tag:theconversation.com,2011:/id/topics/danse-26452/articlesdanse – The Conversation2024-03-04T11:17:54Ztag:theconversation.com,2011:article/2237652024-03-04T11:17:54Z2024-03-04T11:17:54ZComment le sport pratiqué par les étudiants façonne-t-il leur carrière ?<p>Sur les réseaux sociaux professionnels, chaque début de semaine arrive avec son lot de publications de cadres et dirigeants qui vantent leurs performances sportives du week-end. À grand renfort de photos, ils montrent l’endurance (marathon, trail, cyclisme, triathlon…) ou l’agilité (escalade, surf, kite…) dont ils ont fait preuve en pratique libre ou en compétition, comme autant de compétences qu’ils jugent utiles dans le contexte de leur travail. Les mérites du <a href="https://theconversation.com/topics/sport-20624">sport</a> sur la santé physique et mentale ne sont plus à démontrer. Il est devenu aussi un moyen de se développer personnellement et professionnellement.</p>
<p>Alors que l’on pointe parfois une génération rivée à ses écrans, 2600 étudiants d’écoles de commerce nous ont détaillé leur pratique sportive, la manière dont elle a façonné leur <a href="https://theconversation.com/topics/personnalite-46122">personnalité</a> et les <a href="https://theconversation.com/topics/competences-80203">compétences</a> qu’elle leur a permis de développer en lien avec leur <a href="https://theconversation.com/topics/carrieres-32607">projet professionnel</a>. Il s’agissait aussi de comprendre comment le poste occupé dans un sport d’équipe peut permettre d’optimiser ses choix de carrière et son épanouissement au travail. L’étude a été menée par le <a href="https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/centres-et-chaires/edhec-newgen-talent-centre">NewGen Talent Centre</a>, centre d’expertise de l’EDHEC sur les aspirations, comportements et compétences des nouvelles générations de diplômés. Nous y explorons ce qui développe les compétences et façonne la personnalité des jeunes générations pour favoriser leur investissement et épanouissement professionnels.</p>
<h2>Des différences de genre</h2>
<p>Les jeunes générations définissent presque à l’unanimité leur rapport au sport comme un plaisir et comme une pression stimulante. Trois jeunes sur quatre le pratiquent de façon régulière, ce pour se dépasser plus que pour gagner. Ils sont deux tiers à savoir se motiver seuls, sans besoin d’un coach. S’ils préfèrent néanmoins concourir pour un club, c’est notamment pour le lien social.</p>
<p><iframe id="DdtHh" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/DdtHh/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Quelques différences de genre apparaissent dans le rapport que les jeunes générations entretiennent avec le sport : les jeunes femmes s’y adonnent plus encore que les hommes pour se dépasser plutôt que pour gagner. Les hommes exercent de façon plus régulière et concourent plutôt pour un club que pour eux-mêmes.</p>
<h2>Quels sports pour quelles compétences ?</h2>
<p>Pour identifier des compétences clés, les sports ont été regroupés par catégorie selon la façon de les pratiquer : en équipe pour les sports collectifs (football, basketball, rugby…) ; à deux ou en double face-à-face pour les sports de combats ou d’adversaires (tennis, judo, escrime…) ; individuels et évalués sur une mesure physique (temps, distance) pour les sports chronométrés ou mesurés (natation, athlétisme, tir à l’arc…) ; individuels et notés par un jury pour les sports artistiques ou acrobatiques (danse, patinage artistique, plongeon…).</p>
<p>Globalement, les sports individuels, notamment les sports chronométrés ou mesurés, ont été plus structurants pour les femmes et les sports d’opposition ou collectifs pour les hommes. Un étudiant explique :</p>
<blockquote>
<p>« L’esprit d’équipe retrouvé dans le football m’a appris à savoir défendre mes intérêts personnels tout en œuvrant à l’accomplissement d’un collectif. De plus, les notions de dépassement de soi d’un point de vue physique, accompagné à la créativité nécessaire, notamment pour le dribble, m’ont permis d’acquérir des valeurs qui me sont aujourd’hui indispensables. »</p>
</blockquote>
<p><iframe id="PxyKu" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/PxyKu/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le sport semble agir comme catalyseur du développement des compétences en management chez les jeunes diplômés. Résilience, enthousiasme et agilité sont les compétences que les jeunes générations nous indiquent avoir les plus développées quel que soit le sport, des traits recherchés par les recruteurs. Ce trio de compétences est celui que les pratiquants du tennis ont le plus développé. À noter également que 38 % des joueurs de tennis ont renforcé leur pensée critique</p>
<p>Le football renforce avant tout les qualités collaboratives pour 83 % des joueurs et la fiabilité pour près de la moitié des pratiquants. Quant à la danse, elle développe l’attention aux détails de 80 % des adeptes et la précieuse créativité de 55 % d’entre eux.</p>
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<p>Selon les étudiants, si tous les sports développent enthousiasme et agilité, chaque type de sports est plus particulièrement propice à l’acquisition de certaines compétences en particulier.</p>
<p><iframe id="lV9f0" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/lV9f0/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Quel positionnement sur le terrain ?</h2>
<p>En imaginant, l’entreprise comme un sport d’équipe, 32 % des répondants se projettent dans le rôle de capitaine, 27 % dans le rôle d’entraîneur, 19 % seraient attaquant, 14 % défenseur et 8 % arbitre.</p>
<p>Pour mieux comprendre les ambitions que sous-entendent ces choix, il leur a aussi été demandé de s’identifier selon trois profils d’ambition professionnelle issus d’une <a href="https://www.edhec.edu/sites/default/files/2022-10/ETUDE_NEWGEN-Newgen_newjob_rapport_detude-Mars2022.pdf">étude précédente</a>. Le premier, les compétiteurs, est centré sur le développement ambitieux de sa carrière, motivé par la perspective d’un poste de dirigeant, une responsabilité hiérarchique et une rémunération attractive. Le second, les engagés, est orienté sur les enjeux du monde, motivé par l’intérêt général, la culture et les valeurs de l’entreprise, l’utilité de sa mission. Le dernier profil est animé de l’envie d’innover, motivé par le challenge, la liberté d’action, l’autonomie dans les missions confiées et la conduite de projets. Il s’agit des entrepreneurs.</p>
<p>En fonction de leur genre et de leurs profils d’ambition, les étudiants se positionnent ainsi :</p>
<p><iframe id="fu059" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/fu059/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223765/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Par les compétences qu’il permet de développer, le sport que vous pratiquez entre aussi en interaction avec vos aspirations professionnelles.Geneviève Houriet Segard, Docteur en démographie économique, Directrice adjointe et ingénieur de recherche à l’EDHEC NewGen Talent Centre, EDHEC Business SchoolManuelle Malot, Directrice Carrières et NewGen Talent Centre, EDHEC Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088922023-09-20T16:09:05Z2023-09-20T16:09:05ZBreak-dance aux JO : dans l’Antiquité, sport, musique et danse étaient déjà étroitement liés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/536828/original/file-20230711-17-dna08l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=304%2C0%2C3616%2C2302&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Haltérophiles et flûtiste sur une amphore grecque, 510 av. JC.</span> </figcaption></figure><p>Lors des prochains Jeux olympiques de Paris en 2024, une nouvelle compétition est inscrite au programme, <a href="https://www.paris2024.org/fr/sport/breaking/">celle du breaking (ou break-dance)</a> : cet événement est l’illustration la plus frappante d’un phénomène qui semble connaître un développement très rapide, celui de l’alliance entre le sport et la danse, sans oublier un troisième partenaire essentiel : la musique.</p>
<p>Dans un article récent, on n’a pas manqué de rappeler les performances chorégraphiques qui <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/06/24/entre-la-danse-et-le-sport-un-nouveau-pas-de-deux_6179102_3246.html">ont accompagné les finales de Roland-Garros</a> sur des musiques de Bizet et Ravel. Et l’<a href="https://www.paris2024.org/fr/olympiade-culturelle/">Olympiade culturelle</a>, qui doit trouver sa place à côté des jeux proprement sportifs, regroupe bien d’autres manifestations du même type « mêlant les deux univers » pour reprendre le sous-titre de l’article cité.</p>
<p>Cet aspect culturel des Jeux <a href="http://www.salondesbeauxarts.com/pentathlon-muses-snba-jeux-olympiques/">répondait à la volonté de Pierre de Coubertin</a> : il y a d’ailleurs eu plusieurs concours artistiques olympiques en rapport avec le sport (en peinture, sculpture, littérature, musique et architecture) pendant les premiers Jeux olympiques de 1912 à 1948, sous le nom de « pentathlon des arts ». Un fait d’autant plus étonnant que les jeux (les concours, devrait-on dire) antiques d’Olympie n’ont jamais connu que des compétitions proprement sportives, athlétiques et hippiques : mais il est vrai que d’autres concours, à Delphes en particulier (les Jeux pythiques, les plus importants des Jeux panhelléniques après ceux d’Olympie), avaient à leur programme des épreuves musicales et artistiques.</p>
<p>Sans même évoquer le patinage artistique qui s’inscrit dans les Jeux d’hiver, le fait de mêler dans un même spectacle ou une même épreuve les mondes du sport, de la musique et de la danse n’a donc rien de très nouveau. L’Antiquité nous en offre plusieurs exemples, et on n’en sera pas étonné quand on se souvient que la musique était omniprésente dans les cités antiques, comme elle le sera encore d’ailleurs à l’époque médiévale : aussi retrouve-t-on naturellement des musiciens dans les gymnases et sur les stades de la Grèce antique.</p>
<h2>Flûte et saut en longueur</h2>
<p>Ces musiciens avaient sans doute divers rôles mais, pour s’en tenir au déroulement des épreuves sportives elles-mêmes, le saut en longueur était accompagné par un joueur d’auloi (ou <em>tibiae</em> en latin) : on traduit en général cet instrument à deux tuyaux par « flûte » ou « double flûte », <a href="https://archive.org/details/musiciensromains0000baud">mais c’est une traduction erronée</a>. Il s’agit en effet d’un « instrument à anche, et sans doute à anche double, ancêtre direct du chalumeau du Moyen Âge, et de nos différents hautbois et clarinettes… ».</p>
<p>Cette pratique est bien attestée sur les images de plusieurs vases attiques du VI<sup>e</sup> et du V<sup>e</sup> s. avant notre ère, mais elle est aussi décrite par différents auteurs grecs, dont Pausanias : « … un homme debout au milieu d’eux joue de la flûte (sic), de même qu’on a coutume de le faire actuellement, lorsque ceux qui disputent le prix du pentathle en sont à l’exercice du saut. » (5, 17,10) C’est l’occasion de signaler que le saut en longueur grec ne se disputait que dans le cadre du pentathlon, que les athlètes tenaient des haltères dans les mains et qu’il était certainement un saut sans élan – et sans doute un quintuple saut sans élan si l’on en juge par deux indications de performances exceptionnellement conservées (plus de 50 pieds, et donc autour de 15m). Et pour un saut sans élan – les premiers Jeux olympiques modernes ont connu cette épreuve – le rythme donné par le musicien pouvait fournir une aide précieuse.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le saut en longueur sans éaln : Benjamin Adams aux Jeux olympiques de 1912.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Saut_en_longueur_sans_%C3%A9lan#/media/Fichier:1912_Benjamin_Adams.JPG">Wikimedia</a></span>
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<h2>Musique et boxe étrusque</h2>
<p>Mais on voudrait surtout s’attarder sur la boxe étrusque. Beaucoup de domaines de la civilisation étrusque restent mal connus car notre documentation est insuffisante, et c’est pourquoi on a souvent parlé et à tort du « mystère » étrusque. Mais il est un sujet sur lequel nos sources sont relativement nombreuses et c’est celui des jeux, du sport étrusque : ces sources sont d’abord iconographiques, car nous avons la chance d’avoir retrouvé des fresques funéraires décorant les hypogées, en particulier à Tarquinia, à 100 km au nord de Rome. Les peintures, situées dans le sous-sol, ont été conservées : Stendhal parlait de ces « petites caves peintes du Père-Lachaise de Tarquinia ». Or, les jeux funéraires sont un des thèmes principaux de ces fresques, et la boxe ou pugilat apparaît, au VI<sup>e</sup> et au V<sup>e</sup> siècle avant notre ère comme le sport favori des Étrusques, à côté des courses de chars.</p>
<p>C’est si vrai que, de façon tout à fait exceptionnelle car il y a bien peu de données textuelles sur les Étrusques, plusieurs auteurs grecs, dont Aristote, ont livré un renseignement sur l’alliance entre la boxe et la musique chez ce peuple. Ainsi d’Eratosthène qui écrivait au III<sup>e</sup> siècle avant notre ère : « Eratosthène, dans le premier livre de ses Olympioniques, affirme que les Étrusques accompagnent leurs combats de boxe au son de la « flûte » (aulos) » (Athénée de Naucratis, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Deipnosophistes">Deipnosophistes</a>, 4, 154a). Et la plupart des images étrusques, qu’il s’agisse de fresques, de reliefs, de peintures sur vases, confirment la pratique en question.</p>
<p>Cet accompagnement musical est signalé dans deux autres textes pour deux autres activités, pétrir le pain et fouetter les esclaves : ce rapprochement montre bien que la musique était là pour rythmer les assauts des athlètes, qu’elle était un adjuvant comme elle peut l’être pour des rameurs lors de joutes nautiques scandées par un petit orchestre, ou même pour insuffler du courage aux soldats marchant au combat.</p>
<p>Mais voilà qu’un autre texte grec, celui d’Alcimos, insinue que cette alliance entre boxe et musique était due à la « truphê » des Étrusques : il faut entendre par là un mode de vie fait de mollesse, de luxe et de volupté. Dans ces conditions, la boxe étrusque n’aurait-elle été qu’une boxe mimée, une danse de la boxe où le rythme comptait beaucoup, comme dans la capoeira brésilienne ? Il n’en est rien : si l’on se tourne maintenant vers la boxe thaïlandaise, on voit bien que la présence d’un orchestre traditionnel n’empêche absolument pas ce sport de connaître une extrême violence ! En réalité on sait que la truphê était un cliché souvent utilisé par les Grecs pour ruiner la réputation des Étrusques et masquer leurs propres échecs en Méditerranée par exemple sur le plan commercial : il ne faut en tenir aucun compte dans les interprétations que nous pouvons donner de la boxe étrusque en tant que compétition sportive.</p>
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<p>Boxe, musique… et danse : les Étrusques n’ont pas ignoré ces « danses de la boxe » comme on l’a bien montré à propos cette fois d’un relief sur pierre de Chiusi – une cité étrusque proche du lac Trasimène. Ce relief, conservé au musée archéologique de Florence, a été interprété à juste titre comme un ballet de trois pugilistes : avec la garde haute – mais dans l’Antiquité les coups n’étaient portés qu’à la tête – ils suivent un aulète, le musicien jouant des auloi (la « double flûte »), et il est clair qu’ils boxent et dansent en cadence. </p>
<p>On pense évidemment au <a href="https://www.numeridanse.tv/videotheque-danse/kok">magnifique ballet de la chorégraphe Régine Chopinot</a> intitulé <em>K.O.K</em> et datant de 1988 ou plus récemment, au <em>Boxe Boxe</em> de Mourad Merzouki. Il faudrait encore citer dans ce même cadre les orchestopalarii (ou orchistopalarii) – que l’on connaît surtout à l’époque romaine et qui étaient des lutteurs-danseurs, pratiquant, selon l’expression de Louis Robert, une sorte de « combinaison de danse pantomimique et de lutte. »</p>
<p>Les <a href="https://madparis.fr/Mode-et-sport">créateurs de mode</a>, eux aussi, sont de plus en plus sollicités en lien avec les pratiques sportives. La nudité athlétique grecque ne permettait sans doute pas d’aller très loin dans ce domaine, mais il suffit de voir la célèbre mosaïque romaine de Piazza Armerina aux jeunes femmes en bikini pour comprendre que la préoccupation existait : les jeunes femmes en question étant en réalité des athlètes. D’hier à aujourd’hui, de la gestuelle sportive au ballet, le tout en musique : c’est le mouvement des corps athlétiques et artistiques qui est au cœur de ces activités et de ces créations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208892/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Paul Thuillier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'introduction du break-dance aux JO de Paris 2024 invite à penser les liens entre la danse et le sport. Dans l'Antiquité, ces disciplines étaient souvent indissociables.Jean-Paul Thuillier, Directeur du département des sciences de l’Antiquité, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2001212023-04-10T19:24:54Z2023-04-10T19:24:54ZComment la danse peut aider les ingénieurs à imaginer le monde de demain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/519517/original/file-20230405-22-zgnhcn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C2%2C1914%2C1074&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Amas, création 2017 de Myriam Gourfink, chorégraphe ayant travaillé avec les élèves ingénieurs de la HE-Arc de Neuchâtel.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo Delphine Michell</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Les ingénieurs – designers de notre monde techno-industriel – ont une responsabilité anthropologique, certes diffuse mais importante : leurs objets imposent des gestes à leurs contemporains et, ce faisant, agissent sur leurs manières de percevoir, d’agir et de penser le monde.</p>
<p>Comme les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ecrans-52265">écrans</a> sur lesquels nos doigts glissent et tapotent, les dispositifs technologiques de demain favoriseront-ils des gestes toujours plus économes en efforts, de plus en plus pauvres en sensations ? Même les boutons-poussoirs ou rotatifs ont disparu au profit d’appuis ou de glissements digitaux (tapoter, « swiper ») que ce soit sur les distributeurs de boissons ou encore sur nos compagnons de cuisine (plaques de cuisson, robots culinaires, etc.)</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-pedagogie-de-la-resonance-selon-hartmut-rosa-comment-lecole-connecte-les-eleves-au-monde-197732">La pédagogie de la résonance selon Hartmut Rosa : comment l’école connecte les élèves au monde</a>
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<p><a href="https://theconversation.com/mieux-preparer-leleve-ingenieur-a-la-vie-de-lentreprise-en-cinq-lecons-86488">Les étudiants ingénieurs</a> réalisent-ils combien les produits qu’ils se destinent à concevoir dessineront le monde de demain et auront un impact sur les mouvements et les corps de leurs contemporains ? S’il est vrai que la <a href="https://theconversation.com/face-a-la-crise-ecologique-remettons-des-experiences-de-nature-dans-notre-quotidien-103556">crise écologique</a> est enchevêtrée, dans ses causes et ses effets, à une crise de la sensibilité, n’est-il pas impérieux que les formations techniques s’ouvrent aux apprentissages du corps, de la sensation et de l’expression ?</p>
<p>C’est le pari que nous avons fait en invitant dans la filière <a href="https://www.hes-so.ch/bachelor/industrial-design-engineering">Industrial Design Engineering</a> de la HE-Arc de Neuchâtel les chorégraphes Myriam Gourfink et Loïc Touzé. Intitulé <a href="https://corps.anthropotechnologie.org/mise-en-corps-technique/">« Mise en corps technique »</a>, ce projet d’innovation pédagogique avait pour but d’aider les étudiants à découvrir ce que la danse pouvait apporter à leurs apprentissages, à travailler le poids, le rythme, l’effort et l’expressivité du geste et à intégrer ainsi leur vécu corporel à leurs savoir-faire techniques.</p>
<h2>Penser le geste dans sa dimension symbolique</h2>
<p>Dès la première rencontre, Myriam Gourfink, Loïc Touzé et Mathieu Bouvier ont compris que les étudiantes et étudiants ingénieurs avaient tendance à penser le geste en termes d’action opérationnelle (appuyer, lever, valider, etc.), et le corps humain en termes de mécanismes fonctionnels, négligeant les dimensions sensorielles, affectives et expressives qui sont impliquées dans toute la sensori-motricité.</p>
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<p>Grâce à une large palette de <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-2014-3-page-103.htm">pratiques somatiques</a> (tels le yoga, la méthode Feldenkrais, le Body-Mind Centering, etc.) et d’exercices ludiques, le trio d’artistes-chercheurs a donc introduit les participants à des approches plus intégratives du mouvement, c’est-à-dire appréhendant le geste dans toutes ses dimensions : toniques, rythmiques, spatiales, figurales, symboliques…</p>
<p>Chaque matin, Myriam Gourfink leur a offert une séance de yoga de deux heures. Elle leur a également présenté quelques outils d’analyse du mouvement développés par Rudolf Laban, ce grand penseur et pionnier de la danse moderne du début du XX<sup>e</sup> siècle, qui fut aussi un <a href="https://www.carhop.be/images/Rudolph_Laban_danseur_A.D.MARCELIS_2007.pdf">« ingénieur du mouvement »</a> attentif au respect de la santé dans le travail industriel. <a href="https://corps.anthropotechnologie.org/mise-en-corps-technique/boxexpo/laban-une-ecriture-du-corps/">L’analyse de l’effort proposé par Laban</a> leur a permis d’engager leurs gestes dans des rapports différentiels à l’espace (en dessinant des trajectoires directes ou indirectes), au temps (en faisant des mouvements soudains ou soutenus) ou au poids (à travers des engagements – forts ou légers – du poids dans l’effort).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/519516/original/file-20230405-22-x9f41q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519516/original/file-20230405-22-x9f41q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519516/original/file-20230405-22-x9f41q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519516/original/file-20230405-22-x9f41q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519516/original/file-20230405-22-x9f41q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519516/original/file-20230405-22-x9f41q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519516/original/file-20230405-22-x9f41q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Loïc Touzé, Forme simple, création 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Martin Argyroglo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Loïc Touzé leur a proposé des jeux exploratoires grâce auxquels ils ont pu réinventer leurs relations à l’objet, à l’espace, à la relation. Ainsi, ils ont tenté de dessiner intuitivement leurs squelettes, non pas d’après les quelques connaissances anatomiques qu’ils en ont, mais suivant les relations sensorielles, affectives et imaginaires qu’ils entretiennent avec leurs <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Image_du_corps">« images du corps »</a>, conscientes ou inconscientes.</p>
<p>Pour leur permettre de jouer sur les modulations toniques et rythmiques de leurs gestes, Loïc Touzé leur a proposé d’en travailler le <a href="http://www.pourunatlasdesfigures.net/element/le-phrase"><em>phrasé</em></a>, en portant l’accent sur les différents moments qui composent la courbe d’un geste dansé : pré-geste, impulse, acmé, impact, résonance…</p>
<h2>Voir les objets sous de nouveaux angles</h2>
<p>En explorant toutes sortes de comportements offerts par une simple chaise, ils et elles ont diversifié leurs rapports sensibles à l’objet, sous cinq modalités :</p>
<ul>
<li><p>le rapport objectif, quand la chaise reste cet objet usuel sur lequel je m’assieds, sur lequel je pose un vêtement… ;</p></li>
<li><p>le rapport d’engagement, quand la chaise devient le partenaire d’un geste expressif que je fais « avec » elle, attentif au travail de la sensation que ce geste implique et aux « images de sensation » qu’il forme ;</p></li>
<li><p>le rapport sensoriel, quand la chaise m’offre un ensemble de matières, de textures, de températures, de qualités de toucher, de réponses toniques ;</p></li>
<li><p>le rapport potentiel, quand les structures de la chaise, ses plans, ses vides, ses directions, m’offrent de nouveaux potentiels d’espace et d’action ;</p></li>
<li><p>le rapport « incarné » quand j’incorpore, dans un mouvement libre, les différentes puissances de sentir et d’agir que je viens d’expérimenter.</p></li>
</ul>
<p>Ainsi, en débrayant les usages coutumiers de la chaise et en « délirant » de nouvelles relations avec elle, les étudiantes et étudiants ont considérablement enrichi la gamme de leurs rapports au geste, à l’espace, à l’imaginaire des formes et des sensations. Ils ont élargi la conception qu’ils se font de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Affordance">affordance</a> ou « invitation à l’action », cette notion chère aux concepteurs et designers d’objets, qui ont parfois tendance à la réduire à une propriété de l’objet, alors qu’elle s’inscrit dans la relation entre un être et son environnement spécifique.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/813478270" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Variations avec la chaise, captation d’un extrait du cours « Mise en corps technique ».</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est bien cette dimension « écologique » de la perception que les ateliers de danse ont permis aux étudiants et aux étudiantes d’éprouver, à mesure qu’ils privilégiaient les relations esthétiques à l’objet plutôt que ses fonctions et ses usages fonctionnels.</p>
<p>Forts de cet élargissement perceptif, ils et elles ont pu travailler à la métamorphose de certains objets du quotidien. Ainsi, le couteau suisse, le petit aspirateur, la perforatrice ou la gourde ont peu à peu perdu leurs fonctions d’usage pour s’ouvrir à de nouvelles affordances. D’objets à « utiliser », ils sont devenus des objets à « gester », voire à danser.</p>
<h2>Décupler sa créativité</h2>
<p>En « performant », seuls ou à plusieurs, leurs relations sensibles à l’objet, les étudiants ont considérablement enrichi la palette de leur imaginaire du mouvement, de la perception et de l’action.</p>
<p>Plus radicalement encore, ces expériences leur ont fait prendre conscience des effets positifs ou négatifs que les objets techniques peuvent avoir sur les corps et la sensibilité. Il y a peu d’objets qui augmentent notre gamme gestuelle (comme peuvent le faire certains accessoires de sport, par exemple), comparativement au nombre d’objets et de dispositifs technologiques qui l’appauvrissent.</p>
<p>Dans une <a href="https://corps.anthropotechnologie.org/mise-en-corps-technique/boxexpo/">exposition itinérante</a> conçue par Carole Baudin, les étudiantes et étudiants ont témoigné des bénéfices de l’expérience pour eux-mêmes et pour leurs apprentissages. Ils y ont d’abord découvert que la danse est non seulement un art mais aussi une science empirique du « corps vécu », dont ils peuvent tirer profit dans leur compréhension de « l’expérience-utilisateur », mais plus largement aussi du processus créatif.</p>
<p>Mais ce qui leur a sans doute le plus profité, de façon à la fois immédiate et profonde, ce sont les autorisations à sentir, agir, imaginer, jouer, expérimenter, essayer, rater, découvrir, coopérer, prendre du plaisir, que leur ont apporté ces ateliers : autorisations à créer qui manquent cruellement à leurs formations scolaires, et dont on sait pourtant à quel point le déficit freine les apprentissages.</p>
<p>Si la danse peut apprendre quelque chose aux ingénieures et ingénieurs, c’est une chose à la fois simple et profonde : « ce n’est pas le corps qui fait des gestes, ce sont les gestes qui font le corps. » Le corps n’est pas une chose que nous avons, ni que nous sommes, c’est ce que nous <em>faisons</em>. À cet égard, si l’élève ingénieur apprend à connaitre l’épaisseur sensible, éthique et esthétique du geste, alors on peut espérer que les dispositifs qu’il concevra ne seront pas anesthésiants, ou pas trop, et qu’au moindre effort, il préfèrera la beauté du geste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200121/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les étudiants ingénieurs réalisent-ils combien les produits qu’ils se destinent à concevoir ont un impact sur les gestes et corps de leurs contemporains ? La danse peut changer leur approche du monde.Carole Baudin, Ethnologue des techniques et du corps, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Bouvier Mathieu, Chercheur en art, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1865272022-08-17T17:47:10Z2022-08-17T17:47:10ZSérie vidéo : Quand l’art crée la femme orientale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/472859/original/file-20220706-9520-29mx18.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C815%2C492&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">The Interior of the Palm House de Carl Blechen (1834)</span> <span class="attribution"><span class="source">Carl Blechen</span></span></figcaption></figure><p>Au début du XIX<sup>e</sup> siècle, un mouvement artistique prend son essor à travers les différentes campagnes de colonisation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient : l’Orientalisme. Ce courant construit une image de l’Orient bien différente de la réalité basée sur la vision de l’artiste occidental. En particulier, les femmes orientales sont un sujet privilégié par les artistes, source d’inspiration et de fantasmes. À la fois sensuelle et fragile, la femme orientale peut être aussi dangereuse, étant le fruit d’une culture non civilisée et violente.</p>
<p>Ces stéréotypes, au fil des décennies, se sont installés dans l’imaginaire collectif et perdurent encore dans les représentations actuelles. Comment cette définition de la femme orientale a été imposée par l’art occidental ? Et en quoi a-t-elle été déterminante dans ses représentations populaires contemporaines ? Nous avons rencontré Alain Messaoudi, chercheur au Centre d'histoire internationale et atlantique de Nantes Université et historien de
l’orientalisme, et Mariem Guellouz, sociolinguiste à l’Université de Paris et danseuse, pour répondre à ces questions.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yNMbnVT1ZVE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quand l’art crée la femme orientale.</span></figcaption>
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<hr>
<p><em>Réalisation : Sirine Ben Younes et Pierre Tousis.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186527/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Connaissez-vous l’orientalisme ? Ce courant artistique a construit une image de l’Orient bien différente de la réalité basée sur la vision de l’artiste occidental.Mariem Guellouz, Maîtresse de conférences en sciences du langage, Université Paris CitéAlain Messaoudi, Maître de conférences en histoire contemporaine, Université de NantesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678092021-11-01T18:27:18Z2021-11-01T18:27:18ZL’émotion de la découverte : une étape de la recherche incitant à la créativité scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425012/original/file-20211006-27-8e8htz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
<hr>
<p>La découverte du virus SARS-CoV-2 et de ses mutants a provoqué des effervescences émotionnelles multiformes. Elles ont amené des comportements résultant d’imaginaires dans l’affolement et la peur mais elles ont, aussi, motivé des chercheurs à l’échelle internationale. Leur rapide découverte de vaccins anti-Covid influence les décideurs politiques et change la vie sociétale.</p>
