Cet article appartient à la série « Harcèlement : paradoxes et nouvelle donne », qui fait suite à la journée sur le harcèlement organisée par l’École de Management de Normandie le 1er février 2018. Il a été co-écrit avec Géraldine Tchemenian, avocate avec une dominante en droit social.
Malgré l’assouplissement du régime de la charge de la preuve, faire reconnaître au tribunal l’existence d’un harcèlement moral ou sexuel demeure parfois difficile. Pourtant, ce motif est en revanche rarement contesté lorsqu’il est utilisé par l’employeur pour fonder un licenciement ou une sanction disciplinaire. Un paradoxe, alors même que le mouvement #balancetonporc a accéléré les jugements et les licenciements…
Licencier les harceleurs : le pouvoir de l’employeur
Licencier un salarié au motif qu’il aurait été un harceleur n’est pas une décision simple pour un DRH. Celui-ci est en effet souvent écartelé entre plusieurs nécessités : celle de protéger l’entreprise d’un contentieux éventuel de la part du salarié qui se sent harcelé, celle de protéger la santé du personnel et celle, enfin, de respecter la présomption d’innocence du harceleur supposé. Pour toutes ces raisons, le dossier doit être soigneusement instruit.
Le salarié harceleur pourra être licencié pour faute simple ou grave. Il appartiendra à l’employeur d’effectuer cet arbitrage dans l’échelle de la sanction.
Dans la majorité des cas, on retiendra la faute grave, avec au préalable une mise à pied conservatoire qui permettra à l’employeur d’enquêter sur la situation et la gravité des faits. Les solutions curatives (sanctions pénales, ou disciplinaires) existent, mais leur application souligne l’insuffisance d’actions préventives. Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui sera remplacé par le comité social et économique (CSE) avec la réforme du code du travail par ordonnances, joue un rôle en matière de prévention. Toutefois, le harcèlement est avant tout un problème managérial.
Prévenir et stopper : l’employeur est tenu par la loi
Il est ainsi indiqué à l’article L 4121-1 du code du travail que l’employeur doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Il est précisé que ces mesures comprennent notamment des actions de prévention du harcèlement moral et sexuel. De plus, selon l’article L 1153-5 du code du travail, au sein de son entreprise l’employeur est tenu de prendre « toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner. » Dès qu’il a connaissance d’agissements de harcèlement moral ou sexuel, l’employeur est dont tenu de prévenir les agissements de harcèlement moral ou sexuel, et de les faire cesser dès qu’il en a connaissance.
Nécessité d’une enquête contradictoire
Si l’employeur se doit de réagir rapidement lorsqu’un cas de harcèlement lui est signalé, la rupture immédiate du contrat de travail du salarié soi-disant harceleur n’est pas exigée. En effet, pour qu’une sanction disciplinaire ou un licenciement pour faits de harcèlement soient prononcés sans risquer d’être jugé « sans cause réelle et sérieuse » si le salarié mis en cause le conteste, l’employeur doit être en possession de preuves suffisantes à son encontre.
Il convient donc de commencer par mener une enquête contradictoire. Il est pour cela nécessaire d’entendre l’ensemble des salariés, en plus du salarié qui se dit victime (ou plutôt de la salariée, car une femme sur trois serait concernée), ainsi que de consulter éventuellement les instances représentatives du personnel et le médecin du travail. L’employeur doit également être attentif sur le délai imparti : les faits fautifs commis par le salarié désigné comme harceleur ne pourront être poursuivis au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance. En matière pénale, le délit de harcèlement se prescrit à 6 ans.
La difficile défense des salariés
Le salarié qui se prétend victime de harcèlement pourra engager la responsabilité de son employeur sur le fondement de l’obligation de sécurité et obtenir des dommages et intérêts. Il pourra également fonder une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail, ou faire une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail devant le conseil de prud’hommes. Si les faits de harcèlement sont reconnus, le licenciement sera jugé comme nul et les indemnités obtenues ne seront pas soumises au plafond des ordonnances Macron du mois de septembre 2017.
Aujourd’hui, et malgré l’assouplissement de la preuve en matière de harcèlement moral ou sexuel, la nullité du licenciement est très rarement reconnue et les condamnations au versement de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou sexuel sont rares devant le conseil de prud’hommes. Qui plus est, lorsqu’elles sont prononcées, les montants obtenus sont souvent très symboliques. Par ailleurs, il est fréquent que le conseil de prud’hommes rejette l’existence de harcèlement moral ou sexuel aux motifs que les faits n’ont pas été dénoncés au médecin du travail, à l’inspecteur du travail ou aux institutions représentatives du personnel présentes au sein de l’entreprise. Or, outre que ces exigences n’ont aucune base légale, il convient de rappeler que près de 30 % des victimes de harcèlement n’en parlent à personne et que moins d’un quart en font part à la direction ou à leur employeur.
Seuls 5 % des cas sont portés devant la justice, d’après l’enquête IFOP menée par le défenseur des droits en 2014. Par ailleurs, selon le rapport d’information de la commission des Lois constitutionnelles de l’Assemblée nationale en date du 16 novembre 2016, portant sur l’évaluation de la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel
« Entre 30 et 40 condamnations pénales pour des faits de harcèlement sexuel ont été prononcées chaque année entre 1994 à 2003 et entre 70 à 85 condamnations entre 2006 et 2010. La plupart du temps, les coupables ont été condamnés à des peines de prison avec sursis (seules trois à quatre condamnations par an en moyenne comportaient une partie d’emprisonnement ferme). Dans 10 à 12 % des cas, une peine d’amende était prononcée, d’un montant moyen de 1 000 euros. »
Les ordonnances Macron du mois de septembre 2017 vont certainement engendrer un durcissement de la jurisprudence des conseils de prud’hommes en matière de harcèlement moral ou sexuel. En effet, afin de contourner les plafonds d’indemnisation, nombre de salariés vont prétendre qu’ils ont été victimes de faits de harcèlement moral et/ou sexuel. Cette banalisation conduira peut être les conseils de prud’hommes à écarter, sans même les étudier, les faits de harcèlement dénoncés…