tag:theconversation.com,2011:/global/topics/race-21405/articlesrace – The Conversation2023-04-20T15:57:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2039832023-04-20T15:57:48Z2023-04-20T15:57:48ZUne Cléopâtre noire sur Netflix, est-ce réécrire l’histoire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522090/original/file-20230420-28-azle44.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1719%2C1084&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Adele James dans le rôle de Cléopâtre (« Queen Cleopatra » de Jada Pinkett Smith, Netflix, 2023).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://parlemag.com/2023/04/netflix-preview-jada-pinkett-smith-cleopatra/">Parle Magazine</a></span></figcaption></figure><p>À partir du 10 mai 2023, Netflix devrait diffuser une série documentaire consacrée aux reines africaines, réalisée par l’actrice et productrice américaine Jada Pinkett Smith. Cléopâtre, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/egypte-24586">reine d’Égypte</a> (69-30 av. J.-C.), y est incarnée par l’actrice noire Adele James, un choix qui a déclenché une violente polémique depuis la diffusion de la bande-annonce, le 12 avril 2023.</p>
<p>Cette série ravive des polémiques très présentes et récurrentes aux États-Unis, autour de la place des Noirs dans la société et de la façon dont on raconte leur histoire.</p>
<p>Dans une pétition lancée en Égypte et déjà signée par plus de 18 000 personnes, la réalisatrice est accusée de « blackwashing », c’est-à-dire <a href="https://www.20min.ch/fr/video/cleopatre-jouee-par-une-actrice-noire-sur-netflix-les-gens-petent-un-cable-711522485835">d’avoir délibérément</a> transformé en femme noire une figure historique supposément blanche. Le <a href="https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18693854.html">« blackwashing » et le « whitewashing »</a> – bien plus fréquent – consistent respectivement à employer des acteurs noirs pour incarner des personnages blancs, ou supposés tels, et des acteurs blancs pour incarner des personnages qui ne le sont pas, dans une fresque historique ou l’adaptation d’une œuvre.</p>
<p>Dans la fiction américaine comme dans les œuvres d’art, voilà longtemps que Cléopâtre fait figure d’icône pour la communauté afro-américaine. Mais si le bât blesse avec ce nouveau film, c’est qu’il s’agit d’un documentaire : sa visée éducative exige nuances et précision.</p>
<h2>Cléopâtre en Amérique</h2>
<p>Cléopâtre est une figure de la culture américaine au moins depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle. Dès 1858, elle est incarnée dans le marbre par le très néoclassique sculpteur William Wetmore Story. En 1876, la sculptrice afro-américaine Edmonia Lewis réalise à son tour une œuvre en marbre représentant le suicide de la reine.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Edmonia Lewis, <em>La mort de Cléopâtre</em>, 1876, marbre, Smithsonian American Art Museum.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La même année, le buste en porcelaine dorée dû à Isaac Broome nous montre une reine métissée, au profil grec et à la peau noire. Broome questionne ainsi deux thèmes majeurs aux États-Unis : le rôle politique des femmes et la place des Noirs dans la société.</p>
<p>La civilisation de l’Égypte ancienne pose un problème idéologique dans l’Amérique ségrégationniste : l’histoire de l’humanité avait connu une grande civilisation qui n’était ni blanche, ni européenne, à la différence des cultures grecque et romaine. <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.2307/2715703">Comme l’exprimait</a> dès 1854 Frederick Douglas, militant pour l’abolition de l’esclavage : « Le fait que l’Égypte ait été une des premières demeures du savoir et de la civilisation est fermement établi. […] Mais l’Égypte est en Afrique ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Buste de Cléopâtre par Isaac Broome, 1876.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Semantic scholar</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est ainsi que Cléopâtre est progressivement hissée au statut de <a href="https://theconversation.com/egypte-blanche-egypte-noire-histoire-dune-querelle-americaine-197119">symbole de la lutte contre l’esclavage</a>
.</p>
<h2>Une icône noire</h2>
<p>Mais c’est surtout dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle que Cléopâtre devient une icône noire. Le contexte dans lequel éclot ce regain d’intérêt pour la reine, et plus généralement l’égyptomanie américaine, est tout à fait particulier : le nouvel avatar de Cléopâtre s’inscrit dans le cadre de la revendication des droits civiques des Noirs.</p>
<p>La reine représente la lutte de l’Afrique contre l’esclavage. Son suicide est perçu comme un refus de se soumettre au pouvoir des blancs. Il s’agit là, bien évidemment, d’une relecture de l’histoire, d’une reconstruction rétrospective du passé dans lequel, pour des raisons toutes contemporaines, un groupe social recherche un personnage réputé glorieux afin de le transformer en figure emblématique.</p>
<p>Ce type de récupération n’est, d’ailleurs, pas propre à Cléopâtre. On peut comparer l’idole afro-américaine contemporaine <a href="https://www.babelio.com/livres/Goudineau-Le-dossier-Vercingetorix/122123">à la figure de Vercingétorix</a>, autre chef pourtant vaincu, dont la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle français a fait une gloire nationale.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vercingetorix-contre-cesar-la-propagande-romaine-de-la-guerre-des-gaules-199546">Vercingétorix contre César : la propagande romaine de La Guerre des Gaules</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>On touche là à un tout autre aspect du problème : le besoin de trouver dans le passé lointain, en l’occurrence l’Antiquité, des icônes susceptibles d’incarner des revendications ou des fiertés contemporaines.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=926&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=926&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=926&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1164&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1164&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1164&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche du film <em>Cleopatra Jones</em> (Jack Starrett, 1973).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce n’est donc pas un hasard si le nom de la reine a été donné à l’héroïne noire Cleopatra Jones, agent de la CIA, James Bond féminine et noire, dans deux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/blaxploitation-les-premiers-heros-noirs-avant-black-panther-8987701">films blaxploitation</a> des années 1970 : <em>Cleopatra Jones</em> (<em>Dynamite Jones</em>) en 1973, puis <em>Cleopatra Jones and the Casino of Gold</em>, 1975 (<em>Dynamite Jones et le Casino d’or</em>).</p>
<p>Une héroïne qui aime les vestes en fourrure, les pantalons « pattes d’eph » et les tenues voyantes. Comme la reine des textes d’époque romaine, elle incarne <a href="https://theconversation.com/cleopatre-reine-monstrueuse-ou-grande-femme-politique-58507">l’inversion des codes</a> de la société du moment et symbolise au contraire l’espoir d’un monde nouveau, plus juste. La justicière noire à la coupe « afro » traque de méchantes blondes, dans un mélange de revendication et d’ironie : ici, les criminels ne sont pas noirs, <em>black is beautiful</em>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AHz8gljglFg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En 2002, dans le film <em>Austin Powers dans Goldmember</em>, la chanteuse Beyoncé Knowles parodie le rôle de Tamara Dobson. Cette fois, elle se nomme Foxxy Cleopatra. Mais les ingrédients sont les mêmes : la Cléopâtre noire contemporaine, toute de cuir vêtue, brandit des armes à feu au service de la justice mondiale.</p>
<h2>Une relecture problématique</h2>
<p>Cléopâtre a déjà été incarnée avec succès, au théâtre, par des actrices noires, comme Yanna McIntosh dans l’<em>Antoine et Cléopâtre</em> de Shakespeare (<em>Stratford Festival</em>, 2015). Ce qui d’ailleurs <a href="https://www.cbc.ca/arts/who-is-cleopatra-shakespeare-quotes-that-ll-make-you-bow-down-1.3228972">n’est pas en contradiction avec le texte</a>, puisque la reine y est définie comme une « noiraude » (« tawny front »).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Yanna McIntosh (2015) et Chantal Jean-Pierre dans le rôle de Cléopâtre (2016).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’année suivante, dans le même rôle, Chantal Jean-Pierre (<em>Cincinnati Shakespeare Company</em>, 2016) a largement <a href="https://eu.cincinnati.com/story/entertainment/theater/2016/05/14/antony-and-cleopatra-captivating-but-out-sync/84369748/">convaincu le public</a> par la prestance et l’élégance de son interprétation.</p>
<p>Si la série documentaire proposée par Netflix dénote par rapport à ces interprétations fictionnelles, c’est parce qu’elle diffuse un message pour le moins discutable dans un format qui se veut pourtant éducatif.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Dans la bande-annonce, une première intervenante rappelle très justement que Cléopâtre était « une souveraine ptolémaïque » et que « le tout premier Ptolémée était un général d’Alexandre le Grand ». On en déduit que Cléopâtre était, en partie au moins, <a href="https://theconversation.com/gal-gadot-peut-elle-jouer-le-role-de-cleopatre-148389">d’origine gréco-macédonienne et européenne</a>. C’est d’ailleurs la seule certitude que nous ayons sur ses origines.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Adele James dans le rôle de Cléopâtre. Capture d’écran du film documentaire <em>Queen Cleopatra</em> (Jada Pinkett Smith, 2023) diffusé à partir de mai 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nerflix</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Puis, une autre intervenante affirme : « Il est possible qu’elle ait été égyptienne ». Il est vrai que sa mère et ses grand-mères auraient pu être des concubines égyptiennes des derniers Ptolémée. Mais Cléopâtre elle-même n’en dit rien dans les textes officiels. Elle n’évoque que son père, le roi Ptolémée XII Néos Dionysos, et se définit elle-même comme <em>théa philopator</em>, c’est-à-dire « déesse qui aime son père ».</p>
<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=IktHcPyNlv4">Une troisième intervenante raconte enfin</a> : « Ma grand-mère me disait : Je me fiche de ce qu’ils t’ont dit à l’école, Cléopâtre était noire. ».</p>
<p>C’est là que le documentaire prend une tournure <a href="https://theconversation.com/debat-legypte-noire-est-elle-une-imposture-199439">particulièrement douteuse</a> d’un point de vue scientifique, et charrie des accusations qui ne semblent pas fondées. Quel est l’intérêt de cette intervention, sinon de suggérer que, non seulement Cléopâtre aurait été réellement noire, mais aussi que sa couleur de peau aurait été délibérément blanchie par les mensonges répétés de générations d’enseignantes et enseignants ?</p>
<h2>Cléopâtre prise au piège</h2>
<p>En réalité, la figure de la reine est prise au piège depuis longtemps dans des débats entre « eurocentristes » et « afrocentristes ». La chercheuse Ella Shohat fait état en 2003 de <a href="https://muse.jhu.edu/article/856596">controverses aussi virulentes que vaines</a> sur la couleur de la peau de la reine et sur son type « racial ».</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/egypte-blanche-egypte-noire-histoire-dune-querelle-americaine-197119">Égypte blanche, Égypte noire : histoire d’une querelle américaine</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Cléopâtre était-elle blanche, noire ou métisse ? De telles questions renvoient moins à l’époque de Cléopâtre, multiculturelle et syncrétique, qu’aux fantasmes racistes des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles. Est-il pertinent d’essayer de qualifier d’Européen ou d’Africain la forme du nez ou les lèvres de la reine à partir de ses représentations ? Ce type de questionnement paraît extrêmement douteux. L’eurocentrisme et l’afrocentrisme ont en commun une même logique ségrégationniste, ignorant la diversité ethnique propre à l’époque et à la région où vécut la Cléopâtre historique.</p>
<p>On ne voit pas pourquoi la population de la vallée du Nil, il y a 2 000 ans, aurait été uniformément noire, c’est-à-dire fondamentalement différente de ce qu’elle est encore aujourd’hui : diverse et métissée.</p>
<h2>Égypte et stars de la chanson</h2>
<p>L’association entre Égypte ancienne et africanité a aussi conduit certaines stars de la chanson à s’emparer de thèmes égyptiens. La chanteuse afro-américaine Rihanna exhibe l’Isis ailée dont elle est tatouée sous la poitrine. Elle monte sur scène vêtue en Cléopâtre et chante, micro en main, assise sur un trône doré, <a href="https://www.rap-up.com/2012/05/15/rihanna-rules-as-cleopatra-at-charity-event/">au cours de sa « Cleopatra Performance »</a> (2012).</p>
<p>Il s’agit là d’une réappropriation « africaniste » de l’Égypte ancienne. Par la même occasion, Rihanna, célébrité planétaire des années 2010, contribue à parsemer de thèmes égyptiens cette culture mondialisée, produite en Amérique, qui se diffuse ensuite dans le reste du monde.</p>
<p>Toute cette actualité du mythe traduit l’extraordinaire popularité du personnage de la dernière reine d’Égypte, bien que de manière superficielle, auprès d’un public jeune et adolescent. Cléopâtre se prête très bien à la mise en scène d’une société mixte que le personnage historique n’aurait sans doute pas reniée.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel est l’auteur de <a href="https://www.puf.com/content/Cl%C3%A9op%C3%A2tre">« Cléopâtre », éditions PUF, collection « Biographies »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203983/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cléopâtre est une figure de la culture américaine depuis le milieu du XIXᵉ siècle : une série documentaire Netflix dans lequel elle est incarnée par une actrice noire réveille une polémique ancienne.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037082023-04-18T15:37:38Z2023-04-18T15:37:38ZQuelle est la signification de la critique radicale de l’antiracisme ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/520757/original/file-20230413-16-hns1uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=288%2C505%2C3415%2C2160&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une manifestante brandi une pancarte dénonçant le racisme systémique à Seattle, États-Unis, le 12 juin 2020.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Pour certains intellectuels, médiatiquement influents, l’antiracisme, autrefois moral, s’est transformé, en devenant politique, en racisme, ce qu’on nomme parfois <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-tour-du-monde-des-idees/le-racialisme-ou-la-perversion-de-l-antiracisme-2622909">l’antiracisme racialiste</a>. Comment expliquer ce mouvement et caractériser le courant qui s’en réclame ?</p>
<p>Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et notamment après les réflexions élaborées à l’Unesco débouchant sur les <a href="https://fr.unesco.org/courier/juillet-ao%C3%BBt-1950">deux premières déclarations sur la question raciale</a>, en 1950 et 1951, l’antiracisme était uniquement considéré dans sa dimension morale : le racisme, c’est le mal. On pensait alors pouvoir éradiquer le racisme avec des arguments plus ou moins scientistes, selon lesquels la race n’a pas de pertinence biologique. Donc, si la race n’existe pas, le racisme, qui est une doctrine de l’inégalité naturelle des races humaines, n’a aucune raison d’être.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-peut-on-parler-de-racisme-detat-138189">Débat : Peut-on parler de « racisme d’État » ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Le retour de la race</h2>
<p>Pourtant, malgré ces déclarations, la race est remobilisée par certains militants antiracistes à partir des années 2000, dans une perspective politique, avec <a href="https://journals.openedition.org/asterion/8689">« la théorie critique de la race »</a>.</p>
<p>Selon celle-ci, la race est un fait social et non biologique, qui a des effets en termes de discriminations sur les <a href="https://theconversation.com/quest-ce-quune-personne-racisee-trois-definitions-pour-eclairer-le-debat-189996">personnes racisées</a>, d’une façon générale les non-Blancs.</p>
<p>Ces analyses nouvelles et d’une grande richesse ont été rendues possibles par un progrès dans la <a href="https://www.france.tv/france-2/decolonisations-du-sang-et-des-larmes/">prise de conscience nationale des crimes coloniaux</a>. Elles se fondent aussi sur le constat que la politique d’indifférence à la couleur a échoué. C’est parce que la race a des effets discriminants sur les individus à qui on attribue une race non-blanche (les « racisés ») que l’on ne peut ignorer les identités dites raciales.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La reconnaissance de celles-ci marque la dissension avec les anti-antiracistes, fortement critiques à l’égard de ce « retour » de la race et, selon eux, du risque d’essentialiser ces identités.</p>
<p>Cette dissension a un moment fondateur : dans son premier livre, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Force_du_pr%C3%A9jug%C3%A9"><em>La force du préjugé</em></a>, paru en 1988, le politologue français Pierre-André Taguieff sous-estime les dimensions institutionnelles du racisme. Il défend un modèle théorique proche de celui du psychologue américain Gordon W. Allport, lequel privilégie dans <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Nature_of_Prejudice"><em>The Nature of Prejudice</em></a> (1954), une acception du racisme en tant qu’attribut des agents individuels. Néanmoins, la pertinence du concept de racisme n’est pas mise en cause et Taguieff en renouvelle l’étude en insistant sur l’émergence d’une forme différentialiste (c’est-à-dire qui insiste sur la différence et non sur l’inégalité).</p>
<p>Mais, dans cette perspective, il ne peut exister <a href="https://rowman.com/ISBN/9781538151419/Racism-without-Racists-Color-Blind-Racism-and-the-Persistence-of-Racial-Inequality-in-America-Sixth-Edition">« un racisme sans racistes »</a>, c’est-à-dire un racisme produit par le fonctionnement des institutions sans que, nécessairement, les membres de celles-ci soient explicitement racistes dans leurs comportements ou dans leur idéologie.</p>
<p>Le racisme crée donc bel et bien et reproduit des rapports inégalitaires et des discriminations. Mais l’antiracisme qui insiste sur cette dimension institutionnelle <a href="https://www.editions-hermann.fr/livre/l-antiracisme-devenu-fou-pierre-andre-taguieff">serait devenu fou</a>. Pourtant, rien ne nous oblige à opposer racisme institutionnel et racisme individuel : plus encore, penser l’un sans l’autre supposerait que l’on fasse <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2022-HS-page-75.htm">abstraction</a> du « milieu sociopolitique et culturel des agents impliqués et des normes morales qui régissent leur environnement ».</p>
<h2>Le racisme : injure ou réalité sociale ?</h2>
<p>Cette critique de l’antiracisme se développe dans des milieux qui insistent sur l’importance de l’appartenance à la nation et, corrélativement, exaltent les <a href="https://theconversation.com/fact-check-les-valeurs-de-la-republique-empechent-elles-de-pratiquer-sa-religion-129853">valeurs de la République</a>.</p>
<p>On peut donc la qualifier de « nationale-républicaine » et, redisons-le, la caractériser par le rejet de l’idée d’un racisme comme rapport social : il résulterait uniquement d’attitudes individuelles, éventuellement traduites en actes hostiles, qu’une idéologie justifierait. C’est dans le cadre de cette opposition théorique que va se développer une véritable guerre des idées, aux conséquences politiques fortes.</p>
<p>Le terrain pour ce changement de paradigme trouve ses racines dans les années 1990 : dans les articles de du sociologue Paul Yonnet dans la revue <a href="http://www.cercle-enseignement.com/Ouvrages/Gallimard/Revue-Le-Debat/Le-Debat86">Le Débat</a> et dans l’infléchissement de la pensée de Taguieff, repérable dès 1993. Dans un article paru dans la revue esprit Esprit (mars-avril), significativement intitulé <a href="https://esprit.presse.fr/article/taguieff-pierre-andre/comment-peut-on-etre-antiraciste-11309">« Comment peut-on être antiraciste ? »</a>, il notait que « la notion de racisme paraît confuse, voire autocontradictoire » et proposait de « refuser toute spécificité aux phénomènes ordinairement caractérisés en tant que racistes ».</p>
<p>Il en déduisait « l’effacement de la valeur conceptuelle du terme de <em>racisme</em> », et voyait en lui un « opérateur d’illégitimation, applicable à tout comportement qu’un sujet se propose de dénoncer, de condamner ou de combattre ». Le philosophe <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/07/13/la-confusion-des-idees-quarante-intellectuels-appellent-a-une-europe-de-la-vigilance-face-a-la-banalisation-de-la-pensee-d-extreme-droite_3949845_1819218.html">Roger-Pol Droit</a> écrivait alors lucidement : « N’allez surtout pas croire que le racisme ait la moindre réalité, ce n’est qu’une injure à éliminer. »</p>
<p>Dès lors, on en déduit que ce n’est pas le racisme qui pose problème, ce sont les mouvements qui s’y opposent, d’autant que Taguieff n’hésite pas à attribuer la responsabilité de la « grande vague de confusion idéologique » à une « certaine prédication antiraciste ». On est ainsi tout à fait disposé à accepter que non seulement l’antiracisme est plus préoccupant mais qu’il est aussi plus nocif que le racisme.</p>
<h2>La confusion des idées</h2>
<p>De ce mouvement vers la réaction, nous avions pourtant été avertis une nouvelle fois, en 2002, par l’historien Daniel Lindenberg et son <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-rappel-a-l-ordre-enquete-sur-les-nouveaux-reactionnaires-daniel-lindenberg/9782020558167"><em>Rappel à l’ordre</em></a> (sous-titré, sans ambiguïté, « Enquête sur les nouveaux réactionnaires ». L’ouvrage fut <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/11/22/ce-livre-qui-brouille-les-familles-intellectuelles_4248851_1819218.html">voué aux gémonies</a> : l’Histoire n’a pourtant invalidé aucune de ses propositions.</p>
<p>Ce qui avait été justement qualifié de « libération de la parole gauloise », cette supposée levée générale des tabous, n’était en réalité qu’une revendication de l’expression des passions et des aversions au détriment de l’argumentation. De cette « libération », Michel Onfray, et sa revue <a href="https://frontpopulaire.fr/">Front populaire</a>, témoignent régulièrement : son dernier numéro s’inquiète de la tyrannie des minorités (de « l’art de détruire la France » !), ces dernières étant énoncées, dans un inventaire à la Prévert, sans traduire le moindre rapport à la réalité, « européisme, immigrationnisme, transgenrisme », etc.).</p>
<p>Les réactionnaires d’hier et d’aujourd’hui condamnent la société métissée (la mixophilie, c’est-à-dire l’amour du métissage, étant définie comme le mal qui nous menace, en quelque sorte l’arme secrète du « grand remplacement » !), au nom de la prééminence de la nation sur l’individu et, chemin faisant, contestent l’idée d’une humanité commune. Ils se gaussent des « naïvetés » du cosmopolitisme, instruisent le procès de l’égalité et, bien entendu, celui de l’islam, n’hésitant pas à revendiquer leur islamophobie, tout en se plaignant de l’inconsistance « scientifique » du terme.</p>
<p>La confusion des idées, dont parlait Roger-Pol Droit dans l’article de 1993, a produit une aberration idéologique : au lieu de se préoccuper de la réalité des discriminations dont les personnes racisées sont victimes, on préfère reprocher aux antiracistes d’essentialiser les identités raciales, ce qui ferait d’eux, au moins implicitement, des racistes. C’est ne pas comprendre que la prise en compte des mécanismes de racialisation et d’assignation subie vise non pas à exalter des identités particulières mais, <em>in fine</em>, à déracialiser la société, c’est-à-dire, dans le cas américain, banaliser et diversifier les interactions entre Blancs et Noirs. Cet objectif peut être considéré comme un <a href="https://classiques-garnier.com/ronald-dworkin-l-empire-des-valeurs.html">bien collectif</a> dont la réalisation est assimilable à un devoir de citoyenneté.</p>
<p>Faire de l’antiracisme une expression forte de la haine envers l’Occident et les Blancs, est incongru. Tout comme est indigne l’affirmation selon laquelle la « civilisation occidentale » est la seule et unique civilisation, la seule source de savoir légitime, et que la pensée décoloniale est une imposture. Comment mieux justifier la colonisation et le faire, hélas, au nom de l’universalisme, en réalité de son dévoiement au service des causes les plus criminelles ?</p>
<hr>
<p><em>Alain Policar vient de publier <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/la_haine_de_lantiracisme">« La haine de l’antiracisme »</a> aux Éditions Textuel.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203708/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span> Alain Policar a été nommé le 14 avril membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République.</span></em></p>Pour certains intellectuels, l’antiracisme s’est transformé en racisme (antiracisme racialiste, dit-on souvent). Comment expliquer ce mouvement et caractériser le courant qui s’en réclame ?Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1976322023-01-12T12:34:44Z2023-01-12T12:34:44ZBrésil : Lula pourra-t-il unifier une société divisée ?<p>Le 8 janvier, quelques jours après l’investiture de Lula, vainqueur en novembre du président sortant Jair Bolsonaro, des milliers de partisans de ce dernier <a href="https://theconversation.com/democracy-under-attack-in-brazil-5-questions-about-the-storming-of-congress-and-the-role-of-the-military-197396">ont pris d’assaut le Congrès, la Cour suprême et le palais présidentiel du Brésil</a>, dénonçant <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/bresil/bresil-plusieurs-milliers-de-partisans-de-jair-bolsonaro-envahissent-les-lieux-de-pouvoir-a-brasilia_5591700.html">« une élection truquée »</a>.</p>
<p>Ces scènes, qui se sont déroulées presque exactement deux ans après <a href="https://theconversation.com/qanon-et-lassaut-du-capitole-leffet-reel-des-theories-du-complot-en-ligne-152853">l’attaque du Capitole américain</a> le 6 janvier 2021 par des sympathisants de Donald Trump, rappellent à quel point il sera difficile à Lula de réunifier une société fortement divisée, comme il s’y était engagé durant la campagne électorale.</p>
<p>Dans son discours d’investiture du 1<sup>er</sup> janvier, Lula s’est exprimé aux côtés d’un leader indigène, d’un garçon handicapé et d’un ouvrier métallurgiste, plaçant explicitement et implicitement l’inclusion et l’unité sociale au cœur de son mandat à venir. Une approche radicalement différente de celle de son prédécesseur.</p>
<h2>Deux approches de la diversité aux antipodes l’une de l’autre</h2>
<p>Durant le mandat de Bolsonaro (janvier 2019-janvier 2023), le nombre de saisies de terres appartenant à des communautés indigènes a <a href="https://lebresilresiste.org/wp-content/uploads/2021/01/2020-BAROMETRE-Coalition-Solidarite-Bresil.pdf">pratiquement triplé</a>. Le Brésil a également affiché l’un des <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-022-15103-y">pires bilans mondiaux en termes d’homicides à l’encontre des personnes LGBT</a>.</p>
<p>Sur le plan idéologique, l’approche de l’ancien président à l’égard des minorités telles que les Brésiliens noirs, la population indigène, les habitants pauvres des favelas et les personnes LGBT peut être résumée par le terme de <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2021-2-page-351.htm"><em>colorblind</em></a> (aveuglement assumé vis-à-vis de la couleur de peau). En 2018, Bolsonaro est ainsi apparu arborant un t-shirt portant le slogan « Minha cor é o Brasil » – « Ma couleur est le Brésil ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1055825250552897536"}"></div></p>
<p>Le concept de <a href="https://www.ucis.pitt.edu/clas/sites/default/files/Renno%202020.pdf"><em>colorblindness</em></a> consiste à ignorer les différences entre individus liées à leur couleur de peau, à leur orientation sexuelle, à leur origine ethnique ou à d’autres facteurs encore. Cette approche soutient que l’égalité entre les groupes s’obtient en minimisant les distinctions et en considérant la population brésilienne comme uniforme. Lula, quant à lui, défend une <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-genre-et-science-politique--9782724613810-page-356.htm">vision multiculturelle</a> qui consiste à reconnaître et à valoriser les différences entre ces groupes.</p>
<h2>Le Brésil « colorblind » sous l’administration Bolsonaro</h2>
<p>Au cours de son mandat, Bolsonaro a mis en avant la vision d’une société brésilienne homogène, où les différences de couleur de peau et d’appartenance à tel ou tel groupe social n’avaient aucun impact sur la vie des citoyens.</p>
<p>Or, des <a href="https://psycnet.apa.org/record/2013-03180-003">études montrent</a> que ce sont les individus appartenant aux groupes dominants qui ont tendance à <a href="https://psycnet.apa.org/record/2009-03773-010">faire pression en faveur de l’approche <em>colorblind</em></a> car ils y voient un moyen de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15298868.2010.542015">maintenir leurs privilèges</a> vis-à-vis des groupes marginalisés. Les chercheurs <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13569310306082">ont établi depuis longtemps</a> que les politiques publiques qui ignorent les différences entre les groupes peuvent entraver la lutte contre les injustices structurelles. Au Brésil, les conséquences de telles politiques se traduiraient par la préservation du statu quo et la conservation de l’emprise sur le pouvoir d’hommes blancs hétérosexuels issus de milieux privilégiés.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les dirigeants qui mettent en place ces politiques <em>colorblind</em> auraient ainsi tendance à <a href="https://information.tv5monde.com/info/bresil-manifestations-anti-racistes-apres-le-passage-tabac-d-un-homme-noir-384801">minimiser la discrimination raciale</a> et à contester la nécessité de protéger législativement les groupes minoritaires. Même s’ils s’en sont vertement défendus, des membres de l’administration Bolsonaro <a href="https://repository.arizona.edu/bitstream/handle/10150/636332/Bacelar_da_Silva_and_Larkins_final.pdf">ont tenu des propos racistes</a>. Dans son <a href="https://brazilian.report/liveblog/2022/03/24/racist-remarks-authorization/">étude annuelle</a>, la confédération nationale des <em>Quilombolas</em> (descendants des communautés d’esclaves fugitifs) a recensé 16 cas de tels propos tenus par des responsables bolsonaristes en 2019, 42 en 2020 et 36 en 2021.</p>
<p>Le mépris affiché par Bolsonaro pour les <a href="https://www.hrw.org/news/2022/08/09/brazil-indigenous-rights-under-serious-threat">droits des groupes indigènes</a> et <a href="https://www.opendemocracy.net/en/democraciaabierta/brazil-indigenous-lands-mobilisation-landowners-agribusiness/">leurs terres</a> a davantage retenu l’attention. L’ex-président a régulièrement pris des décisions économiques favorables aux <a href="https://www.novethic.fr/actualite/environnement/agriculture/isr-rse/la-deforestation-en-amazonie-augmente-sous-le-mandat-de-bolsonaro-150330.html">groupes privilégiés</a>, notamment en baissant les taxes à l’exportation pour les entreprises agroalimentaires et en <a href="https://www.france24.com/en/americas/20220926-brazil-s-agribusiness-sector-provides-fertile-ground-for-bolsonaro">supprimant des textes de loi protégeant les terres appartenant aux communautés indigènes</a>.</p>
<p>Le déni du racisme et de la discrimination dont a fait preuve l’administration Bolsonaro tient moins d’une conviction sincère que d’une stratégie visant à « mettre sous le tapis » les problèmes sociaux et les inégalités. Reconnaître leur existence aurait pu <a href="https://economia.ig.com.br/empresas/2019-05-24/donos-da-riachuelo-havan-e-polishop-vao-apoiar-manifestacoes-pro-bolsonaro.html">créer des obstacles</a> à la mise en œuvre de son programme libéral, soutenu par de nombreuses <a href="https://www.rfi.fr/en/international-news/20220923-brazil-s-business-sector-still-supports-bolsonaro-but-with-reservationsl">grandes entreprises</a>, des <a href="https://veja.abril.com.br/brasil/empresas-que-se-posicionam-na-politica-sofrem-com-ameacas-de-boicote">chaînes de magasins</a> et le <a href="https://www.reuters.com/article/us-brazil-politics-agriculture/brazil-farm-lobby-wins-as-bolsonaro-grabs-control-over-indigenous-lands-idUSKCN1OW0OS">secteur agroalimentaire</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503814/original/file-20230110-20-7rufid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503814/original/file-20230110-20-7rufid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503814/original/file-20230110-20-7rufid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503814/original/file-20230110-20-7rufid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503814/original/file-20230110-20-7rufid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503814/original/file-20230110-20-7rufid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503814/original/file-20230110-20-7rufid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des partisans de Lula assistent à un rassemblement dans la favela Complexo do Alemao à Rio de Janeiro en octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://news.afp.com/#/c/main/search/photos?id=newsml.afp.com.20221012T160347Z.doc-32la3vl&type=photo">Carl De Souza/AFP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les favelas particulièrement scrutées par Lula</h2>
<p>Au contraire de l’approche de Bolsonaro, le <a href="https://lula.com.br/nilma-gomes-lula-ampliara-lei-de-cotas-e-combatera-liberacao-de-armas/">gouvernement Lula</a> devrait reconnaître la diversité des Brésiliens, au nom d’une vision multiculturelle, comme ce fut le cas lors de ses deux premiers mandats. « Nos politiques visant à combattre le chômage doivent être axées non seulement sur la race, mais aussi sur le genre », a par exemple déclaré un <a href="https://www1.folha.uol.com.br/cotidiano/2022/09/lula-quer-politicas-publicas-com-recorte-de-genero-e-raca-diz-representante-da-campanha.shtml">proche de Lula pendant la campagne</a>.</p>
<p>Dans la dernière ligne droite de sa campagne victorieuse, Lula a notamment visité le <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20221013-br%C3%A9sil-lula-en-campagne-dans-les-favelas-de-rio-pour-mobiliser-les-ind%C3%A9cis">Complexo de Favelas do Alemao, à Rio de Janeiro</a>. <a href="https://mediatalks.uol.com.br/en/2021/12/31/community-newspapers-in-rio-de-janeiro-slums-fill-information-gaps-and-fight-stereotypes-to-produce-truly-local-journalism">Les favelas</a> ont occupé une place centrale dans son discours, du fait de la diversité de leurs habitants : 67 % des 11,4 millions des résidents se déclarant noirs, tandis que <a href="https://rioonwatch.org/?p=6913">32 % se perçoivent comme blancs</a>. Cela alors que dans l’ensemble de la population brésilienne, <a href="https://www.ibge.gov.br/en/highlights/26313-ibge-divulgara-em-13-de-novembro-desigualdades-sociais-por-cor-ou-raca-2.html">43 % se déclarent blancs, 9,3 % noirs et 46,5 % métis</a>.</p>
<p>Au cours de cette visite, <a href="https://jc.ne10.uol.com.br/politica/2022/10/15098453-lula-vai-ao-complexo-do-alemao-e-se-compromete-a-realizar-conferencia-nacional-para-favelas-caso-eleito.html">il s’est engagé à prendre des mesures</a> pour protéger les groupes ethniques stigmatisés ainsi que les <a href="https://www.correiobraziliense.com.br/politica/2022/10/5043939-em-ato-no-complexo-do-alemao-lula-promete-investir-em-educacao-nas-favelas.html">résidents des régions à faibles revenus</a> et à <a href="https://extra.globo.com/noticias/politica/lula-vai-ao-complexo-do-alemao-nesta-quarta-feira-em-busca-de-virada-no-rio-25587829.html">réduire les inégalités sociales</a>. Il a notamment promis d’instaurer des quotas (par exemple pour l’accès aux universités et aux emplois publics) destinés aux minorités raciales, et s’est fixé des objectifs ambitieux en matière de logement et d’infrastructures dans les régions à faibles revenus. Il s’est également engagé à organiser, au cours de son mandat, une <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/oct/13/lula-represents-hope-brazil-presidential-frontrunner-takes-his-message-into-rios-favelas">conférence nationale</a> consacrée aux besoins des habitants des favelas.</p>
<p>L’approche inclusive du nouveau gouvernement se reflète dans sa composition. Alors que Bolsonaro n’avait nommé que deux femmes parmi ses ministres, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/bresil-des-femmes-a-des-postes-cles-du-futur-gouvernement-de-lula-29-12-2022-2503188_24.php">11 femmes ont pris leurs fonctions en janvier</a>, soit un tiers des postes ministériels. Le poste de <a href="https://aamazonia.com.br/a-breath-of-anti-racist-hope-say-activists-about-anielle-franco-future-minister-of-racial-equality/">ministre de l’Égalité raciale</a> a par exemple été attribué à Annielle Franco – la sœur de la conseillère municipale Marielle Franco, assassinée à Rio de Janeiro et <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Au-Bresil-lheritage-bien-vivant-Marielle-Franco-2022-03-14-1201204822">devenue un symbole</a> de la violence sociale, raciale et sexiste au Brésil. Lula a également battu le record de nominations de femmes et de représentants de minorités ethniques dans les ministères <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/02/lula-phenix-de-la-politique-bresilienne-investi-president-de-reconciliation_6156300_3210.html">depuis le retour de la démocratie au Brésil</a>.</p>
<p>Le discours d’investiture du nouveau ministre des Droits de l’homme de Lula, le philosophe noir Sílvio Almeida, montre un contraste drastique avec les idées et les valeurs <em>colorblind</em> du gouvernement précédent. Il s’y est directement adressé aux femmes, aux Noirs, aux pauvres et aux personnes LGBT : <a href="https://oglobo.globo.com/brasil/noticia/2023/01/em-discurso-silvio-almeida-emociona-ao-declarar-que-negros-pobres-lgbt-e-mulheres-sao-valiosos-para-o-pais-veja-video.ghtml">« Vous existez et vous avez de la valeur pour nous. »</a></p>
<h2>Le siège de Brasília, signe avant-coureur des défis à venir</h2>
<p>Il reste à voir si cette stratégie pourra séduire certains partisans de Bolsonaro – y compris ceux qui ont pris d’assaut les bâtiments gouvernementaux le 8 janvier dernier. Il est certain que la politique multiculturelle de Lula sera confrontée à bien des défis, les recherches montrant que celle-ci risque de laisser un <a href="https://psycnet.apa.org/record/2011-08638-001">sentiment d’exclusion aux groupes privilégiés, tels que les Blancs</a>.</p>
<p>Pour parvenir à ses fins, l’administration Lula doit impliquer l’ensemble de la société afin de limiter les réactions négatives des Blancs et des individus fortunés face à la diversité et à l’inclusion. Une tâche qui ne sera sans doute pas aisée…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197632/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jorge Jacob ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le « siège de Brasilia » par des partisans de Jair Bolsonaro montre que Lula, dont la vision de la société est à l’opposé de celle de son prédécesseur, aura bien du mal à rassembler ses concitoyens.Jorge Jacob, Professor of Behavioral Sciences, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1960132023-01-06T14:18:40Z2023-01-06T14:18:40ZBasquiat, artiste multidisciplinaire, dénonciateur des violences faites envers les communautés afro-américaines<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503147/original/file-20230104-129650-pb1p63.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6274%2C2991&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'oeuvre "Toxic", de Jean-Michel Basquiat, à droite sur la photo, s'inspire du cartoon américain et dénonce la violence de la société américaine. À l’heure du mouvement Black Lives Matter, l’œuvre de Basquiat est plus pertinente que jamais.</span> <span class="attribution"><span class="source">(MBAM)</span></span></figcaption></figure><p>L’exposition <a href="https://www.mbam.qc.ca/fr/expositions/jean-michel-basquiat/"><em>À plein volume : Basquiat et la musique</em></a> présentée actuellement au Musée des beaux-arts de Montréal, démontre que l’œuvre de Jean-Michel Basquiat, que l’on associe habituellement à la peinture, convoque plusieurs autres médias : la musique — thème principal de cette exposition-, la littérature, la bande dessinée, le cinéma et… l’animation, un volet nettement moins connu de son travail.</p>
<p>Basquiat est né à New York en 1960, d’un père haïtien et d’une mère d’origine portoricaine. Vers la fin des années 1970, il dessine en collaboration avec Al Diaz des graffitis énigmatiques <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520383340/reading-basquiat">sous le pseudonyme SAMO</a>. Rapidement, l’artiste se fait connaître dans le milieu de l’art new-yorkais (il se lie d’amitié notamment avec Andy Warhol et fréquente Madonna). Il réalise alors des œuvres picturales en solo et obtient une renommée internationale sans cesse grandissante jusqu’à son décès, en 1988.</p>
<p>À l’heure du mouvement Black Lives Matter, l’œuvre de Jean-Michel Basquiat est plus pertinente que jamais. Elle met en lumière les inégalités raciales et le manque de représentation dans les médias des personnes racisées, mais aussi les violences subies par les Afro-Américains.</p>
<p>C’est ce que je me propose d’explorer dans cet article. Doctorant en littérature et arts de la scène et de l’écran, mes recherches portent notamment sur les interactions entre le cinéma d’animation et les arts visuels (bande dessinée, peinture) ainsi que sur le cartoon américain.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jean-Michel Basquiat avec son installation Klaunstance, à l’Area, en 1985.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Photo Ben Buchanan)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Amour/haine pour le cartoon</h2>
<p>Enfant, Basquiat <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">rêvait de devenir animateur pour le cinéma d’animation</a>. Une fois devenu peintre, la télévision était toujours allumée dans son atelier, <a href="https://www.leslibraires.ca/livres/a-plein-volume-basquiat-et-la-collectif-9782072985935.html">diffusant régulièrement des dessins animés</a>. Ces émissions et films ont été une grande source d’inspiration pour l’artiste. En effet, il a intégré dans ses tableaux plusieurs références à l’animation ou encore, à la bande dessinée.</p>
<p>L’une de ces œuvres que l’on peut contempler dans l’exposition du MBAM s’appelle <em>Toxic</em> (1984). Le tableau représente un homme noir, les bras en l’air, avec en arrière-plan un collage mentionnant plusieurs titres de courts métrages d’animation réalisés entre 1938 et 1948.</p>
<p>Le personnage est en fait un ami de Basquiat, l’artiste Torrick « Toxic » Ablack. Le <a href="https://www.leslibraires.ca/livres/a-plein-volume-basquiat-et-la-collectif-9782072985935.html">titre du tableau lui ferait donc référence</a>. Cependant, sachant que Basquiat <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">jouait avec les mots et leurs sens</a>, « Toxic » pourrait en fait vouloir désigner la relation qu’il entretient avec les films d’animation qui sont mentionnés derrière le personnage.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Artiste multidisciplinaire, Jean-Michel Basquiat était aussi musicien. L’exposition qui lui est consacrée au MBAM illustre ce volet de son œuvre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(MBAM)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourrait-on dire que ces films sont considérés toxiques par Jean-Michel Basquiat, malgré l’admiration qu’il leur porte ? En fait, je crois qu’une certaine dualité s’installe dans ce tableau : l’artiste aime le cartoon, mais il le déteste en même temps. Selon le dictionnaire <em>Le Petit Robert</em>, le mot <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/definition/toxique">« toxique »</a> peut signifier « nuisible » (de manière sournoise). Le terme « sournois » sous-entend donc que l’élément toxique (le cartoon dans ce cas-ci) est dangereux sans que l’on s’en aperçoive.</p>
<h2>La violence des cartoons</h2>
<p>Le cartoon est souvent associé à l’enfance, au plaisir, à l’excentricité.</p>
<p>Il s’agit d’un univers où tout est possible : dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6leVrkdoYIU&t=6s"><em>Gorilla My Dreams</em></a>, réalisé par Robert McKimson en 1948, par exemple, le lapin Bugs Bunny parle, se déguise en bébé et imite un singe. Plutôt innocent. Cependant, le dessin animé peut aussi représenter de façon bien sournoise le pire de l’humanité par la violence inouïe qu’il contient : les personnages se pourchassent, se chassent, se frappent, se découpent, se tuent, puis recommencent.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6leVrkdoYIU?wmode=transparent&start=6" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Robert McKimson, Gorilla My Dreams, Warner Bros., 1948.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, dans <em>Porky’s Hare Hunt</em>, film réalisé par Ben Hardassent en 1938 et cité dans <em>Toxic</em>, le personnage de Porky est blessé par de la dynamite, se fait maltraiter alors même qu’il est dans son lit d’hôpital et tente d’abattre un lapin. Basquiat, qui consomme des cartoons tous les jours à la télévision, sait qu’ils sont le reflet de la société américaine du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Il s’agit d’une interprétation qui pourrait être soutenue par le titre d’un autre de ses tableaux reprenant lui aussi une iconographie issue de l’animation ou de la bande dessinée : <em>Television and cruelty to animals</em> (1983). Cette cruauté est aussi dénoncée et reproduite dans <em>An Opera</em> (1985) montrant un Popeye se faire frapper avec au-dessus de sa tête les mots « senseless violence » (violence injustifiée) ainsi que dans <a href="https://www.mbam.qc.ca/en/oeuvres/14684/"><em>A Panel of Experts</em></a> (1982), où l’on voit des bonhommes allumettes se frapper tout prêt d’un énorme revolver.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La toile A Panel of Experts, produite en 1982, dénonce la cruauté et la violence.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(MBAM, don d’Ira Young. Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York. Photo Douglas M. Parker)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette violence que dénonce Basquiat est si présente dans le cartoon qu’elle semble jusqu’à un certain point devenue banale, comme celle que l’on voit dans les bulletins de nouvelles à la télévision (qu’il regardait probablement pendant qu’il peignait).</p>
<h2>Dénoncer les stéréotypes raciaux</h2>
<p>Ces cartoons sont aussi violents parce qu’ils perpétuent souvent des stéréotypes raciaux (sans compter les nombreux stéréotypes liés à l’orientation sexuelle, au genre, au sexe, à l’apparence corporelle, etc.).</p>
<p>Le film <em>Patient Porky</em>, réalisé par Bob Clampett en 1940, qui est aussi mentionné dans <em>Toxic</em>, présente une scène où un valet d’ascenseur parodie grossièrement et de façon monstrueuse un personnage noir. Dans l’œuvre <em>Sans titre (All Stars)</em> (1983), Basquiat cite le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_WXrrOIWZKo"><em>The Chinaman</em></a>, de Max Fleischer, réalisé en 1920, dans lequel on retrouve un personnage d’origine asiatique très caricaturé et un Koko le clown se maquillant afin de lui ressembler.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_WXrrOIWZKo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Max Fleischer, The Chinaman, Bray Studios, 1920.</span></figcaption>
</figure>
<p>Basquiat tente donc, en plaçant dans ses compositions des éléments faisant référence à l’animation, de dénoncer une vision du monde stéréotypée et injuste où les <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">personnes racisées sont dépeintes de manière irréaliste</a>. Basquiat disait d’ailleurs que s’il n’avait pas été peintre, il aurait été cinéaste et aurait raconté des histoires où les personnes noires <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">sont représentées comme des humains, et non plus de façon négative</a>.</p>
<p>Le titre du tableau <em>Toxic</em> porterait ainsi plusieurs sens. Il désigne à la fois le sujet principal (Torrick « Toxic » Ablack), mais aussi la relation qu’il entretient avec la culture populaire, et l’animation dans ce cas-ci.</p>
<p>J’ai omis de mentionner que le personnage de <em>Toxic</em> a les bras en l’air et les mains rougies. Se pourrait-il que cette relation toxique lui ait sali les mains ? Plus précisément que le personnage, du fait que le cartoon a continuellement dépeint les personnes noires de manière péjorative, est maintenant représenté comme un criminel ? Sa position indique en effet qu’il semble être en état d’arrestation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dog Bite/Ax to Grind (1983).</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Estate of Jean-Michel Basquiat. Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen. Licensed by Artestar, New York)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette hypothèse est fort probable puisque Basquiat a produit plusieurs œuvres dénonçant la brutalité policière envers les Afro-Américains, dont <em>The Death of Michael Stewart (Defacement)</em> (1983).</p>
<p>Basquiat est décédé prématurément en 1988, à l’âge de 27 ans. D’autres artistes issus de la communauté noire, comme les peintres montréalais <a href="https://helloteenadultt.com/">Kezna Dalz alias Teenadult</a>, <a href="https://www.manuelmathieu.com/">Manuel Mathieu</a>, et la cinéaste d’animation <a href="http://www.martinechartrand.net/">Martine Chartrand</a> ont, à leur façon, repris son combat et continuent de lutter pour une plus grande visibilité des personnes noires dans les arts.</p>
<hr>
<p><em>Exposition Basquiat Sountracks, Du 6 avril au 30 juillet 2023 à la Philharmonie de Paris.