<p>Cette actualité amène à se demander dans quelle mesure « L’émotion de la découverte » est motrice des avancées de la connaissance et des effets sociétaux induits par les découvertes.</p>
<p>La découverte consiste en la saisie d’une solution ou d’un possible, ou dans la confrontation avec un réel insoupçonné qui n’est dans le cerveau ni en images ni en mots. La découverte concerne l’inconnu, l’inédit, l’inexpliqué, l’altérité, les autres.</p>
<h2>Découverte et émotions</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424505/original/file-20211004-15-1jf9esu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424505/original/file-20211004-15-1jf9esu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424505/original/file-20211004-15-1jf9esu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424505/original/file-20211004-15-1jf9esu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424505/original/file-20211004-15-1jf9esu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424505/original/file-20211004-15-1jf9esu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424505/original/file-20211004-15-1jf9esu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Archimède de Syracuse, « portrait d’un érudit ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Archim%C3%A8de#/media/Fichier:Retrato_de_un_erudito_(%C2%BFArqu%C3%ADmedes?),_por_Domenico_Fetti.jpg">Domenico Fetti/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le parangon du découvreur est sans doute Archimède, ce savant du III<sup>e</sup> siècle av. J.-C. à qui Hiéron II de Syracuse aurait confié la mission de s’assurer qu’un orfèvre ne l’avait pas volé en remplaçant par un autre métal, une partie de l’or donné pour fabriquer une couronne. Aux bains publics, Archimède entrant dans sa baignoire entrevit la solution au problème.</p>
<blockquote>
<p>« Il s’élance immédiatement hors du bain, et, dans sa joie, se précipite vers sa maison, sans songer à s’habiller. Dans sa course rapide, il criait de toutes ses forces qu’il avait trouvé ce qu’il cherchait, disant en grec : Εὕρηκα, Εὕρηκα » (Vitruve, <em>De l’architecture</em>, tra Ch.-L. Maufras, C. L. F. Panckoucke, 1847, IX, 10.).</p>
</blockquote>
<p>Cet épisode raconté par Vitruve montre que le savant avait découvert non seulement comment montrer le vol de l’orfèvre mais aussi comment établir le <em>Principe fondamental de l’hydrostatique</em> (idem IX, 9-12.).</p>
<p>Les conquistadores, acteurs des « Grandes Découvertes » qui datent le début de la période moderne, en abordant des terres nouvelles découvrirent, étonnés, leurs étranges habitants, nus et peints, aux croyances et modes de vie insoupçonnés. La découverte des exactions des conquérants à l’encontre de ces autochtones offusqua les théologiens de l’école de Salamanque qui dépassèrent les conceptions de la scolastique d’alors pour réfléchir sur l’unité du genre humain et les droits naturels des indiens.</p>
<h2>Un moment de mise en tension existentielle</h2>
<p>Ces deux évènements, clichés de la découverte dans les imaginaires européens, montrent que découvrir fonde un moment de mise en tension existentielle et de remise en cause, générateur d’un comportement émotionnel. Celui-ci se produit à un niveau de conscience implicite, niveau d’infraconscience (<em>awareness</em>) où l’émotion est ressentie par un engagement corporel immédiat sans être saisie par la conscience : l’expérience émotionnelle est vécue sans prise de décision pensée à travers des gestes, des postures, des sensations, des cris, des sons, des ajustements homéostatiques c’est-à-dire des régulations biochimiques qui maintiennent l’équilibre du milieu intérieur de la personne.</p>
<p>Les émotions dues à des découvertes sont plurielles et complexes, allant de la joie euphorique et la fierté de la réussite à la crainte agressive et la surprise honteuse.</p>
<p>Avant de porter un <a href="https://www.theses.fr/161282679">regard anthropologique sur les danses en Corse</a>, pionnière sur ce terrain d’études délaissé, j’éprouvai l’enthousiasme du découvreur et la satisfaction d’avoir des informations ainsi que l’agacement des rendez-vous manqués et la contrariété de ne récolter aucune donnée.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mrSNzIPNJ8U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Entretien avec Davia Benedetti.</span></figcaption>
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<p>Je découvris, soucieuse, la contradiction entre ma première analyse et le terrain. Le soir d’un 31 juillet, à Sartène vers Cauria, je fus saisie par l’interaction entre le lieu encaissé et sauvage, la pénombre crépusculaire et les propos de mon informatrice parlant au présent sur une sorcellerie pratiquée à proximité.</p>
<p>Déconcertée et mal à l’aise, je dus pratiquer un bref exercice respiratoire de détachement pour continuer à mener à bien l’entretien d’enquête. Ces émotions sont sous-tendues par des changements physiologiques : des perturbations chimiques et neuronales provoquent une dynamique comportementale d’adaptation au milieu, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neurosciences/spinoza-avait-raison_9782738112644.php">tant au niveau individuel que collectif</a>.</p>
<p>Les émotions émanant de découvertes font réagir ceux qui les ressentent. Elles projettent les chercheurs scientifiques vers une appréhension cognitive du phénomène découvert. Leur analyse <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neurosciences/sentiment-meme-de-soi_9782738107381.php">devient consciente et raisonnée</a>. On peut dire, alors, que « L’émotion de la découverte » fait partie du processus de la découverte scientifique.</p>
<p>La découverte de la société des îles Mailu et Trobriand par l’anthropologue Bronislaw Malinowski étaye la présentation ci-dessous de cette prise de position.</p>
<h2>L’expérience de Malinowski</h2>
<p>Au début du XX<sup>e</sup> siècle, époque des empires coloniaux, les anthropologues se rendaient certes sur place étudier les peuples autochtones mais en vivant selon le mode de vie colonial. Ils analysaient des questionnaires qu’ils remplissaient en convoquant des informateurs sans aller chez eux dans leurs espaces de vie.</p>
<p>L’anthropologue Malinowski se rendait en Australie pour une expédition scientifique britannique quand la guerre de 1914 éclata. Polonais, né à Cracovie, il fut assigné à résidence comme ressortissant autrichien de l’empire austro-hongrois et ne put retourner en Europe avant la fin de la guerre. Il fut cependant autorisé à mener ses recherches dans l’île Mailu et les iles Trobriand où il était parfaitement libre de vivre et se déplacer à sa guise.</p>
<p>Il mit en mots son ressenti sur cette situation de contrainte à vivre longtemps en Malaisie, dans son <em>Journal d’ethnographe</em> écrit en polonais alors qu’il rédigeait en anglais ses analyses scientifiques. Il transcrivit son irritation voire son animosité à l’encontre des indigènes lors de sa confrontation à leur altérité. Pris dans le bouillonnement émotionnel de son imaginaire, il se replia dans la lecture de romans se coupant ainsi de son environnement immédiat et resta en contact avec des Européens. Puis par un retour sur soi, par des remises en cause auxquelles sa socialisation, son éthique et sa déontologie n’étaient pas étrangères, il décida de dépasser ce comportement émotionnel pour, en conscience, s’immerger dans la vie quotidienne des mélanésiens « pour comprendre leur vision de leur monde ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424508/original/file-20211004-17-1x6m73j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424508/original/file-20211004-17-1x6m73j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424508/original/file-20211004-17-1x6m73j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424508/original/file-20211004-17-1x6m73j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424508/original/file-20211004-17-1x6m73j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424508/original/file-20211004-17-1x6m73j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424508/original/file-20211004-17-1x6m73j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Malinowski aux Trobriand en 1917-1918.Photographie attribuée à Billy Hancock.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8Eles_Trobriand#/media/Fichier:Wmalinowski_trobriand_isles_1918.jpg">Attribué à Billy Hancock ; pêcheur de perles/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il vécut dans leur village, apprit leur langue vernaculaire pour recevoir directement des informations, partagea leurs travaux, leurs promenades, leurs jeux, leurs conversations, leurs coutumes et observa directement leurs rituels. Son objet d’étude était la vie et le fonctionnement de leur société. Malinowski enquêtait sans intermédiaire et pratiquait l’anthropologie de terrain qui exige du chercheur de rejeter tout préjugé lié à sa propre culture et de se focaliser sur l’observation du vécu. Il formalisa cette méthode d’observation participante dans son livre <em>Les Argonautes du Pacifique Occidental</em>, paru en 1922 alors qu’en anthropologie, il n’existait pas de méthodologie d’enquête de terrain et d’interprétation des données.</p>
<h2>Naissance d’une discipline</h2>
<p>En donnant un accès à l’inconnu et aux autres, l’observation participante crée les conditions d’émergence d’une nouvelle connaissance. Sa découverte provoqua parmi les anthropologues des querelles de chapelles relevant souvent de comportements émotionnels de vexation et de crainte. L’observation participante fut, cependant, rapidement adoptée par <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/ecole-de-chicago">l’École de Chicago</a> et elle devint la méthode d’enquête centrale dans le champ de l’anthropologie. Pour favoriser l’innovation scientifique, elle fut ensuite repensée et étendue à une méthode d’enracinement de l’analyse dans les données de terrain : la <a href="https://journals.openedition.org/enquete/282"><em>Grounded Theory</em></a>.</p>
<p>À partir de son expérience, Malinowski jugea que son rôle était d’être le porte-parole des indigènes auprès de l’administration coloniale et que ses recherches anthropologiques devaient avoir une utilité sociale et guider les dirigeants. Avec l’objectif de seconder les administrateurs coloniaux, il prôna l’étude des phénomènes sociaux contemporains. Il fonda ainsi l’anthropologie sociale britannique. Il contribua à des controverses passionnées et participa à induire une <a href="https://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1994_num_17_1_1270">réflexion collective sur le colonialisme</a>.</p>
<h2>Une étape de la recherche et de sa mise en œuvre</h2>
<p>À travers cet exemple, nous voyons que « L’émotion de la découverte » est plus qu’un moment : c’est une étape du processus de recherche due, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neurosciences/erreur-de-descartes_9782738124579.php">selon Damasio</a>, à des « marqueurs somatiques [qui] accroissent probablement la précision et l’efficacité du processus de prise de décision ».</p>
<p>Si en art ce processus peut se poursuivre dans une créativité artistique imprégnée de subjectivité et d’émotion esthétique, en sciences il nécessite une prise de conscience des émotions et leur régulation pour mettre en œuvre une méthode et un protocole scientifique d’appréhension et d’étude raisonnées de l’objet de la découverte.</p>
<p>« L’émotion de la découverte » est ainsi une étape de la recherche incitant à la créativité scientifique. Puis, lorsqu’une découverte est scientifiquement établie et publiquement révélée, le processus se poursuit de façon similaire au niveau collectif : ce sont des comportements émotionnels puis leur dépassement qui fondent la dynamique d’adaptation des sociétés aux découvertes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167809/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Davia Benedetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La découverte consiste en la saisie d’une solution ou d’un possible, ou dans la confrontation avec un réel insoupçonné qui n’est dans le cerveau ni en images ni en mots.Davia Benedetti, Maître de Conférences des Universités, Université de Corse Pascal-PaoliLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1670622021-08-31T18:50:40Z2021-08-31T18:50:40ZJoséphine Baker ou les chemins complexes de l’exemplarité<p>Si les historiens et les passionnés sont depuis longtemps familiers de la figure de Joséphine Baker, nombreux sont ceux qui ne connaissent de cette artiste que quelques bribes superficielles de sa vie, loin de la complexité du personnage. Bananes autour des hanches, pitreries, niaiseries ont longtemps fait écran sur un destin exceptionnel, celui d’une femme hors normes, Noire et sans frontières, légère et engagée, toujours sensible, solidaire.</p>
<p>Mais l’heure de reconnaissance a sonné : la modernité de son parcours la fera entrer au Panthéon le 30 novembre 2021. Qui aurait pu l’imaginer lorsque, dans la France des Trente Glorieuses, celle du yéyé et de mai 1968, sa voix était éteinte, sa notoriété quasiment disparue. Vedette déchue, elle vivotait jusqu’à ce qu’une compatriote, la princesse Grâce de Monaco et avec elle la principauté – où elle est enterrée – ne lui vienne en aide, ce qui lui offrira la possibilité, en 1975, d’un dernier et inoubliable tour de piste à Bobino quelques jours avant sa mort.</p>
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<p>Certes, on salue l’artiste disparue qui a émerveillé le Paris de l’entre-deux-guerres mais personne ne peut alors imaginer que Joséphine Baker puisse entrer au Panthéon moins de cinq décennies plus tard. On le sait, les figures du passé ne parlent pas toutes à notre temps présent de la même manière : voyez <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/05/15/jules-ferry-le-colonisateur-suscite-la-controverse_1701252_1471069.html">Jules Ferry</a> ou <a href="https://www.lalibre.be/sports/omnisports/2014/02/07/la-face-sombre-de-pierre-de-coubertin-BZOTYI2ODRGZVEDWGAYDJ4L3CE/">Pierre de Coubertin</a> tant honorés hier, sujets à controverse aujourd’hui. Pour d’autres, l’inverse se produit.</p>
<h2>Une artiste qui sait parler à la France du début du XXIᵉ siècle</h2>
<p>L’entrée de Joséphine Baker au Panthéon n’est pas une surprise, cela fait plusieurs années que son nom circule, comme ce fut le cas fin 2013 lorsque Laurent Kupferman et Régis Debray avaient lancé la proposition <a href="https://www.franceinter.fr/osez-josephine-la-petition-qui-plaide-pour-l-entree-de-josephine-baker-au-pantheon">sous la forme d’une pétition judicieusement intitulée « Osez Joséphine »</a>.</p>
<p>Il s’agit donc d’un aboutissement logique dans un contexte où l’artiste « coche des cases » qui correspondent à des valeurs de mieux en mieux partagées aujourd’hui : talent, liberté, résistance, antiracisme, courage, féminisme, solidarité. Avec comme valeur suprême la diversité quelle incarne à travers la chanson « J’ai deux amours » créée pour elle par Géo Koger et Henri Varna sur une musique de Vincent Scotto en 1930 et qu’elle chantera jusqu’à la fin de sa vie.</p>
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<p>C’est pourquoi Joséphine Baker, <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/l-intersectionnalite-ne-segmente-pas-les-luttes-elle-les-articule">« intersectionnelle »</a> avant l’heure, parle au plus grand nombre : ni intellectuelle, ni idéologue, elle réagissait avec son cœur en toute liberté dans un pays qui a été sa terre d’accueil et de consécration. Cette Américaine noire représente ainsi une forme de synthèse des minorités visibles que la France a pu mettre en valeur voire aduler – surtout dans le domaine du spectacle ou du sport, au risque parfois de l’essentialisation, mais aussi, paradoxalement, ignorer voire discriminer.</p>
<p>Aux côtés des « grands hommes » et de <a href="https://www.mondedesgrandesecoles.fr/qui-sont-les-femmes-du-pantheon/">quelques femmes pionnières</a>, elle apporte au Panthéon toute la vigueur de sa personnalité, toute son originalité et on ne peut qu’applaudir cette initiative.</p>
<h2>Richesses d’une vie chaotique</h2>
<p>Le parcours de cette jeune américaine née en 1906 à Saint-Louis, à la jeunesse plutôt triste, n’a pas été simple. Sa carrière, faite de hauts et de bas nous enseigne bien des choses sur le XX<sup>e</sup> siècle qui s’éloigne. Star éblouissante à la fin des années 20 et au début des années 30, sa carrière est fulgurante, avec la <em>Revue nègre</em> au Théâtre des Champs-Élysées à partir de 1925, elle éblouit le Tout-Paris et la France par son talent et sa liberté.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Joséphine Baker dansant le charleston aux Folies-Bergère, à Paris – Revue Nègre Dance (1926).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Revue_n%C3%A8gre#/media/Fichier:Baker_Charleston.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Le public est comme magnétisé par cette vedette excentrique. Puis sa carrière patine un peu avant la guerre même si elle reste très populaire dans l’Hexagone.</p>
<p>Sa nationalité française, elle l’obtient en 1937 en se mariant avec l’homme d’affaires Jean Lion. Puis, engagée de multiples manières avec courage et conviction durant le second conflit mondial à Paris, en province et au Maghreb, sa vie connaît une tournure différente au gré des événements. En 1939-40, elle chante pour les soldats au front pendant la « Drôle de guerre », entretient le moral des Parisiens à travers des concerts avant l’Occupation, distribue de la nourriture et des effets personnels aux indigents avant de devenir agent de renseignement et pilote d’avion.</p>
<p>Devenue sous-lieutenant, elle participe au débarquement à Marseille en octobre 1944. Médaillée de la résistance française avec rosette en 1946, elle sera faite chevalier de la Légion d’honneur et recevra la Croix de guerre en 1961.</p>
<p>Après guerre, dans l’impossibilité d’avoir des enfants, elle décide d’en adopter douze, de toutes origines, comme une mise en exergue de son idéal de fraternité universelle. Ce sera <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/l-esprit-des-lieux/l-esprit-des-lieux-du-mardi-24-aout-2021">sa « tribu arc-en-ciel », avec laquelle elle a vécu assez retirée en Dordogne dans une vaste propriété, le château des Milandes</a>. Mal connue dans son pays d’origine dans lequel elle se rend pourtant, Joséphine Baker ne retrouvera pas le succès qui avait été le sien.</p>
<h2>« L’étoile Noire »</h2>
<p>La notoriété de Joséphine Baker, c’est d’abord à travers son corps qu’elle la conquiert : le 9 octobre 1925, dans <em>Le Journal</em>, quotidien très conservateur, l’influent critique Georges Le Cardonnel s’enflamme en découvrant la <em>Revue nègre</em> :</p>
<blockquote>
<p>« sous l’excitation qui ne cesse de s’accélérer d’un jazz où la caisse domine et dont les discordances sont merveilleusement disciplinées, les ancêtres des forêts originelles semblent se réveiller en ces « noirs » au point de les posséder. Aussi leur frénésie les conduit, peu à peu, à une manière de bamboula. »</p>
</blockquote>
<p>Et de considérer que le clou du spectacle est incontestablement la figure de mademoiselle Baker :</p>
<blockquote>
<p>« C’est nu, candide, joyeux et renseigné. C’est précisément cette candeur joyeuse que ne sauront jamais monter nos contemporains […] C’est un spectacle extraordinaire qui transporte sur un autre continent. »</p>
</blockquote>
<p>Ce prisme « exotique » prévaudra aussi au cours de l’Exposition universelle de 1931. L’artiste qui a vigoureusement combattu le racisme reprenait à ses débuts, sans en être dupe, une vision stéréotypée et colonialiste du corps noir, elle qui n’avait alors pas mis les pieds sur le continent africain. Pour les commentateurs, la nudité du corps noir – supposément « sauvage » était d’ailleurs toujours plus subversive que celle du corps blanc.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/auto-essentialisation-quand-josephine-baker-retournait-le-racisme-contre-elle-meme-148280">Auto-essentialisation : quand Joséphine Baker retournait le racisme contre elle-même</a>
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<p>Dans cette première revue, Joséphine Baker s’illustre au milieu de 25 artistes parmi lesquels se trouve le danseur Louis Douglas. Vêtue d’un simple pagne de fausses bananes, elle surgit dans un tableau intitulé « La danse sauvage », agitant son corps sur un rythme d’une musique totalement inconnue en Europe que l’on nommera bientôt charleston. Et le succès est au rendez-vous : Joséphine Baker attire les regards grâce à son corps dénudé mais aussi grâce à son extraordinaire énergie et son sens de l’humour. Voilà bien un élément décisif de l’entrée au Panthéon de l’artiste : la manière dont Joséphine Baker a su s’extirper de ce corps auquel elle était assignée et des clichés qui y étaient attachés, pour vivre d’autres vies.</p>
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<h2>Indocile et antiraciste</h2>
<p>Forte de sa soudaine célébrité, Joséphine Baker devient une vedette et se comporte immédiatement comme telle. Elle ne respecte pas ses contrats et n’en fait qu’à sa tête. À tel point qu’elle se retrouve régulièrement devant les tribunaux pour répondre à diverses assignations. En 1926, l’homme de lettres et écrivain François Ribadeau-Dumas offre l’un des premiers reportages qui nous font entrer dans l’intimité de Joséphine dans les pages littéraires et artistiques du quotidien volontiers humoristique <em>La Lanterne</em>. Le journaliste est allé à sa rencontre dans son petit hôtel du parc Monceau. À midi elle dormait encore, mais, une fois réveillée, en robe de chambre, vive et endiablée, elle parle en anglais et joue avec ses petits chiens, son chat, ses canaris et perruches.</p>
<p>À 20 ans, il a été question qu’elle écrive ses mémoires, sans suite. Indocile, Joséphine Baker le sera dans sa vie privée et parfois dans ses comportements, toujours capable de laisser libre cours à ses envies, ses impulsions, sans jamais réellement calculer, au risque de surprendre. Capricieuse comme une star, elle joue bien son rôle pourtant contrebalancé par la participation à de très nombreuses actions caritatives. Celle que l’on surnomme simplement « Joséphine » s’est toujours montrée sensible et généreuse face à toutes les formes de misère.</p>
<p>Cette meneuse de revue, danseuse, chanteuse et comédienne, loin de clichés, nous enseigne un engagement antiraciste multiforme, tel qu’il faudrait le promouvoir aujourd’hui, dénué de toute « concurrence victimaire ». Sensibilisée par son mari Jean Lion confronté à l’antisémitisme, l’artiste s’engage notamment aux côtés de la LICA (Ligue Internationale Contre le Racisme) en 1938, se montrant très sensible au sort des Juifs pendant toute la période de l’Occupation. Plus tard, elle participera aux meetings du MRAP (Mouvement contre le Racisme et l’Antisémitisme et pour la Paix) en relation avec l’Unesco afin de sensibiliser à la lutte contre le racisme à l’échelle internationale.</p>
<p>Au temps des décolonisations, si l’artiste s’engage assez peu dans la lutte pour les Indépendances malgré un soutien affirmé, elle milite contre l’apartheid en Afrique du Sud et s’investit dans les mobilisations contre le racisme visant les Noirs aux États-Unis. La voilà aux côtés de Martin Luther King le 28 août 1963 devant le Lincoln Mémorial de Washington lorsque celui-ci prononce son discours historique « I have a dream ». En habit militaire, arborant fièrement ses impressionnantes décorations militaires, elle est l’une des rares femmes à prendre la parole au micro devant la foule immense. Dans cette période, elle apprécie aussi le Cuba de Fidel Castro où elle se rend pendant deux mois fin 1965, prenant le parti des non-alignés dans une période de tensions au cœur de la Guerre froide.</p>
<p>Tout sauf anecdotique, l’entrée de <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/075185-000-A/josephine-baker-premiere-icone-noire/">Joséphine Baker</a> au Panthéon est une bonne nouvelle : enfin ! Regarder en face la complexité des regards sur les femmes noires par notre République est une manière d’avancer. Et Joséphine Baker, personnalité inspirante, nous aide à aller de l’avant. Cette France qui l’a tant aimé et qui la retrouve aujourd’hui a encore beaucoup à apprendre de son humanité faite de conviction, de courages et de fragilités, nous avons beaucoup à réfléchir sur son parcours aux accents universalistes certes, mais avec son pays d’adoption chevillé au corps et au cœur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167062/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yvan Gastaut ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur le destin exceptionnel de Joséphine Baker, qui fera son entrée au Panthéon le 30 novembre 2021.Yvan Gastaut, Maître de conférences à l'UFR STAPS de l'université de Nice, Chercheur associé à TELEMME, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1610332021-05-18T17:31:23Z2021-05-18T17:31:23ZLe crowdfunding peut-il sauver le spectacle vivant ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/401028/original/file-20210517-19-2mz5ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C2035%2C1352&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Hellfest, 180&nbsp;000&nbsp;spectateurs lors de ses dernières éditions, n’aura pas lieu pour la deuxième année de suite.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Wikimedia Commons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Alors qu’il n’avait pas encore pris la décision d’annuler le festival pour une deuxième année consécutive, Ben Barbaud, le président du Hellfest, rendez-vous annuel incontournable pour tous les amateurs de métal qui compte dans le <a href="https://www.touslesfestivals.com/actualites/le-bilan-des-festivals-de-lannee-2019-191219">top 10 des festivals en termes de fréquentation</a> en 2019, n’excluait pas d’avoir recours au lancement d’une campagne de crowdfunding dans une <a href="https://www.lefigaro.fr/musique/ben-bardaud-patron-du-hellfest-le-risque-d-annuler-les-festivals-en-2021-est-important-20201001">interview</a> accordée au <em>Figaro</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Vu la fidélité et la loyauté du public, je pense que si je dois passer par une opération de ce type, il répondrait présent. »</p>
</blockquote>
<p>Les professionnels du monde du spectacle ont en effet souvent recours à cette méthode pour porter leurs projets. Citons ici aussi l’exemple de la RB Dance Company, troupe de danseurs claquettistes qui a financé par ce moyen le lancement de leur spectacle Stories, puis, tout récemment, de leur série de vidéos Barbarians.</p>
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<figcaption><span class="caption">Barbarians : on a besoin de vous ! (RB Dance Company, 10 avril 2021).</span></figcaption>
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<p>Le crowdfunding, ou financement participatif (l’expression se traduit littéralement par « financement par la foule »), peut être défini comme un effort collectif de personnes qui se rassemblent et donnent des fonds, en échange de contreparties ou non, dans le but de soutenir un projet créé par d’autres personnes ou organisations. Cette piste pourrait ainsi être envisagée pour faire face aux pertes générées par les confinements et la limitation à <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/covid-19-la-culture-se-deconfine-a-partir-du-19-mai-d-apres-le-calendrier-fixe-par-emmanuel-macron_4604359.html">35 % des capacités d’accueil</a> à partir du 19 mai.</p>
<p>Cette pratique de financement, alternative aux banques, est aujourd’hui bien établie et ses règles de fonctionnement sont maintenant bien comprises par les différents acteurs économiques. La barre <a href="https://financeparticipative.org/le-crowdfunding-depasse-le-milliard-en-2020/">du milliard d’euros</a> de financement a ainsi été dépassée en 2020, ce qui représente une hausse considérable de 62 % par rapport à 2019. Une partie de cette hausse s’explique par la mise en ligne d’un grand nombre de projets de solidarité suite à la crise sanitaire.</p>
<p>Un grand nombre de secteurs d’activités a recours au financement participatif, allant des industries culturelles aux nouvelles technologies en passant par la gastronomie. Cependant, le spectacle vivant possède un certain nombre de caractéristiques qui peuvent constituer des obstacles à la réussite d’une campagne de levée de fonds de ce type.</p>
<h2>L’éphémère, l’émotion et les contreparties</h2>
<p>Si la foule peut être tentée d’investir dans un projet durable comme la création d’une entreprise, un projet immobilier ou encore un nouveau produit technologique, la dimension éphémère du spectacle vivant peut en effet freiner de potentiels investisseurs.</p>
<p>De plus, le spectacle vivant reste un bien d’expérience dont l’évaluation repose plus sur l’émotion que sur des faits tangibles. Réussir à convaincre des individus de financer un projet de spectacle vivant en se fondant sur une description factuelle sans possibilité de le vivre se révèle être un challenge supplémentaire pour les porteurs de tels projets.</p>
<p>Enfin, le spectacle vivant reste majoritairement une activité à but non lucratif, ce qui peut limiter la mise en place de contreparties possiblement attractives pour les investisseurs en échange de leur don.</p>
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<figcaption><span class="caption">Présentation de l’orchestre des Petites Mains Symphoniques (janvier 2015).</span></figcaption>
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<p>Certains projets ont réussi avec succès leur campagne comme l’orchestre des Petites Mains Symphoniques qui a récolté plus de 33 000 euros en 2016. L’ensemble des éléments précités pose néanmoins la question des facteurs de réussite d’une campagne de financement participatif dans le domaine particulier du spectacle vivant.</p>
<h2>Rassembler les individus</h2>
<p>Dans nos recherches, nous nous sommes penchés sur le sujet en prenant le cas plus précis des festivals. Notre analyse de 364 projets dans tous les domaines (musique, danse, théâtre, arts de la rue, etc.) met en évidence, en premier lieu, <a href="https://rfg.revuesonline.com/articles/lvrfg/abs/2020/03/rfg00435/rfg00435.html">l’absence d’effet de réputation</a>. Un nouveau projet de festival a autant de chance d’obtenir son financement qu’un festival qui serait déjà bien établi et reconnu.</p>
<p>Ce résultat peut s’expliquer d’une part par le fait que les investisseurs potentiels ne portent leur attention que sur le projet de festival en question, sans prendre en considération les éventuelles précédentes éditions. D’autre part, un festival déjà établi peut donner l’impression qu’il n’a pas besoin d’aide pour se financer.</p>
<p>Les festivals qui ont le plus de chances de réussir leur campagne de collecte de fonds semblent posséder une forte dimension communautaire. Ils visent davantage à rassembler les individus plutôt que la célébration d’un art en particulier.</p>
<p>Par ailleurs, plus importante imagine-t-on la taille du festival, plus l’objectif de financement possède-t-il de chance d’être atteint. Le festival interceltique de Lorient, plus important festival organisé chaque année en France, réfléchissait d’ailleurs, avant la crise, <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/lorient-56100/festival-interceltique-550-000-eu-recoltes-par-le-fonds-de-dotation-6470434">au fait d’y avoir recours</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Festival interceltique de Lorient réfléchit actuellement aux moyens d’attirer de nouveaux soutiens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Étienne Valois/FlickR</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Nous montrons également que la proposition de contreparties n’a pas d’impact sur la décision des investisseurs potentiels. Celle-ci est davantage motivée par l’envie d’aider un projet que par la perspective de recevoir quelque chose en échange.</p>
<h2>Une opportunité à saisir</h2>
