Menu Close

Humour et Covid-19 sur les réseaux sociaux : mieux vaut rire que périr ! 

mème représentant le personnel médical à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. ISNI - Intersyndicale Nationale des Internes, Paris

Sujet éminemment sérieux, la Covid-19 se prête particulièrement bien à son exploitation humoristique en raison de la charge d’anxiété qu’elle véhicule.

Tout au long de cette pandémie persistante de coronavirus, l’humour continue à fleurir sur les réseaux sociaux. Nous soutenons que l’humour basé sur ce fléau est un moyen efficace de soulager l’anxiété et la peur, de renforcer notre lien social tout en communiquant notre colère vis-à-vis des politiques.

Se moquer du comportement des autres pendant la pandémie ou plaisanter sur le virus, la quarantaine et « l’iso » ont des effets bénéfiques sur notre santé mentale, comme l’affirment médecins et psychologues depuis toujours.

L’humour nous permet aussi, dans certains cas, de nous sentir supérieurs face à nos dirigeants et aux personnes qui enfreignent les mesures sanitaires ou bafouent la sociabilité.

Dévouement des soignants, solidarité sociale face à la montée en puissance d’un individualisme avide, changement climatique et recherche de la bonne humeur semblent être au cœur des préoccupations humoristiques.

Les personnels soignants, sauveurs des temps modernes ?

Cette année, la Covid-19 a lancé les humains du monde entier dans un univers quasi-parallèle. Jamais, dans l’histoire, autant de personnes n’ont été aussi dépendantes des services médicaux en même temps. Les professionnels de la santé de toutes sortes ont été mis sous les feux de la rampe.

Pour illustrer ce moment crucial, observons le détournement d’une image phare du catholicisme, La Cène.

Tweet de Mathilde Larrère. « La Cène » (494 – 1498) de Léonard de Vinci, représentant le repas pascal célébré autour de Jésus, est une fresque visible à l’église Santa Maria della Grazie (Milan). Le tableau est ici détourné. Twitter

Cette « plaisanterie » tient à la mise en parallèle de deux (ou plusieurs) images de nature différente, l’une religieuse, l’autre profane et s’appuie sur notre connaissance culturelle, l’œuvre d’art bien connue de Vinci, pour créer un effet humoristique.

Ce mème inter-images se propage largement sur les réseaux, comme en témoignent les différentes permutations de la Cène que l’on voit sur le tweet de l’historienne Mathilde Larrere.

Dans certains cas, comme le montre l’image de tête de cet article, c’est le personnel médical du bloc de chirurgie cardiaque de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris qui est représenté en dessous.

Les deux groupes sont drapés à la romaine, le personnel médical reflétant le langage corporel de Jésus et de ses disciples dans le chef-d’œuvre de De Vinci.

Mème représentant le personnel médical à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. ISNI -- Intersyndicale Nationale des Internes, Paris

Pourtant, il existe des différences significatives. Le mobilier de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière comprend des tables en laminé bon marché, disposées de façon aléatoire. Le groupe médical est à l’étroit dans un espace réduit. Plutôt que de se régaler de pain, de vin et d’autres friandises (la Pâque juive originale devait devenir le Vendredi Saint chrétien), les soignants se contentent de snacks, de bouteilles d’eau en plastique et de café ou de thé instantané.

Si ce mème peut être interprété comme une représentation fantaisiste et amusante des saints ou des sauveurs des temps modernes, il y a cependant un message plus profond et plus critique qui sous-tend ce travail.

Les soignants sont des personnes sans prétention et dévouées qui opèrent au plus fort d’une pandémie mortelle dans la salle de cardiologie d’un hôpital aux ressources insuffisantes, avec de rares pauses. La trêve de Pâques n’est pas de mise pour eux. Leur « souper » est bien maigre.

Dans l’œuvre de Vinci, Jésus sait qu’un de ses disciples le trahira. Judas, dont la main tient un sac d’argent, a été payé par les Romains pour le faire.

Cela communique un message sinistre selon lequel le gouvernement français aurait traîtreusement affaibli ses soignants et ses citoyens en faisant passer l’économie avant la vie humaine.