Exposition « Basquiat × Warhol, à quatre mains », du 5 avril au 28 août 2023 à la Fondation Louis Vuitton, Paris.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196013/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les recherches doctorales de John Harbour sont financées par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH).</span></em></p>À l’heure du mouvement Black Lives Matter, l’œuvre de Basquiat est plus pertinente que jamais. Elle met en lumière les inégalités raciales et la violence contre les personnes racisées.John Harbour, Doctorant en littérature et arts de la scène et de l'écran (concentration cinéma), Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1964542022-12-16T14:40:15Z2022-12-16T14:40:15ZLa race d’un chien influence sa personnalité – mais son propriétaire aussi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/500476/original/file-20221212-111107-hulkq8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=55%2C27%2C6134%2C4435&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un bouvier bernois est assis sur un porche d'entrée de Toronto, le 6 juillet 2019. </span> <span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Graeme Roy</span></span></figcaption></figure><p>Au cours des milliers d’années d’amitié entre les humains et les chiens, nous avons réussi à créer environ 350 races différentes. Nous avons compté sur les terriers pour la chasse, les chiens-bergers pour s’occuper des troupeaux et sur toutes les races pour nous tenir compagnie. Mais dans quelle mesure la personnalité des chiens est-elle définie par leur race ?</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/votre-chien-peut-comprendre-ce-que-vous-dites-jusqua-un-certain-point-175111">Votre chien peut comprendre ce que vous dites – jusqu'à un certain point</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans un <a href="https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(22)01379-4?_returnURL=https%3A%2F%2Flinkinghub.elsevier.com%2Fretrieve%2Fpii%2FS0092867422013794%3Fshowall%3Dtrue">article récent</a>, des chercheurs américains analysent les codes génétiques de plus de 4 000 chiens et interrogent 46 000 propriétaires d’animaux. Ils y relèvent de nombreux gènes associés à des comportements typiques de certaines races, comme la tendance des terriers à attraper et à tuer des proies.</p>
<p>Leurs conclusions indiquent que le type de race détermine en effet de nombreux aspects de la personnalité d’un chien.</p>
<p>Cependant, les propriétaires jouent également un rôle important dans le caractère de l’animal, qu’il soit du type joueur, tolérant envers les autres, en quête d’attention ou enclin à aboyer. Examinons de plus près comment élever un bon citoyen canin.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/499910/original/file-20221209-24715-uu5no9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Lévrier endormi couché sur le sol" src="https://images.theconversation.com/files/499910/original/file-20221209-24715-uu5no9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499910/original/file-20221209-24715-uu5no9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499910/original/file-20221209-24715-uu5no9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499910/original/file-20221209-24715-uu5no9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499910/original/file-20221209-24715-uu5no9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499910/original/file-20221209-24715-uu5no9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499910/original/file-20221209-24715-uu5no9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le lévrier anglais fait partie de la grande famille des lévriers, des chiens qui ont une vue perçante et qui sont extrêmement rapides.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Derek Story/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Ce que nous dit la recherche</h2>
<p>Les races de chiens nous permettent de découvrir beaucoup d’informations sur la reproduction sélective, et certains comportements observés dans des groupes de races – comme conduire des troupeaux et rapporter des proies – sont difficiles à expliquer. L’article américain cité plus haut nous donne des indices sur la manière dont certains de ces comportements ont pu apparaître.</p>
<p>Les chercheurs ont analysé des échantillons d’ADN provenant de plus de 200 races de chiens. Sur la base de ces données, ils sont parvenus à établir dix grandes lignées génétiques, dont les terriers, les bergers, les rapporteurs, les lévriers (chiens qui chassent à vue), les chiens qui chassent à l’odorat et les chiens d’arrêt/épagneuls.</p>
<p>Chaque lignée correspond à une catégorie utilisée pour des tâches précises, telles que la chasse au flair plutôt qu’à la vue ou la conduite du troupeau plutôt que la protection du bétail.</p>
<p>Cela signifie que des races qui ne sont pas très proches, mais qui ont été élevées dans le même but, peuvent avoir des séries de gènes en commun. Cela avait été jusqu’ici très difficile à démontrer.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/499913/original/file-20221209-25553-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="jack russel qui creuse un trou" src="https://images.theconversation.com/files/499913/original/file-20221209-25553-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499913/original/file-20221209-25553-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499913/original/file-20221209-25553-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499913/original/file-20221209-25553-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499913/original/file-20221209-25553-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499913/original/file-20221209-25553-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499913/original/file-20221209-25553-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les terriers Jack Russell possèdent un très fort instinct de chasseur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’article mentionne par exemple que les races de chiens de troupeaux, comme le kelpie et le border collie, sont caractérisées par une forte « peur non sociale », c’est-à-dire une peur des stimuli environnementaux tels que les bruits forts, le vent ou les véhicules. Les terriers, comme le Jack Russel, se distinguent par un fort instinct de prédation. Et les chiens d’odorat, comme le beagle, par une faible aptitude au dressage.</p>
<p>Ces caractéristiques correspondent à ce pour quoi ces chiens ont été créés : les chiens de troupeaux pour leur grande sensibilité à l’environnement, les terriers pour leur capacité à poursuivre et à tuer des proies, et les chiens comme les beagles pour leur capacité à se concentrer sur les informations non visuelles (odeurs).</p>
<p>Les chercheurs se sont intéressés de plus près aux chiens de troupeau, en raison de leur comportement facilement identifiable et généralement inné de gardien.</p>
<p>Il est intéressant de noter qu’un gène commun aux chiens-bergers, appelé EPHA5, a également été associé à des comportements de type anxieux chez d’autres mammifères, ainsi qu’au trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), chez les humains. Selon l’équipe de chercheurs, cela pourrait expliquer la grande énergie de ces chiens et leur tendance à l’hyperfocalisation sur des tâches.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lAjc502ALOM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Chiens qui conduisent des canards lors d’une foire dans le Tennessee, aux États-Unis.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Ce que doivent savoir les propriétaires de chiens</h2>
<p>Les scientifiques admettent depuis un certain temps que le comportement d’un chien dépend, à des degrés divers, de sa race. Mais il ne faut pas négliger le fait que son éducation façonne également sa personnalité.</p>
<p>Une autre <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.abk0639">étude génétique</a> publiée plus tôt cette année a révélé que si la lignée d’un chien est un facteur d’influence du comportement, ce n’est probablement pas le plus important.</p>
<p>Ceux qui l’ont réalisée soulignent que le comportement canin est influencé par de nombreux gènes qui existaient chez les chiens avant le développement des races et qui sont présents chez toutes les races. Ils affirment que les races modernes se distinguent principalement par leur apparence et que leur comportement est probablement davantage influencé par des facteurs environnementaux, tels que l’éducation et le dressage, que par la génétique.</p>
<p>Qu’est-ce que cela signifie pour un propriétaire de chien ? Eh bien, si le comportement est influencé par la race, reste qu’il y a beaucoup de choses que l’on peut faire pour avoir un bon compagnon.</p>
<p>Ce travail est particulièrement important au cours des deux premières années de vie. D’abord, une socialisation précoce est importante. Un chiot doit être exposé à tous les stimuli que l’on souhaite qu’il accepte en grandissant, comme des enfants, des véhicules, d’autres animaux, des rues pleines de piétons, le sport, les voyages et le toilettage.</p>
<p>L’on doit ensuite continuer à dresser et à guider son chien à mesure qu’il grandit pour qu’il se comporte de manière à assurer sa sécurité et celle des autres. Tout comme les enfants et les adolescents humains ont besoin d’être orientés pour arriver à prendre de bonnes décisions et à s’entendre avec les gens, les chiens ont besoin de soutien pour passer de l’adolescence à l’âge adulte (vers deux ans environ).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/499914/original/file-20221209-19531-846vn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="chiot dans les fleurs" src="https://images.theconversation.com/files/499914/original/file-20221209-19531-846vn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499914/original/file-20221209-19531-846vn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499914/original/file-20221209-19531-846vn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499914/original/file-20221209-19531-846vn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499914/original/file-20221209-19531-846vn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499914/original/file-20221209-19531-846vn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499914/original/file-20221209-19531-846vn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">C’est dans sa première ou ses deux premières années qu’on peut dresser un chien pour en faire un bon compagnon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hendo Wang/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si la race n’est pas l’unique indicateur du comportement d’un chien en particulier, il est certainement judicieux de prêter attention à ce pour quoi une race a été élevée à l’origine. La nouvelle étude confirme ce point de vue. Les comportements qui ont permis aux chiens de faire le travail pour lequel les humains les ont sélectionnés sont probablement encore forts au sein d’une race.</p>
<p>Cela signifie, par exemple, que si vous possédez des poules ou de petits animaux de compagnie comme des lapins, vous devriez y penser à deux fois avant d’adopter un terrier, et prévoir ce que vous ferez si le terrier veut chasser vos animaux.</p>
<p>Si vous vivez en ville ou dans un immeuble d’habitation où il se passe toujours beaucoup de choses, cela risque de ne pas être agréable pour un chien-berger. Et si vous voulez un chien très obéissant, les chiens d’odorat ne sont probablement pas un bon choix.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/499920/original/file-20221209-24867-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="chien assis avec des poules" src="https://images.theconversation.com/files/499920/original/file-20221209-24867-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499920/original/file-20221209-24867-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499920/original/file-20221209-24867-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499920/original/file-20221209-24867-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499920/original/file-20221209-24867-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499920/original/file-20221209-24867-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499920/original/file-20221209-24867-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le choix d’un chien qui s’adaptera à votre style de vie est une affaire de probabilité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le choix d’un chien qui s’adaptera à votre style de vie est une affaire de probabilité. Il est tout à fait possible de trouver un chien d’odorat très obéissant et facile à dresser, ou un terrier qui peut vivre en paix avec des rats de compagnie…</p>
<p>Toutefois, s’il y a un comportement précis que vous attendez d’un chien, mettez toutes les chances de votre côté en vous procurant une race connue pour ce style de comportement. Puis consacrez beaucoup de temps et d’efforts à sa socialisation et à son dressage.</p>
<p>Les chiens sont avant tout ce que nous en faisons, et ils nous rendent au centuple les efforts que nous déployons pour forger leur comportement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196454/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Melissa Starling est propriétaire de Creature Teacher, une entreprise de conseil en comportement animal.</span></em></p>La race des chiens détermine de nombreux aspects de leur personnalité. Mais les propriétaires jouent également un rôle important dans le caractère de l’animal.Melissa Starling, Postdoctoral researcher, University of SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1836802022-06-09T22:10:25Z2022-06-09T22:10:25ZVotre chien est aussi le meilleur ami des généticiens<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/465029/original/file-20220524-11-iwbm3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C16%2C5585%2C3332&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Étudier les mutations génétiques chez les chiens permet aussi de mieux comprendre les maladies affectant les humains, et leur évolution.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/your-friend-hand-veterinarian-protective-glove-1361660516">Friends Stock, shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le chien est le meilleur ami de l’Homme, et cette amitié remonte à très longtemps. En effet, le chien <em>Canis Lupus familiaris</em>, est la première espèce animale domestiquée par l’homme, bien avant les vaches ou les moutons. Tous les chiens partagent un ancêtre commun avec les loups. Les premiers « chiens-loups » auraient été domestiqués il y a environ 15 000 à 30 000 ans, probablement pour l’aider dans la chasse ou la défense face à d’autres animaux, mais aussi pour bénéficier de la protection et la nourriture des hommes. Mais c’est seulement au cours des deux siècles derniers que les races modernes que nous connaissons aujourd’hui ont véritablement été créées, avec aujourd’hui plus de 400 races répertoriées à travers le monde.</p>
<h2>Un modèle d’étude unique et naturel pour la recherche en génétique</h2>
<p>Pourquoi le chien est-il un bon modèle en génétique ? Le chien est proche de l’espèce humaine en termes de similarités génétiques et il partage aussi son environnement, sa nourriture, ses stress, et parfois même son canapé ! Le chien développe de nombreuses maladies génétiques similaires à celles de l’espèce humaine, par exemple l’<a href="https://www.nature.com/articles/ng.1056">ichtyose du Golden Retriever</a>, dont les gènes et la physiopathologie sont similaires.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-humains-ont-faconne-le-cerveau-des-chiens-et-pourquoi-ils-nous-le-rendent-bien-123158">Comment les humains ont façonné le cerveau des chiens et pourquoi ils nous le rendent bien</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Contrairement à d’autres modèles classiques utilisés pour la recherche en génétique, tels que la souris ou bien les drosophiles, nous n’avons pas de chiens au laboratoire. Nous travaillons en lien étroit avec les propriétaires de chiens, les éleveurs, les clubs de races et bien sûr les vétérinaires, qui réalisent des prélèvements, dans le cadre du parcours de soin de leurs patients chiens et avec l’autorisation du propriétaire. C’est à partir de ces prélèvements sanguins fournis par les vétérinaires, de chiens atteints de maladies génétiques et de chiens indemnes que nous réalisons les analyses génétiques.</p>
<p>Le chien est un modèle « naturel » : nous travaillons sur des spécificités naturellement présentes chez les chiens, et particulièrement fréquentes dans certaines races, indiquant une origine génétique. En effet, certaines races sont par exemple prédisposées à développer des maladies génétiques complexes – comme la dysplasie de la hanche, des cancers, des maladies immunitaires par exemple – ou encore des maladies plus « simples », comme des rétinopathies, des épilepsies, des maladies dermatologiques notamment. Les mutations responsables de ces maladies ont en effet été <a href="https://www.nature.com/articles/nrg.2017.67">involontairement sélectionnées par l’Homme</a> lors de la création des races canines.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466310/original/file-20220531-18-gtqb2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466310/original/file-20220531-18-gtqb2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466310/original/file-20220531-18-gtqb2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466310/original/file-20220531-18-gtqb2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466310/original/file-20220531-18-gtqb2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466310/original/file-20220531-18-gtqb2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466310/original/file-20220531-18-gtqb2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les chiens peuvent présenter des maladies génétiques similaires à celles des humains.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/vR6gQ52qe-E">Nathalie Spehner/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous recherchons ainsi dans l’ADN de ces chiens quels pourraient être les gènes et leurs allèles (version maternelle ou paternelle d’un gène) impliqués dans ces maladies. L’objectif étant ensuite de transférer nos découvertes à l’espèce humaine en collaborant notamment avec des équipes travaillant sur les mêmes maladies en médecine humaine, afin d’apporter des réflexions, connaissances et un bénéfice médical aux deux espèces.</p>
<p>Pour ce faire, nous avons dès les années 2000, constitué une collection d’échantillons d’ADN, à partir des prélèvements sanguins et de tissus fournis par les vétérinaires. Puis, cette collecte s’est organisée et structurée et nous avons maintenant un CRB : « centre de ressources biologiques » comportant plus de 32 000 ADN de chiens et 6 500 tissus – le <a href="https://biosit.univ-rennes1.fr/centre-de-ressources-biologiques-crb-cani-dna">centre de ressources biologiques Cani-DNA</a>. Piloté par la Dr Catherine André, ce centre de ressources biologiques, en réseau avec les quatre Écoles Nationales Vétérinaires, la société Antagene et l’association française des vétérinaires praticiens, l’AFVAC, est d’envergure nationale, avec une lisibilité internationale.</p>
<p>L’idée que le chien constitue un modèle unique et particulièrement intéressant en génétique a été vraiment concrétisée en 2005, à la suite du <a href="https://www.nature.com/articles/nature04338">séquençage de l’ADN d’un boxer</a> au Broad Institute, aux États-Unis. Depuis, une communauté de 200 chercheurs travaille sur la génétique non seulement des maladies communes au chien et à l’Homme, mais aussi sur la <a href="https://www.nature.com/articles/s41467-019-09373-w">morphologie</a>, les <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.abk0639">comportements</a>, ou l’<a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.2120887119">espérance de vie</a>.</p>
<h2>Un compagnon pour la recherche fondamentale</h2>
<p>Ce qui frappe lorsqu’on regarde les 350 races canines, c’est l’incroyable diversité qui existe en termes de taille, couleur, pelage, alors qu’il s’agit d’une seule et même espèce. On trouve aujourd’hui de toutes petites races de chiens mesurant une dizaine de centimètres et pesant à peine 2 kilogrammes comme le Chihuahua, mais aussi des races géantes, comme les Dogues allemands, mesurant plus de 80 centimètres au garrot pour un poids supérieur à 80 kilogrammes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466312/original/file-20220531-16-an4ahh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466312/original/file-20220531-16-an4ahh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466312/original/file-20220531-16-an4ahh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466312/original/file-20220531-16-an4ahh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466312/original/file-20220531-16-an4ahh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466312/original/file-20220531-16-an4ahh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466312/original/file-20220531-16-an4ahh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une mutation menant à la grande variété de taille chez les chiens a été identifiée. Elle date d’avant la domestication des chiens par les humains.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/U6nlG0Y5sfs">Hannah Lim/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette grande variabilité morphologique sous-tend donc que de nombreuses mutations de gènes sont apparues dans l’ADN de ces chiens, au cours de l’évolution de l’espèce et des sélections artificielles appliquées aux races par l’espèce humaine. La recherche de ces mutations offre donc une opportunité pour comprendre les mécanismes génétiques qui interviennent dans le développement d’un organisme et définissent sa morphologie, pourrait permettre de comprendre certaines maladies humaines, associées par exemple à des <a href="https://www.nature.com/articles/s41574-022-00649-8">malformations des os</a>.</p>
<p>Contrairement à l’espèce humaine, pour laquelle des centaines de gènes sont impliqués dans les variations de taille et de poids observées entre les individus, il a été récemment montré que <a href="https://www.nature.com/articles/s41467-019-09373-w">chez le chien, seule une quinzaine de gènes est impliquée</a>. Certains de ces gènes sont déjà connus chez l’espèce humaine et d’autres non, ce qui offre donc de nouvelles pistes de recherche à explorer pour comprendre comment interviennent les gènes au cours du développement d’un organisme.</p>
<h2>Une vieille histoire peu banale</h2>
<p>Il est généralement admis que pour les espèces domestiquées, la plupart des caractères morphologiques sélectionnés par l’espèce humaine résulteraient de <a href="https://www.nature.com/articles/nrg1294">mutations apparues après leurs domestications</a>. Ainsi pour le chien, on pensait que les différences morphologiques résultaient de mutations qui seraient apparues bien après la période de domestication, c’est-à-dire, il y a moins de 15 000 ans.</p>
<p>Mais pour l’une d’entre elles, nous avons découvert une tout autre histoire. Dans une étude que j’ai menée (Jocelyn Plassais) aux États-Unis dans le laboratoire du Dr Elaine Ostrander, et <a href="https://www.cell.com/current-biology/fulltext/S0960-9822(21)01723-1">récemment publiée</a>, j’ai identifié une mutation impliquant le gène IGF1 qui permet la production d’une hormone de croissance, et qui expliquerait 15 % de la variabilité de taille/poids observée entre les races canines. Contrairement aux autres gènes impliqués dans les variations de tailles chez le chien, cette mutation serait beaucoup plus ancienne.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-quoi-ressemblaient-les-chiens-a-la-prehistoire-183243">À quoi ressemblaient les chiens à la préhistoire ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En effet, en étudiant des ADNs provenant de fossiles de chiens âgés de 1 000 à 53 000 ans, nous avons démontré que cette mutation existait déjà chez les loups il y a plus de 53 000 ans, bien avant que les premiers chiens-loups ne soient domestiqués par l’espèce humaine. L’espèce humaine se serait donc servi de cette mutation naturellement présente chez le loup il y a des dizaines de milliers d’années pour créer les premiers petits chiens, et continuerait encore aujourd’hui à jouer avec cette mutation ancestrale présente dans certaines races canines pour créer de nouvelles races.</p>
<p>L’objectif de nos recherches est maintenant d’essayer de comprendre comment fonctionnent ces mutations, c’est-à-dire, grâce à quels mécanismes génétiques passe-t-on concrètement d’un individu de la taille d’un caniche, à celui d’un berger allemand ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183680/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jocelyn Plassais a reçu des financements (salaire) du National Institute of Health/NHGRI durant son postdoctorat aux Etats-Unis dans le cadre de l'article paru dans Current Biology.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Catherine André a reçu des financements de l'Institut National du Cancer, du Programme Investissement d'Avenir, PIA1, d'Associations ou clubs de races de chiens, de la Société Centrale Canine .... pour mener a bien les différents projets de recherche sur les maladies génétiques canines. </span></em></p>Les chiens sont proches de l’espèce humaine en termes génétiques et partagent nos modes de vie. En étudiant les mutations responsables de certaines maladies, on espère mieux comprendre les humains.Jocelyn Plassais, Research scientist, Université de Rennes 1 - Université de RennesCatherine André, Senior research scientist, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1692132021-10-10T16:44:17Z2021-10-10T16:44:17ZÉric Zemmour : une histoire française<p>Pour Éric Zemmour, qui vient d'annoncer sa candidature à l'élection présidentielle après avoir occupé l’actualité médiatique depuis des semaines, la France est menacée par le « séparatisme civilisationnel ». Ce terme (séparatisme) n’est sans doute pas le fruit du hasard : se souvient-on qu’il fut utilisé pour <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/separatisme-de-lanti-france-chez-les-soviets-a-lislam-en-passant-par-la-negritude">parler des luttes décoloniales</a>, notamment celle des Algériens et, bien avant, dans l’Antiquité, qu’il était l’expression d’un reproche classique fait aux Juifs (certains auteurs considèrent qu’il est au <a href="https://www.maisondulivre.com/livre/9782204069236-judeophobie-attitudes-a-l-egard-des-juifs-dans-le-monde-antique-peter-schafer/">fondement de la judéophobie</a> ?</p>
<p>Notre mode de vie, nos « valeurs » seraient menacés par la montée en puissance de l’islam, à tel point que le « Grand remplacement », dans un horizon annoncé comme trop proche pour ne pas s’en inquiéter, ne manquera pas de se produire. Devant ce supposé danger, il conviendrait de mettre en avant les vertus de l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/11/integration-ou-assimilation-une-histoire-de-nuances_5029629_3232.html">assimilation</a>.</p>
<p>Ce faisant, Éric Zemmour ne fait qu’actualiser ce qui a longtemps été la doctrine de la République, doctrine dont seul le « camp national » défendrait l’héritage, tout en se gaussant de <a href="https://www.generation-zemmour.fr/2021/07/12/les-valeurs-de-la-republique-une-escroquerie-intellectuelle/">ses valeurs</a>. En effet, ces dernières exprimeraient une « vision post-moderne de l’Homme ». Passons sur l’absence de définition du <a href="https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1991_num_89_81_6673">concept de post-modernité</a>, et traduisons : désirer l’égalité et la fraternité, ce serait œuvrer pour « l’indifférenciation des peuples et des individus, la négation de leur histoire et leur disparition en tant qu’entités civilisationnelles et politiques ».</p>
<p>Mais alors si l’indifférenciation est un mal, comment vouloir l’assimilation, laquelle a pour ultime objectif d’indifférencier ? Comprenne qui pourra.</p>
<p>En réalité, Zemmour accepte les différences dès l’instant où ceux qui les incarnent sont placés dans un statut de subordination : selon lui, la grandeur de la France ne réside-t-elle pas dans sa mission civilisatrice, c’est-à-dire dans l’éducation, par la colonisation, des <a href="https://www.acrimed.org/Eric-Zemmour-rehabilite-les-races-avec-video">« races inférieures » ?</a>. Position indifférente aux horreurs du racisme colonial, considérées comme le prix à payer pour l’édification morale des indigènes.</p>
<h2>L’assimilation, une politique aux fondements raciaux</h2>
<p>Cette adhésion à l’assimilation ne doit pas surprendre si l’on se souvient qu’elle a été le nom servant à justifier une politique <a href="https://www.cairn.info/les-frontieres-de-l-identite-nationale--9782707169365-page-25.htm">aux fondements raciaux</a>. Politique qui s’exprime avec limpidité dans l’existence de privilèges pour les colons, faisant de ces derniers une sorte d’aristocratie, c’est-à-dire de race à part. D’ailleurs, ainsi que le <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/956">souligne l’historien américain Tyler Stovall</a>, les colons se désignaient plus volontiers comme Blancs ou Européens que comme Français :</p>
<blockquote>
<p>« C’est dans les colonies que les conceptions de l’idée nationale française se confondirent d’abord avec l’idée raciale de blancheur. »</p>
</blockquote>
<p>Mais revenons à Éric Zemmour et à ses thèmes de prédilection. L’adhésion à l’assimilationnisme implique, malgré l’apparent paradoxe, l’inassimilabilité de quelques-uns. Le polémiste ne rappelle-il pas régulièrement que <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/immigration-l-islam-n-est-pas-compatible-avec-la-france-selon-zemmour-7900076221">l’islam n’est pas compatible avec la République</a> ? À cet égard, il est significatif que l’obtention de la citoyenneté pour les femmes musulmanes d’Algérie, en 1958, ait été liée, lors de cérémonies d’inauguration, au retrait de leur voile : comment mieux exprimer l’idée qu’il fallait alors cesser d’être musulmane pour devenir française ?</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MvUxXVM2JAw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Archives de l’INA, YouTube.</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est clairement l’avis du polémiste. Mais, même s’il envisage une <a href="https://www.valeursactuelles.com/societe/video-eric-zemmour-pour-la-remigration-car-lidentite-de-la-france-est-en-danger/">remigration</a> (de qui, exactement ?), il dit ne nourrir aucune hostilité envers les musulmans que seuls des esprits étroits confondraient avec l’islam.</p>
<p>Mais que serait un homophobe qui n’éprouverait aucune méfiance envers les homosexuels ? À travers le cas d’Éric Zemmour, nous comprenons que l’idée ancienne d’une nation française définie en termes raciaux influence durablement les débats contemporains. Et ce ne sont pas les appels incantatoires à <a href="https://aoc.media/opinion/2018/08/20/laicite-travestie-infortunes-de-lidentite/">l’universalisme</a> qui nous persuaderont du contraire.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-nation-francaise-pour-2022-167074">Quelle nation française pour 2022 ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>De quel universalisme parle-t-on ?</h2>
<p>Car, ce qui est proposé aux immigrés est de se plier aux traditions françaises, celles-ci étant supposées universelles par essence. L’universalisme alors n’est plus un humanisme ouvert à la diversité mais un « symbole de résistance du nationalisme français ». C’est bien ainsi que le <a href="https://www.cairn.info/la-fracture-coloniale--9782707149398-page-137.htm">décrit Achille Mbembe</a> dans l’ouvrage collectif de 2005, consacré à <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fracture_coloniale-9782707149398"><em>La Fracture coloniale</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« A force de tenir pendant si longtemps le “modèle républicain” pour le véhicule achevé de l’inclusion et de l’émergence à l’individualité, l’on a fini par faire de la République une institution imaginaire et à en sous-estimer les capacités originaires de brutalité, de discrimination et d’exclusion. »</p>
</blockquote>
<p>Le jugement peut paraître sévère, mais l’histoire française, bien avant d’ailleurs l’instauration de la République, témoigne de cette connotation racialiste. L’universalisme se fourvoie, jusqu’à se vider de sa substance, lorsqu’il fait de l’identité nationale la boussole du combat républicain.</p>
<p>En réalité, le modèle assimilationniste est lié à une conception dévoyée de l’universalisme, qu’il est commun de désigner, avec Michael Walzer, <a href="https://esprit.presse.fr/article/walzer-michael/les-deux-universalismes-11772">comme »de surplomb »</a>. Le philosophe américain attire l’attention sur le caractère incertain, quant à ses effets, d’un universalisme, celui du judaïsme des temps prophétiques, qui se proposerait de servir de lumière pour les nations.</p>
<p>Uniformément éclairées, certes, mais « la lumière étant faible et les nations récalcitrantes », il se peut que l’œuvre civilisatrice prenne beaucoup de temps, voire un temps infini. Les fondements mêmes du colonialisme et les raisons de son refus sont énoncés avec une impressionnante sobriété par le philosophe américain :</p>
<blockquote>
<p>« Les serviteurs de Dieu se tiennent au centre de l’histoire […], tandis que les histoires des autres sont autant de chroniques de l’ignorance et de conflits dépourvus de sens. »</p>
</blockquote>
<h2>Une haine de l’universel</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=790&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=790&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=790&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Joseph de Maistre (1753-1821), homme politique. Peinture de Karl Vogel von Vogelstein, vers 1810.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_de_Maistre#/media/Fichier:Jmaistre.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il n’est pas sans signification de noter que la position de surplomb peut se vêtir d’autres habits, notamment ceux de <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/comment-peut-on-etre-cosmopolite">l’anti-cosmopolitisme</a>, lequel vilipende utopistes invétérés et belles âmes aveuglées. N’est-ce pas exactement sur ce registre que se situe Éric Zemmour ?</p>
<p>Si bien qu’il est permis de faire l’hypothèse que derrière ce faux universalisme se dissimule en réalité une haine de l’universel qui puise ses racines dans la pensée contre-révolutionnaire telle que l’exemplifie la fameuse phrase de Joseph de Maistre dans ses <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Maistre_%E2%80%93_Consid%C3%A9rations_sur_la_France_(Ed._1829).pdf"><em>Considérations sur la France</em> (1796)</a>) :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan, mais quant à l’homme je déclare ne l’avoir jamais rencontré de ma vie. »</p>
</blockquote>
<p>De la même façon, Zemmour décrit un monde fragmenté au sein duquel doit prévaloir l’obsession de la pureté, c’est-à-dire la haine du mélange, <a href="https://livre.fnac.com/a209544/Henry-Mechoulan-Le-Sang-de-l-autre-ou-l-Honneur-de-Dieu">l’angoisse d’indistinction</a>. Il y a trois ans environ, nous écrivions <a href="https://theconversation.com/eric-zemmour-un-symptome-107288">ici même</a>, à propos de sa place dans l’espace public, qu’il nous fallait résister à la « sémantique du crépuscule », celle que décrit Orwell dans 1984, instrument d’assujettissement des individus par l’intermédiaire d’un langage appauvri et manichéen. Peut-être est-il encore temps ?</p>
<hr>
<p><em>L’auteur publie <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/luniversalisme-en-proces/">« L’universalisme en procès »</a>, Le Bord de l’eau, 5 novembre 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169213/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Policar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur le concept d’universalisme, un terme invoqué par de nombreux candidats ou polémistes, souvent vidé de son sens pour servir une idéologie opposée.Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1605792021-06-14T13:31:32Z2021-06-14T13:31:32ZLa justice sociale : l’angle mort de la révolution de l’intelligence artificielle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/404317/original/file-20210603-17-1rz22o1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C22%2C7488%2C3161&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nombreux sont les groupes et communautés qui demeurent invisibles au regard des technologies numériques soit parce qu’ils sont déjà socialement marginalisés ou parce que leurs besoins ne sont pas prioritaires.