<p>L’ensemble de ces résultats amène à identifier certaines spécificités du crowdfunding dans le domaine du spectacle vivant. Contrairement à beaucoup de formes de financement participatif, où les internautes décident d’investir dans les projets qui leur paraissent les plus solides et offrant un maximum de garanties, le crowdfunding dans le spectacle vivant apparaît comme étant davantage <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S088390261300058X">guidé par l’affect et les émotions</a>. Plutôt que de chercher le projet avec le meilleur potentiel, les investisseurs espèrent avant tout aider un projet qui les touche.</p>
<p>Cette dimension solidaire semble plus importante encore dans le contexte de la crise de la Covid-19. Malgré les aides de l’État, certaines structures de l’industrie de la culture et du spectacle vivant se retrouvent dans une situation financière difficile qui peut aller jusqu’à remettre en cause leur existence.</p>
<p>Le financement participatif semble, dans ce contexte, constituer une opportunité à saisir pour les professionnels. La méthode avait par exemple contribué à sauver le <a href="https://www.helloasso.com/associations/motocultor-fest-prod/collectes/soutenez-le-motocultor-festival-1">Motocultor, festival breton de métal, en 2017</a>. Le baromètre du financement alternatif en France réalisé par Mazars et l’association Financement Participatif France atteste d’ailleurs de la très forte hausse des dons effectués au profit du spectacle vivant, passé d’environ 7 millions d’euros en 2019 <a href="https://financeparticipative.org/barometres-crowdfunding/">à plus de 20 millions en 2020</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161033/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Alors que le secteur subit fortement les effets de la crise, ce mode de financement pourrait apporter une aide précieuse.Damien Chaney, Professor, EM NormandieBruno Pecchioli, Professeur associé, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1582382021-04-01T21:02:31Z2021-04-01T21:02:31Z« In extenso » : La politique, une histoire de corps<p><em><strong>« In extenso »</strong>, des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
<p><em>Exploits de communications, grosses bourdes, discours savants, usage du mensonge ou du silence, vagues médiatiques, mobilisation de l’opinion, émotions et réseaux sociaux : comment la politique joue-t-elle de nos affects ?</em></p>
<p><em>Bienvenue sur « En scène » le podcast qui décrypte quelques-uns des outils de la communication politique.</em></p>
<hr>
<p>L’image d’Olivier Véran, ministre de la Santé, dénudant son épaule face aux caméras pour se faire vacciner contre la Covid-19, a marqué les esprits
D’autres hommes et femmes politiques ont d’ailleurs suivi son exemple espérant encourager ainsi l’ensemble des Français à accepter la campagne de vaccination. On peut cependant se demander dans quelle mesure le corps peut être un <a href="https://theconversation.com/les-politiques-doivent-ils-mediatiser-leur-vaccination-pour-nous-convaincre-152471">instrument de communication</a>. </p>
<p>Pour en discuter, j’ai le plaisir d’accueillir Fabienne Martin Juchat, Professeure des Universités en sciences de la communication à l’Université Grenoble Alpes, chercheuse en communication corporelle et émotionnelle. </p>
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100/" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><em>Références et extraits sonores</em> </p>
<ul>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z5wJjqkcfJI">Jimmysquare, Like Apollo</a><br> </li>
<li>Emmanuel Macron, positif au Covid-19 : «Je voulais vous rassurer, je vais bien» <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GA97edmgh9o">Le Parisien</a>, 18 décembre 2020<br> </li>
<li>La marche d’E.Macron au Louvre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EWEQF7yKhRY">Franceinfo</a> 7 mai 2017<br> </li>
<li>Qui a «remporté» la poignée de main entre Trump et Macron? <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y_Q0pkxSuVs">BFMTV</a>, Jean-Bernard Cadier, correspondant à Washington, 26 mai 2017<br></li>
<li><a>Kamala Harris</a>, Entertainment Today/ 11 janvier 2020<br> </li>
<li>Roselyne Bachelot, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=cxQIb2Q72nQ">Dans l'émission Folie Passagère</a> 6 janvier 2016<br> </li>
<li>En octobre 1961 lors du bal d’Accra, capitale du Ghana, Elizabeth II danse avec le président Ghanéen <a href="https://www.youtube.com/watch?v=88NtZcPI_wM">Kwame Nkrumah</a>, The Crown / S02E08 / Netflix<br> </li>
<li>Barack Obama chante <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IN05jVNBs64">Amazing Grace, C-Span</a> vendredi 26 juin 2015<br> </li>
<li>Le Général de Gaulle «Je vous ai compris», <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6m36ds6rXSg">INA</a><br> </li>
<li>Le Général de Gaulle, Place de la République à Paris, le 4 septembre 1958, présente aux Français <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pAcjP4WP-Y0">le projet de Constitution</a> (INA) de la Ve République qu'ils auront à approuver par référendum, le 28 septembre 1958.<br> </li>
<li>Terminator II, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=CTwkeX64aNk">«Hasta la vista baby</a><br> </li>
<li>Bernard Tapie, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=siJm0Yic9QU&t=42s">Vite un Verre 1966</a><br> </li>
</ul>
<p><em>Références bibliographiques</em></p>
<ul>
<li><a href="https://theconversation.com/les-politiques-doivent-ils-mediatiser-leur-vaccination-pour-nous-convaincre-152471">Les politiques doivent-ils médiatiser leur vaccination pour nous convaincre ?</a>, The Conversation, 6 janvier 2021<br> </li>
<li><a href="https://www.pug.fr/produit/1880/9782706149351/l-aventure-du-corps"><em>L'aventure du corps, la communication corporelle, une voie vers l'émancipation</em></a>, PUG, Fabienne Martin-Juchat, 2020<br> </li>
</ul>
<hr>
<p><em>Conception et réalisation, Clea Chakraverty avec la collaboration de Rayane Meguenni. Production Romain Pollet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158238/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Dans quelle mesure le corps est-il un instrument de communication en politique ?Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1577542021-03-31T19:49:27Z2021-03-31T19:49:27ZCulture vivante : « West Side Story » ou le crépuscule des caïds<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/392849/original/file-20210331-21-of66gd.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C11%2C946%2C487&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Détail de l'affiche du film, 1961. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.senscritique.com/film/West_Side_Story/461677/images">senscritique</a></span></figcaption></figure><p><em>En ces temps si troublés pour le monde culturel, les chercheuses et chercheurs en sciences sociales se mobilisent pour parler d’œuvres qu’ils aiment (littérature, théâtre, cinéma, musique…) à travers notre série d’articles « Culture vivante » : parce que la culture nourrit toutes les disciplines et qu’elle irrigue autant la réflexion académique que l’imaginaire collectif.</em></p>
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<p>Pour bien des boomers, les années 60 ont commencé sur un air de <em>West Side Story</em> : « Maria » pour les plus romantiques, « I Feel Pretty » pour les amateurs de mélodies entraînantes. Sorti pour Noël, le 13 décembre 1961, après une Première new-yorkaise à grand retentissement mi-octobre, arrivé en France le 2 mars 62, le film de Robert Wise ne s’est pas contenté de rafler dix Oscars : il a marqué toute une génération, il lui a « parlé » selon l’expression consacrée. Que lui racontait-il pour plaire autant ?</p>
<h2>De Broadway à Hollywood</h2>
<p>Avant d’être un film, <em>West Side Story</em> est une comédie musicale créée le 26 septembre 1957 au Winter Garden Theatre, sur Broadway, où elle occupe l’affiche pendant 732 représentations avant de partir en tournée dans tous les USA et de triompher à Londres. Écrit par Stephen Sondheim et Arthur Laurents, chorégraphié par Jerome Robbins sur une musique de Leonard Bernstein, le spectacle transpose Roméo et Juliette dans l’univers des gangs new-yorkais. Le conflit des Montaigu et des Capulet cède le pas à la rivalité des Jets et des Sharks pour le contrôle de leur quartier.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Entrée du Winter Garden Theatre pendant la saison 1957.</span>
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</figure>
<p>Le livret s’empare ainsi d’une actualité tellement brûlante que Jerome Robbins, lors des répétitions, tapisse les murs de coupures de journaux pour communiquer aux danseurs la rage des combats de rue. L’œuvre s’inscrit dans une préoccupation d’époque à l’égard de la délinquance juvénile. Trois grands films s’y étaient intéressés dans les années précédentes : <em>The Wild One</em> (<em>L’Équipée sauvage</em>) avec Marlon Brando en 1953, <em>Blackboard Jungle</em> (Graine de violence) de Richard Brooks en 1955 et, la même année, <em>Rebel Without a Cause</em> (<em>La Fureur de vivre</em>) avec James Dean. Broadway emboîte le pas à Hollywood et renouvelle au passage un genre très codé en intégrant la culture urbaine avec l’écho des sifflements ou les claquements de doigts, et bien sûr son décor de briques et de stades grillagés. <em>West Side Story</em> est d’emblée un spectacle hybride, à mi-chemin de l’idéalisation propre à la scène lyrique et du réalisme du cinéma.</p>
<p>Helen Smith a bien montré comment le scénario s’affranchit des règles de la comédie musicale en dotant les rôles secondaires d’une véritable identité ; et aussi de quelle manière, tout en respectant assez la tragédie shakespearienne, il décentre discrètement le sujet du couple principal à la représentation de la ville. Tout le monde reconnaît la scène du balcon quand les amoureux entonnent « Tonight » en duo ; mais transposée sur des escaliers de secours new-yorkais, elle permet un jeu avec les barreaux qui souligne à quel point le pittoresque même de Manhattan les sépare.</p>
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<span class="caption">Même l’architecture de Manhattan semble vouloir les séparer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Carlotta films</span></span>
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<h2>Une histoire américaine</h2>
<p>Le drame de la délinquance se greffe sur la question de l’émigration. Si les Jets méprisent les Sharks, c’est parce qu’ils se considèrent comme de vrais Américains par opposition à ces Portoricains, originaires d’une île qui avait acquis en 1952 le statut ambigu d’État libre associé aux États-Unis.</p>
<figure class="align-left ">
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<span class="caption">Couverture du programme de théâtre pour la pièce d’Israël Zangwill, The Melting Pot, 1908.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Melting_Pot_(play)#/media/File:TheMeltingpot1.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Leur querelle interroge le mythe du creuset culturel par lequel l’Amérique s’est longtemps définie. En 1947, Jerome Robbins avait envisagé d’aborder les tensions liées à l’antisémitisme. Le spectacle serait venu démentir l’optimisme de <em>The Melting Pot</em>, la pièce d’Israel Zangwill qui avait popularisé l’expression en 1908. Le chorégraphe pensait mettre en scène l’East Side. Le déplacement de l’intrigue l’a rendue plus actuelle.</p>
<p>Par-delà la couleur de peau qui, même à l’époque, a valu quelques critiques à Robert Wise sur son manque d’acteurs hispaniques – seule Rita Moreno est portoricaine –, Jets et Sharks s’opposent par l’hétérogénéité de leurs milieux. Les premiers se rassemblent pour compenser la défaillance des structures familiales dans lesquelles ils ont grandi. La chanson « Gee, Officer Krupke » dresse avec un humour caustique le diagnostic de la maladie sociale (« social disease ») dont ils souffrent.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/j7TT4jnnWys?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Comme Riff, leur leader, le déclare dans la « Jet Song » du début, le gang leur donne des frères et une famille. Les seconds ont tout cela à l’envi. Chez eux, c’est la prégnance du patriarcat qui fait des ravages : la tutelle autoritaire que Bernardo exerce sur sa sœur Maria est mise en avant ; le père de cette dernière intervient à plusieurs reprises lorsque Tony vient la retrouver dans la ruelle.</p>
<p>En revanche, les deux communautés partagent une même logique d’exclusion. Au rejet des Jets répond, chez les Sharks, un refus de l’assimilation qu’ils expriment dans « America ». Sur ce point néanmoins, l’air orchestre une totale divergence de point de vue entre les filles et les garçons. Tandis que les premières célèbrent l’American Way of Life et la société de consommation, les seconds se montrent attachés à leur identité et focalisés sur le racisme des blancs.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YhSKk-cvblc?wmode=transparent&start=67" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Si l’union de Tony et de Maria apparaît impossible à tout le monde, sauf à eux, c’est que pour chacun des deux gangs, elle relève de l’exogamie, alors qu’elle va précisément dans le sens de la mixité ethnique que devrait favoriser le melting pot.</p>
<h2>Puérilité des gangs</h2>
<p>Contrairement au conflit qui va dans le sens de l’actualité, la romance irait donc dans celui de la mythologie américaine. Pour cela, elle amorce et appelle de ses vœux une redéfinition des codes de la virilité qui prévalaient depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les bandes de voyous qui, depuis <em>The Wild One</em>, faisaient figure de matrices de la masculinité – fût-ce, bien sûr, pour être moralement dénoncées en tant que telles – se retrouvent ici disqualifiées dans ce rôle. Elles apparaissent comme une étape juvénile du développement, visant à se rassurer. Leurs membres peuvent bien crâner, ce ne sont tous que des gosses.</p>
<p>Le personnage le plus mûr est incontestablement celui de Tony, qui a certes fondé les Jets mais qui les a quittés. Riff, son successeur et ami, ne comprend pas ce qui l’a poussé à préférer un emploi de commis dans la boutique de Doc. Mais la chanson qui nous le présente, « Something’s Coming », éclaire ses motivations : il attend mieux de la vie que les bagarres de rue. Il veut croire à un « miracle » dans son quotidien, il a délaissé la rage au profit de l’espoir et ne confond plus virilité et caïdat.</p>
<p>Son malheur est que le passé va le rattraper. Mais il ne tue Bernardo, le frère de Maria, que sous l’effet de la rage, pour venger Riff, après avoir essayé d’interrompre la rixe qui doit décider de la suprématie d’un camp sur l’autre. Son geste malheureux et, pour finir, sa propre mort viennent donner le poids d’une fatalité aux paroles de Riff, sur lesquelles s’ouvrent « Jet Song » : « When you’re a Jet/You’re a Jet all the way/From your first cigarette/To your last dyin’ day » (Quand t’es un Jet, t’es un Jet jusqu’au bout, de ta première cigarette à ton dernier souffle »). La logique des bandes est un piège et un engrenage mortifère. Elle empêche Tony de jouir de son miracle quand il advient sous les traits de Maria.</p>
<h2>Triomphe de l’amour</h2>
<p><em>West Side Story</em> achève une réorientation de la virilité engagée dans <em>Rebel Without a Cause</em>. Les deux succès sont d’ailleurs liés à plus d’un titre : James Dean avait été pressenti pour créer le rôle de Tony à Broadway et, à l’écran, Natalie Wood incarne aussi bien Judy que Maria, les héroïnes des deux films. Elle est le visage d’une féminité qui permet le plein épanouissement de la masculinité dans l’amour, non dans la haine et la peur de l’autre. Elle réussit là où Cathy échouait dans <em>The Wild One</em>, puisqu’à la fin Marlon Brando alias Johnny partait sans l’emmener.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DyofWTw0bqY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En quatre années, entre la sortie de <em>The Wild One</em> en 1953 et la création de <em>West Side Story</em> en 1957, la sauvagerie mâle a perdu son prestige au profit d’une virilité apaisée par l’ouverture aux vertus féminines. Cathy restait fascinée par la force brute ; Judy, dans <em>Rebel Without a Cause</em>, frayait encore avec le gang de Buzz dont elle était la petite amie jusqu’à sa mort tragique ; Maria, elle, s’inscrit d’emblée en retrait des querelles ethniques. Elle ne songe qu’à se faire belle pour s’amuser au bal.</p>
<p>Le contraste avec son amie Anita est frappant. Celle-ci nourrit encore le culte de la violence. Elle n’hésite pas à vanter les prouesses amoureuses de Bernardo après ses batailles rangées. Pour son malheur, elle subit, hélas ! l’envers du machisme qui l’émoustille, quand elle se fait violenter par les Jets dans l’échoppe du Doc. Et le mensonge qu’elle profère alors par vengeance en annonçant la mort de Maria déclenche la tragédie finale. Elle est l’alliée objective d’un système dont elle est victime.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Photo promotionnelle de la version de Steven Spielberg, annoncée pour 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">20th Century Fox</span></span>
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<p>Contrairement à elle, Maria ne se reconnaît pas dans la jeunesse belliqueuse, mais plaide en faveur des sentiments, de l’insouciance et du divertissement. Elle sonne la relève de l’amour pour une génération égarée par le culte de la virilité agressive. La mort de Tony, que Chino abat par vengeance autant que par jalousie, douche l’espoir d’une fin heureuse. Mais dans son rôle de veuve, coiffée d’un voile noir, Maria opère l’improbable réconciliation des clans ennemis autour de son cadavre. Dévastée, elle n’en triomphe pas moins sur le plan des valeurs.</p>
<p>Steven Spielberg et Disney, via 20th Century Studios, annoncent pour le mois de décembre prochain une nouvelle version de la comédie musicale. On guettera avec intérêt leur manière de traiter des sujets comme le racisme et le machisme, qui n’ont rien perdu de leur actualité. Mais ce sera aussi l’occasion de mesurer quelles vertus régénératrices notre époque prête encore à l’amour.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157754/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Chelebourg ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur une comédie musicale qui a marqué toute une génération.Christian Chelebourg, Professeur de Littérature française et Littérature de jeunesse, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1559072021-03-11T17:50:41Z2021-03-11T17:50:41ZÀ la recherche du système Daft Punk<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/388928/original/file-20210310-13-gidk8u.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C4%2C946%2C530&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le 22 février dernier, les Daft Punk annonçaient leur séparation.</span> </figcaption></figure><p>Après l’annonce, le 22 février dernier de leur séparation dans une vidéo tirée de leur film <em>Electroma</em>, sobrement intitulée <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DuDX6wNfjqc">« Épilogue »</a>, les Daft Punk ont réussi une prouesse : disparaître de leur vivant.</p>
<p>Ils ont vu défiler les hommages, les RIP, les smileys qui pleurent, la une de <em>Libération</em> (avec cette accroche discutable « On se lève et on se casque ») tout en allant acheter leur baguette au coin de la rue. Ils ont reçu des flots d’amour digital sans que personne – ou presque – ne les reconnaisse.</p>
<p>Retour sur le succès fulgurant de ces artistes phares de la scène française de ces trente dernières années.</p>
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<h2><em>Overground</em>, <em>sampling</em>, <em>sound</em></h2>
<p>Issu des rangs parsemés du « rock indépendant » parisien du début des années 90, le duo a démarré en trio avec Laurent « Branco » Brancowitz qui deviendra plus tard guitariste du groupe Phoenix, autre mastodonte de la <em>French touch</em> formé avec des proches de Air, dont ils étaient les musiciens de scène.</p>
<p>Quand l’hebdomadaire <em>Melody Maker</em> qualifie en 1993 leur musique de « daft punky thrash » (avec deux h), en gros du « punk débile bon pour la corbeille », leur sang de futurs robots ne fait qu’un tour : fini le rock, place à la musique électronique ! Le duo s’enferme aussi sec dans son home studio montmartrois pour mettre au point la fusée <em>Homework</em> qui s’apprête à envahir la planète, et à l’instar des gays ou des noirs américains qui retournent le stigmate pour en faire une force (« nigger », « faggot »), les deux amis du lycée Carnot deviennent Daft Punk.</p>
<p><a href="https://books.google.fr/books?hl=en&lr=&id=riz3AwAAQBAJ">Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo</a> s’emparent de l’<em>underground house music</em> de Chicago et <em>techno</em> de Détroit <a href="https://www.radioswissjazz.ch/fr/base-de-donnees-musicale/band/210780505763676e2fb8a5d3cb387fa3cb3be2/biography?app=true">pour en faire un objet plus pop</a>, plus commercial, plus « radio friendly », notamment à travers un énorme travail de compression sonore allié à des mélodies facilement reconnaissables et des formats « chanson » plus courts… C’est « overground » : accessible mais crédible en restant fidèle aux valeurs de l’underground. Ils cachent plus ou moins bien un maximum de <em>samples</em> le plus souvent issus de la funk/soul/disco noire américaine, que les experts (et avocats) mettront parfois longtemps à reconnaître, par exemple <a href="https://www.lesinrocks.com/2017/05/09/musique/musique/20-ans-apres-on-sait-enfin-dou-vient-ce-sample-dingue-de-daft-punk/">« If you leave me now »</a> de Viola Wills découvert 20 ans après la sortie du morceau <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LMNlm7khYwA">« Fresh »</a>.</p>
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<p>Chez eux, le <em>sampling</em> est devenu un art majeur, parfois évident, parfois plus subtil. On parle alors de « chopping », quand un extrait d’une œuvre est utilisé après avoir été rendu méconnaissable. Ils reprennent l’idée de Picasso : <a href="https://journals.openedition.org/critiquedart/25584">« les bons artistes copient, les grands artistes volent »</a>.</p>
<p>Tels des évangélisateurs pop, ils font entrer la culture house et techno underground dans les clubs huppés des centres-ville comme le Queen à Paris. Grâce à un son aussi unique qu’ultra efficace, les Daft vulgarisent une musique du ghetto qui était jusqu’alors produite par des artistes issus de la communauté gay ou noire américaine, fréquemment refusée par les discothèques de Manhattan et condamnés à organiser des soirées sauvages en communiquant « sous le manteau » autour d’un <em>sound system</em> improvisé : ce système D deviendra un système Daft, analysé comme tel ici.</p>
<h2>Effacement et rétrofuturisme</h2>
<p>À l’heure de l’économie de la réputation et du marketing des célébrités, les Daft Punk se démarquent aussi par une approche singulière de la notoriété, de l’industrie du divertissement et du <a href="https://journal.transformativeworks.org/index.php/twc/article/download/531/448?inline=1">fandom</a>, autour de leur concept très postmoderne : ces robots casqués refusent de se montrer, selon les valeurs centrales de l’effacement et de l’horizontalité chères aux pionniers de la techno.</p>
<p>Ils se réfèrent en particulier au collectif <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4WLtJDKXMCE">Underground Resistance</a> dont faisait partie Jeff Mills et qui a toujours prôné l’anonymat, l’indépendance et le « zéro ego », conduisant à des transes collectives lors des raves parties où tout le monde se vaut, sans hiérarchie… un état d’esprit (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=sk_9BVA5sbs">808 State of mind !</a>) totalement à rebours d’un show-business à la papa souverainement méprisé par nos jeunes Parisiens.</p>
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<p>La <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3152826/">théorie psychologique des niveaux de représentation</a> permet d’analyser la distance psychologique et sociale que le groupe a créée par rapport au public : les personnages robots sont abstraits, cependant cette abstraction est le point de départ d’une fiction <a href="https://www.technologyreview.com/news/401760/transmedia-storytelling/">transmedia</a> diffusée sur différents supports, du <em>street art</em> jusqu’aux boules à neige. Une autre <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0305735607068889">théorie psychologique des usages et gratifications</a> montre que les fans n’entrent pas seulement dans le monde de Daft Punk pour satisfaire un désir et des besoins affectifs, mais aussi pour des besoins cognitifs en tentant de résoudre le mystère créé par les personnages.</p>
<p>Leur univers créatif pop fait aussi référence à l’enfance, avec notamment le film <em>Interstella 5555, the Story of the Secret Star System</em>, écrit et mise en musique par les Daft Punk d’après un graphisme original de Leiji Matsumoto, le créateur d’Albator. Le pitch montre toujours cette obsession de garder le contrôle de son art face à un système prédateur parallèlement à une « nostalgie du futur » typique de leur génération d’« Enfants du rock » et de la télé née dans les 70s.</p>
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<p>C’est à Los Angeles au début des années 2000 que le duo vit et rencontre son nouveau manager Paul Hahn, qui les décide à remonter sur scène. Pour bien marquer l’histoire et effacer la concurrence, ils s’installent dans une pyramide géante, avec des lasers façon Jean‑Michel Jarre lors de son <a href="https://www.youtube.com/watch?v=B1qTirI1U9I">« Millenium Concert »</a> en Égypte !</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/388934/original/file-20210310-14-rwq6uq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388934/original/file-20210310-14-rwq6uq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388934/original/file-20210310-14-rwq6uq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388934/original/file-20210310-14-rwq6uq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388934/original/file-20210310-14-rwq6uq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388934/original/file-20210310-14-rwq6uq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388934/original/file-20210310-14-rwq6uq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388934/original/file-20210310-14-rwq6uq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Daft Punk lors du festival de musique Vegoose le 27 octobre 2007 à Las Vegas, Nevada.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AFP</span></span>
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<p>La pression monte et en 2006, la fusée Justice lancée par leur ancien manager Pedro Winter est bientôt sur orbite, la scène <a href="https://jack.canalplus.com/articles/lire/reste-quoi-de-nu-rave?tl=fr?tl=fr">new rave</a> ou dance punk (Klaxons, Digitalism, Data rock, CSS), musique électronique jouée avec une énergie rock, explose dans les festivals.</p>
<p>Dès leur première apparition dans le désert californien de Coachella, festival de référence du « cool mondial », les Daft embarquent le public en enchaînant leurs tubes dans un déluge de <em>beats</em> et de <em>light shows</em> autour de leurs personnages de robots, faisant d’eux ainsi paradoxalement les <a href="https://www.cairn.info/revue-nectart-2016-1-page-104.htm">champions du show</a>. Après l’incompréhension relative de leur album <em>Human After All</em>, le duo casqué se replace en amont de son époque.</p>
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<h2><em>Global French Paradox</em></h2>
<p>Taillé pour l’export depuis le départ, leur projet évacue d’emblée toute référence à la France ou à la langue française (là où Air fait le strict minimum en la matière, avec quelques mots en français), et sera pourtant considéré comme l’étendard ultime de la French Touch. Ils resteront à jamais les Français aux cinq Grammy Awards empochés lors d’une razzia historique en 2014 ! </p>
<p>Bien que ces robots soient dépourvus d’état civil, une filiation française subsiste toutefois dans leurs mélodies, avec leur production souvent proche de <a href="https://www.futuriaproduction.fr/cerrone/Biographie-Marc-Cerrone_a1.html">Cerrone</a>, <a href="https://www.ouest-france.fr/culture/musique-space-art-pionniers-de-l-electro-la-francaise-4643085">Space Art</a> (groupe 70s de Didier Marouani qui a vendu plus de 12 millions d’albums) ou <a href="https://www.arte.tv/fr/articles/tracks-les-rockets-rencontre-du-troisieme-type">The Rockets</a> déguisés comme eux en créatures de l’espace « sci-fi glam » sans oublier les productions disco du père de Thomas Bangalter, Daniel Vangarde, avec le <a href="https://popmusicdeluxe.fr/2020/11/24/ottawan-tes-ok/">« T’es OK »</a> d’Ottawan, par exemple.</p>
<h2><em>Do-it-yourself</em></h2>
<p>Cette incroyable success-story s’inscrit dans un un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/9781119681250.ch3">business model innovant</a>. Les Daft Punk ont été parmi les premiers en France à importer le <em>do-it-yourself</em> anglo-saxon en signant des contrats de licence avec leurs labels et sociétés d’éditions (Roulé, Scratché, Daft Trax, Crydamoudre…) pour garder le contrôle artistique de leur production, une tendance forte venue de la scène hip-hop, représentée par le <a href="https://wuwear.com/">Wu Tang Clan</a> et les Beastie Boys qui avaient leur label et magazine <a href="https://blog.discogs.com/en/check-your-head-a-guide-to-grand-royal/">Grand Royal</a> et leur marque de vêtements, et signaient des contrats de licence ou de distribution avec les <em>majors</em>.</p>
<p>Sans oublier les labels pionniers de rock « indie » anglais (4AD, Mute, Too Pure, Creation…). Le parcours du groupe est ainsi jalonné d’innovations par exemple le <a href="http://www.daftpunk-anthology.com/wp-content/uploads/2012/07/daftcard01.jpeg">Daft Club</a>, éphémère mais visionnaire plate-forme web qui permettait d’accéder à leur contenu sur abonnement. Contrairement à Air ou Laurent Garnier, ces robots humains après tout ont toujours refusé les Victoires de la musique, les médailles du ministère de la Culture, et même le dispositif de la Sacem basée sur le droit d’auteur, avec qui ils ont engagé un long bras de fer pour finalement lui préférer une société de droits anglaise basée sur le copyright.</p>
<h2><em>Daft school</em></h2>
<p>À l’inverse des yéyés des années 60 (Johhny, Eddy, Sylvie) important des formats anglo-saxons rapidement traduits en VF, Daft Punk et sa nébuleuse ont réussi à imposer un son et une vision à la pop mondiale qui ne sonnera plus jamais pareil après eux. Même s’ils cartonnaient dans leurs projets annexes réalisés à deux (<a href="https://variety.com/2021/music/news/the-weeknd-daft-punk-starboy-1234913297/">The Weeknd</a>, les BO de <em>Tron</em>.), ils continueront à produire chacun de leur côté, comme ils l’ont déjà fait : Thomas Bangalter a produit des BO de film en solo, comme celle d’<a href="https://www.cinezik.org/critiques/affcritique.php?titre=irreversible"><em>Irréversible</em></a>, et Guy-Manuel de Homem Cristo a produit <a href="https://www.lexpress.fr/culture/musique/sebastien-tellier-sexuality_473260.html"><em>Sexuality</em> de Sébastien Tellier</a>, le morceau « Rest » de Charlotte Gainsbourg, dans un registre plus « dandy » français…</p>
