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Hillary Clinton, le temps des femmes

Le 7 juin 2016, Hillary Clinton assure qu'elle a remporté les primaires. Timothy A. Clary/AFP

Au moment de lancer sa campagne, elle voulait qu’on l’appelle juste « Hillary ». C’était presque une mise en retrait, un abus de discrétion. Pourtant, elle savait déjà que cette campagne portait une dimension qui la dépasserait : mardi, Hillary Clinton est entrée dans l’histoire en accédant à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine. Elle est la première femme a l’obtenir de la part d’un des deux grands partis, c’est-à-dire avec une chance réelle de pouvoir l’emporter : « C’est la première fois dans l’histoire de notre pays qu’une femme est investie par l’un des grands partis, » a-t-elle simplement souligné lors de son discours ce mardi soir à Brooklyn (New York).

Un tournant pour les États-Unis

C’est après la sortie de son livre Le temps des Décisions, en 2014, que l’idée qu’une femme pourrait enfin devenir présidente des États-Unis a recommencé à faire son chemin. « Je l’espère, qu’il s’agisse de moi ou d’une autre _ », a-t-elle répondu à maintes reprises. « _Maintenant, plus d’Américains sont ouverts à l’idée d’une femme à la présidence. Ils sont conscients que nous n’avons pas encore brisé définitivement le plafond de verre, alors que 49 pays l’ont déjà fait. »

Effectivement, une cinquantaine de pays ont déjà porté une femme à leur tête et 22 ont une femme pour dirigeante à ce jour : l’Allemagne, le Libéria, l’Argentine, le Bangladesh, la Lituanie, Trinidad et Tobago, le Brésil, le Kosovo, le Danemark, la Jamaïque, la Corée du Sud, la Slovénie, Chypre, la Norvège, la Lettonie, le Chili, Malte, la Pologne, la Suisse et la Croatie. Les États-Unis n’ont jamais fait partie de cette liste et l’élection de 2016 pourrait changer cela.

En 2008, la carte du sexisme était restée en travers de la gorge d’Hillary. Le 7 juin, elle avait jeté l’éponge dans la course à la Maison-Blanche et son discours de 10 minutes avait été l’occasion de dénoncer le plafond de verre qui empêche les femmes d’accéder à la plus haute fonction. « Si nous pouvons envoyer une femme dans l’espace, nous pourrons alors, un jour, propulser une femme à la Maison-Blanche », avait-elle prédit. La voie est désormais ouverte. Pour cela il fallait créer une dynamique, remettre le train sur de bons rails et démontrer au peuple américain qu’elle est celle qui peut assumer ce rôle. C’est donc fait.

Trois femmes en une

Son positionnement est d’être elle-même, et de s’appuyer sur les trois femmes que tous les Américains connaissent, grâce à plus de trente ans de vie politique : celle qui a été et est toujours l’épouse de Bill, l’homme charismatique qu’elle a soutenu dans sa marche vers le pouvoir, mais aussi la mère de Chelsea, préoccupée par l’éducation de sa fille, son bonheur et son épanouissement, comme toutes les mères le sont avec leurs enfants ; et enfin la nouvelle Hillary, la grand-mère de Charlotte et, pourquoi pas, de tous les Américains.

Candidate démocrate, femme de Bill, et mère de Chelsea. TIMOTHY A. CLARY/AFP

Ces femmes-là ne font donc qu’une et c’est au service du son pays qu’on l’a toujours connue. Elle fut Première dame, sénatrice ou ministre des Affaires étrangères, et personne ne conteste son expérience de femme d’État. De son parcours de vie, elle extrait ce que toutes les femmes du pays peuvent retenir de leur propre parcours personnel : chacune d’entre elles à fait l’expérience qu’il est plus difficile pour une femme d’accéder au sommet.

Le rôle qu’elle s’assigne est de changer cela en privilégiant une politique de la réparation : il s’agit pour elle d’être aux côtés de ceux qui ont soufferts, les Américains de la classe moyenne, ceux qui sont frappés par les inégalités – à commencer par les salaires, le congé maternité ou la prise en charge sociale des enfants –, qui seront ses premiers combats.

