pas été accompagnée en France par la disparition d’organisations concurrentes. Aux USA, rare est la posture du « troisième homme ». Récemment adoptée par Donald Trump, elle a abouti à l’adoubement par le parti républicain du célèbre homme d’affaires.</p>
<h2>Des usages électoraux bouleversés</h2>
<p>La différence entre la France et les États-Unis trouve différentes explications qui se complètent. La question financière constitue un premier élément : une élection à l’échelle d’un continent suppose des ressources importantes et par conséquent la concentration de celles-ci au service d’un petit nombre de participants à la compétition.</p>
<p>Les usages institutionnels en sont un autre. La tradition américaine d’une « primaire » à laquelle les candidats acceptent de se soumettre contribue à la limitation du nombre des formations en lice à l’élection présidentielle proprement dite en même temps qu’elle assure l’expression comme la mesure des divergences. Elle est également une occasion de tester le talent de personnalités qui peuvent déjà présenter une expérience en tant que gouverneurs, de chefs d’État.</p>
<p>En France, la difficulté de l’enracinement des « primaires » dans les usages électoraux et le <a href="https://journals.openedition.org/lectures/51473">pluralisme historique de la gauche</a> ne <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ae/2008-v84-n2-ae2867/000376ar/">suffisent pas</a> à expliquer le nombre des candidatures.</p>
<p>La garantie d’un remboursement par l’État des frais de campagne dès qu’un score minimum relativement faible est atteint contribue à l’explication. Il en sera sans doute ainsi tant qu’un mode de financement, inspiré des propositions de <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-prix-de-la-democratie-9782213704616">l’économiste Julia Cagé</a>, ne réservera pas aux contribuables la responsabilité de la répartition des moyens financiers entre les candidats en amont de l’élection.</p>
<p>Mais plus fondamentalement, le nombre actuel des candidatures françaises communément cataloguées comme de gauche résulte d’une incapacité de « petites et moyennes entreprises » politiques qui, bien que partageant une sensibilité sociale et écologique, à s’agréger et à s’adresser d’une seule voix et de façon intelligible aux citoyens. Cette faiblesse de l’esprit d’entreprise de la gauche rompt avec un passé qui vit la construction, au XIX<sup>e</sup> siècle, par une « social-démocratie » unitaire d’organisations internationales mettant en réseau les partis ouvriers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174065/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>L'auteur contribue à différentes revues européennes et fondations, parmi lesquelles la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS).</span></em></p>Le nombre actuel des candidatures cataloguées comme de gauche résulte d’une incapacité de « petites et moyennes entreprises » politiques à s’adresser d’une seule voix intelligible aux citoyens.Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1703982021-11-01T18:28:18Z2021-11-01T18:28:18ZLes communistes et l’élection présidentielle : une histoire tumultueuse<p>Pour la première fois depuis 2007, les communistes ont annoncé que l’un des leurs, Fabien Roussel, secrétaire national du parti, sera candidat à la prochaine élection présidentielle. Vu le contexte de division à gauche, les chances que son dirigeant fasse un score très faible sont importantes.</p>
<p>Malgré tout, cette prise de risque est <a href="https://www.pcf.fr/vote_des_communistes_des_7_8_et_9_mai_2021">soutenue par une majorité des adhérents du parti</a>.</p>
<p>Ne pas participer à l’élection du chef de l’État, moment central dans la vie politique française, pénalise en effet toute formation politique d’autant plus si elle cherche, comme le PCF, à s’adresser en priorité aux classes populaires. Celles-ci se mobilisent davantage lors de ce scrutin que lors des autres élections. La campagne pour l’élection présidentielle bénéficie d’une couverture médiatique importante et, par conséquent, d’un intérêt plus prononcé de la part des populations qui sont prises dans la gestion de difficultés de vie et donc éloignées du monde de la politique.</p>
<h2>Le PCF en perte de visibilité</h2>
<p>En s’effaçant au profil de Jean-Luc Mélenchon lors des deux derniers scrutins, les communistes ont perdu en visibilité, et ils espèrent réaffirmer leurs couleurs à l’occasion de la campagne. C’est d’ailleurs sur cette base que Fabien Roussel est devenu secrétaire national en 2018 : pour la première fois dans <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2020/12/MISCHI/62584">l’histoire de ce parti centenaire</a> qui a dominé la gauche française de la Libération à la fin des années 1970, le dirigeant sortant, Pierre Laurent, a été mis en minorité par les signataires d’un <a href="https://congres2018.pcf.fr/bases_alternatives">texte alternatif</a> dénonçant « l’effacement » du PCF sur la scène politique, notamment lors des élections présidentielles.</p>
<p>L’année précédente, en 2017, seule une faible majorité des adhérents communistes consultés (54 %) avait accordé leur soutien à la candidature de Mélenchon. Ce choix était pourtant soutenu par la direction du parti, malgré l’absence d’entente avec La France insoumise (LFI) sur le programme et les législatives suivantes, durant lesquelles les candidats du PCF durent souvent affronter ceux de LFI.</p>
<p>La candidature de Fabien Roussel pour 2022 était donc attendue en interne même si ce choix peut tout autant renforcer la visibilité du PCF que fragiliser une organisation qui peine traditionnellement à s’affirmer lors de ce type de scrutin.</p>
<h2>Un scrutin pour construire l’union de la gauche</h2>
<p>Les dirigeants communistes se sont toujours méfiés de cette élection, surtout depuis le référendum de 1962 et le <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000094/le-referendum-du-28-octobre-1962.html">passage au suffrage universel direct</a>. Les communistes, favorables à un régime plus parlementaire, dénoncent alors une <a href="https://archives.seinesaintdenis.fr/ark:/naan/a0115500685764cM7Pf/8825736e04">élection plébiscite et la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme</a>.</p>
<p>Le PCF n’a pas présenté de candidat à quatre reprises au cours des 10 élections qui se sont déroulées depuis cette date, y compris lorsque son poids politique était conséquent.</p>
<p>Dès 1965, lors du premier scrutin présidentiel au suffrage universel, sa direction décide de soutenir François Mitterrand, alors à la tête de la petite Convention des institutions républicaines, malgré là encore l’absence d’accord programmatique.</p>
<p>Cette décision surprend et soulève des réserves : une composante significative de la base militante, peu séduite par le profil modéré de Mitterand, aurait préféré une candidature communiste. Plusieurs étudiants communistes comme <a href="https://maitron.fr/spip.php?article136624">Alain Krivine</a> sont exclus parce qu’ils refusent de soutenir Mitterrand et partent fonder les Jeunesses Communistes Révolutionnaire, ancêtres du NPA.</p>
<p>Le soutien à Mitterrand est justifié au nom de la construction d’une union des forces de gauche et de la désignation d’un candidat qui permet de contourner le Parti socialiste. La direction défend ce choix tactique en dépit des réticences des responsables soviétiques, qui se méfient de Mitterrand, perçu comme plus favorable aux États-Unis que de Gaulle, dont la politique extérieure se rapproche de l’URSS. Pour la première fois, le PCF prend alors nettement ses <a href="https://silogora.org/le-role-du-pcf-dans-lelection-presidentielle-de-1965/">distances par rapport aux Soviétiques</a> lorsqu’ils présentent sous un jour favorable la candidature de De Gaulle au nom du maintien du statu quo international. Les dirigeants français sont confrontés dans leur stratégie unitaire par la mise en ballotage de De Gaulle par Mitterrand : la gauche sort renforcée de ce scrutin.</p>
<h2>Contester la domination politique des élites sociales</h2>
<p>En 1969, une candidature unique de la gauche échoue faute d’accords avec des socialistes réticents. Jacques Duclos, membre de la génération fondatrice du PCF, est alors désigné comme le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VnBGGRFtgIo">premier candidat communiste à une élection présidentielle</a> sous la V<sup>e</sup> République. Né dans une famille modeste (son père est artisan-charpentier et sa mère couturière) d’un village des Hautes-Pyrénées, l’ancien ouvrier boulanger, communiste depuis 1920, fait partie des dirigeants d’origine populaire qui sont à la tête du parti qui se revendique porte-parole de la classe ouvrière.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Duclos, premier candidat à la présidentielle sous la Vᵉ République issu du PCF, en 1969 (INA).</span></figcaption>
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<p>En présentant des candidats d’origine populaire aux élections, le PCF constitue une entreprise inédite de <a href="https://lvsl.fr/le-pcf-a-permis-a-des-categories-dominees-de-saffirmer-dans-lespace-public-entretien-avec-julian-mischi/">contestation de la domination politique des élites sociales</a>. Alors que les postes politiques sont traditionnellement monopolisés par les classes socialement dominantes, les militants et élus communistes proviennent en grande partie des milieux populaires qu’ils entendent représenter au sein des municipalités et du Parlement. Avec son accent du Midi et ses origines ouvrières, le candidat communiste à la présidentielle de 1969 tranche dans paysage politique dominé par la bourgeoisie.</p>
<p>Jacques Duclos obtient un score important avec 21,5 % des suffrages alors que le candidat socialiste, Gaston Deferre, avocat de profession, n’en rassemble que 5 %. Arrivé troisième, il manque de 400 000 voix une qualification pour le second tour.</p>
<h2>Déclin d’un parti populaire et présidentialisation du régime</h2>
<p>Au scrutin suivant, en 1974, François Mitterrand est le candidat de l’Union de la gauche, que les communistes soutiennent sur la base du Programme commun de gouvernement signé deux ans auparavant. Cependant, les communistes, constatant que les socialistes bénéficient le plus de la dynamique unitaire, provoquent la rupture du programme commun en septembre 1977. L’inversion du rapport de force à gauche au profit du Parti socialiste est confirmée lors de la présidentielle de 1981 : Georges Marchais, secrétaire national du PCF, ancien ouvrier syndicaliste de la métallurgie, obtient 15 % des voix contre 26 % pour Mitterrand, avocat de formation, élu au second tour avec le soutien mesuré des communistes. Le PCF réalise alors son plus mauvais score à une élection nationale depuis 1936. Il est entré dans un cycle de déclin électoral dont il ne s’est en quelque sorte jamais remis.</p>
<p>Le PCF perd durant cette période l’essentiel de ses soutiens intellectuels, qui ont longtemps constitué une force singulière du mouvement communiste. Ces intellectuels dénoncent alors le repli sectaire du parti et la faiblesse des critiques portées sur les régimes communistes.</p>
<p>Cependant, au regard de l’effondrement de son audience nationale depuis la fin des années 1970, les positions locales du PCF résistent relativement bien : le nombre de municipalités communistes ne diminue que lentement tout au long des trente dernières années. Aujourd’hui encore le PCF gère une <a href="http://www.regards.fr/politique/article/elections-retour-sur-le-communisme-municipal">cinquantaine de villes de plus de 10 000 habitants</a> et peut s’appuyer sur des réseaux militants locaux. Il compte environ 40 000 adhérents, présents dans une diversité de territoire, notamment dans de petites villes où les autres forces politiques de gauche et de l’écologie sont quasiment absentes.</p>
<h2>Une base militante de plus en plus réduite</h2>
<p>La base militante et électorale du parti s’est néanmoins réduite continuellement sous le coup de <a href="https://www.revue-ballast.fr/julian-mischi/">multiples facteurs</a> liés à l’effondrement de l’URSS mais aussi aux recompositions du tissu industriel et des classes populaires.</p>
<p>La présidentialisation du régime de la V<sup>e</sup> République est également un frein au maintien d’une organisation militante ancrée dans les milieux populaires. Elle favorise en effet une personnification du jeu politique et une transformation des partis en machines électorales tournées vers la présidentielle, tout particulièrement depuis le couplage des élections présidentielles et législatives et l’inversion du calendrier électoral en 2001.</p>
<p>La délégitimation des partis et des idéologies politiques, tout autant que la focalisation des débats politiques et médiatiques sur les enjeux électoraux du moment, sont peu propices au déploiement dans le temps et dans les milieux populaires d’un tissu militant structuré.</p>
<h2>Une gauche divisée et fragilisée</h2>
<p>Marie-Georges Buffet est la dernière communiste à s’être présentée à l’élection présidentielle. En 2007, elle a rassemblé 1,9 % des suffrages, le plus faible score jamais obtenu par le PCF. Les relais du parti dans les quartiers et les entreprises se sont érodés : ses élus locaux proviennent désormais davantage des classes moyennes, notamment de la <a href="https://metropolitiques.eu/Qui-sont-les-nouveaux-dirigeants.html">fonction publique territoriale</a>, tandis que les profils issus du syndicalisme ouvrier se font de plus en plus rares.</p>
<p>Les syndicalistes, en proie à des difficultés dans leur entreprise, prolongent moins facilement leur engagement dans la scène politique qui s’embourgeoise et se professionnalise. La participation du PCF à des gouvernements qui ont privatisé et se sont résignés à accompagner le déclin de l’État social, d’abord en 1983-1984 puis en 1997-2002, a contribué à détourner les classes populaires de ce parti.</p>
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<figcaption><span class="caption">Marie-Georges Buffet en 2007.</span></figcaption>
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<p>Pour contrer à cette tendance, la direction du PCF a remis en avant depuis les années 2000 un souci d’ancrage spécifique dans les milieux populaires, avec un discours centré sur le monde du travail et la volonté de promouvoir des syndicalistes et des militants du mouvement social dans les directions. Cette stratégie de retour aux fondamentaux prend du temps et pâtit de la dynamique imposée par la présidentielle.</p>
<h2>Démocratie militante et personnalisation du jeu politique</h2>
<p>C’est tant pour marquer sa singularité face à Mélenchon que dans l’objectif de renouer avec les classes populaires que Fabien Roussel s’est emparé à son tour des thématiques de l’insécurité et l’immigration, parfois dans un sens conservateur, exprimant une reprise de l’agenda sécuritaire de la droite et du gouvernement.</p>