<p>On imagine leur soulagement depuis ce divorce à l’amiable après 28 ans de vie commune en robots ménagers. Avant de déposer leurs casques au vestiaire, le duo aura toutefois bouclé la boucle en ayant rendu un vibrant hommage, sur <a href="https://www.traxmag.com/daft-punk-random-access-memories-est-lalbum-le-plus-vendu-de-la-derniere-decennie/">l’album <em>RAM</em></a>, aux icônes de leur jeunesse, comme Paul Williams, Nile Rodgers de Chic ou Giorgio Moroder, transmettant leur goût du passé en l’habillant de futur. Magistral !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155907/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur le succès fulgurant de ces artistes phares de la scène française de ces trente dernières années.Anne Gombault, Professeur de management stratégique, directrice des programmes du MSc Arts & Creative Industries Management à Paris et de la partie française de l'Institut Franco-Chinois de Management des Arts et du Design à Shanghai, Kedge Business SchoolGuillaume Fédou, Intervenant dans le centre d'expertise Industries Créatives et Culture, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1524932021-01-12T19:46:16Z2021-01-12T19:46:16ZPandémie et musique électro : vers un second souffle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377926/original/file-20210111-15-stjou9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C4%2C792%2C526&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Electronic Daisy Carnival (EDC) a Las Vegas est le plus important festival de musique electronique en Amerique du Nord.</span> <span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La musique électronique, contrairement aux idées reçues, a besoin d’évènements live pour survivre, et la pandémie actuelle appelle les professionnels de l’électro à <a href="https://www.lemonde.fr/musiques/article/2020/11/18/l-electro-les-deux-doigts-dans-la-crise_6060118_1654986.html">repenser leur métier</a>. Le livre <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9789813347403"><em>Villes électroniques</em></a> que j’ai édité avec <a href="https://scholars.cityu.edu.hk/person/dcharrie">Damien Charrieras</a> et <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/John_Willsteed">John Willsteed</a> analyse l’influence des politiques de développement culturelles liées à l’aménagement urbain sur ces scènes, ainsi que l’impact de la pandémie sur ce secteur. Une thématique qui s’inscrit dans la lignée de mes travaux de recherche qui portent sur les espaces de créativité dans la ville.</p>
<p>Si ce style <a href="https://www.lepoint.fr/societe/l-electro-compte-de-plus-en-plus-dans-l-industrie-musicale-12-10-2016-2075472_23.php">est moins diabolisé</a> que par le passé, ce type de musique n’est pas encore totalement intégré dans les politiques de développement culturel ; dans certains pays, c’est encore un style marginal. Signe que sa reconnaissance progresse : en 2019, une <a href="https://philharmoniedeparis.fr/fr/expo-electro#:%7E:text=Exposition%20du%209%20avril%20%E2%80%93%2011,%7C%20Espace%20d%E2%80%99exposition%20%E2%80%93%20Philharmonie&text=La%20Philharmonie%20de%20Paris%20pr%C3%A9sente,correspondances%20avec%20les%20arts%20plastiques.">large exposition</a> à la Cité de la musique était dédiée à ce style musical.</p>
<h2>L’électro, qu’est-ce que c’est ?</h2>
<p>La musique électronique est caractérisée par une <a href="https://music.ishkur.com/">diversité de genres</a>, dont 153 ont été identifiés par un site en ligne qui se fonde par exemple sur l’analyse de magazines spécialisés ou la sortie de nouveaux disques. Pour simplifier, on peut distinguer deux branches qui s’influencent mutuellement : l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Electronic_dance_music">EDM ou <em>club music</em> (faite pour danser)</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Intelligent_dance_music">l’<em>intelligent dance music</em> (IDM) plus ouverte à l’expérimentation</a>, notamment promue par le label indépendant <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Warp_Records">Warp Records</a> fondé à Sheffield en Angleterre en 1989.</p>
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<p>Aphex Twin, Boards of Canada ou encore Björk sont associés à ce genre. Ce type d’électro est plus conceptuel, fait pour être écouté chez soi, avec un rythme souvent plus lent et des sons plus doux, plus harmonieux que le type d’électro fait pour danser. Même si les nouvelles techniques de production permettent de produire de la musique électronique depuis n’importe où, ce type de musique reste lié à la ville. Les premiers regroupements live techno à Detroit dans les années 1980 avaient lieu dans des hangars industriels désaffectés durant une période de désindustrialisation et de déclin économique.</p>
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<p>L’origine du genre électronique remonte aux compositions d’Edgard Varèse, telles que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Po%C3%A8me_%C3%A9lectronique">« Poème électronique »</a> une pièce électroacoustique de 1958, aux œuvres de <a href="https://www.franceculture.fr/personne-pierre-schaeffer.html">Pierre Schaeffer</a> – ingénieur de formation – ou de Stockhausen, mais aussi plus récemment, de l’Italien <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Giorgio_Moroder">Giorgio Moroder</a>. Parmi les pionniers, on compte le mythique groupe Kraftwerk, issu de la <a href="http://www.electricityclub.co.uk/electri_city-dusseldorf-school-electronic-music/">scène de Düsseldorf</a> en Allemagne. </p>
<p>Les premiers véritables bastions de ce genre furent <a href="https://www.brotski.fr/conferences-concerts/histoire-musique-electro/2%C3%A8me-pole-detroit-la-ville-ou-nait-la-techno-chigago-new-york-les-villes-ou-naissent-la-house.html">Chicago</a> où naît la techno dans un contexte de crise économique et de désindustrialisation, mais aussi Detroit et New York qui sont à l’origine du <a href="http://www.differenthouse.com/styles">style house</a> qui lui-même se décline en plusieurs variantes. Ce style sera réactualisé dans les années 90 avec la <a href="https://www.franceinter.fr/culture/la-techno-a-25-ans">French touch</a>. </p>
<p>À Berlin, la <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/09/25/apres-la-chute-du-mur-berlin-resonne-au-rythme-de-la-techno_6012950_4500055.html">naissance de cette scène</a> coïncide avec la chute du mur en 1989. Aujourd’hui la musique électronique est un phénomène culturel mondial qui met en avant les artistes féminines même si le milieu de la techno reste <a href="https://www.traxmag.com/pourquoi-le-milieu-de-la-techno-est-il-si-sexiste/">très sexiste</a>. Des artistes telles que Grimes à Montréal qui ont commencé sur des labels indépendants comme <a href="https://www.discogs.com/label/28927-ARBUTUS-RECORDS">Arbutus Records</a> connaissent désormais un succès international.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’artiste Grimes réalise ses clips ainsi que ses pochettes de disques. Son inspiration vient du monde digital.</span></figcaption>
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<p>Une pléiade de <a href="https://www.proximus.be/pickx/fr/1758894/les-meilleurs-dj-feminins-au-monde">DJ femmes</a> se produisent dans le monde entier et des <a href="https://wodjmag.com/collectifs-labels-rosters-feminins/">collectifs</a> tentent de changer les mentalités. En Australie, en 2017, les <a href="https://thebrag.com/the-gender-bias-against-women-in-australian-electronic-music-and-what-we-must-do-to-fix-it/">femmes n’étaient représentées qu’à 16 %</a> dans la programmation des festivals de musique électronique alors que dans le monde <a href="http://femalepressure.net/FACTS2020survey-by_femalepressure.pdf">cette proportion a augmenté de 17 à 21 % entre 2012 et 2019</a>, c’est en Suède que cette proportion est la plus importante avec 42 % de DJ femmes dans la programmation entre 2017 et 2019.</p>
<h2>Politiques culturelles et monde de l’électro</h2>
<p>La plupart des scènes étudiées dans le livre <em>Villes électroniques</em> sont nées sans l’intervention des gouvernements ; les autorités se montrent souvent répressives dans le cas des scènes que nous qualifions d’underground notamment en ce qui concerne <a href="https://ra.co/features/2577">l’usage de substances illicites</a> ou les horaires de fermetures des clubs. Cependant, la musique électro peut être utilisée par les gouvernements locaux afin de promouvoir une nouvelle image de la ville.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/377946/original/file-20210111-23-1fboinf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/377946/original/file-20210111-23-1fboinf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377946/original/file-20210111-23-1fboinf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=254&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377946/original/file-20210111-23-1fboinf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=254&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377946/original/file-20210111-23-1fboinf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=254&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377946/original/file-20210111-23-1fboinf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377946/original/file-20210111-23-1fboinf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377946/original/file-20210111-23-1fboinf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le Festival Untod en Roumanie a été mis en place par le gouvernement local pour faire de cette région un pôle touristique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">google image</span></span>
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<p>Dans la même veine, la ville de Montréal a incorporé ce type de musique avec le festival Mutek tout comme <a href="http://lyonbondyblog.fr/LBB/touche-lyonnaise-de-musique-electronique/">Lyon</a> avec le <a href="https://www.nuits-sonores.com/informations/quest-ce-que-ns/#:%7E:text=Chaque%20ann%C3%A9e%20pendant%205%20jours,convivialit%C3%A9%20urbaine%20et%20de%20partage.">festival Nuits Sonores</a>.</p>
<p>Les petits clubs underground des capitales, tel le Club 414 qui a longtemps accueilli les soirées <em>acid techno</em> à Brixton, dans la banlieue de Londres, sont victimes de la gentrification et sont le plus souvent obligés de fermer leurs portes sous la pression des promoteurs qui les rachètent pour privilégier des opérations immobilières plus lucratives. Une <a href="https://www.swlondoner.co.uk/news/14122020-campaigners-seek-mayor-of-londons-support-to-stop-20-storey-office-tower-above-brixton-market/">tour de bureaux va être construite à l’emplacement de ce club</a> qui a une valeur historique et culturelle, mais qui n’est pas protégée par les règlements d’urbanisme en place. Le cas de ce club et les <a href="https://culturesconstructives-aecc.com/plans-for-tonight-acomparative-studyof-subcultural-resistance-in-san-francisco-and-london-3272/">cultures alternatives urbaines ont été étudiés en détail par Stéphane Sadoux</a> de l’Université de Grenoble.</p>
<p>Il n’est pas rare qu’au sein d’une même ville plusieurs types de scènes coexistent : des évènements plus commerciaux comme la <a href="https://www.tsugi.fr/le-maire-de-detroit-proclame-la-detroit-techno-week/">Techno Week à Detroit</a> sont soutenus par les pouvoirs locaux et servent le tourisme culturel alors que d’autres scènes plus underground préfèrent occuper des espaces désaffectés en marge des centres.</p>
<h2>Le futur de l’electro</h2>
<p>Le dernier rapport <a href="https://www.internationalmusicsummit.com/business-report/">IMS</a> sur l’industrie de la musique électronique précise que 350 festivals ont été annulés ou reportés à la date d’avril 2020, empêchant 8,9 millions de personnes d’y participer. Les alternatives sont le recours à des <a href="https://www.ibiza-spotlight.com/magazine/2020/05/virtual-houseparty-festival-show-just-keeps-streaming">plateformes en ligne telles que Twitch ou même Zoom</a> pour que ce type de pratiques subsistent. En Australie, les <a href="https://junkee.com/drive-in-gigs-australia/253543"><em>drive-in gigs</em></a> expérimentés pour la musique live persistent, tous genres confondus. Une <a href="https://www.amsterdam-dance-event.nl/en/program/2020/distant-dancefloors-covid-19-and-the-electronic-music-industry-documentary-screening-hosted-by-pioneer-dj/239529/">autre solution</a> qui permet de « danser à distance » est actuellement expérimentée.</p>
<p>Les fêtes clandestines (<em>illegal raves</em>) continuent d’avoir lieu comme récemment en <a href="https://www.lepoint.fr/societe/rave-party-en-bretagne-on-le-refera-lance-l-un-des-organisateurs-03-01-2021-2407997_23.php">Bretagne</a> et ailleurs (<a href="https://www.nytimes.com/2020/08/07/arts/music/illegal-parties-coronavirus-europe.html">Berlin, Tottenham ou Manchester</a>). Il n’existe pas à l’heure actuelle d’aide directe pour les artistes électros et pour soutenir ce secteur d’activité, la seule solution consiste pour l’heure à <a href="https://ra.co/news/72624">rejoindre des événements virtuels et de continuer d’acheter de la musique en ligne.</a>. Dans le livre <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9789813347403"><em>Les Villes électroniques</em></a>, Mark Reeder le <a href="https://fr.qaz.wiki/wiki/Mark_Reeder">musicien et producteur de musique électronique</a> lors d’un entretien avec John Willsteed, déclare que, selon lui, suite à la pandémie, la musique électro va se faire moins festive, plus introspective et composée pour être écoutée à la maison plutôt que sur une piste de danse.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wq63LKCB1is?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le groupe allemand Rue Oberkampf développe une électro plus introspective.</span></figcaption>
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<p>Bien entendu, l’arrivée du vaccin peut changer la donne : demain, les scènes électros virtuelles et réelles vont certainement continuer à investir les espaces de la ville, de façon légale ou illégale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152493/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sebastien Darchen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La musique électro, entre underground et institutionnalisation, n’en finit pas de se réinventer.Sebastien Darchen, Senior Lecturer in Planning, The University of QueenslandLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1521872021-01-01T17:00:17Z2021-01-01T17:00:17ZLes bienfaits de la musique, c’est pas automatique… et heureusement !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376885/original/file-20210101-49525-8wyely.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3000%2C1998&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jeune femme écoutant de la musique au bord de la mer.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/CnTiAl1fpRU">Blaz Erzetic</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La vidéo de la ballerine qui, malgré la maladie d’Alzheimer, se remémore de sa chorégraphie sur Le Lac des Cygnes a fait un buzz planétaire. Alors que son succès atteste le caractère exceptionnel de l’événement, ce clip réalisé par l’association Música para Despertar se trouve associé à un discours d’accompagnement qui le tient pour la preuve d’une vérité plus générale (trop généralisée ?) sur les bienfaits de la musique. Mais les incantations du type « mettez-vous de la musique et vous déprimerez moins », reviennent à une vision automatique des bienfaits de la musique à la fois scientifiquement fausse et esthétiquement réductrice.</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://embedftv-a.akamaihd.net/0b301b842b678a3c2ecd7854412b5d26" frameborder="0" scrolling="no" allowfullscreen=""></iframe>
<p>L’éditorialisation de la vidéo par France Info est emblématique d’une vision mi-surnaturelle mi-scientiste des bienfaits la musique. Re-titrée « quand la musique est plus forte que la maladie d’Alzheimer », la vidéo de l’association <em>Música para Despertar</em> est aussi « re-surtitrée » par la chaîne info : « Il suffisait de quelques notes pour que tout lui revienne. ». Relever que « Dès les premières notes, tout lui revient… » ne dit rien du travail préparatoire des soignants avant le tournage du clip.</p>
<p>Par l’aller-venue entre les images de la performance d’origine de Marta C. González et sa réaction chorégraphiée à l’écoute de la musique de Tchaïkovsky, la vidéo oriente le regard vers une sorte de miracle. En pointant leur attention sur l’immédiateté avec laquelle la danseuse se remémore des mouvements de ses bras, ces commentaires laissent penser que la musique agit de manière automatique, comme si la réponse était de l’ordre du réflexe conditionné.</p>
<h2>Ne pas oublier l’importance de la médiation</h2>
<p>Comme dans tout spectacle d’illusionnisme, il y a des procédés de diversion : regarder l’instant où la danseuse s’éveille, revient à détourner l’attention d’un processus plus global où c’est moins la musique qui remet Marta C. González que le lien qu’elle a préalablement noué avec cette musique-là. Insister sur l’impact direct, instantané, immédiat de la musique sur la danseuse, c’est aussi faire l’impasse sur la médiation de Pepe Olmedo(directeur et fondateur de Música para Despertar, à la fois psychologue, musicothérapeute et guitariste du groupe SoundBay) qui va chercher <em>Le lac des Cygnes</em> sur le smartphone, prend la main de Marta C. González, l’embrasse, l’assure de l’importance pour lui de voir la ballerine retrouver ses mouvements.</p>
<p>En plus de faire l’impasse sur l’importance du médiateur, ces présentations enchanteresses des pouvoirs de la musique produisent un effet de généralisation qui fait peser sur toute œuvre musicale un impératif d’efficacité et une promesse intenable de consensus.</p>
<p>En matière de décryptages, plusieurs articles montrent qu’indépendamment de la maladie d’Alzheimer, Marta C. González <a href="https://www.elespanol.com/reportajes/20201114/historia-no-marta-cinta-bailarina-alzheimer-pelicula/535946564_0.html">a toujours aimé affabuler</a>, jusqu’à falsifier certains documents pour des raisons inexpliquées qui peuvent aller de la coquetterie sur son âge à une stratégie liée à la révolution cubaine.</p>
<p>Le magazine <em>Diapason</em> reprend les propos du critique de danse Alastair Macaulay pour qui « elle ne se remémore pas une chorégraphie spécifique du Lac des cygnes », mais dessine des mouvements « en réaction à une <a href="https://www.diapasonmag.fr/a-la-une/le-mystere-de-la-vieille-ballerine-resolu-31417">musique particulièrement puissante</a>. » C’est-à-dire que les décryptages concentrent la démystification sur la véritable carrière chorégraphique de Marta C. González pour conclure que « Le plus important n’est pas dans ce mystère résolu, mais dans l’impact spectaculaire de la musique sur l’activité cérébrale, et son pouvoir stimulant.</p>
<h2>Au-delà de la « magie »</h2>
<p>Au-delà du paradoxe qui consiste à prêter un pouvoir quasiment magique à la musique en s’appuyant sur des images qui soulignent ses effets comme automatiques (pour ne pas dire pavloviens), tirer de cet événement exceptionnel une généralité sur « les bienfaits de la musique », essentialise LA musique pour s’en tenir à l’évidence : la musique, ça fait du bien. Mais l’évidence est rabâchée avec l’obstination d’un optimisme panglossien qui vire à la contre-vérité. La figure de Pangloss – le précepteur de Candide qui permet à Voltaire de caricaturer l’optimisme leibnizien –, est aujourd’hui réinvestie par la zététique pour ridiculiser la plupart de tel ou tel miracle. <a href="https://cortecs.org/wp-content/uploads/2011/04/CorteX_Monvoisin_Traverse_2-Pangloss.pdf">Richard Monvoisin</a> relève un raisonnement panglossien dans le slogan de la Française des jeux qui souligne l’évidence que « 100 % des gagnants ont tenté leur chance » pour dire qu’il faut jouer pour gagner tout en laissant planer une substitution de la raison nécessaire en raison suffisante, comme s’il n’y avait qu’à jouer pour gagner.</p>
<p>Nous pourrions trouver un glissement analogue quand on pointe à quel point 100 % des vidéos virales du genre ont tenté de mettre de la musique à des patients Alzheimer, pour laisser entendre que la musique pourrait, à elle seule, automatiquement, à tous les coups, ralentir les effets de la neurodégénérescence.</p>
<p>Dans le récent volume <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=67100"><em>Penser (à) l’opéra</em></a> (dir. Guillaume Plaisance), Hervé Platel (Université de Caen) et Chantal Ardouin (association Music’O Seniors) cosignent un article de synthèse sur les bénéfices de la musique dans les maladies neurodégénératives qui soulignent bien que « malgré un possible émoussement émotionnel et des troubles comportementaux comme l’apathie, la très grande majorité des patients Alzheimer prennent du plaisir à entendre de la musique ».</p>
<p>Encore une fois, la musique ne fait pas de miracle à elle seule. La maladie d’Alzheimer est moins dégénérative pour les compétences musicales que pour les compétences linguistiques, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19214750/">plusieurs études</a> venant attester d’une résistance des souvenirs liés à la musique.</p>
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<p>« C’est pourquoi les interventions musicales semblent pertinentes et devraient avoir un impact significatif, comme cela est soutenu par des programmes comme_ Music and Memory_. » concluent Hervé Platel et Chantal Ardouin.</p>
</blockquote>
<p>Si les termes employés ne sont pas pleinement affirmatifs (« semblent », « devraient »), la prudence rhétorique appelle un soupçon sur la valeur de l’effet de la musique.</p>
<p>Nous pourrions notamment nous demander à quel point_ Le Lac des Cygnes_ est un souvenir uniquement agréable pour Marta C. González ? Est-ce que les émotions associées à telle ou telle musique par les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, sont des émotions positives qu’ils sont nécessairement heureux de revivre ? Est-ce que la tendance à l’affabulation caractérisée ou encore l’esprit de défiance à l’égard des autres occupants de la résidence et le désir de faire plaisir au guitariste du groupe SoundBay ne seraient pas des vecteurs plus puissants encore que la musique pour motiver une prestation chorégraphique chez l’ancienne ballerine ? Pepe Olmedo semblait même accuser une certaine déception de voir que la séquence ne suffisait pas à redonner le moral à la danseuse : « Elle n’avait qu’un déclin cognitif léger et pouvait parler. Mais elle était toujours très triste, très négative. On voit très bien comment elle se connecte <a href="https://www.courrierinternational.com/video/emotions-atteinte-dalzheimer-une-ancienne-ballerine-ecoute-le-lac-des-cygnes-et-tout-lui">soudain à la musique</a>. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152187/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Christoffel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vous avez sans doute vu cette vidéo où une ancienne ballerine atteinte de la maladie d’Alzheimer semble s’éveiller et danse à l’écoute du Lac des cygnes. Que s’est-il vraiment passé ?David Christoffel, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1489682020-11-24T14:00:54Z2020-11-24T14:00:54ZLa danse « en ligne » : une bouée de sauvetage pour les danseurs ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/369371/original/file-20201113-15-zd229d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=44%2C0%2C5000%2C3308&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les cours de danse à distance, sous diverses formes, ont connu une forte croissance depuis le début de la pandémie</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les médias ont fait grand écho des défis soulevés par la pandémie dans les sports et la culture, mais la danse reste la grande oubliée de cette crise. Entre imposer des mesures de distanciation ou mettre la clé sous la porte, les écoles de danse de loisir <a href="https://www.ledevoir.com/culture/danse/588124/coronavirus-ces-ecoles-qui-ne-savent-plus-sur-quel-pied-danser">« ne savent plus sur quel pied danser »</a>.</p>
<p>Le Réseau d’enseignement de la danse (RED) est allé jusqu’à évoquer la possibilité d’une <a href="https://red-danse.ca/actualite/communique-70-millions-sports-loisirs/">fermeture de 80 % des écoles de danse</a> de loisir au Québec. De fait, depuis le début de la pandémie, la « survie » <a href="https://medium.com/@michael.casajus">déjà précaire</a> des <a href="https://www.lesoleil.com/arts/les-ecoles-de-danse-sinquietent-pour-leur-survie-99e1f2dcbbf9afe895d2484bf98cf6ae">écoles de danse</a> et plus généralement celle de tous les danseurs professionnels est en jeu.</p>
<p>Sociologue de formation et professeure spécialisée en formation à distance, je suis également une passionnée de danse. La situation des écoles de danse et l’offre croissante de cours à distance m’ont incitée dès le printemps à réaliser une étude sur le sujet. Grâce à un sondage diffusé sur les réseaux socionumériques, en avril et en octobre, je souhaitais mieux comprendre les impacts de la pandémie sur la pratique de la danse.</p>
<p>Plus de 170 danseuses et danseurs (amateurs et professionnels) au Canada et en France ont répondu jusqu’à maintenant. Un grand constat : les danseuses et danseurs font preuve de belles capacités d’adaptation, mais sont en manque de quelque chose…</p>
<h2>Appels à l’aide</h2>
<p>La fermeture potentielle des écoles <a href="https://medium.com/danses-swing-astuces-et-r%C3%A9flexions-p%C3%A9dagogiques/pand%C3%A9mie-lexpertise-de-la-danse-de-couple-en-danger-a7e17fac2b25">menace le gagne-pain des professionnels de la danse</a>, dont l’activité est étroitement liée à l’ensemble des danseurs amateurs.</p>
<p>C’est ainsi qu’en Ontario comme au Québec, de nombreux danseurs professionnels et amateurs ont invité les gouvernements à les considérer dans les programmes d’aide. Leur souhait a été exaucé. <a href="https://red-danse.ca/actualite/les-ecoles-de-danse-de-loisir-auront-finalement-acces-a-de-laide-financiere-durgence/">Les écoles auront enfin droit à une aide d’urgence</a>.</p>
<p>Pour autant, ces danseurs se trouvent, depuis le printemps, privés d’un loisir qui occupe souvent une place importante dans leur vie. Dès lors, comment les danseurs professionnels ou amateurs s’adaptent-ils à cette situation ?</p>
<h2>S’adapter aux mesures</h2>
<p>Les écoles et les professeurs de danse ont mis en œuvre diverses mesures pour donner leurs cours en respectant les consignes d’hygiène et de distanciation sociale.</p>
<p>Plus concrètement, elles imposent le port du masque et la désinfection des mains à l’aide de gel hydroalcoolique entre chaque changement de partenaire, ou encore de respecter la distance entre chaque danseur. Certains vont privilégier les mouvements en solo ou le <a href="https://youtu.be/ddd46dufZg0">guidage sans contact</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ddd46dufZg0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Dans les premières minutes de cette vidéo, le couple formé des danseurs français vivant au Canada, Philippe Berne et Flore Merlier, montre des exemples de mouvements pratiqués seuls et de guidage sans contact.</span></figcaption>
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<p>Comme ce fut le cas dans plusieurs pays lors du confinement de la première vague et comme c’est encore le cas au Québec ou en France, toutes les soirées et tous les cours en salle sont annulés, d’où une forte croissance de la formation à distance.</p>
<h2>Une activité populaire</h2>
<p>La danse a été fréquemment étudiée par les ethnologues dans bon nombre de sociétés traditionnelles. Elle fait beaucoup plus rarement l’objet de recherches <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=20523">dans le contexte des sociétés modernes</a>.</p>
<p>Notre étude brise une première représentation : celui que la danse serait l’apanage des très jeunes ou des aînés. Il est intéressant de constater, au contraire, que la majorité des répondants au sondage ont entre 30 et 50 ans. Ils vivent davantage en couple ou en famille, ont souvent réalisé des études supérieures et leurs activités socioprofessionnelles sont variées (enseignants, ingénieurs, informaticiens, comptables, psychologues, architectes, cadres, étudiants, retraités, etc.).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-la-depression-a-la-maladie-de-parkinson-le-pouvoir-curatif-de-la-danse-128740">De la dépression à la maladie de Parkinson : le pouvoir curatif de la danse</a>
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<p>De l’adolescente danseuse de jazz au sexagénaire danseur de boléro, la danse attire un large public. Les répondants au questionnaire pratiquent en ordre de fréquence les danses suivantes : salsa, bachata, danse orientale, west coast swing, tango, kizomba, zouk brésilien, blues, lindy hop, balboa, samba, jazz, hip hop.</p>
<h2>Une source de bonheur</h2>
<p>Quelle que soit la danse pratiquée, 84 % des répondants présentent cette activité comme une source de bonheur et de joie et 76 % comme une source de bien-être et une occasion de socialiser. Certains précisent que la danse a un « effet thérapeutique » ou qu’elle permet de vivre des « moments magiques ».</p>
<p>Plus largement encore, 86 % déclarent avoir le sentiment d’appartenir à une <a href="https://www.essachess.com/index.php/jcs/article/view/445">communauté</a> véhiculant des valeurs « d’entraide, de partage, de respect, d’ouverture d’esprit, d’amitié, et de plaisir ». Ces valeurs s’expliquent par le rapport entre le travail et le plaisir, qui caractérise ce type de loisir. Bien que certains aient naturellement plus de facilité que d’autres, tous doivent faire l’effort d’apprendre à danser. Les danseurs multiplient les heures de cours et de pratique pour se dépasser lors de spectacles ou de soirées, avec différents partenaires.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/369376/original/file-20201113-15-y4j81h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/369376/original/file-20201113-15-y4j81h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/369376/original/file-20201113-15-y4j81h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/369376/original/file-20201113-15-y4j81h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/369376/original/file-20201113-15-y4j81h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/369376/original/file-20201113-15-y4j81h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/369376/original/file-20201113-15-y4j81h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour plusieurs danseurs amateurs, la danse est plus qu’un loisir, c’est un moyen de socialisation et une source d’entraide. La pandémie a des impacts importants sur leur santé psychologique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Avant la pandémie, 72 % des répondants suivaient au moins un cours de danse par semaine et presque tous les danseurs en couple participaient à des soirées de danse au moins une fois par semaine. Autant dire que depuis huit mois, bon nombre de danseurs sont privés du plaisir partagé d’apprendre, de la complicité entre danseurs, des échanges ou de la fébrilité qui accompagne la préparation d’un spectacle.</p>
<h2>L’essor de la danse « en ligne »</h2>
<p>Près de la moitié des répondants se sont mis à suivre des cours de danse à distance, dont l’offre s’est considérablement accrue. La variété de cours accessibles en ligne est très vaste. Cela va du cours en direct grâce à la visioconférence à celui sous forme de courtes vidéos présentées sur un site, en passant par divers types d’enseignements synchrones ou asynchrones, gratuits ou payants, sur les réseaux socionumériques ou d’autres sites.</p>
<p>Alors que seulement 18 % des répondants avaient eu l’occasion de suivre un cours de danse à distance avant la pandémie, ils sont désormais 46 %. Parmi les principaux avantages recensés reviennent la flexibilité des cours asynchrones, l’accès à des cours d’enseignants éloignés et l’apprentissage de nouvelles techniques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-comment-conserver-sa-sante-physique-et-mentale-134483">Covid-19 : comment conserver sa santé physique et mentale</a>
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<p>Les inconvénients mentionnés le plus fréquemment portent quant à eux sur les soucis techniques, l’espace restreint à domicile, le manque de rétroaction directe de l’enseignant, l’absence de partenaire (ou de changement de partenaire) pour les danses de couple et, bien sûr, le manque de contact humain et la dynamique de groupe.</p>