</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>L’intelligence artificielle (IA) fait actuellement couler beaucoup d’encre et suscite des sentiments ambivalents entre dilemmes éthiques et enthousiasme débordant. Mais les questions de justice sociale seraient-elles restées dans l’angle mort de ce déploiement de l’IA ?</p>
<p>Dans un contexte où le recours aux technologies de l’IA est croissant pour aider à la prise de décision dans des secteurs clés comme <a href="https://theconversation.com/le-canada-a-besoin-dune-strategie-nationale-pour-accelerer-le-deploiement-de-lia-en-sante-159007">la santé</a> et les services aux citoyens, les promoteurs de l’intelligence artificielle mettent de l'avant les bienfaits de ces technologies, nourrissant l’espoir d’un avenir meilleur.</p>
<p>Ainsi s’opère un glissement vers la prouesse technique qui dissimule certains problèmes accompagnant les développements technologiques. Cela se répercute sur les options de participation, de contribution et de consentement qui sont laissées aux citoyens.</p>
<p>Cette injonction au progrès nous invite à ne pas manquer le virage numérique, à nous adapter sans cesse, sans avoir le temps de prendre la mesure des conséquences de l’intrusion des technologies de l’IA dans notre quotidien. Ce manque de recul critique, de <a href="https://www.ictjournal.ch/interviews/2019-11-19/cathy-oneil-il-nous-faut-de-la-transparence-sur-le-fait-quun-algorithme-est">transparence</a> et d’évaluation des technologies déployées, tout comme l’absence de participation des citoyens sur les questions numériques posent des problèmes en matière de justice sociale.</p>
<p>Par exemple, comment documenter une <a href="https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25156">décision discriminatoire sur l’accès à un service essentiel, comme l’aide sociale, si cette décision a été prise sur la base d’informations fournies par un algorithme dont le fonctionnement n’est pas rendu public ?</a> Comment avoir un débat de société sur le recours à l’IA s’il n’est pas possible de savoir qui gère (et comment) des données sensibles sur la santé, entre autres choses, comme dans le cas des récentes discussions sur les <a href="https://www.priv.gc.ca/fr/nouvelles-du-commissariat/nouvelles-et-annonces/2021/nr-c_210519/">passeports vaccinaux numériques ?</a></p>
<h2>Les biais de l’IA</h2>
<p>Nombreux sont les groupes et communautés qui demeurent invisibles au regard des technologies numériques soit parce qu’ils sont déjà socialement marginalisés ou parce que leurs besoins ne sont pas prioritaires.</p>
<p>Par exemple, certains <a href="https://www.vice.com/en/article/m7evmy/googles-new-dermatology-app-wasnt-designed-for-people-with-darker-skin">outils de détection des maladies excluent des personnes ayant la peau plus foncée</a>. D’autres outils <a href="https://banthescan.amnesty.org/">utilisés par la police pour identifier des personnes ciblent davantage des groupes déjà largement victimes de profilage racial</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QxuyfWoVV98?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Cette vidéo montre comment l’IA échoue à identifier le genre des femmes à la peau foncée.</span></figcaption>
</figure>
<p>Bref de nombreuses personnes peuvent être affectées par les biais et les discriminations de genre, de race, de lieux, ou encore de littératie numérique. Ces injustices renforcent le poids d’enjeux sociaux et économiques auxquels font face des citoyens qui sont alors écartés des processus décisionnels et davantage exclus de la société.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UG_X_7g63rY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Cette vidéo présente comment un biais algorithmique entraîne exclusion et discrimination.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’exclusion d’une partie de la population des développements technologiques, comme les personnes ne disposant pas de téléphones intelligents ou <a href="https://sdg.iisd.org/news/indigenous-peoples-update-finds-persistent-invisibility-in-official-statistics/">qui ne sont pas représentées dans les données</a>, rendent plus évidentes les nécessaires mises en action sur les questions d’IA et de justice sociale. Les applications inadéquates telles que celles qui visent à <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1784312/geolocalistion-telephone-mobile-productivite-employes">géolocaliser les employés</a> posent aussi des enjeux de consentement et de protection à la vie privée dont il faudra tenir compte.</p>
<h2>Les fractures numériques</h2>
<p>Les fractures numériques reflètent d’ailleurs avant tout des fractures sociales profondes et amplifiées – éloignement géographique, faible niveau d’éducation, fossé générationnel – qui n’ont jamais fait l’objet d’une discussion collective. On se questionne peu également sur le réel besoin d’avoir des technologies de reconnaissance faciale ou qui <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/moteur-de-recherche/segments/chronique/352292/intelligence-artificielle-agents-conversation-virtuelle-avancees">détectent les émotions</a>, ainsi que sur les limites et les enjeux entourant l’usage de ce type de procédés.</p>
<p>Les technologies numériques sont pilotées par des entreprises qui, comme <a href="https://time.com/5209144/google-search-engine-algorithm-bias-racism/">Google, cherchent à restreindre les réglementations et à miser plutôt sur certaines normes éthiques plus flexibles et non contraignantes</a>. Si nous ne remettons pas le développement technologique au cœur de débats plus larges sur le respect des droits de la personne et les enjeux démocratiques, la somme des dommages des technologies de l’IA deviendra supérieure à ses multiples avantages.</p>
<p>Actuellement, l’absence de consultation, de participation et d’échanges sur notre présent et notre avenir numérique ne permet pas d’inscrire l’IA dans les principes de justice sociale et de justice politique. En effet, comme le dit le sociologue <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/utopies_reelles-9782707191076">Éric Olin Wright</a>, « dans une société socialement juste, l’ensemble des individus disposeraient assez largement d’un accès égal aux moyens matériels et sociaux de vivre une vie épanouissante ». Nous avançons qu’ils doivent aussi disposer d’un accès aux instances de pouvoir afin d’être en mesure de faire des choix éclairés.</p>
<p>En ce sens, selon nous, tout projet technologique doit être vu comme un projet à la fois sociétal, mais aussi politique. Certaines décisions représentent des choix de société et ne peuvent pas être laissées sous la seule responsabilité du secteur privé. Or, fonder la décision sur une poignée d’experts qui « eux seuls savent » n’invite pas à prendre part à la discussion.</p>
<h2>L’urgence de… ralentir</h2>
<p>Comme le rappelle la sociologue <a href="https://www.coredem.info/IMG/pdf/pass11_an-2.pdf">Alex Haché</a>, « nous sommes tous experts dans notre propre relation avec les technologies, nous pouvons donc tous jouer à les analyser pour les réinventer ». C’est ainsi qu’il convient de s’intéresser à d’autres manières de faire pour reprendre le contrôle de nos destinées numériques.</p>
<p>Globalement, il ne s’agit pas tant de savoir s’il faut plus d’IA, moins d’IA ou même si c’était mieux avant. Personne n’est contre le progrès tant qu’on ne s’emploie pas à le définir ou à en dessiner les contours. Exiger la participation et la contribution des citoyens au débat de société, sans d’abord leur laisser la possibilité de se représenter dans cet écosystème technologique ou de déterminer les problèmes auxquels ils font face, s’inscrit dans l’injonction au progrès dont nous parlions précédemment.</p>
<p>Il est en effet souhaitable de décider collectivement des domaines d’application de l’IA et des limites sociétales à imposer pour ne pas empiéter sur un certain nombre de droits de la personne. Il est également requis de réfléchir collégialement à sa mise en œuvre pour tendre vers l’équité et la justice sociale. Il faut contrer cette obligation de prendre le virage numérique à tout prix et à toute vitesse, afin d’éviter la sortie de route. S’il y a une urgence, c’est celle de ralentir et de faire émerger des conditions favorables à la participation des citoyens. Ainsi, il sera possible de trouver des réponses inclusives à des problématiques numériques qui demeurent avant tout sociales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160579/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Karine Gentelet est membre d'Amnistie internationale Canada francophone.
Les travaux de la Chaire dont K. Gentelet est la titulaire sont soutenus financièrement par la fondation Abéona, la fondation de l'École normale supérieure (ENS), l'Université Laval et l'Observatoire international des impacts sociétaux de l'IA et du numérique (OBVIA)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sandrine Lambert a reçu une bourse de doctorat du Programme de bourses d'études supérieures du Canada Joseph-Armand-Bombardier - CRSH.</span></em></p>Les développements de l’intelligence artificielle doivent être pensés avant tout comme des projets de société justes, inclusifs et démocratiques.Karine Gentelet, Professeure et titulaire de la Chaire Abeona-ENS-OBVIA en intelligence artificielle et justice sociale, Université du Québec en Outaouais (UQO)Sandrine Lambert, Candidate au doctorat en anthropologie, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1595532021-04-26T17:33:19Z2021-04-26T17:33:19ZBonnes feuilles : « Racisme, antisémitisme, antiracisme. Apologie pour la recherche »<p><em>Les sujets de dissension ne manquent pas dans la recherche et les sciences sociales, alors que la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, a évoqué récemment « l’islamo-gauchisme qui gangrène la société dans son ensemble », précisant que « l’université n’y est pas imperméable ». Provoquant aussitôt de vives réactions.</em></p>
<p><em>Dans son dernier ouvrage publié sous la forme d’un rapport, intitulé « Racisme, antisémitisme, antiracisme. Apologie pour la recherche » (La Boite à Pandore), le sociologue Michel Wieviorka répond à la ministre à sa manière et propose des pistes de réflexion pour aller plus loin.</em></p>
<p><em>Dans cet extrait que nous vous présentons, il revient sur l’origine des notions de « racisme » et d’« antisémitisme » et sur le mouvement des idées entre les États-Unis et la France.</em></p>
<hr>
<p>Si l’imaginaire de la race est ancien, les mots de « racisme » et « raciste » datent pour la France du tournant des années 1900, et leur usage s’est considérablement étendu dans les années 1930. Le terme d’« antisémitisme », popularisé sinon forgé par le journaliste Wilhelm Marr, date de 1881. Autant dire que le combat contre le racisme et l’antisémitisme stricto sensu est lui-même relativement récent, même s’il a lui aussi ses engagements avant la lettre, ses précurseurs et sa préhistoire.</p>
<p>Les doctrines et les idéologies racistes se parent de la science, et une immense littérature en retrace l’émergence et l’impact – ce n’est pas l’objet ici. Elles ont circulé dans le monde entier, à partir de l’Occident et plus spécialement de l’Europe, tout en s’adaptant aux spécificités nationales. Les contester a longtemps été un effort dominé par la raison, en même temps souvent que par des appels à la justice et à des convictions religieuses ou morales.</p>
<p>Et pendant longtemps, par conséquent, les termes et les enjeux du conflit avec elles, aussi difficile à mener qu’il puisse avoir été, étaient clairs. À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, on était dreyfusard, ou antidreyfusard s’il s’agissait des Juifs. On acceptait les idéologies et les préjugés qui visaient les Noirs, les Arabes et autres supposées « races », ou on était révulsé.</p>
<p>Le débat public a commencé à véritablement s’animer, bien au-delà de la sphère scientifique, sur fond de colonialisme et de poussée des nationalismes dès le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle, et a connu en Europe un véritable âge d’or dans l’entre-deux-guerres.</p>
<p>Les « races » étaient alors décrites en termes biologiques, de nature. La couleur de la peau, la forme du crâne, la chevelure, les lèvres et autres attributs physiques définissaient les individus membres d’une « race », à partir de quoi il en était inféré des caractéristiques intellectuelles ou morales justifiant le mépris, la haine, la peur, mais aussi fondant l’exploitation ou l’exclusion.</p>
<p>L’antiracisme, au sens large, incluant la lutte contre l’antisémitisme, était l’action pour la vérité scientifique et la raison, mais aussi pour la justice et l’humanité ; il constituait une variante des valeurs universelles. Contre les préjugés, les stéréotypes, les rumeurs, contre la ségrégation et la discrimination ; contre les idéologies politiques fondées sur l’idée d’une race supérieure. Tout ceci est très documenté.</p>
<p>Mais tout ceci a assez largement vécu, même si le racisme et l’antisémitisme classiques ont de beaux restes, perceptibles, par exemple, quand un joueur noir de football se fait accueillir dans un stade par des cris de singe, ou quand Christiane Taubira, ministre de la Justice, est comparée elle aussi à un singe en Une de Minute, l’hebdomadaire d’extrême droite, le 13 novembre 2013 – mélange de racisme, et de sexisme.</p>
<h2>Les prolégomènes d’une métamorphose</h2>
<p>Si l’on considère la recherche en sciences sociales, deux étapes ont précédé la phase actuelle de métamorphose du racisme et du combat antiraciste. Elles sont inaugurées dès la fin des années 1960, l’une et l’autre aux États-Unis, pour parvenir beaucoup plus tardivement en Europe.</p>
<p>La première fait suite au mouvement pour les droits civiques, et au sentiment, très vif parmi les plus actifs des militants noirs américains, qu’il faut passer à une nouvelle étape. Stokely Carmichael et Charles Hamilton sont ainsi parmi les premiers à décrire le racisme « institutionnel ». Leur analyse, dans le livre <em>Black Power</em> (1967), repose sur un constat : dans bien des situations, personne n’est explicitement raciste, mais les Noirs continuent d’être ségrégés et discriminés, dans l’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement, à la santé, par la justice, le système carcéral, la police, bref, le racisme se perpétue en procédant de mécanismes qui jouent sans que ceux qui en bénéficient en aient apparemment conscience.</p>
<p>La structure, le système sont racistes, mais il n’y a pas d’acteurs pour l’être explicitement. On parlera aussi de racisme indirect ou systémique, et finalement de racisme d’État, une expression que ceux qui l’emploient aujourd’hui en France justifient, comme Louis-Georges Tin, président du CRAN de 2011 à 2017, en évoquant (sur Sputnik France, le 10 juin 2020) « un système qui protège ceux qui sont racistes » ou l’historienne Ludivine Bantigny en parlant des contrôles au faciès ou de la façon dont sont traités les exilés à Calais (entretien de Bantigny dans l’Express, le 8 mars 2021)</p>
<p>[…]</p>
<p>Vers la fin des années 1970, un deuxième constat était proposé, toujours aux États-Unis, au départ par des psychologues politiques : le racisme, à les suivre, devenait non plus tant biologique, physique, en tout cas dans les discours explicites, que culturel. Les Noirs, maintenant, étaient visés parce qu’ils étaient supposés ne pas vouloir ni pouvoir s’adapter au credo américain – la réussite par le travail, la famille. Dans l’Amérique qui s’apprêtait à élire le très libéral Ronald Reagan, la désindustrialisation affectait notamment des métropoles du nord des États-Unis où les Noirs étaient dès le début du XX<sup>e</sup> siècle venus du Sud en grand nombre fournir une main-d’œuvre abondante et bon marché. Ceux qui se retrouvaient au chômage étaient maintenant accusés de préférer l’aide sociale au travail, et de ne pas respecter le modèle américain de la famille.</p>
<p>Ce racisme était dit « culturel » ; il demandait qu’on ne considère plus les Noirs comme des êtres inférieurs qu’on peut surexploiter, mais comme des individus différents, inadaptés, inassimilables, et inutiles à la vie sociale. Ce « néo-racisme » était, a-t-on dit, « différentialiste », ses cibles étaient avant tout tenues pour une menace pesant sur l’intégrité morale et culturelle de la Nation. Il a vite gagné le Royaume-Uni de Margaret Thatcher, puis toute l’Europe, les philosophes Étienne Balibar et Pierre-André Taguieff ont été parmi les premiers à en rendre compte pour la France.</p>
<p>Ainsi, le mouvement des idées, s’il s’agit de la recherche à propos du racisme, s’est donc alors opéré principalement, et nettement depuis les États-Unis vers l’Europe, et donc la France, avec un relais décisif au Royaume-Uni. À l’époque, cela ne dérangeait guère les quelques chercheurs qui, en France, s’intéressaient à ces questions – il ne serait venu à personne l’idée de leur reprocher d’importer des catégories américaines et donc de contribuer à l’américanisation de leur pays. Ce type de critique prospère aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159553/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans son dernier ouvrage, Michel Wieviorka revient sur la polémique à l’université suite aux déclarations de la ministre Frédérique Vidal sur « l’islamo-gauchisme ».Michel Wieviorka, Sociologue, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1588482021-04-13T19:31:00Z2021-04-13T19:31:00Z« La Chronique des Bridgerton » : voir ou ne pas voir les couleurs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/394821/original/file-20210413-19-1hdq3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C1599%2C1061&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Phoebe Dynevor,et Regé-Jean Page dans La Chronique des Bridgerton. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie-23886/photos/detail/?cmediafile=21769546">Liam Daniel/Netflix</a></span></figcaption></figure><p>Depuis sa sortie le 25 décembre 2020 sur la plate-forme Netflix, la série <em>La Chronique des Bridgerton</em> connaît un indéniable succès, tempéré par quelques réserves face à ce que certains jugent comme une bluette superficielle…</p>
<p>Série américaine qui fait revivre un pan de l’histoire de la société britannique au temps de la Régence (au tout début du XIX<sup>e</sup> siècle), elle s’inscrit dans la veine des romans de Jane Austen, ainsi que dans la ligne des séries « en costume » à succès, comme <em>Downton Abbey</em>. Elle présente en effet le destin de deux familles de l’aristocratie britannique de l’époque, les Bridgerton et les Featherington, autour de la vie des enfants (notamment l’aînée des filles Bridgerton, Daphne), et de l’entourage de ces familles, avec la reconstitution des bals fastueux qui étaient donnés à l’occasion de la « saison » de présentation des jeunes filles à marier dans la bonne société de l’époque.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/q4HW2CVtEq8?wmode=transparent&start=1" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Lors du visionnage du premier épisode, où l’on découvre les membres de ces deux familles, assorties d’une mystérieuse voix off omnisciente, celle d’une certaine Lady Whistledown, l’étonnement s’empare du spectateur : hormis les membres de ces familles, parfaitement « blancs » comme on pourrait s’y attendre, tous les personnages qui les environnent, à tous les niveaux sociaux, apparaissent racialement divers, à commencer par la reine Charlotte, à la carnation très brune, sous le casque formé par une chevelure complexe… Même impression de mélange racial à l’arrivée de deux nouveaux personnages, une lointaine jeune cousine d’allure métissée dans la famille des Featherington et un jeune homme, Simon Basset, manifestement lui aussi « de couleur », le jeune duc de Hastings (interprété par l’acteur d’origine zimbabwéenne René-Jean Page), qui va être amené à jouer un rôle majeur dans la chronique, car faux prétendant de la jeune Daphne, jusqu’à ce que l’amour, comme dans une pièce de Marivaux, fasse valoir ses droits…</p>
<p>Afin d’éclairer le choix de ce casting uchronique, il convient d’abord d’examiner les conditions de production de l’œuvre, et par là les intentions de ses concepteurs, puis d’interroger les modalités de sa réception, tant aux États-Unis qu’en France.</p>
<h2>Production et conception de la série</h2>
<p><em>La Chronique des Bridgerton</em> est une adaptation de la collection éponyme signée Julia Quinn, une des reines des romans historiques à l’eau de rose. Elle est produite par Shonda Rhimes, qui a créé les séries à succès <em>Grey’s Anatomy</em>, <em>Private Practice</em> et <em>Scandal</em>. Elle-même Afro-Américaine, surnommée « the queen of television », elle est à la tête de l’importante société de production Shondaland, connue comme étant un employeur « inclusif » créant des univers à forte diversité ethnique. Elle a choisi pour ce faire le <em>showrunner</em> Chris Van Dusen, qui avait lui-même déjà travaillé pour les séries à succès de Shonda Rhimes. C’est donc lui qui a développé l’uchronie constitutive de la série.</p>
<p>Celle-ci prend comme point de départ une période très précise de l’histoire de la Grande-Bretagne, celle dite de la Régence, lorsque le roi Gorges III est atteint de maladie mentale et que le Royaume est confié à son fils, le futur Georges IV. Mais celui-ci n’apparaît pas dans la série : c’est sa mère, la reine Charlotte, qui est portée au premier plan (interprétée par l’actrice d’origine guyanaise Golda Rosheuvel). Et c’est ce personnage qui va être le point d’accroche de l’uchronie. Chris Van Dusen utilise en fait un mythe historique, <a href="https://island1.uncc.edu/islandora/object/etd%3A362">selon lequel la reine Charlotte aurait eu une lointaine origine africaine</a>, par l’intermédiaire d’une aïeule portugaise, Margarita de Sousa y Castro.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/394856/original/file-20210413-13-rd5ttz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/394856/original/file-20210413-13-rd5ttz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/394856/original/file-20210413-13-rd5ttz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/394856/original/file-20210413-13-rd5ttz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/394856/original/file-20210413-13-rd5ttz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/394856/original/file-20210413-13-rd5ttz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/394856/original/file-20210413-13-rd5ttz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La reine Charlotte, d’après un portrait d’Allen Ramsay, XVIIIᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Charlotte_of_Mecklenburg-Strelitz_-_1760-1800-crop.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le débat sur cette origine s’est surtout développé aux États-Unis, puisqu’il figure au centre des enjeux mémoriels dans la ville la plus importante de Caroline du Nord, Charlotte (nommée au XVIII<sup>e</sup> siècle du nom de la reine). Ces affrontements mémoriels, liés à l’importance démographique des Afro-Américains dans l’histoire de la ville, s’y sont développés depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle. </p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/394819/original/file-20210413-13-we01rw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/394819/original/file-20210413-13-we01rw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=935&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/394819/original/file-20210413-13-we01rw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=935&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/394819/original/file-20210413-13-we01rw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=935&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/394819/original/file-20210413-13-we01rw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1175&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/394819/original/file-20210413-13-we01rw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1175&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/394819/original/file-20210413-13-we01rw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1175&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La reine Charlotte par Thomas Gainsborough, 1781.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/24/Queen-Charlotte-Thomas-Gainsborough.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ils se centrent sur un certain nombre de <a href="https://www.drouot.com/lot/publicShow/1869171">portraits de la reine</a>, dont beaucoup présentent effectivement une apparence physique qui évoque irrésistiblement un certain type de métissage (peau claire et traits du visage rappelant une origine africaine), ainsi que sur quelques notations de l’époque qui la décrivent comme une « mulâtresse » (même si d’autres portraits soulignent aussi une peau très pâle et des yeux bleus). Quoiqu’il en soit, l’occasion était belle de développer, à partir ce mythe, une narration laissant entendre que la reine aurait utilisé son statut pour métisser la société anglaise.</p>
<p>D’où la volonté de mettre en place un casting inclusif, afin de représenter la société dans sa diversité actuelle. Il ne s’agit pas là de la première tentative de donner des rôles de personnages blancs à des acteurs « noirs ». </p>
<p>On peut se rappeler le film de Kenneth Branagh qui avait adapté la pièce de Shakespeare <em>Beaucoup de bruit pour rien</em>, où Denzel Washington tenait le rôle du prince Don Pedro d’Aragon (1993). Plus récemment, la comédie musicale <em>Hamilton</em>, du Porto-Ricain Lin-Maniel Miranda, qui raconte l’histoire d’Alexander Hamilton, l’un des Pères fondateurs de la nation américaine, a également donné lieu à un casting inclusif.</p>
<p>Mais l’originalité de <em>La Chronique des Bridgerton</em> est d’avoir intégré ce choix de casting dans la fabrique même de l’œuvre, en s’appuyant sur une histoire alternative, dont l’une des clefs est donnée, de manière très discrète, au milieu de la série, lors d’une conversation entre Lady Danbury (dont le rôle est tenu par l’actrice ghanéenne Adjoa Andoh), l’une des grandes ordonnatrices des événements mondains, et son protégé Simon, duc de Hastings : </p>
<blockquote>
<p>« Nous étions deux sociétés séparées divisées par la couleur jusqu’à ce qu’un roi tombe amoureux de l’une d’entre nous. Amour, Votre Grâce, conquiert tout… » </p>
</blockquote>
<p>Loin donc, selon les concepteurs, d’une vision dite « daltonienne » qui serait aveugle à la couleur, il s’agit, selon les termes mêmes de Chris van Dusen, de <a href="https://www.express.co.uk/showbiz/tv-radio/1404404/Bridgerton-cast-not-revisionist-history-representation-Netflix-series-Simone-Ashley">mieux refléter la société contemporaine</a>, dans toute la palette de sa diversité.</p>
<h2>La réception de la série, des États-Unis à la France</h2>
<p>Ce discours s’inscrit en effet dans une opposition, importante dans les représentations idéologisées de la race aux États-Unis, entre la conscience de la couleur (<em>color consciousness</em>) et la cécité à la couleur (<em>color blindness</em>), aveuglement auquel est souvent appliqué le qualificatif de « daltonien ». Il apparaît dans ces conditions comme une tentative d’échapper à l’accusation d’oublier la race, charge qui peut se révéler redoutable dans une société américaine obsédée par la couleur et animée par la volonté de tout voir à travers le prisme racial. Ainsi la formule <em>color blind</em>, qui fut arborée autrefois par les libéraux antiracistes est-elle aujourd’hui taxée de racisme déguisé.</p>
<p>En témoigne le <a href="https://www.nytimes.com/2020/07/08/arts/television/hamilton-colorblind-casting.html">débat qui s’est ouvert</a> dans le sillage de la comédie musicale <em>Hamilton</em>, où des artistes « de couleur » incarnent des personnages ayant une autre origine raciale que la leur : pour certains, les efforts les mieux intentionnés peuvent être attentatoires à la diversité. Bien qu’égalitaire en théorie, le casting « daltonien » serait en pratique trop souvent utilisé pour exclure les artistes de couleur, en se libérant de toute responsabilité en la matière. De plus cette critique part du présupposé que tout choix d’un interprète dans le rôle d’une « race » autre que la sienne le fait entrer dans une expérience vécue qu’il ne peut véritablement incarner (notamment lorsqu’un blanc tient le rôle d’une personne de couleur : ce choix s’apparenterait finalement à ce genre aujourd’hui disparu mais encore présent dans la mémoire collective américaine, les <em>minstrel shows</em>, à laquelle appartient le désormais célèbre <em>blackface</em>).</p>
<p>Même en sens inverse (lorsque des acteurs « de couleur » interprètent des rôles où est plutôt attendu un personnage blanc et qu’il s’agit de mettre en avant des comédiens qui ne seraient autrement pas recrutés), ledit casting « daltonien » pourrait introduire un autre type de cécité… Les productions désireuses de subvertir un récit avec des rôles traditionnellement dévolus à des personnages blancs par le recours à des acteurs « de couleur » risqueraient en effet de ne pas reconsidérer le récit historique que devrait impliquer le changement de casting et par là d’effacer l’identité des personnages réinventés (notamment leur rapport mémoriel à l’esclavage), en considérant au bout du compte que les identités ne valent rien et que toutes les expériences sont transférables…</p>
<p>Qu’en est-il de ces arguments (très américains) <a href="https://www.thewrap.com/bridgerton-colorblind-cast-queen-charlotte-black-mixed-race/">contre la <em>color blindness</em></a> lorsque la série débarque sur les écrans français ? Deux types de réactions se profilent, <a href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie-23886/critiques/">telles qu’on peut les saisir sur un site d’actualité cinématographique</a>.</p>
<p>D’un côté, ceux qui ne supportent pas ce type de « révisionnisme » historique en matière de représentations du passé : </p>
<blockquote>
<p>« Ça ne passe pas… Londres au début du XIX<sup>e</sup> siècle, une reine et des aristocrates noirs, ce n’est pas possible, je n’arrive pas a entrer dans cette histoire […] Je ne sais pas s’il y a un message dans le choix du casting, mais j’avoue ne pas l’avoir trouvé. Mon imagination n’est sans doute pas assez puissante pour faire abstraction du contexte historique […] À cette époque les gens de couleur étaient cantonnés aux rôle de domestiques en Angleterre, ou à celui d’esclaves. C’est horrible, injuste, mais on ne peut pas gommer les erreurs de l’histoire. »</p>
</blockquote>
<p>Ou bien : </p>
<blockquote>
<p>« Le politiquement correct a encore frappé. Des acteurs de couleur pour incarner des aristocrates anglais du début du XIX<sup>e</sup> siècle ! »</p>
</blockquote>
<p>De l’autre, ceux qui n’hésitent pas à s’armer d’une bonne dose de suspension d’incrédulité : « L’anachronisme de la série ne me dérange pas personnellement puisque c’est volontaire ». Ou bien : </p>
<blockquote>
<p>« Après 30 minutes de curiosité diluée d’une petite dose de malaise quant au fait que les couleurs de peau d’une reine, d’un duc soient rarement noires en réalité dans la même époque, j’ai fini par saisir le message de Shonda Rhimes. Et il est fort […]. Le résultat dans cette uchronie est beau, humainement parlant et artistiquement parlant. »</p>
</blockquote>
<p>Quoiqu’en dise Chris van Dusen, qui se garantit par là d’éventuelles critiques, et même si l’on sait que son choix de casting découle d’un impératif de <em>color consciousness</em>, la réception de l’œuvre échappe en partie aux intentions de son créateur. D’autant que les précautions que le « politiquement correct » lié à la <em>color consciousness</em> voudrait imposer à la série sont peu suivies : allusion minimale à une ancienne séparation des êtres en fonction de leur couleur de peau, absence totale de ressentiment mémoriel et d’affirmation identitaire fondée sur la « race » dans le discours et les actes des personnages… </p>
<p>Surtout en France, où le rapport à la race est <a href="https://www.grasset.fr/livres/autoportrait-en-noir-et-blanc-9782246825586">très différent de celui des États-Unis</a>. Et le spectateur français (en particulier lorsqu’il est pénétré de convictions antiracistes universalistes), confronté à une fiction où le jeu de l’art avec le réel permet de s’affranchir de l’obsession des apparences physiques et des origines, voit s’ouvrir devant lui un monde enchanté où le critère de race n’est pas opérant, où la couleur de la peau ne sert plus à séparer les individus, bref, comble du paradoxe, un monde <em>color blind</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158848/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Luc Bonniol ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment interpréter le casting multiracial de la série, qui décrit une cour britannique imaginaire à l’époque de la Régence ?Jean-Luc Bonniol, Professeur émérite d’anthropologie , Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1543592021-02-16T19:26:01Z2021-02-16T19:26:01ZLes insurgés du Capitole ne sont pas les « rednecks » que vous croyez<p>Les images de l’insurrection du Capitole le 6 janvier 2021 ont fait le tour des médias, souvent accompagnées de moqueries visant les trumpistes, présentés comme une foule très majoritairement composée d’hommes blancs, peu éduqués, pauvres et ignorants. Quelques semaines plus tard, pourtant, nous commençons à en savoir un peu plus sur l’identité de bon nombre de ces « patriotes » autoproclamés. Et il apparaît que la réalité est plus contrastée.</p>
<p>Depuis le début de la première campagne de Donald Trump, en 2015, ses sympathisants ont été décrits comme étant, pour la plupart d’entre eux, des <a href="https://nymag.com/intelligencer/2017/03/frank-rich-no-sympathy-for-the-hillbilly.html"><em>hillbillies</em></a>, des <a href="https://www.latimes.com/entertainment-arts/story/2020-11-02/lady-gaga-mocked-for-battleground-voters-video"><em>rednecks</em></a>, ou encore des <a href="https://nypost.com/2016/07/30/why-white-trash-americans-are-flocking-to-donald-trump/"><em>White trash</em></a> – bref, des « bouseux » blancs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"974224019598860288"}"></div></p>
<p>L’attrait exercé par Trump sur cet électorat a été largement attribué à l’angoisse économique : les électeurs blancs de Trump auraient le sentiment d’être délaissés par une économie mondialisée et la désindustrialisation, surtout dans la Rust Belt et aux Appalaches. Même l’ancien <a href="https://www.vox.com/2015/12/22/10636538/obama-trump-theory">président Barack Obama</a> a adopté cette vision.</p>
<p>L’électorat de Trump, ces « personnes déplorables » pour reprendre le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/09/10/97001-20160910FILWWW00075-clinton-juge-les-electeurs-de-trump-deplorables.php">qualificatif que leur a attribué Hillary Clinton</a>, a été ainsi imaginé comme étant quasi uniquement constitué d’<a href="https://www.revuedesdeuxmondes.fr/donald-trump-leader-hommes-blancs-colere/">hommes blancs</a> angoissés par leur avenir économique, stupides et racistes, vêtus de vêtements de chasse et de la fameuse casquette rouge. Bref, des <em>rednecks</em> incorrigibles.</p>
<h2>L’électorat de Donald Trump et l’angoisse économique</h2>
<p>Les profils des insurgés au Capitole et, au-delà, l’analyse des résultats électoraux, ne confirment pas cette vision monolithique de l’électorat Trump.</p>
<p>Parmi les participants à l’action du 6 janvier dont on commence à connaître les noms, il y a eu, par exemple, <a href="https://thehill.com/policy/national-security/534480-texas-woman-who-took-private-jet-to-dc-charged-with-participating-in">Jenna Ryan</a>, agent immobilier texane arrivée à Washington en avion privé. Ou <a href="https://edition.cnn.com/2021/01/07/politics/delegate-derrick-evans-insurrection/index.html">Derrick Evans</a>, élu républicain en Virginie-Occidentale. Ou encore <a href="https://abcnews.go.com/Health/wireStory/capitol-photos-videos-lead-california-doctors-arrest-75351374">Simone Gold</a>, médecin exerçant dans la très cossue ville californienne de Beverly Hills.</p>
<p>On pourrait penser que ces trois profils constituent des exceptions ; il n’en est rien. Bon nombre d’insurgés venaient en effet de banlieues aisées comme le souligne le journaliste Will Bunch, qui n’hésite pas à parler d’« <a href="https://www.inquirer.com/columnists/attytood/capitol-breach-trump-insurrection-impeachment-white-privilege-20210112.html">insurrection de la haute classe moyenne blanche</a> ». Ils ont pu poser des jours de congé au travail, se payer parfois un voyage à travers tout le pays et dormir dans des hôtels – quelque chose d’inimaginable pour les classes populaires <a href="https://time.com/5795651/coronavirus-workers-economy-inequality/">obligées de travailler même malades pendant une pandémie</a>, et qui peinent à <a href="https://apnews.com/article/race-and-ethnicity-hunger-coronavirus-pandemic-4c7f1705c6d8ef5bac241e6cc8e331bb">subvenir à leurs besoins les plus basiques</a>.</p>
<p>Déjà, après l’élection de 2016, une <a href="https://www.prri.org/research/white-working-class-attitudes-economy-trade-immigration-election-donald-trump/">étude</a> avait montré qu’une petite majorité des ouvriers se trouvant dans une situation économique inquiétante avaient, en réalité, plus confiance en Hillary Clinton qu’en Donald Trump pour améliorer leur situation. Cette étude a aussi établi que le premier ressort de la mobilisation politique des classes populaires blanches était lié à leur sentiment d’être culturellement dépassés, notamment par des immigrés : les ouvriers blancs disant se sentir souvent comme des étrangers dans leur propre pays et estimant que les États-Unis doivent être protégés contre l’influence étrangère avaient 3,5 fois plus de chances de voter pour Trump que ceux qui ne partageaient pas ces préoccupations. <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2822059">Une autre étude</a> a montré que les électeurs de Trump ne se souciaient pas autant que prévu des thématiques comme la mondialisation qui mettrait en péril leurs emplois et que, s’ils sont effectivement moins éduqués en moyenne que ceux de Clinton, une bonne partie d’entre eux dispose de revenus assez élevés.</p>
<p>Ce ne sont donc pas uniquement, ni même principalement, des <em>rednecks</em>, des ouvriers désabusés et des pauvres qui soutiennent l’ancien président, mais des <a href="https://www.brookings.edu/research/2020-exit-polls-show-a-scrambling-of-democrats-and-republicans-traditional-bases/">Blancs en général</a> (et d’autres groupes raciaux, mais en moindre mesure) venant de toutes les classes sociales.</p>
<h2>Le rôle de la blanchité</h2>
<p>La <a href="https://books.openedition.org/bibpompidou/1633">blanchité</a> est un concept sociologique qui souligne le traitement envers des personnes à la peau blanche, ou qui passent pour blanches, lors des interactions sociales et de la distribution du pouvoir et de ressources dans la société.</p>
<p>Avec les changements démographiques, les Blancs s’identifient davantage à <a href="https://theconversation.com/le-grand-desarroi-de-la-majorite-blanche-aux-etats-unis-146993">cette identité</a>. Cette identification plus poussée n’est pas nécessairement synonyme de soutien à des groupes radicaux comme les <a href="https://www.nouvelobs.com/l-amerique-selon-trump/20200930.OBS34082/qui-sont-les-proud-boys-ce-groupe-nationaliste-cite-par-trump-lors-du-debat-televise.html"><em>Proud Boys</em></a>, comme le démontre la politologue <a href="https://www.cambridge.org/core/books/white-identity-politics/5C330931FF4CF246FCA043AB14F5C626">Ashley Jardina</a>, mais une forte identification à sa blanchité implique plus de soutien pour Trump, et ce dans toutes les classes sociales.</p>
<p>L’assaut du Capitole est ainsi <a href="https://fivethirtyeight.com/features/storming-the-u-s-capitol-was-about-maintaining-white-power-in-america/">compris</a> par des <a href="https://news.berkeley.edu/2021/01/07/berkeley-scholars-outrage-reflections-on-u-s-capitol-mob-siege/">chercheurs</a> et des <a href="https://time.com/5927848/capitol-protest-activists-trump-arrests-racism/">activistes</a> comme un effort visant à maintenir une <a href="https://theconversation.com/white-supremacists-who-stormed-us-capitol-are-only-the-most-visible-product-of-racism-152295">suprématie blanche</a> menacée par les <a href="https://www.brookings.edu/blog/the-avenue/2018/03/14/the-us-will-become-minority-white-in-2045-census-projects/">changements démographiques</a> et par Joe Biden qui a clairement dit souhaiter promouvoir l’équité raciale.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/U-U05z14Oiw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Cet assaut s’est déroulé, de surcroît, le jour même de la victoire des deux candidats démocrates – un homme noir et un homme juif – aux sénatoriales en <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/jan/13/georgia-election-high-black-voter-turnout-activist-efforts-stacey-abrams">Géorgie</a>, un État connu pour avoir longtemps mis en vigueur diverses pratiques visant à <a href="https://chicago.suntimes.com/columnists/2020/12/14/22175086/georgia-voter-suppression-history-jesse-jackson">empêcher l’électorat noir de voter</a>. Le sentiment de ces Blancs d’avoir été déclassés et oubliés s’est manifesté au Capitole et lors de l’élection de Trump en 2016 ; deux événements que l’angoisse économique ne suffit pas à expliquer.</p>
<p>Par ailleurs, le fait que des Blancs de toutes classes sociales et catégories socioprofessionnelles aient pris part à l’insurrection n’est pas un phénomène nouveau : l’historien Eric Foner <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2021/01/thoroughly-respectable-rioters/617644/">rappelle</a> que le Ku Klux Klan a été fondé par des avocats, des pasteurs, et d’autres personnes dites « respectables ». Donald Trump a, lui aussi, utilisé cette idée de respectabilité, notamment en août 2017 après les manifestations violentes à Charlottesville de suprémacistes blancs, quand il a estimé qu’il y avait parmi ces derniers des « <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/l-amerique-selon-trump/20170816.OBS3404/volte-face-de-trump-sur-charlottesville-il-y-avait-des-gens-tres-bien-des-deux-cotes.html">gens très bien</a> ». Le 6 janvier, il a également assuré « <a href="https://www.liberation.fr/planete/2021/01/06/invasion-du-capitole-le-bien-tardif-go-home-de-trump_1810539">aimer</a> » les envahisseurs du Capitole et « comprendre leur douleur » (due au fait qu’on leur aurait « volé l’élection »).</p>
<p>C’est l’une des explications du fait que, au Capitole, la police n’a <a href="https://www.journaldemontreal.com/2021/01/10/police-de-washington-dc-cinq-fois-plus-darrestations-lors-de-blm-que-de-lemeute-au-capitole">pas agi avec autant de détermination</a> que pour disperser les manifestations tenues dans le cadre du mouvement Black Lives Matter : ces « gens très bien » aiment la police, d’après leur slogan <a href="https://www.motherjones.com/politics/2021/01/the-mob-at-the-capitol-proves-that-blue-lives-have-never-mattered-to-trump-supporters/"><em>Blue Lives Matter</em></a> (les vies des policiers comptent), et une partie inquiétante des forces de l’ordre est composée de trumpistes et de <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2020/aug/27/white-supremacists-militias-infiltrate-us-police-report">suprémacistes avérés</a>, dont plusieurs, n’étant pas en service, étaient d’ailleurs <a href="https://www.npr.org/2021/01/15/956896923/police-officers-across-nation-face-federal-charges-for-involvement-in-capitol-ri">présents</a> lors de l’insurrection.</p>
<h2>Le détournement et la réappropriation du terme redneck</h2>
<p>Si le <a href="https://theconversation.com/le-trumpisme-un-courant-qui-est-la-pour-durer-dans-le-paysage-politique-americain-149506">trumpisme</a> est un phénomène nouveau, l’utilisation du terme <em>redneck</em> à des fins discriminatoires ne l’est guère.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YB-4ULSRCtU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’usage le plus commun de <em>redneck</em> provient du XIX<sup>e</sup> siècle, la formule désignant un travailleur blanc au cou rougi par le soleil – <em>red neck</em> donc. La connotation se rapproche de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/white-trash"><em>White trash</em></a>, un terme stigmatisant les Blancs pauvres, employé par l’élite blanche et des personnes noires dès ses premières occurrences. L’utilité d’un tel mot a été de racialiser les Blancs pauvres : pour reprendre l’explication de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2009-2-page-79.htm">Sylvie Laurent</a>, les <em>rednecks</em> et les <em>White trash</em> sont « la personnification honteuse des échecs impensables d’une population “racialement” destinée à prospérer ». La blanchité étant antithétique de la pauvreté, les Blancs pauvres doivent donc appartenir à une race à part.</p>
<p>Racialiser ainsi les Blancs pauvres sert à diviser les classes populaires et à briser toute coopération interraciale. Comme l’a expliqué W. E. B. DuBois en <a href="https://www.zinnedproject.org/materials/black-reconstruction-america/">1935</a>, le « salaire psychologique » de la blanchité récompense même des ouvriers mal payés par des privilèges raciaux ; c’est pourquoi les Blancs de toutes les classes sociales s’identifient à leur blanchité plutôt qu’à leur classe sociale. Dans le contexte de l’insurrection et de l’élection de Trump, présenter ses supporters comme étant uniquement des Blancs ouvriers nie le réel pouvoir de la blanchité et d’autres facteurs explicatifs du trumpisme.</p>