Alors que les soignants meurent prématurément, de nombreux gouvernements, en France et dans le monde entier sabrent le budget des hôpitaux, obligeant les médecins épuisés à faire des heures supplémentaires, ce qui fait encourir à leurs patients et à eux-mêmes des risques considérables.

Les temps changent mais la trahison reste

Un second mème, composé cette fois d’images interconnectées, semblable à un écran Zoom, fait également référence à l’œuvre maîtresse de Léonard de Vinci. Il s’agit, tout comme le mème précédent, d’un [chronotope], notion développée par le théoricien littéraire [Mikhail Bakhtin] pour désigner une trame narrative dont les coordonnées sont configurées à travers le temps et l’espace.

« Le Baiser de Judas » : Jésus tient une réunion Zoom en guise du Dernier Souper. Traduction « Ok, d’accord. Bonjour tout le monde. Judas, tu es en ligne ? « . Anonyme, Meme generator

La réunion de groupe est annulée en raison des règles de distanciation sociale, ce qui amène Jésus à organiser une réunion en visioconférence à la place. Judas (le deuxième à partir de la gauche) détourne le regard de la caméra de manière furtive, conscient qu’en raison de sa propre trahison, Jésus sera bientôt assassiné.

« Judas, es-tu en ligne ? » demande Jésus avec une ironie amère. Judas est certainement « branché » sur quelque chose qu’aucun des autres apôtres ne saurait anticiper.

Plus de cinq siècles après la Cène de Vinci, le sommet du G20 de novembre dernier, accueilli à Riyad par l’Arabie saoudite, s’est tenu sous forme de visioconférence.

Ce mème nous rappelle étrangement que les réunions de haut niveau des dirigeants politiques ne sont pas à l’abri du dédain ou même de la trahison de leurs membres. Alors que le roi saoudien prononçait son discours d’ouverture, l’objectif de la caméra a saisi le président américain la tête inclinée vers le bas, apparemment en train de tweeter. Mais que fomente-t-il donc ?

La Cène en réseau est également intertextuelle, étant donné qu’une « culture politique » est nécessaire pour en comprendre les rouages.

Se moquer de certains dirigeants

« Ce soir, c’est apéro Trump « . Raoul Hedebouw, Belén Rivas
 » Trump consulte son miroir », traduction : Trump « Miroir, ton idée de traiter le coronavirus avec du désinfectant m’a fait passer pour un idiot, c’est pas brillant ! » – Le miroir « Ah, ah, j’étais juste sarcastique… « . Marcin Skoczek (skoQ) et Marek Sobieralski (gestionnaire), Pologne

Ces deux mèmes font directement référence à l’expression dangereusement caractéristique du narcissisme de Donald Trump, sans parler de son penchant à répandre la désinformation.

La parution de ces mèmes a fait suite à la déclaration surprenante du Président Trump en avril dernier, relayée par tous les médias, suggérant de boire des désinfectants (y compris de l’eau de Javel) pour se protéger du coronavirus.

Comme l’a rapporté la Deutsch Presse-Agentur (DPA), cet événement à conduit à une vaste enquête qui a révélé que 4 % des personnes interrogées avaient effectivement bu ou s’étaient gargarisées avec de l’eau de Javel et que 18 % des personnes interrogées avaient appliqué des produits de nettoyage à même leur peau.

Tandis que l’image fait allusion aux « accros de l’apéro » qui, en dépit du confinement, continuent de partager virtuellement ce rituel convivial, le mème « Ce soir, c’est apéro Trump » invite de façon ironique son auteur à ingurgiter en premier une dose de son propre poison.

L’image de SkoQ puise son inspiration dans l’incapacité chronique de Trump à faire amende honorable auprès de ceux qui ont suivi ses soi-disant « conseils de santé » en détournant la métaphore du miroir de la vaniteuse belle-mère de Blanche-Neige.

La Terre en visite chez le médecin

Dans la même veine, SkoQ, souligne avec clarté la menace du changement climatique qui s’étend rapidement, avec pour finalité une possible extinction massive.

