tag:theconversation.com,2011:/id/topics/egalite-des-sexes-20401/articleségalité des sexes – The Conversation2024-03-08T13:34:19Ztag:theconversation.com,2011:article/2252262024-03-08T13:34:19Z2024-03-08T13:34:19Z« Si on s’arrête le monde s’arrête » ou comment la grève féministe s’est installée en France<p>« Si on s’arrête le monde s’arrête », « 8 mars 15h40 grève féministe » sont quelques-uns des slogans diffusés pour appeler à la grève féministe en France.</p>
<p>Ce mot d’ordre émerge depuis quelques années dans le mouvement féministe français, dans la continuité des grèves féministes menées à l’international (Argentine, Suisse, Espagne, Chili, etc.) qui ont <a href="https://theconversation.com/droits-des-femmes-la-vague-mauve-en-espagne-et-en-france-129659">rassemblé des milliers de personnes</a>.</p>
<p>La pratique de la grève est <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2020-3-page-22.htm">classique</a> du mouvement ouvrier et chez les <a href="https://www.contretemps.eu/greve-feministe-genealogie-histoire-gallot">féministes</a>, comme le rappelait Eva Gueguen dans son mémoire, <em>L’arme des travailleuses, c’est la grève ! Appropriation et usages de la grève par le mouvement féministe à l’assemblée générale féministe Paris-Banlieue</em> (2023, Paris Dauphine). Mais la « grève féministe » quant à elle connaît un regain depuis la seconde moitié des années 2010, devenant l’une des revendications mises en avant à l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars. Comment ce mot d’ordre s’est-il imposé ? À quoi renvoie-t-il ?</p>
<h2>Un outil révolutionnaire ?</h2>
<p>Tout d’abord, la grève féministe renvoie à l’arrêt du travail productif (rémunéré dans la sphère professionnelle) et celui <a href="https://theconversation.com/les-metiers-tres-feminises-du-soin-et-du-lien-pourquoi-il-est-urgent-de-les-reconnaitre-a-leur-juste-valeur-223670">reproductif</a> réalisé gratuitement (travail domestique, de soin, etc.).</p>
<p>Les militant·e·s expliquent que ce dernier est majoritairement réalisé par des femmes (et des minorités de genre, c’est-à-dire les personnes trans’ et non binaires) et <a href="https://theconversation.com/les-revenus-des-femmes-diminuent-apres-la-naissance-dun-enfant-voici-pourquoi-223150">invisibilisé dans la société</a>.</p>
<p>La grève féministe ambitionne de faire reconnaître ce travail considéré comme essentiel dans les économies et pour lequel « si on s’arrête, le monde s’arrête », c’est-à-dire, selon ce slogan féministe, si celles-ci ne le réalisaient plus, l’économie ne pourrait plus fonctionner.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a>
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<p>Il s’agit par la grève de transformer la société et reconfigurer les rapports sociaux. Les militantes, rencontrées lors d’un atelier sur la grève féministe (Coordination féministe à Rennes, le 22 janvier 2022) souhaitent « mettre en lumière à la fois l’aspect économique de l’oppression des femmes et les conséquences économiques concrètes » sur l’organisation du pays quand elles cessent leur activité, « dégager du temps » pour d’autres activités que le travail, et rassembler largement autour de cette revendication en mobilisant l’ensemble du mouvement social et pas uniquement les féministes.</p>
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<p>La grève féministe est alors un outil permettant de penser ensemble l’imbrication entre différents rapports de domination – patriarcat, capitalisme, racisme –. Pour le 8 mars 2024, les militantes appellent par exemple au <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">« partage du temps de travail et des richesses »</a>, au droit à <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">disposer de son corps</a>, ou encore dénoncent la <a href="https://theconversation.com/comment-la-loi-immigration-souligne-de-graves-dysfonctionnements-democratiques-220301">loi asile-immigration</a> considérée comme <a href="https://www.grevefeministe.fr/8-mars-2024/">raciste et antiféministe</a>.</p>
<p>En somme, la grève féministe se pose « à rebours d’une vision des féminismes comme « confinées » (à un secteur, une revendication, une minorité), en <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2020-3-page-137.htm">liant le féminisme au reste des mouvements sociaux</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/marie-huot-antispecisme-et-feminisme-un-meme-combat-contre-les-dominations-au-xix-siecle-210576">Marie Huot : antispécisme et féminisme, un même combat contre les dominations au XIXᵉ siècle</a>
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<h2>Inspirations internationales</h2>
<p>La diffusion de cette revendication en France s’inscrit dans un contexte de mobilisation internationale autour des grèves féministes. À partir de 2016, celles-ci se multiplient en Pologne, Argentine, Suisse, Chili, etc. C’est aussi le cas en Espagne où les militantes appellent à cesser le travail pendant 24h le 8 mars 2018.</p>
<p>La mobilisation est conséquente, réunissant 5 millions de personnes où les militantes dénoncent « les féminicides et les agressions, les humiliations, les exclusions, l’ensemble des violences machistes » auxquelles sont <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2018-4-page-155.htm">exposées les femmes</a></p>
<p>La grève espagnole « inspire le mouvement féministe français », elle est qualifiée « d’initiative extraordinaire » qui montre que la grève est un « outil qui fonctionne » indique en entretien une militante de la Coordination féministe. L’ampleur de ce mouvement a ainsi inscrit les revendications féministes dans les sphères politiques et médiatiques. Rappelons que le Premier ministre espagnol <a href="https://www.leparisien.fr/international/espagne-greve-feministe-et-manifestations-monstres-a-barcelone-et-madrid-08-03-2019-8027928.php">a d’ailleurs défilé en tête de cortège</a> lors de la grève féministe l’année suivante, quelques semaines avant la tenue des législatives.</p>
<p>Prenant acte de ce phénomène, les féministes françaises ont établi et entretiennent des liens avec ces militantes internationales. Celles-ci se rencontrent dans des espaces politiques et syndicaux de gauche – par exemple au sein de la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/socialisme-les-internationales/4-la-ive-internationale/">Quatrième internationale</a>, organisation trotskyste – ou lors de rencontres féministes internationales, comme celles organisées par <a href="https://radar.squat.net/fr/event/toulouse/toutes-en-greve-31/2019-10-26/rencontres-feministes-internationales">Toutes en grève à Toulouse en 2019</a>. Les féministes échangent sur leurs expériences et modes d’action.</p>