<p>Sa participation à la manifestation des policiers du 19 mai contre l’institution judiciaire a ainsi provoqué des mécontentements en interne. Elle pose la question de la démocratie militante car il est difficile de savoir si certaines positions de Roussel, qui peuvent surprendre les militants, reposent sur des délibérations collectives.</p>
<p>Là encore, on peut y déceler un effet du jeu de la présidentielle qui personnalise l’action politique et rend difficile le contrôle militant sur les candidats. Cette difficulté à faire vivre un collectif militant se retrouve également dans le camp de Mélenchon, dont les organisations successives (Parti de gauche, LFI) sont surtout mises au service de sa stratégie présidentielle et peinent à se structurer sur le territoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170398/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julian Mischi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après avoir soutenu Mélenchon, le PCF aura son propre candidat à la présidentielle. Retour sur les raisons de la candidature de Fabien Roussel et sur l’histoire des candidatures communistes.Julian Mischi, Sociologue et historien, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1682032021-09-20T20:44:22Z2021-09-20T20:44:22ZLa gauche dans un paysage politique fragmenté<p>À l’heure où, en France, le Congrès du Parti socialiste vient de ratifier la <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/olivier-faure-reelu-a-la-tete-du-parti-socialiste-1631967467">réélection à sa tête d’Olivier Faure</a>, et où près de <a href="https://www.la-croix.com/France/presidentielle-2022-candidats-gauche-deja-declares-verts-lfi-2021-09-15-1201175619">sept candidats</a> se revendiquant de gauche devraient se présenter à l’élection présidentielle de 2022, ce camp politique ne paraît guère capable d’unité. La gauche est éclatée et le paysage politique est lui-même fragmenté.</p>
<p>La fragmentation est sans doute le terme qui caractérise le mieux les systèmes politiques occidentaux contemporains depuis la disparition de l’Union soviétique.</p>
<p>L’Europe est particulièrement représentative du phénomène bien que celui-ci ne s’y cantonne pas. Révélatrices d’un cadre bipartisan sous tension, les divergences des républicains américains comme la difficulté de <a href="https://www.nytimes.com/2021/08/22/us/politics/democrats-divisions-infrastructure.html">Joe Biden</a> à bénéficier d’une discipline électorale démocrate au Congrès montrent combien la tendance à la fragmentation est répandue dans les démocraties libérales du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Superficiellement présentée dans les termes d’une crise, cette transformation des systèmes politiques affecte en particulier, comme l’illustre le cas français, ce qu’il reste convenu d’appeler « la gauche » européenne malgré le <a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2013-8-page-74.html">flou de ses contours</a>.</p>
<h2>Une fragmentation décuplée par les crises</h2>
<p>D’une part, la disparition des partis communistes n’a pas signifié la consolidation d’une hégémonie « social-démocrate » ou « socialiste », notions devenues synonymes et renvoyant à la défense de la Sécurité sociale et de la négociation collective par des <a href="https://www.bloomsbury.com/us/one-hundred-years-of-socialism-9781780767611/">partis d’origine ouvrière</a>. D’autre part, l’acuité de la perception collective de l’existence d’inégalités au sein des sociétés prospères de l’hémisphère nord a moins bénéficié à la « gauche » qu’à une nouvelle génération de partis dits <a href="http://cup.columbia.edu/book/populocracy/9781788210256">« populistes »</a>, de droite, voire d’extrême droite.</p>
<p>Un coup d’œil sur les résultats électoraux récents en Europe gagne à s’arrêter sur la <a href="https://searchworks.stanford.edu/view/1667069">situation des Pays-Bas</a>. Là où une société politique a reposé sur les piliers constitués par les familles chrétiennes, socialistes et libérales, plus de 10 partis se partagent actuellement les préférences des électeurs. Le PVDA, longtemps navire amiral du mouvement ouvrier, s’est <a href="https://progressivepost.eu/dutch-elections-2021-no-recovery-of-social-democracy/">effondré</a> tandis que se sont affirmés, en partie sur ses décombres, des formations représentatives de la gauche radicale, d’un libéralisme social, de l’écologie politique ou encore d’un vote protestataire, hostile à l’islam.</p>
<p>Ce paysage défini par la fragmentation – voire la disparition comme en Italie – des organisations traditionnelles communiste, socialiste et démocrate-chrétienne ainsi que par le surgissement de nouvelles formations qui peuvent sembler issues de nulle part a un précédent déjà historique.</p>
<h2>Un puissant entrepreneuriat politique</h2>
<p>En effet, dans les pays de l’ancienne Europe centrale et orientale, notamment en Pologne ou dans l’ancienne Tchécoslovaquie, on a vu émerger et s’affirmer, dès les premiers instants de la libéralisation constitutionnelle et économique, un puissant <a href="https://www.routledge.com/The-Routledge-Handbook-of-East-European-Politics/Fagan-Kopecky/p/book/9780367500092#">entrepreneuriat politique</a> ou autrement dit une capacité de citoyens à créer de nouveaux partis.</p>
<p>La comparaison est utile parce qu’elle elle montre qu’il convient de distinguer entre une crise et l’apocalypse. La fragmentation politique n’est pas nécessairement le prélude d’un chaos. Elle peut constituer le moment d’un processus de destruction créatrice au fil duquel l’offre politique s’adapte à l’évolution d’une demande sociale.</p>
<p>Aussi, une trentaine d’années après la chute du Mur de Berlin, les anciennes « démocraties populaires » satellisées par l’URSS ne sont-elles pas moins gouvernables que les pays qui appartenaient à la « Communauté européenne » instituée par le Traité de Rome en 1957 ? L’évolution des pays de l’Est tend également à indiquer, notamment en Pologne, que l’existence de partis socialistes n’est pas, ou plus, nécessaire à la satisfaction des <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9781137293794">attentes populaires</a>.</p>
<p>Tirer des enseignements de l’évolution est-européenne n’est cependant pas suffisant pour comprendre les ressorts de la fragmentation des systèmes partisans et les difficultés de la gauche dans ce nouvel environnement.</p>
<h2>Leçons d’Israël</h2>
<p>À cet égard, Israël constitue un autre laboratoire très intéressant. D’abord, parce qu’il illustre, comme en France, une évolution du système politique caractérisée par la disparition de la domination du Likoud et du Parti travailliste et ainsi que par l’<a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2009-3-page-83.htm">effondrement</a> de ce dernier depuis le début des années 2000.</p>
<p>Ensuite, et c’est là un trait plus original bien qu’il se manifeste dans d’autres États comme l’Italie à l’occasion de la constitution des gouvernements successivement dirigés par Giuseppe Conte et Mario Draghi, dans le cadre de la fragmentation du système, la composition des gouvernements est désormais régie moins par des convergences idéologiques que par les contraintes de la constitution mathématique d’une majorité parlementaire.</p>
<p>Cette évolution s’accomplit selon un schéma conforme à la théorie de la démocratie qui, défendue par <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/capitalisme-socialisme-et-d%C3%A9mocratie-9782228883177">Joseph Schumpeter</a>, réduisait celle-ci à une technique et une logique économique.</p>
<p>Autrement dit, la diversification des mouvements politiques favorise la constitution de majorités techniques plutôt que la réalisation d’un programme commun.</p>
<p>Ramenés à leur quintessence et considérés en tant que laboratoires, l’Europe de l’Est et Israël enseignent que l’issue de la fragmentation des systèmes politiques est indéterminée et peut aboutir à des résultats tout à fait contradictoires. Soit un renouvellement idéologique dont la Hongrie et la Pologne offrent des illustrations très radicales puisque l’évolution pourrait atteindre la nature même du régime politique. Soit une réduction de la politique à l’arithmétique.</p>
<h2>Quelques scénarios</h2>
<p>Appliquées au cas de la France, ces leçons permettent d’élaborer les scénarios suivants.</p>
<p>Selon un premier scénario, les résultats des prochaines élections présidentielles et législatives pourraient converger, comme ils l’ont encore fait en 2017. De la sorte, serait favorisée la perpétuation de la tendance dominante de la <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2001-4-page-101.htm">Vᵉ république</a> qui permet d’associer à un gouvernement et une présidence des choix politiques clairs, inspirés par un programme et une idéologie.</p>
<p>Selon un second scénario, les difficultés de la « cohabitation » qu’ont déjà connues les institutions françaises pourraient être augmentées par l’estompement de partis dit présidentiels, c’est-à-dire à vocation majoritaire et l’impossibilité pour le parti qui a remporté l’élection présidentielle de bâtir une majorité parlementaire à partir de la seule alliance avec un parti nettement plus faible.</p>
<p>Dans un tel environnement, les perspectives ouvertes aux partis de la gauche française paraissent maigres à moins que les résultats engrangés dans les urnes diffèrent des estimations proposées par les sondages. Ils n’en sont pas moins confrontés au choix suivant.</p>
<h2>Un choix drastique</h2>
<p>La première option consiste à parier sur les chances de l’entrepreneuriat en adaptant l’offre politique à une demande sociale.</p>
<p>Cette évolution a été jusqu’à présent accomplie sous la direction de Jean-Luc Mélenchon. Elle n’a pas permis aux formations qu’il a créées et aux programmes qu’il a défendus d’approcher une majorité parlementaire nationale ou législative comme avait pu le faire <a href="https://searchworks.stanford.edu/view/6005376">François Mitterrand</a> en liquidant la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/congres-d-epinay-il-y-a-50-ans-les-socialistes-s-unissent-derriere-francois-mitterrand">SFIO</a>.</p>
<p>Elle avait également été tentée au parti socialiste à partir de la mise en avant par Benoît Hamon d’une revendication de <a href="https://journals.openedition.org/lectures/28190?lang=es">revenu universel</a> mais s’était soldée par un échec.</p>
<p>Aujourd’hui, la plausibilité d’un renouvellement sous la forme d’une union de la gauche, d’une extension de celle-ci aux écologistes et d’un programme écosocialiste paraît écartée comme l’a été l’organisation d’une « primaire » des candidats des différentes formations.</p>
<p>L’option qui consiste à parier sur la mathématique électorale ne devrait permettre ni au PS, ni à la France Insoumise, ni aux formations écologistes et encore moins à l’extrême gauche de participer à une majorité nationale.</p>
<p>Elle n’autorise que l’accès à des coalitions dans d’autres niveaux de pouvoir, ouvrant peut-être la voie à la refondation d’une alliance progressiste à partir des succès d’une gestion municipale ou départementale.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur vient de publier <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-gauche-entre-la-vie-et-la-mort/">« La gauche entre la vie et la mort. Une histoire des idées au sein de la social-démocratie européenne »</a>, éditions Bord de l’eau, septembre 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168203/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Sente est membre du conseil scientifique de la Feps et du Cevipol (Université Libre de Bruxelles). </span></em></p>Parier sur la mathématique électorale ne devrait permettre ni au PS, ni à la France Insoumise, ni aux formations écologistes et encore moins à l’extrême gauche de participer à une majorité nationale.Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1671372021-09-13T17:53:48Z2021-09-13T17:53:48ZDes boat-people aux Afghans : les réfugiés, une cause politique pour le PS<p>La prise de Kaboul par les talibans et le séisme politique frappant la région ont eu des répercussions dans la politique intérieure de nombreux pays, à commencer par les États-Unis. En France également, les dirigeants de différents mouvements politiques ont réagi. Ainsi, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste et député, a publié trois tweets relatifs à la chute de Kaboul dès le 15 août, <a href="https://twitter.com/faureolivier/status/1426862047866855425">l’un en son nom</a>, l’autre <a href="https://twitter.com/partisocialiste/status/1427022973857406984">au nom du PS</a>, et un <a href="https://twitter.com/arminarefi/status/1426967842797277187">retweet d’article de presse</a>.</p>
<p>Ces prises de parole, liées aux événéments précis de ces derniers jours, reflètent aussi l’histoire des mouvements politiques. Ainsi les prises de positions socialistes s'inscrivent dans l'histoire longue du PS, dont <a href="https://books.openedition.org/pur/50889?lang=fr">j'étudie la politique internationale depuis de nombreuses années</a>.</p>
<p>Bien que membre de l’Internationale socialiste et héritier d’une tradition ouvrière internationaliste qu’il ambitionne de renouveler, le Parti socialiste <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_2000_num_65_1_2874#xxs_0294-1759_2000_num_65_1_T1_0089_0000">refondé au congrès d’Épinay en 1971</a> reste une organisation dont l’ancrage et les objectifs ne sont pas d’abord internationaux. Il entend promouvoir un « nouvel internationalisme » pour « changer la vie » à toutes les échelles, mais ses préoccupations sont celles de ses militants et de son électorat.</p>
<p>Lorsqu’en 1973 le royaume d’Afghanistan devient une République à la suite d’un coup d’État mené avec l’appui militaire soviétique, puis lorsqu’un nouveau coup d’État débouche sur l’instauration de la République démocratique d’Afghanistan en 1978, le Parti ne réagit pas officiellement.</p>
<p>En effet, l’Afghanistan n’est alors pas central dans l’agenda politique français. Le pays entre réellement dans l’horizon diplomatique du PS à partir de son <a href="https://www.jeuneafrique.com/72000/archives-thematique/l-urss-envahit-l-afghanistan/">invasion par l’URSS</a> en décembre 1979, qui en fait un enjeu de Guerre froide de premier plan.</p>
<h2>Le PS face à l’invasion soviétique de l’Afghanistan</h2>
<p>Dès le 2 janvier 1980, un communiqué socialiste condamne l’ingérence soviétique au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et pointe le risque d’enlisement dans un « conflit meurtrier ». Le même jour, le président Valéry Giscard d’Estaing envoie une invitation à François Mitterrand et Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste, les conviant à s’entretenir avec le ministre des Affaires étrangères pour évoquer la situation afghane.</p>
<p>Le 11 janvier, Georges Marchais s’exprime à la télévision française en duplex de Moscou, d’où il apporte son soutien à l’intervention soviétique. S’ensuit une <a href="https://www.ina.fr/video/I08017706">passe d’armes à la télévision avec Pierre Joxe</a>, qui dénonce une direction communiste « justifiant l’injustifiable ».</p>