<p>Les aspects positifs et négatifs des cours de danse à distance sont très proches de ceux rencontrés dans la plupart des enseignements en ligne. Ainsi, la formation à distance est mieux adaptée aux danseurs aguerris, capables de s’évaluer et progresser de manière autonome qu’aux novices.</p>
<h2>Un mode de vie</h2>
<p>Même si 41 % des répondants à l’enquête indiquent vouloir continuer à suivre des cours à distance au-delà de la pandémie, la plupart attendent impatiemment le retour des cours en présence et certains arrêtent sans savoir s'ils reprendront un jour. </p>
<p>La danse n’est pas qu’un simple loisir, mais une activité qui implique une hygiène de vie particulière pour de telle sorte que 87 % pratiquent des mouvements de danse, des renforcements musculaires ou des étirements en dehors des cours. La danse occupe généralement les soirées ou les fins de semaine, si bien que l’arrêt prolongé d’une telle activité pourrait entraîner l’oisiveté chez certains.</p>
<p>D’ailleurs, la léthargie s’est emparée de plusieurs danseurs dont les activités ont été bouleversées. La formation à distance et les échanges sur les réseaux sociaux sont des bouées de sauvetage, en attendant que la joie et la passion contagieuses de la danse puissent à nouveau se vivre pleinement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148968/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cathia Papi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le printemps, les amateurs de danse sont privés d’un loisir qui occupe souvent une place importante dans leur vie. Comment s’adaptent-ils à cette situation ?Cathia Papi, Professeure, CURAPP-ESS, Université TÉLUQ Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1482802020-10-30T10:32:40Z2020-10-30T10:32:40ZAuto-essentialisation : quand Joséphine Baker retournait le racisme contre elle-même<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/364539/original/file-20201020-13-1jw3ggc.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1272%2C881&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image du film "Princesse Tam Tam", avec Joséphine Baker.</span> <span class="attribution"><span class="source">Youtube</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans le cadre de notre série mensuelle « Les couleurs du racisme », l’historien Erick Cakpo analyse ici un extrait du film Princesse Tam Tam (voir ci-dessous), et met en évidence les stéréotypes racistes qui infusaient le cinéma et le monde du divertissement en général dans les années 1930, tout en s’interrogeant sur la tentative de réappropriation critique par les artistes concerné·e·s, à commencer par Joséphine Baker.</em></p>
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<p>Dans ce <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LdIGlWD9ScQ&ab_channel=TheStoryBehind">court extrait</a> de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Princesse_Tam_Tam"><em>Princesse Tam Tam</em> (1935)</a>, le réalisateur français <a href="http://cinema.encyclopedie.personnalites.bifi.fr/index.php?pk=10685">Edmond Gréville</a> met en scène l’artiste franco-américaine Joséphine Baker (1906-1975). Au son du tam-tam, des maracas, du gong et du guiro, des instruments symbolisant un certain exotisme, elle exécute, pour un public européen, une danse censée évoquer l’ailleurs lointain. Ne pouvant résister au rythme des instruments, l’actrice se précipite sur scène en se débarrassant de ses vêtements pour se livrer, pieds nus, à des mouvements corporels de pas glissés, de déhanchements, d’ondulations, de sauts qui invitent le spectateur à faire un rapprochement avec les danses africaines, la couleur de peau de Joséphine Baker accentuant fortement cette suggestion.</p>
<p>Cette scène, associée à d’autres comme en particulier la célèbre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=L9jNCm6CVV0">« banana dance »</a> qui colle à la peau de l’actrice, achève de cantonner cette dernière dans un rôle d’incarnation des stéréotypes véhiculés sur le corps de la femme noire, stéréotypes qui ont gouverné l’imaginaire colonial et qui peuvent parfois surgir dans l’actualité relative aux problématiques raciales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-imaginaires-sexuels-coloniaux-ont-faconne-les-mentalites-des-societes-occidentales-103132">« Les imaginaires sexuels coloniaux ont façonné les mentalités des sociétés occidentales »</a>
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<p>Au lieu de se défaire du regard érotisé et sauvage porté par les Européens sur la femme noire à son époque, Joséphine Baker semble se jouer des stéréotypes et parvenir à se les approprier dans un jeu de paradoxes oscillant entre acceptation et détournement des représentations imaginaires européennes.</p>
<h2>Une auto-essentialisation assumée ?</h2>
<p>La carrière de danseuse de Joséphine Baker est le lieu où l’actrice exprime de manière probante ce rapport paradoxal aux stéréotypes. En exhibant à travers la danse un corps érotisé et en assumant des gestes reçus comme « sauvages », elle a construit sa carrière artistique autour de ce qu’elle représente et ce qu’elle est : une femme noire incarnant les stéréotypes véhiculés à cette époque en Europe. Cette démarche <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/le-journal-de-la-philo-du-mardi-17-septembre-2019">d’auto-essentialisation</a>, c’est-à-dire la tendance de l’actrice à se réduire elle-même à l’idée stéréotypée que l’on se fait de la femme noire et de son corps, traduit la volonté de Joséphine Baker de se conformer aux attentes du public européen en quête d’exotisme.</p>
<p>En effet, le contexte de l’entre-deux-guerres, qui a vu l’arrivée de l’Américaine en France en 1925 <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2008-1-page-15.htm">est propice à la célébration de l’exotisme</a>, à la recherche du pittoresque attaché aux civilisations extraeuropéennes. Cette tendance que l’on peut faire remonter plus tôt dans l’histoire de l’Europe (XVIIe siècle), se traduit, entre autres, dans l’entre-deux-guerres <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9grophilie">par une négrophilie</a>, c’est-à-dire un attrait pour ce qui est « africain ». Dans ce contexte, l’accueil favorable que reçoit Joséphine Baker à son arrivée en France contraste avec ce qu’elle a vécu aux États-Unis. Dans une atmosphère marquée par la ségrégation qui stigmatise de manière sévère la peau noire, elle a peiné, au début des années 1920, à trouver une place dans le milieu de la danse.</p>
<h2>Répondre à l’imaginaire colonial</h2>
<p>Le contexte français pousse l’actrice à se saisir de l’imaginaire colonial français. La société de cette époque est entraînée par une mode <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1990_num_1132_1_1463">« primitive »</a> qui véhicule comme contre-valeurs des stéréotypes longtemps attachés « aux peuples inférieurs ». Cependant, dans les milieux de l’art où cette expression est la plus palpable, elle se caractérise par un fantasme affiché de <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2019-1-page-107.htm">retour du « nouveau sauvage »</a>. Joséphine Baker s’en fait l’écho par sa danse dans laquelle se trouvent réunis l’expressivité, la magie, le fétichisme et le naturel caractérisant les peuples dits primitifs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364524/original/file-20201020-13-14kyncj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Noire et Blanche, photographie Man Ray, 1926.</span>
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<p>L’actrice semble aller plus loin en conscientisant cet esprit « sauvage ». En se nourrissant des fantasmes et en les transfigurant par le truchement de l’art, elle invente une manière d’assumer cette place dérangeante. Cette position ambiguë lui est reprochée par les intellectuels noirs en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/longs-formats-paulette-nardal-architecte-oubliee-negritude-690928.htm">particulier Paulette Nardal</a>, qui l’accusent de conforter les stéréotypes usuels sur la femme noire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364531/original/file-20201020-19-1r3ydqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Edgar Degas, Miss La La au Cirque Fernando, 1879.</span>
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<p>En marge de ses talents de danseuse, l’actrice a trouvé efficace d’assumer sa « sauvagéité » par le biais de la pitrerie volontiers associée, à l’époque, à certains artistes non européens. Elle se joue de cette image « clownesque » pour détourner, par exemple, la banane – symbole par excellence du racisme – en objet de dérision qu’elle agite au nez des spectateurs. Ce faisant, elle s’inscrit dans le sillage de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Miss_Lala">l’artiste acrobate Miss Lala</a>, peinte par Edgar Degas et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chocolat_(clown)">du clown Chocolat</a>, qui, avant elle, ont connu une postérité en usant à la fois des stéréotypes dont on les affuble et de la dérision comme talents artistiques.</p>
<h2>Une question de regards</h2>
<p>Au centre du paradoxe de l’auto-essentialisation se trouve la question atavique du regard : le regard que l’on porte sur soi-même et la façon dont on est perçu.</p>
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<p>Dans le cas de Joséphine Baker, la manière artistique d’approcher son corps noir – différemment chahuté dans les contextes américains et européens – semble s’inscrire dans un processus de construction de soi. Si le regard de l’autre participe de cette construction, il en interroge les limites. À quel point sommes-nous ce que les autres veulent que nous soyons ?</p>
<p>Si l’actrice assume son appartenance « nègre » en grossissant elle-même les traits qui lui sont accolés dans une démarche que beaucoup qualifient de moderne, les représentations que l’on faisait d’elle ont été différemment reçues selon les milieux. Joséphine Baker a majoritairement amusé le public en le confortant dans ses certitudes stéréotypées. Cependant, dans les milieux intellectuels et avant-gardistes, l’attitude de l’actrice est jugée grotesque et désobligeante.</p>
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<p>Le titre évocateur dont elle est affublée aujourd’hui par les médias européens, « Joséphine Baker, première icône noire », repose la question du regard qui accompagne la vie et l’œuvre de l’actrice en Europe.</p>
<p><em><a href="https://mailchi.mp/1a0eb7b6f069/the-conversation-france">S'inscrire à la newsletter « Les couleurs du racisme »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148280/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erick Cakpo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Joséphine Baker s'est approprié les stéréotypes associés à sa couleur de peau dans un jeu de paradoxes oscillant entre acceptation et détournement des représentations imaginaires européennes.Erick Cakpo, Historien, chercheur, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1435552020-08-10T21:14:49Z2020-08-10T21:14:49Z« Utopia Falls », dystopie musicale d’une jeunesse révoltée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/349902/original/file-20200728-25-gdu16l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C1599%2C1056&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le hip-hop, source d'expression et de subversion, dans Utopia Falls. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/series/ficheserie-26131/photos/detail/?cmediafile=21702166">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>Le 14 février 2020, pour la Saint
Valentin, sortait aux USA, sur la plate-forme de streaming Hulu, et au Canada sur CBC Gem, la série <em>Utopia Falls</em>, créée par R.T. Thorne.</p>
<p>Dans un futur lointain, sur une planète empoisonnée par la guerre, les derniers humains vivent sous cloche, dans une cité durable où règnent la paix et l’harmonie : New Babyl. La ville est divisée en quatre secteurs spécialisés : Nature, Progrès, Industrie et enfin Réforme où l’on se charge de remettre les fauteurs de troubles dans le droit chemin.</p>
<p>Des Autorités veillent sur la sécurité de tous, au nom d’un gouvernement de quelques sages, baptisé le Tribunal. Tout le monde communie dans le culte de Gaia, la mère-fondatrice, et toutes les décisions sont prises « Pour l’État, pour la Communauté, pour Tous ! » L’inégalité et l’injustice ont été vaincues, grâce au bannissement des technologies, accusées d’entretenir l’égoïsme et l’individualisme. Le souci primordial du Tribunal est que personne ne reproduise les erreurs du passé.</p>
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<p>Chaque année, vingt-quatre jeunes artistes de seize ans, chanteurs, danseurs et musiciens, sont sélectionnés dans les différents secteurs pour s’affronter pacifiquement lors de l’Exemplar, une compétition de talents dont le vainqueur est promu ambassadeur culturel de la communauté. De ce côté-ci de l’Atlantique, on pourrait penser à l’Eurovision.</p>
<p>Pour l’inspiration, <em>Utopia Falls</em> se rapproche aussi bien d’une dystopie comme <em>Hunger Games</em> que d’un teen drama comme <em>High School Musical</em>. C’est aussi une écofiction qui nous projette dans un avenir où la nécessité de composer avec un environnement hostile légitime le sacrifice de l’individu à la communauté.</p>
<p>L’Exemplar a pour vocation de glorifier la concorde. Les performances des jeunes artistes doivent obéir à des codes immuables depuis soixante-treize éditions du concours. Elles visent d’abord à souder et galvaniser la population. D’un point de vue strictement esthétique, elles correspondent à une manière de faire que l’on pourrait qualifier de <em>classique</em>, compte tenu de l’importance accordée aux règles, tant en matière de contenu que d’exécution. Elles exaltent l’ordre établi et renforcent le pouvoir en place.</p>
<h2>Le passé révélé</h2>
<p>L’élément perturbateur survient lorsque, dans une grotte secrète, deux jeunes sélectionnés découvrent l’Archive, une intelligence artificielle qui leur donne accès à la culture et à l’histoire d’un passé dont ils ignorent tout. Ils sont aussitôt captivés par des vidéos de hip-hop. Pour Bohdi, un chanteur noir issu du secteur de la Réforme, c’est une véritable révélation. Pour la première fois, il sent une véritable connexion entre sa vie et l’art. Le rap résonne d’autant plus fort à ses oreilles qu’il fait écho à sa conscience des inégalités sociales entre les compétiteurs, à commencer par celles qui le distinguent d’Aliyah, la fille d’un membre du Tribunal, qui l’accompagne dans la trouvaille. Le rap ne lui révèle pas les discriminations, mais il lui apprend que l’art est capable de les exprimer et que c’est même sa vocation.</p>
<p>Au fond, sa trajectoire artistique suit le cheminement critique entamé depuis le milieu des années 1960 par les cultural studies : il comprend que l’art qu’on lui a enseigné est <a href="https://laviedesidees.fr/Critique-de-l-hegemonie-culturelle.html">au service de l’idéologie dominante</a>. Dès lors, il va cultiver un art subversif et connaître le succès grâce à ses provocations. Bohdi incarne une jeunesse révoltée, qui fait souffler sur la scène un vent de nouveauté et emporte l’adhésion du public. À l’art officiel, consensuel, il oppose un art combatif qui éveille le peuple, lui ouvre les yeux sur sa condition, au lieu de le souder derrière le pouvoir. Sa démarche l’expose rapidement aux foudres de l’Autorité Phydra, la Méchante de la série, la policière viscéralement attachée à l’ordre établi.</p>
<h2>Le superpouvoir des jeunes</h2>
<p>Phydra opère une distinction entre l’expression naturelle de la diversité et les germes de la dissension. L’art, à ses yeux, doit être un vecteur d’harmonie sociale ; il doit aplanir les différences plutôt que de les accuser. Elle est en tout cas d’accord avec Bohdi sur un point essentiel : la performance artistique n’est pas un simple divertissement, elle engage la société tout entière, elle participe à sa cohésion. Pour cette conservatrice radicale, « elle est le pouvoir et implique une grande responsabilité. » On reconnaît sans peine la célèbre formule de Spiderman : l’art est un superpouvoir. Et c’est, par excellence, celui de la jeunesse.</p>
<p>La jeunesse est là pour bousculer la tradition, pour la mettre en question. Elle est là pour rappeler que la seule constante, dans la vie, c’est le changement, comme l’un des concurrents le retient des leçons de l’Archive. L’esthétique figée de l’Académie, garante d’un ordre qui se veut immuable, est profondément mortifère. Sous ses dehors utopiques, New Babyl synthétise le cauchemar de la <a href="http://www.histophilo.com/postmodernite.php">postmodernité</a> : une fin de l’histoire correspondant à un éternel présent ; une temporalité figée par l’incapacité de penser un quelconque progrès.</p>
<p>C’est tout cela que fait voler en éclat la prestation de Bohdi et de ses camarades, tous inspirés par les rythmes de l’Archive, lors de l’épreuve collective de l’Exemplar. La divergence d’opinion entre un Tribunal en état de choc et un vote populaire qui les place en tête du concours en dit long sur le malaise qui règne dans la cité. Du jour au lendemain, les chevelures s’ornent de mèches colorées et les murs de graffitis. En entraînant une répression disproportionnée, la fièvre joyeuse qui s’empare de la société met au jour la fébrilité du régime et la fragilité de son assise démocratique. L’art est un instrument politique d’autant plus efficace qu’il est redoutablement contagieux. Il se répand comme une traînée de poudre.</p>
<h2>Un art révolutionnaire</h2>
<p>Au cours d’un interrogatoire, Phydra demande ironiquement à Bohdi s’il prétend faire l’histoire : « Non, répond-il, je veux seulement raconter <em>mon</em> histoire. » La suite des événements démontre que c’est précisément cette modestie qui lui permet, comme à tout son groupe, de relancer la marche de l’Histoire. Chacun dans l’Archive peut retrouver un morceau du passé, de son passé, qu’il lui appartient de faire prospérer. C’est d’autant plus vrai après qu’un incendie ravage le sanctuaire, coupant ainsi le contact direct avec les sources. Par-delà le cas particulier de Bohdi, le scénario d’<em>Utopia Falls</em> s’enracine dans une conception identitaire de l’inspiration. Ainsi Apollo, le percussionniste, reçoit-il la révélation de ses origines amérindiennes en écoutant des Indiens battre un rythme que lui a transmis son père. L’Archive est là pour réparer le lien brisé avec l’histoire de l’humanité, et permettre à celle-ci de reprendre son cours interrompu. Il ne s’agit pas de reproduire un folklore, mais de se l’approprier et de le faire vivre.</p>
<p>L’art qui se répète, comme dans le rituel de l’Exemplar, est un art de vieux, presque un art mort, qui se complaît dans la seule virtuosité. La jeunesse de l’art suppose sa libération de tous les codes, ou plutôt leur dépassement pour favoriser une expression créative. C’est pourquoi l’art authentiquement jeune est aussi naturellement révolutionnaire. Sa mission sociale redouble son essence esthétique : il libère les foules parce qu’il est un acte de liberté. D’où l’échec du Mentor Watts, directeur de l’Académie, lorsqu’il essaie d’obtenir des jeunes qu’ils mettent l’énergie de leurs innovations artistiques au service de la doctrine habituelle de la compétition. La forme et le fond, le style et le message, sont indissociables. Le conflit oppose deux conceptions de l’art, l’une ornementale, l’autre que l’on pourrait qualifier d’organique ; l’une qui se prête à tous les compromis, l’autre non. La première peut séduire dans l’idée mais, dans les faits, elle constitue une impasse. L’art ne peut se passer de la sincérité.</p>
<p>La résistance au pouvoir est d’abord un refus radical du <em>statu quo</em>. Lorsqu’elle s’interroge sur ce que lui apporte l’Archive, Aliyah déclare que, depuis sa découverte, elle veut plus… « plus de vie, plus d’objectifs, plus d’espoir. » Tel est le propre de l’art jeune : il est insatisfaction, intransigeance, refus des concessions, rejet des faux-semblants. Il est porteur d’une exigence de progrès. Il prend appui sur le passé pour poser les bases d’un avenir meilleur.</p>
<h2>Un manifeste Disney</h2>
<p>Il faut aussi replacer la série dans son contexte industriel. L’actionnaire majoritaire de Hulu, depuis le printemps 2019, n’est autre que la Walt Disney Company, la principale pépinière américaine de jeunes artistes polyvalents. Conçue par un réalisateur et scénariste canadien qui s’était illustré dans diverses séries musicales et chorégraphiques (<em>Find Me in Paris</em>, <em>Backstage</em>, <em>Make It Pop</em>), <em>Utopia Falls</em> doit aussi être lue comme un art poétique, même un manifeste pour les fictions de jeunesse.</p>
<p>Dans une Amérique en proie au conservatisme trumpien, <em>Utopia Falls</em> parie sur une jeunesse métissée pour ramener le pays dans la voie du progrès. À travers cette série, la firme fait valoir l’importance de donner aux adolescents l’occasion d’exprimer leur talent en toute liberté. Elle érige ce qui fait historiquement sa marque de fabrique en véritable contre-pouvoir.</p>
<p>Disney entretient avec le hip-hop une histoire compliquée. Au début des années 90, elle avait lancé Hollywood Basic, un label spécialisé de sa marque Hollywood Records. L’expérience s’était arrêtée en 1995, faute de succès suffisant. En 2019, le spectacle <em>Hip Hop ! Live Experience</em> programmé à Disneyland Paris pour les 7 et 8 juin <a href="https://disneylandparisbonsplans.com/2019/02/07/hip-hop-live-experience-a-disneyland-paris-les-informations/">avait dû être annulé</a>. <em>Utopia Falls</em> réussit enfin à intégrer le message de rébellion du hip-hop au Disneyverse, ce que l’animateur Alex Alvarado vient de confirmer durant la pandémie de Covid-19 en partageant des portraits de <a href="https://www.artstation.com/alvaradolol">rappeurs célèbres relookés en personnages Disney</a>.</p>
<p>Mais dans les <a href="https://harpers.org/a-letter-on-justice-and-open-debate/">débats actuels</a>, il est aussi important de remarquer que le rôle accordé à l’Archive dans les événements de New Babyl plaide en faveur d’une prise en charge de l’histoire avec toutes ses violences. C’est le présent qu’il faut balayer, non le passé dont il convient, au contraire, de méditer les leçons. La <em>cancel culture</em> ne mène, en définitive, qu’au totalitarisme du Tribunal.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143555/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Chelebourg ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’art est naturellement révolutionnaire : c’est ce que démontre la série « Utopia Falls », ode à la jeunesse et à ses pouvoirs d’invention et de subversion.Christian Chelebourg, Professeur de Littérature française et Littérature de jeunesse, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1287402020-01-21T14:53:23Z2020-01-21T14:53:23ZDe la dépression à la maladie de Parkinson : le pouvoir curatif de la danse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/310497/original/file-20200116-181634-zjjyex.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Historiquement, le corps et le mouvement ont été largement négligés dans la psychothérapie. Mais les temps changent, car un mouvement croissant de thérapies somatiques et de danse gagne en crédibilité scientifique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock </span></span></figcaption></figure><p>Le corps et le mouvement ont longtemps été négligés par la psychothérapie. Mais les temps changent. Les thérapies somatiques et par la danse acquièrent de plus en plus de crédibilité scientifique.</p>
<blockquote>
<p>« Quand un corps bouge, il révèle beaucoup de choses. Danse pour moi une minute, et je te dirai qui tu es. » Mikhaïl Barychnikov</p>
</blockquote>
<p>Pourquoi arrête-t-on de danser à mesure qu’on vieillit ? Pourquoi se déconnecte-t-on et se détache-t-on du corps ? Je trouve surprenant que la <a href="https://www.dmtac.org/copy-of-what-is-dmt">thérapie par la danse et le mouvement</a> (TDM) ne soit pas plus populaire dans le monde de la psychologie et de la psychothérapie.</p>
<p>En tant que chercheure en neurobiologie comportementale et en psychiatrie, je me suis concentrée pendant une vingtaine d’années presque exclusivement sur le cerveau et la santé mentale, en négligeant le reste du corps.</p>
<p>J’ai fait mes études à la fin des années 1990, la <a href="https://www.dx.doi.org/10.1126/science.284.5415.739">décennie du cerveau</a>. Fascinée par la complexité de cet organe, j’ai complètement oublié qu’il faisait partie de l’organisme, qu’il était intimement lié et en interaction avec le corps entier.</p>
<p>Il est intéressant de noter que mon corps a joué un rôle central dans ma vie personnelle. J’ai eu recours à la danse, au yoga et à de longues promenades pour faire face à divers problèmes de santé mentale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mhoEjbvIEw8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Une introduction à la thérapie par la danse et le mouvement de l’American Dance Therapy Association.</span></figcaption>
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<p>C’est en partie pour cela que, au cours des dernières années, j’ai commencé à intégrer le travail corporel dans mon enseignement et ma recherche en tant que professeur de psychologie à l’Université Bishop’s, et c’est aussi pour cela que je me suis inscrite à un <a href="https://grandsballets.com/fr/centre-national-de-danse-therapie/formation/">programme de formation en danse-thérapie</a> au Canada cet été.</p>
<h2>Comprendre le corps en mouvement</h2>
<p>La thérapie par la danse et le mouvement va au-delà du simple fait de danser. La TDM utilise la danse et le mouvement pour aider à la compréhension, à l’intégration et au bien-être, ainsi que pour atténuer des symptômes indésirables dans diverses populations cliniques.</p>
<p>Contrairement aux thérapies par la parole, la TDM se sert de tout le corps pour atteindre le client principalement sur un plan non verbal et créatif. Le corps en mouvement est à la fois le médium et le message. La TDM considère celui-ci comme le centre de l’expérience humaine, et tient compte du fait que le corps et l’esprit sont en interaction constante.</p>
<p>Tout comme dans les psychothérapies plus traditionnelles, on peut travailler de plusieurs façons avec la TDM. On peut inclure la parole, différents types de musique ou pas de musique du tout. On peut la pratiquer en groupe, avec une seule personne ou un couple. Les thérapeutes dansent parfois avec leurs clients et, à d’autres moments, ils ne font que regarder.</p>
<p>Une séance de thérapie de groupe peut comporter un échauffement et une observation de l’état émotif, mental et physique. On peut ensuite travailler à partir d’un thème qui est apparu spontanément ou que le thérapeute a préparé (par exemple, les émotions difficiles). La séance se termine par un ancrage (reconnexion avec le corps et le soi dans le moment présent) et une conclusion (par exemple avec un geste, un son ou une parole).</p>
<p>Tout cela se fait avec le corps en mouvement ou immobile, mais il peut également y avoir un partage verbal, l’écriture d’un journal, l’exécution d’un dessin et d’autres éléments.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304324/original/file-20191128-178062-1ybg9a9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304324/original/file-20191128-178062-1ybg9a9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304324/original/file-20191128-178062-1ybg9a9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304324/original/file-20191128-178062-1ybg9a9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304324/original/file-20191128-178062-1ybg9a9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304324/original/file-20191128-178062-1ybg9a9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304324/original/file-20191128-178062-1ybg9a9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’exploration de nouveaux mouvements peut aider les gens à voir un plus large éventail de possibilités dans une situation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>La thérapie par la danse et le mouvement existe depuis plusieurs décennies, mais elle n’a jamais connu une grande popularité, peut-être en raison d’un manque d’études sérieuses. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et j’aimerais présenter ici quelques études récentes qui mettent en évidence les bienfaits de la danse et de la TDM sur la régulation émotionnelle, la fonction cognitive et la plasticité neuronale.</p>
<h2>Un effet positif sur la dépression</h2>
<p>Une des principales raisons qui incitent les gens à danser, c’est le désir de transformer leur état émotionnel. En général, ils souhaitent ressentir plus de joie et de bonheur et réduire le stress et l’anxiété. Depuis sa création, la danse-thérapie, à la façon des <a href="https://www.goodtherapy.org/learn-about-therapy/types/somatic-psychotherapy">psychothérapies somatiques</a>, a mis l’accent sur l’interaction entre le corps et l’esprit, et sur la capacité de réguler les émotions par des changements de postures et de mouvements.</p>
<p>L’exploration de nouveaux mouvements peut faire naître des perceptions et des sentiments nouveaux. Elle peut aussi donner accès à un plus large éventail de possibilités dans une situation donnée. Certains mouvements nouveaux ou anciens peuvent faire monter un contenu refoulé et permettre une meilleure compréhension de soi, de son environnement et de son histoire.</p>
<p>Une des études les plus intéressantes à appuyer cette idée a examiné des mouvements improvisés complexes et identifié des <a href="https://doi.org/10.3389/fpsyg.2015.02030">séries de mouvements qui peuvent provoquer des sentiments de bonheur, de tristesse, de peur ou de colère</a>. Les associations entre des émotions et des composantes motrices précises ont déjà été utilisées pour le <a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2FBF00990296">diagnostic ou la reconnaissance des émotions</a>. Cette étude va plus loin en proposant des techniques qui visent à modifier les émotions.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rUQlFZJySYA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un nouveau rapport de l’OMS pour l’Europe montre que l’art peut être bénéfique pour la santé mentale et physique.</span></figcaption>
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<p>Une revue systématique récente de la recherche sur la thérapie par la danse et le mouvement a démontré l’<a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2019.00936/full">efficacité de celle-ci dans le traitement des adultes souffrant de dépression</a>.</p>
<h2>Des bienfaits pour les malades du Parkinson</h2>
<p>La danse nécessite généralement l’apprentissage de séquences de pas et de mouvements dans l’espace, en coordination avec la musique. En d’autres termes, elle exige un engagement physique et cognitif important et, à ce titre, elle devrait améliorer non seulement le tonus musculaire, la force, l’équilibre et la coordination, mais aussi la mémoire, l’attention et le traitement visuospatial.</p>
<p>En comparant le travail avec la danse sur une assez longue période (six et dix-huit mois) à l’entraînement physique conventionnel, plusieurs études ont constaté des <a href="https://doi.org/10.3389/fnagi.2017.00056">améliorations de l’attention et de la mémoire verbale</a> et de <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/la-danse-contre-le-declin-cerebral_115970">la neuroplasticité</a> chez les personnes âgées en santé. Les chercheurs ont également observé des améliorations de <a href="https://www.jamda.com/article/S1525-8610(17)30122-6/fulltext">la mémoire et des fonctions cognitives chez les personnes âgées souffrant d’une légère déficience cognitive</a> après un programme de danse de 40 semaines.</p>
<p>De plus, une méta-analyse récente comprenant sept essais contrôlés randomisés qui ont comparé les effets de la danse-thérapie à des interventions non liées à la danse dans la maladie de Parkinson a révélé que la <a href="https://doi.org/10.1016/j.ctcp.2019.04.005">danse était particulièrement bénéfique pour les fonctions exécutives</a>, qui permettent de planifier, d’organiser et de réguler nos actions.</p>