<p>Les mouvements de grévistes à Toulouse ont été particulièrement actifs, d’une part du fait de la proximité des militantes avec celles Espagnoles, mais aussi historique, car réactivant une initiative précédente, celle du collectif <a href="https://rapportsdeforce.fr/classes-en-lutte/8-mars-la-greve-feministe-simpose-dans-les-syndicats-030120602">Grève des femmes qui existe dans la région depuis 2012</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mouvement sans précédent le 8 mars 2018 en Espagne (<em>Courrier International</em>).</span></figcaption>
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<p>À ce titre, plusieurs militantes de la Coordination féministe (anciennement au collectif toulousain Toutes en grève 31) expliquent avoir repris les modalités d’organisation des grèves italiennes et espagnoles, qui fonctionnent avec des assemblées et des petits groupes de travail.</p>
<p>C’est donc dans ce sillage internationaliste que la grève féministe émerge en France.</p>
<h2>« Si on s’arrête, le monde s’arrête »</h2>
<p>Dans une temporalité similaire, « On arrête toutes » se forme à Paris, en 2019 et propose de faire grève le 8 mars en arrêtant le travail à 15h40. Ce chiffre symbolique correspond chaque jour à l’heure à laquelle les femmes arrêtent d’être payées par rapport aux hommes, au regard des <a href="https://www.snrt-cgt-ftv.org/jdownloads/Communiques/2017/170228a.pdf">26 % d’écart salarial entre femmes et hommes</a>.</p>
<p>Ce projet va ensuite prendre de l’ampleur. Toutes en grève 31 organise des rencontres internationales en octobre 2019 pour appeler à la grève générale <a href="https://www.facebook.com/events/692675771192523">du 8 mars 2020</a> et dans la continuité, la Coordination féministe – réseau d’associations, collectifs et assemblées féministes en France – est créé en 2020, structurant progressivement son activité autour de la grève féministe.</p>
<p>D’autres collectifs s’en saisissent progressivement, comme <a href="https://theconversation.com/mobiiser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">« Nous toutes »</a>, qui y appelle pour la première fois à l’occasion du 8 mars 2024, avec un consortium d’organisations <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">dont la Coordination féministe</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le 8 mars on arrête tout !</span></figcaption>
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<h2>Un cadre théorique issu de la pensée féministe-marxiste</h2>
<p>Au-delà des circulations militantes internationales, la <a href="https://lms.hypotheses.org/676">diffusion de la grève féministe</a>, passe par des actrices féministes issues de <a href="https://shs.hal.science/halshs-01349832">différentes sphères</a> (académique, associative ou encore syndicale) de « l’espace de la cause des femmes ».</p>
<p>Elles interviennent dans des syndicats, des conférences, ou encore dans des <a href="https://www.contretemps.eu/read-offline/22714/pour-greve-feministe-koechlin.print">interviews</a> ou des <a href="https://www.contretemps.eu/greve-feministe-genealogie-histoire-gallot">articles</a>.</p>
<p>Cette organisation s’appuie aussi sur la mobilisation d’un corpus féministe-marxiste des <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1vz494j">théories de la reproduction sociale</a>. Celles-ci reprennent les analyses de Marx, « étendues au travail reproductif des femmes et à leur rôle dans les rapports de (re)production capitaliste ». Ces théories mettent en lumière le <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2022-2-page-113.htm">travail reproductif</a> principalement pris en charge par les femmes, consistant à « produire l’être humain », c’est-à-dire l’ensemble des activités nécessaires à produire le travailleur, à faire en sorte qu’il/elle soit apte au travail dit productif au quotidien (travail domestique, prise en charge des enfants, mais aussi santé publique, éducation, etc.).</p>
<p>Cette critique du travail reproductif s’inscrit dans le cadre de travaux plus larges liant capitalisme et patriarcat, comme l’expliquent des autrices telles que <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/economies-populaires-et-luttes-feministes/">Verónica Gago</a>, <a href="https://www.librairie-des-femmes.fr/listeliv.php?base=paper&form_recherche_avancee=ok&auteurs=Silvia%20Federici">Silvia Federici</a> ou encore <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/feminisme_pour_les_99-9782348042881">Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya, Nancy Fraser</a>.</p>
<p>Si ces ouvrages féministes-marxistes ne sont qu’un point d’appui pour les militant·es, leur circulation va accompagner le <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2022-2-page-113.htm">regain d’intérêt pour la grève féministe</a> « qui réintègre alors les répertoires d’action collective de certaines parties du mouvement féministe » depuis quelques années.</p>
<p>Si en France les grèves ne sont pas aussi massives que dans d’autres pays comme l’Espagne ou l’Argentine, elles offrent la possibilité aux féministes de faire considérer la cause féministe comme un projet politique global qui vise à la transformation des rapports sociaux. En 2024, pour la première fois, <a href="https://www.grevefeministe.fr">au-delà d’une centaine de collectifs féministes</a> ce sont aussi huit organisations syndicales qui appellent ensemble à faire grève le <a href="https://solidaires.org/sinformer-et-agir/les-journaux-et-bulletins/solidaires-en-action/n-165/interprofessionnel-le-8-mars-cest-la-greve-feministe/">8 mars</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225226/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathilde Guellier a obtenu un contrat doctoral pour réaliser sa thèse en science politique au sein de l'Université Paris-Dauphine PSL. Dans le cadre de ses recherches, elle a réalisé une enquête ethnographique et a été notamment amenée à rencontrer des membres de la Coordination féministe et des militantes féministes.