<p>Les tensions entre PS et PCF, déjà fortes depuis la rupture de l’union de la gauche (1972-1977), s’aggravent. Alors que l’invasion de l’Afghanistan marquait la fin incontestable de la Détente, la position du PCF fut dénoncée par le PS comme le signe de son réalignement indéniable sur Moscou - un réalignement auquel on pouvait même désormais imputer la fin des discussions sur la réactualisation du Programme commun.</p>
<p>Le sujet afghan, et à travers lui celui de l’URSS, sont ensuite régulièrement débattus dans l’arène politique française, par exemple lors des réflexions sur l’opportunité d’un boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980 (boycott rejeté par le PS).</p>
<p>S’emparant du sujet en mars 1981 pour critiquer la droite durant la campagne présidentielle, le candidat Mitterrand revient sur un épisode de juin 1980 : l’annonce giscardienne erronée d’un retrait significatif des troupes soviétiques d’Afghanistan. Il attaque alors la diplomatie du président sortant et le qualifie de « petit télégraphiste » de Moscou.</p>
<p>En juin 1981, l’entrée de ministres communistes au gouvernement de Pierre Mauroy suit la conclusion d’un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/06/25/le-texte-de-l-accord-p-s-p-c_2730407_1819218.html">« accord politique de gouvernement »</a> préalable entre le PS et le PCF. Sur le plan international, où les désaccords étaient majeurs, la ligne du PS mitterrandien s’impose : les signataires y « affirment le droit du peuple afghan à choisir son régime et son gouvernement et se prononcent pour le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan et la cessation de toute ingérence étrangère ».</p>
<p>Fin 1982, l’Afghanistan compte toujours parmi les grandes causes internationales de mobilisation du PS, aux côtés du Salvador, de la Pologne et du Liban. <a href="https://archives-socialistes.fr/themes/archives/static/pdfviewer/?docid=367092&language=fra">Les objectifs socialistes affichés</a> sont de soutenir la circulation des informations émanant des mouvements de résistance afghans, d’aider au financement d’écoles publiques dans les zones tenues par les résistants, ainsi que l’installation d’un dispensaire au Pakistan pour les réfugiés afghans.</p>
<h2>Le PS et la question de l’accueil des réfugiés dans les années 1970</h2>
<p>Le 16 août 2021, la déclaration télévisée du président Emmanuel Macron à propos de potentiels <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sJ1Yr-5FXV0">« flux migratoires irréguliers importants »</a> provoqua une polémique immédiate à gauche. Si, dans les années 1970, la question des réfugiés n’était pas encore un enjeu majeur dans le cas afghan, c'était déjà le cas pour d’autres populations.</p>
<p>À l’époque, la solidarité socialiste et internationaliste s’exerce en premier lieu en faveur de « camarades », de militants et de leurs proches. Celle-ci s’inscrit dans une vaste tradition internationaliste, que l’on retrouve par exemple dans l’aide apportée <a href="https://books.google.fr/books?id=HV6FBPol6iUC&pg=PA196&lpg=PA196&dq=psoe+toulouse">aux socialistes espagnols ayant fui la dictature franquiste</a> par la SFIO puis par le PS, de la reconstitution du PSOE en exil à Toulouse en 1944 à sa <a href="https://www.psoe.es/el-socialista/sucedio-en/sucedio-en-1974-el-congreso-de-suresnes/">refondation en 1974</a> à Suresnes notamment.</p>
<p>Dans ces années 1970, on songe surtout à la mobilisation exceptionnelle de l’ensemble des socialistes en faveur des exilés de la gauche chilienne, victimes en 1973 du coup d’État de Pinochet. Beaucoup d’<a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/2722">initiatives locales</a> permirent de fournir aide, domicile ou emploi à ces réfugiés. La direction centrale socialiste, soutenant cet élan, chercha aussi à <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/le-parti-socialiste-francais-dans-la-recomposition-du-parti-socialiste-chilien-a-partir-de-1973/">l’orienter vers le Parti socialiste chilien</a>.</p>
<p>À côté de cette solidarité politique à l’égard d’homologues étrangers ayant choisi la France comme terre d’asile, les socialistes se mobilisèrent également dans des accueils présentés comme plus « humanitaires » que politiques.</p>
<p>Le PS prit par exemple part à l’immense vague française de solidarité envers les réfugiés d’Asie du Sud-Est, dont les départs sont provoqués dès le printemps 1975 par l’<a href="https://www.herodote.net/30_avril_1975-evenement-19750430.php">effondrement du Sud-Vietnam</a>, et <a href="https://www.histoire-immigration.fr/collections/1979-l-arrivee-des-refugies-d-asie-du-sud-est">s’intensifient en 1979</a> en raison de la crise économique vietnamienne, de la guerre sino-vietnamienne et de l’invasion du Cambodge par le Vietnam.</p>
<p>Fin juin 1979, interpellée par de nombreux militants et élus, la direction nationale donne ses consignes en faveur de la coordination de l’accueil de réfugiés par les municipalités, fédérations et sections. Un appel aux dons est aussi lancé pour financer l’envoi très médiatisé, en juillet 1979, d’un avion qui porte secours à 156 réfugiés. Or cette mobilisation du PS pour l’ex-Indochine fait partie d’une campagne nationale qui est un moment clé pour le champ humanitaire.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9mItIR84ZSc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Arrivée de boat-people à Rouen le 22 juillet 1987, archive INA.</span></figcaption>
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<h2>L’accueil de réfugiés, un choix toujours politique</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/l-asile-et-l-exil--9782707198792-page-171.htm">Karen Akoka</a> montre combien cet épisode accompagne et nourrit la promotion d’une nouvelle idéologie sans-frontiériste contre le tiers-mondisme et le romantisme révolutionnaires.</p>
<p>Cette nouvelle pensée humanitaire présente la défense des droits humains comme une cause consensuelle et apolitique, alors même qu’elle correspond à l’intégration, dans les discours de solidarité internationale, de l’antitotalitarisme qui marque alors le débat intellectuel et politique. Cet antitotalitarisme et sans-frontiérisme s’accompagne chez certains d’un indéniable anticommunisme.</p>
<p>Ainsi, si les Vietnamiens secourus par les socialistes français n’étaient effectivement pas ciblés en fonction de leurs affiliations politiques, on ne peut qualifier la solidarité socialiste d’humanitarisme apolitique : par sa participation et dans ses déclarations, le PS était soucieux d’une part de se positionner contre les anticommunistes oublieux des responsabilités historiques du Japon, de la France et des États-Unis dans les difficultés de la région, et d’autre part de condamner les dysfonctionnements des régimes communistes d’Asie du Sud-Est, ainsi que leurs crimes et violations des droits humains.</p>
<p>L’accueil de réfugiés, militants politiques ou non, et les raisons qui le motivent, restait et reste ainsi un choix très politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Judith Bonnin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fidèle à ses traditions, le PS a appelé à « se mobiliser » pour le peuple afghan dès le 15 août. Pour le parti, l’accueil de réfugiés est une tradition autant qu’une cause politique.Judith Bonnin, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1630852021-06-21T18:37:40Z2021-06-21T18:37:40ZRégionales et départementales 2021 : un premier tour aux abonnés absents<p>Initialement prévues en mars 2021, les élections régionales et départementales avaient été reportées en juin du fait de la flambée de Covid. Ce dimanche 20 juin, les électeurs étaient donc conviés à voter pour élire leurs représentants dans les assemblées de deux collectivités territoriales, les départements et les régions. Si les départements datent de la Révolution française avec une <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/le-suffrage-universel/la-republique-et-le-suffrage-universel/1870-1940-la-iiieme-republique-ou-l-avenement-du-suffrage-universel-masculin">assemblée départementale élue au suffrage universel</a> à partir de la III<sup>e</sup> République, les régions sont récentes.</p>
<p>Elles ne deviennent une collectivité territoriale qu’au début des années 1980, dans le cadre d’une volonté de décentralisation et de développement de la démocratie locale. Dans le même mouvement, les compétences des départements sont augmentées, ce qui n’a pas alors eu d’effet notable sur la participation électorale.</p>
<h2>L’effet covid</h2>
<p>Au soir du premier tour, l’abstention bat un record (tableau 1) : au moins deux tiers des électeurs ne sont pas allés voter. L’abstention est en progression de 16 points, ce qui semble indiquer que l’effet covid, qu’on avait observé aux deux tours de l’élection municipale de 2020 (avec une progression d’environ 20 points par rapport au scrutin de 2014, aussi bien en mars qu’en juin), n’a pas disparu.</p>
<p>L’effet covid comporte plusieurs aspects : une certaine peur d’aller dans un bureau de vote pour certains, surtout la faiblesse de la <a href="https://theconversation.com/elections-ces-rituels-de-campagne-bouleverses-par-la-crise-160066">campagne électorale</a>, avec peu de meetings, pas de porte à porte et une couverture médiatique restreinte, un climat du déconfinement qui n’incite probablement pas à aller voter.</p>
<p>De plus, les professions de foi des candidats n’ont pas été distribuées partout, ce qui a empêché certains de connaître à l’avance l’offre électorale. Le tsunami touche toutes les régions à l’exception de la Corse (abstention à 43 %), où les enjeux de la gouvernance dans cette région à compétences élargies sont beaucoup plus fortement perçus.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 1. % d’abstention aux élections régionales et départementales (1er tour).</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ce record d’abstention n’est pas dû qu’à ces circonstances particulières. Le tableau 1, qui donne le niveau de l’abstention depuis 1986, permet de le comprendre.</p>
<h2>Une double élection délicate</h2>
<p>En 1986, l’abstention était basse du fait de l’organisation le même jour d’élections législatives, beaucoup plus mobilisatrices, où l’abstention fut de 21,5 %. En cas d’organisation de deux scrutins le même jour, le plus mobilisateur tire vers le haut la participation à l’autre scrutin. Le phénomène a plusieurs fois joué entre élections départementales (dites cantonales jusqu’à 2011, avec renouvellement par moitié en principe tous les 3 ans) et régionales.</p>
<p>L’augmentation de l’abstention, aussi bien aux régionales qu’aux départementales, est très forte depuis 2010. Au fond, le rapport des Français à la politique a changé, en lien avec <a href="https://journals.openedition.org/lectures/34377">l’évolution des valeurs</a>.</p>
<p>On ne vote plus par devoir, mais si on comprend les enjeux de l’élection et si on estime qu’un candidat ou une liste mérite d’être soutenu, ou si on veut faire barrage à une tendance rejetée.</p>
<p>La campagne électorale est donc beaucoup plus importante qu’autrefois pour mobiliser l’électeur. Et, même en dehors d’une situation exceptionnelle comme celle de la pandémie, mobiliser l’électeur pour des élections locales apparaît de moins en moins évident, notamment chez les jeunes et dans les catégories populaires. L’électeur fidèle, qui vote systématiquement, quel que soit le type d’élection, est beaucoup moins fréquent qu’autrefois.</p>
<p>Si les Français aiment le département et la région où ils habitent, et s’ils sont favorables à l’accroissement des compétences locales, ils s’intéressent assez peu à la politique départementale et régionale. Seulement 35 % des Français pouvaient citer spontanément le nom du président de leur région en octobre 2019 (<a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-francais-et-leur-region/">sondage Harris Interactive</a>). Ils font cependant davantage <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">confiance</a> aux conseils départemental et régional (56 %) qu’à l’Assemblée nationale (38 %).</p>
<p>La participation dépend aussi de la conjoncture, plus ou moins mobilisatrice d’une élection, en fonction des enjeux nationaux du moment.</p>
<h2>Le poids du mécontentement</h2>
<p>Les régionales de 1992 et de 2004 mobilisent assez fortement car il y a un très <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2004-4.htm">fort mécontentement</a> à l’égard du gouvernement, à la fin du second mandat de François Mitterrand en 1992 et après deux ans de second mandat de Jacques Chirac en 2004. Le mécontentement est certainement aussi une dimension de la très forte abstention de 2021. Ainsi, 34 % des abstentionnistes <a href="https://www.ifop.com/publication/regionales-2021-sondage-jour-du-vote-profil-des-electeurs-et-cles-du-scrutin-1er-tour/">citent</a> le mécontentement comme une raison déterminante de leur comportement.</p>
<p>Il y a aussi une sorte de fatalisme à l’égard des élus : 40 % des abstentionnistes disent que ce vote ne changeait rien à leur vie personnelle et 35 % que ça ne change rien non plus à la situation de la région.</p>
<p>Beaucoup ont le sentiment que ça ne sert à rien de voter à ce type d’élection où les différences entre les tendances politiques sont difficiles à décrypter. À trois semaines du premier tour, les élections régionales ne viennent qu’en 11<sup>e</sup> position des sujets dont les Français ont parlé dans la semaine avec leur entourage, très loin derrière le déconfinement, la vaccination, le passe sanitaire, le niveau de l’épidémie en France, 31 % disent en avoir parlé selon le sondage Ifop <a href="https://www.ifop.com/publication/le-tableau-de-bord-politique-mai-2021/">publié</a> en mai 2021.</p>
<h2>Une offre électorale un peu plus réduite qu’en 2015</h2>
<p>En 2021 104 listes se sont présentées dans les 12 régions hexagonales contre 119 en 2015, soit une moyenne de 8,7 listes par région contre 9,9 en 2015. Tous les présidents sortants se <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/regionales-une-offre-electorale-qui-evolue.html">représentent</a> (7 de la mouvance LR, un UDI soutenu par le MoDem, 5 PS). Les grandes tendances politiques sont présentes partout, la pluralité des listes de gauche est plus faible qu’en 2015. Le choix des têtes de liste et des alliances a été beaucoup plus contrôlé par les instances nationales des partis pour les régionales que pour les départementales.</p>
<p>La République En Marche (LREM) et le MoDem ne dirigent aucune des 12 régions métropolitaines. LREM est à la tête de 3 départements et le MoDem de 2 (alors que la droite préside 62 départements et la gauche 28). La majorité présidentielle dispose de moins de cent conseillers départementaux sur 4108.</p>