<h2>Modifications de la structure du cerveau</h2>
<p>La danse met en action de <a href="https://doi.org/10.1093/cercor/bhj057">vastes zones du cortex cérébral ainsi que plusieurs structures cérébrales profondes</a>.</p>
<p>Une revue systématique descriptive récente comprenait huit études bien contrôlées, qui ont toutes démontré des <a href="https://doi.org/10.1016/j.neubiorev.2018.12.010">modifications dans la structure du cerveau à la suite d’un travail avec la danse</a>. Ces changements incluaient : une augmentation du volume de l’hippocampe et du parahippocampe (<a href="https://doi.org/10.1073/pnas.0603414103">qui jouent un rôle dans la mémoire</a>), une augmentation du volume de la matière grise dans le <a href="https://fracademic.com/dic.nsf/frwiki/1957150">gyrus précentral</a> (qui joue un rôle dans le contrôle moteur) et l’intégrité de la substance blanche dans le <a href="https://www.medisite.fr/les-autres-maladies-corps-calleux-quest-ce-que-cest.5493674.146482.html">corps calleux</a> (qui joue un rôle dans la communication entre les deux hémisphères).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304327/original/file-20191128-178094-1j9yj52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304327/original/file-20191128-178094-1j9yj52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304327/original/file-20191128-178094-1j9yj52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304327/original/file-20191128-178094-1j9yj52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304327/original/file-20191128-178094-1j9yj52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304327/original/file-20191128-178094-1j9yj52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304327/original/file-20191128-178094-1j9yj52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De nouvelles façons de bouger font naître de nouvelles façons de sentir et de percevoir le monde.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Dans l’ensemble, ces études sont compatibles avec l’idée d’utiliser la danse et la TDM pour divers troubles neurologiques et psychiatriques, tels que la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer et les troubles de l’humeur, ainsi que pour la population en général.</p>
<h2>De nouvelles façons de sentir et de percevoir</h2>
<p>Il est clair que la danse a un puissant effet sur le corps humain et la psyché.</p>
<p>La TDM, dès sa création, a mis l’accent sur le fait que le corps est inséparable de l’esprit et en constante interaction avec lui. Ainsi, les sensations, les perceptions, les émotions et la pensée influent sur notre corps et la façon dont nous bougeons. En observant le corps, nous pouvons déceler les états mentaux.</p>
<p>À l’inverse, notre posture et nos mouvements ont le pouvoir de transformer l’état mental, de faire monter des souvenirs refoulés, de libérer la spontanéité et la créativité, de réorganiser le cerveau. De nouvelles façons de bouger et de danser permettent de ressentir et de percevoir le monde autrement.</p>
<p>C’est un des aspects les plus excitants et les plus importants de la TDM, et il est choquant de voir que le corps, le mouvement et la danse ont été presque entièrement ignorés par la psychothérapie conventionnelle. Il est temps que ça change !</p>
<p>[<em>Ne manquez aucun de nos articles écrits par nos experts universitaires</em>. <a href="https://theconversation.com/ca-fr/newsletters">Abonnez-vous à notre infolettre hebdomadaire</a>. ]</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128740/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrianna Mendrek ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La thérapie par la danse est efficace pour traiter la dépression, améliorer la mémoire chez les personnes âgées et la fonction exécutive chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson.Adrianna Mendrek, Professor, Psychology Department, Bishop's UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1030542018-10-07T18:48:59Z2018-10-07T18:48:59ZLe projet Regards croisés : pour vivre une répétition de danse à 360°<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239587/original/file-20181007-72124-2ietlx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5312%2C2966&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plusieurs regards sur une même répétition.</span> <span class="attribution"><span class="source">Regards Croisés, Université de Rennes 2</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a></em></p>
<hr>
<p>Le laboratoire d’études théâtrales de l’université Rennes 2, dirigé par Sophie Lucet, travaille depuis 2011 sur la question de l’observation, de la captation et de l’archivage du geste créateur dans les arts de la scène. C’est dans ce contexte de recherche que le projet « Regards croisés » a été formulé. Il s’agit d’étudier le regard sur le geste de création et les modifications de la relation au spectacle vivant. </p>
<p>À l’heure où nous observons un engouement partagé pour toutes les modalités de fabrication et une attirance des publics pour le processus plutôt que pour la consommation d’une forme achevée, nous avons décidé d’encourager ce mouvement de curiosité en y joignant une innovation technologique : l'immersion à 360° dans un environnement réel. Quels effets produisent ces moments partagés avec les artistes sur la réception des œuvres achevées? Quels sont les effets de l’immersion dans la perspective de construction de nouveaux rapports aux publics et de nouvelles esthétiques? </p>
<p>Cette expérience est née dans le cadre de l’appel à projet « Créativité croisée » proposé par Rennes Métropole. Pour cette expérience, le laboratoire théâtre s’est associé à l’agence de réalité virtuelle <a href="http://www.unejolieidee.com/">« Une jolie idée »</a>, à <a href="https://lagencevoid.hotglue.me/">« lagencevoid »</a>, spécialisée dans les expérimentations artistiques et culturelles, à la structure artistique <a href="https://auboutduplongeoir.fr/">« Au bout du plongeoir »</a> et à l’Irisa de l’université Rennes 1. Présenté comme une performance-dialogue, le projet artistique s’envisage comme une exploration pluridisciplinaire réunissant la danse, le dessin, la composition musicale et l’écriture poétique <a href="http://elisabeth.blog.lemonde.fr/2016/08/12/les-anges-de-paul-klee/">à partir des anges de Paul Klee</a>. Le projet scientifique et technique explore quant à lui différentes modalités d’observation ainsi que la mise en récit collective de l’ensemble des personnes qui assistent à l’expérience. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239588/original/file-20181007-72127-1hlg2vz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239588/original/file-20181007-72127-1hlg2vz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239588/original/file-20181007-72127-1hlg2vz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239588/original/file-20181007-72127-1hlg2vz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239588/original/file-20181007-72127-1hlg2vz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239588/original/file-20181007-72127-1hlg2vz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239588/original/file-20181007-72127-1hlg2vz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Danser avec les danseurs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Regards Croisés, Université Rennes 2</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Conditions de l’expérience</h2>
<p>Lors d’une séance de répétition qui s’est déroulée exceptionnellement sur le campus de l’université Rennes 2 le jeudi 6 septembre 2018, un groupe de publics constitué d’enseignants chercheurs et d'étudiants en études théâtrales, de professionnels de la culture (programmateurs, directeurs de production, médiateurs, chargés de mission numérique) et de personnes intéressées par le projet, a assisté au travail de création de la compagnie rennaise enCo.re (<a href="http://enco-re.eu/">site en cours de construction</a> La répétition a été enregistrée avec une caméra à 360° (image caméra) et retransmise simultanément dans une salle annexe à la fois sur écran et dans des casques immersifs (image dispositif salle annexe). À cela s’est ajoutée une diffusion en direct sur une chaîne Youtube 360 qui a permis à un groupe de chercheurs européens impliqués dans le projet de suivre l’expérience depuis leur pays (universités d’Anvers, de Lisbonne, de Lille et du Péloponnèse). Dans un second temps, le projet a donné lieu à la réalisation d’une vidéo qui permet de faire vivre cette expérience immersive à des publics divers depuis les élèves d’écoles primaires jusqu’à toute personne désireuse d’en faire l’expérience. Ce voyage immersif de quelques minutes (3'30") permettant ainsi de valoriser nos travaux auprès du grand public et d’ouvrir un champ de recherche-action sur les relations entre le spectacle vivant et les technologies de la réalité virtuelle, réalité augmentée et 360°.</p>
<p>Le groupe de publics que nous désignons sous le terme des Regardeurs - pour insister sur le fait que nous travaillons au développement du regard sur la création - étaient réunis au Pôle Numérique Régional du campus Villejean à l’université Rennes 2. Au nombre de 27, ces regardeurs représentaient volontairement une diversité de profils de façon à saisir les différences de rapports avec l’acte de création en fonction de la formation de chacun. L’équipe artistique composée de six personnes (une danseuse chorégraphe, un danseur, une danseuse, un auteur, une musicienne et un dramaturge) était en plein processus de création sur “Engelsam, en jeu” dont voici quelques éléments de la note d’intention :</p>
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<p>“À travers le prisme de sa double culture germano-française, Katja Fleig cherche à faire dialoguer différents langages artistiques, à inventer les modalités de relation entre l’artiste et les spectateurs en fonction des contextes et à investir l’espace public.” </p>
</blockquote>
<p>Différent d’un spectacle de danse créé pour les espaces de diffusion classiques, cette création est présentée comme “un projet de performances – dialogues pour espaces scéniques et adaptables à des espaces intermédiaires telles que des salles d’exposition, halles, halls, chapelles” ou autres lieux alternatifs dans lesquels l’art vivant s’installe occasionnellement. Le projet artistique est donc d’emblée ouvert à une variation sur l’espace et par conséquent à une possibilité élargie d’angles de regards pour les spectateurs à venir. La notion de performance est ici pluridisciplinaire en tant qu’elle se nourrit du dialogue entre la danse, le dessin, la composition musicale et chantée et l’écriture poétique. “Engelsam, en jeu” se construit donc dans une hybridation artistique que nous rencontrons fréquemment sur les scènes contemporaines.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239589/original/file-20181007-72121-15rrcz4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239589/original/file-20181007-72121-15rrcz4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239589/original/file-20181007-72121-15rrcz4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239589/original/file-20181007-72121-15rrcz4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239589/original/file-20181007-72121-15rrcz4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239589/original/file-20181007-72121-15rrcz4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239589/original/file-20181007-72121-15rrcz4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En immersion dans la danse.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Regards Croisés, Université Rennes 2</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Des regards renouvelés sur la création</h2>
<p>Avec le projet « Regards croisés », nous construisons un dispositif de regards renouvelés sur la création. La saisie en immersion d’une répétition basée sur une circulation entre diverses expressions artistiques et les corps dansés nous semblait plus évidente pour une première expérience que l’enregistrement d’une session de création d’un spectacle dramatique basé sur un texte théâtral. La prédominance des corps, la question de l’envol et de la pesanteur qui caractérisent ce projet construit autour des anges formait un bon cadre d'expérimentation. Être au milieu des artistes, planer au-dessus de la scène, diriger son regard depuis le centre du plateau, éprouver la sensation de son propre corps au plus près des corps des artistes et rompre ainsi avec la distance convenue des rapports entre spectateur et artistes, telles étaient les innovations permises par la captation à 360°. </p>
<p>Les nouvelles conditions d'observations offertes par ce dispositif se sont accompagnées d'un récit collectif instantané et transmédia de l’expérience vécue par les regardeurs. Pour ce faire, lagencevoid a modéré les réactions des regardeurs sur un blog de projet hébergé sur tumblr. Très actifs, les regardeurs ont ainsi posté 120 réactions au cours des 3 heures qu’a duré l’expérience. À travers des photos, des vidéos, des textes, ils ont raconté instantanément leur vécu de l’expérience et ont ainsi contribué à l’écriture d’un récit polyphonique sur leur rapport à l’acte de création dans les conditions d’observations proposées. </p>
<h2>Une expérience troublante</h2>
<p>L’expérience immersive avec le casque a été la plus troublante pour la majorité d’entre eux comme en témoigne cette étudiante en master professionnel médiation du spectacle vivant à l'ère du numérique: </p>
<blockquote>
<p>“Cette découverte du casque 3D a été extrêmement troublante car l’angle de vue est vraiment resserré! Au début, je me suis sentie comme trop près des danseurs, cette sensation ne m’a pas étouffée mais plutôt submergée : c’est comme si j’étais dans la bulle des interprètes!” </p>
</blockquote>
<p>ou encore cette autre étudiante en master perspectives critiques en études théâtrales: </p>
<blockquote>
<p>“Drôle d'expérience avec le casque, cette proximité avec les danseurs. C'est un point de vue nouveau à quelques centimètres du danseur, de la danseuse. On observe le moindre geste, regard, souffle… Un rapport intime qui se crée, avec un côté un brin voyeur.” </p>
</blockquote>
<p>Les témoignages recueillis ont déjà permis de montrer combien la place du spectateur autorisé à voyager virtuellement au milieu des artistes constituait une révolution dans le rapport au spectacle vivant. À partir du 5 octobre 2018, des publics de tous horizons pourront vivre à leur tour quelques-uns des moments de cette répétition dans un casque immersif. Nous saurons ainsi, peu à peu, comment les rapports entre spectateurs et spectacle vivant peuvent évoluer sous les effets de ces nouvelles technologies. Nous commencerons cette aventure avec une centaine d'enfants et d'adolescents qui entreront virtuellement dans cette répétition de danse. Ils seront bientôt suivis par d'autres, grand public ou spécialistes du spectacle.</p>
<p>Cette expérience nous a révélé des perspectives de développement très riches en matière de relation du spectateur avec l’acte de création et de nombreuses possibilités d’applications aussi bien dans le champ de la médiation que dans celui des écritures scéniques ou encore des applications professionnelles. J'en veux pour preuve cet évenement inattendu : un étudiant - par ailleurs danseur - s'est immergé dans la répétition pendant de longues plages et a suivi les instructions de la chorégraphe, dansant alors avec les artistes pourtant physiquement séparés de lui. Lorsque nous l'avons interrogé sur son expérience, il nous a dit combien cet outil mériterait d'être utilisé dans les reprises de rôles. C'est dans ces belles perspectives que je souhaite développer mes propres recherches et que j'espère pouvoir mener d'autres expériences avec des artistes intéressés par ces nouvelles possibilités d'écriture du plateau et des relations aux spectateurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Séverine Leroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>S'immerger dans la répétition d'un spectacle de danse grâce à une expérience inédite qui s'appuie sur les nouvelles technologies, c'est désormais possible.Séverine Leroy, Docteure et ATER en études théâtrales, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/986052018-07-22T22:44:26Z2018-07-22T22:44:26ZDionysos vs Apollon : expériences esthétiques et milieux sociaux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/228708/original/file-20180722-142423-1ebeyzl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C1019%2C679&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La foule au festival Delta, à Marseille (2015).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/79/Foule_sc%C3%A8ne_principal_delta_festival.jpg/1024px-Foule_sc%C3%A8ne_principal_delta_festival.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Mes pieds ne touchent plus le sol, les gobelets virevoltent au-dessus des têtes, la bière se mêle à la sueur des corps serrés. Au loin, Kool Shen harangue la foule bondissante, mais encore désordonnée. Soudain, il entonne le refrain ! « Mais qu’est-ce, mais qu’est-ce, mais qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ! ? », et chacun de rectifier ses bonds, jusqu’au fond de la salle, chacun de se mettre en concordance avec son voisin, à l’unisson. Une seule ligne de têtes apparaît ; la foule ne fait plus qu’un bloc qui rebondit en rythme. 2 000 personnes reprennent le refrain en cœur, la plupart en hurlant, une forêt de bras bat violemment la mesure au-dessus des têtes. Joey Starr ne se contrôle plus et saute à se démembrer d’un bout à l’autre de la scène. Toute cette énergie fait quelque peu froid dans le dos. Nous sommes à Évreux le 15 avril 1995, il est 22h35, Suprême NTM attaque son troisième morceau.</p>
<p>Si la culture se définit <a href="https://theconversation.com/les-pratiques-culturelles-populaires-bien-vivantes-mais-invisibles-68888">avant tout dans ces chroniques</a> <a href="http://excerpts.numilog.com/books/9782070435883.pdf">par l’expérience esthétique</a> qu’elle génère pour ses participants, chaque milieu construit les caractéristiques propres à son expérience spécifique. De ce point de vue, il en est comme pour le sport, plus on « monte » dans l’échelle sociale, plus les pratiques plébiscitées sont fondées sur la retenue, le maintien, la technicité et l’absence de contact sensuel, alors que dans les milieux plus modestes les référents sont plutôt tournés vers l’énergie, la force, l’expressivité, le contact charnel voire la violence. <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2004-v36-n1-socsoc815/009588ar/">On peut ainsi opposer le Golf, l’équitation et le football, la boxe</a>.</p>
<p>Le contraste est saisissant entre l’expérience collective fusionnelle, pulsionnelle et physique du concert de rap présenté ci-dessus et celle individuelle et distanciée, que construisent les classes moyennes supérieures selon différentes modalités, quelles que soient les disciplines, musiques, théâtres, arts plastiques et visuels. Les oppositions se multiplient entre ces deux types d’expériences aux extrémités de l’échelle sociale : de la mobilisation de tous les sens d’un côté à l’introspection contemplative et immobile, du désordre normatif et cathartique à la contemplation éducative et élévative, du « supplément d’âme » à ses abîmes, tel que nous pûmes les décrire <a href="https://theconversation.com/1-000-bpm-ou-lexperience-esthetique-paroxystique-des-rave-parties-et-des-teknivals-84884">pour les jeunes gens qui participaient aux Teknivals</a>, appartenant pour la plupart aux CSP des employés et ouvriers. Les finalités du moment esthétique peuvent ainsi différer grandement. Alors que l’expressivité dansante du public donne une dimension ludique et festive au moment culturel des concerts « populaires », celui où chacun dans la pénombre et le silence se recueille devant le travail de l’artiste prend un caractère quasi religieux, sacré.</p>
<h2>L’adhésion au contenu des œuvres</h2>
<p>Cette différenciation renvoie simultanément aux contenus des productions esthétiques.</p>
<p>On ne saurait comprendre cet engagement physique du spectateur sans parler de son adhésion aux contenus des « œuvres ». Cette adhésion se joue pour grande partie dans les temporalités et les référentiels de ce qui est dit sur scène, dans les productions plastiques ou visuelles. D’un côté, un lien avec le quotidien, des revendications sociales, de l’autre, la tentative constante de se situer sur des contenus intemporels et universaux, critères <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/hannah-arendt-et-la-crise-de-la-culture">déjà présents chez Hannah Arendt comme constitutifs de l’art véritable</a>.</p>
<p>D’un côté la quotidienneté prosaïque de la dramaturgie humaine : moi, nous ici et maintenant avec les problèmes sociaux dénoncés dans une chanson, un <a href="https://theconversation.com/avec-moi-daniel-blake-ken-loach-tire-la-sonnette-dalarme-67652">film</a>, une sculpture, de l’autre une esthétique à portée anthropologique sur la condition humaine, montée en généralité qui voudrait se défaire des temporalités, selon une <a href="https://www.espacestemps.net/articles/politique-culturelle-malraux/">conception d’ailleurs très malrucienne de la culture</a>. Malraux qui avançait ainsi que « si la culture existe ce n’est pas du tout pour que les gens s’amusent" et qui parlait de « cathédrales » pour qualifier les lieux culturels moins pour allusion à la dimension architecturale qu’au fait qu’ils devaient être les lieux de la communion avec l’art. On emploie alors un langage religieux et sacré à propos d’une expérience esthétique et d’œuvres qui sont désignées comme universelles mais, pour peu que l’on prenne un peu de recul, que le référentiel culturel change, on se rend compte que ces œuvres sont en fait liées aux milieux sociaux dominants de nos sociétés et qu’elles parlent principalement aux classes moyennes supérieures <a href="https://www.academia.edu/32976808/De_lexp%C3%A9rience_esth%C3%A9tique_au_proc%C3%A8s_de_territorialisation_des_pratiques_culturelles">comme j’ai pu le montrer dans de précédents articles</a>. À l’encontre de cette esthétique apollinienne à portée morale du « supplément d’âme » qui voudrait par la culture entre autres, « refouler la bête », l’expérience esthétique populaire est dionysiaque. Elle intègre au contraire dans le moment culturel la <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-de-psychanalyse-2007-3-page-51.htm">« part d’ombre » qui habite aussi l’humanité</a>.</p>
<h2>Au-delà de la dichotomie</h2>
<p>Mais cette vision binaire (culture dionysiaque vs culture apollinienne) ne saurait rendre compte de la diversité des expériences esthétiques en fonction des milieux sociaux. La grande dichotomie, élites/peuples, présentée ici, est souvent dépassée par la diversité sociale. Ses frontières sont imprécises et difficiles à identifier. De plus, les individus ne sont pas strictement assignés à classe sociale. La présente dichotomie ne signifie pas qu’un ouvrier ne pourra pas aller à l’opéra, mais le <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/2313">jugement social quant à cette pratique culturelle ne lui sera pas épargné dans son propre milieu</a>.</p>
<p>On soulignera aussi les possibilités pour un individu de changer de « classe sociale », en <a href="https://www.fayard.fr/retour-reims-9782213638348">un transfuge, ce qui ne manquera pas de l’engager dans de nouvelles pratiques culturelles</a>.</p>
<p>Si des ressorts spécifiques permettent de distinguer deux expériences de « vécu esthétique » très distincts, des formes et des contenus intermédiaires multiples, hybrides constituent un panel très larges d’expériences culturelles, d’un milieu social à l’autre, selon des variables générationnelles, ethniques ou de genre, économiques, et bien d’autres. Un panel qui, de plus, ne cesse de varier, d’évoluer au gré des hiérarchies culturelles que reconstruisent les milieux sociaux. En témoigne par exemple, le cas du théâtre de rue autrefois liées aux classes plutôt populaires, et qui se recentre à partir des années 1990 sur les classes moyennes supérieures à mesure que ses artistes accèdent aux subventions. Jusqu’au début des années 2000, les spectacles et animations donnaient encore à l’espace public cette dimension dionysiaque, anomie festive voire orgiaque. Le moment de contemplation individuelle du début de soirée côtoyait les formes collectives et charnelles, plus tard dans la nuit, et il n’était pas rare que les festivals se terminent au petit matin, après une somme d’excès d’expériences esthétiques participatives. Depuis, le théâtre de rue a été assimilé à la catégorie « arts de la rue » pour finir art dans l’espace public, perdant au fur et à mesure sa dimension festive, se polissant pour éviter les débordements et les « punks à chien », avec force interventions policières.</p>
<p>De la fête, on passe ainsi à la convivialité telle qu’envisagée par les acteurs des politiques culturelles – à 23 heures, tout le monde au lit ! Fête et convivialité, les deux termes ne semblent pas aller de pair, il suffit de <a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/culture-et-patrimoine/fetes-et-civilisations">relire Jean Duvignaud pour s’en convaincre</a>.</p>
<p>La lutte est vive entre ces deux tendances implicites de l’expérience esthétique, <em>polissants</em> contre <em>polissons</em>. Lutte sociale et politique où les classes moyennes supérieures imposent leur matrice à l’action publique sous les termes de la démocratisation culturelle ou de l’action culturelle. Et Dionysos de se réfugier malgré tout dans certains festivals soutenus par de rares collectivités territoriales, le monde du spectacle privé et des industries culturelles, voire l’illégalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98605/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Raffin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Y a t il une place pour Dionysos dans les formes les plus policées de la culture ?Fabrice Raffin, Maître de Conférence à l'Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/918622018-02-25T20:18:13Z2018-02-25T20:18:13ZLe vrai piège de l’intelligence artificielle : la disparition du corps<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/207148/original/file-20180220-116327-109bi4g.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C57%2C1101%2C733&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Charlie don't surf », une œuvre de Maurizio Cattelan (1997).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.fondationlouisvuitton.fr/collection/oeuvres/charlie_don_t_surf.html">Fondation Louis Vuitton</a></span></figcaption></figure><p>Dans le film <em>Her</em> de Spike Jonze, Scarlett Johansson n’est présente que par sa voix. Son corps n’apparaît pas une seule seconde. Elle donne sa voix à un des acteurs principaux du film : un « système d’exploitation ». Elle est une intelligence artificielle qui n’existe dans le film que par cette voix.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XK5XEPl9_CM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Face à un chatbot, défaite assurée</h2>
<p>Dans l’histoire qui nous est contée, la pauvreté de l’activité du personnage principal incarné par Joaquin Phoenix est frappante. S’il se déplace chez lui et occasionnellement en ville, pour le reste, il ne fait rien de ses journées, sinon parler sans fin. Rien avec son corps : sport, danse… Rien de ses mains : musique, cuisine, bricolage… Aucune de ces activités qui demandent un apprentissage avec d’autres pour faire face à des situations réelles complexes voire nouvelles, sans mode d’emploi et grâce à des gestes précis et sûrs.</p>
<p>Le scénario du film fait alors de ce personnage une proie évidente pour une intelligence artificielle qui n’a ni corps ni mains, qui ne fait que parler et qui est partout sans trêve. Il ne s’agit entre eux que de traiter, d’échanger une information aisément numérisable, ce qu’est toute expression orale ou écrite de notre pensée, au moins quant à son contenu.</p>
<p>En compétition avec un bot, nous n’avons simplement aucune chance. Les jeux comme le Go, les échecs sont évidemment perdus pour toujours. Et la liste s’allonge des professions dont l’activité est pour une part importante prise en charge par des bots. C’est par exemple une interrogation prégnante pour les avocats. Récemment, un <a href="http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/09/25/todai-le-programme-qui-surpasse-80-des-etudiants-a-un-examen-d-entree-a-l-universite_5191169_4401467.html">bot a surclassé 80 % des étudiants au concours d’entrée dans une université à Tokyo</a>. Résultat en fait sans surprise puisque tout ceci est formaté pour une acquisition de connaissances qui permettent de mesurer et de trier sans nuances. Ce qui s’appelle communément le bachotage. Mais ces échanges d’information numérisables sont loin d’épuiser la totalité de notre relation aux autres et au réel. Loin de là, en réalité.</p>
<h2>Une IA peut-elle être montagnarde ?</h2>
<p>Il est des terrains de jeu sur lesquels l’intelligence artificielle, fût-elle équipée de robots, ne part pas (encore) gagnante, même si les progrès sont rapides et <a href="https://www.youtube.com/user/BostonDynamics">(très très) impressionnants</a>.</p>
<p>Par exemple, à Grenoble, sur le campus de l’université, il n’est pas rare de rencontrer un étudiant qui est non seulement un étudiant mais aussi, à lui seul, un skieur, un montagnard et un grimpeur, un cycliste, un nageur et un coureur. Il peut aussi, toujours à lui seul, être musicien et/ou danseur. Toutes ces activités rassemblées chez une seule personne, et pas seulement chez des étudiants bien sûr, c’est certes rare, mais ça existe. Probablement encore plus rare, s’il est de surcroît, un artiste, un créateur… mais toujours possible. J’ai des noms.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/206675/original/file-20180215-131024-bsq1gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/206675/original/file-20180215-131024-bsq1gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/206675/original/file-20180215-131024-bsq1gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/206675/original/file-20180215-131024-bsq1gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/206675/original/file-20180215-131024-bsq1gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/206675/original/file-20180215-131024-bsq1gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/206675/original/file-20180215-131024-bsq1gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Our English majors study physics » déclare l’Université de l’Utah au pied des montagnes rocheuses avec la station de ski Snowbird à coté.</span>
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<p>Face à cette polyvalence humaine, on devrait attendre l’IA quelque temps. D’autant plus, peut être, si nous évitons de nous trouver « super performants » en nous transformant nous-mêmes en robots spécialisés dans une seule activité facilement mesurable et à l’environnement simplifié en vue de la compétition…</p>
<p>Ma vision du potentiel du corps humain, de sa capacité à créer ses propres activités, de ses métamorphoses toujours nouvelles, est très largement inspirée par les écrits de Michel Serres. Il nous aide à penser la place du corps dans le monde aujourd’hui. Il dit ainsi, dans <em>Variations sur le corps</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Écrites en éloge des professeurs d’éducation physique et des entraîneurs, des guides de haute montagne, des athlètes, danseuses, mimes, clowns, artisans et artistes… ces Variations décrivent les métamorphoses admirables que leur corps peut accomplir. Les animaux manquent d’une telle variété de gestes, postures et mouvements ; souple jusqu’à la fluidité, le corps humain imite à loisir choses et vivants ; de plus il crée des signes. Déjà là dans ces positions et métamorphoses, l’esprit, alors, naît de ces variations. Les cinq sens ne sont pas la seule source de la connaissance : elle émerge, en grande part, des imitations que rend possibles la plasticité du corps. En lui, avec lui et par lui commence le savoir. Du sport à la connaissance, il passe de la forme au signe, pour s’envoler en corps glorieux. Qu’est-ce que l’incarnation ? Une transfiguration ».</p>
