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Handicap : une enquête en Nouvelle-Aquitaine révèle qu’une femme sur deux a subi des violences sexuelles

Une enquête inédite menée en Nouvelle-Aquitaine révèle que toutes les femmes en situation de handicap interrogées ont tenté de mettre fin à leurs jours. Jacques Gaimard/Pixabay, CC BY-NC-ND

En 2020, en France, 1 personne sur 6 souffre d’un handicap, soit environ 12 millions de personnes.

Notre recherche, à paraître le 24 novembre, sur les femmes victimes de violences en situation de handicap montre que ces dernières sont particulièrement vulnérables aux violences sexuelles. Pour ces femmes, les violences avaient augmenté durant le confinement de près de20 % (contre 7 % pour les autres femmes lors de la précédente enquête menée en 2020.

Ces violences engendrent des conséquences psychologiques importantes, mais aussi des contraintes matérielles ou sociales concernant les femmes malentendantes ou aveugles par exemple, davantage isolées, comme le soulignait déjà Maudy Piot, fondatrice de l’Association femmes pour le dire, femmes pour agir (FDFA) lors d’un colloque tenu le 19 juin 2010.

Une enquête inédite

De janvier à septembre 2021 nous avons mené une enquête inédite à l’aide d’une triple méthodologie : le croisement de deux questionnaires (N=149), d’entretiens semi-directifs auprès des professionnel.les et des personnes concernées (N=38), ainsi que des entretiens collectifs (N=24). Au total, 211 femmes en Nouvelle-Aquitaine, âgées de 19 a 72 ans, issues de toutes catégories sociales, ont été entendues, avec des entretiens extrêmement douloureux pour certains. Cette méthodologie a permis une triangulation des données propice à une compréhension plus fine des « violences invisibles ».

Il a été fait le choix de ne pas sélectionner un handicap et de s’en tenir à une définition large au sens de la loi française. Intégrant les troubles psychiques, distincts du handicap mental, cette définition peut donc concerner les personnes que des violences, notamment sexuelles, ont exposées à des troubles psychotraumatiques.

Ainsi, si le handicap accroît le risque de violences, il peut aussi en être la conséquence. Enfin, une différence méthodologique entre les femmes victimes à l’âge adulte, suite aux violences et celles ayant eu un parcours dès le plus jeune âge, traversé par le handicap et son corollaire de violences a été effectuée intégrant ainsi l’analyse des violences sur le temps long.

Un constat alarmant

Nos résultats mettent en évidence plusieurs points clefs ;

  • Les femmes en situation de handicap déclarent deux fois plus que les autres avoir subi des agressions incestueuses durant leur enfance.

  • Les personnes en situation de handicap sont bien plus exposées aux violences sous toutes leurs formes.

  • En raison de leur parcours, elles ont peu confiance aux institutions, et se tournent davantage vers les associations dédiées, qui peuvent les accompagner dans ces démarches encore plus difficiles pour elles. C’est grâce au soutien associatif qu’elles peuvent sortir des violences pour une majorité d’entre elles.

  • Près des trois quarts estiment l’intervention des forces de sécurité insatisfaisantes ; ce qui montre une forte déception vis-à-vis des institutions.

  • Plus de la moitié d’entre elles a fait appel à une association dédiée (en lien avec leur handicap).

  • 40 % ont changé de ville suite aux violences.

Les femmes en situation de handicap mental et psychique sont davantage touchées dans la fréquence et l’intensité des violences. Elles connaissent trois fois plus de violences économiques que les autres. 40 % des femmes en situation de handicap relèvent des violences économiques et administratives (notamment la privation de l’allocation handicapée.). Parmi les 53 % des femmes qui réussissent à en parler, elles s’adressent majoritairement à la famille (48 %) et à un médecin (40 %) ou un travailleur social (23 %).

Une femme sur deux a subi un inceste

Par ailleurs, plus de la moitié des femmes en situation de handicap (tous handicaps confondus) entendues lors des entretiens ont rapporté des crimes incestueux.

Lors d’un entretien, une femme en situation de handicap psychique, violée durant l’enfance et boulimique suite à l’inceste subi, dit avoir « eu la chance d’avoir un compagnon malgré son poids ».