<p>La restriction de l’offre s’observe aussi pour les départementales, avec 15 % de listes en moins par rapport à 2015. L’offre est nettement plus resserrée qu’aux régionales puisqu’il n’y a que 7892 binômes en compétition pour environ 2000 cantons, soit en moyenne un peu moins de 4 binômes par circonscription cantonale (site ouest-France). Depuis la réforme de 2013-2014, on élit, avec un mode de scrutin majoritaire à deux tours, un binôme de candidats (un homme et une femme) pour assurer la parité des assemblées.</p>
<h2>Deux grands perdants et la prime aux sortants</h2>
<p>Quand on considère les résultats par grandes tendances (tableau 2), plusieurs conclusions émergent. Il y a deux grands perdants.</p>
<p>Les scores de la majorité présidentielle sont faibles, elle n’a pas réussi à mobiliser son électorat, comme lors des municipales de 2020, car la majorité nationale concentre les mécontentements. Elle pâtit aussi beaucoup de son manque d’implantation territoriale.</p>
<p>Le Rassemblement national subit aussi une défaite importante, la droite radicale perdant environ 11 points par rapport à 2015, soit un tiers de sa force. Ses électeurs se sont peu mobilisés, au contraire de décembre 2015, un mois après les attentats parisiens du 13 novembre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/regionales-2015-sept-situations-tres-contrastees-51924">Régionales 2015 : sept situations très contrastées</a>
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<p>Au contraire, la gauche et la droite, qui dirigeaient toutes les régions, ont bien résisté. Il y a incontestablement eu une prime aux sortants, faisant souvent un meilleur score qu’en 2015. Les exécutifs régionaux profitent de leur présence et de leurs actions pendant les périodes de confinement. La gauche retrouve des couleurs, mais elle est assez divisée, les jours à venir diront si elle a réussi à s’unir pour aborder le second tour dans de bonnes conditions pour elle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=173&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=173&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=173&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=217&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=217&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=217&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 2. Résultat du premier tour aux régionales en 2015 et 2021 (en % des suffrages exprimés). 2015, ministère de l’Intérieur 2021, d’après Estimations Ipsos soir du vote.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les tendances qui se dégagent des élections départementales sont très semblables. D’assez nombreux conseillers départementaux sortants obtiennent la majorité absolue mais ne sont pas élus à l’issue du premier tour car ils n’ont pas réuni 25 % des électeurs inscrits.</p>
<p>Ce premier tour confirme qu’au niveau local et régional, les partis traditionnels résistent bien. Ils ne subissent pas l’éclatement du système partisan, observable seulement au niveau national, avec une force centrale très importante, une gauche très affaiblie, une droite pas très vaillante non plus, et un RN en embuscade.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163085/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Beaucoup de Français ont le sentiment qu'il ne sert à rien de voter dans un type d’élection où les différences entre les tendances politiques sont difficiles à décrypter.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1627752021-06-17T17:22:11Z2021-06-17T17:22:11ZRégionales dans le Grand Est : vers une nationalisation du scrutin ?<p>L’élection régionale dans le Grand Est ne déroge pas à la tension entre nationalisation et régionalisation qui parcourt le scrutin. C’est un grand classique de la politique française : les élections <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2004-4-page-533.htm">« intermédiaires »</a> ou de « second ordre » peuvent avoir une dimension nationale ou locale selon leur proximité avec un scrutin national. En l’occurrence, le laps de temps relativement bref <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/departementales/ces-regionales-vont-nous-envoyer-des-signaux-extremement-interessants-pour-la-presidentielle-analyse-le-politologue-bruno-cautres_4662049.html">entre les régionales et le scrutin présidentiel</a>, de moins d’un an, tendrait à nationaliser ce scrutin. Pourtant, dans le Grand Est, ce constat doit être nuancé pour plusieurs raisons, qui tiennent à certaines spécificités territoriales.</p>
<h2>Mêmes spécificités, candidats différents</h2>
<p>En 2015 également, neuf têtes de liste se présentaient, mais la configuration était sensiblement différente : l’union n’était pas réalisée entre le Parti socialiste (PS), Écologie Europe Les Verts (EELV) et le Parti communiste (PC). La tête de la liste Les Républicains (LR) était Philippe Richert. Élu Président de la région en 2015, il a été finalement <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/09/30/philippe-richert-president-du-grand-est-demissionne-et-quitte-la-politique_1600023/">poussé à la démission en 2017</a> par l’hostilité des adversaires du nouveau redécoupage régional <a href="https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/loi-portant-sur-la-nouvelle-organisation-territoriale-de-la-republique-notrepr%C3%A9ciser">(loi Notre 2015)</a>, notamment en Alsace.</p>
<p>L’élu qui l’a remplacé est Jean Rottner (LR), ancien maire de Mulhouse, un paradoxe quand l’on sait que celui-ci était un <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/jean-rottner-elu-sans-surprise-president-de-la-region-grand-est-1508510774">farouche adversaire</a> de la nouvelle grande région, initiateur d’une pétition contre la fusion. Il reprend aujourd’hui la tête de la liste LR.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"914183078674878464"}"></div></p>
<p>Autre point commun entre l’élection régionale de 2015 et celle de 2020, l’existence de <a href="https://www.lesechos.fr/elections/regionales/regionales-le-grand-est-toujours-pas-accepte-par-une-partie-de-ses-membres-1320168">listes autonomistes</a> toujours hostiles à l’institution de la grande région, notamment les listes intégrant Unser Land, le parti autonomiste alsacien.</p>
<p>Par ailleurs, si la droite était unie en 2015 dans une liste LR-UDI-MoDem, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2015/09/27/nadine-morano-evoque-la-race-blanche-de-la-france_4773927_823448.html">Nadine Morano</a> en a été exclue pour avoir présenté la France comme un « pays de race blanche ». En 2021, même chose : elle est à nouveau écartée par Jean Rottner, malgré la décision initiale de leur parti, pour sa proximité avec les thèses du Rassemblement national. Un des enjeux est de savoir ce que sera l’effet électoral de cette division.</p>
<p>Nadine Morano est une figure nationale et locale de LR et apparait comme une dissidente localement. Elle ne soutient pas la liste officielle de son parti ce qui pose problème. Pour l’heure elle ne soutient pas non plus la liste du RN, qui s’efforce d’obtenir son ralliement.</p>
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<p>La liste Rottner est concurrencée aujourd’hui par celle dirigée par <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/brigitte-klinkert-candidate-aux-regionales-de-juin-prochain-dans-le-grand-est-1619790216">Brigitte Klinkert</a> (LREM-DVD), ministre issue de l’UMP et encouragée par l’Élysée.</p>
<p>Certains candidats de 2015 se présentent par ailleurs sous une nouvelle étiquette : Florian Philippot est passé du FN aux Patriotes, qu’il a fondés, Laurent Jacobelli migre de Debout la France au RN, dont il est porte-parole.</p>
<p>En 2021, une liste « l’Appel inédit » est également <a href="https://www.lalsace.fr/politique/2021/05/04/ps-cinq-renforts-de-marque-pour-l-appel-inedit">initiée par Aurélie Filippetti</a>, ancienne ministre de la Culture aux côtés de Pernelle Richardot, trésorière nationale du PS, et Caroline Fiat, issue de la France insoumise, avec le soutien de Génération·s et Place publique.</p>
<p>Il s’agit de proposer une liste alternative aux logiques d’appareil, animée par trois femmes, ainsi qu’une nouvelle identité pour le Grand Est. Cette liste est concurrencée par celle d’EELV-PS-PC, soutenue par d’autres mouvements du centre gauche, et animée par l’écologiste Éliane Romani (« Il est temps »).</p>
<h2>Des enjeux locaux dont la remise en question de la région Grand Est</h2>
<p>L’enjeu national de la présidentielle est nuancé par une affirmation localiste, voire identitaire, de certaines listes. La difficulté du Grand Est réside dans l’hétérogénéité démographique et économique de son territoire, très étendu.</p>
<p>Traversé par la <a href="https://labs.letemps.ch/interactive/2019/longread-france-vide/">« diagonale du vide »</a>, il est également marqué par une configuration frontalière particulière (Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=561&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=561&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=561&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=705&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=705&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=705&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une carte démographique de la répartition de la population française sur le territoire. Un rouge plus foncé correspond à une densité plus élevée. Du Havre à Marseille, la ligne imaginaire à l’est de laquelle 60 % de la population française réside. En pointillés, les limites de la « diagonale du vide », qui englobe dans le Grand Est Ardennes, Meuse, Marne, Haute-Marne et Aube.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Benjamin Smith/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>En outre, les débats autour de la restructuration régionale persistent, puisque ses objectifs en termes d’économies d’échelle et d’efficience <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/regionales-2021-dans-le-grand-est-pourquoi-le-reforme-territoriale-n-a-pas-tenu-toutes-ses-promesses-d-economies-2104357.html">n’ont pas été réalisés</a>. Le nombre d’élus et de personnel n’a pas diminué : la région dispose toujours de deux assemblées régionales, à Metz et Strasbourg. En ce qui concerne le régime indemnitaire des agents de la région, c’est-à-dire le montant des primes et indemnités versées en plus du traitement de base, celui-ci a augmenté entre 2016 et 2021.</p>
<p>Nombre d’élus et une partie de la population d’Alsace souhaiteraient remettre en question la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000030985460/">loi NOTRe</a> et revenir aux trois anciennes régions. C’est d’ailleurs au programme de trois listes sur neuf : les régionalistes de « Stop Grand Est, en avant l’Alsace ! », le RN et les Patriotes de Florian Philippot.</p>
<h2>Enjeux linguistiques</h2>
<p>Certains candidats font également du développement des <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/regionales-2021-le-grand-est-toujours-en-quete-d-identite-2116147.html">langues régionales</a> un enjeu de campagne, comme Éliane Romani, Aurélie Filipetti, et les autonomistes de la liste « stop Grand Est ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lalsacien-nexiste-pas-was-isch-los-quen-est-il-159487">« L’alsacien n’existe pas » : wàs isch los ? (qu’en est-il ?)</a>
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<p>Dans ce contexte, l’Alsacienne Brigitte Klinkert assoit son implantation territoriale en suggérant d’accorder des <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19627-quest-ce-quun-conseil-regional">vice-présidences</a> aux trois anciennes composantes du Grand Est, la Champagne-Ardenne, la Lorraine et l’Alsace, et en rappelant son rôle dans la construction de la <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/dix-choses-a-savoir-sur-la-collectivite-europeenne-d-alsace-qui-verra-le-jour-le-1er-janvier-2021-1606919795">Collectivité européenne d’Alsace</a>, lorsqu’elle était présidente du Conseil départemental du Bas-Rhin.</p>
<p>Elle oppose ainsi sa conception de la région « girondine », basée sur une décentralisation locale où les anciennes régions disposeraient de plus de pouvoirs, au « jacobinisme » régional de Rottner. Dans les anciennes régions, on critique l’hégémonisme alsacien incarné par le président sortant.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1402716815218839555"}"></div></p>
<h2>Jean Rottner, un bilan à l’épreuve de la pandémie</h2>
<p>La « régionalisation » du scrutin doit aussi à l’évolution de l’image de Jean Rottner, peu connu de la France et des autres anciennes régions. L’Alsacien a eu l’occasion de se <a href="https://www.lepoint.fr/politique/grand-est-jean-rottner-un-ex-urgentiste-a-la-tete-d-une-region-convalescente-15-05-2021-2426567_20.php">révéler pendant la crise du Covid</a>, passant de président d’une collectivité qu’il rejetait, à président expert, spécialiste de la crise sanitaire grâce à son statut de médecin urgentiste. <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/jean-rottner-la-crise-a-accelere-le-fait-regional-879909.html">Il affirme ainsi que</a> : « la crise a accéléré le fait régional ». Dans les faits, la pandémie a été l’occasion d’un interventionnisme régional renforcé, en coopération avec la préfète de région. <a href="https://theconversation.com/le-prefet-et-la-pandemie-comment-le-coronavirus-revele-les-transformations-de-letat-162194">Ce rôle</a> a été notamment crucial dans la distribution des ressources de lutte contre le virus (masques et vaccins).</p>
<p>Sa position est en rupture avec celle de plusieurs responsables départementaux, pour qui l’espace pertinent en matière de santé est le département.</p>
<p>Le discours de la proximité et du localisme devient donc un enjeu majeur pour certains candidats, auquel s’ajoutent des préoccupations sécuritaires (RN), environnementales, au sujet des transports gratuits, du développement de la recherche (listes de gauche), de la démocratie participative et des services publics de proximité (Filippetti), ou de l’investissement de la région dans la santé (Rottner).</p>
<h2>Des alliances à géométrie variable</h2>
<p>La nature hybride du scrutin, <a href="https://www.gouvernement.fr/tout-ce-qu-il-faut-savoir-sur-les-elections-regionales-et-departementales">simultanément départemental et régional</a>, révèle la dualité des logiques d’alliances, selon les types de collectivité, et les limites des allégeances partisanes.</p>
<p>Ainsi, la liste Klinkert, liée à la majorité présidentielle, comporte le républicain alsacien Georges Schuler, secrétaire départemental LR, mais aussi l’ancien socialiste Christophe Choserot. Président du groupe majoritaire de gauche de la métropole de Nancy, il en a démissionné en intégrant cette liste.</p>