</span></em></p>La grève féministe connaît un regain depuis la seconde moitié des années 2010, devenant l’une des revendications de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars.Mathilde Guellier, Doctorante en science politique, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239152024-03-07T16:19:29Z2024-03-07T16:19:29ZQuatre ans après le Covid, les régimes de télétravail restent moins favorables aux femmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/576509/original/file-20240219-28-vjcwtt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C1%2C695%2C482&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">46% des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35% des hommes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pickpik.com/digital-nomad-millenial-woman-working-remotely-cafe-blonde-78850">Pickpic</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Près de 4 ans après le début de la pandémie mondiale de Covid-19, au cours de laquelle le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/teletravail-34157">télétravail</a> s’est particulièrement développé, l’<a href="https://obstt.fr/wp-content/uploads/sites/47/2023/12/Dossier_Presse-Observatoire_Teletravail-Ugict-CGT.pdf">enquête</a> de l’Observatoire du télétravail de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, publiée le 6 décembre dernier, permet de dresser un état des lieux. Il en ressort notamment que les femmes se montrent particulièrement adeptes de cette forme de travail, alors même qu’elle se décline pour elles de manière moins favorable.</p>
<p>Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souhaiter télétravailler davantage. Rien d’étonnant, puisqu’en réduisant les temps de transport, le télétravail offre la perspective d’une meilleure articulation des temps professionnels et familiaux, dont la gestion repose principalement sur les femmes qui effectuent la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1303226/ES478E.pdf">majeure partie du travail domestique avant</a> comme <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6477736/01_ES536-37_Pailhe-et-al_FR.pdf">pendant la pandémie</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest-pas-pres-de-salleger-221659">« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger</a>
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<p>Mais cette aspiration des femmes au télétravail est également intimement liée aux conditions d’exercice de l’activité professionnelle en présentiel. Sur site, elles bénéficient en moyenne de <a href="https://www.cairn.info/revue-des-politiques-sociales-et-familiales-2023-4-page-15.htm?contenu=article">moins de libertés dans l’organisation de leur temps de travail</a>, pouvant moins souvent que les hommes modifier elles-mêmes leurs horaires ou s’absenter en cas d’imprévu, y compris à poste équivalent. Le télétravail leur promet ainsi une plus grande autonomie.</p>
<p>Enfin, dans la mesure où <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/synthese_stat__expositions_professionnelles__contraintes_organisationnelles__relationnelles.pdf">elles occupent plus souvent que les hommes des métiers en contact avec le public</a> et sont plus exposées à effectuer du <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_prix_des_sentiments-9782707188960">« travail émotionnel »</a> avec la clientèle ou les collègues, le télétravail peut leur apparaître plus encore qu’aux hommes comme un moyen de se ménager des plages de travail avec moins d’interruptions et plus de concentration. Les télétravailleuses sont d’ailleurs plus nombreuses que les télétravailleurs à considérer que cette forme de travail leur permet de gagner en efficacité et une meilleure productivité, tout en étant moins sensibles qu’eux aux éventuelles déperditions d’information.</p>
<p><iframe id="40PdP" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/40PdP/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Le télétravail, plus contraignant au féminin</h2>
<p>Plus désiré par les femmes, le télétravail reste paradoxalement plus contraignant au féminin qu’au masculin. Plusieurs raisons à cela : les femmes disposent d’abord de moins de latitude pour faire valoir leurs souhaits et contraintes dans la mise en place de leur télétravail. Les choix du nombre de jours de télétravail hebdomadaire et de leur répartition sur la semaine leur sont plus souvent imposés qu’aux hommes (24 % pour les femmes et 13 % pour les hommes).</p>
<p>Ensuite, durant une journée de télétravail, les femmes sont plus souvent contraintes de respecter des plages horaires fixes durant lesquelles elles sont joignables (53 % contre 41 % des hommes), quel que soit leur niveau hiérarchique. Elles peuvent dès lors moins facilement que les hommes profiter du télétravail pour s’organiser en adaptant leurs horaires (22 % n’en ont pas la possibilité contre 12 % des hommes). Les conséquences sur le rythme de travail leur sont par ailleurs plus défavorables avec un travail plus dense en télétravail – 46 % des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35 % des hommes.</p>
<p>A contrario, si la moitié des répondants (femmes comme hommes) déclarent profiter du temps gagné dans les transports pour le consacrer au repos et à leur famille, les hommes se démarquent en déclarant davantage que le télétravail leur permet de consacrer du temps à leurs loisirs (44 % des hommes pour seulement 28 % des femmes) et/ou de travailler plus (39 % des hommes contre 31 % des femmes).</p>