Cette personne rencontrée en unité hospitalière a subi des violences physiques, sexuelles et psychologiques dès le premier jour de sa rencontre :

« Tous les jours et depuis toujours il m’a battue pour tout et n’importe quoi… Vous voulez un exemple ! Celui où j’ai été virée de la formation que j’attendais depuis un moment : Je faisais une formation professionnelle dans le domaine viticole. Mon compagnon m’a téléphoné et hurlé dessus en me disant qu’il fallait que je rentre de suite, sans vraiment d’explications. C’est ce que j’ai fait. Une fois arrivée à domicile, je l’ai surpris en train de dormir. Je lui ai alors demandé ce qu’il y avait il m’a dit que c’était comme ça et qu’il n’avait pas à se justifier et m’a mis des coups de pied quand j’étais par terre. J’étais sa chose et il décidait de tous mes mouvements. »

Un autre témoignage issu du verbatim du questionnaire d’une dame en situation de handicap psychique âgée de 41 ans aujourd’hui montre l’amplitude des violences :

« J’ai été abusée sexuellement à l’âge de quatre ans par ma cousine qui avait huit ans de plus que moi. Malgré mon petit âge, plusieurs fois j’ai voulu prévenir ma tante, car j’avais déjà conscience que ce que me demandais et faisais à ma cousine était mal. Or, quand j’allais pour me plaindre à ma tante, celle-ci me répondait “le bureau des pleurs est fermé !”. Plus tard, à l’âge de 23 ans, un collègue de travail m’a obligé à le masturber sur le lieu de travail. Lorsque j’ai voulu en avertir mon employeur, on m’a traitée de menteuse et de folle… On me croit jamais parce que je suis travailleuse handicapée. »

Une violence symbolique accrue et intériorisée

En raison de leur position économique et sociale fragile, de leur sentiment de culpabilité et d’infériorité, les femmes en situation de handicap mental et psychique sont victimes de doubles stéréotypes, et sont rarement crues lorsqu’elles en parlent, en dépit des témoignages.

Lors de nos entretiens, nous avons pu entendre que ces violences réelles et symboliques sont si présentes au quotidien que les femmes les perçoivent comme « normales » :

« Moi je pensais que c’était normal que les couples vivaient un peu comme ça. »

À force de se sentir rabaissée, on finit par être endurcie. »

« Dans ma famille, on reçoit des coups pour être éduqué, c’est normal ! Mais de toute manière c’est comme ça que l’on se fait éduquer, c’est normal. »

Toutes les personnes en situation de handicap psychique interrogées relatent des refus de plainte par les forces de sécurité, d’écoute ou de soin par les proches et professionnels, en raison d’une certaine « hystérie » mise en avant.

CRP Sud NA. Centre Hospitalier Charles Perrens Bordeaux. Le 23 novembre 2021. J.Dagorn, Fourni par l'auteur

En dépit d’un certain « embarras » de certains membres des services publics face aux agressions, plusieurs professionnels (majoritairement issus du social, médico-social et médical) interrogés ont rapporté l’ampleur du phénomène.

Ainsi 80 % des professionnel·le·s interrogés connaissent au moins une femme en situation de handicap victime de violences. Parmi ces violences, la moitié des professionnels révèlent des rapports sexuels forcés par un compagnon ou un parent. En rapportant également que ces femmes cumulent tous types de violences, y compris un fort taux de violences économiques, leurs témoignages font écho à ceux des personnes concernées.

Le rôle ambivalent des aidants

En effet, si la situation des femmes en situation de handicap physique diffère, elle peut aussi être extrêmement compliquée lorsque le conjoint violent est souvent « un aidant ».

Plusieurs professionnelles interrogées ont fait part de la difficulté concrète de la séparation avec le conjoint violent lorsque ce dernier est également qualifié d’« aidant » alors qu’il s’agit du bourreau domestique.

Leur handicap est souvent source de dépendance physique, économique, financière et également source de revenus lorsque le conjoint a le statut de proche aidant. Cet état de fait augmente le risque de subir des violences et la dépendance à l’égard du partenaire intime ou du ménage, car dénoncer c’est prendre le risque de perdre l’aide au quotidien et de se retrouver dans une situation de vulnérabilité encore plus forte, d’autant plus quand la nature du handicap se traduit par des difficultés dans les déplacements.