<p>À gauche, Pernelle Richardot, trésorière nationale du PS, première secrétaire fédérale du PS 67 et l’une des animatrices de la liste « l’Appel inédit », est <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/dans-le-grand-est-chasse-croise-chez-les-socialistes-20210505_6BMQZDLCVFEG5KUCS3BXGIFJAM/">désavouée par sa fédération</a>, qui n’a pas voulu la suivre dans cette initiative.</p>
<p>Elle n’a donc pas rejoint la liste EELV-PS-PC, officiellement soutenue par la direction nationale du PS. Cela a entraîné certaines confusions, agaçant les animateurs de la liste « Il est temps », lorsque par exemple la publicité pour le grand débat télévisé régional, dans <em>l’Est Républicain</em>, accole à Aurélie Filippetti l’étiquette « Parti socialiste ». Lors du débat, c’est l’étiquette « Union de la gauche » qu’on lui associe, un concept que la liste d’Éliane Romani prétend aussi incarner.</p>
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<p>À cela s’ajoute une différence d’alliance, paradoxale et source de dissonances, entre le scrutin départemental et le scrutin régional, alors que les cumuls de <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/departementales/infographies-age-parti-profession-plongee-dans-les-33-000-candidatures-aux-elections-regionales-et-departementales_4658735.html">candidatures sont relativement fréquents</a>. En effet, dans le département de Meurthe-et-Moselle, par exemple, un accord d’union a pu être réalisé pour les départementales entre EELV-PS-PC-LFI, contrairement à l’élection régionale.</p>
<p>Ainsi, Caroline Fiat (LFI) est candidate de la majorité de gauche sortante au Conseil départemental, comme le premier secrétaire fédéral du PS, Bertrand Masson. Or tous deux s’affrontent pour la régionale, ce dernier étant tête de liste en Meurthe-et-Moselle sur la liste d’Éliane Romani, alors que Caroline Fiat est co-initiatrice de la liste « l’Appel inédit ».</p>
<h2>Une alliance de gauche peu crédible</h2>
<p>La perspective de la présidentielle aboutit inévitablement à une comparaison entre régions pour repérer les logiques d’alliances.</p>
<p>De ce point de vue, la constitution de la liste Romani peut être perçue à l’aune d’une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/16/a-gauche-derriere-l-unite-un-axe-social-ecologiste-se-dessine-pour-2022_6076995_823448.html">stratégie de domination</a> de la gauche par EELV, dans la perspective de l’élection présidentielle.</p>
<p>De fait, le PS n’a pu qu’accepter cet accord compte tenu de sa faiblesse électorale dans le Grand Est. La liste « l’Appel inédit » en a d’ailleurs fait un argument de campagne, justifiant sa présence comme une résistance à la tentation hégémonique d’EELV. Mais Éliane Romani est à 14 %, en 4<sup>e</sup> position pour le moment. Certes, son succès renforcerait l’idée d’une Union PS-EELV au niveau national et accréditerait l’idée d’une recomposition de la gauche.</p>
<p>Cependant, pour l’heure, les schémas de coalition PS-EELV sont plutôt marginaux en France pour ce scrutin régional : dans six des treize régions, l’accord PS-PC est privilégié. Comme dans le Grand Est, l’alliance PS-EELV est plutôt dirigée par un·e écologiste, comme dans les régions PACA ou Hauts-de-France. La seule union de la gauche et des écologistes animée par une socialiste <a href="https://www.paris-normandie.fr/id180304/article/2021-04-05/regionales-2021-en-normandie-un-accord-trouve-entre-socialistes-et-ecologistes">se réalise en Normandie</a>.</p>
<h2>Un scrutin troublé par les désistements</h2>
<p>Malgré son <a href="https://www.lci.fr/politique/regionales-jean-rottner-lr-fustige-les-clins-d-oeil-au-rn-de-nadine-morano-2187068.html">refus d’accueillir Nadine Morano</a>, la liste Rottner s’inscrit tout à fait dans la ligne nationale de LR, à savoir « pas d’alliance avec les partis de la majorité présidentielle ».</p>
<p>Comme partout ailleurs plane l’ombre de la désaffection pour les partis « de gouvernement », de l’abstention et du Rassemblement national, représenté par Laurent Jacobelli. L’issue du scrutin demeure néanmoins incertaine, tout dépendant des désistements. Si la liste Klinkert se désiste ou fusionne, la victoire de la liste Rottner sera nette. En revanche, en <a href="https://www.lunion.fr/id264071/article/2021-06-09/elections-regionales-quadrangulaire-fatale-jean-rottner-lr-selon-un-sondage-qui">cas de quadrangulaire</a>, le RN peut arriver en tête, devant la liste Rottner.</p>
<p>En 2015, lors du scrutin régional, avec 36,08 %, le FN était en tête au premier tour dans la région Grand Est (à l’époque ACAL) avec 9 points de plus qu’au niveau national. Les stratégies d’alliance sont ainsi déterminées partiellement par le débat sur la pertinence d’un front républicain. La tête de liste RN Laurent Jacobelli, tout en se positionnant clairement contre la grande région, s’efforce d’éviter un débat sur les enjeux identitaires locaux et cherche à nationaliser le débat, pour y ramener des <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-de-la-redaction-de-7h45/alsace/laurent-jacobelli-tete-de-liste-du-rassemblement-national-aux-elections-regionales-dans-le-grand-est">questions sécuritaires</a> qui ne relèvent pas des compétences de la région.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1404701721901797376"}"></div></p>
<h2>Manque de lisibilité</h2>
<p>En 2015, l’abstentionnisme, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/06/13/doit-on-craindre-une-abstention-massive-aux-elections-regionales-et-departementales_6083944_823448.html">traditionnellement important</a> pour les élections régionales, a été légèrement plus élevé qu’au niveau national, de 2 points (52,09 %), dans cette région. Il peut se nourrir de la confusion qui naît de deux élections simultanées, où la nationalisation du scrutin et le manque de lisibilité de l’offre électorale contribuent à rendre le rôle de ce scrutin peu clair.</p>
<p>En 2021, le <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/regionales/regionales-la-victoire-du-rn-n-est-plus-a-exclure-dans-le-grand-est-20210615">poids notable du Rassemblement national</a> dans le Grand Est, donné en tête dans un premier sondage, puis en deuxième position après la liste LR et devant la liste LREM depuis, suggère l’idée d’un ralliement au second tour.</p>
<p>Toutefois, le premier tour reproduira l’affrontement LR-LREM qui existe au niveau national, à la différence de ce qui s’est produit pour certains scrutins municipaux et dans la plupart des <a href="https://www.estrepublicain.fr/politique/2021/05/06/departementales-2021-qui-sont-les-candidats-dans-votre-departement-meurthe-et-moselle">cantons de Meurthe-et-Moselle</a>, par exemple.</p>
<p>Ainsi, à l’image de ce qui se passe dans toutes les régions, on peut lire ce scrutin dans le Grand Est comme un test pour la présidentielle et les chances de réussite du RN. Cependant, c’est également l’avenir de la région qui s’y jouera, entre pressions autonomistes alsaciennes et sentiment nouveau d’appartenance régionale issue de la crise sanitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162775/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Olivier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le Grand Est, le scrutin régional et départemental est l’occasion de répéter les alliances pour la présidentielle, mais aussi de régler des questions locales, comme l’autonomisme alsacien.Laurent Olivier, maître de conférences, IRENEE, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1603712021-05-24T18:49:40Z2021-05-24T18:49:40ZQue reste-t-il de la « deuxième gauche » ?<p>Dans la nuit suivant son élection, le 7 mai 2017, Emmanuel Macron aurait, selon certains commentateurs, rédigé la <a href="https://www.editionsarchipel.com/livre/cetait-rocard/">préface de l’ouvrage</a> consacré par Jean‑Paul Huchon à <a href="https://urlz.fr/fxvo">Michel Rocard</a>. Quelle que soit la genèse de son écriture, ce court texte rappelle que l’héritage de la « deuxième gauche », mouvement social, intellectuel et politique dont Michel Rocard fut la principale incarnation, continue d’être revendiqué.</p>
<p>À gauche cependant, la référence reste rare. Quelques candidats potentiels à l’élection présidentielle de 2022 continuent de s’en réclamer au détour d’une interview – <a href="https://urlz.fr/fxvp">Yannick Jadot</a>, <a href="https://urlz.fr/fxvr">Anne Hidalgo</a> – sans jamais s’y attarder.</p>
<p>Reste à savoir de quelle « deuxième gauche » parlait Emmanuel Macron. L’expression renvoie principalement pour lui à la référence rocardienne et à une forme de « social-démocratie à la française » très liée à la mémoire du rocardisme des <a href="https://urlz.fr/fxAA">années 1980</a>.</p>
<p>Il affirmait ainsi se reconnaître dans un triple legs : l’exercice du pouvoir doit être soutenu par une pensée charpentée ; la rigueur gestionnaire et l’efficacité de l’État constituent des principes cardinaux de l’action publique ; la société civile est un puissant levier de transformation sociale.</p>
<h2>Une mémoire fixée sur le rocardisme des années 1980</h2>
<p>Cette mémoire a le mérite de pointer des invariants importants de la « deuxième gauche ». Elle explique aussi pourquoi une figure de la droite libérale comme Édouard Philippe, dont les cercles d’expertise rocardiens furent la première instance de socialisation politique, érigea Michel Rocard et Pierre Mendès France en chefs de gouvernement modèles, au même titre que Georges Pompidou et son mentor <a href="https://urlz.fr/fxvL">Alain Juppé</a>.</p>
<p>Réduire la « deuxième gauche » à cet avatar social-démocrate empêche toutefois d’en saisir pleinement l’épaisseur, en particulier ses dimensions contestataires et révolutionnaires forgées dans les <a href="https://www.theses.fr/1992PA010550">combats contre la guerre d’Algérie</a>.</p>
<p>Une focalisation trop étroite sur son versant politique, qui s’affirme surtout après le congrès du PS de Nantes en juin 1977, où Michel Rocard pointe l’existence d’une <a href="https://urlz.fr/fxx8">« deuxième culture dans le socialisme français »</a>, conduit également à oublier son impact dans les mutations sociologiques de la gauche non communiste française des années 1960-1970.</p>
<p>Nébuleuse aux contours flous et mouvants, la « deuxième gauche » fut le sas d’entrée principal des chrétiens en <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/a-la-gauche-du-christ-jean-louis-schlegel/9782021044089">socialisme</a>.</p>
<p>Ce mouvement social et politique présente enfin une forte dimension intellectuelle : la réflexion théorique dense relayée par des revues et des journaux appelant à la naissance d’une gauche alternative au Parti communiste (PCF), à la SFIO puis au PS dans sa version mitterrandienne favorisa l’émergence d’une <a href="https://books.google.fr/books/about/Pour_une_nouvelle_culture_politique.html?id=G_hXDwAAQBAJ&redir_esc=y">« nouvelle culture politique »</a>, dont l’originalité et les réalisations sont toutefois à relativiser.</p>
<h2>Une gauche de combat aspirant à régénérer le socialisme</h2>
<p>L’existence de la « deuxième gauche » précède de beaucoup la naissance de l’expression, que l’on peut dater de <a href="https://ulysse.univ-lorraine.fr/discovery/fulldisplay?vid=33UDL_INST:UDL&docid=alma991000193769705596&lang=fr&context=L&adaptor=Local%20Search%20Engine">l’ouvrage publié en 1982</a> par les journalistes Hervé Hamon et Patrick Rotman sur l’histoire de la CFDT. Avant d’être une méthode de gouvernement ou une culture politique, cette mouvance se construisit dans la protestation morale et le combat anticolonial.</p>
<p>Les pionniers de ce qu’on appelle alors la « nouvelle gauche » rejettent simultanément le PCF, dont ils se méfient au plus haut point pour y avoir souvent milité, et la SFIO de Guy Mollet. Ce dernier, en cautionnant à la tête d’un gouvernement de coalition de Front républicain (1956-1957) une politique de répression contre les militants nationalistes algériens, notamment marquée par le recours de l’armée française à la torture, fut accusé d’avoir trahi le socialisme. Son soutien en 1958 à la V<sup>e</sup> République du général de Gaulle précipita les hésitants vers une <a href="https://www.theses.fr/1992PA010550">rupture</a> déjà consommée par d’autres, entraînant une scission de la SFIO. Produit de multiples recompositions, le Parti socialiste unifié (PSU) fut le débouché politique fragile de cette <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=3268">refondation</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guy Mollet arrive à Alger, 1956.</span></figcaption>
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<p>Nul ne parle alors de « deuxième gauche » pour qualifier <a href="https://www.abebooks.fr/9782708953543/gauche-dissidente-nouveau-Parti-Socialiste-2708953540/plp">ces gauches dissidentes et éclatées</a>. Les sécessionnistes de la SFIO constituent le gros des effectifs d’une nébuleuse militante qui, par-delà des divergences idéologiques importantes, souhaite construire une gauche morale sur le modèle de Pierre Mendès France, figure tutélaire <a href="https://urlz.fr/fxwD">quoiqu’ambiguë</a>.</p>
<h2>Réforme ou révolution ?</h2>
<p>De cette époque, les responsables politiques actuels se réclamant de la « deuxième gauche » ont retenu le plaidoyer pour une modernisation du socialisme fondée sur l’efficacité économique, la rupture avec la tradition marxiste et le rejet d’un « social-étatisme » attribué au PCF et à la SFIO. Un tel prisme mémoriel occulte la dimension révolutionnaire dont cette alternative était aussi porteuse.</p>
<p>Pour de nombreux théoriciens que l’on retrouve dans les années 1960 au PSU, à la CFDT et/ou dans des clubs de réflexion en plein essor, il s’agissait d’élaborer une « nouvelle culture politique » offrant d’autres leviers que la conquête de l’État pour rompre avec le capitalisme.</p>
<p>Dans les années 1970, la méfiance envers le Léviathan s’accroît pour des raisons tactiques – l’hostilité foncière à l’égard de François Mitterrand et de sa stratégie d’union avec le PCF – mais aussi culturelles. La critique de l’État, exposée dans de nombreuses revues intellectuellement proches comme <em>Esprit</em>, se nourrit de la pensée libertaire de 1968 et des recherches qui s’amorcent sur le <a href="https://urlz.fr/fzcb">totalitarisme communiste</a>.</p>
<h2>Transformer le socialisme par le local</h2>
<p>Cette volonté de relativiser le rôle de l’État dans l’art de gouverner s’accompagne logiquement d’un intérêt marqué pour le local. En 1966, Michel Rocard donne à cette revendication un slogan fort, « décoloniser la province », reflet d’un investissement des gauches dissidentes dans les municipalités.</p>
<p>Des Groupes d’action municipale (GAM), collectifs de femmes et d’hommes souvent issus des classes moyennes et supérieures, s’efforcent alors de peser sur la politique de municipalités gérées le plus souvent par les gaullistes, en dépit de quelques contre-exemples importants comme Grenoble, dirigée par un édile PSU <a href="https://books.openedition.org/pur/101994?lang=fr">Hubert Dubedout</a>.</p>
