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Hausse des frais d’inscription en fac : une tendance contre-productive ?

Manifestation à Paris contre la hausse des frais d'inscription pour les étudiants internationaux, prévue par le plan “Bienvenue en France” (janvier 2019, place de la Sorbonne). Bertrand Guay/AFP

Le 19 novembre 2018, le premier ministre Édouard Philippe annonçait le plan « Bienvenue en France » portant sur l’accueil des étudiants étrangers non-européens. La principale mesure de ce plan est une hausse spectaculaire des frais d’inscription, de 170€ à 2 770€ en licence, de 243€ à 3 770€ en master et de 380€ à 3 770€ en doctorat.

Cette annonce a provoqué un rejet inédit dans la communauté universitaire, des syndicats d’étudiants à la conférence des présidents d’université, en passant par le Conseil scientifique du CNRS. Tribunes et motions se sont multipliées, à un rythme pratiquement quotidien depuis 2 mois. Une pétition a recueilli plus de 300 000 signatures.

Face à ces réactions, la ministre Frédérique Vidal a constitué une commission de cinq personnalités chargées de mener une concertation sur tous les points avancés dans ce plan… hormis sur les frais d’inscription ! Économistes de l’enseignement supérieur, auteurs de plusieurs articles sur la question des frais d’inscription et co-auteurs avec le collectif de recherche ACIDES de l’ouvrage Arrêtons les frais, David Flacher (professeur à l'Université de technologie de Compiègne) et moi-même pensions n’avoir rien à apporter à cette concertation tronquée.

La commission a néanmoins souhaité nous entendre, en nous assurant être ouverte à discuter de tout le plan et à inclure toute remarque pertinente dans son rapport. Cet article revient sur les principaux arguments exposés lors de cette audition, le 4 février 2019.

Des exceptions qui annoncent la règle ?

La hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers n’est qu’une étape vers une hausse généralisée. Elle a en effet été précédée de très nombreuses exceptions à la tarification nationale, que ce soit à Sciences Po Paris, en 2003, puis à l’Université Paris Dauphine, ou dans de nombreux diplômes d’établissement et masters internationaux, proposés partout en France.

À côté de ces expérimentations pratiques, une longue série de rapports prépare la généralisation des frais d’inscription. On peut au moins remonter jusqu’à celui d’Elie Cohen et Philippe Aghion en 2004. Dès cette date, il s’agit à la fois de défendre théoriquement la hausse, mais aussi de définir les conditions politiques de sa mise en œuvre :

« Pour éviter de se heurter à un front de résistance interne et externe qui conduirait à l’échec, la réforme doit être menée pas à pas, sans proclamation tonitruante. »

Depuis, Terra Nova, l’Insee, l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) et l’Inspection générale des finances (IGF) ou encore France stratégie et la Cour des comptes ont livré des scénarios clé en main pour augmenter les droits d’inscription dans les universités.

La note signée Robert Gary-Bobo, issue des « Macron Leaks », est d’autant plus explicite qu’elle devait être confidentielle. Dans cette note, on peut lire que la hausse est « le nerf de la guerre » et doit viser 8 000€ en Licence et 10 000€ en Master. Mais aussi qu’il ne faut surtout pas annoncer cet objectif, qu’il faut « bannir les mots de concurrence et d’excellence » et les remplacer par « ouverture et diversité ». Et pourquoi pas « Bienvenue en France » ?

Miser sur un effet « signal »

Le premier argument avancé par les économistes en faveur d’une hausse des frais serait leur effet d’incitation à l’effort, pourtant largement démenti dans les faits, et surtout de rationalisation des choix scolaires : les études supérieures devraient être un investissement individuel. Et tant pis si une orientation scolaire en cohérence avec la rentabilité individuelle de cet investissement ne fait que renforcer toutes les inégalités sociales. Les étudiants d’origine modeste, les étudiantes, les enfants d’immigrés ont toutes et tous des perspectives de revenu moins favorables qui induiraient suivant cette rationalité moins d’ambition scolaire.

D’autre part, les potentiels étudiants étrangers verraient le tarif national actuel, très bas, comme une preuve de médiocre qualité, et la hausse des frais aurait donc un effet « signal », donnant l’impression que la qualité est plus élevée. Cet argument central du plan « Bienvenue en France » est extrêmement incohérent. Les frais pratiqués dans les pays qui s’inscrivent effectivement dans le marché global de l’enseignement supérieur, comme le Royaume-Uni ou l’Australie, sont bien plus élevés (au-delà de 10 000€ par an en Licence) : les prix affichés en France resteraient donc un signal de médiocrité.