<p>Le télétravail se solde donc pour les femmes par des journées <a href="https://www.cairn.info/revue-germinal-2023-1-page-124.htm">pas forcément plus longues mais plus intenses</a>, d’autant plus qu’elles restent <a href="https://luttevirale.fr/wp-content/uploads/2020/05/RAPPORT-ENQUETE-UGICT-CGT-VFINALE.pdf">moins bien équipées</a> par leurs entreprises et qu’elles sont <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/5171e9d0f2d214774c44afc82353563a/Dares-Analyses_Teletravail-durant-crise-sanitaire-Partiques-Impacts.pdf">plus souvent concernées que les hommes par des difficultés techniques</a> qui rendent leur activité moins fluide et plus hachée (problèmes de connexion, de matériel, d’applications numériques).</p>
<p><iframe id="cKLM1" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/cKLM1/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Carence d’information</h2>
<p>Enfin, l’enquête de l’Observatoire du télétravail a pointé que les salariés sont trop rarement consultés lors de réorganisations des espaces de travail accompagnant la mise en place du télétravail (passage en « open space » ou en « flex office »).</p>
<p>Cette carence d’information s’observe également au niveau de l’organisation du travail. Un tiers seulement des salariés considèrent que la mise en place du télétravail a été décidée en concertation avec l’équipe. Les femmes semblent encore plus éloignées de ces prises de décisions : elles déclarent plus fréquemment que les hommes ne pas savoir comment le travail en équipe en distanciel a été organisé (28 % contre 21 % des hommes), ni si un dispositif de surveillance à distance de leur travail existe (47 % contre 39 %).</p>
<p>Les femmes sont donc à la fois plus contraintes par le télétravail et moins informées sur sa mise en place, ce qui témoigne de la place qu’elles occupent dans les politiques de télétravail des organisations.</p>
<h2>Le télétravail a souvent « mauvais genre »</h2>
<p>L’accès des femmes au télétravail reste relativement récent. Si elles télétravaillent aujourd’hui à même hauteur que les hommes et <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6966932/ip1941.pdf">même un peu plus</a>, pendant longtemps le télétravailleur type était un <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/938f3d78a355590d73f21b2976526f8f/2004-51.3.pdf">homme, cadre</a>, qui travaillait à distance de manière occasionnelle et le plus souvent informelle, dans des arrangements interpersonnels au cas par cas.</p>
<p>Avant la pandémie encore, le <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/dares_analyses_salaries_teletravail.pdf">télétravail occasionnel prédomine</a> sur le télétravail régulier : il reste l’apanage des cadres et demeure plus masculin. Il a fallu la crise sanitaire et la <a href="https://theconversation.com/teletravail-le-Covid-a-accelere-la-mise-en-place-de-formules-a-la-carte-174090">multiplication des accords de télétravail</a> pour que les femmes accèdent plus largement au télétravail, en particulier les femmes non-cadres, qui occupent des positions de professions intermédiaires ou d’employées dans des métiers de bureau.</p>
<p>Cette forte féminisation et cette relative démocratisation du télétravail ne se font pas sans heurts. Les <a href="https://www.cairn.info/le-travail-a-distance--9782348079481-page-203.htm">enquêtes ethnographiques</a> au long cours menées par l’une de nous montrent que les politiques de télétravail menées par les organisations ne sont pas neutres du point de vue du genre. Alors que le télétravail est en théorie destiné à toutes et tous, elles en dessinent des figures plus ou moins désirables et légitimes, marquées par des stéréotypes.</p>
<p>Dans un certain nombre d’organisations, le télétravail est mis en place à reculons, du fait d’obligations réglementaires ou de la crise sanitaire. Il est conçu comme une politique sociale très (trop) favorable aux salariés qui risque de peser sur la productivité. À bien y regarder, le soupçon pèse d’abord sur les femmes et les mères de famille, suspectées d’être peu engagées et de vouloir télétravailler le mercredi pour garder leurs enfants, d’autant plus lorsqu’elles occupent des postes à peu de responsabilités.</p>
<p>Dans ces organisations, les hommes hésitent plus à recourir à un dispositif qui a « mauvais genre », tandis que les femmes qui le font sont stigmatisées et restent très contrôlées, leur travail à distance étant attentivement scruté.</p>
<p>Dans d’autres organisations, une <a href="https://www.anact.fr/teletravail-les-enjeux">orientation plus organisationnelle est donnée au télétravail</a>, abordé au contraire comme un signal de modernité et une opportunité pour mettre en place de « nouveaux modes de travail ». La figure implicite du télétravailleur est plutôt celle du « bon manager », qui fait confiance à ses équipes et leur donne de l’autonomie.</p>
<p>Pour autant, cette figure, <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2007-1-page-79.htm?contenu=article">construite au « masculin-neutre »</a>, peine à se décliner aux échelons hiérarchiques inférieurs, structurellement plus féminisés. L’accès au télétravail y demeure souvent plus compliqué – on rechigne par exemple à accorder du télétravail aux assistantes, que l’on aime garder sous la main – et sa pratique peut là aussi être plus restreinte en termes de nombre de jours accordés ou de possibilités d’adapter ses horaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une enquête montre que, bien qu’apprécié par les salariées, ce mode de travail, à poste égal, les contraint davantage que les hommes.Gabrielle Schütz, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Céline Dumoulin, Ingénieure de recherche, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2247732024-03-07T16:19:17Z2024-03-07T16:19:17ZComment la réforme du lycée éloigne les filles des maths et des sciences<p>Le discours public met aujourd’hui l’accent sur la promotion des femmes dans les métiers scientifiques et techniques. Favoriser leur accès à ces voies prestigieuses est présenté comme un enjeu majeur, pour l’économie du pays comme pour l’égalité entre les femmes et les hommes.</p>
