Durant le débat du 10 septembre, Donald Trump a affirmé que Kamala Harris détestait Israël. Dans les faits, les deux camps soutiennent clairement l’État hébreu dans sa guerre contre le Hamas, même si la candidate démocrate, à la différence de son adversaire, appelle plus volontiers à prendre en compte les souffrances de la population palestinienne.
Alors que les médias présentent souvent le conflit israélo-palestinien comme une question absolument polarisante dans la campagne électorale américaine, la réalité est que, sur cette question, les Républicains et les Démocrates ont des positions remarquablement similaires, bien que certaines distinctions doivent être soulignées.
Le soutien régulièrement proclamé de Donald Trump à Israël masque sa véritable motivation : il cherche avant tout à plaire aux électeurs évangéliques plutôt qu’à se préoccuper véritablement des intérêts d’Israël. De son côté le Parti démocrate, malgré une minorité bruyante d’ultra-progressistes dénonçant la brutalité de la guerre conduite par Tsahal à Gaza, continue de mettre l’accent sur la sécurité d’Israël et la nature stratégique des relations entre Washington et Tel-Aviv.
La réalité évangélique du GOP
Lors de la convention du Grand Old Party (GOP, surnom du Parti républicain), les questions de la sécurité d’Israël, dans le contexte du conflit de Gaza, et de la montée de l’antisémitisme aux États-Unis, ont occupé le devant de la scène.
La convention a notamment été marquée par un discours prononcé par les parents d’Omer Neutra, citoyen américain de 23 ans otage du Hamas, et par l’intervention de Shabbos Kestenbaum, un diplômé de Harvard qui poursuit en justice son ancienne université dont il juge insuffisante la réaction à l’antisémitisme qui se déploie dans ses murs. Ces préoccupations ont semblé éclipser tout le reste, la convention ayant d’ailleurs commencé par une prière pour les otages, ce qui souligne l’importance que l’équipe de campagne de Trump accorde à cet enjeu.
Les récents mémoires de l’ancien conseiller à la sécurité nationale H.R. McMaster, en fonction de février 2017 à avril 2018, révèlent cependant la frustration de Trump vis-à-vis des électeurs juifs, qui soutiennent traditionnellement les Démocrates. Pour Trump, les Juifs qui ne votent pas pour lui sont « de mauvais Juifs ».
En tout état de cause, son objectif premier quand il s’empare de la question d’Israël, comme le montre d’ailleurs son choix de colistier, est de mobiliser les chrétiens évangéliques, en particulier les sionistes chrétiens. Ce groupe, aux croyances messianiques, s’aligne plus étroitement sur l’extrême droite israélienne que n’importe quelle autre faction de la politique américaine, et il constitue le cœur de la base électorale de Trump.
Le soutien inébranlable à Israël, que Trump ne cesse de mettre en avant – en particulier par le biais de publicités récentes mettant en avant ce qu’il a accompli durant son mandat pour Israël, comme la reconnaissance de Jérusalem comme capitale et les accords d’Abraham –, occulte en réalité ses motivations et même ses positions plus récentes. Les récentes dissensions entre Trump et Nétanyahou, marquées par des critiques publiques du candidat républicain à l’encontre de son allié de longue date, suggèrent que sa relation avec les dirigeants israéliens est plus complexe que sa campagne l’affirme.
Le jeu d’équilibre du Parti démocrate
Côté démocrate, les médias ont largement évoqué la façon dont cette question a divisé le parti, dont la frange située la plus à gauche, et la plupart des sympathisants appartenant aux jeunes générations, réclament qu’Israël cesse immédiatement ses opérations dans la bande de Gaza et dénoncent l’aide militaire et financière massive que lui accorde Washington.
Toutefois, deux membres de « The Squad » – ce petit groupe d’élus démocrates de gauche radicale qui incarne l’aile la plus progressiste et la plus pro-palestinienne du parti –, Cori Bush et Jamaal Bowman, ont récemment été battus lors des primaires en vue des élections à la Chambre des représentants (qui se tiendront le même jour que la présidentielle), par des Démocrates plus modérés. L’une des explications à cette double défaite réside probablement dans leur posture intransigeante sur la question israélo-palestinienne.
En effet, si les jeunes et les progressistes sont indéniablement passionnés et actifs, leur poids électoral réel au sein du Parti démocrate n’est pas si élevé qu’on le croit souvent. Des études sur les élections nationales organisées aux États-Unis de 2018 à 2022 ont mis en évidence l’abstentionnisme élevé des jeunes générations aux élections de mi-mandat : en 2018, les moins de 30 ans n’ont représenté que 11 % des votants, et en 2022, 10 %. S’ils votent davantage lors des élections présidentielles, les plus jeunes restent la génération qui, proportionnellement, vote le moins.