Surtout, les enquêtes empiriques ne permettent pas d’identifier un effet signal dans l’enseignement supérieur, qui n’est pas un bien marchand standard. Si c’était le cas, les étudiants du monde entier devraient se bousculer au Chili, pays où les études supérieures sont les plus chères ; mais c’est tout l’inverse, le Chili n’a aucun flux entrant d’étudiants étrangers.

Il existe par contre un effet « distinction » (« je peux me payer une éducation plus chère que les autres ») qui ne fonctionne que sur les enfants des classes supérieures, comme c’est classique avec les biens de luxe. Nous avons mené une enquête publiée en 2013 sur les écoles de commerce : les étudiants issus de ménage très aisés qui étudient à HEC se réjouissent d’une hausse des frais parce qu’elle renforce l’apparente exception que constitue leur école. Quelques milliers d’euros de plus ne les effraient pas, d’autant qu’ils seront pris en charge par leur famille, comme le reste du coût de leur étude et de leur niveau de vie.

Vers une baisse du soutien public ?

Autre argument classique en faveur de la hausse : comme ce sont les enfants des classes moyennes et supérieures qui vont le plus à l’université, autant les faire payer pour plus de justice sociale. Il faut alors que le montant des frais soit progressif avec le revenu. Les promoteurs des frais préfèrent proposer une hausse pour tous mais financée par des prêts à remboursement conditionnel au revenu (PARC) : pour les diplômés les plus pauvres, le remboursement de ces prêts étudiants serait repoussé et même partiellement annulé une vingtaine d’années après la fin des études.

En plus de tous les effets pervers de cette financiarisation, ce mode de financement n’est pas du tout redistributif : c’est bien par les impôts que l’on peut obtenir des contributions progressives avec le revenu. C’est donc davantage l’amélioration de l’accès (et de la réussite) des classes populaires, déjà engagée avec la massification universitaire, qui permettra d’avancer vers l’équité du système d’enseignement supérieur.

Si la motivation officielle du plan « Bienvenue en France » est l’amélioration de l’accueil des étudiants étrangers, on peut aussi penser qu’il s’agit de compenser des subventions publiques insuffisantes par un financement privé : Emmanuel Macron lui-même l’a expliqué lors du « grand débat », le 4 février 2019. Les frais des étrangers n’y suffiront pas, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes. Même une hausse généralisée aux nationaux ne résoudrait pas la question du financement de l’enseignement supérieur puisqu’elle s’accompagnerait du désengagement de l’État et de coûts financiers et commerciaux exponentiels.

En Angleterre, l’augmentation des frais au début des années 2010 s’est ainsi accompagnée d’une réduction de 80 % de la subvention publique des établissements au titre de l’enseignement supérieur. Une économie qui pourrait rapidement être annulée du fait des coûts financiers des prêts étudiants supportés par l’État, selon l’Institute for Fiscal Studies britannique.

Enfin, s’il faut se financer par les frais, les établissements se lancent dans une concurrence effrénée pour attirer des étudiants. L’Université de Phoenix (600 000 étudiants) a ainsi été pointée pour ses dépenses de marketing, deux fois plus importantes que les dépenses d’éducation proprement dites.

Un espace d’enseignement polarisé

Un autre effet pervers du financement par les frais d’inscription est la polarisation qu’il entraîne. Si les ressources des établissements dépendent de leur capacité à attirer des étudiants solvables, alors on entre dans une dynamique divergente. Les établissements les mieux positionnés au départ, en termes de réputation, de position géographique, ou simplement de composition sociale de la population étudiante, voient leurs ressources propres exploser alors que les établissements de périphérie, qui assurent l’essentiel de la massification de l’enseignement supérieur, voient au contraire leur subvention publique s’évaporer.

Sciences Po a ainsi pu profiter de sa position favorable et de son avance dans cette dynamique pour doubler sa population étudiante et investir massivement dans l’extension de ses campus. On assiste là à une véritable accumulation primitive.

Les appels à projets qu’a connus le supérieur français depuis une dizaine d’années (en particulier les Idex du Plan Investissements d’Avenir) donnent un aperçu de l’effet polarisant du financement concurrentiel à l’échelle nationale. Bien qu’il ne s’agisse pour l’instant que de moyens réduits par rapport à la dotation des établissements, on peut déjà observer un accroissement de 20 % de la polarisation entre 2007 et 2015.

Mettre les frais d’inscription au centre du financement de l’enseignement supérieur aurait des effets catastrophiques pour la majorité des établissements, hors course au classement de Shanghai, et avec eux, pour des centaines de milliers d’étudiants.

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