<p>Le plaidoyer pour une action au plus près des citoyens trouve aussi sa traduction économique. La direction de la CFDT, dont les effectifs oscillent autour du million d’adhérents tout au long des années 1970, exige que les conflits du travail soient réglés au plus bas niveau possible, en l’occurrence celui de l’entreprise.</p>
<p>Dans la décennie suivante, cet attachement au principe de subsidiarité (partagé avec la démocratie-chrétienne), selon lequel l’action publique doit toujours privilégier l’échelon le plus proche des citoyens, est relayé au niveau européen par Jacques Delors, président de la Commission entre <a href="https://urlz.fr/fxyf">1985 et 1995</a>.</p>
<h2>L’utopie d’un socialisme autogestionnaire</h2>
<p>Pour une large partie de la « deuxième gauche » des années 1970, ce souci réformateur est indissociable d’une dimension révolutionnaire dont le concept d’autogestion résume l’ambition. S’il faut rappeler la prudence de ses chefs de file vis-à-vis de la rupture avec le capitalisme, Michel Rocard, Jacques Delors et Edmond Maire restant attachés au maintien du marché comme mode principal d’allocation des ressources, la tendance à la radicalisation des troupes est indéniable. Entre 1970 et 1978, la CFDT se réclame ainsi du <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1996_num_43_1_1811_t1_0184_0000_2">socialisme autogestionnaire et de la lutte des classes</a>. L’aspiration ne survit pas à la crise économique des années 1970 et à l’hostilité des tenants de l’union de la gauche qui, au sein du PS, ne mobilisent la référence autogestionnaire qu’à des fins stratégiques.</p>
<p>De manière plus profonde cependant, l’émergence dès la fin des années 1950 de cette « nouvelle culture politique » qui s’efforçait de concilier <a href="https://urlz.fr/fxz6">« idéalisme et technicité »</a> impulsa une mutation sociologique majeure en convainquant les chrétiens de s’engager en socialisme.</p>
<h2>Un creuset de l’engagement chrétien</h2>
<p>Ces derniers, en particulier les catholiques, jouent en effet un rôle central dans la structuration des gauches dissidentes. La CFTC puis la CFDT accueillent de nombreux militants issus de l’Action catholique : Jeunesse ouvrière chrétienne, Jeunesse agricole catholique et Jeunesse étudiante catholique, cette dernière disposant de <a href="https://urlz.fr/fxzi">puissants relais au sein de l’UNEF</a>. Ces chrétiens de gauche sont également séduits par les clubs, à l’image de Jacques Delors, catholique pratiquant, animateur de Citoyens 60 et expert de la CFTC au début des années 1960. On les retrouve aussi dans les combats locaux où ils constituent le gros des bataillons des GAM.</p>
<p>Leur entrée en socialisme provoque des grincements de dents au PCF, à la SFIO puis au PS, formations où l’athéisme et la laïcité restaient des valeurs centrales.</p>
<p>François Mitterrand, bien que lui-même catholique conservateur, leur voue une franche animosité, notamment lorsque sa rivalité avec Michel Rocard pour le leadership sur le parti atteint son paroxysme entre 1978 et 1981.</p>
<p>Son élection à la présidence de la République et l’installation durable du PS au pouvoir estompent toutefois les crispations internes autour de la question religieuse, l’exercice des responsabilités conduisant les socialistes de toutes obédiences à la convergence.</p>
<h2>La « deuxième gauche » soluble dans l’exercice du pouvoir ?</h2>
<p>Une lecture superficielle des premières années de la gauche au pouvoir pourrait laisser penser que la « deuxième gauche », vaincue politiquement par François Mitterrand, prit sa revanche sur le terrain économique avec l’officialisation en mars 1983 d’un « tournant de la rigueur » dont les premiers signes remontaient à la fin de l’année 1981.</p>
<p>Or, si la « deuxième gauche » impose progressivement sa ligne économique, elle essuie une lourde défaite sur son projet de réduction et de partage <a href="http://www.theses.fr/2015PA010700">du temps de travail</a>. En outre, des réformes chères à ses partisans, comme la décentralisation, sont pensées et mises en œuvre par le Premier ministre Pierre Mauroy et son ministre de l’Intérieur Gaston Defferre, deux personnalités qui ne sont pas du sérail.</p>
<p>En 1988, la nomination de Michel Rocard à Matignon ne marque pas davantage l’arrivée au pouvoir de cette nébuleuse. Nombre des amis du Premier ministre, ignorant quelque peu le faisceau de contraintes dans lequel il déploya son action, lui reprochèrent d’ailleurs de ne pas avoir été suffisamment rocardien dans l’exercice des responsabilités.</p>
<p>Il y eut cependant quelques secteurs où la méthode rocardienne de gouvernement, fondée sur la concertation et la négociation, fut mise en œuvre avec <a href="https://urlz.fr/fxAA">succès</a>, ainsi dans la conclusion de la paix en Nouvelle-Calédonie (accords Matignon-Oudinot du 26 juin 1988), la modernisation de la fonction publique ou encore l’instauration du RMI – même si l’idée n’était l’apanage ni du rocardisme ni de la « deuxième gauche ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Delors face à Anne Sinclair, dans l’émission 7/7 en 1994.</span></figcaption>
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<p>Alors que cette dernière semble avoir le vent en poupe lorsque Michel Rocard quitte Matignon avec une cote de popularité supérieure à 50 %, l’élan se brise rapidement. L’échec de son chef de file à la tête de la liste PS aux élections européennes de 1994, suivi quelques mois plus tard du refus de Jacques Delors d’être le candidat du parti à l’élection présidentielle, sonne le glas de la « deuxième gauche » comme <a href="https://urlz.fr/fxAH">« aventure collective »</a>.</p>
<p>L’éclipse est d’autant plus rapide que la CFDT, recentrée sur ses activités syndicales depuis 1978, s’était définitivement éloignée du socialisme en 1988, avait reconnu le marché comme « cadre réformable mais indépassable du syndicalisme » quatre ans plus tard avant <a href="https://urlz.fr/fxEI">d’apporter fin 1995</a> « un “soutien critique” au plan Juppé, malgré les mobilisations amples qu’il déclenche dans la société française. »</p>
<h2>Une référence en voie de disparition</h2>
<p>Au sein du PS, le déclin de la référence épouse celui du courant rocardien, en dépit de quelques résurgences éphémères. Dans la dernière année du gouvernement Jospin (1997-2002), Élisabeth Guigou, qui succède à Martine Aubry au ministère de l’Emploi, propose de renouer avec la « démocratie sociale », ce que la presse ne manque pas d’interpréter comme une volonté d’un État moins autoritaire dans ses relations avec les partenaires sociaux par rapport à la <a href="https://urlz.fr/fxEW">période Aubry</a>.</p>
<p>Un parfum de « deuxième gauche » semble également souffler lorsque Ségolène Royal remet à l’honneur la « démocratie participative » à l’occasion de sa campagne présidentielle de 2007.</p>
<p>Mais lorsque le Premier ministre (et ancien rocardien) Manuel Valls évoque en 2016 l’opposition entre « deux gauches irréconciliables », celle-ci ne recouvre plus les débats opposant les « deux cultures » socialistes des <a href="https://urlz.fr/fxBb">années 1970</a>.</p>
<h2>Une trace de la « deuxième gauche » à l’Élysée</h2>
<p>Alors que la « deuxième gauche » disparaît de la galaxie socialiste, il faut se tourner vers l’Élysée pour en déceler une trace récente, quoique superficielle et (très) libérale.</p>
<p>Après la crise non-anticipée des Gilets jaunes, Emmanuel Macron appelle auprès de lui Philippe Grangeon. Familier des cabinets ministériels socialistes des années Mitterrand aux années Hollande et ancien secrétaire confédéral CFDT sous Nicole Notat, celui qui fut l’un des fondateurs d’En marche se présente comme le défenseur d’une « société de l’engagement, du contrat, du compromis », leitmotiv rocardo-cédétiste-deloriste <a href="https://urlz.fr/fxJl">s’il en est</a>. La crise sanitaire semble toutefois avoir fermé cette brève parenthèse, comme en témoigne la démission de ce conseiller spécial <a href="https://urlz.fr/fxKV">« lassé de ne pas être écouté »</a>.</p>
<p>Depuis le milieu des années 1990, l’héritage de la « deuxième gauche » tend donc à se réduire comme peau de chagrin. Bien qu’elle puisse encore rayonner épisodiquement à travers l’invocation de quelques-unes de ses figures tutélaires – Rocard et Mendès France plus que Delors –, son existence en tant que mouvement social, politique et intellectuel appartient à un passé révolu faute d’héritiers véritables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160371/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Fulla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « deuxième gauche » imaginée et portée par Michel Rocard est parfois revendiquée par Emmanuel Macron. Mais de quoi s’agit-il ?Mathieu Fulla, Agrégé et docteur en histoire, membre permanent du Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1593702021-05-06T18:23:18Z2021-05-06T18:23:18ZIl y a 40 ans, la gauche arrivait au pouvoir dans une société en pleine transformation<p>Depuis l’élection présidentielle de 2017, la <a href="https://www.marianne.net/politique/gauche/a-un-an-de-la-presidentielle-la-deroute-annoncee-de-la-gauche">gauche</a> est au plus bas dans les sondages et elle apparaît toujours très divisée. Lors de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/17/apres-la-premiere-reunion-des-gauches-les-participants-decident-de-se-retrouver-fin-mai_6077147_823448.html">réunion des gauches</a> du 17 avril pour évoquer la présidentielle de 2022, l’objectif était surtout de définir un cadre de respect mutuel entre candidats, mais pas d’élaborer un programme et une candidature commune au premier tour.</p>
<p>Ces fortes divisions ne sont pas nouvelles. La nouveauté réside surtout dans le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/presidentielle-2022-la-gauche-apparait-tres-affaiblie-a-15mois-du-scrutin-selon-notre-sondage_4281999.html">déclin persistant</a> de la gauche (elle ne réunit aujourd’hui qu’entre 25 % et 30 % des intentions de vote, alors qu’il y a exactement 40 ans, elle remportait la présidentielle avec François Mitterrand. Cette victoire a des explications structurelles économiques et sociales de long terme mais aussi des aspects politiques plus conjoncturels.</p>
<h2>Une victoire liée à une crise économique, après les 30 Glorieuses</h2>
<p>À sa troisième tentative, après 23 ans de V<sup>e</sup> République dirigée par les gaullistes et la droite, François Mitterrand gagnait l’élection présidentielle de 1981. Après avoir dissous le Parlement, il obtenait une large majorité législative, dans sa dynamique de victoire. Il avait donc les coudées franches pour impulser <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/cinquieme-republique-les-annees-mitterrand-1981-1995/">ses réformes</a>.</p>
<p>Depuis la guerre, la population avait beaucoup augmenté, grâce à un fort excédent des naissances mais aussi au solde migratoire. L’agriculture, qui représentait autour d’un quart de la population active en 1945, n’en occupe plus que <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2008/08/01/la-fin-des-paysans-par-laetitia-clavreul_1079462_3232.html">7 % en 1981</a>. Les ouvriers en constituent encore 30 % et les employés, en hausse, 25 %, comme les professions intermédiaires (18 %) et les cadres (8 %). La France est de plus en plus urbaine avec une explosion de nouveaux quartiers périphériques.</p>
<p>Le niveau de vie avait fortement augmenté, donnant naissance à une société dite de consommation, avec une forte diffusion des <a href="https://www.1jour1actu.com/culture/electromnager__les_femmes_libres_par_les_robots">appareils ménagers</a> et de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_de_la_t%C3%A9l%C3%A9vision_fran%C3%A7aise">télévision</a>, la construction de très nombreux logements équipés du confort moderne (alors qu’à la sortie de la guerre, seul un quart des logements étaient équipés d’un WC et 10 % d’une douche ou d’une baignoire), l’accès fréquent à la <a href="https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1970_num_16_1_1994">voiture familiale</a>, le développement des <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1962_num_3_4_6151">loisirs</a>. Environ 50 % de la population est propriétaire de son logement.</p>
<p>À l’époque, on a parfois parlé d’un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/01/08/l-ouvrier-s-embourgeoise-t-il_2557125_1819218.html">« embourgeoisement de la classe ouvrière »</a> mais il faut surtout insister sur la montée de <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1983_num_24_4_6980">« nouvelles classes moyennes salariées »</a>. Les études s’allongent : si seulement 5 % d’une classe d’âge obtenaient le baccalauréat en 1950, c’est le cas de 25 % en 1979 et de 80 % aujourd’hui. Ces générations plus éduquées aspirent à une plus grande qualité de vie et à davantage de libertés.</p>
<p>Avec les « chocs pétroliers », la fin de la décennie 70 est marquée par des difficultés économiques, la croissance faiblit, l’inflation s’installe (plus de 10 % par an), la désindustrialisation du pays commence avec la crise sidérurgique, le chômage devient très important (on passe de 400 000 chômeurs en 1974 à 2 millions en 1981), l’immigration est stoppée, les prix sont provisoirement bloqués, les impôts des plus fortunés augmentés. Tous ces problèmes font baisser la popularité du président Giscard d’Estaing en fin de <a href="https://theconversation.com/valery-giscard-destaing-le-dernier-des-grands-notables-de-la-droite-liberale-149306">septennat</a> et contribuent à la victoire du candidat socialiste. Mais ce n’est pas la seule explication.</p>
<h2>Un système de valeurs en pleine mutation</h2>
<p>Du fait du développement économique des Trente Glorieuses, le système de valeurs des Français est aussi en pleine mutation. Cette <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt13x18ck">« révolution silencieuse »</a> est initiée par la génération du <em>baby boom</em> qui atteint l’âge adulte <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/generation-sans-pareille-les-baby-boomers-de-1945-nos-jours">à la fin des années 60</a>. La révolte étudiante de <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1969_num_10_1_1484">mai 1968</a> accélère un mouvement de transformation des valeurs commencé antérieurement.</p>
<p>Cette première modernisation de la société française favorise plutôt la gauche, qui défend la libéralisation des mœurs contre les idées traditionnelles. Celle-ci avait gagné les cantonales de 1976 et les municipales de 1977 et avait <a href="https://www.cairn.info/france-de-gauche-vote-a-droite--9782724605532.htm">failli emporter les législatives de 1978</a> malgré la division de la gauche.</p>
<p>La bascule politique s’accomplit en 1981, François Mitterrand obtenant 51,8 % des suffrages exprimés au second tour et une très <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1986_num_10_1_1562_t1_0134_0000_2">confortable majorité parlementaire</a>.</p>
<h2>Une France déjà peu religieuse</h2>