<p>Dans ce contexte, les effets de la <a href="https://www.ouest-france.fr/bac/bac-fin-des-series-un-grand-oral-et-du-controle-continu-partir-de-2021-5565067">réforme du lycée instaurée en 2019</a> posent question. Celle-ci qui a mis fin au système des séries générales de baccalauréat (voie scientifique, voie littéraire, voie économique) offrant une plus grande latitude dans la composition des programmes de première et terminale, à partir d’un socle commun et d’enseignements de spécialité. Cependant, cette organisation modulaire s’est accompagnée d’une chute massive des inscriptions dans les disciplines scientifiques au lycée, <a href="https://collectif-maths-sciences.fr/2022/10/04/reforme-du-lycee-vers-des-sciences-sans-filles-1-2/">qui touche particulièrement les filles</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-legalite-entre-les-sexes-nefface-t-elle-pas-les-segregations-dans-les-filieres-scientifiques-152272">Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface-t-elle pas les ségrégations dans les filières scientifiques ?</a>
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<p>Alors que la place des femmes a été déclarée <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/grande-cause-du-quinquennat-budget-consacre-legalite-entre-les-femmes-et-les-hommes">grande cause du quinquennat 2017-2022</a> et que les enjeux autour des sciences revêtent une dimension internationale, on observe en France un retournement d’ampleur inédite sur l’égalité d’accès aux sciences au lycée général, en contradiction avec les intentions affichées. C’est ce qui ressort quand on reconstruit les évolutions des effectifs des bacheliers et bachelières depuis 60 ans.</p>
<h2>Les sciences au baccalauréat, un enjeu de la Vᵉ République</h2>
<p>Le nombre d’élèves en formation scientifique est crucial au regard des compétences techniques et scientifiques nécessaires aux transitions environnementales, sociales et économiques du pays. La plupart des acteurs économiques <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/les-ecoles-d-ingenieurs-mobilisees-face-a-la-penurie-de-talents-dans-l-industrie.N2188593">font état de leurs difficultés à recruter</a> et demandent d’augmenter rapidement le nombre de personnes formées à un niveau Bac+5 dans ces domaines.</p>
<p>Analyser la situation actuelle nécessite de prendre en compte les profondes modifications du contexte scolaire de la V<sup>e</sup> République. Jusqu’au début des années 1960, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/baccalaureat-23150">baccalauréat</a> ne concerne qu’une petite partie de la population, surtout issue de la classe bourgeoise urbaine. Guidées par les différents plans de développement économique et social, les politiques éducatives d’alors vont <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-culture-de-masse-et-societe-de-classes-le-gout-de-lalterite-172438">ouvrir largement l’accès aux études secondaires et supérieures</a>.</p>
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<p><a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1965/09/10/les-changements-seront-tres-limites-en-1965-bull-classe-de-seconde-litteraire-sans-latin-bull-mathematiques-facultatives-pour-les-philosophes_3146226_1819218.html">La réforme Fouchet de 1965 du lycée général</a> supprime la sélection pour entrer en terminale et créé de nouvelles séries, dans lesquelles les volumes horaires de sciences et de mathématiques augmentent. On assiste à partir de la fin des années 1960 à une <a href="https://books.openedition.org/purh/1561">massification rapide de l’accès au bac général</a> : si celui-ci <a href="https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/8/EESR8_ES_08-les_evolutions_de_l_enseignement_superieur_depuis_50_ans_croissance_et_diversification.php">ne concerne que 11 % d’une classe d’âge en 1962, cette part s’élève à 18 % en 1975</a> et à près de 44 % en 2022.</p>
<h2>Le poids des sciences dans le bac général</h2>
<p>Dans l’étude que nous avons menée, on qualifie de bac « sciences » les cursus en terminale générale incluant au moins 12h hebdomadaires de sciences, dont 5h30 de mathématiques. Avant 1994, cela équivaut aux séries C, D et E puis, entre 1994 et 2019, à la série S et, depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000037208167">réforme de 2019</a> aux doublettes de spécialités maths/sciences (soit numérique et sciences informatiques (NSI), soit physique-chimie (PC), soit sciences de l’ingénieur (SI) ou encore sciences de la vie et de la terre (SVT)). Les parcours sans spécialité maths en terminale ne seront pas comptabilisés.</p>
<p>Nous reconstituons à partir des <a href="https://archives-statistiques-depp.education.gouv.fr/notes-dinformation.aspx">archives des données publiques</a> l’évolution des effectifs du bac sciences depuis 1962 pour la filière générale.</p>
<p>Après une forte croissance jusqu’en 2020, l’effectif chute de près de moitié depuis la réforme : il revient au niveau de 1988. Les bacheliers généraux étant moins nombreux en 1988, le poids relatif des sciences dans le bac général en 2022 est donc très inférieur à celui de 1988, comme nous l’illustrons ci-dessous :</p>
<p>Alors que le bac sciences constituait environ la moitié des bacs généraux entre 1962 et 2020, sa part chute à 27 % depuis la réforme. Même en comptabilisant l’ensemble des parcours sciences n’incluant que 3h de maths en option, cette part reste inférieure à 38 % en 2022.</p>