<p>Face à une telle manipulation classiste, certains <em>rednecks</em> cherchent à se réapproprier ce terme. L’un des usages de <em>redneck</em> provient du début du XX<sup>e</sup> siècle dans les mines, notamment en Virginie-Occidentale lors de la grève à Blair Mountain où les travailleurs portaient des <a href="https://www.jstor.org/stable/25474784 ?seq=1">bandanas rouges</a> autour du cou pour signaler leur appartenance au mouvement ouvrier. Ce mouvement s’est confronté à la police, loyale au patronat.</p>
<p>La couleur rouge du bandana a aussi permis aux détracteurs du mouvement de traiter les ouvriers de communistes, une accusation dangereuse pendant le <a href="https://tpemaccarthysme.wordpress.com/origines-de-la-peur-rouge/">premier <em>Red Scare</em></a> aux États-Unis. Pendant cette période, le <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctvwh8d12.9 ?seq=1">communisme</a> a notamment été <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01419870.2017.1409900 ?journalCode=rers20">racialisé</a>, présenté comme une idée venant d’un Autre, non blanc. La couleur rouge était associée non seulement à l’Armée rouge de l’URSS, mais aussi à la « sauvagerie » historiquement présumée des Amérindiens.</p>
<p>Par ailleurs, le patronat des mines cherchait à diviser les mineurs par la ségrégation des logements sur site, disposés selon des critères ethno-raciaux, et les ouvriers blancs se sont opposés parfois à l’embauche des mineurs immigrés ou noirs. Cependant, le <em>United Mine Workers</em>, le syndicat derrière la grève de Blair Mountain, a su mobiliser des ouvriers blancs, noirs, et de diverses origines nationales avec ce bandana rouge. Être <em>redneck</em> a donc historiquement eu le pouvoir de rassembler les ouvriers, et non pas les diviser malgré son autre usage.</p>
<p>Au vu de cette histoire, certains mouvements tels que <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2017/jul/11/redneck-revolt-guns-anti-racism-fascism-far-left"><em>Redneck Revolt</em></a> ou encore <a href="https://www.wbur.org/hereandnow/2020/07/27/rednecks-for-black-lives"><em>Rednecks for Black Lives</em></a> cherchent à faire revivre une solidarité antiraciste qui refuse la caricature selon laquelle les ouvriers blancs seraient automatiquement des racistes ou encore des électeurs de Trump.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iwqBXUb1TdE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’insurrection devrait représenter la fin de l’hypothèse attribuant avant tout le vote Trump à l’angoisse économique et conférer une place plus importante, dans la recherche d’explications au phénomène trumpiste, à d’autres pistes telles que la blanchité, le complotisme QAnon, ou l’évangélisme. Ce qui est certain, c’est que la tendance politique ne <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/01/25/trump-departs-his-extremes-live-state-gops/">disparaîtra pas</a>, même si Trump n’est plus à la Maison-Blanche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154359/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolle Herzog ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les insurgés du Capitole et, au-delà, les électeurs de Donald Trump, ne sont pas seulement mus par une angoisse économique mais aussi par la crainte d’un déclassement social, politique et culturel.Nicolle Herzog, ATER en études américaines à l'Université de Tours, doctorante, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1524352021-01-29T13:23:30Z2021-01-29T13:23:30Z« Ma mère ne savait pas s’occuper de mes cheveux » : transmissions et identité raciale dans les familles mixtes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377979/original/file-20210111-19-1fbozjc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C48%2C1911%2C1215&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le corps et plus encore la coiffure des plus jeunes sont sources de questionnements identitaires au sein de nombreuses familles mixtes. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1410733 ">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article a été publié dans la newsletter « Les couleurs du racisme », nouveau rendez-vous mensuel pour analyser les mécanismes de nos préjugés raciaux et leurs reproductions. <a href="https://mailchi.mp/1a0eb7b6f069/the-conversation-france">S'inscrire.</a></em></p>
<p>Dimanche, fin de matinée. La fin du mois de février approche et j’ai rendez-vous chez Solkem B. et Thierry F*., pour mener l’un des 91 entretiens réalisés dans le cadre de mon <a href="https://www.theses.fr/2019IEPP0025">travail de thèse</a>.</p>
<p>Solkem, 40 ans, est contrôleuse de gestion. Née au Tchad de parents tchadiens qui ont émigré en France, elle a grandi dans une ville populaire de la petite couronne. Thierry, 47 ans, ingénieur, vient quant à lui « du fin fond de l’Auvergne », d’une ville moyenne où résident toujours ses parents (qui n’ont pas d’ascendance migratoire connue et appartiennent à la population majoritaire blanche) et où « il n’y a pas beaucoup de noirs ». Le couple a deux enfants, Alexandra et Sean, de 11 et 9 ans respectivement.</p>
<p>La famille habite une zone pavillonnaire d’une ville moyenne de la grande banlieue francilienne. Lorsque j’arrive, l’atmosphère est détendue : la télévision est allumée sur un programme de dessins animés, Thierry est installé dans un fauteuil et lit le journal tandis que sa compagne est occupée à tresser les cheveux de leur fille Alexandra et que Sean joue à l’étage.</p>
<p>Les cheveux d’Alexandra, très frisés, lui tombent jusqu’en bas du dos. Pendant toute la durée de l’entretien, Solkem démêle, peigne et tresse les cheveux de sa fille, d’un geste à la fois machinal et précis qui signale la grande habitude.</p>
<p>Elle me précise qu’elle commence généralement à coiffer sa fille tôt dans la matinée le dimanche, pour avoir le temps de finir les tresses avant l’heure du coucher. En grandissant, Alexandra a aussi pris le coup de main : pour aller plus vite, sa mère s’occupe du départ des tresses en haut du crâne et, arrivées à hauteur de la mâchoire, c’est Alexandra qui prend le relais et finit la tresse.</p>
<p>Pendant de longues heures le dimanche, mère et fille partagent ce moment, comme Solkem le faisait avec sa mère et sa sœur lorsqu’elle était jeune.</p>
<blockquote>
<p>« On était trois filles, donc ma mère, ma sœur et moi, on s’est toujours tressées entre nous, moi je n’ai jamais mis un pied chez un coiffeur », m’explique-t-elle en riant.</p>
</blockquote>
<p>Si elle « met un point d’honneur à transmettre » le soin des cheveux et de la peau (« Crème, crème, crème ! Tu ne peux pas sortir de la douche sans te crémer […] ça c’est ma lutte ! ») à ses enfants, c’est que pour elle :</p>
<blockquote>
<p>« C’est une vraie question, c’est un vrai enjeu, c’est une vraie différence […] et du coup faut que ce soit bien fait. »</p>
</blockquote>
<h2>Les cheveux, puissant marqueur racial</h2>
<p>Le soin du cheveu et les différents styles de coiffures propres aux cheveux afros ont été diversement investis de <a href="https://laviedesidees.fr/La-coupe-afro-une-simple-histoire-de-cheveux.html">significations culturelles et politiques au cours de l’histoire</a>, se révélant centraux dans la formation des identités noires – féminines en particulier.</p>
<p>Les cheveux cristallisent les imaginaires coloniaux, les enjeux de hiérarchisation coloriste des féminités désirables (plus on est claire et plus les cheveux sont lisses, mieux c’est) et, par conséquent, les enjeux de lutte et de résistance aux normes de beauté hégémoniques.</p>
<p>Ils sont ainsi un puissant marqueur racial. Dès lors, selon la chercheuse <a href="https://www.bloomsburycollections.com/book/mixed-race-post-race-gender-new-ethnicities-and-cultural-practices/title-pages">Suki Ali</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les cheveux ne concernent pas seulement l’apparence ; il s’agit de valeurs, de filiation et de culture. »</p>
</blockquote>
<p>En cela, il n’est pas étonnant qu’ils puissent être investis par les parents de fortes significations et que leur soin soit un enjeu de la <a href="https://www.scienceshumaines.com/qu-est-ce-que-la-socialisation_fr_39333.html">socialisation</a> des enfants.</p>
<h2>Des pratiques quotidiennes racialisées</h2>
<p>En ce sens, les interactions ayant trait au soin du cheveu et à la coiffure représentent en effet des instances privilégiées pour l’étude de la <a href="https://laviedesidees.fr/Race-et-socialisation.html">socialisation raciale</a>, y compris dans ses dimensions émotionnelles et psychologiques, dans la mesure où <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1037/h0080398">l’expérience du coiffage</a> contribue au développement de la personnalité, mais aussi du genre, de l’identité raciale et de l’estime de soi de l’enfant coiffé.</p>
<p>La transmission des savoirs en ce qui concerne le soin des cheveux, et du corps en général, fait ainsi partie des pratiques quotidiennes qui peuvent se voir racialisées, dès lors qu’elles touchent aux marqueurs mêmes d’une racialisation qui reste encore largement incorporée – c’est-à-dire littéralement inscrite dans les corps.</p>
<p>Dans cette perspective, si, pour Solkem B., le coiffage fait partie des savoirs multigénérationnels qu’elle a elle-même hérités d’une pratique familiale et qu’elle transmet spontanément à sa fille, il en va souvent différemment dans les cas où les mères – à qui incombent encore très largement le soin des enfants et les diverses tâches du <em>care</em> familial – élèvent des enfants avec qui elles ne partagent pas le même statut racialisé.</p>
<p>Dans un contexte où les pratiques du soin sont fortement racialisées, la mixité intrafamiliale vient potentiellement complexifier – sinon perturber – l’évidence de la transmission.</p>
<h2>Des réseaux autonomes d’échanges et de savoir-faire</h2>
<p>Au sujet du soin de la peau et des cheveux, on trouve ainsi en ligne profusion de forums, blogs ou sites Internet tenus par des mères blanches d’enfants issus d’unions mixtes, qui s’échangent conseils et techniques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376571/original/file-20201223-21-ay9703.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376571/original/file-20201223-21-ay9703.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376571/original/file-20201223-21-ay9703.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376571/original/file-20201223-21-ay9703.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376571/original/file-20201223-21-ay9703.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376571/original/file-20201223-21-ay9703.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376571/original/file-20201223-21-ay9703.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Site MagicMaman.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Chose intéressante, ces pratiques de partage et d’échange entre mère d’enfants « métis » semblent se dérouler de manière relativement autonome vis-à-vis de la profusion de ressources et d’espaces d’échanges virtuels au sujet des cheveux de manière générale : les mères blanches en couple mixte développent ainsi leurs propres espaces, voire leur propre expertise.</p>
<p>Elles rejoignent ici les mères blanches adoptives d’enfants non blancs, qui ont une pratique similaire en termes de développement de contenus numériques spécifiques, y compris sur les questions de coiffure et de soin.</p>
<p>On peut proposer plusieurs hypothèses pour expliquer le fait que des réseaux autonomes se développent, alors qu’existent déjà de très nombreuses sources disponibles sur le sujet, initiées et alimentées par des femmes afrodescendantes elles-mêmes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376572/original/file-20201223-19-hwpkii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376572/original/file-20201223-19-hwpkii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376572/original/file-20201223-19-hwpkii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376572/original/file-20201223-19-hwpkii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376572/original/file-20201223-19-hwpkii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376572/original/file-20201223-19-hwpkii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376572/original/file-20201223-19-hwpkii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La transmission des savoirs en ce qui concerne le soin des cheveux, et du corps en général, fait partie des pratiques quotidiennes qui peuvent se voir racialisées.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1550921">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On peut d’abord supposer que les ressources et tutoriels disponibles, parce qu’ils sont le plus souvent pensés à la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=YzRNYC9AcEQ">première personne</a>, supposent une base minimale de familiarité avec les cheveux texturés que n’ont pas les personnes de la population majoritaire, ce qui suppose ainsi pour elles un coût d’apprentissage trop élevé.</p>
<p>Une autre hypothèse permettrait d’expliquer une possible non-attractivité des sites et contenus développés par les femmes afrodescendantes pour le public des mères blanches en couple mixte ou des mères blanches adoptives, en raison d’écart dans les dispositions et/ou références culturelles mobilisables.</p>
<p>On peut aussi imaginer, enfin, qu’il s’agit là d’une pratique distinctive, au sens <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html">bourdieusien</a> du terme, qui relève à la fois de logiques de classe et de racialisation, les mères blanches développant ainsi leur propre contenu, selon leurs codes et leurs références (qui sont inévitablement dépendants de leurs propres positions de classe et de race dans l’espace social).</p>
<p>La répartition très genrée des pratiques du soin dans l’ensemble de la population impliquant que c’est presque toujours aux mères qu’incombe le soin des cheveux, quelles que soient leurs compétences en la matière, cette tâche est donc très rarement prise en charge par les pères dans les couples mixtes, quand bien même ils sont le parent racialement minoritaire, certainement plus à même d’assurer cette transmission.</p>
<h2>La mère « agent socialisateur »</h2>
<p>C’est ce qu’explique Solkem B. en entretien, selon qui le genre du parent minoritaire dans le couple mixte influence grandement le contenu des transmissions effectuées, notamment au sujet du soin. Pour elle, « quand la maman est blanche […] y’a une transmission qui est différente ». Ses propos mettent ainsi en lumière la manière dont genre et racialisation s’articulent de manière complexe dans les couples mixtes.</p>
<p>Pour elle, qui tient à ce que sa fille garde ses cheveux naturels et ne les défrise pas, l’identité raciale de la mère au sein des couples mixtes et les compétences particulières qu’elle y associe risquent d’influencer le rapport des enfants à leurs cheveux, voire plus généralement à leur propre identité raciale.</p>
<p>D’ailleurs, Solkem évoque aussi en entretien le rôle que sa propre mère joue auprès de sa fille, en tant que figure de référence participant aussi à sa socialisation. En riant, elle me dit par exemple, au sujet des jouets que la grand-mère offre à Alexandra :</p>
<blockquote>
<p>« Mais ma mère c’est inconcevable qu’elle achète une poupée blanche à sa petite-fille. Donc ses poupées sont… […] il fallait qu’elle ait des poupées noires, de toute façon. »</p>
</blockquote>
<p>Plusieurs travaux ont montré, en sociologie, <a href="https://www.persee.fr/doc/caf_1149-1590_2001_num_64_1_947">l’importance des jouets dans les socialisations de classe et de genre</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/376573/original/file-20201223-57963-18y74e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Pourpée marque Corolle" src="https://images.theconversation.com/files/376573/original/file-20201223-57963-18y74e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376573/original/file-20201223-57963-18y74e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376573/original/file-20201223-57963-18y74e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376573/original/file-20201223-57963-18y74e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376573/original/file-20201223-57963-18y74e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376573/original/file-20201223-57963-18y74e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376573/original/file-20201223-57963-18y74e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les jouets façonnent les représentations enfantines. Poupée « frisée » Pauline, de la marque Corolle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.corolle.com/poupee-ma-corolle-pauline-cheveux-frises-1632.html?gclid=CjwKCAiA8ov_BRAoEiwAOZogwWIN0ZW1zYJRZl0j-6i1ZS2rOl_j1k3IMzLGffrAzyasPjaABl6XlxoC9QIQAvD_BwE#full_dsec_product">Corolle</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au sujet des poupées en particulier a par exemple été soulignée la manière dont elles jouent un rôle central dans <a href="https://www.cairn.info/petites-filles-d-aujourd-hui--9782746712294.htm">l’incorporation du féminin</a> chez les petites filles.</p>
<p>Toutefois, dans ces travaux, la dimension raciale des poupées est laissée de côté. Pourtant, si les poupées façonnent un modèle normé de féminité et l’intériorisation de normes esthétiques particulières, cela se fait aussi toujours de manière racialisée – que la poupée soit blanche ou non.</p>
<p>En cela, les jouets et la manière dont ils façonnent les représentations enfantines et leur intériorisation des rôles sociaux participent d’une socialisation qui s’opère elle-même selon des lignes racialisées.</p>
<p>Dans le court-métrage d’animation américain <em>Hair Love</em>, cette transmission par la mère est mise en question à travers l’investissement tardif d’un père qui comprend qu’il ne sait pas comment s’y prendre avec les cheveux de sa fille.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kNw8V_Fkw28?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>« T’as des cheveux de Noire, arrête avec L’Oréal »</h2>
<p>Si la problématique des cheveux et du soin des peaux métissées s’est révélée fréquente dans les entretiens avec des couples mixtes qui impliquaient un parent racialisé comme noir, elle concernait aussi d’autres mixités.</p>
<p>Par exemple, Lilya T., 26 ans, issu d’un couple mixte franco-algérien, raconte une expérience de socialisation qui fait directement écho aux propos de Solkem. Lilya a des cheveux frisés très longs et volumineux, d’une couleur naturellement blond-doré. En entretien, elle confie que cette coiffure est toutefois relativement récente :</p>
<blockquote>
<p>« Je n’ai pas toujours eu ces cheveux-là. Ben, le truc à la con : ma mère est blanche avec des cheveux de blancs, mon père c’était un garçon donc il ne va pas s’occuper d’une petite fille, ça lui est déjà arrivé de me faire des tresses mais… Tu vois, par exemple, ma mère elle ne savait pas s’occuper de mes cheveux, et des trucs à la con, moi j’ai toujours tourné au L’Oréal, nanana, jusqu’au jour où je suis arrivée chez une coiffeuse… Mais j’avais quasiment 20 ans ! La meuf m’a regardée et m’a dit : “Mais tu mets quoi dans tes cheveux ?” Et c’était une tismé tu vois. “Mais tu mets quoi dans tes cheveux ?” “Ben ça, ça, ça, ça.” “Mais t’as pas compris, ma chérie. T’es de quelle origine ?” Elle, elle m’a posé la question direct. “Ouais, voilà, t’as des cheveux de noire, arrête, arrête avec L’Oréal, toi il te faut du karité, quoi.” Et voilà, c’est le genre de trucs où ma mère, voilà quoi… »</p>
</blockquote>
<p>En l’absence d’une transmission adéquate de la part de sa mère, la capacité de Lilya à connaître et à prendre soin de ses propres cheveux a été tardive et il a fallu qu’une coiffeuse, elle-même issue d’un couple mixte, assure l’apprentissage qui ne lui a pas été légué.</p>
<p>Notons toutefois que, dans les couples mixtes, au contraire des familles adoptives par exemple, la famille élargie peut constituer un espace de ressources. Certaines mères rencontrées racontent par exemple pouvoir compter sur l’entourage ou la belle-famille pour tresser leurs filles, même si elles-mêmes ne savent pas le faire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un père coiffant son enfant. Photo d’illustration." src="https://images.theconversation.com/files/376581/original/file-20201223-21-130n3n4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376581/original/file-20201223-21-130n3n4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376581/original/file-20201223-21-130n3n4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376581/original/file-20201223-21-130n3n4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376581/original/file-20201223-21-130n3n4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376581/original/file-20201223-21-130n3n4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376581/original/file-20201223-21-130n3n4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La socialisation raciale est influencée par le genre et la position raciale des parents (ou autres figures de référence). Photo d’illustration.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/homme-etre-assis-coiffure-enfant-4260100/">pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y a aussi des exceptions : Marwan K., l’un des parents interrogés (50 ans, enseignant, né en France de parents algériens), raconte en entretien que son fils, victime de racisme à cause de ses cheveux très bouclés, a eu longtemps du mal à les assumer.</p>
<p>Marwan dit avoir alors demandé à l’une de ses amies de lui donner des ressources sur le soin du cheveu et sa dimension politique pour les transmettre à son fils :</p>
<blockquote>
<p>« Elle m’avait passé à la fois cette documentation politique, et en même temps plein de trucs bios, pour ses cheveux, enfin une sorte de valorisation du cheveu bouclé. »</p>
</blockquote>
<p>Mais la transmission père/fils, si elle trouble en partie le rapport genré dominant mis au jour en ce qui concerne les pratiques du soin, passe néanmoins une nouvelle fois par l’intermédiaire d’une figure féminine.</p>
<h2>Intimités de genre, de race, de classe</h2>
<p>Les pratiques de socialisation raciale qui prennent place dans les familles sont ainsi genrées à un double niveau. Elles le sont dans un premier temps dans la mesure où l’éducation et le soin apportés aux enfants, qui participent de cette socialisation, sont très largement dévolus aux mères.</p>
<p>Mais elles le sont également en ce qu’elles se révèlent, en particulier dans les attentions au soin détaillées ici, intimement liées à la construction d’un sens de la féminité et de la masculinité. En cela, les pratiques de socialisation raciale participent également d’une <a href="https://www-cairn-info.acces-distant.sciencespo.fr/sociologie-des-enfants--9782707187864-page-89.htm">socialisation de genre</a>.</p>
<p>Il est évidemment symptomatique que ce soient les cheveux des filles qui cristallisent de nombreux enjeux et que c’est à elles que l’on considère le plus essentiel de transmettre certains éléments du soin de soi.</p>
<p>La socialisation raciale est donc influencée par le genre et la position raciale des parents (ou autres figures de référence), et elle opère également différemment selon le genre des socialisés, c’est-à-dire ici, selon que l’enfant est une fille ou un garçon. En retour, cela rend donc visible que les socialisations de genre sont toujours racialisées : le sens de la masculinité et de la féminité se construit en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09540250303859">contexte</a>, c’est-à-dire à partir de référents particuliers qui sont eux-mêmes racialisés – et classés.</p>
<p>À ce titre, les processus de socialisation travaillent à façonner les corps – et les façonnent tout à la fois comme corps genrés, racialisés et classés.</p>
<p>Dans le cas des couples mixtes, dans lesquels parents et enfants ne partagent pas la même position racialisée, le genre du parent non blanc risque d’influencer à la fois la manière dont les transmissions s’opèrent ou non et le contenu même des socialisations.</p>
<p>Pour les filles comme pour les garçons, il est ainsi probable que grandir et construire un sens de sa propre féminité ou sa propre masculinité selon que c’est le père ou la mère qui est racialement minoritaire ne produisent pas les mêmes effets dans la formation d’un sens de soi à la fois genré et racialisé.</p>
<hr>
<p><em>* tous les prénoms et noms ont été modifiés pour conserver l’anonymat des personnes.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152435/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>La thèse de Solène Brun a été financée sous la forme d'un contrat doctoral de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (Sciences Po Paris). </span></em></p>Les interactions intrafamiliales ayant trait au soin du cheveu et à la coiffure représentent des instances privilégiées pour l’étude de la socialisation raciale des enfants.Solène Brun, Sociologue, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1529552021-01-21T21:21:16Z2021-01-21T21:21:16ZDes milliers de Brésiliens élus en tant que Noirs en 2020 se sont déjà présentés aux élections en tant que Blancs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379798/original/file-20210120-21-1v2ak80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le fait que les politiciens brésiliens se soient mis à revendiquer leurs racines noires éveille le scepticisme des électeurs afro-brésiliens.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/illustration/white-black-head-silhouettes-royalty-free-illustration/1169752988?adppopup=true">Dimitrii_Guzhanin/Getty</a></span></figcaption></figure><p>Le Brésil vit une étrange heure de vérité après les <a href="https://www1.folha.uol.com.br/poder/2020/09/chegam-a-42-mil-os-candidatos-que-mudaram-declaracao-de-cor-para-eleicao-deste-ano.shtml">révélations fracassantes</a> selon lesquelles des milliers de politiciens d’expérience ont changé de race entre les élections de 2016 et celles de 2020.</p>
<p>Les Afro-Brésiliens — une catégorie qui comprend les Noirs et les Métis — constituent 56 % de la population brésilienne, mais seulement 43 % des élus. Ainsi, lorsque près de 29 000 candidats afro-brésiliens sont entrés en fonction dans les conseils municipaux ou les mairies le 1<sup>er</sup> janvier après avoir remporté l’élection de novembre dernier, les personnes de couleur ont célébré la <a href="https://theconversation.com/my-vote-will-be-black-a-wave-of-afro-brazilian-women-ran-for-office-in-2020-but-found-glass-ceiling-hard-to-break-150521">hausse de leur représentation politique</a>.</p>
<p>Toutefois, le paysage politique brésilien n’est peut-être pas aussi diversifié que les statistiques officielles ne le laissent croire.</p>
<p>Plus de 42 000 politiciens expérimentés qui se sont portés candidats aux élections de 2020 ont changé leur déclaration de race depuis leur dernière campagne, possiblement pour avoir accès à de nouveaux financements de campagne destinés aux candidats noirs.</p>
<p>Sur les 28 764 élus qui se sont déclarés afro-brésiliens l’an dernier, 16 % — soit 4 580 personnes — avaient affirmé appartenir à une autre race lorsqu’ils s’étaient présentés aux élections de 2016, d’après les données du Tribunal supérieur électoral du Brésil. Presque tous s’étaient auparavant enregistrés comme Blancs, selon mon analyse des changements de race chez les politiciens brésiliens. Les données analysées n’incluent pas les candidats qui se présentaient pour la première fois, dont l’identification raciale n’avait pas été enregistrée avant.</p>
<p>Les Brésiliens ont été scandalisés d’apprendre que tant de politiciens d’expérience avaient décidé de se porter candidats en tant que Noirs. Les électeurs noirs se demandent si les législateurs comprennent réellement leur expérience en tant que majorité marginalisée et s’ils défendent leurs besoins dans les coulisses du pouvoir.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/377242/original/file-20210105-15-12nupui.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/377242/original/file-20210105-15-12nupui.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377242/original/file-20210105-15-12nupui.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377242/original/file-20210105-15-12nupui.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377242/original/file-20210105-15-12nupui.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377242/original/file-20210105-15-12nupui.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377242/original/file-20210105-15-12nupui.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377242/original/file-20210105-15-12nupui.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des habitants de Rio de Janeiro font la queue pour voter pour le conseil municipal et la mairie le 29 novembre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/voters-wearing-protective-masks-crowd-in-lines-ignoring-the-news-photo/1229856395?adppopup=true">Bruna Prado/Getty Images</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Politique et inégalité raciale</h2>
<p>Comme aux États-Unis et dans bien des pays occidentaux, les non-Blancs <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/racisme-au-bresil-aussi-la-violence-policiere-contre-les-noirs-est-endemique">ont plus de risques d’être tués par des policiers</a> et de <a href="https://theconversation.com/covid-19-is-deadlier-for-black-brazilians-a-legacy-of-structural-racism-that-dates-back-to-slavery-139430">mourir de la Covid-19</a> que les Blancs au Brésil. Ils ont également un résultat plus faible que les Blancs pour pratiquement tous les indicateurs objectifs de bien-être, du niveau d’éducation au revenu.</p>
<p>Les militants afro-brésiliens ont exigé des élus qu’ils s’attaquent à ces inégalités raciales persistantes, avec un succès limité. Le pays dispose de quelques <a href="https://noticias.uol.com.br/confere/ultimas-noticias/eder-content/2018/08/24/bolsonaro-promete-reduzir-cotas-para-universidades-e-concursos.htm">programmes fédéraux de discrimination positive et de justice raciale</a>.</p>
<p>Mais le président du pays, Jair Bolsonaro, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/pour-bolsonaro-le-racisme-est-une-chose-rare-au-bresil-20190508">s’est engagé à éliminer</a> ces quelques actions en faveur de l’égalité. Son administration affirme que le Brésil est une « démocratie raciale », une société sans racisme ni discrimination.</p>
<p>Dans le cadre de mes recherches sur la <a href="https://scholar.google.com/citations?user=_IawDsAAAAAJ&hl=en">représentation politique des Afro-Brésiliens</a>, j’ai découvert que beaucoup de gens considéraient que la vie des communautés de couleur s’améliorerait si davantage d’Afro-Brésiliens étaient au pouvoir.</p>
<p>J’ai interviewé des militants, des politiciens et des électeurs brésiliens en 2016 et en 2018. Beaucoup ont déclaré que les législateurs afro-brésiliens défendaient les intérêts des non-Blancs et donnaient la priorité à leurs besoins. Ils ont souligné les actions de politiciens comme Marielle Franco, conseillère municipale de Rio de Janeiro, <a href="https://theconversation.com/echoing-marielle-franco-brazils-black-women-speak-out-against-violence-93993">qui a critiqué ouvertement la violence policière</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/03/16/l-assassinat-a-rio-d-une-militante-denoncant-les-violences-policieres-emeut-le-bresil_5271895_3222.html">a été assassinée en mars 2018</a>.</p>
<p>Il existe des preuves pour étayer cette croyance. Mes recherches montrent que les législateurs afro-brésiliens se comportent effectivement différemment de leurs collègues blancs. Au Congrès, ils sont plus susceptibles de présenter des lois qui célèbrent l’identité noire, comme l’instauration d’une <a href="https://www.brasildefato.com.br/2020/11/20/el-dia-de-la-conciencia-negra-marca-la-larga-lucha-antirracista-en-brasil">journée nationale de la conscience noire</a>, et de proposer des projets de loi qui visent à lutter contre les disparités et la discrimination raciales.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/377243/original/file-20210105-21-1tsvobx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Group of mostly Black senators listen to a speaker" src="https://images.theconversation.com/files/377243/original/file-20210105-21-1tsvobx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377243/original/file-20210105-21-1tsvobx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377243/original/file-20210105-21-1tsvobx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377243/original/file-20210105-21-1tsvobx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377243/original/file-20210105-21-1tsvobx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377243/original/file-20210105-21-1tsvobx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377243/original/file-20210105-21-1tsvobx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des sénateurs brésiliens commémorent la Journée de la conscience noire le 20 novembre 2016 ; elle est devenue une fête nationale en 2011.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/partidodostrabalhadores/30407433203/">Lula Marques/Agência PT</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>« Je connais la position des Noirs dans ce pays », a déclaré Benedita da Silva, première femme noire membre du Congrès brésilien, <a href="https://www.nytimes.com/1987/02/19/world/rio-journal-one-woman-s-mission-to-make-brasilia-sensitive.html">dans une entrevue accordée au <em>New York Times</em></a> en 1987 à la suite de sa victoire électorale. « J’ai la responsabilité de m’exprimer sur les sujets que je connais — contre la discrimination raciale. »</p>
<p>Les 4 580 nouveaux législateurs afro-brésiliens qui sont entrés en fonction le 1<sup>er</sup> janvier après des années ou une vie complète vécue en tant que Blancs n’ont peut-être pas la même compréhension de l’identité noire ou ne ressentent pas la même responsabilité envers les communautés afro-brésiliennes.</p>
<h2>Race, possibilités et authenticité</h2>
<p>Paradoxalement, c’est sans doute une initiative en faveur de l’égalité des races qui a contribué au scandale politique du changement de race au Brésil.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/377255/original/file-20210105-21-1akywug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/377255/original/file-20210105-21-1akywug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377255/original/file-20210105-21-1akywug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377255/original/file-20210105-21-1akywug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377255/original/file-20210105-21-1akywug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377255/original/file-20210105-21-1akywug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377255/original/file-20210105-21-1akywug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377255/original/file-20210105-21-1akywug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">João Ferreira Neto s’est présenté à la mairie de São João de Meriti en 2020 en tant que Métis. En 2016, il s’était déclaré Blanc.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.camara.leg.br/internet/deputado/bandep/178940.jpgmaior.jpg">Camara deputados do Brasil</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En septembre 2020, la <a href="https://www1.folha.uol.com.br/poder/2020/09/lewandowski-regulamenta-cota-financeira-de-negros-e-permite-concentracao-de-verba-em-poucos-candidatos.shtml">plus haute cour électorale du Brésil a décidé</a> que chaque parti politique devait répartir les ressources de campagne qu’il reçoit du gouvernement proportionnellement entre ses candidats blancs et non blancs, ce qui constitue une victoire majeure pour le mouvement de la conscience noire du pays. On présume que beaucoup de politiciens qui ont changé de race ont adopté des identités non blanches de manière opportuniste, pour obtenir ces ressources.</p>
<p>Certains politiciens qui s’identifient désormais comme afro-brésiliens rejettent cette idée, prétendant qu’ils embrassent enfin leur appartenance noire. Dans un pays où le fait d’être noir est un élément de stigmatisation, on sait que de nombreux Brésiliens ont affirmé être membres de catégories raciales qui subissent moins de préjudices lorsque cela leur était possible.</p>
<p>Ainsi, Moema Gramacho, mairesse de la ville de Lauro de Freitas dans le nord-est du pays, a indiqué vouloir <a href="https://www1.folha.uol.com.br/poder/2020/09/ao-menos-21-mil-candidatos-mudaram-declaracao-de-cor-para-eleicao-de-2020.shtml">« retrouver son identité »</a> en changeant sa déclaration de 2016 où elle se disait Métisse pour inscrire Noire en 2020. « C’était une question d’affirmation de soi », a-t-elle confié au journal <em>Folha de São Paulo</em>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/377233/original/file-20210105-19-2vtw6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/377233/original/file-20210105-19-2vtw6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377233/original/file-20210105-19-2vtw6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377233/original/file-20210105-19-2vtw6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377233/original/file-20210105-19-2vtw6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377233/original/file-20210105-19-2vtw6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377233/original/file-20210105-19-2vtw6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377233/original/file-20210105-19-2vtw6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Moema Gramacho, du Parti des travailleurs, qui se situe à gauche, s’est déclarée Noire lorsqu’elle s’est présentée à la mairie en 2020, mais s’était déclarée Métisse quand elle s’était portée candidate au Congrès du Brésil.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d1/CDH_-_Comiss%C3%A3o_de_Direitos_Humanos_e_Legisla%C3%A7%C3%A3o_Participativa_%2826492865413%29.jpg">Senado Federal/Comissão de Direitos Humanos e Legislação Participativa</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les données du recensement montrent que de plus en plus de Brésiliens passent du blanc au noir, une tendance attribuée à l’augmentation du niveau <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/world-politics/article/racial-reclassification-and-political-identity-formation/F75B004EC1CA61E8D4206024C4F36BA1">d’éducation et de conscience raciale</a> au cours des dernières décennies.</p>
<p>Mais de nombreux Brésiliens considèrent comme <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2020/12/08/thousands-brazilian-candidates-switched-racial-identities-this-year/">suspect</a> le fait que tous ces politiciens redécouvrent leur appartenance raciale maintenant.</p>
<p>« Jusqu’à tout récemment, personne ne voulait être noir », a affirmé Lívia Zaruty, une personnalité noire des médias sociaux, dans une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4kJB5RsIRGY&t=18s">vidéo YouTube</a> très regardée, en faisant référence à Gramacho. Maintenant qu’il y a un avantage financier, les gens pensent « Ah, je vais retrouver mes racines. »</p>
<p>Sur le papier, la fonction publique brésilienne compte aujourd’hui plus de gens qui déclarent être afro-brésiliens que jamais. Dans les faits, cette nation majoritairement noire se demande si elle a réellement fait un pas vers l’égalité raciale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152955/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andrew Janusz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les Noirs au Brésil ont connu une hausse de leur représentation politique lors des dernières élections. Mais le paysage politique n’est pas aussi diversifié que les statistiques ne le laissent croire.Andrew Janusz, Assistant Professor of Political Science, University of FloridaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1531442021-01-15T16:00:38Z2021-01-15T16:00:38Z« Bridgerton » sur Netflix : un portrait romancé de l’Angleterre à l’aube de la modernité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379054/original/file-20210115-23-105j8cd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Chronique des Bridgerton nous raconte les amours et le mariage de Daphné Bridgerton avec Simon Basset, Duc de Hastings.</span> <span class="attribution"><span class="source">( Liam Daniel/Netflix)</span></span></figcaption></figure><p><em>La Chronique des Bridgerton</em>, la nouvelle série romantique de huit épisodes lancée le jour de Noël sur Netflix, <a href="https://variety.com/2021/tv/news/bridgerton-netflix-viewership-1234878404/">se retrouve déjà en tête du classement dans plus de 75 pays.</a></p>
<p>Inspiré de la collection de romans d’amour de l’auteure américaine <a href="https://juliaquinn.com/">Julia Quinn</a>, ce drame d’époque se déroule en Angleterre au début du 19e siècle. Aux mains de la productrice <a href="https://www.forbes.com/sites/dbloom/2021/01/05/netflix-has-another-hit-in-shonda-rhimes-smashing-bridgerton-debut/?sh=34a422ff5cc9">Shonda Rhimes</a>, déjà connue grâce au succès de son émission télévisée <em>Grey’s Anatomy</em>, et en <a href="https://www.shondaland.com/inspire/a34860495/bridgerton-showrunner-chris-van-dusen/">collaboration avec l’auteur Chris van Dusen</a>, <em>La Chronique des Bridgerton</em> repousse les limites dans sa représentation des <a href="https://www.nbcnews.com/think/opinion/netflix-s-bridgerton-shonda-rhimes-reinvents-how-present-race-period-ncna1251989">races</a>, des <a href="https://metro.co.uk/2020/12/23/bridgerton-netflix-cast-empowering-sex-scenes-13740922/">genres</a> et <a href="https://www.insider.com/bridgerton-rape-scene-criticism-julia-quinn-2020-12">du rapport entre pouvoir et consentement</a>.</p>
<p>La série nous raconte les amours et le mariage de Daphné Bridgerton avec Simon Basset, Duc de Hastings, et les conséquences de leur relation sur leurs familles, leurs amis, les colporteurs de potins et les sympathisants qui papillonnent autour d’eux.</p>
<p>Des acteurs noirs tiennent la vedette dans des rôles principaux, en particulier <a href="https://www.imdb.com/name/nm2074546/">Regé-Jean Page</a> dans le rôle du Duc de Hastings, ainsi que <a href="https://www.imdb.com/name/nm0742929/">Golda Rosheuvel</a> qui incarne la reine d’Angleterre.</p>
<p>Le scénario <a href="https://www.washingtonpost.com/history/2020/12/27/bridgerton-queen-charlotte-black-royals">soulève un débat sur la possibilité d’une ascendance africaine de la famille royale</a>, tout en passant complètement à côté des horreurs colonialistes, de la pauvreté et du racisme, alors que ces éléments étaient centraux à l’époque, et perdurent à la nôtre, comme je l’explique dans mon livre, <a href="https://wwnorton.com/books/The-Regency-Years/"><em>The Regency Years, During Which Jane Austen Writes, Napoleon Fights, Byron Makes Love, and Britain Becomes Modern</em></a>.</p>
<p>Résultat : <em>La Chronique des Bridgerton</em> est une fantaisie profondément séduisante (<a href="https://www.refinery29.com/en-ca/2020/12/10244470/bridgerton-review-blackness-representation">certains commentateurs noirs ont suggéré qu’elle plairait tout particulièrement à un public blanc…</a>) où l’on nous présente une société sans racisme, élégante et passionnée. Dans la diversité de son casting, elle nous propose de <a href="https://www.vogue.co.uk/arts-and-lifestyle/article/inclusive-casting">nouvelles pistes pour remettre en cause des scénarios eurocentriques et ceux qui en profitent</a>.</p>
<p>Mais l’émission ne nous dit pas grand-chose sur la réalité de l’Angleterre en 1813 : c’est plutôt un conte de fées qui, à certains niveaux, abolit les préjugés raciaux, genrés, ou sexuels. Elle est à mi-chemin entre une romance à l’eau de rose et un appel à l’action.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sIsKen3y-mU?wmode=transparent&start=1" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La bande-annonce de <em>La Chronique des Bridgerton</em>.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un temps fort de l’histoire</h2>
<p>1813 fait partie de l’époque de la Régence, c’est-à-dire la période comprise entre février 1811 et janvier 1820. Il s’agit peut-être de la décennie la plus spectaculaire de toute l’histoire britannique, et elle signale l’aube des temps modernes.</p>
<p>On pense souvent à la Régence en <a href="https://www.britannica.com/art/Regency-style">termes de meubles, d’art, d’architecture et de mode</a>. Mais il s’agit à l’origine d’une <a href="https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/regent">notion politique</a> utilisée lorsqu’une personne de substitution est nommée afin de gérer les affaires de l’état durant la jeunesse d’un souverain, l’absence du souverain, ou encore son incapacité. Il y a eu quantité de régences à l’échelle des monarchies de la planète : l’Angleterre, à elle seule, en a connu plus d’une douzaine.</p>
<p>Cependant, la plus célèbre est <a href="https://www.vulture.com/article/bridgerton-recap-season-1-episode-4-an-affair-of-honor.html">celle qui sert de toile de fond à Bridgerton, au moment où la démence du roi George III atteint son paroxysme</a>, ce qui ouvre le chemin à la mise en régence de son fils aîné, George le débauché, prince de Galles, jusqu’à la mort de George III, lorsque le régent deviendra roi sous le nom de George IV.</p>