<p>Si une première modernisation a eu lieu, la France reste encore assez traditionnelle dans de nombreux domaines, comme le montrent les chiffres de l’enquête sur les <a href="https://www.valeurs-france.fr">valeurs des Français et des Européens</a>. La sécularisation avait commencé dès les années 60 mais le poids du catholicisme reste important : 37 % disaient en 1952 aller à la messe tous les dimanches contre 12 % en 1981. Si 71 % se déclaraient catholiques en 1981, seulement 32 % l’affirment encore aujourd’hui. 10 % se sentaient « athée convaincu » en 1981, 23 % actuellement. La religion était déjà largement désinstitutionnalisée, à distance du credo des grandes religions. Ne subsiste souvent qu’une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1985_num_26_1_3922">« spiritualité ou religiosité diffuse »</a>.</p>
<p>Les catholiques votaient alors très massivement à droite. En 1981, au second tour de l’élection présidentielle, seulement 20 % des catholiques pratiquants hebdomadaires ont voté pour François Mitterrand, alors que 88 % des sans religion ont fait de même. Les choix religieux et politiques sont donc très liés et le déclin du catholicisme fait perdre des soutiens électoraux à la droite.</p>
<p>La laïcité et l’islam ne sont pas alors des sujets de crispation aussi forts qu’aujourd’hui même si François Mitterrand proposait d’intégrer l’enseignement catholique dans un grand service public national, ce qui n’était pas pour plaire aux croyants.</p>
<p>Il y a renoncé en 1984 après une grande manifestation de l’enseignement catholique, réunissant un million de personnes. La grande période de crispation de la politique française remonte à la négociation de la séparation des Églises et de l’État.</p>
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<figcaption><span class="caption">INA, manifestation pour l’école catholique privée, 1984.</span></figcaption>
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<p>Il faudra d’ailleurs attendre 1946 pour que le catholicisme accepte la laïcité, inscrite alors dans la Constitution, signant – au moins pour un temps – la fin du <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-1-page-55.htm">« conflit des deux France »</a>.</p>
<h2>Famille et travail, des valeurs fortes</h2>
<p>La conception de la morale avait déjà beaucoup changé, n’étant plus considérée comme un ensemble de principes absolus. Deux tiers des Français estimaient qu’il faut agir selon les circonstances et non en fonction de principes intangibles. En matière de mœurs, le relativisme se développe : la « cohabitation hors mariage » devient beaucoup plus <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1996_num_51_3_6078">fréquente</a> (mais elle est souvent suivie par une légalisation), les grands enfants s’émancipent de la tutelle parentale. Le divorce et l’avortement commençaient à être largement acceptés. Seulement 27 % rejetaient totalement l’euthanasie, qui n’est pourtant pas encore légalisée aujourd’hui, même si le <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/deputes-adoptent-larticle-leuthanasie-pas-texte-fin-vie-2021-04-09-1201150098">débat parlementaire a commencé</a>. Par contre la condamnation de l’homosexualité restait forte : 49 % la disaient jamais justifiée.</p>
<p>La famille était – <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-familiales-2018-1-page-163.htm">comme aujourd’hui</a> – un lieu très valorisé de <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1990_num_32_4_2532_t1_0588_0000_3">construction de soi et de ressourcement</a>, avec un conjoint et des enfants plus nombreux qu’aujourd’hui. Mais ce bel idéal produit aussi des désillusions, le divorce était depuis 1965 en forte hausse, souvent suivi par une nouvelle union, pour trouver le bonheur familial auquel beaucoup aspirent. Les familles monoparentales ou recomposées augmentent aussi.</p>
<p>En 1981, l’égalité entre hommes et femmes et le partage des rôles sont encore loin d’être la norme. Seulement 33 % jugent important de partager les tâches ménagères (46 % aujourd’hui). 67 % estiment qu’une femme a besoin d’avoir des enfants pour s’épanouir et 85 % que ceux-ci ont besoin d’avoir un père et une mère pour être heureux.</p>
<p>Le travail était aussi un domaine de la vie jugé très important parce qu’il assure des ressources financières régulières et constitue un lieu central de sociabilité. Le temps de travail n’a cessé de baisser : on est passé de 45 heures hebdomadaires en 1950 à 40 en 1981 et 35 aujourd’hui.</p>
<p>C’est au début de la présidence mitterrandienne qu’une cinquième semaine de congés payés est accordée et la durée légale du travail ramenée à 39 heures hebdomadaires, permettant un surcroît de loisirs. Les attentes à l’égard du travail sont déjà multiples. Il doit assurer un bon niveau de salaire et être stable pour éviter le chômage, mais il doit aussi être intéressant et permettre au salarié de développer ses capacités et ses relations sociales.</p>
<p>La préférence nationale à l’embauche est alors jugée normale par 61 % contre 42 % aujourd’hui, ce qui indique une acceptation alors plus forte des inégalités entre nationaux et immigrés.</p>
<h2>Une société fragmentée mais beaucoup moins anti-élites</h2>
<p>La société de 1981 était au moins aussi fragmentée que celle d’aujourd’hui. Les grandes idéologies, marxisme d’un côté, libéralisme de l’autre, s’incarnaient dans les partis et leurs programmes. Ceux de 1981 étaient plus clivés que ceux d’aujourd’hui entre les partisans de « changer la vie » et ceux de la continuité, qui n’acceptaient pas le « risque » socialiste.</p>
<p>La société française était en 1981 beaucoup plus conformiste et moins critique à l’égard des élites politiques. Encore 48 % faisaient confiance au Parlement, seulement 34 % en 2018. Les partis politiques n’étaient déjà pas très aimés mais ils avaient un nombre assez important d’adhérents comparé à leur <a href="https://newsroom.univ-grenoble-alpes.fr/the-conversation/the-conversation-la-crise-de-confiance-dans-les-partis-politiques-une-specificite-francaise--819860.kjsp">décrépitude</a> actuelle. Adhérents et militants sont évidemment une ressource très importante pour animer une campagne électorale.</p>
<p>En matière politique, la population française était, comme aujourd’hui, assez modérée, même si les partis étaient plus clivés. Dans leurs opinions, les Français se situaient majoritairement entre gauche et droite modérée mais ils étaient moins volatiles dans leurs <a href="https://www.cairn.info/l-atlas-electoral-2007%E2%80%939782724610116-page-111.htm">choix électoraux</a>.</p>
<p>Depuis 1981, la France a beaucoup changé. On croit beaucoup moins au progrès, le pessimisme et le déclinisme se sont installés durablement, le citoyen déférent d’autrefois est devenu critique mais il s’engage surtout de <a href="https://ville-inclusive.millenaire3.com/billets/comment-les-citoyens-qui-viennent-transforment-la-politique-en-france">manière épisodique</a>.</p>
<p>Si le système partisan a volé en éclat depuis 2017, l’élection présidentielle reste le grand moment de la démocratie représentative à la française. Quelle place la « gauche » peut-elle encore y jouer ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159370/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre la victoire présidentielle de 1981, en fonction d’évolutions de long et de court terme. Retour sur une société au milieu du gué, entre tradition et modernité.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1519552021-02-16T19:26:20Z2021-02-16T19:26:20ZLa République laïque de Jean‑Luc Mélenchon : un débat qui fracture la gauche et bien plus encore<p>Le président du groupe parlementaire La France insoumise mène actuellement une fronde, sur les bancs de l’Assemblée nationale, contre le projet de loi « séparatisme », finalement rebaptisé « <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3649_projet-loi">projet de loi</a> confortant le respect des principes de la République ».</p>
<p>Dans son <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ydx7c_iMOQg">discours du 1ᵉʳ février</a>, Jean‑Luc Mélenchon juge « inutile » et « dangereuse » une loi qui selon lui demanderait aux associations musulmanes de prêter des « serments d’allégeance » à la République.</p>
<blockquote>
<p>« Non, les chemins de la raison ne s’ouvrent pas à la faux. Non, la porte de l’universel ne s’ouvre pas à coups de pied. Non, l’amour de la République, comme tout amour, ne vaut rien sous la menace. »</p>
</blockquote>
<p>Jean‑Luc Mélenchon réaffirme ainsi une conception de la laïcité qui ne doit pas être un « athéisme d’État », imposé par la contrainte, mais une séparation stricte où l’État, « indifférent » à la religion, garantit à chacun une liberté absolue de conscience.</p>
<p>La laïcité a selon lui apporté une contribution historique essentielle à la sortie des guerres de religion en France et son enjeu principal est aujourd’hui encore de garantir « l’unité du pays ».</p>
<p>Or, le député considère que ce projet de loi ouvre au contraire « la porte à un déferlement » contre les musulmans.</p>
<p>Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/religion-laicite/video-separatismes-eric-dupond-moretti-tres-a-l-aise-avec-un-grand-texte-de-liberte-scandalise-par-jean-luc-melenchon_4284797.html">a réagi en dénonçant un propos</a> « inadmissible » qui, en laissant entendre que le gouvernement « stigmatise » les musulmans, risque de « renforcer l’attraction » exercée sur eux par l’islamisme, ce qui fait « incontestablement » le jeu du « séparatisme ».</p>
<p>Comment cette critique d’une complicité avec l’islamisme s’est-elle imposée et banalisée à l’encontre de Jean‑Luc Mélenchon, alors même que, pendant la plus grande partie de sa vie politique, celui-ci était identifié comme un laïcard républicain virulent et intransigeant ?</p>
<p>Sa rupture avec le journal satirique <em>Charlie Hebdo</em>, parce que ce dernier a été la victime et le symbole du fanatisme abject des djihadistes, est un facteur de poids qui a favorisé ce retournement de sens.</p>
<h2>Charlie Hebdo : Je t’aime… moi non plus</h2>
<p>Le 16 janvier 2015, Jean‑Luc Mélenchon prononce une <a href="https://youtu.be/YhoTiJO55Ew?list=PLnAm9o_Xn_3DIOQdk_pb96lMZL4dWXsBt">oraison funèbre</a> à la mémoire d’un « camarade » qu’il désigne comme un « héros » de la laïcité :</p>
<blockquote>
<p>« Charb, tu as été assassiné par nos plus anciens, nos plus cruels, nos plus constants, nos plus bornés ennemis, les fanatiques religieux ».</p>
</blockquote>
<p>Devant les proches du dessinateur, le tribun adjoint à son propos une promesse : « Charb, ils n’auront jamais le dernier mot ».</p>
<p>Cinq ans plus tard, Charlie Hebdo n’a pas de <a href="https://charliehebdo.fr/2020/11/politique/et-melenchon-inventa-la-machine-a-perdre/">mots assez durs</a> pour accuser le dirigeant insoumis d’avoir <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BGNVKHaZAzc">renoncé</a> à ses « positions intransigeantes » sur la laïcité :</p>
<blockquote>
<p>« On est passé de la République à l’indigénisme ».</p>
</blockquote>
<p>En cause : la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019 jugée « nauséabonde » et la participation du député des Bouches-du-Rhône qualifiée de <a href="https://charliehebdo.fr/2020/08/actualite/message-a-m-melenchon/">« compromission odieuse »</a> avec l’islamisme du fait de la présence de représentants d’associations accusés d’être proches des Frères musulmans.</p>
<p>Le leader insoumis a-t-il vraiment <a href="https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/marche-contre-islamophobie-melenchon-trahit-charb">« trahi »</a> Charlie et ses propres convictions républicaines ?</p>
<p>Comment comprendre cette polémique autour du candidat à la présidentielle 2022 ?</p>
<h2>Deux gauches irréconciliables sur la laïcité</h2>
<p>Suite à l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine et à l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, à la faveur d’un climat de recherche de coupables politiques, voire de <a href="https://www.acrimed.org/Islamo-gauchistes-une-chasse-aux-sorcieres">« chasse aux sorcières »</a> selon certains, d’autres acteurs se sont engouffrés dans cette fenêtre d’opportunité pour alimenter la même thèse.</p>
<p>Le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/hommage-a-samuel-paty-lutte-contre-lislamisme-blanquer-precise-au-jdd-ses-mesures-pour-la-rentree-scolaire-4000971%5D">affirme</a> alors que « Jean‑Luc Mélenchon est un jour républicain et le lendemain islamo-gauchiste ! » et qu’il restera « dans l’Histoire […] pour cette trahison ».</p>
<p>La maire de Paris Anne Hidalgo fait alors de ces <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7xmgrf">« ambiguïtés »</a> avec le cadre républicain son principal argument pour rejeter la candidature de Jean‑Luc Mélenchon en 2022.</p>
<p>La virulence et la gravité de ces accusations ne doivent pas faire oublier que le dirigeant insoumis est loin d’être le seul à avoir soutenu la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019.</p>
<p>L’appel <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/11/01/le-10-novembre-a-paris-nous-dirons-stop-a-l-islamophobie_1760768">a été signé</a> par une très vaste palette d’organisations et de figures de la gauche politique, syndicale, associative et médiatique.</p>
<p>Le Parti socialiste (PS) est en fait le seul parti de gauche notable qui n’ait ni appelé ni participé à cette manifestation. C’est dire que les attaques à l’encontre de Jean‑Luc Mélenchon participent en fait surtout d’une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/07/islamisme-separatisme-l-offensive-payante-des-laicards_6062429_3224.html">« offensive payante des “laïcards” »</a>, comme l’écrit le journal <em>Le Monde</em>, et du creusement d’un fossé de plus en plus abyssal entre deux gauches irréconciliables : l’une est accusée d’avoir transformé le combat laïc en cheval de Troie de la haine des musulmans et elle désigne l’autre comme la complice de réactionnaires religieux voire du terrorisme djihadiste lui-même.</p>
<h2>Laïcité et défense des musulmans : une étroite ligne de crête</h2>
<p>Jean‑Luc Mélenchon, dont l’ambition politique affichée <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/11/07/jean-luc-melenchon-quitte-le-ps_1115955_823448.html">depuis qu’il a quitté le PS en 2008</a> est de refonder politiquement la gauche et le peuple, dit vouloir éviter le piège de cette opposition stérile.</p>
<p>Il affirme vouloir ouvrir la voie d’une ligne de crête entre les deux « camps » de cette « guerre des gauches ».</p>
<p>Une démarche que ne renierait pas le député européen <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/10/23/la-gauche-face-a-l-islam-trente-ans-de-divisions_18033601">Raphaël Glucksmann</a> quand celui-ci déclare que la gauche doit cesser d’être « borgne » :</p>
<blockquote>
<p>« Elle doit être radicalement anti-intégriste et antiraciste. La gauche doit voir le problème avec ses deux yeux. »</p>
</blockquote>