<p>Cette rupture marque une réduction inédite de la formation scientifique au lycée. Affirmer <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/discours-de-frederique-vidal-la-commission-culture-education-et-communication-du-senat-sur-la-lpr-45569">« l’importance vitale de la science pour notre pays »</a> et « en même temps » en réduire à ce point l’accès est paradoxal. Comment expliquer ce hiatus de la politique publique ? L’analyse de la composition des élèves concernés, en particulier selon le genre, permet d’en donner un éclairage.</p>
<h2>Filles et garçons : un inégal rapport aux sciences</h2>
<p>Créé en 1808 pour les garçons de l’élite bourgeoise auxquels les lycées sont alors réservés, le <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/10047-napoleon-cree-le-baccalaureat-premier-grade-universitaire">baccalauréat est la porte d’accès aux études supérieures</a>. Il ne deviendra accessible qu’en 1925 aux filles qui peuvent dès lors suivre les mêmes études que les garçons. Leur progression régulière dans les études secondaires aboutit à partir de 1968 à leur domination en nombre au baccalauréat général. Elles constituent actuellement environ 57 % de l’ensemble des bacheliers généraux, proportion stable depuis plusieurs décennies mais inégalement répartie selon les parcours.</p>
<p>Dans les parcours scientifiques, traditionnellement masculins, l’évolution des filles et des garçons montre leur progression régulière, avec un retard des filles sur les garçons qui se réduit peu à peu jusqu’en 2020. L’écart est alors le plus faible jamais atteint, signe d’un progrès notable pour l’égalité d’accès aux sciences entre les filles et les garçons :</p>
<p>Depuis la réforme de 2019, les effectifs scientifiques s’effondrent : la baisse est de 30 % pour les garçons et de 60 % pour les filles.</p>
<p>On représente sur le graphique ci-dessous l’évolution de la part du bac sciences selon le genre : il montre une relative stabilité entre 1962 et 2020 pour les filles et les garçons, avec une augmentation progressive de la part des bachelières scientifiques entre 1986 et 2020 :</p>
<p>La réforme de 2019 marque une rupture avec une baisse inédite du taux d’accès au bac sciences en 2022 tant pour les filles que les garçons, pour lesquels ce recul est moins marqué : les inégalités de genre se sont nettement aggravées depuis la réforme. C’est ce que montre ce graphique comparant la proportion des bacs sciences entre les garçons et les filles :</p>
<p>Si l’avantage a toujours été aux garçons, on constate un lent progrès vers l’égalité depuis 1986 et jusqu’en 2020. Après la réforme, en 2022, un garçon a 2,3 fois plus de chances qu’une fille d’avoir un bac « sciences », c’est l’inégalité la plus forte observée au cours de toute la V<sup>e</sup> République.</p>
<h2>Un recul inédit de l’égalité face aux sciences au lycée</h2>
<p>Le XX<sup>e</sup> siècle a permis l’ascension scolaire des filles <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047727?sommaire=6047805">qui sont désormais plus nombreuses que les garçons dans les études supérieures</a>. Pour autant, leur <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6960132">égalité économique ou sociale est loin d’être atteinte</a> encore aujourd’hui. Rappelons que, dans la société française, le droit d’une femme à ouvrir un compte bancaire ou à travailler sans l’accord d’un tuteur a moins de 60 ans. Autrement dit, le rôle de la femme tel qu’il est défini dans la société du XX<sup>e</sup> siècle limite son ascension sociale.</p>
<p>Un meilleur équilibre dans les <a href="https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-focus075.pdf">orientations vers les débouchés professionnels les mieux rémunérés</a>, dont celles vers les très masculines sciences et techniques, représente donc un enjeu de justice sociale. Le retour en arrière consécutif à la réforme de 2019 sur les progrès réalisés en ce sens au lycée général durant la V<sup>e</sup> République, nous place dans une situation sans précédent dans l’histoire contemporaine.</p>
<p>Une telle organisation au lycée n’aboutit finalement qu’à préserver une élite masculine dominante dans les parcours scientifiques au détriment de son accès à tous, dont les femmes.</p>
<p>Si la question du rapport des femmes aux sciences ne saurait se réduire à celle du bac, cette réforme, fondée sur un choix de « spécialités » sans garantir de socle de connaissances solides en mathématiques et en sciences, <a href="https://theconversation.com/pourquoi-si-peu-de-filles-en-mathematiques-222028">contraint leur orientation et devenir professionnel, diminuant fortement les chances d’une promotion sociale et économique</a>.</p>
<p>Dans la longue succession des réformes du lycée, celle de 2019 est unique par son impact massif sur l’affaiblissement des filières scientifiques et la parité. Le gouvernement en mesure-t-il la portée ? Cette étude montre que l’effet des multiples discours concernant l’égalité face aux sciences est négligeable par rapport à l’effet d’un changement de structure du système.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224773/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélanie Guenais est vice-présidente de la Société Mathématique de France et coordinatrice du Collectif Maths&Sciences. </span></em></p>Depuis la réforme du lycée de 2019, la proportion de filles suivant des cours de maths et de sciences jusqu’au baccalauréat a chuté. Le point sur une situation inédite.Mélanie Guenais, Maîtresse de conférences en mathématiques, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2230422024-03-06T16:08:29Z2024-03-06T16:08:29ZLa charge mentale masculine existe-t-elle vraiment ?<p>La charge mentale des hommes – en particulier des pères de famille – est-elle une réalité ? Ces dernières semaines, cette question a fait les titres de plusieurs magazines tels que <em>Le Figaro</em> et <em>Le Point</em>, évoquant cette <a href="https://www.lefigaro.fr/decideurs/management/la-charge-mentale-des-peres-de-famille-ce-sujet-tabou-dont-on-ne-parle-qu-en-coulisses-20240114">« réalité taboue »</a> de notre époque, particulièrement décuplée chez les <a href="https://www.lepoint.fr/societe/la-charge-mentale-des-hommes-existe-t-elle-21-01-2024-2550293_23.php">classes moyennes et supérieures</a> à la suite du premier confinement. Si les sondages menés par Ipsos mettent en exergue la présence d’une charge mentale excessive chez <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/charge-mentale-8-femmes-sur-10-seraient-concernees">14 % des hommes en 2018</a>, ils soulignent que ce taux reste de 9 points plus élevé chez les femmes.</p>