</blockquote>
<p>Et il <a href="https://www.reseau-canope.fr/corpus/video/les-potentialites-du-corps-34.html">ajoute dans cette vidéo</a>, à l’appui de son argument sur ce corps qui se transforme, se métamorphose, crée sans fin de nouveaux gestes, les apprend et les partage :</p>
<blockquote>
<p>« Mais, voyons, au fond, l’essentiel, c’est le danseur. »</p>
</blockquote>
<h2>Nous ne sommes échangeables avec rien</h2>
<p>Ainsi, la question n’est probablement pas tant une compétition avec les robots et l’IA, que la nécessité, pour être entièrement nous-mêmes, de toujours enrichir notre contact avec le réel grâce aux possibilités infinies de notre corps. Comment vivons-nous la richesse et la diversité générées par notre interaction physique avec cette scène matérielle dans laquelle nous vivons ? Nous sommes des corps qui se recréent au monde en permanence dans les mouvements et les gestes. À ce jeu, pour nous-mêmes, nous sommes échangeables avec rien. Rien ne peut prendre une place qui est l’invention continue de notre propre façon d’être au monde.</p>
<p>Et, même s’il semble que nous ayons quelques difficultés à le considérer ainsi quand il s’agit du corps, c’est peut-être alors d’abord une question d’éducation et d’apprentissage. Le plus souvent nous nous empressons d’immobiliser de longues heures les jeunes corps pour remplir les têtes. Je demande pardon à mes collègues enseignants pour la photo de « Charlie don’t surf » de Maurizio Cattelan. Je n’ai pas pu résister.</p>
<p>Autour de Grenoble, les danseurs de la compagnie <a href="http://ciesylvieguillermin.com/etre/compagnie.html">Sylvie Guillermin</a> dans des collèges travaillent avec des enseignants et proposent avec succès la danse contemporaine à des élèves. Ils leur font ainsi explorer comment leur façon d’être au monde avec les autres, corps compris, les amènent à comprendre qu’ils sont des intelligences mouvantes. Ils les conduisent à expérimenter l’infinie diversité à laquelle nous avons accès par nos mouvements et nos gestes. Chacun ramenant son corps, donc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/206674/original/file-20180215-131010-1hvf27m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/206674/original/file-20180215-131010-1hvf27m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/206674/original/file-20180215-131010-1hvf27m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/206674/original/file-20180215-131010-1hvf27m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/206674/original/file-20180215-131010-1hvf27m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/206674/original/file-20180215-131010-1hvf27m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/206674/original/file-20180215-131010-1hvf27m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Qu’est-ce une résidence d’artiste en milieu scolaire ? » demande la compagnie Sylvie Guillermin.</span>
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<p>Pour ma part, les chorégraphes Yoann Bourgeois et Loic Touzé, l’artiste plasticien Julien Prévieux m’ont (re)montré, par l’expérience et le travail en commun, combien la création artistique peut conduire une exploration sans équivalent du monde par le corps. J’ai vécu ces expériences d’abord avec un regard de scientifique. C’était plus confortable… Mais même avec cet engagement limité, ce fut aussi lumineux.</p>
<p>Comme l’a été sur ce même sujet, la découverte du mouvement Gaga de Ohad Naharin grâce à <a href="https://vimeo.com/212587741">Anat Meruk</a> que je remercie ici.</p>
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<p>Cependant, si l’on se fonde sur les données disponibles au sujet de l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/sciences/high-tech/video-accros-aux-ecrans_2566141.html">exposition massive des enfants aux écrans dès le plus jeune âge</a>, il semble que cette déconnexion du réel soit pourtant ce à quoi le digital grand public nous conduise, comme dans le film <em>HER</em>. Les corps sont conduits, par l’omniprésence de la technologie, à s’immobiliser seuls, de leur plein gré et sans contrainte. Quelque 20 ans plus tard, Maurizio Cattelan va-t-il nous proposer la version 2.0 de son œuvre ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91862/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il est des terrains de jeu sur lesquels l’intelligence artificielle, fût-elle équipée de robots, ne part pas (encore) gagnante, même si les progrès sont rapides et impressionnants.Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/848842018-01-09T20:27:58Z2018-01-09T20:27:58Z1 000 BPM, ou l’expérience esthétique paroxystique des « rave parties » et des Teknivals<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/201171/original/file-20180108-142334-1ko6nbl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C6%2C1768%2C1115&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En avril 2017, un Teknival près de Tours</span> <span class="attribution"><span class="source">F. Raffin</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans cette série d’articles sont présentées les pratiques culturelles contemporaines de la majorité des Français, celles qui existent le plus souvent en dehors de toute institution publique, une culture à Zéro Subvention, « marginalité d’une majorité » comme l’écrivait Michel de Certeau</em>.</p>
<hr>
<p>Dans l’<a href="https://theconversation.com/les-pratiques-culturelles-populaires-bien-vivantes-mais-invisibles-68888">article qui inaugurait cette série</a>, la culture était définie comme une <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/L-art-comme-experience">action collective générant une expérience esthétique</a>. Cependant, la culture ne se limite jamais à ce seul enjeu. Les pratiques culturelles mobilisent toujours simultanément d’autres sens sociaux et d’autres buts, en proportions variables, plus ou moins nobles : politiques, économiques, sociaux, mais possiblement aussi, ludiques, festifs, éducatifs, religieux, etc. Cette série d’articles a pour but de présenter certaines de ces pratiques au fondement esthétique, mais dont les sens et les finalités vont bien au-delà. Rappelons qu’il n’est pas question de dire ici que toutes les pratiques culturelles se valent, mais qu’elles ne peuvent pas se valoir à partir du moment où leurs finalités diffèrent.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201173/original/file-20180108-142334-aeyuot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201173/original/file-20180108-142334-aeyuot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201173/original/file-20180108-142334-aeyuot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201173/original/file-20180108-142334-aeyuot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201173/original/file-20180108-142334-aeyuot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201173/original/file-20180108-142334-aeyuot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201173/original/file-20180108-142334-aeyuot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des jeunes en quête de liberté.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fatna Moumene</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Sur le terrain</h2>
<p>Le périmètre est bouclé, toutes les routes sont coupées, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Teknival">Teknival</a> se mérite. « C’est à 5 km ! » nous répondent trois gendarmes en gilets fluorescents, plutôt affables et rieurs d’ailleurs. Derrière eux, j’aperçois l’imposant PC sécurité : deux semi-remorques, rouge pour les pompiers et bleu pour les gendarmes ; le ronron du groupe électrogène est baigné de lumière éblouissante. </p>
<p>Avec Véronique et Fatna, nous marchons sur une petite route où se succèdent, entre les piétons, les véhicules de gendarmerie, de pompiers et de la sécurité civile. Après 30 minutes de marche, nous arrivons dans un champ, au cœur d’un bocage, en lisière de forêt. Sous l’hélicoptère de la gendarmerie qui tourne en permanence stationne l’avant-garde des teuffeurs, ceux qui ont déjoué la surveillance policière le premier jour et qui ont pu s’installer à proximité directe des « murs de sons ». Au milieu des voitures, des camions et des bus de <em>travellers</em> aménagés, on aperçoit des dizaines de tentes Quechuas. Depuis plusieurs minutes déjà, nos cœurs et nos corps ont commencé à vibrer sous l’intensité du <em>beat</em>, des basses et des infrabasses. Nous sommes le 30 avril 2017, et environ 40 000 personnes, plutôt jeunes, se sont retrouvées pour danser dans ce champ de la commune de Pernay près de Tours.</p>
<h2>Culture des abîmes</h2>
<p>Depuis Malraux, l’idée que la culture nous élève selon une perspective quasi religieuse s’est imposée en France. Pour le dire avec les mots d’Henri Bergson, la culture est vue comme un « supplément d’âme », selon une mystique positive et noble, une culture de la grandeur qui se fait l’apôtre de la réflexion et de la distance avec les contingences matérialistes de nos mondes contemporains.</p>
<p>Pourtant, les usages sociaux de la culture sont bien plus variés que ce que laisse entendre cette incantation normative. Les précédentes chroniques exploraient ainsi des pratiques culturelles inattendues à portées ludiques, éducatives, urbaines, politiques, mais avec les Teknivals, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rave_party">rave parties</a> et autres <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Free_party">free parties</a> nous entrons dans une dimension encore différente. Les pratiques culturelles y présentent des aspects parfois peu chatoyants. Elles frayent moins avec le « supplément d’âme » qu’avec ses tréfonds, plutôt ses abîmes que son élévation. L’expérience culturelle ou esthétique emprunte alors des chemins interlopes plus tortueux, voire dangereux, dont certains ne reviennent pas.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201174/original/file-20180108-83550-1kilnmw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201174/original/file-20180108-83550-1kilnmw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201174/original/file-20180108-83550-1kilnmw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201174/original/file-20180108-83550-1kilnmw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201174/original/file-20180108-83550-1kilnmw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201174/original/file-20180108-83550-1kilnmw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201174/original/file-20180108-83550-1kilnmw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Expérimenter les limites.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fatna Moumene</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Apprendre par l’exploration des limites</h2>
<p>« La fête cette hantise » écrivait déjà Jean Duvignaud, la fête comme besoin social essentiel qui porte ces milliers de jeunes en cette nuit glaciale. « C’est ma dixième » me déclare Sylvain qui se réchauffe près d’un feu à même le sol. Il a la trentaine, il est magasinier. Il me parle avec la défiance de celui qui viendrait quels que soient les obstacles.</p>
<p>Dans ce champ perdu près de Tours, il est question de liberté. Déjà Maspéro regrettait la <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/les-passagers-du-roissy-express-francois-maspero/9782020124676">disparition des espaces urbains en trois dimensions</a>, parcs, cours et jardins, lieux cachés de la ville, où l’on pouvait vivre ses premières expériences à l’abri des regards inquisiteurs. Il reste la campagne, parfois les usines abandonnées. Fuir les gendarmes, leur échapper, comme une quête qui paraît d’autant plus importante pour des jeunes sous contrôle constant, à qui l’on répète depuis leur enfance de faire attention, d’être prudents, de se méfier des autres ou de « manger cinq fruits et légumes par jour ». Une somme de prescriptions étouffantes qu’il est ici question de bousculer quelque peu. Alors aller danser relèverait d’une recherche quasi anthropologique de sensations, d’exploration de liberté, une quête doublée d’apprentissages.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201176/original/file-20180108-83553-1lzd7y9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201176/original/file-20180108-83553-1lzd7y9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201176/original/file-20180108-83553-1lzd7y9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201176/original/file-20180108-83553-1lzd7y9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201176/original/file-20180108-83553-1lzd7y9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201176/original/file-20180108-83553-1lzd7y9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201176/original/file-20180108-83553-1lzd7y9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">40 000 personnes se sont réunies dans ce champ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fatna Moumene</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Une expérience physique</h2>
<p>Il ne faut pas sous-estimer néanmoins la dimension esthétique de cette expérience teknival, ici construite comme nulle part ailleurs. Elle se distingue par sa corporalité. De 125 à 145 BPM, battements par minute, le rythme électronique binaire des musiques technos est un rythme d’endurance sportive. Comme si la musique pouvait se fondre avec le cœur humain. Une régularité des rythmes, qui n’est pas sans rappeler la pulsion esthétique élémentaire, telle que G. Simmel la définit, « une construction systématique qui enserre les objets dans une image symétrique ». Degré inférieur de la pulsion écrit-il en un jugement de valeur qui correspond parfaitement au but recherché par les danseurs. <a href="http://fr.traxmag.com/article/43053-teknival-illegal-du-15-aout-30-000-teufeurs-dansent-sur-une-zone-naturelle-protegee">Une expérience totale impliquant tout leur être</a>.</p>
<p>Devant les enceintes hautes de deux à quatre mètres, l’espace commun est construit par la verticalité des sons, le temps transposé dans la musique s’estompe. Effort physique, endurance, exubérance, durant trois jours pour les plus tenaces, musiques binaire et danses qui souvent accélère, scansions régulières aux styles néanmoins variés : 125-145 BPM, minimal, doomcore, techno, trans, house, 145-200 BPM, ghettotech, drum and bass, hardcore, 200-500 BPM, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=mlRo62RjuGY">speedcore</a>, plus de 1 000 BPM, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fQPbI5mxIsg">extratone</a>.</p>
<p>Le volume sonore est tellement élevé que la communication ne passe plus par les mots. Le dispositif musique-drogue éclipse les modes de sociabilités verbales, faire corps avec la musique, se couler dans le rythme. Une foule en capuche et treillis militaire, au quasi corps à corps, transpire, se frôle, se touche parfois. Il n’est plus d’identité ici que celles des êtres dansants, éprouvant d’un même allant, corps et sons, hors du temps.</p>
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<span class="caption">Un important dispositif de sécurité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Raffin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le dialogue des corps et son corollaire, l’expérience des limites corporelles : mon corps, jusqu’où tient-il ? Apprendre à se connaître, mener un combat physique contre soi-même, passer à l’âge adulte, faire partie d’un groupe : tout se conjugue et se confond ici àn travers l’expérience musicale partagée.</p>
<p>C’est aussi un lieu où l’on apprend les limites de la sexualité, dans un contexte particulier, où, plus qu’en « boîte de nuit » par exemple, la tentative d’égalitarisme entre homme et femme est prise très au sérieux. Les violences sont très rares, les jeunes hommes peuvent comme les jeunes filles s’installer dans des jeux et des provocations sans risques, tester certaines limites, bien loin des harcèlements que connaissent les femmes en « boîte ».</p>
<p>Toutes choses que ne laisseraient pas soupçonner l’amusement juvénile, tour à tour rigolard ou béat, lisible sur les visages. La fête rejoint ici les hantises existentielles de ces générations, trop souvent contraintes par la normativité éducative. Elles vivent ici des expériences qui paradoxalement les responsabilisent, parce que justement, la liberté la nuit, dans un environnement étranger qui comprend une part de risque, exige de l’attention, de la discipline, de l’anticipation et de la solidarité.</p>
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<span class="caption">Une échappatoire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fatna Moumene</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Comme une échappatoire – tactique et politique</h2>
<p>La force de l’expérience du Teknival est par ailleurs accentuée par les conditions sociales que connaissent les teuffeurs. Il y a des exceptions, mais pour la majorité, ils appartiennent à des milieux plutôt modestes. Étudiants précaires ou jeunes salariés, employés au smic ou juste au-dessus. Des profils laborieux qui ne peuvent se permettre d’excès, et surtout pas pour les loisirs et la culture payants.</p>
<p>La rave-party prend sur ce point un sens plus politique qui ne relève pas d’un discours et d’une idéologie radicale ou révolutionnaire, mais plutôt d’une tactique échappatoire comme l’aurait dit Michel de Certeau. Certes, cette tendance radicale existe dans le milieu des <em>travellers</em>, dont les membres se réfèrent à des formes d’anarchisme et de lutte anti-capitaliste. Ils sont minoritaires ici, bien qu’ils puissent jouer un rôle actif et central dans l’organisation générale du Teknival. Ces <em>travellers</em> peuvent vivre dans le milieu techno à l’année et y avoir construit un mode de vie et une économie <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2017-4-p-73.htm">dont de nombreuses recherches ont pu faire état</a></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201180/original/file-20180108-83559-19rq6ib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201180/original/file-20180108-83559-19rq6ib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201180/original/file-20180108-83559-19rq6ib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201180/original/file-20180108-83559-19rq6ib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201180/original/file-20180108-83559-19rq6ib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201180/original/file-20180108-83559-19rq6ib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201180/original/file-20180108-83559-19rq6ib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des teuffeurs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Raffin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Mais pour la plupart des jeunes teuffeurs, le Teknival est une occasion d’échapper à la routine et aux hiérarchies professionnelles. Dans ses excès, l’événement est aussi une façon de redynamiser le quotidien par rapport au contexte périurbain qu’ils connaissent : zones pavillonnaires, bâtiments résidentiels, résidences étudiantes, où plus que la poésie règne ce que Richard Sennett a appelé le « génie de la stérilité » des aménageurs. Pour certains, c’est quasiment l’unique moment de loisir culturel qu’ils peuvent se permettre financièrement. Et de déclarer, quand on les interroge, « Nous, on n’a pas les moyens d’aller en boîte ». A la confiscation économique de la fête, aux quadrillages aseptisés et sécuritaires de la ville, ils répondent par l’illégalité, par un petit moment de liberté volée… avant de retourner travailler, lundi, fin de la récréation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201181/original/file-20180108-83556-6p2wuv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201181/original/file-20180108-83556-6p2wuv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201181/original/file-20180108-83556-6p2wuv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201181/original/file-20180108-83556-6p2wuv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201181/original/file-20180108-83556-6p2wuv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201181/original/file-20180108-83556-6p2wuv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201181/original/file-20180108-83556-6p2wuv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sound system.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fatna Moumene</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les gendarmes avaient l’air sympathiques à l’entrée de la route, bien sûr il y eut quelques arrestations, mais ils étaient moins là pour interdire que pour protéger les jeunes. Ils ont laissé faire, comme on laisse s’échapper la vapeur d’une cocotte minute pour ne pas qu’elle explose. Cette métaphore douteuse, quasi fonctionnaliste, est celle que me fit un jour le directeur des affaires culturelles de la Ville de Genève à propos d’un lieu-boîte de nuit, l’Usine, où la consommation de drogue était tolérée et les excès qui vont avec ; « comme ça les <a href="http://journals.openedition.org/decadrages/245">jeunes s’amusent sinon ça peut péter</a> comme à Zürich dans les années 1980, on ne veut pas de ça ici. Comme ça on sait où ça se passe, la police peut contrôler ». L’intérêt public est évident et justifie peut-être les quelque 150 000 euros que coûta dit-on la mobilisation des forces de sécurité pour le Teknival.</p>
<p>Et si c’était là un minimum pour des jeunes à qui les politiques culturelles ne s’adressent qu’à la marge et à qui la fête est largement confisquée par l’industrie du loisir ?</p>
<p><em>La version longue de cet article <a href="https://docs.wixstatic.com/ugd/0af526_2202955249a94efd8ee7ae58b1f4b5bb.pdf">est disponible ici</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Raffin a reçu des financements de Ministère de la Culture, Ministère de l'Ecologie.</span></em></p>Pour les jeunes qui fréquentent les rave parties et autres Teknivals, danser relève d’une recherche quasi-anthropologique de sensations, d’exploration de liberté, une quête doublée d’apprentissages.Fabrice Raffin, Maître de Conférence à l'Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/860782017-10-29T23:17:39Z2017-10-29T23:17:39ZYoann Bourgeois au Panthéon dans l’œil d’un physicien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/191395/original/file-20171023-1717-1lr33ul.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Yoann Bourgeois / La Mécanique de l'histoire au Panthéon.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo Géraldine Aresteanu</span></span></figcaption></figure><p>Du 3 au 14 octobre, les machines de <a href="https://www.franceculture.fr/personne-yoann-bourgeois">Yoann Bourgeois</a> ont investi le Panthéon pour dialoguer avec Pendule de Foucault. A la différence du pendule qui oscille seul, que nous soyons là ou pas, ses machines doivent être « habitées » par des acrobates pour devenir des dispositifs qui explorent le mouvement. Mais, tout comme Le Pendule, ces dispositifs nous conduisent encore et encore à cette question fondatrice : qu’est-ce que le mouvement ?</p>
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<h2>Pendule de Foucault</h2>
<p>J’ai découvert Le Pendule pour la première fois il y a bien longtemps, alors que j’étais étudiant en physique. Je me souviens d’un pincement au cœur. Depuis Galilée, qui nous a ouvert la science du mouvement, les scientifiques sont amoureux du pendule. C’est là un amour raisonnable et mesuré : trajectoire circulaire, vitesse, accélération, oscillation, énergies, forces, gravité, période et mesure du temps.</p>
<p>Il nous a donné des raisons supplémentaires de l’aimer quand il est devenu « pendule de Foucault » : référentiel tournant, force d’inertie, de Coriolis.</p>
<p>En observant les quatre dispositifs de Yoann Bourgeois au Panthéon, j’ai eu à nouveau ce pincement au cœur. Avec le pendule de Foucault au centre, la vie qui bouge dans les mondes modèles de Yoann Bourgeois met la physique du mouvement au cœur de nos existences. Et pour apprécier la beauté de ce spectacle, nul besoin d’être géomètre.</p>
<h2>Énergie</h2>
<p>Dans mon monde de physicien, celui qui tombe et remonte, on le nomme système. Ce système n’est pas isolé car il échange de l’énergie avec le reste du monde autour de lui. Il tombe. Son énergie cinétique, déterminée par sa vitesse, augmente. Alors il s’arrête dans le trampoline. Comme la vitesse, son énergie cinétique est nulle à ce point d’arrêt, tout en bas. En ce très bref instant, où tout est immobile, toute l’énergie du mouvement réside dans la tension du trampoline. Le trampoline renvoie alors le système. Brutalement l’énergie du mouvement redevient énergie cinétique. Il monte. Il perd de la vitesse. L’énergie cinétique diminue jusqu’à être nulle. L’énergie, cette fois énergie potentielle de pesanteur, est disponible pour une nouvelle chute.</p>
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<p>Au point le plus haut de la trajectoire, il reprend pied un court instant… Puis il retombe. Je décide que cet instant est la fin de la séquence. Une nouvelle commence. Identique. Le mouvement périodique est l’image de la permanence, de l’éternité. Les physiciens jouent avec les forces qu’ils nomment conservatives. Le poids est au premier rang de ces forces. Elles décrivent des transformations réversibles et totales de l’énergie pendant le mouvement. Aucune perte. Alors le temps ne passe pas. Le futur et le passé sont identiques. Tout recommence à l’identique. Sans fin. Sans début. Monde idéal.</p>
<p>Mais le monde n’est pas idéal. Le pendule s’arrête toujours d’osciller car il y a un frottement quelque part. L’énergie se perd et devient chaleur. C’est inévitable. Lors de l’appui, en haut, celui qui tombe peut lutter contre cette dissipation de l’énergie du mouvement. En poussant à dessein pour remonter son corps, il peut augmenter son énergie potentielle de pesanteur. Ainsi, encore une fois, il peut compenser les pertes d’énergie et démarrer une nouvelle séquence identique à la précédente. Tant que son corps en est capable, il entretient l’illusion d’une répétition apparemment gratuite et sans fin.</p>
<h2>Inertie</h2>
<p>Ce plateau en rotation rapide est un petit monde élémentaire. Sa simplicité en fait un laboratoire pour explorer notre façon d’être au monde. Aux contraintes habituelles sur nos mouvements quotidiens (poids, contact, frottement, inertie), il ajoute celle qu’induit un monde qui tourne rapidement sur lui même. Dans ce petit monde, il faut se tenir penché pour être debout, c’est-à-dire en équilibre et au repos. Pour être debout, il faut inscrire son corps dans cette nouvelle verticale définie par la combinaison de deux forces.</p>
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<p>Le poids se combine ici à la force d’inertie liée à la rotation du plateau. Si l’on supprimait soudain tout frottement, tout ancrage, hommes et objets seraient éjectés de la scène, ils continueraient en ligne droite au lieu de tourner.</p>
<h2>Équilibre</h2>
<p>C’est un dialogue muet qui se joue autour de cet autre plateau : bouger à deux au bord de l’équilibre et toujours repousser la chute qui vient. Sentir cet écart, ressentir comment l’autre déjà le corrige par des mouvements imperceptibles. À la limite de la perception, lentement, en se rétablissant à chaque instant, ils explorent ce monde aussi simple §une table, deux chaises) qu’intraitable.</p>
<p>Ces prouesses acrobatiques font écho, en mécanique, à l’équilibre impossible du cône sur sa pointe. En principe, cône parfait idéalement vertical, il tient debout. En pratique, il tombe immédiatement. On sait techniquement le faire tenir debout. On mesure l’écart très faible à la verticale avec des capteurs. Cette mesure commande alors un dispositif qui corrige et prévient la chute. De même on se tient debout en équilibre instable. Proprioception : contrôle permanent et inconscient de la position du corps.</p>
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<p>La somme nulle des moments des forces fonde la physique de l’équilibre en rotation, c’est l’équilibre de la balance. Cette même loi définit la vie de ce couple sur la table. Elle lie étroitement les deux corps malgré la distance. Lien invisible, qui passe par un plateau instable. Lien physique permanent et susceptible, qui amplifie très vite tout écart. Vivre ici à deux, c’est essayer de bouger librement et ensemble sans que naisse un écart, en mariant les mouvements à peine ressentis.</p>
<h2>Trajectoire</h2>
<p>Pour explorer un nouveau monde en bougeant, Yoann Bourgeois construit d’abord sa scène. Il choisit ainsi quels liens au réel exploreront les danseurs-acrobates de sa compagnie. Ces contraintes physiques seront des outils de création.</p>
<p>La plus élémentaire des scènes est issue de notre quotidien. C’est le plateau du théâtre. Il souligne un corps toujours pesant et un espace au-dessus du sol inaccessible. Il installe le contact permanent avec le sol, et donc une séparation radicale entre la verticale et l’horizontale.</p>
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<p>Cette balance équilibrée, agrès fabriqué pour les besoins du spectacle, propose une autre scène. S’y installer projette immédiatement le corps dans un autre monde. Je n’ai jamais fait ce voyage. En spectateur, je suis fasciné et perplexe. C’est un monde étranger dans lequel il faut apprendre à bouger en l’explorant. Pas de contact avec le sol. Le poids est toujours là, mais l’équilibre presque parfait assuré par le contre poids permet de s’ouvrir la verticale sans effort. Il suffit de bouger une jambe, un bras. À peine. La balance permet l’immobilité en l’air. Tous les déplacements du corps tournent autour du point de fixation du balancier, centre de rotation, cœur de ce monde. Horizontal, vertical… cela n’a aucun sens pour un corps qui se déplace maintenant librement à la surface d’une sphère. Le dispositif change la symétrie de l’espace, qui devient sphérique. La mécanique de la balance est très bien huilée. Cela permet de jouer avec l’inertie. On peut alors se déplacer longuement et lentement, à très petite vitesse, et sans avoir à entretenir le mouvement.</p>
<p>Quel partage étonnant alors entre celui qui regarde, et le corps qui bouge dans l’espace ! Le premier reste sur le plateau. Le second le quitte lorsqu’il s’installe sur la balance devant le public. Il traverse à cet instant la frontière entre ces deux mondes irréductibles. Assis sur le plateau, le spectateur regarde un corps explorer ce monde étranger et en jouer pour lui.</p>
<hr>
<p><em>« La Mécanique de l’histoire, une tentative d’approche d’un point de suspension – Exposition vivante au Panthéon, Yoann Bourgeois – CCN2-Centre chorégraphique national de Grenoble. Une commande du Centre des monuments nationaux dans le cadre de l’opération Monuments en mouvement en partenariat avec le Théâtre de la Ville, Paris.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joel Chevrier a collaboré avec la Compagnie Yoann Bourgeois autour du spectacle "La Mécanique de l'histoire, une tentative d'approche d'un point de suspension. Exposition vivante au Panthéon."</span></em></p>La vie qui bouge dans les mondes modèles de Yoann Bourgeois met la physique du mouvement au cœur de nos existences.Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/805282017-07-06T18:24:43Z2017-07-06T18:24:43ZRenaître à soi par la danse : un regard d’anthropologue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/177097/original/file-20170706-26461-1p2g2bb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C38%2C1513%2C1065&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Henri Matisse, _La danse_</span> <span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span></span></figcaption></figure><p><em>Billet publié en collaboration avec le <a href="http://blogterrain.hypotheses.org/">blog de la revue Terrain</a>. Dans le n°66 de la revue, le lecteur pouvait découvrir un article intitulé <a href="http://terrain.revues.org/15974">« Renaître à soi-même. Pratiques de danses rituelles en Occident contemporain »</a>, signé M. Houseman, M. Mazzella di Bosco et E. Thibault.</em></p>