La question de la position des minorités, en particulier des Afro-Américains, a fait l’objet d’une grande attention : le soutien de l’administration Biden, y compris de Kamala Harris, au gouvernement Nétanyahou, est-il de nature à inciter une partie de ces électeurs à se détourner du parti de l’âne ?
À cet égard, il est essentiel de rappeler les relations historiques entre cette communauté et la communauté juive, qui se sont consolidées à l’époque de Martin Luther King Jr. Leur lien pendant le mouvement des droits civiques a été marqué par une profonde solidarité et un soutien mutuel. Ce partenariat a été illustré par l’amitié étroite de King avec des personnalités telles que le rabbin Abraham Joshua Heschel. Si au fil du temps, cette relation a connu des tensions, on a vu récemment des mouvements comme Black Lives Matter, qui auparavant soutenait sans nuance la cause palestinienne, adopter des positions plus nuancées – une tendance notamment perceptible sur les réseaux sociaux où la génération Z, la génération la plus critique envers Israël, s’exprime le plus volontiers.
On a aussi pu lire que du fait de la posture de l’administration Biden sur la guerre à Gaza, des voix pourraient manquer à Harris au sein de la communauté musulmane, et que cela pourrait faire la différence dans certains swing states, comme le Michigan. Mais la minorité musulmane aux États-Unis représente environ 1 % de la population, soit la moitié de celle des Juifs, et n’ira en tout état de cause pas voter Trump. Pour remporter l’élection, Harris devra probablement compter sur les indépendants et les républicains modérés, qui ne sont ni radicaux ni aussi pro-palestiniens. Ces groupes pourraient jouer un rôle crucial dans la victoire.
La convention démocrate, en août dernier, a permis à la vice-présidente actuelle de rappeler clairement sa position :
« Je défendrai toujours le droit d’Israël à se défendre […]. Le peuple d’Israël ne doit plus jamais être confronté à l’horreur que l’organisation terroriste appelée Hamas a provoquée le 7 octobre… Dans le même temps, ce qui s’est passé à Gaza au cours des dix derniers mois est dévastateur. »
Les parents d’Hersh Goldberg-Polin, otage du Hamas pendant onze mois et exécuté fin août, ont pris la parole lors de la convention – quand leur fils était encore vivant. Leur discours, qui appelait à la paix pour tous, a été accueilli par des chants « Ramenez-les à la maison » entonnés par des milliers de participants. Des « délégués non engagés », visiblement pro-palestiniens, ont demandé qu’un orateur palestinien prenne la parole lors de la convention, mais l’idée a été repoussée, même par des voix plus modérées, en raison de préoccupations concernant des problèmes potentiels tels que ceux rencontrés en début de semaine, quand des personnes soupçonnées d’être des militants propalestiniens avaient déposé des asticots dans le buffet du petit-déjeuner de la convention.
Lorsque le corps de Hersh a été découvert, le 31 août, Harris a rapidement publié une déclaration condamnant sans équivoque le Hamas en tant qu’organisation terroriste qui ne pouvait jouer aucun rôle dans le contrôle de Gaza et devait être éliminé.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
Malgré les graines du doute plantées par certains Républicains et Juifs ultra-orthodoxes, malgré la virulence des réseaux sociaux du camp pro-palestinien, et quoi qu’ait pu en dire Donald Trump durant son débat du 10 septembre face à Kamala Harris, les Démocrates défendent Israël, tout en affirmant souhaiter une fin de la guerre aussi rapide que possible, de préférence avant l’élection de novembre – un tel développement pourrait alors être partiellement porté au crédit de l’administration Biden.
Un impact réel ?
Cette concordance entre Républicains et Démocrates sur la nécessite de soutenir Israël ne signifie pas que les deux partis n’ont pas de divergences majeures sur certaines questions fondamentales relatives au Proche-Orient, sur les scénarios du jour d’après, sur le rôle de la Cour pénale internationale et, bien sûr, sur la simple critique de la guerre actuellement conduite par Israël. Mais en fin de compte, les deux parties estiment qu’il est préférable pour tous, y compris et surtout pour les États-Unis et l’économie américaine, de tourner la page et de mettre fin à la guerre. Et cela, avant tout pour des raisons électorales.
La plupart des Américains sont favorables à la paix et à l’aide humanitaire aux Palestiniens ; mais en fin de compte, deux tendances générales l’emportent. Les jeunes les plus radicalisés sont minoritaires et votent moins ; et les gens qui votent décident de leur choix en priorité en fonction de l’économie et des questions qui les touchent directement.
Les deux partis suivent une voie plus ou moins médiane, la protection de la sécurité de l’État hébreu n’étant jamais sérieusement remise en cause, même parmi ceux qui appellent à davantage d’aide humanitaire et à la paix. En conclusion, tout est une question de nuance et d’équilibre dans un pays et un système bipartisan où les deux grandes formations sont des partis attrape-tout et où le jeu consiste désormais à attirer le plus grand nombre d’électeurs possible, alors même que les points de vue de ceux-ci sont souvent contradictoires.