<p>Ce fut pour l’Angleterre une période marquée par des événements majeurs, comme la <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/war-of-1812">guerre de 1812</a>,les <a href="https://www.historic-uk.com/HistoryUK/HistoryofBritain/The-Luddites/">émeutes des Luddites</a> et le <a href="https://www.historic-uk.com/HistoryUK/HistoryofEngland/Peterloo-Massacre/">massacre de Peterloo</a> durant lequel 11 manifestants ont été massacrés à Manchester alors <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2019/aug/16/the-peterloo-massacre-what-was-it-and-what-did-it-mean#:%7E:text=Why%20is%20Peterloo%20important%3F,of%20the%20north%20of%20England.">qu’ils réclamaient des réformes politiques et le droit de vote</a>.</p>
<p>Plus importante encore fut la victoire de l’Angleterre et de ses alliés sur Napoléon lors de la <a href="https://www.history.com/topics/british-history/battle-of-waterloo">bataille de Waterloo en juin 1815</a>.</p>
<p>Ce fut aussi une époque de création artistique et littéraire : c’est alors que Jane Austen publia six de ses romans d’amour et de mariage, dont <a href="https://www.ool.co.uk/blog/29th-january-1813-publication-pride-prejudice/#:%7E:text=Jane%20Austen%E2%80%99s%20most%20well%20known,on%20the%2029th%20January%201813"><em>Orgueil et préjugés</em> paru en 1813</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un portait posthume du Major Général Sir Isaac Brock, parJohn Wycliffe Lowes Forster, circa. 1883. Brock périt le 13 octobre 1813 lors de la bataille de Niagara Queenston Heights, bataille critique de la guerre de 1812 qui défendait les intérêts britanniques au Canada.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Rêves de liberté, adoption du consumérisme et du <a href="https://muse.jhu.edu/article/621777/summary">culte des célébrités</a>, <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/social-science-history/article/abs/petitioners-and-rebels-petitioning-for-parliamentary-reform-in-regency-england/ADA610BC6EA4CED1132AE8F0D5EA1647">manifestations de masse en faveur de la justice sociale</a>, réponses complexes à <a href="https://www.english-heritage.org.uk/learn/story-of-england/georgians/">l’accélération des avancées scientifiques et techniques</a> : la Régence, c’est à la fois une rupture décisive d’avec le passé, et le commencement d’aspirations démocratiques, commerciales et laïques d’une société opportuniste dans laquelle, pour la première fois, nous pouvons nous reconnaître.</p>
<h2>Passe-temps meurtriers et conquêtes</h2>
<p>Une bonne partie du scénario de <em>Bridgerton</em> est consacrée aux préoccupations, pressions et privilèges de l’aristocratie durant la régence.</p>
<p>Les duels étaient monnaie courante, et quelquefois mortels. Des gens issus de diverses classes sociales se ruaient au théâtre. La société semblait <a href="https://lithub.com/tight-breeches-and-loose-gowns-going-deep-on-the-fashion-of-jane-austen/">obsédée par la mode et l’apparence</a>. <a href="https://www.smithsonianmag.com/history/crockfords-club-how-a-fishmonger-built-a-gambling-hall-and-bankrupted-the-british-aristocracy-148268691/">La manie du jeu</a> était omniprésente. Et le sport faisait partie intégrante de la vie de bien des femmes et des hommes.</p>
<p>Dans la série, le Duc de Hastings se bat fréquemment avec Bill Mondrian, boxeur noir et confident du Duc, dont le personnage s’inspire peut-être de <a href="https://www.blackpast.org/african-american-history/molyneux-thomas-1784-1818/">Thomas Molyneaux</a>, esclave américain affranchi et boxeur professionnel extraordinaire.</p>
<p>La bigoterie était fort répandue sous la Régence et a servi de combustible à la violence et à la cupidité coloniale de la soi-disant « mission civilisatrice » britannique autour de la terre.</p>
<p>C’est en 1807 que l’Angleterre a interdit la traite des esclaves, et que des abolitionnistes comme William Wilberforce et Thomas Clarkson ont travaillé sans relâche afin d’assurer le respect de la nouvelle législation. Et c’est finalement en <a href="https://www.historic-uk.com/HistoryUK/HistoryofBritain/Abolition-Of-Slavery/">1833 que l’abolition de l’esclavage est devenue loi</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=831&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=831&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=831&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1044&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1044&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1044&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Robert Wedderburn, auteur de <em>The Horrors of Slavery</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://100greatblackbritons.com/bios/robert_wedderman.html">Robert Wedderburn</a>, né en Jamaïque et <a href="https://www.ucl.ac.uk/lbs/person/view/2146643591">fils illégitime de Rosanna, une esclave noire africaine et de James Wedderburn</a>, était l’auteur noir le plus important de l’époque.</p>
<p>En pleine période de répression envers les pauvres et les marginaux, Wedderburn a déclaré en 1817 que « la <a href="https://books.google.ca/books?id=ZlgdBQAAQBAJ&pg=PA20&dq=%22making+no+difference+for+colour+or+character%22&hl=en&sa=X&ved=2ahUKEwiFy-32n5LuAhUJh-AKHV8NCVAQ6AEwAnoECAMQAg#v=onepage&q=%22making%20no%20difference%20for%20colour%20or%20character%22&f=false0">terre appartient aux enfants des hommes, peu importe leur couleur ou leur nature</a> ».</p>
<h2>Débauche et sexe sans consentement</h2>
<p>Le sexe était souvent en évidence sous la Régence. Cette époque a vu culminer la <a href="https://books.google.ca/books/about/City_of_Laughter.html ?id=KgaoPwAACAAJ&redir_esc=y">tradition libertine du 1VIII<sup>e</sup> siècle</a> et le dernier hourra des <a href="https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/rake">débauchés – ces hommes qui entretenaient des relations sexuelles avec plusieurs femmes</a>- avant de céder la place à la sobriété et aux mœurs beaucoup plus strictes de l’ère victorienne.</p>
<p><em>Bridgerton</em> présente les conflits sexuels de manière à refléter l’énorme <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo5959533.html">emphase sur la chasteté imposée aux femmes de l’aristocratie</a>. Un fardeau devenu apparent sous la Régence grâce en grande partie aux écrits de Jane Austen et de <a href="https://www.biography.com/writer/mary-shelley">Mary Shelley</a>, entre autres.</p>
<p><a href="https://www.oprahmag.com/entertainment/tv-movies/a35090027/bridgertons-controversial-sex-scene-episode-6/">La scène la plus controversée de <em>Bridgerton</em></a> soulève une question d’actualité. Daphné et son mari, le Duc de Hastings, se livrent à une séance de sexe non consenti, mais l’agresseur, c’est Daphné.</p>
<p>Avant de l’épouser, le Duc avait prévenu Daphné de son incapacité à se reproduire. Mais elle découvre rapidement que le Duc peut, mais ne veut pas. Voulant absolument tomber enceinte, elle se venge. Dans le livre, le Duc est saoul pendant l’amour, mais pas dans la version télévisée.</p>
<p>Ni le roman ni le film n’examinent les implications de ce geste. Mais la question du consentement est mise au premier plan dans les deux cas.</p>
<p>Selon l’auteure canadienne Sharon Bala, « en <a href="https://www.macleans.ca/culture/bridgertons-real-scandal">proposant une vision plus nuancée des événements que celle qui est généralement livrée dans la culture populaire, <em>Bridgerton</em> nous impose un débat sur les zones grises où s’épanouissent tant de véritables interactions</a> ».</p>
<p>Au moment où Meghan Markle (l’épouse du Prince Harry) a dû s’enfuir en Californie à la suite d’une campagne de <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/harry-and-meghan-quit-social-media-w5qrlsck7">harcèlement à connotation raciste et sexuelle</a> (plus de 5000 gazouillis sur Twitter), et des retombées des révélations de #MeToo ainsi que des procès qui continuent de faire les manchettes, <em>Bridgerton</em> soulève des questions assez pointues sur comment nous voulons nous comporter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153144/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Robert Morrison est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.</span></em></p>« Bridgerton » aborde – mais occulte aussi – les tensions sociales, raciales et politiques de l’époque de la Régence en Angleterre, la décennie extraordinaire qui marque l’aube du monde moderne.Robert Morrison, British Academy Global Professor, Queen's University, OntarioLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1493992020-11-05T20:03:56Z2020-11-05T20:03:56Z« Les mots de la science » : R comme race<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/393244/original/file-20210402-13-v1f1hn.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1724%2C8000%2C4383&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">.</span> </figcaption></figure><p>Anthropocène, coronavirus, intelligence artificielle, essentialisation, décroissance… Ce jargon vous dit quelque chose, bien sûr ! Mais nous utilisons parfois, souvent, ces mots sans bien savoir ce qu’ils veulent dire. Dans l’émission <em>Les mots de la science</em>, nous revenons donc sur l’histoire et le sens de ces mots clés avec des chercheuses et chercheurs capables de nous éclairer.</p>
<iframe src="https://player.acast.com/5f63618a37b1a24c4ff25896/episodes/r-comme-race?theme=default&cover=1&latest=1" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
<p><a href="https://open.spotify.com/episode/1PQhq8UlyxW7OyJZYAjCQj?si=UU8tv1LNTve-dF3fO3_HMQ"><img src="https://images.theconversation.com/files/321535/original/file-20200319-22606-1l4copl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1" width="268" height="70"></a>
<a href="https://soundcloud.com/theconversationfrance/r-comme-race"><img src="https://images.theconversation.com/files/359064/original/file-20200921-24-prmcs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on Soundcloud" width="268" height="80"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/r-comme-race/id1532724019?i=1000497226356"><img src="https://images.theconversation.com/files/321534/original/file-20200319-22606-q84y3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=182&fit=crop&dpr=1" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a>
<a href="https://www.deezer.com/en/episode/257156072?utm_campaign=clipboard-generic&utm_source=user_sharing&utm_medium=desktop&utm_content=talk_episode-257156072"><img src="https://images.theconversation.com/files/370281/original/file-20201119-15-jxert0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on Deezer" width="268" height="80"></a></p>
<p>Nous dédions cet épisode à la notion de race, un outil d’analyse critique devenu majeur en sciences sociales, qui suscite de houleux débats tant dans les champs académique que politique. Pour nous expliquer comment ce concept a été façonné et est utilisé, les recherches qui ont pu ainsi être menées en France, mais aussi s’intéresser aux limites du mot, nous accueillons la chercheuse Sarah Mazouz, sociologue au CNRS, rattachée à l’<a href="https://www.college-de-france.fr/site/institut-convergences-migrations/index.htm">Institut Convergences Migrations</a>, également membre de l’initiative interdisciplinaire <a href="https://global-race.site.ined.fr/">« Global Race »</a>. Sarah Mazouz est l’autrice de <em>La République et ses autres. Politiques de l’altérité dans la France des années 2000</em> (ENS-Editions, 2017) et de <em>Race</em> (aux éditions Anamosa, 2020).</p>
<p>Bonne écoute !</p>
<hr>
<p><em>L’émission « Les mots de la science » est animée par Iris Deroeux, journaliste à The Conversation, notamment en charge de la rubrique Fact check US dédiée à la politique américaine.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149399/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Cet épisode est dédié à la notion de race, outil d’analyse critique majeur en sciences sociales, qui suscite de houleux débats.Sarah Mazouz, chargée de recherche au CNRS (CERAPS - Université de Lille, CNRS, Sciences Po Lille), Université de LilleIris Deroeux, journaliste , The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1482802020-10-30T10:32:40Z2020-10-30T10:32:40ZAuto-essentialisation : quand Joséphine Baker retournait le racisme contre elle-même<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/364539/original/file-20201020-13-1jw3ggc.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1272%2C881&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image du film "Princesse Tam Tam", avec Joséphine Baker.</span> <span class="attribution"><span class="source">Youtube</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans le cadre de notre série mensuelle « Les couleurs du racisme », l’historien Erick Cakpo analyse ici un extrait du film Princesse Tam Tam (voir ci-dessous), et met en évidence les stéréotypes racistes qui infusaient le cinéma et le monde du divertissement en général dans les années 1930, tout en s’interrogeant sur la tentative de réappropriation critique par les artistes concerné·e·s, à commencer par Joséphine Baker.</em></p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LdIGlWD9ScQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Dans ce <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LdIGlWD9ScQ&ab_channel=TheStoryBehind">court extrait</a> de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Princesse_Tam_Tam"><em>Princesse Tam Tam</em> (1935)</a>, le réalisateur français <a href="http://cinema.encyclopedie.personnalites.bifi.fr/index.php?pk=10685">Edmond Gréville</a> met en scène l’artiste franco-américaine Joséphine Baker (1906-1975). Au son du tam-tam, des maracas, du gong et du guiro, des instruments symbolisant un certain exotisme, elle exécute, pour un public européen, une danse censée évoquer l’ailleurs lointain. Ne pouvant résister au rythme des instruments, l’actrice se précipite sur scène en se débarrassant de ses vêtements pour se livrer, pieds nus, à des mouvements corporels de pas glissés, de déhanchements, d’ondulations, de sauts qui invitent le spectateur à faire un rapprochement avec les danses africaines, la couleur de peau de Joséphine Baker accentuant fortement cette suggestion.</p>
<p>Cette scène, associée à d’autres comme en particulier la célèbre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=L9jNCm6CVV0">« banana dance »</a> qui colle à la peau de l’actrice, achève de cantonner cette dernière dans un rôle d’incarnation des stéréotypes véhiculés sur le corps de la femme noire, stéréotypes qui ont gouverné l’imaginaire colonial et qui peuvent parfois surgir dans l’actualité relative aux problématiques raciales.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-imaginaires-sexuels-coloniaux-ont-faconne-les-mentalites-des-societes-occidentales-103132">« Les imaginaires sexuels coloniaux ont façonné les mentalités des sociétés occidentales »</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Au lieu de se défaire du regard érotisé et sauvage porté par les Européens sur la femme noire à son époque, Joséphine Baker semble se jouer des stéréotypes et parvenir à se les approprier dans un jeu de paradoxes oscillant entre acceptation et détournement des représentations imaginaires européennes.</p>
<h2>Une auto-essentialisation assumée ?</h2>
<p>La carrière de danseuse de Joséphine Baker est le lieu où l’actrice exprime de manière probante ce rapport paradoxal aux stéréotypes. En exhibant à travers la danse un corps érotisé et en assumant des gestes reçus comme « sauvages », elle a construit sa carrière artistique autour de ce qu’elle représente et ce qu’elle est : une femme noire incarnant les stéréotypes véhiculés à cette époque en Europe. Cette démarche <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/le-journal-de-la-philo-du-mardi-17-septembre-2019">d’auto-essentialisation</a>, c’est-à-dire la tendance de l’actrice à se réduire elle-même à l’idée stéréotypée que l’on se fait de la femme noire et de son corps, traduit la volonté de Joséphine Baker de se conformer aux attentes du public européen en quête d’exotisme.</p>
<p>En effet, le contexte de l’entre-deux-guerres, qui a vu l’arrivée de l’Américaine en France en 1925 <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2008-1-page-15.htm">est propice à la célébration de l’exotisme</a>, à la recherche du pittoresque attaché aux civilisations extraeuropéennes. Cette tendance que l’on peut faire remonter plus tôt dans l’histoire de l’Europe (XVIIe siècle), se traduit, entre autres, dans l’entre-deux-guerres <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9grophilie">par une négrophilie</a>, c’est-à-dire un attrait pour ce qui est « africain ». Dans ce contexte, l’accueil favorable que reçoit Joséphine Baker à son arrivée en France contraste avec ce qu’elle a vécu aux États-Unis. Dans une atmosphère marquée par la ségrégation qui stigmatise de manière sévère la peau noire, elle a peiné, au début des années 1920, à trouver une place dans le milieu de la danse.</p>
<h2>Répondre à l’imaginaire colonial</h2>
<p>Le contexte français pousse l’actrice à se saisir de l’imaginaire colonial français. La société de cette époque est entraînée par une mode <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1990_num_1132_1_1463">« primitive »</a> qui véhicule comme contre-valeurs des stéréotypes longtemps attachés « aux peuples inférieurs ». Cependant, dans les milieux de l’art où cette expression est la plus palpable, elle se caractérise par un fantasme affiché de <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2019-1-page-107.htm">retour du « nouveau sauvage »</a>. Joséphine Baker s’en fait l’écho par sa danse dans laquelle se trouvent réunis l’expressivité, la magie, le fétichisme et le naturel caractérisant les peuples dits primitifs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Noire et Blanche, photographie Man Ray, 1926.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’actrice semble aller plus loin en conscientisant cet esprit « sauvage ». En se nourrissant des fantasmes et en les transfigurant par le truchement de l’art, elle invente une manière d’assumer cette place dérangeante. Cette position ambiguë lui est reprochée par les intellectuels noirs en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/longs-formats-paulette-nardal-architecte-oubliee-negritude-690928.htm">particulier Paulette Nardal</a>, qui l’accusent de conforter les stéréotypes usuels sur la femme noire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Edgar Degas, Miss La La au Cirque Fernando, 1879.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En marge de ses talents de danseuse, l’actrice a trouvé efficace d’assumer sa « sauvagéité » par le biais de la pitrerie volontiers associée, à l’époque, à certains artistes non européens. Elle se joue de cette image « clownesque » pour détourner, par exemple, la banane – symbole par excellence du racisme – en objet de dérision qu’elle agite au nez des spectateurs. Ce faisant, elle s’inscrit dans le sillage de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Miss_Lala">l’artiste acrobate Miss Lala</a>, peinte par Edgar Degas et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chocolat_(clown)">du clown Chocolat</a>, qui, avant elle, ont connu une postérité en usant à la fois des stéréotypes dont on les affuble et de la dérision comme talents artistiques.</p>
<h2>Une question de regards</h2>
<p>Au centre du paradoxe de l’auto-essentialisation se trouve la question atavique du regard : le regard que l’on porte sur soi-même et la façon dont on est perçu.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XjHZ_z23BZY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Dans le cas de Joséphine Baker, la manière artistique d’approcher son corps noir – différemment chahuté dans les contextes américains et européens – semble s’inscrire dans un processus de construction de soi. Si le regard de l’autre participe de cette construction, il en interroge les limites. À quel point sommes-nous ce que les autres veulent que nous soyons ?</p>
<p>Si l’actrice assume son appartenance « nègre » en grossissant elle-même les traits qui lui sont accolés dans une démarche que beaucoup qualifient de moderne, les représentations que l’on faisait d’elle ont été différemment reçues selon les milieux. Joséphine Baker a majoritairement amusé le public en le confortant dans ses certitudes stéréotypées. Cependant, dans les milieux intellectuels et avant-gardistes, l’attitude de l’actrice est jugée grotesque et désobligeante.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KctSZSY62ps?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le titre évocateur dont elle est affublée aujourd’hui par les médias européens, « Joséphine Baker, première icône noire », repose la question du regard qui accompagne la vie et l’œuvre de l’actrice en Europe.</p>
<p><em><a href="https://mailchi.mp/1a0eb7b6f069/the-conversation-france">S'inscrire à la newsletter « Les couleurs du racisme »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148280/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erick Cakpo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Joséphine Baker s'est approprié les stéréotypes associés à sa couleur de peau dans un jeu de paradoxes oscillant entre acceptation et détournement des représentations imaginaires européennes.Erick Cakpo, Historien, chercheur, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1404972020-06-16T14:24:39Z2020-06-16T14:24:39ZLa discrimination est présente partout, révèle une étude faite auprès d’étudiants canadiens et français<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/341980/original/file-20200615-65961-1f62mv0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plus du tiers des étudiants universitaires affirment avoir été victimes d'une forme de discrimination. La plupart ne sont pas dénoncées.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mort_de_George_Floyd">La morte violente de l’Afro-Américain George Floyd</a> a suscité de nombreuses manifestations aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Le mouvement ne s’est pas encore estompé. Mais les discriminations dénoncées depuis ce meurtre public ne sont manifestement pas qu’une histoire états-unienne.</p>
<p>Comme professeur d’université, il est difficile d’accepter que certains de nos étudiants vivent des discriminations, soit <a href="https://www23.statcan.gc.ca/imdb/p3Instr_f.pl?Function=assembleInstr&lang=fr&Item_Id=387773#qb387885">« un traitement différent ou inéquitable en raison d’une caractéristique personnelle ou d’une distinction »</a>. Elles sont malheureusement trop souvent invisibles à nos yeux. Nombre d’entre eux sont cependant touchés par le phénomène, et ce, pour une multitude de raisons.</p>
<p>Selon la <a href="https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/h-6/page-1.html">Loi canadienne sur les droits de la personne</a>, « les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience ». En 2017, afin de mieux comprendre les discriminations en Ontario, la <a href="http://www.ohrc.on.ca/fr/prendre-le-pouls-opinions-des-gens-a-legard-des-droits-de-la-personne-en-ontario">Commission ontarienne des droits de la personne</a> a interrogé 1 500 Ontariens à ce sujet. Plus de 45 % des participants ayant vécu une discrimination ont dit que l’événement s’était produit au travail, dans des lieux publics (42 %), dans un commerce (16 %) et à l’école (12 %).</p>
<p>Cependant, l’enquête n’a pas étudié la réalité des francophones ni les discriminations linguistiques (glottophobie) en Ontario. Il est plus que nécessaire d’étudier cette problématique <a href="https://journals.library.ualberta.ca/af/index.php/af/article/view/29376">ainsi que d’autres discriminations que vivent les groupes minoritaires</a>.</p>
<p>C’est ce que mes deux coauteurs et moi-même avons essayé de déterminer. Sociologue de l’éducation, mes plus récents travaux de recherche portent sur l’insécurité linguistique chez les étudiants universitaires des communautés franco-ontariennes, fortement marquée par la glottophobie (discrimination linguistique). <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/discriminations-combattre-la-glottophobie">C’est le sujet du plus récent ouvrage de Philippe Blanchet</a>, sociolinguiste et professeur à l’Université Rennes 2. De son côté, les travaux de recherche de Mylène Lebon-Eyquem, sociolinguiste à l’Université de La Réunion, s’insèrent dans les activités du Laboratoire de recherches sur les espaces créoles et francophones.</p>
<h2>Des discriminations gardées sous silence</h2>
<p>Pour contribuer à mieux connaitre l’ampleur, les formes et la gravité des discriminations, nous avons mené une étude internationale à ce sujet. Nous avons comparé l’Ontario français avec la Bretagne, la Provence et La Réunion, des régions où des langues minoritaires (breton, gallo, provençal et le créole réunionnais) cohabitent avec la langue française. L’ensemble des quatre régions étudiées présente des contextes sociolinguistiques pluriels, mais avec comme point commun des langues minoritaires cohabitant avec une langue majoritaire dominante (français ou anglais).</p>
<p>L’objectif de cette étude était de déterminer les diverses formes de discriminations vécues ou vues par des étudiants universitaires canadiens et français. Des mois d’octobre 2019 à janvier 2020, plus de 554 d’entre eux (75 % âgés de 18 à 24 ans) ont participé à une enquête en ligne en France (Bretagne, Provence et La Réunion) et au Canada (Ontario français). Les étudiants de nos universités respectives ont été sollicités via les réseaux sociaux et le web. Au Canada, 34 % des participants sont nés en Ontario, 25 % ailleurs au Canada (Québec et Nouveau-Brunswick), 24 % en Afrique et 17 % ailleurs dans le monde.</p>
<p>Plus du tiers des participants (32 %) ont affirmé avoir été victimes de discrimination au cours des trois dernières années. Le quart n’était cependant pas en mesure de déterminer si la situation vécue en était une, car les motifs n’étaient pas clairs. Par exemple, est-ce que la situation que je viens de vivre est considérée comme une discrimination ? La réponse n’est pas toujours simple. Les principaux prétextes évoqués étaient le sexe et le genre, la couleur de peau (ethnicité), l’âge, la croyance ou la religion et le patronyme. Enfin, 41 % affirmaient ne pas avoir vécu de discrimination.</p>
<p>Lorsque nous analysons séparément les régions, nous observons que les discriminations linguistiques (glottophobie) sont la première raison des discriminations en Ontario (30 %), alors qu’elles sont peu mentionnées ailleurs (11 % en Bretagne, 8 % en Provence et seulement 4 % à La Réunion). Cela est probablement dû au fait qu’en France la notion même de « droits linguistiques » n’est pas reconnue et que la glottophobie y est sous-déclarée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/341983/original/file-20200615-65961-e86ey6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/341983/original/file-20200615-65961-e86ey6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/341983/original/file-20200615-65961-e86ey6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/341983/original/file-20200615-65961-e86ey6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/341983/original/file-20200615-65961-e86ey6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/341983/original/file-20200615-65961-e86ey6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/341983/original/file-20200615-65961-e86ey6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La grande majorité des événements discriminatoires vécus par les étudiants ne sont jamais dénoncés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les participants ont réagi différemment à l’égard des discriminations vécues. Quatre sur 10 ont gardé le silence et n’ont pas réagi (38 %) ou en ont parlé avec leurs proches (36 %). En fait, très peu d’étudiants ont porté plainte à un représentant de l’organisation où s’est produit l’incident (8 %) ou déposé une plainte à la police ou au tribunal (1 %). Enfin, 18 % ont discuté directement avec la personne discriminante.</p>
<p>Les discriminations demeurent ainsi, pour la plupart, non répertoriées.</p>
<h2>Libérer la parole</h2>
<p>La crise raciale américaine, qui rejoint celles d’autres pays, libère la parole des groupes minoritaires. De nombreux témoignages de discriminations se font entendre. Dans notre étude, des participants se sont également exprimés au sujet des discriminations vécues alors qu’ils ou elles étaient élèves dans une école primaire ou dans un collège :</p>
<blockquote>
<p>J’ai vécu de la discrimination enfant, j’avais peut-être 8-9 ans, je sortais de la cour d’école. Un garçon entrait dans la cour d’école me dit une phrase en anglais et j’avais répondu que je ne comprenais pas. Il m’avait traité de <em>French Frog</em>. Je ne savais pas qu’est-ce qu’il venait de me dire. J’ai quitté sans rien dire. Le soir arrivé à la maison, je l’ai dit à ma mère, elle m’a expliqué. J’ai compris que j’allais revivre ça un moment donné.(Ontario)</p>
<p>Le collège est un nid de discriminations. Chacun y a vécu un traumatisme plus ou moins violent selon moi. (Bretagne)</p>
<p>Parfois on pense que ce n’est rien, juste une petite remarque, vu qu’on en reçoit beaucoup, mais à un moment on se rend compte que c’était de la discrimination. (La Réunion)</p>
</blockquote>
<p>Il est toutefois difficile d’avoir un portrait exact des discriminations. Par exemple, un étudiant international nous a dit qu’il ne voulait pas discuter ou dénoncer des discriminations vécues au Canada, car il ne voulait pas « avoir de soucis ». Il a dit qu’il était ici pour étudier et idéalement y travailler.</p>
<p>Un autre étudiant, provenant aussi d’un pays d’Afrique, nous disait que les discriminations vécues au Canada « n’étaient pas si graves » en comparaison avec certaines horreurs vécues dans son pays. Il ne les a pas dénoncées.</p>
<p>Si la taille restreinte de notre échantillon ne permet pas de généraliser nos résultats, l’enquête atteste que les mêmes prétextes à discriminations sont mentionnés. Les participants en Ontario, à La Réunion, en Bretagne et en Provence semblent subir ou observer globalement les mêmes types de discriminations, à l’exception de l’Ontario, où la glottophobie est très présente.</p>
<p>Personne ne nait raciste, xénophobe, glottophobe, etc., mais on peut le devenir par son éducation et sa socialisation. L’acceptation de la différence de l’autre et le désir d’inclusion des différences dans nos communautés doivent être enseignés très tôt dans la vie. L’affaire Floyd, parmi tant d’autres, pourrait finalement être porteuse d’un mouvement égalitaire international dans un monde d’après-Covid-19.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140497/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian J. Y. Bergeron a reçu des financements du Fonds de développement académique pour les professeurs à temps partiel de l’Université d’Ottawa</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Philippe Blanchet et <a href="mailto:mylene.eyquem@univ-reunion.fr">mylene.eyquem@univ-reunion.fr</a> ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Une étude révèle que plus du tiers des étudiants universitaires ont affirmé avoir été victimes d’une forme de discrimination au cours des trois dernières années. La plupart ne sont pas dénoncées.Christian J. Y. Bergeron, Professeur en sociologie de l’éducation, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1379372020-05-09T19:02:13Z2020-05-09T19:02:13ZPenser l’après : en finir avec les discriminations au travail<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/333106/original/file-20200506-49550-22vbjt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=28%2C3050%2C6212%2C3143&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans l’urgence, les invisibles sont devenus plus que visibles : ils sont au front là où nous avions tendance à les mettre à « l’arrière boutique».</span> <span class="attribution"><span class="source">MJgraphics</span></span></figcaption></figure><p><em>Les chercheuses et les chercheurs qui contribuent chaque jour à alimenter notre média en partageant leurs connaissances et leurs analyses éclairées jouent un rôle de premier plan pendant cette période si particulière. En leur compagnie, commençons à penser la vie post-crise, à nous outiller pour interroger les causes et les effets de la pandémie, et préparons-nous à inventer, ensemble, le monde d’après.</em></p>
<hr>
<p>Ils sont livreurs à vélo d’origine africaine ; ils sont agents de sécurité d’origine maghrébine devant les postes et les grandes surfaces ; elles sont caissières ; elles sont infirmières sous-payées et sous-considérées.</p>
<p>La crise du Covid-19 a mis en lumière de manière exacerbée ce que nous acceptons difficilement de voir habituellement : la <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-la-lcd-lutte-contre-les-discriminations-2019-2.htm">précarisation des individus</a>, la gestion ethnique de la main-d’œuvre et la <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2006-1-page-3.htm">segmentation du marché du travail</a>, le salto du <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2002_num_15_60_1240">stigmate de genre</a> et les <a href="https://www.armand-colin.com/le-plafond-de-verre-et-letat-la-construction-des-inegalites-de-genre-dans-la-fonction-publique">plafonds de verre</a>.</p>
<p>Dans l’urgence, les invisibles sont devenus plus que visibles : ils sont au front là où nous avions tendance à les mettre à « l’arrière-boutique » afin de ne pas « faire avec » leurs différences. Mais derrière ces processus, se cache bien en réalité la question sociale : nous ne sommes pas effectivement mobilisés au même endroit, de la même manière et avec le même risque face à la mort en fonction de notre appartenance de classe.</p>
<p>Par ailleurs, le monde du travail s’est vu bouleversé brutalement. En effet, le télétravail « imposé » est venu dessiner de nouvelles configurations de la productivité d’un <a href="https://www.myrhline.com/actualite-rh/etude-sur-le-teletravail-pour-qui-ou-quel-secteur.html">salarié</a>.</p>
<p>La crise financière sous-jacente à cette crise sanitaire suscite certes des interrogations sur l’avenir du système économique actuel mais surtout des craintes sur son coût social. Un des principaux coûts est bien celui de l’égalité au travail. Que deviendront les combats en faveur de l’égalité des 20 dernières années, et les acquis dans les entreprises ? Comment les sciences de l’Homme peuvent-elles apporter des réponses pour accompagner cet avenir prochain ?</p>
<h2>Le regain de solidarité face aux inégalités ?</h2>
<p>Ces dernières années, nous avons observé une crise des solidarités, c’est-à-dire, explique le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=v7JrcNXVyLg">sociologue François Dubet</a>, une crise de « l’attachement aux liens sociaux qui nous font désirer l’égalité de tous, y compris et surtout l’égalité de ceux que nous ne connaissons pas ». On comprend que nos sociétés auraient choisi l’inégalité et ceci malgré les crises financières vécues de 1929 à 2008. Ainsi, la lutte contre les inégalités serait difficilement au centre des préoccupations des Français depuis les années 80.</p>
<p>Or, la crise sanitaire a vu émerger des milliers d’initiatives collaboratives face à l’épreuve des détachements des liens sociaux et avec le désir profond- et semble-t-il sincère – de rétablir des inégalités face à l’accès aux soins et autres difficultés des plus vulnérables. Doit-on alors espérer une préférence pour l’égalité avec un regain des solidarités désormais ? Un système plus solidaire nous permettra-t-il de réussir à freiner cette ascension des inégalités sur le marché du travail ? Dans un contexte marqué par le chômage partiel et par la perte d’emplois d’une tranche de la population active dans différents secteurs, allons-nous mieux ou plus accepter les différences et ainsi ne plus du tout discriminer ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333093/original/file-20200506-49579-1morxa5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333093/original/file-20200506-49579-1morxa5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333093/original/file-20200506-49579-1morxa5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333093/original/file-20200506-49579-1morxa5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333093/original/file-20200506-49579-1morxa5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333093/original/file-20200506-49579-1morxa5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333093/original/file-20200506-49579-1morxa5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sans les outils adéquats, les luttes contre la discrimination au travail se heurtent à des murs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MJGraphics</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous pouvons l’espérer mais avant tout, il nous semble fondamental de comprendre comment les processus de lutte contre les discriminations et les inégalités sont installés et mis en œuvre de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/1369183X.2017.1293591">manière directe et indirecte</a> dans les entreprises et les administrations publiques.</p>
<p>Le monde du travail a vu progressivement la mise en place de mesures visant à lutter contre les discriminations ou promouvant la diversité. Néanmoins mes recherches, ma <a href="https://www.academia.edu/31827086/THESE_YAMINA_MEZIANI_REMICHI">thèse</a> et l’ouvrage à paraître fin 2020 avec Régis Cortesero, <em>La jeunesse fantôme, jeune âge et discrimination dans le recrutement</em> (éditions le Bord de l’Eau), ont mis en évidence la pluralité des effets positifs et parfois pervers de ces dispositifs.</p>
<p>En observant par ailleurs les acteurs qui mènent ces <a href="https://pure.uva.nl/ws/files/29932067/_14_11_2018_Recruitmen.pdf">combats de terrain</a>, il semble désormais capital de questionner les approches des dix dernières années afin de replacer les sciences sociales comme source de solutions à ces défis d’égalité au travail même en pleine crise économique.</p>
<h2>Des politiques de terrain</h2>
<p>Mes recherches sur la jeunesse, le poids du patronyme, le critère de résidence, le genre, l’appartenance à une origine, et le handicap au travail se sont concentrées d’un côté sur la mise en œuvre des politiques de diversité, de lutte contre les discriminations et/ou de promotion de l’égalité, et de l’autre sur le métier des acteurs qui portent ces actions.</p>
<p>Ils sont recruteurs, chargé·e·s de mission, responsables diversité, etc. ; et leurs missions consistent en l’implémentation de dispositifs d’action positive et de discrimination positive. On note des avancées, mais aussi des régressions par certains effets contre-productifs.</p>
<p>Des entreprises et administrations se sont mobilisées depuis 2004 notamment en faisant preuve d’un volontarisme, récompensé ainsi par les <a href="https://www.academia.edu/28816505/Instrumenter_la_lutte_contre_les_discriminations_le_label_diversit%C3%A9_dans_les_collectivit%C3%A9s_territoriales">Labels Diversité et Égalité</a>.</p>
<p>Certaines collectivités ont ainsi été pionnières dans la lutte contre les discriminations en expérimentant le CV anonyme, par exemple la Région Nouvelle-Aquitaine suivie par <a href="https://www.cairn.info/revue-de-gestion-des-ressources-humaines-2017-2-page-61.htm">100 entreprises</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333095/original/file-20200506-49558-1cp9oes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333095/original/file-20200506-49558-1cp9oes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333095/original/file-20200506-49558-1cp9oes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333095/original/file-20200506-49558-1cp9oes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333095/original/file-20200506-49558-1cp9oes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333095/original/file-20200506-49558-1cp9oes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333095/original/file-20200506-49558-1cp9oes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Certaines démarches pionnières ont permis quelques avancées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MJGraphics</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cet outil permet lors de la première phase du processus de recrutement (le tri des CV) d’éviter une discrimination.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2014-2-page-115.htm">Pôle emploi participe en 2007</a> à une même démarche avec la méthode de recrutement par simulation (MRS), qui a pour but de recruter par le biais d’exercices en situation permettant de détecter les habiletés nécessaires au poste.</p>
<p>D’autres initiatives pilotes au niveau national ont été le fruit d’un travail de terrain de villes « pilotes » telles que la ville de Lyon (première ville à avoir obtenu le Label Diversité en 2010), la ville de Rennes (avec la mission Lutte contre les discriminations disposant d’un volet employeur en 2008), la Métropole de Nantes (notamment avec son plan territorial de lutte contre les discriminations, PTLCD). On peut penser à certaines actions :</p>
<ul>
<li><p>la parité dans les instances consultatives,</p></li>
<li><p>l’intégration de mesures non discriminatoires dans les marchés publics</p></li>
<li><p>le diagnostic sur l’égalité professionnelle et d’un suivi sur le déroulement des carrières des agents</p></li>
</ul>
<p>D’autres acteurs ont accordé un investissement important à ce champ en développant des innovations récentes. La SCNF et la RATP avec la mise en route d’un <a href="https://www.reseau-alliances.org/actualites-adherents-et-partenaires/1232-prodiversite-un-serious-game-elabore-par-sncf"><em>serious game</em> en ligne</a> pour une partie de ses salariés afin de les sensibiliser sur les stéréotypes dans le management de la diversité ; ou l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) créateur d’un plateau de jeu destiné à lutter contre le sexisme au travail.</p>
<h2>Des pratiques internes axées sur la communication ?</h2>
<p>Nos travaux nous ont permis de noter que toutes ces politiques partagent <em>in fine</em> deux socles communs.</p>
<p>La majorité des entreprises ont investi très largement en leur sein des modules de sensibilisation dans la formation de leurs salariés, au regard des injonctions juridiques fixées par la loi de 2017 relative <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033934948&categorieLien=id">à l’égalité et à la citoyenneté</a>.</p>
<p>Par ailleurs, ces politiques ne vivent, voire ne survivent qu’avec un sur-investissement en termes de communication. C’est en effet un axe constitué comme central dans le but d’animer dans les bassins de vie et d’emploi des réseaux d’acteurs associatifs volontaires pour sensibiliser contre le harcèlement discriminatoire.</p>
<p>Les actions « à la française » d’ailleurs sont fortement influencées par les <a href="https://ec.europa.eu/info/policies/justice-and-fundamental-rights/combatting-discrimination/tackling-discrimination_en">pratiques</a> de nos <a href="https://www.proi.com/companies/case-studies/82">pays voisins</a> en termes de communication. Barcelone, Turin, Copenhague ont nommé des rues au féminin, produit des guides et des campagnes d’affichage, organisé des expositions photographiques dans les espaces publics…</p>
<p>Cependant, nos travaux ont montré que, même si l’employeur adopte un plan « gestion des ressources humaines » et des pratiques fortes, nécessaires à l’obtention notamment de labels, beaucoup d’actions sont souvent pensées à l’extérieur de l’organisation. De nombreux chantiers ne sont pas menés en interne à cause de résistances aux changements dans les procédures et l’environnement traditionnel du travail.</p>
<h2>En France, une préférence à l’action positive</h2>
<p>Si les politiques de diversité et de lutte contre les discriminations sont facilement affichées par les acteurs et les élus qui les portent au nom de valeurs telles que l’intérêt général, les actions qui les composent réellement sont parfois plus difficiles à mettre en exergue.</p>
<p>En effet, on notera que certains critères sont traités plus directement. Tel est le cas des dispositifs en faveur du handicap et du genre. Même si cela fait l’objet de quotas ou de discrimination positive (<a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2005-2-page-106.htm">mesures territoriales spécifiques</a> accordant une aide sur la base de la reconnaissance d’une identité particulière), les efforts pour contrer les discriminations au regard de ces deux critères sont réalisés à partir d’une approche intégrée ou « mainstreaming ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333098/original/file-20200506-49556-1mv5lcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333098/original/file-20200506-49556-1mv5lcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333098/original/file-20200506-49556-1mv5lcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333098/original/file-20200506-49556-1mv5lcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333098/original/file-20200506-49556-1mv5lcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333098/original/file-20200506-49556-1mv5lcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333098/original/file-20200506-49556-1mv5lcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La France est prise dans des contradictions entre les valeurs républicaines qu’elle défend et la réalité du terrain.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MJGraphics</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette dernière consiste à impliquer de manière systématique des politiques de droit commun en repérant les angles morts dans le but de les corriger.</p>
<p>En revanche, des mesures impliquant l’usage de classifications ethniques font face, comme le montre le sociologue Daniel Sabbagh, à une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2006/02/25/daniel-sabbagh-sur-la-discrimination-positive-il-y-a-convergence-entre-les-etats-unis-et-la-france_745189_3224.html">exigence de discrétion</a> et à une préférence à l’action positive.</p>