<p>Les travaux de la sociologue <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1984_num_26_3_2072">Monique Haicault</a> explorent dès 1984 l’idée d’une <a href="https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest-pas-pres-de-salleger-221659">charge mentale</a> liée à la double charge de travail – salarié et domestique – pour les femmes au sein du couple hétérosexuel. La charge mentale est une notion qui n’englobe pas simplement l’exécution pratique des tâches domestiques, telles que faire le ménage, préparer les repas, ou s’occuper des enfants. Elle prend aussi en compte <a href="https://theconversation.com/charge-mentale-au-travail-comment-la-detecter-et-la-combattre-89329">le travail d’organisation</a> et de coordination de ces tâches, nécessaire à la vie du foyer, ainsi que la responsabilité de leur réalisation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/charge-mentale-comment-eviter-une-surchauffe-du-cerveau-222843">Charge mentale : comment éviter une surchauffe du cerveau ?</a>
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<p>Alors que dans la sphère salariée, penser l’organisation du travail est valorisé économiquement et symboliquement, puisque relevant de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1467-6486.00149">l’activité de management</a>, au foyer, la charge mentale demeure invisible, non rémunérée et <a href="https://hal.science/hal-02881589">supposée naturelle pour les femmes</a>.</p>
<p>Cependant, depuis 2017 et le mouvement #MeToo, déclencheur d’une résurgence des combats féministes, la notion de charge mentale, autrefois réservée au cercle universitaire, a fait son apparition dans la sphère publique. Les travaux de la dessinatrice <a href="https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/">Emma</a> ont joué un rôle crucial dans sa diffusion, grâce à une bande dessinée virale sur les réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/BssNQ_Ngh9M/?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>« Je fais largement mes 50 % »</h2>
<p>Cette mise en lumière de la charge mentale des femmes a suscité une réaction importante de la part des hommes, inquiets que leur contribution à l’organisation du foyer ne soit pas reconnue à sa juste valeur. Parmi les commentaires sous la BD d’Emma, <a href="https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/">sur son site</a>, on peut par exemple lire :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne faudrait pas faire croire non plus que les femmes seraient les seules à subir une charge mentale. »</p>
</blockquote>
<p>De la même façon, dans une recherche en cours <a href="https://theconversation.com/profiles/edwige-nortier-1503170">d’une des autrices</a>, l’idée d’un partage de la gestion du travail domestique est revendiquée par les pères interrogés. L’un d’eux affirme ainsi qu’il « fait largement [ses] 50 % », et défend être à domicile à 18h30 « pour relayer » son épouse en prenant notamment en charge les devoirs, avant de « retourner bosser » pendant que sa femme gère le repas et le coucher. Plus largement, divers témoignages d’hommes dans la <a href="https://www.lefigaro.fr/sciences/qui-sont-les-nouveaux-peres-20230725">presse</a> semblent indiquer une volonté d’implication croissante des pères dans les tâches du foyer. Cette évolution s’inscrit notamment dans le cadre de la flexibilisation du travail pendant la crise sanitaire, ainsi que les réformes récentes du congé paternité (actuellement de 25 jours en France depuis juillet 2021).</p>
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<h2>Une amélioration grâce aux confinements ?</h2>
<p>Il semblerait toutefois que la réalité soit <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">plus contrastée</a> que les discours des hommes sur leur implication dans le foyer. Les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281050?sommaire=2118074">dernières données</a> relevées par l’Insee en 2010 montraient que les femmes consacraient en moyenne 3h26 de leur journée aux tâches domestiques, contre 2h pour les hommes. Si leur mise à jour n’a lieu qu’en 2025, des études intermédiaires, notamment lors des confinements de 2020, soulignent que les femmes continuent d’assumer <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797670?sommaire=4928952#titre-bloc-29">l’essentiel des tâches domestiques et parentales</a>. Dans ce contexte de <a href="https://theconversation.com/pour-les-femmes-la-flexibilite-des-horaires-de-travail-se-paye-au-prix-fort-143702">télétravail</a> imposé, le changement de répartition du travail domestique n’a été que très marginal. Il s’est fait principalement <a href="https://blog.insee.fr/sur-les-taches-domestiques-l-homme-est-remplacant/">autour des courses</a> – qui, il faut le rappeler, étaient à ce moment-là un des rares moyens de sortir du domicile. Ainsi, en <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797670?sommaire=4928952#titre-bloc-29">mai 2020</a>, alors que plus de la moitié des femmes déclaraient consacrer minimum 2h aux tâches domestiques chaque jour, les hommes n’étaient que 28 %. De même pour le temps quotidien consacré aux enfants : 58 % des femmes déclaraient y consacrer au minimum 4h pour seulement 43 % des hommes.</p>