Le changement climatique s’accompagne de niveaux d’émissions dangereux et d’un réchauffement de la planète. S’inscrivant dans la catégorie de l’humour existentiel – qui présente un point de vue particulier sur les questions de sens (ou de non-sens) de notre existence comme celle notre survie sur la planète terre –, le dessin montre un médecin effectuant un bilan de santé sur son patient malade, la planète Terre, plusieurs mois après le début de Covid-19.

De façon peut-être paradoxale, les plaisanteries, l’humour et le rire ont la capacité d’apaiser une partie du stress lié à la peur pour la survie de notre espèce sur la terre, permettant ainsi de libérer une énergie négative refoulée, au moins temporairement.

« Earth Visits the Doctor… « , version anglaise publiée le 29 avril 2020. Traduction La terre : » Depuis que vous m’avez prescrit du coronavirus, je respire mieux, mon eau est plus propre et j’utilise moins d’énergie. » Le docteur : « C’est un bon début ! On répétera le traitement à l’automne. ». Marcin Skoczek, alias SkoQ, Seven Twenty Ten Network, 22 avril 2020 ; Marek Sobieralaski

Une baisse spectaculaire (bien qu’encore loin d’être déterminante) des émissions carbone a été observée au cours du premier semestre 2020, comme l’écrit d’ailleurs Valerie Yurk, dans l’édition américaine du Guardian (dès le 10 juillet 2020).

La journaliste spécialisée des questions environnementales poursuit :

« les plus grandes baisses d’émissions se sont produites aux États-Unis et en Chine, en grande partie en raison des voyages aériens cloués au sol et d’une diminution de la consommation d’eau, de gaz et d’électricité… ».

Plus récemment, la revue Nature Communications a publié un article sur la surveillance des émissions de Co2, rédigé par le professeur Zhu Liu (刘竹), chercheur en sciences durables basé à Harvard.

La principale conclusion est qu’au cours du premier semestre 2020, les émissions de CO2 ont diminué « de 8,8 % [par rapport à] la même période en 2019 », un résultat stupéfiant.

« l’ampleur de cette diminution est plus importante que lors des précédents ralentissements économiques ou de la Seconde Guerre mondiale ».

Un individualisme débridé ?

De notre pandémie 2020 que retiendra l’histoire ? Un mème est essentiellement une image éphémère du XXIème siècle qui se propage sur les réseaux sociaux à une vitesse exponentielle, faisant étrangement écho à la contagion et aux mutations du virus.

Mais que voit-on ?

La Bataille d’Auchan – 2020 après J.C. Anonyme

Le père d’une famille traditionnelle tirant un chariot chargé de son butin, fuyant victorieusement le géant français des supermarchés Auchan, qui pourrait être aussi bien Lidl, et autres permutations courant sur les réseaux.

Loin de représenter des héros défendant la nation, ou des victimes de la famine ou de la guerre, la vision de la pandémie que nous laissons derrière nous est l’image d’un individualisme débridé, incapable de freiner sa consommation intempestive.

L’humour s’appuie ici en partie sur l’utilisation contrastée du support, mêlant la réalité virtuelle de l’image du mème à la solidité de la pierre du bas-relief, et repose essentiellement sur le caractère inconciliable des éléments thématiques à la fois sérieux et futiles.

Ce mème de la Bataille d’Auchan suscite de très fortes attentes de notre part, en raison de la charge symbolique de la gestuelle héroïque du père, le bras élancé en avant. Mais, lorsque nous l’examinons de plus près, nos attentes initiales sont complètement démenties par sa banalité et les motivations morales de l’homme qui s’apparentent à un pillage. Tout sentiment d’empathie envers les victimes de la guerre/pandémie est évincé.

Il s’agit là d’un parfait exemple d’incongruité, un des fondements de la théorie de l’humour chez Henri Bergson.

Le coronavirus a créé de la peur et de l’anxiété, de la colère et de la douleur légitimes, mais l’humour peut – au moins temporairement – atténuer ou adoucir ce mal, un tant soit peu. Car les blagues sur la Covid, c’est bon pour notre moral !

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now