<p>Celle-ci recouvre les mesures visant à prévenir ou compenser les désavantages causés par la discrimination en agissant au départ sans pour autant avantager une personne en raison de son critère d’appartenance à la phase finale de la sélection.</p>
<p>L’action positive se démarque donc de la discrimination positive, car elle n’agit que sur la première étape et n’active pas un favoritisme sur l’étape finale.</p>
<p>Des mesures de discrimination positive sont en réalité bien réelles et diagnostiquées comme en partie « efficaces » par les acteurs sur le terrain local. Mais elles demeurent peu assumées, <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2007/10/04/milena-doytcheva-cette-inavouable-discrimination-positive_962817_3260.html">voire inavouables</a> car elles semblent être en résonnance contradictoire avec le <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/node/20846">modèle universaliste républicain « color-blind »</a> » (indifférence aux différences).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333102/original/file-20200506-49558-1t6d7mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=392%2C168%2C5651%2C2703&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333102/original/file-20200506-49558-1t6d7mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333102/original/file-20200506-49558-1t6d7mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333102/original/file-20200506-49558-1t6d7mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333102/original/file-20200506-49558-1t6d7mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333102/original/file-20200506-49558-1t6d7mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333102/original/file-20200506-49558-1t6d7mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Va-t-on enfin comprendre l’urgence de traiter des inégalités au travail ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">MJGraphics</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, ces dispositifs de discrimination positive traitant de la question ethnoraciale restent encore très rares et sont surtout activés de manière indirecte via le critère souvent de la « jeunesse » ou de la « résidence », provoquant même des discriminations négatives.</p>
<p>Une étude que j’ai menée sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2014-2-page-9.htm">jeunes adultes des quartiers</a> « politiques de la ville » montre ainsi que des dispositifs en faveur de certaines minorités viennent renforcer les stéréotypes à leurs égards et ainsi légitimer une certaine répartition ségrégative des salariés et/ou la <a href="https://journals.openedition.org/sociologies/10914">« couleur des compétences »</a>. Par exemple, les femmes maghrébines seraient douces, empathiques, maternelles et adaptées dans le service éducation ; les hommes d’origine africaine, eux sportifs et stricts, dans les services jeunesses et sports.</p>
<p>Malgré des avancées, cette recherche de changement pratique nécessite d’être outillée véritablement. Alors comment les responsables en charge de ces questions font-ils pour vivre et faire vivre ces politiques ?</p>
<h2>Des acteurs de bonne volonté dans l’incertitude</h2>
<p>En 10 ans, on est passé d’une politique de « lutte » à des stratégies managériales ayant pour intérêt l’adéquation entre performance économique et égalité. S’il est toujours difficile d’évaluer les résultats de ces politiques, ce n’est pas pour autant que les acteurs clés porteurs de ces politiques ne cherchent pas à avoir de l’impact.</p>
<p>Bien au contraire, ils sont consultants en égalité, « diversity officers », chargé·e·s de missions « LCD », responsable RH avec une casquette égalité, partageant tous cette même volonté : améliorer les conditions d’égalité de chacun. A l’interface de l’entreprise et de la société, ils partagent le souci de défendre à la fois des principes juridiques, des <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2019-2-page-175.htm">convictions politiques et/ou des valeurs</a>.</p>
<p>Néanmoins, ils sont constamment dans le combat et dans l’incertitude. Ils rencontrent de véritables obstacles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333145/original/file-20200506-49558-1l999ey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333145/original/file-20200506-49558-1l999ey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333145/original/file-20200506-49558-1l999ey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333145/original/file-20200506-49558-1l999ey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333145/original/file-20200506-49558-1l999ey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333145/original/file-20200506-49558-1l999ey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333145/original/file-20200506-49558-1l999ey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les acteurs locaux engagés dans la lutte contre les discriminations au travail se confrontent à de lourds obstacles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MJGraphics</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Leur budget est limité et ne représente parfois que 10 % des budgets des autres services. Ils ont du mal à mobiliser leurs collègues et à travailler donc en transversalité. C’est ce que nous révèlent nos entretiens et nos observations :</p>
<blockquote>
<p>« La lutte contre les discriminations, ce n’est pas une priorité pour eux, simplement un supplément d’âme. D’ailleurs, quand ils arrivent à organiser des réunions décisionnaires, il y a souvent un vide ou seulement des personnes qui se sentent concernées par la question donc des responsables femmes, des homosexuels et des minoritaires. » (Cheffe de service d’une grande collectivité territoriale, 2018)</p>
</blockquote>
<p>Ils font face constamment à l’épreuve du temps, temps qui est celui du mandat de l’élu dans la fonction publique, ou du mandat du gérant ou chef.f·e d’entreprises pour les structures ayant une gouvernance tournante. La réussite d’un programme est fortement dépendante et orientée par le politique.</p>
<p>Enfin, ils font l’épreuve de différentes accusations car vus comme des collaborateurs « imposants », et « contraignants » : les expériences ethnographiques nous ont montré qu’ils doivent chercher la majorité du temps à convaincre et par là font face constamment à des imputations dont ils doivent se prémunir : <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2018-1-page-141.htm">militantisme, communautarisme, féminisme</a>.</p>
<p>Face à la crise actuelle et alors que ces métiers viennent juste d’émerger au cours des dix dernières années, que va-t-il advenir de ces fonctions considérées comme « supplément d’âme » ? Va-t-on enfin comprendre l’urgence de traiter des inégalités au travail notamment parce que de nouvelles formes de configurations du travail vont apparaître ?</p>
<p>Ces dernières interrogations nous amènent à nous pencher véritablement sur le souhait réel ou non de vouloir en finir concrètement avec les discriminations.</p>
<p>Si cette volonté est ancrée, alors la sociologie peut nous y aider. Trois principales propositions peuvent être émises.</p>
<h2>Repenser l’approche de la formation professionnelle</h2>
<p>La première est celle de la nécessité d’innover dans l’approche de la formation professionnelle à travers la forme et du contenu des formations sur la lutte contre les discriminations. En outre, elles ne portent que sur un niveau réflexif sur les stéréotypes (mise en situation, jeu autour des stéréotypes, etc.) au lieu de porter sur les compétences.</p>
<p>Elles ne délivrent que peu outil d’animation ; elles ne traitent pas de <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2008-1-page-73.htm">l’intersectionnalité</a> du problème, et elles n’offrent pas de suivi de progression.</p>
<p>Le format de sept heures par jour est pensé spécifiquement sur la forme de transfert de savoirs comme s’il s’agissait de l’apprentissage d’un logiciel. Or, ici il est bien question de compétences comportementales, de « soft skills » exigeant des sollicitations de la pensée différente.</p>
<p>Les stagiaires ont certes une prise de conscience, mais qui n’est pas inscrite dans la durabilité. Ils ont des difficultés à transformer ce savoir en capacité d’agir pour ne pas reproduire l’usage de leurs stéréotypes.</p>
<h2>Mieux anticiper le circuit de la mise en œuvre</h2>
<p>La deuxième proposition concerne la dimension de la <a href="http://sk.sagepub.com/reference/the-sage-handbook-of-public-administration-2e/n17.xml">mise en œuvre d’une politique de diversité et d’égalité</a>. Les auteurs en sociologie de l’action publique ont rigoureusement démontré l’importance de saisir le processus d’une politique publique comme un continuum, un circuit aller-retour incluant la nécessité de prise en compte de trois séries de variables dès l’étape de conception de la politique : les idées, les logiques institutionnelles et les expériences sociales des individus.</p>
<p>Certaines entreprises sont à l’écoute de cette approche, qui implique l’intégration d’un diagnostic sociologique anticipé et continu dés la conception de l’action publique. Il est question d’en finir avec les diagnostics « justificatifs » a posteriori rangés « au placard » pour réellement analyser puis rectifier au fil de l’eau les contraintes organisationnelles rencontrées par les managers et salariés ainsi que les expériences sociales des publics cibles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333101/original/file-20200506-49550-6ear4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333101/original/file-20200506-49550-6ear4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333101/original/file-20200506-49550-6ear4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333101/original/file-20200506-49550-6ear4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333101/original/file-20200506-49550-6ear4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333101/original/file-20200506-49550-6ear4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333101/original/file-20200506-49550-6ear4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les sciences sociales ont un rôle crucial pour expliquer et faire comprendre les discriminations sur le temps long.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MJGraphics</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il s’agit d’ajuster rapidement le travail des « street level bureaucrats », c’est-à-dire des acteurs en ligne de front, pour éviter au maximum les effets « boomerangs ». Enfin, il serait intéressant surtout d’être en capacité de penser la mise en œuvre pour qu’elle ne puisse pas être modifiée en cours de route pour des raisons de mandat ou de posture attribuée à « un seul homme » alors que celle-ci a prouvé efficacité et effets positifs pour le bien commun de tous.</p>
<h2>Réviser la qualification juridique des discriminations</h2>
<p>Pour terminer, la reprise du travail avec une haute exigence de productivité ne peut pas nous faire oublier que le sentiment et la perception des <a href="https://www.cget.gouv.fr/actualites/experience-et-perception-en-hausse-de-240-en-ile-de-France">discriminations au travail sont en hausse</a>.</p>
<p>Gardons en tête qu’être discriminé signifie être traité différentiellement sur la base d’un critère illégitime et illégal. Et qu’en dépit d’un renforcement de la judiciarisation dans ce champ (modification de la logique de la preuve, <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/legalite-au-travail/">augmentation à 25 critères de discrimination</a>), le hiatus entre le pourcentage de nombres de personnes déclarant être victimes de discrimination et le nombre de plaintes portées au tribunal pour ce motif est profond.</p>
<p>La qualification juridique de la discrimination et du harcèlement discriminatoire semble ne pas permettre de rendre compte juridiquement des discriminations dites quotidiennes, qui relèvent de micro-agressions subtiles, répétitives, ne correspondant pas à un acte isolé et facilement identifiable.</p>
<p>L’une des pistes est alors de pouvoir travailler sur la question avec des chercheurs en droit et en santé, afin de prendre en compte des conséquences des discriminations et injustices notamment en termes d’absentéisme au travail.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yamina Meziani est docteure en scoiologie. Chercheure associée au Centre Emile Durkheim et chargée d'enseignement, elle est présidente et co-fondatrice d'Anthropolead, la première Jeune Entreprise Universitaire en sociologie de France, conventionnée avec l'Université de Bordeaux.</span></em></p>Dans l’urgence, les invisibles sont devenus plus que visibles : ils sont au front là où nous avions tendance à les mettre à « l’arrière-boutique » afin de ne pas reconnaître leurs différences.Yamina Meziani, Sociologue, centre Emile Durkheim, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1148782019-04-11T22:49:17Z2019-04-11T22:49:17ZAu musée d’Orsay, les modèles noirs sortent de l’ombre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/268823/original/file-20190411-44773-1rflbzt.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C0%2C1609%2C1170&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Jean-Baptiste Belley par Girodet-Trioson, 1798. Musée de l'Histoire de France, Versailles.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Belley#/media/File:Depute-jean-baptiste_belley-492-688.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Depuis le 26 mars 2019 se tient au musée d’Orsay une exposition historique sur la représentation des Noirs dans l’art visuel de la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle à nos jours, intitulée <a href="https://m.musee-orsay.fr/fr/expositions/article/le-modele-noir-47692.html">« Le modèle noir, de Géricault à Matisse »</a>.</p>
<p>Par l’angle choisi et les œuvres de maîtres qui y sont rassemblées, cette exposition est la première du thème à être organisée par un musée national français. En effet, si d’autres musées comme le quai Branly-Jacques Chirac ont déjà proposé des expositions sur la représentation des personnes noires dans l’art, par exemple <a href="http://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/rendez-vous-du-salon-de-lecture-jacques-kerchache/autour-des-expositions/details-de-levenement/e/zoos-humains-et-exhibitions-coloniales-36158/">« Zoos humains »</a>, <a href="http://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/the-color-line-36687/">« The Color Line »</a> ou encore <a href="http://www.quaibranly.fr/fr/editions/les-publications-du-musee/les-catalogues-dexpositions/beaux-arts/dun-regard-lautre/">« D’un regard l’autre »</a>, la manifestation du musée d’Orsay propose de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/le-modele-noir-signe-des-temps-journee-speciale-sur-france-culture">porter le regard</a> sur les figures noires à travers la relation entre artistes et modèles, grâce aux œuvres de peintres européens des plus célèbres tels que de Géricault, Manet, Cézanne, Matisse, Gauguin, le Douanier Rousseau, etc.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9JL3ZvTHcuU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>S’il s’agit notamment d’attirer l’attention sur le « modèle noir », dans une tentative de réhabilitation du Noir dans l’art, l’exposition peut difficilement masquer le poids des regards que les Européens ont portés sur les personnes noires. Les raisons qui conduisent à représenter les sujets noirs dans les arts visuels sont multiples et diverses, et jamais dénuées de sens, si bien qu’on peut se demander s’ils sont figurés pour ce qu’ils incarnent aux yeux des Européens ou pour des motivations artistiques suscitées par les spécificités réelles ou fantasmées de leur corps.</p>
<h2>La peau noire, difficile à représenter</h2>
<p>La représentation des Noirs dans l’art européen ne date pas de l’époque moderne comme on pourrait le croire. Dès la haute Antiquité, au II<sup>e</sup> millénaire avant notre ère, à la faveur des échanges entre l’Égypte, l’Éthiopie et le sud de l’Europe, l’archéologie signale déjà la figuration de personnages probablement noirs <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1969_num_24_4_422144">sur des fresques grecques et romaines à cette époque et plus tard</a>.</p>
<p>Mais si les figures noires apparaissent assez tôt dans la peinture occidentale, sur le plan technique, on note la difficulté de la représentation de la couleur de leur peau et ce, pour différentes raisons. Au Moyen Âge, malgré les avancées connues à la Renaissance dans l’amélioration des vernis, la couleur noire reste difficile à obtenir notamment en raison du coût élevé des produits tel l’ivoire calciné <a href="https://www.lexpress.fr/styles/6-le-noir-du-deuil-a-l-elegance_488933.html">qui donnent accès à la gamme des noirs</a>. Pour autant, les artistes ont recouru <a href="https://www.persee.fr/doc/medi_0751-2708_1988_num_7_14_1097">à d’autres procédés</a> comme l’usage de différents tons de brun, des pigments sombres, etc., pour figurer la peau noire de manière adéquate. </p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/268825/original/file-20190411-44818-vgp1pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268825/original/file-20190411-44818-vgp1pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268825/original/file-20190411-44818-vgp1pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=2064&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268825/original/file-20190411-44818-vgp1pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=2064&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268825/original/file-20190411-44818-vgp1pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=2064&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268825/original/file-20190411-44818-vgp1pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=2594&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268825/original/file-20190411-44818-vgp1pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=2594&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268825/original/file-20190411-44818-vgp1pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=2594&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Lucas Cranach, <em>Saint Maurice</em>, vers 1522-1525.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/64/Lucas_Cranach_d.%C3%84._-_Der_heilige_Mauritius.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une autre difficulté réside dans la représentation fidèle des traits : à défaut de modèles, certains artistes ont soit rapproché les traits des personnes noires du type européen, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Lucas_Cranach_d.%C3%84._-_Der_heilige_Mauritius.jpg">comme on le voit dans le <em>Saint Maurice</em></a> de Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553) soit ont extrapolé certaines physionomies de l’homme ou de la femme noir·e, en les poussant à la limite de la caricature par la représentation de musculatures imposantes, de nez excessivement arrondis, de cheveux frisés, de peau exagérément noire comme on peut le voir par exemple dans la série de 10 peintures inspirées par <em>Les Éthiopiques</em>, un roman grec d'Héliodore d'Émèse (IIIe ou IVe siècle), réalisée par le <a href="https://www.academia.edu/5655349/_Representations_of_Heliodorus_AEthiopica_in_17th-century_European_Art_in_Images_of_the_Black_in_17th-century_European_Art_ed._by_Henry_Louis_Gates_and_David_Bindman_Cambridge_Harvard_2010_">peintre flamand Karel van Mander III (1606-1670)</a>.</p>
<h2>Le poids de l’imaginaire dans la fabrique de l’autre</h2>
<p>De manière générale, la représentation des personnes noires est intimement liée à l’histoire des regards que les Européens ont portés sur les « non-blancs ». Souvent nourri d’un imaginaire propre à son contexte de production, ce regard, dont la peinture se fait l’écho en le fixant à chaque époque, développe des esthétiques successives en fournissant en même temps des grilles de lecture sur la connaissance de l’autre.</p>
<p>Étrangeté, séduction (sexuelle), visions racisées dominées par l'idée de la sauvagerie et de l'exotisme président alors l'inspiration des peintres et la représentation de l’autre, notamment du corps noir. Mais au-delà de la représentation de la personne, c’est la symbolique de la couleur qui pèse le plus dans la manière dont on a pu dépeindre et percevoir les personnes noires.</p>
<p>Par métonymie, les sujets noirs ont longtemps été peints pour représenter de manière allégorique un territoire, souvent le continent africain. Si de manière majoritaire la présence des figures noires dans la peinture symbolise l’Afrique, elle peut aussi renvoyer à l’exotisme ou la diversité des peuples.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-imaginaires-sexuels-coloniaux-ont-faconne-les-mentalites-des-societes-occidentales-103132">« Les imaginaires sexuels coloniaux ont façonné les mentalités des sociétés occidentales »</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>On croise le Noir comme symbole de l’Afrique dans bon nombre d’œuvres de la Renaissance. Le peintre flamand Cornelis de Baellieur (1607-1671) a réalisé une série de quatre toiles allégoriques des continents, toutes visibles au musée du Nouveau-Monde à La Rochelle. Dans sa représentation de l’Afrique, l’artiste peint trois personnages noirs dans un <a href="https://www.gettyimages.ca/detail/news-photo/the-four-parts-of-the-world-africa-baellieur-cornelis-de-news-photo/959560700">décor bucolique auquel il adjoint des animaux censés évoquer l’Afrique</a>.</p>
<p>De même, pour rappeler la diversité des origines, l’iconographie chrétienne a promu la représentation des sujets noirs à travers le thème des Rois mages dans lequel Balthazar incarne depuis X<sup>e</sup> siècle le continent africain.</p>
<p>Parallèlement à d’autres stéréotypes campés par des personnages noirs dans la peinture, la figuration de l’homme noir ou de la femme noire incarnant la force, – idée renvoyant dans une certaine mesure à l’humanité primitive, mais aussi aux qualités requises chez les esclaves – a fait florès dans l’art européen, notamment aux XVIII<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> siècle, à la faveur du naturalisme et de l’orientalisme.</p>
<p><em>Un nègre maîtrisant un buffle</em> du peintre anglais Georges Dawe, par l’esthétique enténébrée du tableau, attire l’attention du spectateur sur le corps athlétique du Noir, privé de visage par sa posture, dont le corps et la couleur semblent se confondre avec la bête, et souhaite montrer une forme de « sauvagerie » et de <a href="https://www.menil.org/collection/objects/2984-a-negro-over-powering-a-buffalo-a-fact-which-occurred-in-america-in-1809">force « naturelle »</a>. Le sous-titre est très parlant aussi, puisque l’image est sensée illustrer un épisode réel.</p>
<p>Le corps musclé du « Nègre Joseph », le célèbre modèle noir que Théodore Chassériau a peint dans son <em>Étude de nègre</em>, montre les clichés en vogue au sujet du corps noir qui, de surcroît, <a href="https://musees-occitanie.fr/musees/musee-ingres/collections/la-peinture-du-xixe-siecle/theodore-chasseriau/etude-de-negre/">revêt ici une connotation diabolique</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268828/original/file-20190411-44814-1foicvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268828/original/file-20190411-44814-1foicvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268828/original/file-20190411-44814-1foicvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268828/original/file-20190411-44814-1foicvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268828/original/file-20190411-44814-1foicvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268828/original/file-20190411-44814-1foicvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268828/original/file-20190411-44814-1foicvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">George Dawe, English, 1781-1829, <em>Un nègre maîtrisant un buffle</em>, d’après un fait qui s’est produit en Amérique en 1809-1810.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.menil.org/collection/objects/2984-a-negro-over-powering-a-buffalo-a-fact-which-occurred-in-america-in-1809">menil.org</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette même idée vaut aussi pour les corps féminins. Les femmes que l’on croise, nombreuses, dans les harems des peintures de l’orientalisme, telles <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cornelis_Cornelisz_van_Haarlem#/media/File:Cornelis_Cornelisz_van_Haarlem_-_Het_toilet_van_Bathseba.jpg"><em>Bethsabée au bain</em></a> de Cornelis Corneliszoon van Haarlem, <a href="https://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/aux-musees/presentation-detaillee.html?zoom=1&tx_damzoom_pi1%5BshowUid%5D=122468&cHash=93aafe72ba"><em>Bain turc</em> ou <em>Bain maure</em> de Jean‑Léon Gérôme</a>, arborent une musculature impressionnante.</p>
<p>En outre, dans le contexte esclavagiste et colonialiste, le corps féminin suscite chez les Européens de nombreux fantasmes sexuels. La représentation de la <em>Scène de mœurs</em> encore appelée <em>Le rapt de la négresse</em> (1632) du peintre hollandais Christiaen Van Couwenbergh <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Christiaen_van_Couwenbergh#/media/File:Rape_of_the_negro_girl_mg_0026.jpg">est saisissante par la violence de ce qui est dépeint</a>. Au-delà de l’idée de domination masculine et de domination coloniale que renferme la scène, elle exprime la réification du corps noir.</p>
<h2>Le portrait objectivant du corps noir ?</h2>
<p>Le portrait, qui oblige le peintre à observer directement le modèle dont il tente de saisir fidèlement les traits est finalement l’occasion qui permet de représenter les sujets noirs de manière moins connotée. C’est aussi, on l’imagine, l’occasion d’une rencontre entre l’artiste et le modèle qui peut changer le regard que l’un porte sur l’autre, et nuancer d’éventuelles représentations figées ou empreintes d’idées reçues.</p>
<p>Avec le portrait « posé » apparaît aussi une dimension psychologique dans la représentation des sujets noirs, qui soudain existent par eux-mêmes et deviennent des autres sensibles et complexes auxquels chacun peut s’identifier.</p>
<p>Pour des raisons surtout politiques, l’envoi d’émissaires des royaumes africains en Europe a permis de dresser dès le XVI<sup>e</sup> siècle une galerie de portraits dont l’un des plus connus est celui de _Don Miguel de Castro, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Portrait_of_Don_Miguel_de_Castro,_Emissary_of_Congo">ambassadeur du royaume du Congo_</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/268814/original/file-20190411-44810-bysm5d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268814/original/file-20190411-44810-bysm5d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268814/original/file-20190411-44810-bysm5d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268814/original/file-20190411-44810-bysm5d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268814/original/file-20190411-44810-bysm5d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268814/original/file-20190411-44810-bysm5d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=918&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268814/original/file-20190411-44810-bysm5d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=918&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268814/original/file-20190411-44810-bysm5d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=918&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>Don Miguel de Castro, Émissaire du Congo</em>, par Jaspar Beckx, 1643.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Portrait_of_Don_Miguel_de_Castro,_Emissary_of_Congo#/media/File:Jaspar_Beckx_(tidl._tilskrevet)_-_Don_Miguel_de_Castro,_Emissary_of_Kongo_-_KMS7_-_Statens_Museum_for_Kunst.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Encore plus représentatif est le <a href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/African_man_portrait_Mostaert.jpg"><em>Portrait d’un homme africain</em></a> réalisé par Jan Jansz Mostaert. L’homme peint est probablement le premier courtisan noir de renom ayant été au service de Charles Quint. Le portrait réalisé entre 1525-1530 montre que la représentation des sujets noirs n’a pas toujours été essentialisée. En effet, le surnommé Christophe le More, dans une position noble, pose avec fierté dans un costume élégant de velours bordeaux. </p>
<p>Dans la même veine, le célèbre Portrait de Jean‑Baptiste Belley, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean%E2%80%91Baptiste_Belley">premier député noir de France</a>, avec ses attributs d’homme de société et son regard tourné vers la droite, symbolise de manière significative l’avenir des peuples noirs dans un contexte de lutte abolitionniste où l’image prend valeur de symbole.</p>
<p>Par ailleurs, le portrait noir a endossé successivement plusieurs causes sociales. C’est ce qui se dégage en arrière-fond de l’audacieux tableau de Marie-Guillemine Benoist, <em>Portrait d’une négresse</em>, qui, à travers la représentation d’une femme esclave noire à demi-nue, exprime pour l’époque à la fois une revendication féministe et d’égalité des races. Outre ces revendications, le tableau montre un corps noir « naturel » grâce la maîtrise du dégradé de la pigmentation de la peau.</p>
<p>En somme, si l’après-guerre inaugure une nouvelle ère dans la représentation du corps noir incarnant désormais une dimension plus « artistique », on ne doit pas oublier que la figuration des personnes noires dans l’art occidental, par un jeu de création de l’autre différent, n’est en réalité qu’une réflexion ou un discours sur ce qu’est l’Européen, comme le rappelle Edward Saïd dans sa <a href="https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1992_num_30_1_1691">théorie sur l’orientalisme</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114878/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erick Cakpo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les raisons qui ont conduit à représenter les sujets noirs dans la peinture sont multiples et diverses, et jamais dénuées de sens.Erick Cakpo, Historien, chercheur, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1052522018-10-22T21:26:41Z2018-10-22T21:26:41ZDébat : Duels de chercheurs dans l’espace médiatique, ou quand l’émotion empêche de penser<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/241689/original/file-20181022-105748-1m1c9jg.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1728%2C990&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Concours de beauté bambari au Moyen-Congo, actuelle Centrafrique. Tirage albuminé, 1912.</span> <span class="attribution"><span class="source">Livre « Sexe, race et colonies », La Découverte.</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://diacritik.com/2018/10/15/contre-la-zemmourisation-de-la-critique-litteraire/">Dans une tribune publiée le 15 octobre 2018 dans le magazine en ligne Diacritik</a> dont il est rédacteur, Johan Faerber ne décolère pas, à la suite de la diffusion d’un texte de 275 mots dans les réseaux scientifiques – un <a href="http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/announcement/view/74">appel à contributions</a> – destiné aux seuls chercheurs. Le texte querellé appelle à réfléchir à la labellisation « française ». Cette « francité » de laquelle sont exclus certaines fictions ou auteurs francophones et dont d’autres se réclament en permanence. Le rapatriement pour service national d’auteurs francophones représentant la France a régulièrement été constaté. Ainsi d’Alain Mabanckou qui lorsqu’il était en course pour le Man Booker Prize, était systématiquement présenté comme « écrivain français » par cette même critique journalistique qui le présente régulièrement comme Congolais. Au-delà donc de l’épiphénomène médiatique, les questions soulevées par Alexandre Gefen, Oana Panaïté et Cornelia Ruhe, pour « zemmouristes » qu’elles apparaissent aux yeux de Johan Faerber se posent de manière soutenue aux chercheurs d’Amérique du Nord, d’Afrique et certainement de France (si l’on en juge un essai récent de Kaoutar Harchi) s’intéressant à la littérature de langue française.</p>
<p>Johan Faerber utilise dès les dix premières lignes les épithètes plutôt excessives de « scandaleux », « monstrueux », « affligeant », « consternant », « dangereux », « épouvantable », au sujet d’un genre essentiellement technique : l’appel à contributions. Les associations de veille antiraciste elles-mêmes n’auraient jamais songé à attaquer si tôt une idée au seul motif que l’objet serait <em>res non grata</em>, que l’identité serait devenue un pré carré zemmourien, et que tous ceux qui interrogeraient quoi que ce soit en littérature qui rappelle la « terminologie maurrassienne » feraient le jeu des extrêmes. Les expressions clivantes que Faerber dénonce dans l’espace public sont d’autant plus délicates à évaluer qu’elles sont sorties de leur contexte et de leurs guillemets de distanciation, incluses par exemple dans le titre de l’appel à contributions : « Fictions “Françaises” ».</p>
<p>Ce billet rappelle une polémique récente que le collectif <a href="https://www.cases-rebelles.org/">Cases rebelles</a> a suscitée au sujet de l’entretien de Pascal Blanchard <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/09/21/pascal-blanchard-ces-images-sont-la-preuve-que-la-colonisation-fut-un-grand-safari-sexuel_1680445">au journal <em>Libération</em></a> et de la couverture faite par <em>Médiapart</em> de l’ouvrage collectif alors en promotion. Il nous faut être capables de distinguer ce qui nous embarrasse, ce qui nous indigne, de ce qui réellement nous cause du tort.</p>
<h2>Tabous scientifiques</h2>
<p>Dans un cas, il s’agit d’un numéro dont l’appel court encore, mais dont le traitement est dénoncé alors qu’il n’est pas encore publié, au nom d’une censure préventive. Dans l’autre, il s’agissait d’un livre « à paraître » (le 27 septembre), c’est-à-dire dont seuls quelques privilégiés, au moment de la polémique, connaissaient la teneur, au-delà des photographies dénoncées. Autant le livre que codirige Pascal Blanchard était considéré sur les réseaux sociaux comme une provocation, du « braconnage », autant le numéro de revue que codirige Alexandre Gefen est accusé de « zemmourisation » (synonyme actualisé de lépénisation), d’« irresponsabilité morale » et de « cynisme médiatique ».</p>
<p>En somme, il est reproché aux chercheurs dont c’est le métier d’avoir travaillé sur l’existant, dans un contexte où depuis des années, on fait croire aux chercheurs africains qui se succèdent en France que ce pays rejette l’histoire de ses génocides, que l’histoire coloniale française ou les approches qui la rappellent (postcolonialisme) sont d’autant plus méprisées qu’elles évoquent ou mettent en scène seulement ces moments peu glorieux d’un passé imparfait, et que l’identité française et la race seraient des tabous scientifiques. En l’espace de deux ans seulement, tous les écrivains africains majeurs ont publié chez des éditeurs importants des ouvrages qui montrent, dans leur nudité, la violence coloniale. Hemley Boum (2016) et Max Lobé (2016) qui ont été primés pour leurs romans sur la colonisation, dans une certaine mesure Alain Mabanckou (2018) et David Diop (2018) au Seuil, dans un autre régistre Emmanuel Dongala (2018) et Wilfried Nsondé chez Actes Sud, mais aussi Gauz (2018) chez Iconoclaste, ou encore les chercheurs français Pétré-Grenouilleau (2018) et Sala-Molins (2018) aux Presses universitaires de France.</p>
<p>Le fait est que la recherche en France n’évolue pas en vase clos, ce qu’il y a par ailleurs de constant dans les deux projets querellés, c’est qu’ils résultent de collaborations entre chercheurs français, américains et africains. Les réactions excessives au sujet de photos pourtant accompagnées d’un apparat critique, encadrées d’essais d’historiens de haut vol et de la fine fleur de savants provenus de divers horizons, ne sont pas de nature à laisser s’épanouir tout débat constructif.</p>
<h2>Laisser les chercheurs penser</h2>
<p>Nous devons nous abstenir, nous autres Noirs hyperconscients de notre race, nous Blancs antiracistes imbibés de bons sentiments, nous journalistes rendant des jugements avant-dire-droit et délivrant des certificats de bonne moralité à la recherche, nous devons nous abstenir d’empêcher de penser ceux qui suspendent leur appartenance à une race, à un pays, à un parti pour faire leur métier. Nous devons nous empêcher de leur dicter des thèmes, les termes et conditions de leur recherche. Nous devons arrêter de chercher en tout savant ou artiste un militant antiraciste. Non que cela ne doive pas être attendu d’eux, qui sont au quotidien confrontés au racisme, au profilage racial et au déni d’identité française, mais que les mouvements militants et l’antiracisme émotionnel, les buzzwords qui remplacent les mots-clés, l’argument qui mise tout sur les algorithmes qui assureront sa diffusion sont un danger, le plus important peut-être, auquel fait face la recherche. L’antiracisme est dévoyé, qui refuse de prendre appui sur la science, la voit en ennemie, et ce faisant participe de la culture de l’anathème et du duel public.</p>
<p>Une telle hystérisation de l’indignation dans les réseaux sociaux et les publications en ligne empêche non seulement de penser, mais encore stigmatise ceux qui, dans le bruit permanent, osent penser. Les personnes « racisées » ayant participé au projet de Blanchard et alii sont suspectées de « collaborer », victimes à leur tour d’un racisme à rebours, accusés qu’ils sont d’être des sortes de nègres de maison ou de native informant. Les chercheurs interpellés par l’appel à contributions de Gefen sont donc par avancé indexés comme zemmourisés. Faut-il désormais tout régler, en France, par des procès d’intention, des cris et des étiquetages, s’enfermer dans une dynamique d’opposition et instituer la caporalisation de la recherche ? <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/10/09/la-ruee-d-africains-vers-l-europe-une-these-sans-valeur-scientifique_1684253">Répondant à la tribune de l’essayiste Stephen Smith publiée une semaine plus tôt dans Libération, François Héran</a> rappelait le 9 octobre dernier que certaines méthodes contreviennent « à la règle dans nos disciplines ». Les seules caresses de l’opinion et de l’instant ne doivent pas structurer le débat francophone.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Essono Tsimi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les réactions épidermiques qui ont précédé et suivi la sortie du livre « Sexe, race et colonies » font obstacle à la réflexion et aux débats constructifs.Éric Essono Tsimi, Membre Associé au Laboratoire de recherche en psychologie des dynamiques intra- et intersubjectives, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1041732018-10-11T18:47:54Z2018-10-11T18:47:54Z« Femme noire garde la tête haute » : le féminisme méconnu du Black Panther Party<p>Des hommes noirs, jeunes, vêtus de noir tels des guérilléros urbains, armés d’un fusil sur les marches du parlement de Californie à Sacramento : telle est la première image frappante du Black Panther Party ce 2 mai 1967.</p>
<p>Le Black Panther Party (for Self-Defense à sa création en 1966) fascine et inquiète pour ce qu’il met en scène : des hommes noirs, jeunes, vêtus de noir tels des guérilléros urbains, armés d’un fusil mais surtout d’une crânerie virile et charismatique qui devient leur <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520293281/black-against-empire">marque de fabrique</a>. Après des siècles d’humiliation et d’exploitation, le corps de l’homme noir reprend le pouvoir et se déploie dans toute sa puissance. Le mythe naît instantanément.</p>
<p>Mais en réalité, il n’y aurait pas eu de Black Panther Party sans les femmes, révolutionnaires et féministes agissant en sous-main. Pour le comprendre, il s’agit de revenir aux racines mêmes du parti.</p>
<h2>Le corps de l’homme noir</h2>
<p>Malgré l’obtention de <a href="https://journals.openedition.org/lisa/6908">droits civiques égalitaires en 1964</a> et 1965, mettant fin à la ségrégation raciale, les stéréotypes racistes ont pris racine dans cette Amérique déjà lassée par la demande de justice de ses anciens esclaves.</p>
<p>Le corps noir est toujours perçu et conçut comme un danger, une source d’énergie bestiale et anarchique. Ainsi, dès les premières révoltes de 1965 <a href="http://mediaafrik.com/aout-1965-guy-debord-analyse-la-revolte-de-watts/">à Watts</a> puis dans les villes du Nord en 1967 et 1968, le <a href="https://www.nytimes.com/2016/05/29/books/review/from-the-war-on-poverty-to-the-war-on-crime-by-elizabeth-hinton.html">gouvernement envoie des chars dans les ghettos pour « mater les sauvages »</a> » ; paradoxalement, les hommes africains-américains sont dans le même temps présentés comme des êtres symboliquement émasculés par une structure familiale dans laquelle les femmes domineraient, tenant la maison et les enfants pendant que les hommes se perdent.</p>
<p>Cette description dégradante de la famille noire est communément admise, jusqu’au plus hauts cercles du pouvoir, s’appuyant sur une étude sociologique célèbre datant de 1965, le <a href="https://blackpast.org/primary/moynihan-report-1965">rapport Moynihan</a>. L’incapacité supposée des Noirs à s’affirmer comme chefs de famille devient un lieu commun culturaliste qui justifie la brutalité des politiques publiques à leur égard.</p>
<h2>Que veut le Black Panther Party ?</h2>
<p>Le premier but du Black Panther Party (BPP), <a href="https://www.syllepse.net/all-power-to-the-people-_r_102_i_670.html">fondé à Oakland en 1966</a>, est de répondre au harcèlement policier quotidien et à l’impunité d’une violence dite légitime qui voit chaque année des centaines de jeunes noirs tomber sous les coups de la police.</p>
<p>La vulnérabilité des habitants du ghetto face à la police et à la justice est ainsi symboliquement répudiée par la force virile campée par les Panthers, dont les fusils dressés suggèrent que l’homme noir est digne de respect et qu’il peut au besoin commander ce dernier.</p>
<p>Loin des hommes absentéistes et irresponsables décrits par Moynihan, les militants affirment qu’ils sont les protecteurs de la communauté, figures d’autorité et modèles de discipline.</p>
<p>Dans ce contexte, la question du rôle des femmes est d’emblée épineuse et ces dernières sont bien souvent effacées de la mémoire collective et de l’historiographie du BPP, qui se concentre sur les personnages les plus charismatiques du parti révolutionnaire.</p>
<p>Des ouvrages récents ont cependant rectifié cette omission, voir par exemple Robyn C. Spencer, <a href="https://www.dukeupress.edu/the-revolution-has-come"><em>The Revolution Has Come</em></a> (2016) ou Ashley D. Farmer, <a href="https://www.uncpress.org/book/9781469634371/remaking-black-power/"><em>Remaking Black Power : How Black Women Transformed an Era</em></a> (2017).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239765/original/file-20181008-72110-273a4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239765/original/file-20181008-72110-273a4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=587&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239765/original/file-20181008-72110-273a4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=587&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239765/original/file-20181008-72110-273a4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=587&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239765/original/file-20181008-72110-273a4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239765/original/file-20181008-72110-273a4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239765/original/file-20181008-72110-273a4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Huey Newton et Bobby Seale armés en pleine rue, 1967. Dans le mythe véhiculé à l’époque, la révolution des Black Panthers est avant tout virile.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Black-Panther-Party-armed-guards-in-street-shotguns.jpg">Revolutionary Suicide : Controlling the Myth of Huey Newton, University of Virginia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les personnages connus du parti ont longtemps eu pour nom <a href="https://www.publishersweekly.com/978-1-56858-555-0">Huey Newton, Bobby Seale et Eldridge Cleaver</a>. Leur rhétorique agressive et le style martial semblent incarner, personnifier presque, l’ambition du BPP : préparer la révolution mondiale contre les forces impériales et racistes, qui balayera la petite bourgeoisie cupide, le gouvernement corrompu et ses sbires (en premier lieu ces « porcs » de policiers) et le capitalisme qui exploite Noirs, bruns et colonisés. La révolution, forme la plus violente du politique, ne peut être que masculine.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/239768/original/file-20181008-72127-1oumhrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239768/original/file-20181008-72127-1oumhrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239768/original/file-20181008-72127-1oumhrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239768/original/file-20181008-72127-1oumhrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239768/original/file-20181008-72127-1oumhrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239768/original/file-20181008-72127-1oumhrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239768/original/file-20181008-72127-1oumhrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239768/original/file-20181008-72127-1oumhrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Huey P. Newton, « ministre de la défense », mis en scène ici en 1968 : la photo deviendra rapidement un symbole, repris dans de nombreux journaux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nostri-imago/2868689341/">Cliff/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des sœurs armées, forces tranquilles du parti</h2>
