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Huawei en ordre de bataille face aux sanctions américaines

Liang Hua, PdG de Huawei
Liang Hua, PDG de Huawei pose lors d’un séjour à Paris en décembre 2019. Le géant du smartphone pourrait bien perdre de nombreux marchés européens en raison des sanctions américaines. Joel Saget/AFP

Huawei peut-il survivre aux sanctions américaines ? Déjà plusieurs pays émergents comme l’Inde ou le Vietnam calquent la décision américaine de prendre leurs distances avec le spécialiste chinois en télécommunications qui, dorénavant sera privé des services de Google. Un défi de plus pour le numéro deux sur le marché des smartphones.

Et Bercy semble prendre le pli. Ainsi selon un article du journal les Échos du 22 juillet, « la France organise à son tour la sortie progressive de Huawei du marché de la 5G ». De son côté, la Maison-Blanche a ajouté deux autres firmes chinoises, TikTok et WeChat, à sa liste noire.

Pourquoi une telle défiance de la part des États-Unis ? Et surtout, quelles stratégies de résilience le géant peut-il mobiliser ?

Guerre commerciale et rivalité stratégique

La « Stratégie de Sécurité nationale des USA » de 2017 cite la Chine (avec la Russie) comme un « concurrent stratégique » défiant la puissance, l’influence et à la sécurité des États-Unis.

La guerre commerciale Chine-USA, déclenchée en mars 2018 avec des hausses significatives de droit des douanes américaines sur des produits chinois comme l’acier est suivie rapidement par des contre-mesures chinoises. Le plan stratégique « Made in China 2025 » qui vise les technologies de pointe – pharmacie, IT, spatial, robotique, etc. – inquiète également les États-Unis : une « agression économique » et une menace en matière de technologies et de propriété intellectuelle.

Tableau chronologie (en anglais). JP Larcon, Author provided

Huawei et ZTE, les leaders chinois des télécommunications, font l’objet depuis 2012 de commissions d’enquête parlementaires aux États-Unis centrées sur les risques que leurs équipements pourraient faire courir à la sécurité nationale. Un rapport annuel au Congrès en 2018 met également en relief les avancées des deux firmes en matière de dépôts de brevets et déploiement de réseaux 5G. Leur boycott est alors organisé rapidement par la Maison-Blanche avec le soutien de la majorité du Congrès.

Le 1er décembre 2018, Mme Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei et fille du fondateur de l’entreprise, est arrêtée à Vancouver à la demande d’un tribunal américain : l’entreprise est soupçonnée d’avoir violé les sanctions américaines contre l’Iran. Huawei aurait vendu des équipements télécoms à l’Iran par le biais de sa filiale Skycom.

En mai 2019, Huawei est placée sur la liste noire (« entity list) du département du Commerce, ce qui interdit aux entreprises américaines de travailler avec elle sauf obtention préalable d’une licence.

La directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou quitte la Cour suprême de Vancouver le 27 mai
La directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou quitte la Cour suprême de Vancouver le 27 mai. Elle est soupçonnée d’avoir violé les sanctions américaines contre l’Iran. Don Mackinnon/AFP

Ces sanctions seront prorogées jusqu’en mai 2021 et les alliés des États-Unis sont invités à adopter des mesures similaires. Il s’agit en premier lieu des pays de l’alliance des services de renseignement « Five Eyes » : Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et États-Unis.

L’Union européenne, sollicitée également, a réagi avec des nuances : il n’y aurait pas d’embargo absolu, mais le développement d’un ensemble de mesures techniques précises, la « tool box », visant à assurer la sécurité du déploiement des réseaux 5G.

L’effet extraterritorial des sanctions américaines permet d’élargir l’embargo aux entreprises étrangères qui utilisent du matériel ou des logiciels américains. Huawei perd ainsi l’accès au marché de la 5G aux États-Unis et dans une partie du monde. Elle perd l’un de ses plus grands fournisseurs de semiconducteurs de dernière génération, Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), dont le siège social et la majorité des usines sont à Taiwan, mais dont les clients sont mondiaux. Huawei perd aussi ses licences smartphones pour la Play Store de Google et ses applications les plus populaires : Gmail, Maps, YouTube, etc, ce qui inquiète fortement les usagers.

Un plan B

Au lendemain de la décision d’embargo en mai 2019, le fondateur de l’entreprise Ren Zhengfei, fait part de la nécessité pour l’entreprise de se mettre en ordre de bataille pour assurer sa survie.

