Un remaniement ministériel est une modification de la composition du Gouvernement pendant la durée du mandat de l’assemblée sans provoquer pour autant sa démission. On le qualifie de technique s’il est limité et de politique s’il est important.
On distingue le remaniement d’un changement de gouvernement, car il ne nécessite qu’un décret présidentiel contresigné par le premier ministre et non un nouveau vote de confiance. Toutefois dans la Ve République, il est courant que le premier ministre présente sa démission, avant d’être reconduit. En effet le mode de scrutin transforme souvent le vote de confiance en une simple formalité. Et les médias parleront indistinctement de remaniement dans les deux cas.
La formation de notre gouvernement correspond à un double héritage à la fois monarchique et républicain. Dans notre Histoire constitutionnelle, la liberté du Roi de choisir ses ministres s’est vue progressivement encadrée par le Parlement et la légalité.
Nomination et disgrâce sous l’ancien régime
À l’époque de Louis XIV, le gouvernement correspond au Conseil du Roi. Grâce aux travaux de Michel Antoine, on sait qu’il était subdivisé en plusieurs assemblées : on y distingue les conseils de gouvernement des conseils d’administration.
Le terme de ministre est à cette époque assez galvaudé, en effet il est donné à toute personne titulaire d’un office royal. Les plus proches conseillers du Roi portent le titre de ministres d’État. Ils siègent au Conseil d’en haut, le plus prestigieux et aussi le plus restreint, qui ne comporte jamais plus de 3 à 6 ministres. On le désigne ainsi, car à Versailles, il se situe juste à côté des appartements du Roi, au premier étage.
Seule une convocation du Roi permet d’y siéger, et elle doit être renouvelée à chaque fois, mais une seule suffit à posséder le titre de ministre d’État et la pension qui l’accompagne.
Certains ministres sont à la tête de secrétariats d’État quand d’autres sont de simples conseillers. Les ministres sont révocables à l’exception du Chancelier. Ce dernier était historiquement le chef des Conseils en l’absence du Roi, mais son rôle tend à décliner à partir de Louis XIV.
La place au conseil ne dépend que de la confiance du monarque. Ainsi, les « remaniements » du Conseil vont s’expliquer soit par la mort d’un ministre ou sa disgrâce, soit par l’avènement d’un nouveau Roi. Cette liberté de choix du monarque ne se traduit pas par une instabilité ministérielle : ainsi Richelieu, Mazarin, Colbert ou Louvois conserveront leurs fonctions jusqu’à leur mort. L’ancien régime est marqué avant tout par la continuité de ces institutions.
La principale différence avec notre pratique actuelle du pouvoir est l’opacité de l’institution. On imagine mal un porte-parole du Conseil de Louis XIV annoncer la composition du nouveau gouvernement sur le perron de Versailles. Le grand public ignore tout de la composition du Conseil d’en haut et des débats qui y ont cours.
D’ailleurs ce conseil contrairement aux autres ne dispose d’aucun rapporteur afin garantir le secret.
De la disgrâce au vote de confiance
Le Siècle des Lumières voit l’émergence d’une certaine opinion publique. En 1774, à la mort de Louis XV, ses principaux ministres souffrent d’une forte impopularité.
Louis XVI décide alors de changer les ministres de son grand-père, et choisit de nouveaux conseillers : Maurepas est rappelé d’exil, et les nominations de Turgot ou encore Malsherbes sont autant de promesses d’une politique nouvelle. Mais les difficultés à mettre en place les réformes déçoivent, et Turgot se voit disgracié après seulement deux ans. Il s’en suit une valse des contrôleurs des finances qui perdure jusqu’à la Révolution.
Après la Restauration, le Roi conserve le monopole du choix de ses ministres, mais ceux-ci doivent ensuite convaincre le Parlement de voter les réformes. Si le vote de confiance n’apparaît qu’à partir de la IIIe République, tout au long du XVIIIe siècle, l’exécutif se voit contraint de « remanier » son gouvernement pour parvenir à faire voter des réformes. À partir de la monarchie de juillet, on admet même une responsabilité pénale des ministres qui deviendra sous la République un vote de confiance collectif au gouvernement.
Sous la IIIᵉ République, le soin de choisir ses ministres se déplace du Président de la République au Président du Conseil. Si la Ve République redonne au Président son rôle prépondérant, il se voit limité à présent dans la formation de son gouvernement.
De la confiance du parlement à celle de l’opinion publique
Le gouvernement est aujourd’hui considéré comme un collectif qui se doit de représenter la société française. Le quinquennat a accéléré la vie politique, et a rendu l’exécutif prisonnier des échéances électorales. Sans qu’aucune loi ne l’oblige, mais pour répondre à une exigence de l’opinion publique, le Président Sarkozy a souhaité mettre en place la parité entre les hommes et les femmes de son gouvernement. Il y a même ajouté un critère de « diversité » et des « ministres d’ouvertures ». Enfin, il a instauré une coutume exigeant que les ministres battus aux élections législatives démissionnent.
Le Président Hollande a franchi un pas supplémentaire en donnant à son gouvernement une sorte de pluralisme politique hérité de la « gauche plurielle » de Lionel Jospin, qui trouble la perception politique du gouvernement. Par exemple la Garde des Sceaux, Christiane Taubira et le ministre de l’Intérieur Manuel Valls ont parfois semblé soutenir des lignes bien divergentes.
Par cet antagonisme, le Président retrouve un peu le rôle d’arbitre qu’avait le Roi sous l’ancien régime, à ceci près que les ministres n’avaient pas le caractère public qu’ils ont aujourd’hui.
Enfin le Président Macron, sans rompre avec la parité homme/femme, ou un certain pluralisme au sein du gouvernement, adjoint encore comme critère la parité envers la société civile. Le choix des ministres doit ainsi répondre à une exigence d’exemplarité. Les lois successives de moralisation de la politique illustrent cette évolution vers davantage de transparence et d’intégrité. Cependant, ces nouvelles exigences ne s’accompagnent pas de plus d’influence pour une fonction de ministre empêtrée dans ses devoirs bureaucratiques. D’ailleurs, les directeurs de cabinet sont de plus en plus désignés par l’Élysée.
Les conseillers du Président
Depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, les conseillers présidentiels, jadis dans l’ombre, portent dans les médias une parole supplémentaire : celle du Président de la République. La parole élyséenne distribue ainsi publiquement une feuille de route aux ministres, rôle jadis dévolu au premier ministre qui voit le Secrétaire général de l’Élysée empiéter sur ses compétences. Ces conseillers officiels peuvent plus facilement que les ministres être forcés de proposition, retrouvant ainsi le rôle original des conseillers du Roi.
De même le Conseil d’État apparaît aujourd’hui dans la lignée des Conseils d’administration de Louis XIV. En effet, l’institution est non seulement la plus haute juridiction administrative, mais aussi une autorité consultative dont les avis sont souvent suivis par la haute administration.
Ainsi, la Ve République, cherche à se réformer vers plus transparence et de représentativité, mais la pratique des institutions se traduit par certaines persistances héritées de Louis XIV. L’idéal démocratique semble parfois se heurter au substrat monarchique qui imprègne les institutions françaises.