<p>Les femmes sont pourtant l’épine dorsale de cette avant-garde. Les plus célèbres se nomment <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bpuTa0iKgvY">Elaine Brown</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sx0qIEi3QV8">Kathleen Cleaver</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MAErAAsUxKY">Ericka Huggins</a> ou Assata Shakur mais ce sont des milliers de militantes qui ont porté ce parti, dépassant les 60 % parmi les activistes.</p>
<p>D’emblée, elles rejoignent en masse une organisation qui porte le message de l’auto-détermination (pour les Noirs mais aussi, en abîme, pour les femmes de couleur) et met en place des politiques sociales pour les quartiers, parmi lesquels les repas gratuits pour les enfants, les cliniques et les écoles gratuites, les soins apportés aux prisonniers comme aux personnes âgées.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_0mzxpVbZ8k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’autobiographie d’Assata Shakur est sorti en librairie en France en septembre 2018.</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais il faudrait se garder de croire que la division des tâches était genrée, aux hommes les fusils, aux femmes l’éducation des enfants. Les sœurs elles aussi sont armées et si le comité central du BPP voulut un temps les nommer « Pantherettes », elles affirmèrent fermement leur pleine identité de « Panther ».</p>
<p>Engagée à 16 ans dans le parti, Tarika Lewis en deviendra par exemple une figure déterminante, offrant notamment avec ses dessins engagés dans le journal « Black Panther » une image inédite de la combattante, armée de sa chevelure naturelle et d’un fusil, guère moins redoutable que ses camarades masculins. Défiant ces derniers de l’égaler dans le maniement des armes, Lewis gravît les échelons de l’organisation et redéfinît l’image de la femme noire qui combat sur tous les fronts de l’injustice raciale.</p>
<p>Que les femmes noires aient le pouvoir, dans l’organisation révolutionnaire mais également dans le monde de demain à inventer fit dire à Ericka Huggins, « si vous étiez une Black Panther, vous étiez une féministe ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239770/original/file-20181008-72130-1z11bsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239770/original/file-20181008-72130-1z11bsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239770/original/file-20181008-72130-1z11bsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239770/original/file-20181008-72130-1z11bsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239770/original/file-20181008-72130-1z11bsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239770/original/file-20181008-72130-1z11bsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239770/original/file-20181008-72130-1z11bsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Ericka Huggins, Emory Douglas et Tarika Lewis, West Oakland Library, 11 avril 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/blackhour/4565866149/">Black Hour/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Sexisme brutal</h2>
<p>L’émancipation des femmes est au cœur des conversations du parti et elles sont bien sûr tendues. Il est difficile aux dirigeants comme aux institutions du parti de partager le pouvoir et d’accorder une véritable égalité de genre. Eldridge Cleaver, condamné pour viol, ne lâcha jamais un sexisme brutal et bien des militantes, à commencer par Elaine Brown, ont dénoncé le virilisme du parti et les raisonnements machistes parmi les Panthers.</p>
<p>Mais le parti leur a laissé en son sein un espace pour porter leur parole féministe poussant même l’un des deux fondateurs, Huey Newton, à écrire en 1970 une <a href="https://www.historyisaweapon.com/defcon1/newtonq.html">lettre de soutien</a> de solidarité avec le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Women%27s_liberation_movement">mouvement de libération de la femme</a> qui se développe alors.</p>
<p>Plus audacieux encore, il nomme en 1974, Elaine Brown premier secrétaire de l’organisation. Cette dernière, longtemps directrice de l’<a href="https://www.lemonde.fr/elections-_____americaines/article/2016/10/27/des-black-panthers-a-black-lives-matter-la-rage-en-heritage_5021555_829254.html?">école reine du parti à Oakland</a>, est à l’image de tant de femmes qui ont influencé, avec des fortunes diverses, les évolutions stratégiques du parti et qui l’ont porté à bout de bras lorsque les hommes étaient incarcérés ou fugitifs.</p>
<h2>Les prémices de l’intersectionnalité</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239784/original/file-20181008-72124-241aeu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239784/original/file-20181008-72124-241aeu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239784/original/file-20181008-72124-241aeu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239784/original/file-20181008-72124-241aeu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239784/original/file-20181008-72124-241aeu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239784/original/file-20181008-72124-241aeu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239784/original/file-20181008-72124-241aeu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Women ! Free our sisters » (Femmes ! Libérez nos sœurs), affiche exigeant la libération de six membres du Black Panther Party du Niantic State Women’s Farm in Connecticut, 1969.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://hdl.loc.gov/loc.pnp/yan.1a37759">Yanker Poster Collection/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le slogan du parti, « Le Pouvoir au Peuple », a mis en lumière ce que la philosophie du Black Power avait déjà clamé : que la capacité d’agir des êtres dominés et subordonnés était à conquérir et à préserver coûte que coûte.</p>
<p>Celui des femmes du BPP, dans un environnement doublement complexe tant le racisme de la société les rendait entièrement solidaires des hommes noirs se compliqua face à la réalité du sexisme au sein du groupe.</p>
<p>Les féministes noires sont déjà à pied d’œuvre pour dénouer ce que l’on nommera dans les années 90 <a href="https://lesglorieuses.fr/intersectionnalite/">intersectionnalité</a>. Mais pour l’heure, à la question « quelle est le but de la femme noire », Kathleen Cleaver répondait : « la même chose que les hommes. La justice ». Les combattantes étaient au corps à corps aux côtés des hommes, les soutenant dans l’espace domestique comme dans la rue. L’amour pour le groupe et par extension pour la communauté était politique.</p>
<p>Cette symbiose dans la lutte, exacerbée par la pression constante exercée par les forces de l’ordre, poussa parfois les militantes a adopter, comme le releva Assatta Shakur, la posture virile voire « macho » de leurs camarades. En retour, ce déploiement d’autorité féminine, en particulier lorsque les soeurs étaient les supérieures hiérarchiques; a irrité bien des militants. Le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/1999-10-20-mumia">militant incarcéré Mumia Abu-Jamal</a> décrivit ainsi sans faux semblants ses sentiments confus quant à la prise de pouvoir des sœurs dans le parti. On attendait d’elles qu’elles épaulent leurs hommes, non qu’elles les guident.</p>
<h2>Une véritable réflexion sur le rôle des femmes</h2>
<p>La misogynie voire le sexisme n’ont bien sûr pas été éradiqués au sein du groupe et la parité n’a jamais été totale. Mais la dynamique sociale au sein des Panthers était marquée par une quête constante de parité et une véritable réflexion sur le rôle des femmes dans la lutte. Autant que les hommes, elles tenaient le microphone en public et, à la tête de nombreuses sections, elles infléchirent en sous-main le travail du BPP, l’éloignant de la lutte armée pour davantage d’action de terrain auprès des déshérités en quête d’émancipation, actions non moins révolutionnaires.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239775/original/file-20181008-72110-12t03hj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239775/original/file-20181008-72110-12t03hj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=768&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239775/original/file-20181008-72110-12t03hj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=768&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239775/original/file-20181008-72110-12t03hj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=768&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239775/original/file-20181008-72110-12t03hj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=965&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239775/original/file-20181008-72110-12t03hj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=965&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239775/original/file-20181008-72110-12t03hj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=965&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Affiche Black Panther Party, concert de soutien des Grateful Dead.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/californiawatch/7798975286">UCLA Special Collections/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’ennemi était avant tout le racisme blanc et l’allégeance était aux siens. Mais au sein du groupe, elles ont exprimé leur besoin de reconnaissance et de pouvoir comme rarement dans les autres groupes dissidents du temps obligeant les dirigeants à changer non seulement leur approche de la révolution mais leurs pratiques.</p>
<p>Elles ont par ailleurs payé le prix fort de la répression, étant elles aussi traquées et emprisonnées. Mais parmi celles qui s’expriment encore aujourd’hui, pas une ne renie son engagement et sa passion pour l’extraordinaire vision du BPP. Elles se souviennent du poème de <a href="http://14629292.weebly.com/womanism.html">Candi Robinson</a> paru en 1969 dans « Black Panther » :</p>
<blockquote>
<p>« Femmes noires, femmes noires, gardez la tête haute et regardez droit devant, nous sommes nous aussi porteuses de révolution »</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/N1h0tz0pH7w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Sylvie Laurent a été conférencière invitée du musée du Quai Branly le 26 septembre 2018.</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/104173/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Laurent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il n’y aurait pas eu de Black Panther Party sans les femmes : elles ont exprimé leur besoin de reconnaissance et de pouvoir comme rarement dans les autres groupes de l’époque.Sylvie Laurent, Historienne, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1021202018-10-02T15:48:37Z2018-10-02T15:48:37ZPeut-on être à la fois « Africain » et « Français » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/237783/original/file-20180924-85764-1sm0fa9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C73%2C1000%2C648&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Collège de la Sagesse », Chéri Samba, Africa Remix 2004-2007.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://zawiki.free.fr/wk/index.php?title=Ch%C3%A9ri_Samba"> Beauté Congo/Fondation Cartier </a></span></figcaption></figure><p>Au lendemain de la coupe du monde de football, Trevor Noah, le présentateur sud-africain du talk-show étatsunien <em>The Daily Show</em>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=g62BcUsR2fg">célébrait la « victoire africaine » de la France</a>. La réponse que lui avait alors opposé Gérard Araud, ambassadeur de France aux États-Unis, avait été abondamment <a href="http://www.liberation.fr/france/2018/07/19/polemique-sur-l-afrique-gagnante-du-mondial-l-humoriste-trevor-noah-s-explique_1667607">commentée</a>.</p>
<p>Les échanges qui suivirent entre les deux hommes révélèrent la persistance et la prégnance d’un malaise français concernant la reconnaissance des sentiments communautaires de minorités, notamment lorsque ces sentiments se fondent sur la couleur ou la race.</p>
<p>La « race » est ici bien sûr entendue comme « race sociale » ; l’humanité a été historiquement catégorisée sur la base de critères physiques et culturels non-scientifiques durant l’<a href="https://www.persee.fr/doc/ierii_1764-8319_1972_mon_2_1">histoire coloniale</a>. Ces catégories continuent néanmoins à avoir un impact politique, culturel et social (racisme, discrimination et sentiments d’appartenance) qu’analysent historiens, sociologues et ethno-anthropologues.</p>
<p>La question de la place de communautés ethnico-raciales au sein de la République française ne se limite pas uniquement à des rapports de domination mais s’articule également avec des <a href="https://www.cairn.info/revnces-sociales-2001-4-p-66.htm">logiques d’auto-identification subjectives</a>. En l’occurrence, les propos de Trevor Noah questionnent plus précisément la possibilité de concilier deux sentiments d’appartenance : l’un qu’il qualifie d’ africain et l’autre français.</p>
<h2>Ce qu’être « noir » signifie</h2>
<p>Les manières dont s’exprime un sentiment d’appartenance noir ou africain ne peuvent pas être d’emblée disqualifiées comme du communautarisme ou du racisme mortifères qui causent forcément des divisions et des tensions.</p>
<p>Il existe bien certaines tendances radicales qui renversent le discours raciste pour affirmer une supériorité noire. Néanmoins, la célébration de la noirceur est surtout l’expression d’une quête de fierté dans des contextes sociaux et culturels où, y compris en France (outre-mer et dans l’hexagone), un complexe d’infériorité <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/peau-noire-masques-blancs-frantz-fanon/9782757841686">s’est durablement enkysté dans les mentalités</a>.</p>
<p>Ce complexe s’explique notamment par le fait que l’utilisation du terme « noir », pour désigner un individu ou des populations, est héritée de l’histoire de la colonisation de l’Afrique, <a href="http://catalogue.sciencespo.fr/ark:/46513/sc0001087434">des traites négrières et des esclavages</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fwkzjJEV8Ds?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les routes de l’esclavages, Arte, 2018.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il en est de même pour les représentations souvent dévalorisantes du continent africain et des cultures et individus qui lui sont plus ou moins directement liés généalogiquement. En dépit de l’existence d’élites et de royaumes africains connus des Européens avec lesquels ils échangent au moins de puis le XV<sup>e</sup> siècle, l’<a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/les-routes-de-lesclavage-9782226400741">image d’un continent arriéré</a> sur le plan technique et culturel et d’hommes et de femmes noir·e·s aux aptitudes physiques <a href="http://catalogue.sciencespo.fr/ark:/46513/sc0001173585">inversement proportionnelles</a> à leur capacité intellectuelle se sont imposées.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Josephine Baker est emblématique de la période où « jovialité » et « sensualité » exotiques sont mises en avant pendant l’entre-deux guerres, ici aux Folies-Bergere à Paris, (1926).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Ann%C3%A9es_folles#/media/File:Baker_Charleston.jpg">French Walery/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Et ce y compris dans les <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/095715580101203404?journalCode=frca">tendances négrophiles</a> manifestées notamment dans l’entre-deux-guerres en <a href="http://www.medias-presse.info/polemique-autour-du-bal-negre-le-racisme-est-partout/69002/">France</a> et aux États-Unis exaltant la créativité, la jovialité et la sensualité « africaines ».</p>
<h2>Inverser le stigmate</h2>
<p>En réponse à ce racisme, dans une logique d’inversion du stigmate, des consciences noires se sont ainsi construites essentiellement sur le désir de revaloriser une identité négative, assignée à travers les histoires coloniales. Le mouvement de la Négritude incarnée notamment par Aimé Césaire en <a href="https://la-plume-francophone.com/2011/03/05/romuald-fonkoua-aime-cesaire-1913-2008/">est l’un des plus beaux exemples</a>. S’il a existé des relations entre populations, communautés et ensembles politiques africains bien avant la colonisation européenne, il n’est pas excessif de considérer que l’idée <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Africa_Unite__-9782707176875.html">d’unité africaine</a> naît en réponse à la domination et émane d’ailleurs souvent des descendants de captifs africains réduits en esclavage dans les Amériques.</p>
<p>À Saint-Domingue, en Guadeloupe et en Jamaïque ou encore à l’île de la Réunion, pour ce qui concerne l’Océan indien, à travers des révoltes d’esclaves, la constitution de populations d’esclaves fugitifs ou encore de la création, d’institutions communautaires telles que la <a href="https://www.naacp.org/">National Association for the Advancement of Colored People</a>, des identités noires en références parfois directe au continent africain se sont construites de manière métonymique (références bibliques à l’Éthiopie) ou en en lien avec les ancêtres.</p>
<p>C’est le cas du rastafarisme ou par exemple du mouvement plus récent de redéfinition <a href="https://journals.openedition.org/civilisations/1925">d’une identité Akan</a> (Ghana) dans certains réseaux noirs états-uniens.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=608&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=608&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=608&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Quatre des militants les plus actifs de la NAACP, brandissant un poster contre l’état du Mississippi en 1956 (Henry L. Moon, Roy Wilkins, Herbert Hill, Thurgood Marshall).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:NAACP_leaders_with_poster_NYWTS.jpg">Library of Congress/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Aussi bien le racisme anti-noir que certaines doctrines qui visent à le combattre en affirmant une identité noire ou africaine reposent sur un essentialisme théoriquement et politiquement problématique.</p>
<h2>Essentialisme « noir »</h2>
<p>Certaines théories afrocentristes ou panafricaines telles que celle de l’égyptologue sénégalais <a href="http://www.presenceafricaine.com/livres-histoire-politique-afrique-caraibes/634-nations-negres-et-culture-2708706888.html">Cheikh Anta Diop</a>, visent ainsi tout autant à réhabiliter ce que les politiques et théories esclavagistes et coloniales ont contribué à dénigrer qu’à affirmer la grandeur d’une « race » ou d’une « civilisation africaine ».</p>
<p>Ainsi, loin de se limiter aux populations du continent, la catégorie d’« Africain » est employée par des citoyens de pays européens, américains ou caribéens afin de revendiquer cette identité primordiale.</p>
<p>Certains mouvements noirs plus radicaux et minoritaires ont même parfois cherché et cherchent encore à subvertir et <a href="https://livre.fnac.com/a6960517/Molefi-Kete-Asante-L-afrocentricite-et-l-ideologie-de-la-renaissance-africaine">inverser le discours eurocentré pour définir l’Afrique</a> (parfois nommée Kemet en référence à l’Égypte antique) comme l’origine de <em>la</em> civilisation humaine et les « Africains », au sens large, comme supérieurs aux Blancs ou Européens sur les plans culturels et biologiques.</p>
<p>Toutefois comme toute doctrine politique ou religieuse, il convient d’analyser les manières dont ceux qui y souscrivent en viennent à adhérer à de tels postulats.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’essayiste polémique Kemi Seba en interview à Bamako en juillet 2017. Il a co-fondé notamment l’organisation Tribu Ka, dissoute en France par décret pour incitation à la haine raciale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Kemi_Seba_en_interview_Mali_2017.jpg">Boubs Sidibe/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Attribuer du sens via l’afrocentrisme</h2>
<p>Sans nécessairement souscrire à des théories racialistes aussi radicales, certaines femmes et hommes estiment que leur attachement génétique, généalogique ou spirituel à l’Afrique constitue une part essentielle de leur identité. Ils trouvent à travers l’afrocentrisme un moyen de valoriser à tout prix l’Afrique et les populations noires.</p>
<p>Cela se produit dans des contextes où ces personnes et communautés peinent à trouver des sources d’identification positives. Comme l’avait déjà signalé Frantz Fanon, il s’avère en réalité <a href="https://player.ina.fr/player/embed/PH909013001/1/1b0bd203fbcd702f9bc9b10ac3d0fc21/wide/1">impossible de retrouver une essence pure</a> d’avant la colonisation.</p>
<p>Ce type de bricolage sert précisément à attribuer du sens à des trajectoires personnelles et communautaires diasporiques conflictuelles et complexes. C’est, selon un libraire du Quartier Latin, le cas de nombre de jeunes noirs et métis qui, en l’absence d’une transmission culturelle par le biais de leurs parents, semblent particulièrement friands d’écrits afrocentristes radicaux.</p>
<p>En dépit des similitudes que révèlent les expériences communes des personnes d’ascendance africaine, compte tenu de la pluralité et de la diversité des expériences noires et africaines, les contours de la conscience africaine s’avèrent ainsi beaucoup plus flous et labiles qu’il n’y paraît.</p>
<p>Le souci de revalorisation se retrouve chez bien des personnes identifiées et s’identifiant comme noires ou africaines qui n’adhèrent pas aux postulats (modérés ou plus radicaux) de l’afrocentrisme.</p>
<p>Les propos de Trevor Noah sur l’équipe de France de football tout comme son engouement manifeste pour le film <em>Black Panthers</em> (partagé à l’échelle planétaire notamment au sein des populations noires), montrent plutôt à quel point les personnes africaines, d’ascendances africaines (ou qui, à défaut d’endosser cette identité, se la voit assigner du fait de leur type physique) sont avides de modèles d’identification positifs.</p>
<p>En creux, cela révèle également, plus de 65 ans après la publication de <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/fanon_franz/peau_noire_masques_blancs/peau_noire_masques_blancs.html"><em>Peau noire, masques blancs</em></a> de Franz Fanon, à quel point un sentiment d’infériorité continue à être ressenti.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1023&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1023&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1023&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Portrait du psychiatre Frantz Fanon (1925-1961).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Frantzfanonpjwproductions.jpg?uselang=fr">Pacha J. Willka/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce sentiment demeure plus ou moins largement partagé mais il ne s’enracine pas pour autant dans une conscience communautaire forte et univoque. Outre le fait, et c’est là une évidence, que les personnes et populations perçues ou se définissant comme noires ou africaines diffèrent entre elles sur bien des points, la « conscience noire » qu’elles partagent ne les empêche nullement par ailleurs de se différencier elles-mêmes, dans certains contextes, sur la base de critères nationaux, ethniques, de classe sociale voire encore de race et de couleur.</p>
<h2>Se défaire des implicites raciaux</h2>
<p>Lorsque l’on est conscient des ressorts théoriques de certains mouvements noirs, il est tout à fait légitime de s’interroger sur les issues attendues de ceux qui se focalisent sur l’exaltation d’une identité primordiale africaine au soubassement parfois racialistes.</p>
<p>Et tout comme le présentateur Trevor Noah, on peut néanmoins tout autant se questionner sur ce que signifie le refus absolu d’entendre le désir de faire reconnaître une spécificité alors que les considérations liées à la couleur et à la race façonnent les relations sociales de multiples façons.</p>
<p>Certes, a contrario, les modèles multiculturalistes britanniques, étatsuniens ou canadiens peuvent entraîner une exacerbation du racial qui débouche potentiellement sur une reconnaissance plus ou moins solide des différences ethnico-raciales tout en minimisant voire occultant les mécanismes d’exclusion de nature sociale.</p>
<p>Néanmoins, en Angleterre par exemple, la reconnaissance d’une présence et d’une identité noire <a href="https://blackculturalarchives.org">ne s’est pas faite au détriment</a> de l’identité nationale britannique.</p>
<p>En dépit de la mobilisation de codes afrocentristes, une diversité d’expériences coloniales, postcoloniales, de migration, de réussites et d’épreuves difficiles ont, tant bien que mal, été intégrées <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2005-5-page-64.htm">au récit national</a>.</p>
<p>La France et l’Angleterre ayant chacune leur histoire propre, il est bien sûr impossible de calquer sans les adapter aux réalités françaises ce type de politiques. Il s’avère néanmoins, en tout état de cause, qu’il est bien possible de trouver une manière originale de concilier sentiment d’appartenance noir ou africain, d’une part, et citoyenneté/nationalité européenne, de l’autre.</p>
<p>La question se pose donc de savoir selon quelles modalités cela pourrait se produire en France. Une partie du processus consistera nécessairement à se défaire des implicites raciaux derrières les catégories d’africain (« noir ») et de français (« blanc »). La condition d’autres minorités, notamment celles s’identifiant comme arabes ou musulmanes (ou encore à qui une telle identité est assignée de manière fantasmagorique) devra également être prise en compte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102120/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ary Gordien ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La polémique sur les origines africaines des Bleus révèle le malaise français autour de la reconnaissance de sentiments communautaires fondés sur la couleur ou la race.Ary Gordien, Anthropologue, postdoctorant, Cercle de Recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme (Paris 8), enseignant, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1031322018-09-18T23:17:56Z2018-09-18T23:17:56Z« Les imaginaires sexuels coloniaux ont façonné les mentalités des sociétés occidentales »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/237111/original/file-20180919-158219-ewhgtn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C26%2C3550%2C2758&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Scène de mœurs, dit Le rapt de la négresse, peinture signée Christiaen van Couwenbergh
[Delft, Pays-Bas], huile sur toile, 105x128 cm, 1632. Cette œuvre représentant le viol d’une femme noire choqua ses contemporains, non pas par sa violence, mais par la représentation d’une relation sexuelle interraciale, jugée déplacée à l’époque.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mazanto/32079972243">Flickr/Christiaen van Couwenbergh (1604-1667), </a></span></figcaption></figure><p>Traversant six siècles d’histoire (de 1420 à nos jours) au creuset de tous les empires coloniaux, depuis les conquistadors, en passant par les systèmes esclavagistes et jusqu’à la période postcoloniale, notre ouvrage <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Sexe__race___colonies-9782348036002.html"><em>Sexe, race et colonies. La domination des corps du XVᵉ à nos jours</em></a> explore le rôle central du sexe dans les rapports de pouvoir.</p>
<p>Il interroge aussi la manière dont les pays esclavagistes et colonisateurs ont (ré)inventé l’« Autre » pour mieux le dominer, prendre possession de son corps comme de son territoire, tout en décryptant l’incroyable production visuelle qui a fabriqué le regard exotique et les fantasmes de l’Occident : autant d’images qui reflètent la domination raciale et sexuelle.</p>
<p>La compréhension de leur contexte de production, l’appréciation de leur diffusion, de leur réception, de leur importance dans l’histoire visuelle, visent à décentrer les regards et à déconstruire ce qui a été si minutieusement et massivement fabriqué. Projet inédit tant par son ambition éditoriale, que par sa volonté de rassembler une pluralité de regards et d’approches critiques, l’objectif de ce livre est de dresser un panorama de ce passé oublié et ignoré, jusqu’à ses héritages contemporains, en suivant pas à pas le long récit de la domination des corps.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236671/original/file-20180917-158240-1gg140u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236671/original/file-20180917-158240-1gg140u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236671/original/file-20180917-158240-1gg140u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236671/original/file-20180917-158240-1gg140u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236671/original/file-20180917-158240-1gg140u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236671/original/file-20180917-158240-1gg140u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236671/original/file-20180917-158240-1gg140u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Concours de beautés Bambari, Moyen-Congo, actuelle Centrafrique, photographie, tirage albuminé, 1912.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sexe, race et colonies</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sexualité, domination et colonisation. Trois termes qui se croisent et s’enchevêtrent en effet tout au long des six siècles de pratiques et de représentations qui composent ce livre. Or, si l’histoire des sexualités aux colonies est un sujet de recherche depuis plus de trente ans, il reste méconnu dans son ampleur. Pourtant, la domination sexuelle, dans les espaces colonisés comme dans les États-Unis de la ségrégation, fut un long processus d’asservissement produisant des imaginaires complexes qui, <a href="http://www.bibliomonde.com/livre/harem-colonial-images-sous-erotisme-5743.html">entre exotisme et érotisme</a>, se nourrissent d’une véritable <a href="https://www.amazon.fr/Femmes-dAfrique-Nord-postales-1885-1930/dp/2358480207">fascination/répulsion</a> pour les corps racisés.</p>
<p>Ceci explique pourquoi, les multiples héritages contemporains de cette histoire conditionnent, encore largement, les relations entre populations occidentales du Nord et celles des ex-colonisées du Sud. Car, si les imaginaires sexuels coloniaux ont façonné les mentalités des sociétés occidentales, ils ont aussi bien sûr, déterminé celles des dominé·e·s. Un travail de déconstruction devient, donc, aujourd’hui plus que jamais, nécessaire, en s’attachant notamment aux images produites tout au long de cette histoire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236678/original/file-20180917-158231-1ye7yp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236678/original/file-20180917-158231-1ye7yp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236678/original/file-20180917-158231-1ye7yp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236678/original/file-20180917-158231-1ye7yp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236678/original/file-20180917-158231-1ye7yp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1091&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236678/original/file-20180917-158231-1ye7yp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1091&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236678/original/file-20180917-158231-1ye7yp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1091&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Comme il vous plaira. Vierges noires de Djibouti », couverture du magazine <em>Voilà</em>, 16 janvier 1932.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sexe, race et colonies</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La colonie, territoire de la domination sexuelle</h2>
<p>La sexualité aux colonies n’est bridée par aucun tabou, y compris celui de l’enfance : les images proposées exhibant souvent des jeunes filles non-pubères (ainsi, bien que plus rarement, que des jeunes garçons) dans des mises en scène fortement sexualisées. La violence des fantasmes projetés sur les populations colonisées est donc sans limites, puisque le corps de l’« Autre » est lui-même placé en dehors du champ licite des normes, plus proche de l’animal et du monstre que de l’humain, plus en affinité avec la nature qu’avec la culture.</p>
<p>Ceci explique pourquoi le corps de l’« Autre » est pensé simultanément comme symbole d’innocence et de dépravations multiples : un corps qui excite autant qu’il effraie. Dans ce contexte, les femmes « indigènes » sont revêtues d’une innocence sexuelle qui les conduit avec constance au « péché » ou à une « dépravation sexuelle atavique » liée à leur « race », confortant la position conquérante et dominante et du maître et du colonisateur.</p>
<p>L’existence de ces femmes « Autres » toujours vues comme faciles, lascives, lubriques, perverses et donc forcément insatiables permet aussi de construire, en miroir, l’image de l’épouse blanche idéale, pudique et chaste, réduite à une sexualité purement reproductive.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236675/original/file-20180917-158237-ib137p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236675/original/file-20180917-158237-ib137p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236675/original/file-20180917-158237-ib137p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236675/original/file-20180917-158237-ib137p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236675/original/file-20180917-158237-ib137p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236675/original/file-20180917-158237-ib137p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236675/original/file-20180917-158237-ib137p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hula Girls, Hawaï, photographie de studio, tirage argentique, 1943.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sexe, race et colonies</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La liberté sexuelle des hommes blancs aux colonies ne saurait, en effet, être transférée aux femmes issues des métropoles coloniales. Celles-ci y sont, a contrario, plus surveillées encore, du fait qu’elles doivent nécessairement incarner l’exemplarité sexuelle et morale de la colonie, à laquelle les hommes blancs dérogent en général. Ainsi, le « gigantesque lupanar » figuré par la domination esclavagiste et coloniale permet-il aux colonisateurs de se penser et de se vivre en maîtres dans des espaces où leurs possibilités sexuelles sont maximisées au regard des normes et des interdits de leurs propres sociétés tout en excluant leurs femmes de ce même droit. Ceci explique pourquoi les pratiques sexuelles, amoureuses et conjugales dérogent, presque partout, aux règles, aux décrets et aux lois édictées par ceux-là même qui les transgressent allégrement et continûment.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236676/original/file-20180917-158219-2yax86.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236676/original/file-20180917-158219-2yax86.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=809&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236676/original/file-20180917-158219-2yax86.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=809&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236676/original/file-20180917-158219-2yax86.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=809&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236676/original/file-20180917-158219-2yax86.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236676/original/file-20180917-158219-2yax86.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236676/original/file-20180917-158219-2yax86.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Femmes vendues au poids, couverture du magazine <em>Détective</em>, n° 473, novembre 1937.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sexe, race et colonies</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette liberté sexuelle du maître et/ou du colonisateur se heurte pourtant, paradoxalement, aux préceptes moraux, aux interdits raciaux, au refus des femmes blanches d’accepter la cohabitation, jugée humiliante et déshonorante par la plupart d’entre elles, avec d’autres femmes et d’autres familles ; et, in fine, à la peur croissante, dès la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, d’un métissage qui fait écho à l’idée de dégénérescence et de disparition de la « race » blanche. Cette nouvelle configuration moralisatrice, hygiéniste et prophylactique complexe va conduire néanmoins à un appel croissant, quoique tardif, aux femmes blanches pour peupler les empires, assurer des descendances sans métissage et moraliser les mœurs coloniales. Ces véritables campagnes de recrutements d’épouses – ou de prostituées pour les maisons de tolérance – vont souvent s’effectuer, dans un premier temps, dans les marges des sociétés européennes – orphelinats, hospices, asiles, prisons, bordels… – parmi des catégories de femmes stigmatisées, telles les délinquantes, les filles-mères ou les prostituées : les métropoles coloniales se débarrassant ainsi d’éléments supposément « asociaux » et/ou « immoraux ».</p>
<p>De surcroît, partout dans les espaces colonisés, la question raciale est au cœur de la construction des sexualités puisqu’elle y est le pivot central de l’organisation politique, économique et sociale, particulièrement dans les configurations esclavagistes des Caraïbes, du Brésil ou des États-Unis. Sur cet ensemble de questions concernant toutes les aires géographiques et tous les empires coloniaux, et ce quelle que soit l’époque, les écrivains et les artistes ont laissé leurs empreintes tout en participant à la construction du regard des métropolitains sur les « Autres ».</p>
<h2>Une immense production d’images</h2>
<p>Très tôt, comme le montrent les œuvres rassemblées dans cet ouvrage (plus de 1 200 documents reproduits et majoritairement inédits), les artistes dépeignent les sociétés coloniales et, malgré les interdits, évoquent les métissages tout en éclairant les hiérarchies sociales indexées sur le taux de mélanine des différentes populations. Fondées sur des préjugés, notamment religieux, ces hiérarchies ont alors légitimé la domination raciale de l’époque moderne formant ainsi le premier substrat d’un racisme qui s’incarnait à la fois dans la couleur de peau et dans le statut socio-économique. Les premières images produites, du début du XV<sup>e</sup> siècle jusqu’à la fin du XVII<sup>e</sup> siècle, invitent aussi au rêve et témoignent, très majoritairement, d’une admiration et d’une fascination pour les peuples « exotiques » et leur corporalité.</p>
<p>Cependant, la généralisation de l’esclavage entre l’Afrique et les Amériques, les relations conflictuelles dans l’espace méditerranéen, la montée en puissance des empires coloniaux et l’émergence du racisme scientifique vont progressivement effacer ce « temps de la sidération » au bénéfice de représentations de plus en plus souvent dévalorisantes. Au tournant des XVIII<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> siècles, s’opère, en effet, une mutation décisive de sens qui va transformer le « préjugé de couleur » en raciologie. Sexualité, prostitution, homosexualité et « race » s’entremêlent donc inexorablement durant cette période, qui commence en 1830-1840, traverse tout le XIX<sup>e</sup> siècle et s’achève autour de 1920.</p>
<p>Des artistes de tous les pays vont dans ce cadre bâtir, dans tous les domaines artistiques possibles (dessin, gravure, peinture…), une vision du monde qui bouleverse les représentations de ces Ailleurs, jusqu’à la rupture majeure consécutive à l’émergence de nouveaux supports visuels tels la photographie, les affiches illustrées et les objets du quotidien bon marché, diffusant très largement, désormais, le goût orientalisant, africaniste ou japonisant, tout en exotisant, érotisant et/ou pornographiant l’« Autre » à outrance.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/236679/original/file-20180917-158225-sc557k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236679/original/file-20180917-158225-sc557k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236679/original/file-20180917-158225-sc557k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236679/original/file-20180917-158225-sc557k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236679/original/file-20180917-158225-sc557k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236679/original/file-20180917-158225-sc557k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236679/original/file-20180917-158225-sc557k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236679/original/file-20180917-158225-sc557k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« Scène érotique entre deux hommes dans un décor orientalisant », photographie, tirage albuminé, c. 1880.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sexe, race et colonies</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La démocratisation du porno colonial, à la charnière des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, figure, en effet, les colonies comme des « empires du vice », thème présent également dans la fiction romanesque ou pseudo-scientifique, comme en témoigne le célèbre livre du docteur Jacobus, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8579911?rk=21459;2"><em>L’Art d’aimer aux colonies</em></a> (1893). Très vite, l’industrie cinématographique, qui s’impose comme le grand média de masse de la période tant en Europe qu’aux États-Unis, va utiliser le potentiel érotique des colonies mettant en images de manière récurrente des hommes blancs présentés comme les maîtres incontestés des espaces colonisés, les « protecteurs » des femmes blanches, et les « séducteurs » et les « libérateurs » des femmes « indigènes », mais aussi de mythiques « femmes fatales » orientales ou asiatiques.</p>
<h2>Le siècle de la « beauté métisse »</h2>
<p>Enfin, le XX<sup>e</sup> siècle accouche d’un nouveau paradigme en forme d’utopie qui trouve son expression en de nombreuses images reflétées sur des supports multiples : celui d’une « beauté métisse ». Mais partout, de l’Asie du Sud-Est aux Indes, de l’Afrique subsaharienne au Maghreb, des Antilles à la Polynésie, ces mutations s’accompagnent de vifs questionnements, tel celui concernant la place à donner aux enfants métis : ceux-ci devenant les « enfants perdus » de sociétés encore très majoritairement fracturées par les <em>color lines</em>, légales ou non. Ces nouveaux enjeux, enclenchés par la Grande Guerre, sont ensuite démultipliés par la Seconde Guerre mondiale sur fond de crise migratoire en Europe et aux États-Unis et de contestations anticoloniales de plus en plus vives dans les empires coloniaux.</p>
<p>Cette dernière phase de l’histoire coloniale, enclenchée après 1945, est une période marquée par le <a href="http://www.cnrseditions.fr/histoire/7345-guerre-d-algerie.html">déploiement frénétique des violences sexuelles</a>, notamment contre les femmes colonisées, au sein des populations civiles : comme s’il fallait marquer et violenter les corps des colonisés et, ainsi, les punir de leur désir de se débarrasser de leurs oppresseurs. Comme s’il fallait, aussi, détruire ces femmes indigènes devenues les icônes graphiques des mouvements de libération (et de leurs alliés du moment en Chine, en URSS, en Corée ou en Inde) et des combattantes actives militairement et politiquement dans toutes les luttes anticoloniales.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/E-Vwtrr-sD8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Viols pendant la guerre d’Algérie, INA, 2009.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, la pratique du viol, au sein du corps expéditionnaire français, durant la guerre d’Indochine (1946-1954) et la guerre d’Algérie (1954-1962) est-elle désormais bien renseignée, comme celle des derniers lynchages – souvent accompagnés d’émasculations – aux États-Unis dans les années 1950. Ailleurs, en Afrique, c’est dans l’Empire britannique que cette violence se révèle à l’occasion de la révolte des Mau-Mau au Kenya entre 1952 et 1960, où des centaines de cas de violences sexuelles sur les femmes (dont des viols) et sur les hommes (dont des castrations) sont recensés.</p>
<p>Ces moments d’ultra-violence sexuelle entrent aussi en résonance avec certains conflits contemporains postcoloniaux, comme le montre l’usage du viol par les troupes étatsuniennes et leurs alliés durant la guerre du Vietnam, de 1955 à 1975, mais aussi par les Soviétiques pendant la première guerre d’Afghanistan, entre 1979 et 1989 et, plus récemment encore, par les troupes alliées en Irak, les Russes en Tchétchénie ou les Peace Corps de l’ONU en République démocratique du Congo.</p>
<h2>Héritages et mutations postcoloniales</h2>
<p>À partir des années 1970, de nombreux artistes vont engager un travail de déconstruction des stéréotypes coloniaux en prenant comme objet central le corps – tels l’artiste français Jean‑Paul Goude ou l’un des papes de la Pop anglaise Peter Thomas Blake, mais aussi l’ancien membre du Black Panther Party, Emory Douglas –, les institutions sexualisées (harem ou bordel) ou bien la violence sexuelle et le viol. Ainsi, Coco Fusco et Guillermo Gómez-Peña, au travers de leur célèbre installation <em>The Couple in the Cage</em> (1993), ou bien encore le Sud-Africain Brett Bailey, avec <em>Exhibit B</em> (2014), cherchent-ils à déconstruire la puissance des représentations de la domination sexuelle coloniale.</p>