L’insuffisance des moyens humains et financiers lors de la séparation est un véritable frein pour ces femmes, qui subissent alors la double peine liée au parcours de sortie des violences et à l’incapacité de vivre seule dignement. Une personne concernée y a fait allusion lors d’un entretien individuel, en parlant de sa tentative de suicide par médicaments après être restée seule chez elle, sans « perspective d’aller mieux ».

Les professionnelles ont fait allusion à la situation « humiliante » dans laquelle se retrouvaient certaines femmes sans les « soins » prodigués par leur compagnon. C’est pourquoi ce paramètre doit absolument être pris en considération dans le calcul des aides en cas de séparation.

Des capacités de résistances hors du commun

Malgré des parcours de violences compliqués, nombre de femmes rencontrées expriment une force et des capacités de résistances inouïes comme en témoigne cette femme de 42 ans :

« Aujourd’hui, même si les violences que j’ai vécues m’ont brisée, j’ai réussi à me reconstruire. J’ai réussi à m’accepter comme je suis et à refuser de me mettre de nouveau dans une situation de faiblesse. Je sais que nous sommes beaucoup de femmes handicapées à vivre des violences mais nous ne sommes pas obligées de subir. Nous ne sommes pas obligées de nous soumettre à une place que nous attribue la société. Le handicap n’est pas un frein. C’est vrai qu’il ne facilite pas les choses mais nous ne sommes pas condamnées à subir. Aujourd’hui je réapprends à m’aimer en tant que femme et plus en tant que handicapée. Je veux vivre heureuse et je me bats quotidiennement pour y arriver ».

Une autre confie :

« C’est étrange mais en quelque sorte j’estime que cela m’a aidé, je ne peux pas dire que j’en ai souffert. Ces remarques sur mon problème de vue m’ont permis de me construire et également de me protéger face à des réactions qui peuvent être plus ou moins virulentes. Il ne s’agit pas de banaliser la chose, mais dans mon cas, ou cela restait « minime » j’ai pu apprendre à réagir à certaines situations, finalement par la pratique. »

Leur Allocation handicapée (AAH) représente aussi une manne financière non négligeable (903 euros maximum par mois) pour certains hommes, qui les privent de papier, d’argent, et peuvent aller jusqu’à les prostituer afin d’augmenter leurs revenus comme en témoigne une enquêtée en situation de dépendance à l’alcool.

« Il me cachait mes bouteilles et m’enfermait dans la chambre… J’étais folle, je tremblais, j’avais mal à la tête… C’était horrible… Il faisait venir des amis dans la chambre et me faisait faire des tas de choses avec eux… Il me donnait une bière que quand c’était fini et qu’il n’y avait plus personne dans la maison… Puis une fois que je prenais ma bière […] Il me tapait au sol avec son pied… J’avais mal, mais j’avais ma bière… Maintenant, grâce au médicament qu’on m’a donné ici, j’ai plus envie de boire, ça me dégoute… J’essaie d’oublier, mais j’y arrive pas… je vois une psy qui m’aide… J’ai envie de retravailler et d’oublier tout ça madame ! »

La prise en compte politique et médiatique de la situation de ces femmes, dans un contexte post #MeToo permet de lever une partie de la violence symbolique subie, de dénoncer, mais aussi de vivre autrement, sans souffrances, comme l’exprime cette dame porteuse de handicap, qui a 72 ans, se révèle pleine d’optimisme :

« À l’époque je ne disais rien, aujourd’hui ça me révolte ! Je suis triste de ne pas avoir eu d’enfants mais je me dis que c’est mieux comme ça car l’enfant ne méritait pas d’avoir un père comme ça… Je vois à la télé qu’il y a beaucoup de publicité et il y a de plus d’associations qui existent il faut que ça continue c’est vraiment important. Il y a encore trop de féminicides et ça m’inquiète. J’ai réussi à sortir des griffes de cet homme mais toutes les femmes n’y arrivent pas et qu’elles soient accompagnées c’est important. »


Cet article reprend en avant-première les éléments d’analyse et la recherche menée par Johanna Dagorn pour l’Observatoire régional des violences sexistes et sexuelles de Nouvelle-Aquitaine et soutenue par la Région Nouvelle-Aquitaine et l’État.

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