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Hologramme, IA, réalité virtuelle : les morts n’ont jamais été autant présents parmi nous

Les prestations proposées par les médias sociaux et autres entreprises technologiques constituent malgré tout un frein au processus de deuil. Ure / Shutterstock

On savait que le business des célébrités décédées était en plein essor : James Dean va jouer dans un nouveau film 64 ans après sa mort, et la nouvelle tournée de Michael Jackson, Forever, a déjà attiré plus de 500 000 spectateurs.

Mais les célébrités sont-elles les seules à pouvoir accéder à l’éternité ? Il semblerait qu’un véritable business de l’afterlife commence à se développer, et nous en sommes tous des clients potentiels.

Préparer sa vie après la mort

Si vous pensiez que les médias sociaux étaient réservés aux personnes en vie, détrompez-vous ! Des chercheurs ont calculé que d’ici la fin du siècle, Facebook pourrait compter à lui seul près de 5 milliards d’inscrits décédés, soit plus que d’utilisateurs vivants.

Michael Jackson en hologramme (MJstudioversions, 2018).

Il faut dire que Facebook, à l’instar d’autres médias sociaux, permet de conserver son compte après sa mort en le transformant en « compte de commémoration ». Pour cela, il vous suffit de choisir un contact légataire (un ami ou un membre de votre famille), qui sera libre d’animer votre compte une fois que vous ne serez plus en mesure de le faire. Une bonne façon de garder en vie votre double digital !

Et pourquoi ne pas vous charger vous-même des messages que vous posterez après votre mort ? Des entreprises, comme DeadSocial, proposent à leurs clients de rédiger les messages qu’ils souhaiteront envoyer sur les médias sociaux après leur décès et d’en fixer le moment d’envoi. Il sera donc toujours possible de souhaiter un joyeux Noël à ses followers et amis tous les 25 décembre, même 10 ans après sa mort.

Si au contraire, vous ne souhaitez pas faire partie de ces morts qui continuent à passer trop de temps sur les médias sociaux, Google propose une option différente pour ses services (YouTube, Gmail, Blogger, Google Photos, etc.) : le gestionnaire de compte inactif.

En cas d’inactivité prolongée, Google contactera un de vos proches pour savoir si vous êtes décédé. Une fois le décès confirmé, le compte sera automatiquement clos. Un moyen de tuer son double digital et de ne pas laisser les données associées à son compte sans surveillance.

Se maintenir artificiellement en vie

Mais qu’en est-il des proches du défunt ? Comment réagissent-ils face à ces comptes artificiellement maintenus en vie ?

Des recherches en sociologie ont mis en évidence que ces pratiques ont modifié les comportements de deuil. En particulier, au lieu d’échanger avec d’autres personnes pour partager et exprimer sa tristesse ou sa douleur, les individus ont de plus en plus tendance à s’adresser directement au défunt sur sa page Facebook.

Ces pratiques brouillent également notre rapport au temps et à l’espace : en continuant à recevoir des messages du ou liés au défunt, et en créant un espace digital, immatériel, du deuil, les médias sociaux affectent les comportements traditionnels qui suivent la mort d’un proche.

Psychologiquement, de telles pratiques peuvent être un frein dans le processus du deuil prévient Véra Fakhry, psychologue spécialiste du deuil dans les colonnes du journal Les Échos :

« Après une période de choc liée au décès, la phase suivante est de rechercher la personne décédée. On va croire qu’on la croise dans la rue, on va relire ses messages… Cette phase est normale la première année, mais si elle continue, elle devient pathologique. »

Avec l’évolution des nouvelles technologies, de nouvelles pratiques apparaissent et risquent de brouiller encore davantage notre rapport à la mort et au deuil.

En particulier, en Corée du Sud, une femme a récemment pu partager quelques instants avec sa jeune fille décédée il y a plusieurs années, mais dont le corps et la voix ont été recréés en réalité virtuelle. Selon l’entreprise à l’origine du projet, la mise au point du personnage digital a nécessité un an de développement pour un coût de 50 millions de wons (37 000 euros).

La séquence a été diffusée à la télévision, dans un documentaire mettant en avant la chance de dire adieu à un être cher disparu.

Des chercheurs en sociologie et en psychologie ont identifié des effets positifs de cette immortalité symbolique, permise jusque-là par des photographies et des vidéos. Les possibilités de recréer la forme d’un défunt et d’ajouter la sensation de toucher (qui faisait partie intégrante de l’expérience coréenne) devraient renforcer cette immortalité symbolique des êtres qui nous sont chers.

L’intelligence artificielle commence elle aussi à faire parler les morts. Le journaliste américain James Vlahos a ainsi programmé un chatbot – c’est-à-dire un programme informatique conçu pour simuler une conversation avec des utilisateurs humains – à partir d’anciennes conversations enregistrées avec son père lorsque que celui-ci était encore en vie.

Business en devenir

Depuis le décès, James continue de discuter avec lui par le biais de Facebook Messenger de ses différentes passions pour le football américain, des origines grecques de sa famille ou encore de son premier chien.

Ainsi, grâce aux médias sociaux, à la réalité virtuelle ou à l’intelligence artificielle, les morts semblent de plus en plus présents dans notre quotidien et leurs activités ressemblent étrangement aux nôtres. Cela ne manque pas de soulever des questions passionnantes – éthiques, psychologiques, sociologiques, etc. – quant à l’impact de cette présence accrue sur notre rapport aux morts, mais aussi sur notre rapport à la mort (à la nôtre en particulier) et à la vie.

Mais si les consommateurs sont heureux de retrouver sur scène ou sur grand écran leurs célébrités décédées préférées, il y a fort à parier que beaucoup seront prêts à acheter les services d’entreprises qui permettront de retrouver aussi des proches qui ont perdu la vie.

En attendant, Facebook ou Instagram continuent à faire des bénéfices grâce à l’animation des comptes de tous les utilisateurs, vivants ou morts.

Interagir avec des morts, discuter et toucher des êtres chers décédés, pour les maintenir artificiellement auprès de nous, voilà un nouveau business en devenir qui s’annonce fort lucratif.

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