<p>Dans le même ordre d’idées, la Vénus hottentote va, elle aussi, se retrouver au cœur de toute une série d’œuvres postcoloniales, telles <em>Venus Baartman</em> de Tracey Rose, <em>Venus</em> de Suzan-Lori Parks, <em>On t’appelle Vénus</em> de Chantal Loïal, <em>Hottentot Venus 2000</em> de Renee Cox, dénonçant son calvaire mais tentant de la restituer dans sa dignité, comme dans le film d’Abdellatif Kechiche, <em>Vénus noire</em>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SsidJhcMfMg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce de <em>Vénus noire</em>, Abdellatif Kechiche, 2010.</span></figcaption>
</figure>
<p>Sur tous les continents, des artistes vont porter un œil critique sur ce passé : tous souhaitant dépasser les héritages coloniaux en analysant les effets que les images s’y référant produisent encore aujourd’hui sur les individus et les sociétés.</p>
<h2>Tourisme sexuel</h2>
<p>Dans un tout autre registre, ces mêmes héritages se perpétuent aussi dans les pays des Suds avec le tourisme sexuel. Celui-ci s’est développé avant les indépendances puis lors des conflits de décolonisation et/ou issus de la Guerre froide (en Asie notamment), et constitue désormais une véritable économie globalisée. De très nombreux pays anciennement colonisés se sont ensuite « spécialisés » dans l’offre sexuelle à destination des Occidentaux, mais aussi des nouveaux pays industrialisés, tels la Chine, la Turquie ou les Émirats du Golfe. Héritier de la prostitution coloniale – et des quartiers réservés comme celui de Bousbir au Maroc ou des bordels destinés à l’armée états-unienne en Thaïlande et aux Philippines… – le tourisme sexuel véhicule toujours les mêmes fantasmes et mobilise les <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2012-2-page-16.html">mêmes imaginaires érotiques et pornographiques éculés</a>.</p>
<p>Notons cependant que les migrations Sud/Nord peuvent aussi provoquer des événements où la violence sexuelle extrême est convoquée à l’image des événements de <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/01/13/agressions-du-nouvel-an-a-cologne-ce-ne-sera-plus-jamais-comme-avant_4846335_3214.html?">Cologne, en Allemagne, en 2016</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dEnejqmcMJo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les Hauts-Parleurs, 2017. À Saly, sur la petite côte du Sénégal, pas loin de Dakar, des jeunes filles à peine sorties de l’adolescence, rivalisent d’ingéniosité pour offrir leurs services aux touristes, dans l’espoir d’un avenir meilleur.</span></figcaption>
</figure>
<p>De nombreux exemples interrogent en tout cas ce « droit global » des hommes à s’accaparer, y compris par la violence sexiste et raciste, toutes les femmes : celles considérées, par eux, comme étant les possessions des « Autres », mais aussi évidemment celles appartenant à leur propre famille, groupe, culture, nation, « race »… Angela Davis le <a href="https://archive.org/stream/WomenRaceClassAngelaDavis/Women%2C%20Race%2C%20%26%20Class%20-%20Angela%20Y.%20Davis_djvu.txt">soulignait déjà</a>, dans le contexte de l’émergence du mouvement des Black Panthers aux États-Unis dans les années 1970 :</p>
<blockquote>
<p>« Ils pensaient – et certains continuent à le penser – que le fait d’être un homme noir leur donnait des droits sur les femmes noires. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236707/original/file-20180917-158228-17npefa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236707/original/file-20180917-158228-17npefa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=641&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236707/original/file-20180917-158228-17npefa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=641&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236707/original/file-20180917-158228-17npefa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=641&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236707/original/file-20180917-158228-17npefa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=805&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236707/original/file-20180917-158228-17npefa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=805&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236707/original/file-20180917-158228-17npefa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=805&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Couverture de l’ouvrage.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Sexe__race___colonies-9782348036002.html">éditions La Découverte</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, dans la nouvelle réalité qui est la nôtre en ce XXI<sup>e</sup> siècle naissant, si des structures de domination perdurent incontestablement, d’autres processus inverses se déploient simultanément. Les migrations postcoloniales, au moins dans l’ensemble des anciennes métropoles coloniales, ont ainsi provoqué, presque mécaniquement, la multiplication des unions mixtes et leur acceptation progressive.</p>
<p>Dans la foulée, ce processus a donné corps à un cosmopolitisme globalisé. Que la simple existence de ceux-ci ait déclenché, tout au long de cette longue histoire, des réactions xénophobes plus ou moins constantes ne doit pas faire oublier que la figure des métis.ses est devenue, dans le même temps, un modèle esthétique de référence dans les cultures médiatiques mondiales. Un modèle contesté et/ou récusé, partout, par les suprémacistes de tout bord et les intégristes de toutes religions qui rejettent migrations et minorités au travers de « replis communautaires » polymorphes et accompagnés, le plus souvent, de forts conservatismes culturels et sociétaux, notamment en termes de mœurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236686/original/file-20180917-158219-iq5e1s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236686/original/file-20180917-158219-iq5e1s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236686/original/file-20180917-158219-iq5e1s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236686/original/file-20180917-158219-iq5e1s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236686/original/file-20180917-158219-iq5e1s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236686/original/file-20180917-158219-iq5e1s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236686/original/file-20180917-158219-iq5e1s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La figure des métis.ses est devenue un modèle esthétique de référence dans les cultures médiatiques mondiales.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/42231620@N07/3984452983">abductit/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quant aux femmes « Autres » toujours catégorisées en types à l’image des « Beurettes » en France, des « Congolaises » en Belgique, des « Pakistanaises » au Royaume-Uni, elles restent assujetties, aussi bien pratiquement que symboliquement, aux rôles prédéfinis par les héritages patriarcaux et/ou coloniaux.</p>
<p>On comprend désormais que la réduction des femmes et des hommes « Autres » à leur sexe/sexualité, principe fondateur de la doxa coloniale depuis l’origine, mais aussi des modèles sociaux de nos cultures désormais globalisées, est loin d’avoir totalement disparu. Et, pourtant, dans le même temps, le métissage est aussi devenu l’horizon d’une utopie censée préfigurer, pour certain·e·s en tout cas, l’éclosion d’une véritable société mondialisée, postraciale et égalitaire, par un effet boomerang que les colonisateurs n’avaient certes pas imaginé quand ils ont, pour la première fois, foulé les terres de l’Amérique, de l’Afrique, de l’Asie et de l’Océanie…</p>
<hr>
<p><em>Extraits de l’introduction de l’ouvrage collectif <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Sexe__race___colonies-9782348036002.html">Sexe, race et colonies. La domination des corps du XVᵉ à nos jours</a>, publié sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Christelle Taraud et Dominic Thomas par les éditions La Découverte et disponible en librairie à partir du 27 septembre 2018 (544 pages, 1 200 illustrations, une centaine d’auteurs/auteures ; préface de Jacques Martial et Achille Mbembe, une postface de Leïla Slimani).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103132/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascal Blanchard est membre du Groupe de recherche Achac .</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christelle Taraud, Dominic Thomas, Gilles Boëtsch et Nicolas Bancel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Comment les pays esclavagistes et colonisateurs ont-ils (ré)inventé l’« Autre » pour mieux le dominer, posséder son corps comme son territoire ? Extraits du livre « Sexe, race et colonies ».Pascal Blanchard, Historien, spécialiste du « fait colonial » et des immigrations (Laboratoire Communication et Politique), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Christelle Taraud, Historienne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneDominic Thomas, Letessier Professor of French Studies, University of California, Los AngelesGilles Boëtsch, Anthropobiologiste, directeur de recherches émérite, CNRS, UMI3189 ESS Dakar, Université Cheikh Anta Diop de DakarNicolas Bancel, Historien, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/826992018-04-25T21:39:19Z2018-04-25T21:39:19ZLe colorisme et les crèmes éclaircissantes : ces legs invisibles de la colonisation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/216259/original/file-20180425-175038-c3sfre.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C207%2C3642%2C2373&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le complexe de la peau blanche survit et est entretenu depuis la période coloniale par les produits cosmétiques. Un tabou à faire tomber.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/beautiful-curly-hair-face-female-235500/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>« Je suis une version acceptable de fille noire pour Hollywood, cela doit changer » <a href="http://www.rtl.fr/girls/identites/zendaya-critique-colorisme-hollywood-7793137563">déclarait avec fracas Zendaya</a>, chanteuse et actrice américaine de 21 ans, lors du festival BeautyCon à New-York ce 22 avril.</p>
<p>L’ancienne vedette de la chaîne Disney, idole des adolescent·e·s, dont les ancêtres viennent aussi bien du continent européen qu’africain, brise un tabou. Dans le monde du glamour et du politiquement correct, les femmes métissées à la peau claire auraient clairement <a href="http://www.bbc.com/news/newsbeat-43879480">plus d’opportunités que les autres</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"988173135378829313"}"></div></p>
<p>Ce débat n’est pas anodin. En France, comme aux États-Unis, des milliers de femmes, et d’hommes sont marqués par ce qu’on nomme le <a href="https://www.cairn.info/de-la-question-sociale-a-la-question-raciale--9782707158512-p-37.htm">colorisme, une discrimination entre les peaux de couleurs, favorisant les peaux plus pâles</a>.</p>
<h2>Un phénomène issu de la colonisation</h2>
<p>Le phénomène prend racine à l’âge d’or de la <a href="http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1991_num_32_1_2467_t1_0106_0000_2">France coloniale</a>, dans les années 1920. L’imposition de la langue, des normes et traditions françaises a non seulement <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/balandier_georges/socio_colonisation/socio_colonisation_texte.html">profondément modifié et influencé</a> les cultures, économies, comportements sociaux et politiques dans la durée mais a aussi eu d’autres impacts, moins visibles, sur la perception et la psyché des populations locales.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dOtuL7BcYSs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Récap : qu’est-ce que le colorisme ?</span></figcaption>
</figure>
<p>La peau noire concentre une très importante dose de <a href="https://www.britannica.com/science/melanin">melanine</a> – le <a href="http://www.medicinenet.com/script/main/art.asp?articlekey=4340">pigment</a> qui donne à la peau, aux yeux et aux cheveux leur couleur. Or, par le biais de la colonisation et de l’idéologie raciste véhiculée à l’époque, la couleur sombre est rapidement devenue un marqueur identitaire péjoratif, associé aux classes socio-économiques et culturelles les plus défavorisées. Cette image a été intériorisée par les différentes populations africaines, et ce, pendant des siècles.</p>
<p>Certains « colonisés » ont donc cherché à imiter la couleur de peau ou les caractéristiques physiques des colons, dans le but d’améliorer leur condition de vie et leur image.</p>
<p>Ce processus d’aliénation – la « négrophobie » envers les autres Noirs et l’espoir de ressembler aux Blancs – a été <a href="https://www.scienceshumaines.com/frantz-fanon-contre-le-colonialisme_fr_28199.html">d’ailleurs décrit et analysé</a> dès 1952 par Franz Fanon dans <em>Peaux noires, masques blancs</em>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/W2zh61j73PI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le court-métrage plusieurs fois primé, « Charcoal » (2017, de l’Haïtienne Francesca Andre) dénonce les ravages du colorisme.</span></figcaption>
</figure>
<p>Malgré la dénonciation de ce phénomène, le colorisme reste une réalité, notamment aux États-Unis où avoir conscience de la couleur de sa peau <a href="https://fordham.bepress.com/dissertations/AAI3003022/">affecte directement l’image et la confiance en soi</a>. Notons par ailleurs que chez la population américaine blanche le contraire est également vrai. Ainsi, après-guerre, a émergé le <a href="https://www.smithsonianmag.com/arts-culture/breck-girls-60936753/">concept</a> de la « Breck girl », la femme américaine aux cheveux longs, yeux clairs et peau d’albâtre, archétype de la beauté pendant de nombreuses années…</p>
<h2>Le marché lucratif des produits éclarcissants</h2>
<p>Ce décalage entre un idéal à atteindre – un critère de beauté, d’estime de soi fondé sur une peau claire – et la réalité a donné lieu à toutes sortes de stratégies de beauté dans les anciennes <a href="https://theconversation.com/self-love-not-bans-will-bring-an-end-to-africas-bleaching-syndrome-77985">colonies africaines</a> et sud-asiatiques.</p>
<p>Ainsi, pour un très grand nombre d’Indiens (hommes comme femmes), s’éclaircir la peau est rapidement devenu une habitude au même titre que de se lisser les cheveux ou s’épiler les sourcils.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bleached-girls-india-and-its-love-for-light-skin-80655">Bleached girls: India and its love for light skin</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les produits éclaircissant sont ainsi rapidement devenus une nouvelle manne financière.</p>
<p>D’ici à 2024, les profits issus de cette industrie pourraient cumuler à 25 milliards d’euros à l’échelle mondiale. Le <a href="http://www.aljazeera.com/programmes/specialseries/2013/08/201382894144265709.html">marché asiatique</a> seul ferait près de 4,68 milliards d’euros de profit dans les quatre prochaines années.</p>
<p>Le marché hexagonal lui est en plein essor : entre <a href="http://www.aljazeera.com/programmes/specialseries/2013/08/201382894144265709.html">1 et 5 millions de Français</a> auraient indiqué une ascendance africaine. Sans compter la présence d’une diaspora africaine importante en France. Combien de personnes utilisent alors ce type de produits ?</p>
<p>Il suffit de se promener au nord de la capitale parisienne, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00005082">dans les quartiers de Château rouge,</a> ou Château d’Eau, pour remarquer que l’industrie de la « peau blanche » a pignon sur rue.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216314/original/file-20180425-175077-16v61gs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216314/original/file-20180425-175077-16v61gs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216314/original/file-20180425-175077-16v61gs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216314/original/file-20180425-175077-16v61gs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216314/original/file-20180425-175077-16v61gs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216314/original/file-20180425-175077-16v61gs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216314/original/file-20180425-175077-16v61gs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Publicité pour les produits HT 26 conçus « pour les peaux noires et métissées » dans le métro ligne 4, à Château d’eau, Paris, 24 avril 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sonia Zannad</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On notera ainsi la prolifération de boutiques et magasins dont les rabatteurs vantent les services (salons de coiffure, manucure, etc.) et vendant des <a href="http://www.metropolitiques.eu/Qui-sont-les-Africains-de-Chateau.html">produits cosmétiques « africains »</a> dont les crèmes et autres produits éclaircissant.</p>
<p>Ces derniers sont d’ailleurs vantés par des célébrités africaines, et ce malgré la controverse qui entoure cette industrie et ses fabricants, de grandes multinationales aux sièges… européens.</p>
<h2>Néocolonialisme ?</h2>
<p>Ainsi, la France est très active dans la production et la vente de crèmes éclaircissantes aux côtés de sommités internationales. Clarins SA donc avec son White Plus mais aussi E.T. Browne Drug Co., Cavin Kare Pvt., Shiseido Co., Beiersdorf A.G. et l’américain <a href="http://www.futuremarketinsights.com/reports/skin-lightening-products-market">Proctor and Gamble</a> comptent parmi les plus grands producteurs de telles crèmes, y compris celles produites en Europe et ailleurs.</p>
<p>Pour éviter la controverse entourant les marques et des produits <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2017/10/23/une-publicite-pour-une-creme-eclaircissante-de-nivea-qualifiee-de-raciste_a_23252237/">qualifiés de racistes</a>, Clarins préfère promouvoir ses produits comme des crèmes de nuits ou agents de teinte, plutôt que comme des produits éclaircissant. Mais <a href="https://www.forbes.com/sites/sarahwu/2016/03/04/the-new-generation-of-brightening-skincare-products-will-no-longer-focus-on-exfoliation/#555b47795564">selon des documents analysés</a> à propos de l’un de ses produits, « les experts de Clarins ont trouvé que les extraits d’acerola sont capables de contrôler la surproduction de synthèse de mélanine à sa source ».</p>
<p>Cela n’empêche pas à ces marques de recourir à des célébrités locales pour vanter leurs produits, que ce soit en Inde – qui a légiféré en 2014 sur <a href="https://qz.com/219698/these-skin-lightening-commercials-will-infuriate-you-and-should-shame-indias-ad-industry/">ce type de publicités</a> – ou au Cameroun.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/185050/original/file-20170907-8366-cenr2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/185050/original/file-20170907-8366-cenr2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/185050/original/file-20170907-8366-cenr2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/185050/original/file-20170907-8366-cenr2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/185050/original/file-20170907-8366-cenr2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/185050/original/file-20170907-8366-cenr2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/185050/original/file-20170907-8366-cenr2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/185050/original/file-20170907-8366-cenr2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dencia avant et apres.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Reprudencia Sonkey, mieux connue sous son nom de scène Dencia, a ainsi fait la promotion auprès de milliers de femmes africaines une gamme de crèmes éclaircissantes appelée <a href="http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/15/dencia-la-pop-star-qui-blanchit-la-peau-noire_4832444_3212.html">Whitenicious</a>.</p>
<p>Dans un objectif marketing, la chanteuse camerounaise a affiché des photos d’elle-même : avant (peau très foncée) et après (peau claire). Succès garanti : en moins d’un mois l’entreprise a enregistré un record de ventes.</p>
<p>Tout comme Clarins, Dencia évite la controverse, jouant sur les mots et les qualités du produit, moyen ici, de se débarrasser de ses <a href="http://www.ebony.com/entertainment-culture/dencia-wants-to-set-the-record-straight-on-whitenicious-interview-453#axzz4q9VkVSRj">taches noires</a>. Néanmoins, les femmes africaines achètent Whitenicious spécialement pour s’éclaircir la peau, ce qui suscita des critiques de la communauté noire envers Dencia. En dépit de cela, elle <a href="http://lascandaleuse.com/2014/03/02/dencia-sen-prend-a-lupita/">a assumé</a> vendre une crème pour le bien des femmes africaines à la peau foncée.</p>
<h2>En finir avec les normes imposées</h2>
<p>En 2012 le candidat François Hollande avait proposé d’<a href="http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/03/11/hollande-propose-de-supprimer-le-mot-race-dans-la-constitution_1656110_1471069.html">éliminer le mot « race » de la Constitution</a>. Si le geste était admirable et bien intentionné, l’effort était au mieux symbolique, au pire vain.</p>
<p>La race n’est pas ici le sujet mais le racisme intériorisé et le colorisme oui. Encourager la promotion de produits favorisant ces idéologies est dommageable et <a href="http://www.afriqueavenir.fr/2016/03/27/risques-lies-a-la-pratique-de-depigmentation-volontaire-ou-eclaircissement-de-la-peau/">risqué pour la santé</a>.</p>
<p>À l’image du <a href="https://o.nouvelobs.com/lifestyle/20170412.OBS7907/generation-nappy-le-cheveu-nouvelle-arme-politique-des-afro-feministes.html">mouvement <em>nappy</em> (acronyme pour « natural » et « happy »)</a> qui se développe en France, de nombreuses initiatives voient le jour – on pense ainsi à l’association étudiante <a href="https://www.facebook.com/sciencescurls/photos/pb.328152274204643.-2207520000.1524644581./613655572320977/?type=3&theater">Sciences Curls à Sciences Po Paris</a> – pour s’affranchir des normes visuelles et physiques imposées par l’histoire coloniale.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YTtrnDbOQAU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Solanes Knowles, petite sœur de Beyoncé et chanteuse, soutient le mouvement « nappy ».</span></figcaption>
</figure>
<p>Si nos gouvernements veulent aider, alors ils pourraient interdire complètement la vente des produits éclaircissant ou les taxer spécifiquement, en <a href="http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/f5a0f0848470b68cf7c4b932f800074a.pdf">plus de ceux déjà répertoriés en Europe comme dangereux</a>. Le Ghana a ainsi déjà pris <a href="http://www.informationng.com/2017/08/ghana-bans-bleaching-creams-country.html">quelques mesures</a> mais il est grand temps de les généraliser à l’échelle mondiale, notamment du côté des fabricants.</p>
<p>Il faut par ailleurs développer des campagnes de service public comme celle lancée par des activistes indiennes <a href="https://www.theguardian.com/inequality/2017/sep/04/dark-is-beautiful-battle-to-end-worlds-obsession-with-lighter-skin">« Dark is beautiful »</a> et encourager la parole de jeunes stars issues de la pop-culture telles que Zendaya afin de faire enfin changer les mentalités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/82699/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le colorisme, l’attrait pour les peaux claires sont des biais racistes qui se perpétuent, comme en témoigne l’utilisation massive de produits éclaricissants.Ronald E. Hall, Professor of Social Work, Michigan State UniversityNeha Mishra, Assistant Professor of Law, Reva University of BangaloreLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/888232018-01-18T19:17:32Z2018-01-18T19:17:32Z« Chère Ijeawele » : pourquoi faut-il (re)lire le manifeste féministe de Chimamanda Ngozi Adichie en 2018<p>L’année 2017 a été marquée par une <a href="http://bit.ly/2lUF27F">importante série de revendications féministes et anti-sexistes</a> à travers le monde. Une voix notamment devrait trouver encore plus d’écho en ce début d’année 2018, de par son universalité et les débats qu’elle suscite : celle de l’écrivaine et commentatrice sociopolitique nigériane Chimamanda Ngozi Adichie.</p>
<p>L’auteure <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/en/french-foreign-policy/cultural-diplomacy/events/article/launch-of-the-third-nuit-des-idees-at-quai-d-orsay-25-01-18">qui sera présente à Paris le 25 janvier lors de la 3ᵉ édition de la Nuit des Idées</a> a en effet particulièrement marqué les débats autour des inégalités de genre ces derniers temps, aussi bien par ses romans que par ses essais.</p>
<p>Paru en mars 2017, son dernier ouvrage, <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Litterature/Chere-Ijeawele-ou-un-manifeste-pour-une-education-feministe"><em>Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe</em></a> est une lettre en réponse à son amie Ijeawele, qui lui demandait conseil afin d’offrir à sa nouvelle-née une éducation féministe. Chimamanda Ngozi Adichie lui (et nous) propose quinze suggestions pour éduquer des filles féministes, qui font de sa lettre un véritable manifeste.</p>
<p>Didactique, le livre ne s’adresse pas aux seuls parents ni à un public exclusivement nigérian. Adichie reprend divers points largement débattus aujourd’hui par les féministes du monde entier. L’universalité de ce petit précis lui fait très vite connaître un succès foudroyant. Mais il essuie aussi différentes critiques, visant particulièrement le féminisme de son auteure : manque de pertinence pour un public africain, regard trop peu intersectionnel, ou encore banalisation de certains débats en faveur de leur médiatisation.</p>
<h2>Questionner le féminisme</h2>
<p>Vivant entre le Nigéria et les États-Unis, Adichie est avant tout mondialement reconnue comme écrivaine de fiction anglophone (traduite en 30 langues) plusieurs fois primée. Ses récits sont riches en protagonistes nigérianes confrontées à une <a href="http://www.lemonde.fr/livres/article/2015/02/05/chimamanda-ngozi-adichie-imperiale_4570126_3260.html">structure sociale patriarcale</a>. Les multiples facettes de ces personnages féminins démontrent une sensibilité particulière de l’auteure vis-à-vis des inégalités de genre.</p>
<p>Ce n’est cependant qu’en 2013, lors d’une conférence TED, qu’Adichie parle pour la première fois ouvertement de féminisme. Publiée sous forme de <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/246919/we-should-all-be-feminists-by-chimamanda-ngozi-adichie/9781101911761/">court essai</a>, paru en <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-2/Nous-sommes-tous-des-feministes-suivi-de-Les-marieuses%22%22">France en 2015</a> le texte de la conférence connaît un succès international.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hg3umXU_qWc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Conférence TED de 2013.</span></figcaption>
</figure>
<p>La romancière avance à cette occasion sa propre définition du terme : « un homme ou une femme qui reconnaît que “oui, il y a un problème avec le genre aujourd’hui et nous devons faire en sorte de le résoudre, nous devons faire mieux”. Elle pointe aussi du doigt les multiples critiques associées au terme « féministe », au Nigéria comme dans le reste du monde.</p>
<p>Adichie explique ainsi lors de sa <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hg3umXU_qWc">conférence</a>, qu’au Nigéria et dans plusieurs pays d’Afrique, ce terme est souvent censé concerner seulement des « femmes malheureuses ». Il est aussi souvent présenté comme incompatible avec une supposée « culture africaine ». Elle suggère donc avec humour de requalifier ce terme : « I would now call myself a Happy African Feminist » (« Je m’appellerai désormais une Féministe Africaine Heureuse »).</p>
<p>Ceci n’est pas sans rappeler des débats plus anciens : peut-on parler de féminisme dans le contexte africain ou ce terme est-il radicalement exogène ? Au Nigéria, ces questions ont été abordées dès les années 1980 par l’association <a href="https://www.jstor.org/stable/20406565?seq=1#page_scan_tab_contents%22%22">Women In Nigeria (WIN)</a> ; la première à s’être ouvertement définie comme féministe dans le pays.</p>
<p>Pour l’une des pionnières du mouvement, <a href="http://www.africanfeministforum.com/ayesha-imam/">Aisha Imam</a>, il existe une pluralité de féminismes, chacun à restituer <a href="http://www.africabib.org/rec.php?RID=W00078499">dans un contexte et une temporalité propres</a>.</p>
<p>Au-delà du Nigéria, certaines militantes trouvent également le terme inapproprié : il serait trop représentatif d’un mouvement blanc, occidental et de classe moyenne-supérieure. Elles lui préfèrent l’expression <a href="http://www.tjenbered.fr/2005/20051231-99.pdf">« féminisme intersectionnel »</a> popularisé par l’<a href="https://www.huffingtonpost.com/entry/kimberle-crenshaw-intersectional-feminism_us_598de38de4b090964296a34d">universitaire et avocate américaine Kimberlé Crenshaw</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/200784/original/file-20180104-26166-1xvcvpp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/200784/original/file-20180104-26166-1xvcvpp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/200784/original/file-20180104-26166-1xvcvpp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/200784/original/file-20180104-26166-1xvcvpp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/200784/original/file-20180104-26166-1xvcvpp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/200784/original/file-20180104-26166-1xvcvpp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/200784/original/file-20180104-26166-1xvcvpp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Professeur Kimberle Crenshaw interviewée pour l’émission de Laura Flanders en 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Kimberl%C3%A9_Williams_Crenshaw#/media/File:Kimberl%C3%A9_Crenshaw_Laura_Flanders_2017.png">Wikimedia/Laura Flanders Show</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Adichie reste cependant attachée au terme féminisme qu’elle juge <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PaCRkyKJar4">« plus facile » une fois débarrassé de ses connotations négatives</a>.</p>
<p>D’autres rétorquent : ne serait-il pas mieux d’utiliser un terme plus inclusif comme <a href="http://www.crepegeorgette.com/2014/08/06/humanisme-feminisme/">« humanisme »</a> ? Parler d’humanisme « serait malhonnête », <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-2/Nous-sommes-tous-des-feministes-suivi-de-Les-marieuses">répond Adichie</a> : cela nierait les inégalités subies spécifiquement par les femmes.</p>
<p>En prenant donc ce terme comme base de sa réflexion, l’auteure propose quinze suggestions pour pousser la réflexion (et l’action) plus loin. Revenons sur quelques fondamentaux.</p>
<h2>Déconstruire les rôles de genre</h2>
<p>La déconstruction des assignations de genre constitue l’un des fils rouges du manifeste. Les réflexions qu’Adichie propose ne sont pas novatrices, mais demeurent toujours d’actualité.</p>
<p>Pour l’auteure, la question doit être traitée dès l’enfance. Faisant écho aux travaux de <a href="http://www.emeraldgrouppublishing.com/products/books/series.htm?id=1537-4661">sociologues américains</a>, elle observe comment les magasins de jouets proposent des objets qui persistent à assigner garçons et filles à des <a href="https://theconversation.com/comment-les-jouets-de-construisent-le-genre-de-nos-enfants-67608">rôles respectivement « actifs » ou « passifs »</a>, les cantonnant pour les uns à la sphère publique et pour les autres à la sphère domestique.</p>
<p>Cette assignation se poursuit ensuite dans la vie de couple, où la femme est le plus fréquemment chargée de toutes les activités propres à la maison.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/200788/original/file-20180104-26163-b4vq8v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/200788/original/file-20180104-26163-b4vq8v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/200788/original/file-20180104-26163-b4vq8v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/200788/original/file-20180104-26163-b4vq8v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/200788/original/file-20180104-26163-b4vq8v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/200788/original/file-20180104-26163-b4vq8v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/200788/original/file-20180104-26163-b4vq8v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La « Rosification » (« Pinkification ») des biens de consommation – y compris des jouets – censés attirer une clientèle féminine s’est particulièrement développée aux Etats-Unis depuis les années 50.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://it.wikipedia.org/wiki/Pinkification#/media/File:London_-_Shopping_Pink.jpg">Wikimedia/Oxfordian Kissuth</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elle note que toutes ces « capacités domestiques » sont cependant acquises et peuvent être également maîtrisées par les hommes, discours qui avait déjà été développé dans des termes très proches au Nigéria par l’<a href="http://www.codesria.org/spip.php?article1152&lang=en">association militante WIN</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NybJ-xHUpdc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Pink or Blue ? » (« Rose ou Bleu ? »), poème de Hollie McNish et vidéo de Jake Dypka, août 2017.</span></figcaption>
</figure>
<p>Certes le débat est ancien, mais désormais la dénonciation de la « domestication » des femmes émerge sous d’autres formes, moins visibles mais tout aussi cruciales. La dessinatrice française Emma s’en était ainsi fait l’écho fin 2017, en illustrant le concept de <a href="https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/">« charge mentale »</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/200791/original/file-20180104-26157-z8ef74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/200791/original/file-20180104-26157-z8ef74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=710&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/200791/original/file-20180104-26157-z8ef74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=710&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/200791/original/file-20180104-26157-z8ef74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=710&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/200791/original/file-20180104-26157-z8ef74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=892&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/200791/original/file-20180104-26157-z8ef74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=892&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/200791/original/file-20180104-26157-z8ef74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=892&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Après « Fallait demander », le tome 2 « Un autre regard » de la bédéiste Emma est sorti le 9 novembre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.placedeslibraires.fr/livre/9791097160241-un-autre-regard-t-2-emma/">Massot Editions</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par « charge mentale », on désigne le devoir tacitement attendu des femmes d’avoir à organiser la vie de la maison. Elles se chargent ainsi d’un travail invisible dont l’exécution est parfois partagée, mais dont l’organisation leur reste dévolue. Les femmes sont alors à la fois « chefs de projet », tout en en restant en grande partie les principales exécutantes.</p>
<h2>Se penser au-delà de la maternité</h2>
<p>Dans son manifeste, Adichie traite également de la maternité, qu’elle refuse de glorifier. Elle invite les mères à ne jamais se définir exclusivement en tant que telles et à mieux considérer les bénéfices qu’apporte le travail dans la vie d’une femme. Au lieu de s’excuser pour le temps que cela « prend » sur celui consacré aux enfants, une mère devrait considérer les valeurs qu’elle leur transmet en travaillant. Il convient également, selon l’auteure, de revoir l’argument de la « tradition », toujours mobilisé dans l’opposition entre travail et maternité.</p>
<p>Dans le contexte nigérian par exemple, les femmes ont toujours travaillé <a href="http://www.iupress.indiana.edu/product_info.php?products_id=84804">hors de leur foyer</a>. Ce ne serait que sous l’administration britannique qu’une stricte <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rf/2016-v29-n2-rf02910/1038723ar/">« genrisation » de divers secteurs</a> aurait été introduite, dans le cadre d’un projet colonial consistant à <a href="https://www.rutgersuniversitypress.org/african-encounters-with-domesticity/9780813518039">forger des femmes au foyer</a> – entièrement consacrées aux soins de la maison, du mari et des enfants.</p>
<p>Si certaines femmes de l’élite ont progressivement intégré – de gré ou de force – cette norme, la majorité cumulent au final tâches du quotidien, maternité et travail. Le conseil d’Adichie s’adresse donc à la classe nigériane moyenne-supérieure mais aussi, et surtout, à un public occidental. La question ne cesse de fait d’agiter les <a href="http://www.lemonde.fr/famille-vie-privee/article/2015/10/29/taches-menageres-les-inegalites-ont-la-vie-dure_4798764_1654468.html">ménages occidentaux</a>.</p>
<p>La pensée d’Adichie reprend ici, avec plus de nuances, celles d’autres écrivaines nigérianes qui ont été plus radicales, telles que Buchi Emecheta, qui porte un regard très critique sur enfants et maternité.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/200795/original/file-20180104-26163-1n51waz.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/200795/original/file-20180104-26163-1n51waz.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/200795/original/file-20180104-26163-1n51waz.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/200795/original/file-20180104-26163-1n51waz.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/200795/original/file-20180104-26163-1n51waz.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1159&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/200795/original/file-20180104-26163-1n51waz.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1159&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/200795/original/file-20180104-26163-1n51waz.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1159&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Les enfants sont une bénédiction » (« The Joys of Motherhood »), de l’écrivaine Buchi Emecheta, paraît en 1979.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://wmich.edu/dialogues/texts/joysofmotherhood.html">Université Ouest Michigan</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Contrer la dépendance économique</h2>
<p>Ce petit précis d’éducation féministe invite aussi les femmes à reprendre en main leur liberté financière. Bien que les Nigérianes travaillent et possèdent leur propre argent, ce sont souvent les hommes qui se chargent des dépenses du couple et de celles du foyer, réduisant les femmes à une situation de dépendance.</p>
<p>De manière très caricaturale, les deux géants de l’<a href="http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/04/l-afro-pop-nigeriane-se-propage-dans-toute-l-afrique-et-aux-etats-unis_5008059_3212.html">afro-pop</a>, les Lagosiens <a href="https://www.youtube.com/watch?v=helEv0kGHd4">Davido</a> et Wizkid, illustrent ce phénomène en dépeignant souvent dans leurs chansons des femmes vénales en quête d’argent en échange d’amour.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XMAsSEH3yys?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Show you the money » (« Je te montrerais l’argent ») chante Wizid.</span></figcaption>
</figure>
<p>« Dans une relation saine, c’est le rôle de celui qui peut assurer d’assurer », martèle Adichie. Casser cette association entre hommes et subventions économiques permettrait aux femmes de négocier leur place dans la société avec une pleine capacité d’action.</p>
<h2>Assumer son corps</h2>
<p>L’auteure nigériane insiste par ailleurs sur le physique et l’image des femmes, communément soumise aux critiques, souvent par les femmes elles-mêmes.</p>
<p>Il ne faut pas confondre moralité et tenue vestimentaire et il convient de laisser les filles s’habiller comment elles le désirent assène-t-elle dans son manifeste. Une partie de son argumentation repose sur l’exemple des cheveux dans le contexte nigérian.</p>
<p>Adichie dénonce la nécessité d’avoir des cheveux « domptés », défrisés ou tressés qui est parfois une cause de souffrance et une perte de temps. Ce faisant, elle s’inscrit dans le <a href="http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/02/05/crepues-et-fieres-de-l-etre_4570832_3224.html">mouvement Nappy</a> ou dans la lignée d’autres <a href="https://mwasicollectif.com/">collectifs afro-féministes</a>. Elle invite les femmes à adopter d’autres canons de beauté que ceux qui dominent dans les sociétés occidentales. Pour cette raison, elle choisit <a href="https://www.jewanda-magazine.com/2017/10/mode-wear-nigerian-ou-quand-les-creations-nigerianes-sont-valorisees-par-chimamanda-ngozi-adichie">d’ailleurs de mettre en valeur la création nigériane</a> notamment via une campagne sur Instagram.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/adichiechimamanda","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>Être sans concessions</h2>
<p>Le manifeste appelle aussi à rejeter un <a href="http://ideas.ted.com/beware-of-feminism-lite/">« féminisme lite »</a> qui promeut l’idée que les hommes seraient différents et naturellement supérieurs aux femmes.</p>
<p>Être sans concession ne signifie pas pour autant nier l’esthétique qui nous plaît, rappelle l’auteure. Adichie souligne ainsi la façon dont, plus jeune, elle avait intériorisé les « leçons de genre », la poussant à suivre un style « peu féminin » pour se sentir respectée, suivant par là les injonctions de certaines féministes à rejeter « mode, maquillage et épilation » dans l’optique de se rapprocher de l’univers esthétique masculin.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/f1hMx_dx1nE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Adichie, icône de la marque Boots N7.</span></figcaption>
</figure>
<p>Elle évoque ainsi, de façon quelque peu simpliste, les discours des <a href="https://www.puf.com/content/Dictionnaire_des_f%C3%88ministes_France_-_XVIIIe-XXIe_si%C3%8Bcle">féministes différentialistes</a> des années 1970 qui revendiquaient une égalité adaptée « aux besoins propres et divers des femmes ».</p>
<p>Cette tendance se situait en opposition au féminisme universaliste de l’époque, qui souhaitait au contraire briser toute assignation de genre pour déconstruire chaque source d’oppression des femmes et renverser les rapports sociaux.</p>
<h2>Gare à la simplification</h2>
<p>On peut dès lors se demander si Adichie n’alimente pas ce même féminisme allégé en cherchant à simplifier et « massifier » un discours et des batailles complexes à travers différents supports (comme la musique ou la mode), au risque de les vider de leur portée révolutionnaire.</p>
<p>Qu’il s’agisse de Beyoncé reproduisant dans le morceau <em>Flawless</em> une partie du plaidoyer d’Adichie « We should all be feminists » ou <a href="http://www.elle.com/fashion/news/a43431/dior-we-should-all-be-feminists-shirt-rihanna-charity">du T-shirt créé pour Dior arborant le même slogan</a> et porté par Rihanna, les propos féministe de la romancière semblent très souvent orientés d’abord vers le marketing et bien loin d’éventuelles politiques concrètes visant à comprendre et niveler les inégalités entre les sexes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IyuUWOnS9BY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Flawless, de Beyoncé, 2017.</span></figcaption>
</figure>
<p>Adichie affirme ne pas se considérer comme une activiste féministe ni comme une experte du sujet. Mais le succès de ses écrits en fait désormais une icône en la matière. Ceci devrait aujourd’hui l’inciter à être plus vigilante et mieux se positionner vis-à-vis d’autres débats féministes, contemporains ou plus anciens.</p>
<p>Elle respecterait ainsi ses propres injonctions à se méfier des <a href="https://www.ted.com/talks/chimamanda_adichie_the_danger_of_a_single_story/transcript">« danger(s) d’une histoire unique » sur le féminisme</a>, tout en évitant de stigmatiser certaines positions féministes au profit de discours plus médiatiques.</p>
<hr>
<p><em>Ce billet est publié en collaboration avec le <a href="http://blogterrain.hypotheses.org/">blog de la revue Terrain</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88823/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Chimamanda Ngozi Adichie est devenue une icône féministe : retour sur une voix désormais incontournable de la cause des femmes.Sara Panata, Doctorante Histoire, Université Paris 1 et Institut français de recherche en Afrique, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Emilie Guitard, Chargée de recherche en anthropologie au CNRS, membre de l'UMR Prodig et chercheure associée à l'UMR LAM, intervenante dans le Master DYNPED, Université Paris 1, Université de BordeauxLaure Assaf, Assistant Professor of Arab Crossroads Studies and Anthropology , NYU Abu Dhabi, chercheuse associée LESC, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.