<hr>
<p>Peut-on (re)devenir soi-même en dansant ? C’est ce que proposent aujourd’hui de nombreuses pratiques de danses aux vertus miraculeuses, souvent qualifiées de « spirituelles », qui fleurissent dans les sociétés occidentales. La <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BjDJlb2KPLM">biodanza</a> rénove l’organisme et rééduque affectivement, la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0cxg16DVRFE">danse sacrée en cercle</a> « transforme et guérit », la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=K-ms3y4it9g">Danse des 5 Rythmes</a> se présente comme une « méditation », la danse médecine éveille à la sagesse et à « l’intelligence corporelle »…</p>
<p>Comment comprendre l’émergence de ces mouvements et les rouages de leur succès ? Qu’y recherchent au juste les pratiquants ? Et qu’est-ce que cela dit des individus contemporains ?</p>
<p>Les anthropologues ont souvent boudé ces pratiques, qu’ils regardent comme des assemblages éclectiques et peu authentiques. Ce n’est pas le cas de Michael Houseman, spécialiste de la théorie du rituel (il a consacré <a href="http://pum.univ-tlse2.fr/%7ELe-ROUGE-eSt-le-NOIR%7E.html">sa thèse</a> à l’initiation chez les Béti du Cameroun), qui a choisi de les prendre au sérieux en les analysant comme des modes spécifiques de ritualisation, propres aux sociétés occidentales et à leur conception de l’individu.</p>
<p>Auteur avec M. Mazzella di Bosco et E. Thibault d’un article intitulé <a href="http://terrain.revues.org/15974">« Renaître à soi-même. Pratiques de danses rituelles en Occident contemporain »</a> », paru dans le n°66 de la revue <em>Terrain</em>, il évoque les résultats de leurs recherches dans l’entretien vidéo ci-dessous avec Emmanuel de Vienne, rédacteur en chef de la revue.</p>
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<p><strong>L’individu renouvelé</strong></p>
<p>Comment qualifier ces danses ? « Ces activités », précise l’article, « ne sont ni des thérapies, ni des apprentissages ésotériques, ni des cours de danse, ni des fêtes dansantes ».</p>
<p>Les danseurs ont des visées à la fois plus vagues et plus profondes. La danse produit ce que l’on pourrait appeler des « effets de renaissance », qui participent de leur construction personnelle. Elles sont en somme, explique Michael Houseman, une expression parmi d’autres de ce qui définit l’individu occidental contemporain : une volonté de se construire soi-même qui peut aller jusqu’à prendre la forme d’une quête spirituelle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/177171/original/file-20170706-26461-1iiuc3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/177171/original/file-20170706-26461-1iiuc3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/177171/original/file-20170706-26461-1iiuc3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/177171/original/file-20170706-26461-1iiuc3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/177171/original/file-20170706-26461-1iiuc3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/177171/original/file-20170706-26461-1iiuc3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/177171/original/file-20170706-26461-1iiuc3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La biodanza, rituel des temps modernes ?</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>On retrouve la trace d’une telle quête de transformation dans des expressions très usuelles, mais néanmoins paradoxales, comme « renaître à soi-même » (ce qui implique un dédoublement), « se trouver » ou « se réinventer ». Ce leitmotiv se retrouve dans toute la panoplie des ritualités <em>New Age</em> et des nouvelles spiritualités, mais aussi dans des pratiques aussi courantes que le yoga ou le développement personnel.</p>
<p>L’intérêt d’une approche ethnographique est de comprendre les mécanismes précis qui organisent ces expériences jugées indispensables au bien-être et à la définition de soi d’un très grand nombre de nos contemporains.</p>
<p><strong>Mécanismes de la renaissance</strong></p>
<p>Comment fonctionne cette renaissance à soi-même par la danse recherchée par les pratiquants ?</p>
<p>En premier lieu, avant la danse, un temps de parole permet à chacun de partager avec le groupe la tonalité affective dans laquelle il se trouve, et avec laquelle il va danser. Ensuite, si les mots sont proscrits pour les participants au profit du seul langage du corps et du mouvement, les enseignants ou « facilitateurs » donnent des injonctions qui peuvent sembler obscures : « Invitez l’espace du cœur à venir danser. Invitez le ventre, […] invitez le bassin, les hanches. Et invitez toute la colonne vertébrale […] à se mettre en mouvement […] ; vraiment respirez dans cette colonne, invitez l’espace entre chaque vertèbre, mettez le souffle entre chaque vertèbre, et en même temps, restez connecté à votre bassin, à vos hanches, votre terre… ».</p>
<p>Il ne s’agit pas d’enseigner une chorégraphie, mais de guider l’attention des participants sur une partie du corps, ou sur une émotion, une qualité intérieure oubliée qui serait à révéler, un mode de perception jugé plus immédiat. Les enseignants convoquent ainsi une forme particulière de sensorialité : plutôt que de suivre des mouvements précis, il faut se ressentir ; plutôt que d’imiter les gestes des autres, il faut s’en inspirer.</p>
<p>Appuyée sur des musiques choisies (rythmes latino, indiens, etc.) et dans une atmosphère saturée d’encens, cette forme d’interaction génère une émotivité à fleur de peau et fait surgir, parfois, des moments de grâce entre danseurs, durant lesquels les mouvements deviennent fluides, évidents. Instants mémorables qu’ils recherchent activement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Danse médecine énergétique.</span></figcaption>
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<p>Ces danses impliquent ainsi un processus assez paradoxal : alors que l’injonction principale est d’être « spontané » et « libre », tout est fait pour exacerber la sensibilité et l’attention à soi-même et au regard des autres. Les mouvements « créatifs » qui en émergent reproduisent d’ailleurs assez conventionnellement ce qu’on imagine être une danse « tribale » ou « primitive » : mouvements enfantins, saccadés et frénétiques comme ceux d’une transe, sautillements, etc.</p>
<p><strong>Des rituels à part entière</strong></p>
<p>Michael Houseman et ses collègues proposent d’analyser ces pratiques comme des <a href="http://terrain.revues.org/41">rituels contemporains</a>.</p>
<p>Le rituel est l’un des objets centraux de l’anthropologie, qui s’est longuement penchée sur les manières de définir l’action rituelle. Les rituels ont ainsi été interprétés du point de vue de leur fonction sociale (ils serviraient à régler une crise, marquer un passage, instaurer un statut) ou encore de leur sens (ils exprimeraient une vision du monde propre à une société).</p>
<p>Au-delà de ces interprétations, les théories contemporaines tendent à penser le rituel comme un contexte, dans lequel les relations prennent un sens différent de celui qu’elles ont dans la vie ordinaire.</p>
<p>En particulier, ils mettent en jeu des séquences d’actions prescrites qui sortent de l’ordinaire, et sont souvent opaques pour les participants eux-mêmes parce qu’elles renvoient à des relations contradictoires. Par exemple, au cours du célèbre rituel <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00445410/">du Naven, chez les Iatmul, en Nouvelle-Guinée</a>, qui marque certaines étapes importantes de la vie des jeunes gens, il arrive qu’un oncle maternel travesti en femme frotte ses fesses en public sur la jambe de son neveu, en violation complète des règles ordinaires. Ce geste d’un oncle connote en même temps la sexualité et l’enfantement, sur un mode grotesque. On conçoit que de telles actions produisent des émotions exacerbées (en l’occurrence la honte), « saillantes » et donc mémorables, précisément parce qu’elles ne sont pas facilement compréhensibles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/177173/original/file-20170706-29221-begbph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/177173/original/file-20170706-29221-begbph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/177173/original/file-20170706-29221-begbph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/177173/original/file-20170706-29221-begbph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/177173/original/file-20170706-29221-begbph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/177173/original/file-20170706-29221-begbph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/177173/original/file-20170706-29221-begbph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une offre diversifiée.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Dans la ritualité New Age dont s’approchent les danses évoquées, ce ne sont pas tant les actions qui sont prescrites – on est libre de choisir celles qui « marchent » le mieux – que le fait de les accomplir « en éprouvant les dispositions exemplaires que [ces] actions sont censées exprimer », comme l’écrit Michael Houseman <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01469382/document">dans un article de 2016</a>. C’est-à-dire que, « à la différence de ce qui se passe dans des pratiques cérémonielles plus classiques, les célébrants s’attachent moins à répéter ce que d’autres avant eux auraient fait qu’à devenir ce que d’autres avant eux auraient été : un chamane, un druide gallois, un aspect de Gaïa, une personne pleinement consciente d’elle-même, un soi intérieur qui ne connaît pas la peur, etc. » Comme dans les autres contextes rituels, l’objet de cette quête reste cependant vague et relativement impénétrable.</p>
<p>Les danses comme la biodanza représentent bien un contexte particulier, dans lequel les actions sont orientées vers ce rapport réflexif à soi. Cela est sensible dans les interactions entre participants : les auteurs montrent en effet qu’ils ne cherchent pas particulièrement à faire connaissance les uns avec les autres. Les interactions qui se nouent dans la danse sont d’abord une ressource pour la construction personnelle. Mais ces rapports ne sont pas non plus purement utilitaristes : ils permettent de développer des dispositions à la relation, à la connexion, à l’ouverture aux autres… qui seront exercées dans d’autres contextes et avec d’autres personnes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/80528/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Peut-on (re)devenir soi-même en dansant ? C’est ce que proposent aujourd’hui de nombreuses pratiques qui fleurissent dans les sociétés occidentales.Laure Assaf, ATER en anthropologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Emmanuel de Vienne, Maître de conférences en anthropologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/661002016-10-13T18:28:02Z2016-10-13T18:28:02Z« Danse avec les stars » et la médiatisation d’un sport confidentiel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/141523/original/image-20161012-16214-1uot258.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Grégoire Lyonnet et Alizée, DALS.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.florencelecrivain.book.fr/galeries/danse/770559">Florence Lécrivain</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les champions du monde de la division professionnelle de cette discipline sportive, <a href="https://www.facebook.com/Steeve-Gaudet-Marioara-Dumitrita-Cheptene-276178859104194/">Marioara Cheptene et Steeve Gaudet</a> sont français, mais vous ne connaissez sans doute pas plus leurs noms que ceux de <a href="https://www.facebook.com/CharlesGuillaumeSchmittElenaSalikhova/">Elena Salikhova et Charles-Guillaume Schmitt</a>, couple d’athlètes français d’exception, triples champions du monde de « showdanse » et finalistes de toutes les grandes compétitions internationales. En revanche, depuis quelques années, ce sont les visages d’autres champions de la danse sportive qui s’affichent en couverture de magazines grand public.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/141202/original/image-20161011-3864-1pp4xz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/141202/original/image-20161011-3864-1pp4xz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/141202/original/image-20161011-3864-1pp4xz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/141202/original/image-20161011-3864-1pp4xz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/141202/original/image-20161011-3864-1pp4xz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/141202/original/image-20161011-3864-1pp4xz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/141202/original/image-20161011-3864-1pp4xz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Marioara Cheptene et Steeve Gaudet, lors des Championnats du monde 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Foto-Atelier-Klemm</span></span>
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<p>Fauve Hautot, Maxime Dereymez, Katrina Patchett ou Grégoire Lyonnet, tous anciens sportifs de haut niveau, ont dû attendre d’apparaître le samedi soir sur TF1, dans l’émission <a href="http://www.tf1.fr/tf1/danse-avec-les-stars"><em>Danse avec les stars</em></a> pour sortir de l’ombre et gagner une reconnaissance médiatique. Marie Denigot-Hamon, nouvelle recrue de la prochaine saison, suscite ainsi depuis l’annonce de son arrivée dans l’émission un intérêt qu’elle n’éveilla jamais en devenant Championne de France Espoir 10 danses en 2010.</p>
<h2>Starification</h2>
<p>Désormais, la presse à sensation et les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, bruissent des spéculations sur la vie privée de ces athlètes et actent de leurs partenariats publicitaires (Fauve Hautot devint ainsi ambassadrice Reebok en 2014). Les fans les traquent au quotidien, les suivent sur les tournées, se structurent dans des groupes Facebook, se pressent dans les stages qu’organisent pour eux les écoles de danse et alimentent des pages Wikipédia où le parcours sportif est rapidement expédié au profit des péripéties et anecdotes du programme télévisuel.</p>
<p>De <a href="http://www.fort-boyard.fr/">Fort Boyard</a> à <a href="http://www.tf1.fr/tf1/tout-est-permis-avec-arthur"><em>Tout est permis</em></a>, ils sont invités à participer à d’autres émissions. Les forums de téléspectateurs discutent de leurs mérites et valident souvent qu’entre une ancienne Miss France, un sportif retraité (un vrai, qui a fait un vrai sport viril de sportif, du foot, du tennis ou du rugby) ou une chanteuse en manque de publicité, ils sont finalement devenus les véritables stars du programme.</p>
<p><em>Danse avec les stars</em>, version française d’une émission américaine elle-même adaptée d’un format britannique, aurait-elle ainsi peu à peu installé la danse sportive dans un paysage audiovisuel plus que réticent et des médias initialement indifférents ?</p>
<h2>Un sport véritable</h2>
<p>La danse sportive, version compétitive des danses de salon, comprend dix danses : cinq latines et cinq standards. Sport très populaire dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la Russie, elle reste confidentielle en France où elle n’est pratiquée que par quelques centaines de compétiteurs tout en rencontrant un certain succès dans sa version loisirs.</p>
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<figcaption><span class="caption">Championnat du monde Show Danse 2014, remporté par Charles-Guillaume Schmitt et Elena Salikhova.</span></figcaption>
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<p>Historiquement, alors que les sports dits <em>artistiques</em> ont réussi à imposer leur légitimité en se présentant comme la branche artistique d’une discipline sportive déjà reconnue (patinage <em>artistique</em>, ski <em>artistique</em>, gymnastique <em>artistique</em>…), la danse a toujours peiné à faire reconnaître sa nature éminemment sportive.</p>
<p>Sa <a href="http://ffdanse.fr/">fédération</a> relève du Ministère de la Culture et de la Communication et non de celui en charge des Sports et elle aura dû attendre 1997 pour être reconnue par le CIO, le Comité international olympique, sans toutefois être admise dans le cénacle des sports médaillés. L’un des arguments le plus souvent opposé à sa présence aux Jeux olympiques est l’importance accordée à l’apparence des athlètes lors des compétitions, comme si la dimension spectaculaire de la danse sportive, où un soin extrême est porté à l’allure, faux-cils et paillettes, dépréciait la qualité athlétique.</p>
<h2>Sport et spectacle</h2>
<p>Alors que certains sports ont dû se théâtraliser pour devenir télégéniques – maillots moulants et mises en scène dénudées et sexualisées dans des calendriers pour le rugby, érotisation des angles de prise de vue et tenues dénudées pour le beach-volley… – il semblait que la danse sportive avait à faire le chemin inverse pour trouver une légitimité.</p>
<p>Exit le strass et les plumes des costumes, il fallait voir de la sueur, de la douleur et du suspens pour gagner une reconnaissance. Les fédérations ont donc initié un long travail de communication avec des clips illustrant avec plus ou moins de bonheur ces valeurs sportives. Le dernier en date œuvre directement pour la présence de la danse sportive aux JO de 2020 de Tokyo en convoquant les topos de l’imaginaire sportif : échauffement de corps en survêtement, foule de supporters en délire, suspens du résultat et jubilation de la victoire…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xXC3PsdZcYk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pourtant, <a href="http://www.wsj.com/articles/SB121279417265153475">selon Peter Pover</a>, l’un des Présidents de la Fédération américaine de danse sportive, une présence de ce sport aux Jeux olympiques sera moins liée aux efforts développés par les représentants de la discipline (réglementation plus stricte pour les tenues des enfants, remaniement du système de jugement pour plus de partialité…) qu’au succès de <em>Danse avec les Stars</em>.</p>
<h2>Compromis et reconnaissance</h2>
<p>Les puristes de la discipline reprocheront au programme d’avoir bradé l’exigence esthétique et technique qui la caractérise. Le choix des musiques semble souvent dicté par une logique plus commerciale qu’artistique. Les portés et acrobaties, interdits en danse sportive, sont devenus inhérents aux chorégraphies de l’émission. Et des danses plus exotiques, comme le classique ou le Bollywood, sont parfois convoquées avec une maîtrise approximative des danseurs, aussi à l’aise dans l’exercice que des footballeurs jouant au handball.</p>
<p>Néanmoins, les détracteurs qui fustigeaient l’émission à son démarrage s’accordent aujourd’hui à dire que le travail de médiatisation bénéficie à tous, des écoles qui accueillent un public renouvelé aux sportifs eux-mêmes, dont l’activité est désormais mieux identifiée par le grand public. L’imaginaire de ce spectacle, entre célébrités et paillettes, se substitue progressivement à celui des thés dansants auquel étaient souvent associées les danses de salon.</p>
<p>Pour les compétiteurs eux-mêmes, la valorisation est effective. Quand David Ginola, ancien international de football, s’effondre de fatigue face à son inépuisable partenaire dans la première saison ou quand le comédien humoriste Anthony Kavanagh intègre à son spectacle la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wRPXCcQa6C8">narration de ses entraînements éreintants</a>, la dimension athlétique est publiquement renforcée. Par ailleurs, si les sportifs continuent à concourir dans l’ombre, les plus charismatiques d’entre eux peuvent, à terme, espérer à leur tour briller sous des projecteurs moins confidentiels une fois leur carrière achevée.</p>
<p>Si l’objectif de la fédération internationale – la présence de la danse aux JO –, est atteint, c’est une émission entre télé-réalité et télé-crochet qui aura paradoxalement eu raison des réserves « sportives » des comités olympiques. Entre stars et strass, elle lui aura dans tous les cas permis de prétendre à une reconnaissance jusqu’ici plus que contestée, dans un singulier rapport de force entre sport et spectacle qui conforte le pouvoir médiatique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/66100/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Chagnoux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les stars et les strass d’une émission de télévision peuvent-ils influencer le Comité international olympique ? Impacts médiatiques et sportifs de l’émission « Danse avec les stars »Marie Chagnoux, Maitre de conférences en Sciences de l'Information et de la Communication, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/573752016-04-08T04:33:18Z2016-04-08T04:33:18ZDe la scène au livre : la trace d’un pas de deux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/117985/original/image-20160408-23660-1a4c2bk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Raphaëlle Delaunay, chorégraphe et Sylvain Prudhomme, écrivain au festival Concordan(s)e. Mardi 12 avril à 19h30, Maison de la Poésie, Paris.</span> </figcaption></figure><p>Le festival <a href="http://www.concordanse.com/">Concordan(s)e</a>, dont la dixième édition a lieu du 10 mars au 15 avril 2016, se présente comme « une rencontre inédite entre un chorégraphe et un écrivain ». Chaque année, les quatre à six duos ainsi constitués reçoivent la consigne d’aboutir à une représentation où parole et mouvement dansé seront liés, avec carte blanche pour la mise en œuvre, la forme et le thème. Depuis 2010, les éditions L’<a href="http://l%C5%93ildor.free.fr/">œil d’or</a> publient les archives du festival. Entretien avec Jean-Luc André d'Asciano (éditeur) et Jean-François Munnier (directeur du festival Concordan(s)e).</p>
<p><strong>Judith Mayer : Pourquoi et comment avez-vous décidé de collaborer ?</strong></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/117901/original/image-20160407-16293-sc19yi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/117901/original/image-20160407-16293-sc19yi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/117901/original/image-20160407-16293-sc19yi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/117901/original/image-20160407-16293-sc19yi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/117901/original/image-20160407-16293-sc19yi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/117901/original/image-20160407-16293-sc19yi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/117901/original/image-20160407-16293-sc19yi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/117901/original/image-20160407-16293-sc19yi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Duo « It’s a match » de Sylvain Prudhomme et Raphaëlle Delaunay.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Delphine Micheli/Concordan(s)e</span></span>
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<p><strong>Jean-François Munnier</strong> : Dans le système éditorial, les écrivains ont rarement l’occasion de publier des textes courts, sauf en recueil ou en revue. Il nous semblait donc bienvenu de regrouper les textes inédits créés pour le festival Concordan(s)e. D’autre part, je cherchais un éditeur qui accepte d’associer les photos des performances aux textes. On m’a conseillé de contacter les éditions L’œil d’or, spécialisées en danse.</p>
<p><strong>Jean-Luc André d'Asciano</strong> : D’emblée, j’ai trouvé le projet beau, car il repose sur la création ; généreux, parce qu’il mélange les productions d’artistes connus et de jeunes talents ; intéressant, parce qu’il suit le mouvement du festival ; mais c’est aussi un pari risqué. Il fallait donc envisager de petits tirages. Il ne s’agit pas non plus d’un beau livre, malgré la dimension photographique. Compte tenu des contraintes, une coédition s’imposait, ce qui a été rendu possible grâce au soutien de la <a href="http://beaumarchais.asso.fr/">fondation Beaumarchais</a>, qui suit le festival depuis le début.</p>
<p><strong>JM : Comment avez-vous conçu <a href="http://www.concordanse.com/concordan-s-e,15#!prettyPhoto">ce premier volume</a> ?</strong></p>
<p><strong>JLDA</strong> : L’hybridation du texte et de l’image n’a rien de compliqué. La tâche est rendue délicate par la présence de formes poétiques pensées pour la scène, ce qui fait le désarroi des libraires : faut-il classer l’ouvrage au rayon danse ou au rayon poésie ? Quoi qu’il en soit, cela permet notamment d’initier les amateurs de danse à la littérature contemporaine et, réciproquement, de faire découvrir des chorégraphes aux littéraires.</p>
<p><strong>JFM</strong> : Il faut préciser que les auteurs invités ne sont pas tous des poètes… Lorsqu’il y a un rayon « arts vivants », cela convient mieux, comme dans les librairies associées à des théâtres, par exemple au théâtre de la Ville, à la Colline, à Chaillot… Les ventes augmentent d’année en année, c’est bon signe. Nous tâchons de créer une identité graphique qui favorise l’effet de collection. Pour avertir les connaisseurs, nous mentionnons le nom des auteurs et des chorégraphes en couverture. Au fur et à mesure, le projet éditorial s’étoffe. Chaque tome compile les réalisations des deux années précédentes : les sections consacrées à chaque duo se composent d’une note d’intention, du texte de l’écrivain ainsi que de photos, pour la plupart issues des pièces, traduisant l’idée d’une rencontre. Dans le dernier tome, qui reprend les créations de 2012 et 2013, au texte intégral de la création s’ajoute un échange inédit de courriers entre l’écrivain et le chorégraphe, rapport de leur expérience et de leurs impressions.</p>
<p><strong>JM : Pourquoi vouloir montrer l’intimité entre les artistes ?</strong></p>
<p><strong>JFM</strong> : Elle représente l’un des enjeux du projet : comment faire de la complicité imposée un objet artistique ? Une telle correspondance témoigne de cette démarche.</p>
<p><strong>JLDA</strong> : Il est très rare que les festivals présentent exclusivement de nouvelles créations, comme c’est le cas pour Concordan(s)e : le dialogue entre les artistes en accompagne donc la genèse et fournit des clés de compréhension au lecteur. Plus généralement, cela renvoie à la problématique d’une publication de textes liés à la danse. Relater un spectacle de danse consiste à en publier un compte-rendu, une interprétation. En ce sens, c’est même une extension du spectacle. Autrement dit, nous donnons accès aux carnets de travail.</p>
<p><strong>JM : Est-ce la seule vocation de ces publications ?</strong></p>
<p><strong>JLDA</strong> : Il s’agit surtout d’archives, comme on pourrait en rêver pour le festival d’Avignon. On indique donc la date des éditions concernées ; cela demeure néanmoins un objet pérenne : le premier tome a encore toute sa place en librairie. Malgré la temporalité marquée, cette restitution n’est pas obsolète.</p>
<p><strong>JFM</strong> : Certes, la sélection des artistes pour le festival peut correspondre à une actualité. En 2014, par exemple, la commande du festival auprès de <a href="http://www.concordanse.com/Fanny-de-Chaille-choregraphe-Pierre-Alferi-ecrivain">Pierre Alferi et Fanny de Chaillé</a> s’inscrivait dans leur dynamique de création, déjà à l’œuvre.</p>
<p><strong>JLDA</strong> : Je précise que les auteurs qui n’ont pas l’habitude de l’exercice produisent peut-être des objets plus intéressants que les écrivains coutumiers des jeux formels et des représentations. Je pense à l’originalité du <a href="http://www.concordanse.com/Sylvain-Prunenec-choregraphe-Mathieu-Riboulet-ecrivain,202">travail de Mathieu Riboulet</a>, auteur pourtant intimidé à l’origine. La commande est une sorte de défi.</p>
<p><strong>JM : Comment cette part de leur production est-elle assumée par les auteurs ?</strong></p>
<p><strong>JFM</strong> : Ils sont avertis d’emblée. Cela soulève des questionnements. Par exemple, comment rendre compte d’une création textuelle improvisée comme <a href="http://www.concordanse.com/Emmanuelle-Vo-Dinh-choregraphe-Jerome-Mauche-ecrivain">celle de Jérôme Mauche</a> ? Pour le livre, nous avons donc scanné ses feuillets écrits en scène. D’autre part, certains binômes n’ont pas souhaité montrer l’intégralité de leurs textes ; enfin, il s’agit d’adapter la forme hybride de la scène aux dimensions du livre. Une mise en page poétique peut ainsi être adoptée pour refléter un parcours chorégraphique.</p>
<p><strong>JLDA</strong> : Finalement, c’est le propre d’une édition de scène : comment rester fidèle à la création et à l’instant scénique ? La question se pose à chaque fois et nous tâchons d’y apporter des réponses sur mesure.</p>
<p><strong>JM : Songez-vous à des évolutions ?</strong></p>
<p><strong>JFM</strong> : Malgré l’envie des spectateurs d’acquérir les archives de l’édition en cours, il ne faut pas multiplier les contraintes pour les artistes. Au contraire, le délai de publication favorise un certain recul de leur part vis-à-vis de leur travail. À l’avenir, nous pensons joindre au livre un code donnant accès aux vidéos des performances en ligne. Pour donner davantage de visibilité au livre, nous multiplierons les liens entre le site Internet de Concordan(s)e et celui des éditions L’œil d’or. Nous voulons garder l’esprit du festival pour créer un univers en plusieurs dimensions, riche en nouvelles formes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/117858/original/image-20160407-16252-x41kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/117858/original/image-20160407-16252-x41kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/117858/original/image-20160407-16252-x41kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=200&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/117858/original/image-20160407-16252-x41kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=200&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/117858/original/image-20160407-16252-x41kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=200&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/117858/original/image-20160407-16252-x41kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=251&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/117858/original/image-20160407-16252-x41kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=251&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/117858/original/image-20160407-16252-x41kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=251&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cécile Loyer, chorégraphe et Violaine Schwartz, écrivain.</span>
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<p><em>À lire :</em></p>
<p><em>Judith Mayer, « Le festival Concordan(s)e, jeux d’influences entre texte et danse » dans <a href="http://www.cnd.fr/patrimoine_ressources/danse_contemporaine_litterature">Danse contemporaine et littérature entre fictions et performances écrites</a> _de Magali Nachtergael et Lucille Toth, Paris, Le CND, « recherches », 2015, p. 83.</em></p>
<p><em><a href="http://l%C5%93ildor.free.fr/publications/concordanse-4-jean-francois-munnier.html">« Concordan(s)e 4 »</a>, sous la direction de Jean-François Munnier, Paris, éditions L’œil d’or, 2016, 126 p.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/57375/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Judith Mayer enseigne dans les domaines de l'édition, de la culture et des médias à l’UFR de Sciences de l’Information et de la Communication de l’Université Paris 13. Certifiée de lettres modernes, elle poursuit ses recherches sur la place de l'écrivain dans l’espace public. Auteure de documentaires sur France Culture, elle a également écrit Un mobile, roman publié en 2011 aux éditions Joca Seria. </span></em></p>Comment se faire rencontrer la littérature et la chorégraphie et en laisser une trace. Entretien avec Jean-Luc André d’Annunzio (éditeur) et Jean-François Munnier (directeur du festival Concordan(s)e)Judith Mayer, enseignante (lettres modernes, information et communication), auteure, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.