Si peu de places pour les femmes

Le combat des femmes dans la conquête du pouvoir n’a pas commencé avec cette élection. Pour rappeler cette réalité évidente, Hillary a rendu hommage à sa mère, Dorothy, qui a fait ce qu’elle est, après l’avoir mise au monde. Cette mère est le symbole d’un passé dans lequel les femmes devaient justifier chaque action engagée et rêvait à une émancipation. Dans l’histoire américaine, on les retrouve dans le rôle si classique de celle qui est « à côté », auprès des premiers présidents, muse, inspiratrice, tempérante ou consolatrice.

Avant la guerre civile, on trouve les femmes impliquées dans la défense… des noirs et contre l’esclavage. Cette lutte est fondatrice car elle fera prendre conscience aux femmes qu’elles se battent pour donner un droit à des hommes alors qu’elles ne l’ont toujours pas obtenu pour elles-mêmes. Le mouvement des suffragettes va naître, puis celui pour l’égalité des droits, qui aboutiront naturellement aux combats féministes des années 60.

Au service des femmes. Ici, lors d’une visite en Ouganda, en 2012. U.S. Mission Uganda/Flickr

Il reste cependant un grand pas à franchir pour arriver à une maturité politique. En 1992, les critiques pleuvent sur Bill Clinton, qui vient de confier « à sa femme » un dossier aussi important que la réforme de la santé : ne peut-elle pas se contenter d’être une Première dame coquette et souriante ?

Cette année 1992 est pourtant l’année de la femme. On célébrera alors le doublement de sièges acquis par les femmes au Sénat américain : ce nombre est en effet passé de… 2 à 4 (sur 100). On peut opposer que les femmes réussissent moins que les hommes, pour toute une série de raisons. C’est faux, comme le confirme Debbie Walsh, directrice du Centre d’études pour les Américaines en Politique à l’université Rutgers : « On ne leur laisse juste pas de place », dit-elle.

Les chiffres sont là : les femmes ne constituent qu’un maigre 20 % dans l’effectif des élus au Congrès. Réjouissons-nous cependant : ce chiffre a doublé en dix ans. À ce rythme-là, dans quelques décennies elles en auront autant que les hommes… La réalité n’est pas plus brillante dans les positions moins élevées : depuis 2004 la représentation des femmes dans les congrès des États n’a augmenté que de 15 % – soit un peu moins de 300 pour l’ensemble des 50 États. Elles sont 2528 élues à l’échelle du pays, contre plus de 7300 chez les hommes.

Et demain

La parité n’est pas inscrite dans la loi aux États-Unis. C’est aussi ce qui rend l’événement clintonien si impressionnant : Hillary n’est peut-être pas celle que beaucoup de femmes voulaient pour les représenter, son caractère est parfois critiqué, voire ses attitudes – un certain mépris diront même certains… Qu’importe ! Aujourd’hui, elle est un symbole qui dit que quelque chose est en train de changer aux États-Unis.

D’ailleurs, déjà, on réalise que ce sont des femmes qui sont en position de l’emporter sur des sièges sénatoriaux très disputés dans des États clés comme l’Illinois, la Pennsylvanie, la Caroline du Nord, le Nevada. Et on sait que les enjeux de l’élection du 8 novembre se situent autant là qu’au niveau de la présidence. En Californie, le poste sera forcément gagné par une femme car ce mardi, ce sont bien deux femmes – Kamala Harris et Loretta Sanchez – qui se sont qualifiées lors des primaires.

Sans toutes ces femmes, il n’y aura pas de reconquête du Sénat par les démocrates. Or aux États-Unis, le pouvoir n’est pas que dans l’exécutif : elles attendent donc le temps de femmes pour enfin l’exercer à leur tour, ou enfin, ensemble. C’est aussi ce message que l’épouse de l’ex-président Bill Clinton, ancienne sénatrice et chef de la diplomatie américaine, a adressé à Bernie Sanders en lui tendant la main, alors que la question du rassemblement de la gauche se pose.

Certains voient dans son entêtement à poursuivre le combat un relent de sexisme forcené. Il dément ces accusations et on peut croire à sa sincérité. Mais a-t-il la maîtrise du poids du passé ? Cette grande question sera vite balayée par une certitude : c’est Hillary qui, désormais, a la responsabilité de mettre en œuvre « a future to believe in » – le futur dans lequel il proposait de croire, et qui est aujourd’hui possible.

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