<p>Cette double préoccupation est déjà présente en 2004 chez Jean‑Luc Mélenchon. Au nom de la lutte contre le « communautarisme », le sénateur finit par trancher pour l’interdiction du voile à l’école (et 10 ans plus tard, il considère encore qu’il s’agit d’un <a href="https://www.ktotv.com/video/00092690/jean-luc-melenchon">« signe de soumission »</a> des femmes).</p>
<p>Pourtant, celui qui est alors identifié comme un « laïcard » virulent rencontre déjà des difficultés à se positionner dans un débat dès 2004 <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/causes-republicaines-jean-luc-melenchon/9782020631518">dans l'ouvrage <em>Causes républicaines</em> paru au Seuil</a> « piégé » par les « instrumentalisations racistes » de la laïcité. Dès 2004, il écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Pour être franc, je n’aimais pas l’idée d’une loi contre le port du voile à l’école […], je sentais autour du débat la présence répugnante des arabophobes, cohorte sournoise de la haine. »</p>
</blockquote>
<p>De même, lors de la <a href="https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/clichy-92110/prieres-de-rue-a-clichy-15-ans-de-polemique-locale-devenue-affaire-nationale-23-11-2017-7410858.php">polémique</a> autour des « prières de rue musulmanes » en 2010, expression fortement médiatisée <a href="https://www.liberation.fr/societe/2010/12/22/prieres-de-rue-les-fideles-dans-l-impasse_702363/">à l’époque</a>, le dirigeant du Parti de gauche (PG) s’en prend à la présidente du FN qui compare le phénomène à l’occupation nazie mais il affirme :</p>
<blockquote>
<p>« Pour autant, condamner les délires de Le Pen ce n’est pas s’accommoder des prières dans la rue. »</p>
</blockquote>
<p>Le combat antiraciste ne doit pas introduire, par un effet de compensation et de « façon insidieuse », l’idée que « l’intransigeance laïque » conduirait « au racisme ou à “l’islamophobie” ».</p>
<h2>La défense d’une « laïcité étendue »</h2>
<p>On peut observer une constance dans le parcours politique de Jean‑Luc Mélenchon : il ne considère pas « que le problème essentiel de la France ce soit <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/03/04/avant-lorage">l’antisémitisme et l’islamisme »</a>, auxquels on consacre des « émissions non-stop » dans <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/02/17/censurer-le-chantage/">« un gavage sans fin »</a>.</p>
<p>En 2004, la principale menace n’émane pas selon lui du voile islamique mais des régionalistes corses et bretons qui revendiquent un droit « communautariste » dérogatoire.</p>
<p>Le sénateur prône alors une « laïcité étendue » contre ces « nouveaux fronts » prioritaires. Il se dit même excédé « de voir la seule vindicte antireligieuse tenir lieu de discours de référence laïque. »</p>
<p>Il affirme aussi que l’Église catholique, du fait de l’histoire, du concordat, et de son influence politique, représente une <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2010/12/14/madame-le-pen-est-le-diable-de-confort-du-systeme/">menace bien plus sérieuse</a> pour la laïcité que le culte musulman.</p>
<p>En 2020, il n’existe <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0Ve_Sh3BtQE">selon lui</a> en France aucun « parti de masse qui serait le djihadisme terroriste ou bien même l’islamisme politique ».</p>
<p>Il juge ces phénomènes très minoritaires, privés de représentation électorale et donc loin de représenter une menace sérieuse pour la laïcité.</p>
<p>Ces prises de position tendent à rejoindre Olivier Roy quand le politiste souligne qu’il n’y a jamais eu en France un <a href="https://www.sciencespo.fr/evenements/?event=chaire-louis-massignon-la-foi-contre-lidentite-le-religieux-dans-les-guerres-culturelles">degré de consensus aussi élevé qu’aujourd’hui</a> sur la laïcité, puisqu’elle est défendue d’un bout à l’autre du champ partisan.</p>
<h2>Antiracisme, islamophobie : le pouvoir des mots</h2>
<p>Les propos de Jean‑Luc Mélenchon témoignent en fait d’une cohérence de long cours quand il affirme :</p>
<blockquote>
<p>« La laïcité, ce n’est pas la haine d’une religion. L’État laïc, ce n’est pas un athéisme d’État. »</p>
</blockquote>
<p>Mais ce qui a évolué en revanche est son rapport à un ensemble de mots et concepts antiracistes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3qHqPceAbrs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’État laïc, ce n’est pas un athéisme d’État.</span></figcaption>
</figure>
<p>En mars 2015, le PG ne participe pas à un meeting à Saint-Denis (co-organisé entre autres par le NPA, le PCF, EELV, mais aussi par le PIR, le CCIF et l’UOIF) contre « l’islamophobie », car comme <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/ce-meeting-contre-l-islamophobie-qui-divise-la-gauche_1658750.html">l’explique</a> le communicant et coordinateur du PG Eric Coquerel : Avec ce terme, il « est difficile en effet de faire la part entre la libre critique de la religion et le racisme ».</p>
<p>Jean‑Luc Mélenchon confirme ce point de vue huit mois plus tard.</p>
<p></p><blockquote><p>Je conteste le terme d'islamophobie. On a le droit de ne pas aimer l'islam comme on a le droit de ne pas aimer le catholicisme. <a href="https://twitter.com/hashtag/SLT?src=hash&ref_src=twsrc%5Etfw">#SLT</a></p>— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) <a href="https://twitter.com/JLMelenchon/status/668138652552331264?ref_src=twsrc%5Etfw">November 21, 2015</a></blockquote> <p></p>
<p>En novembre 2020, le député insoumis préfère toujours parler de « haine des musulmans » plutôt que d’islamophobie mais cette préférence lexicale ne justifie plus, à elle seule, une absence de soutien aux militants qui combattent le racisme en employant le terme « islamophobie » :</p>
<blockquote>
<p>« La vie n’est pas une partie de Scrabble » et « ceux qui font des pinailles sur les mots offrent des diversions, c’est tout, et rien d’autre. »</p>
</blockquote>
<p>La défense des victimes du racisme est désormais jugée prioritaire sur le choix des concepts qui servent à désigner ce combat. Le terme d’ailleurs ne serait finalement « pas si inadapté que ça » pour décrire</p>
<blockquote>
<p>« la phobie […] des gens qui deviennent fous quand ils voient des musulmans ou qu’ils voient une mosquée ».</p>
</blockquote>
<p>Jean‑Luc Mélenchon <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3qHqPceAbrs">affirme</a> avoir évolué en constatant que les musulmans ne considéraient pas le terme islamophobie comme une tentative d’interdire la critique de l’islam mais comme un moyen de les stigmatiser.</p>
<h2>Une prise de conscience d’un décalage avec les musulmans</h2>
<p>C’est donc la prise de conscience de son décalage vis-à-vis d’« opprimés » que le « tribun du peuple » se devrait de représenter, qui justifie ce revirement chez Jean‑Luc Mélenchon.</p>
<p>À l’encontre d’une vision nominaliste qui voudrait que la vérité d’un mot soit inscrite objectivement en lui, c’est ici une conception privilégiant ses usages sociaux qui l’emporte : le terme « islamophobie » serait essentiellement devenu un objet de conflit entre ceux qui stigmatisent les musulmans et ceux qui leur résistent.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TUDBEWk8lTM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Une conférence du philosophe Henri Peña-Ruiz proche de Jean‑Luc Melenchon en 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette conception est dénoncée comme relativiste et <a href="https://www.marianne.net/agora/humeurs/l-universalisme-seule-boussole-de-l-antiracisme-le-philosophe-henri-pena-ruiz">contestée</a> par Henri Peña-Ruiz, le philosophe qui faisait anciennement autorité au sein du PG sur la question de la laïcité (et qui se retrouve aujourd’hui désavoué par le leader insoumis) :</p>
<blockquote>
<p>« S’incliner devant une expression partisane et fausse sous prétexte qu’elle est répandue c’est renoncer à une clarification idéologique nécessaire ».</p>
</blockquote>
<p>Pour le philosophe, admettre le concept d’islamophobie, c’est accepter un glissement du combat antiraciste sur un terrain religieux qui lui est étranger et qui le défigure.</p>
<p>Il est certain que, malgré la participation de nombreuses organisations progressistes à la marche du 10 novembre 2019, le dirigeant insoumis n’est pas parvenu à imposer dans le débat public <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ydx7c_iMOQg">sa propre définition de l’événement</a> : une « manifestation de fraternité du peuple français qui s’est achevée par une Marseillaise vibrante ».</p>
<p>L’attaque de la mosquée de Bayonne est restée absente des débats et le thème de la trahison « islamo-gauchiste », jusque-là cantonné à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2012/05/30/faux-tracts-de-melenchon-arabe-double-plainte-fn-fg_n_1554942.html">l’extrême droite</a>, a fait une percée inédite au sein de la majorité, de ses alliés et de nombreux acteurs médiatiques légitimes.</p>
<p>Le politiste Samuel Hayat <a href="https://www.nouvelobs.com/idees/20201027.OBS35262/l-islamo-gauchisme-comment-ne-nait-pas-une-ideologie.html">compare</a> ce phénomène à la rhétorique du « judéo-bolchévisme » qui a consisté au début du XX<sup>e</sup> siècle à « utiliser le climat antisémite très répandu » pour attaquer la gauche.</p>
<h2>Le multiculturalisme est un fait</h2>
<p>Dans l’idéal mélenchonien, la laïcité à la française ne doit pas s’opposer au multiculturalisme.</p>
<p>La laïcité n’y est pas considérée comme l’élément d’un modèle <em>culturel</em> assimilationniste mais comme un principe d’unité <em>politique</em> de la communauté souveraine, reposant sur l’égalité absolue de tous les citoyens devant une loi indivisible.</p>
<p>La République laïque doit assurer une protection des individus en situation minoritaire. Dès 2000, <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/144842-tribune-de-m-jean-luc-melenchon-ministre-delegue-lenseignement-prof">le sénateur écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le droit à une identité culturelle personnelle a un préalable : la laïcité absolue de l’État. »</p>
</blockquote>
<p>Dans cette perspective, la République laïque est le bien de ceux qui n’en ont aucun autre, qui sont exclus de la propriété matérielle comme de l’appartenance ethnique au « clan » ou à la « race » majoritaire.</p>
<p>Cette dimension est fondamentale pour ce pied-noir né à Tanger qui se considère comme un immigré maghrébin déraciné et privé de tout terroir. Ce raisonnement est explicité par Raquel Garrido :</p>
<blockquote>
<p>« Quand tu es immigré, il n’y a rien de plus solide que l’histoire républicaine des Français pour faire corps avec le reste de [la population]. »</p>
</blockquote>
<p>(Entretien avec l’auteur du présent article, 12 août 2020)</p>
<p>En 2011, <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2011/02/20/hallucinations/">Mélenchon affirme</a> à l’encontre du président Nicolas Sarkozy : </p>
<blockquote>
<p>« De toute façon le multiculturalisme est un fait. […] Ce qui n’est pas un fait c’est que cela fonde des droits politiques. »</p>
</blockquote>
<p>Voici comment le propos <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=OH2wsQQKDlA">est reformulé</a> en 2020 dans une critique destinée cette fois-ci à Emmanuel Macron :</p>
<blockquote>
<p>« Le communautarisme, ce n’est pas la pratique d’une communauté […]. Nombre de Français participent à des communautés de toutes sortes et pas seulement religieuses […]. Le communautarisme c’est précisément quand une communauté décide que les règles qu’elle veut s’appliquer à elle-même s’appliquent contre les lois et en dépit de ce qu’en pensent les membres de cette communauté. […] Le communautarisme est notre adversaire en toutes circonstances. »</p>
</blockquote>
<p>On retrouve dans cette citation l’idée qu’il faut protéger les individus contre des communautés qui voudraient de force les embrigader juridiquement comme leurs « membres ».</p>
<h2>Du particulier à l’universel : la « créolisation »</h2>
<p>En septembre 2020, Jean‑Luc Mélenchon emprunte le concept de « créolisation » au philosophe martiniquais <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Traite-du-Tout-Monde">Édouard Glissant</a>.</p>
<p>Il cherche ainsi à décrire un fait sociologique objectif résultant du « métissage » des arts et des langages, un choc permanent des cultures dans une société qui ne peut jamais connaître d’état stationnaire.</p>
<p>Ce qui est <a href="https://www.nouvelobs.com/debat/20200925.OBS33823/tribune-jean-luc-melenchon-la-creolisation-n-est-pas-un-projet-ou-un-programme-c-est-un-fait.html">nouveau</a> chez le dirigeant insoumis, outre l’emploi du mot, est que cette « créolisation » sert à désigner « le chaînon manquant entre l’universalisme dont [il se] réclame et la réalité vécue qui le dément ».</p>
<p>Ce n’est donc pas l’assimilation à une norme dominante donnée <em>a priori</em> mais le mouvement historique de créolisation entre différents groupes humains qui constitue le processus réel de progression vers « l’homme universel qui peut-être bien n’existera jamais, mais qui est un point d’horizon vers lequel il est possible de se diriger, de cœur et d’esprit »</p>
<p>L’universalisme abstrait dont le député insoumis est depuis longtemps le défenseur ne doit plus occulter la réalité des différences ni invisibiliser le tort subi par les dominés qui en sont exclus.</p>
<p>Mais si Jean‑Luc Mélenchon a conscience que l’existence d’inégalités et de discriminations contredit constamment l’universalisme, cela ne doit jamais conduire à abandonner ce dernier au motif qu’il serait un mythe.</p>
<p>En 2012, il <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/09/29/le-populisme-conversations-politiques-entre-laclaud-mouffe-et-melenchon/">affirme</a> déjà que la devise républicaine est « un mensonge, car il n’y a pas de liberté, ni d’égalité ni de fraternité dans cette société. »</p>
<p>Pour autant, elle ne doit pas être abandonnée, au contraire, elle est le symbole qui doit être constamment brandi pour chercher à en rapprocher le plus possible la réalité.</p>
<p>Au Karl Marx de <em>La Question juive</em> qui rejette les droits de l’Homme comme une mystification bourgeoise dissimulant l’exploitation, Jean‑Luc Mélenchon semble alors préférer le philosophe <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Aux-bords-du-politique">Jacques Rancière</a> qui souligne l’efficacité et la performativité de la « phrase égalitaire » : affirmer et croire en une égalité qui n’existe pas encore est le seul moyen de la faire progresser dans la réalité.</p>
<hr>
<p><em>L'auteur réalise sa thèse sous la direction de Frédéric Sawicki.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151955/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valentin Soubise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Jean‑Luc Mélenchon se positionne-t-il sur la laïcité ? Et pourquoi certains le jugent-ils polémique ?Valentin Soubise, Doctorant en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.