Mme He Tingbo, présidente de HiSilicon, la filiale semiconducteurs de Huawei, mentionne de son côté l’existence d’un plan B et le début d’une « Longue Marche » pour rendre la firme indépendante des technologies américaines.

Entretien du Time (en anglais) avec Ren Zhengfei, alors directeur général de Huawei, mai 2019.

Huawei a d’abord négocié avec ses fournisseurs américains et internationaux pour préserver au maximum à court terme les transactions non encore couvertes par l’embargo. Puis, dans le domaine des semiconducteurs, ne pouvant plus être livré par TSMC, Huawei s’est tourné vers d’autres fournisseurs : le Coréen Samsung, son concurrent dans les smartphones, et Semiconductor Manufacturing International Corporation (Smic), le leader chinois des semiconducteurs. Smic, basée à Shanghai, est poussée ainsi à accroître très vite ses investissements dans le haut de gamme.

Les fournisseurs en semi-conducteurs. JP Larcon, Author provided

Les atouts Huawei

Dans le domaine des smartphones, Huawei a été obligée de construire pour sa nouvelle génération de smartphones P40 une suite d’applications propres, la « Huawei AppGallery » concurrente de celles de Google Play Store et d’Apple.

Huawei AppGallery n’offre pas aujourd’hui les applications très populaires en Europe comme Facebook, Instagram, Twitter ou WhatsApp, mais les développeurs d’application sont attirés par les quelque 700 millions de clients de smartphones de Huawei. On peut déjà noter déjà la présence dans AppGallery de Adidas, Booking, Deliveroo, Deezer, JD Sports, Ryanair, Trainline, Opera, Viber, et bien sûr Tik Tok.

Face aux sanctions américaines, l’entreprise, cinquième investisseur mondial en termes de R&D, s’appuie sur ses capacités propres d’innovation.

Elle s’appuie aussi sur la motivation de ses équipes. Huawei, entreprise privée depuis sa création, appartient en totalité à ses employés. C’est un actionnariat salarié du type « Employee Stock Ownership Plan » qui existe aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Quelque 100 000 employés reçoivent des actions virtuelles de la firme en fonction de leurs performances. La valeur des actions est calculée sur la valeur des actifs nets de la firme et peut représenter des montants substantiels par rapport au salaire de base.

Pour défendre ses positions, Huawei compte enfin sur la qualité de ses relations avec les opérateurs téléphoniques internationaux et la confiance des usagers. La firme cherche à éviter au maximum d’être un enjeu de politique internationale, mais le chemin est étroit, car au niveau des gouvernements, politique étrangère et accords de défense peuvent facilement prendre le pas sur l’économie.

Opportunités et incertitudes

La stratégie globale de Huawei en 2018 et 2019 a permis à l’entreprise de continuer à croître sur le marché de la 5G en Chine et dans une série d’autres pays comme l’Afrique du Sud et le Maroc, la Russie et le Kazakhstan, l’Arabie saoudite, la Turquie, et l’Indonésie, à croître sur le marché des smartphones face à Samsung et Apple grâce à ses nouveaux produits, et enfin à élargir son portefeuille d’activité dans l’intelligence artificielle, le cloud ou la voiture connectée.

Le chiffre d’affaires de Huawei par régions et par secteurs d’activités. JPLarcon, Author provided

En 2019 Huawei a lancé la commercialisation d’une nouvelle génération de puces destinées aux serveurs informatiques pour servir ses propres besoins et ceux de ses clients. La puce Ascend 910 par exemple est dédiée aux calculs des algorithmes d’intelligence artificielle dans les centres de données.

Dans le domaine de la voiture connectée, Huawei travaille avec les grands industriels chinois dont FAW, SAIC et Dongfeng Motors. Le groupe français PSA, qui travaille également avec Huawei depuis 2017, a fait savoir en mars 2020 qu’il pourrait revoir sa position si les États-Unis en faisaient une condition préalable à la fusion avec Fiat Chrysler.

Cependant, l’escalade des sanctions américaines en 2020 contre les firmes high-tech chinoises est une source de grande incertitude.

S’agit-il d’une posture de l’administration américaine pour pouvoir négocier plus tard en position de force, ou au contraire d’une volonté radicale de rupture et de découplage des économies américaine et chinoise ?

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