<p>Par ailleurs, l’utilisation accrue d’outils tels que les calendriers ou les <em>to-do</em> listes pour se répartir les tâches pendant cette période a en fait maintenu la charge mentale <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/AAAJ-08-2020-4880/full/html">sur les femmes</a>. Dans la même lignée, une <a href="https://academic.oup.com/sf/advance-article-abstract/doi/10.1093/sf/soad125/7301284">étude menée sur 10 ans</a>, montre que même lorsque les hommes bénéficient d’horaires aménagés, ils ne prennent pas plus en charge les responsabilités familiales au sein des couples hétérosexuels.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1iGtH2e_ifM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Le congé paternité : facteur de changement ?</h2>
<p>Le congé paternité cristallise tout particulièrement ce déséquilibre de charge mentale. L’une de nos études montre que les hommes auraient tendance à <a href="https://publications.aaahq.org/accounting-horizons/article-abstract/doi/10.2308/HORIZONS-2022-099/11576/Men-s-Experiences-of-Paternity-Leaves-in">organiser ce congé</a> non pas autour de la naissance de leurs enfants mais autour de leurs obligations professionnelles. L’un des hommes interrogés dans cette recherche explique avoir coupé son congé en deux pour pouvoir :</p>
<blockquote>
<p>« prendre une période plus longue sans que ça impacte trop [son] activité [professionnelle] ».</p>
</blockquote>
<p>Sa femme avait une vision différente : pour elle, le congé paternité ne devrait pas être « un gros break à Noël » mais un temps pour être présent dans l’éducation des enfants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest-pas-pres-de-salleger-221659">« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger</a>
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<p>Ces stratégies opérées par les hommes peuvent s’expliquer en partie par une culture du lieu de travail et par des contraintes professionnelles qui <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0003122414564008">n’encouragent pas la prise complète du congé</a> lors de la venue d’un enfant, mais aussi par la crainte d’être stigmatisé par ce choix. De nombreux hommes perçoivent encore le congé paternité comme un heurt à leur carrière, et certains managers tentent même parfois de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gwao.12904">dissuader leurs collègues</a> d’y avoir recours alors qu’ils en ont eux-mêmes bénéficié.</p>
<p>Le lieu de travail est pensé et organisé pour et par les « joueurs masculins » qui ont « créé les règles du jeu » pour reprendre la métaphore des sociologues <a href="https://doi.org/10.1177/017084069201300107.">Alvesson et Billing</a>. Dans ce contexte, tout écart par rapport aux attentes traditionnelles de genre est perçu comme un risque pour les employés – ce qui met en lumière la rigidité des rôles de genre au sein des espaces de travail.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-travail-invisible-une-lutte-sans-fin-pour-les-femmes-203284">Le travail invisible, une lutte sans fin pour les femmes</a>
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<h2>De quelle charge mentale parle-t-on ?</h2>
<p>L’exemple du congé paternité met en évidence un décalage notable entre la définition académique de « charge mentale » chez les femmes, et son emploi dans les discours publics pour caractériser l’expérience des hommes. L’<a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/charge-mentale-8-femmes-sur-10-seraient-concernees">étude Ipsos</a> de 2018 permet déjà de souligner cette distinction. Celle-ci indique que pour une femme sur deux l’apparition de la charge mentale est liée à l’arrivée d’un enfant, alors qu’un homme sur deux l’associe à l’entrée dans la vie active.</p>
<p>En 2024, en France, <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">70 % des hommes</a> estiment encore qu’ils doivent être le soutien financier de leur famille pour être valorisés socialement. La sphère professionnelle prime ainsi dans les activités des hommes, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1097184X01004001001">même quand ils deviennent pères</a>. Leur « charge mentale » reste majoritairement pensée dans la continuité d’un rôle de « breadwinner » (principal pourvoyeur de revenus pour la famille).</p>
<p>Pourtant, la proportion de ménages où les deux partenaires subviennent également aux besoins du foyer ou de ménages où la femme est la principale « breadwinner » est en <a href="https://www.demographic-research.org/articles/volume/35/41/">augmentation</a> dans de nombreux pays d’Europe. En France, cette dernière catégorie représente un <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/are-female-breadwinner-couples-always-less-stable/">couple sur quatre</a> en 2017, contre un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281400">couple sur cinq</a> en 2002.</p>
<p>Cette augmentation ne s’accompagne néanmoins pas forcément d’un changement significatif de répartition des tâches ménagères et des soins aux enfants. Dans une étude menée par la sociologue <a href="https://www.unine.ch/socio/home/collaborateurs/nuria-sanchez.html">Núria Sánchez-Mira</a> en 2016 en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/gwao.12775">Espagne</a>, lorsque la femme devient « breadwinner » pour son foyer, aucun des couples étudiés n’atteint une répartition équitable. La participation des hommes n’augmente donc que de manière limitée, et la séparation genrée des tâches persiste. Par ailleurs, cette recherche espagnole souligne que les discours et la réalité autour de cette séparation diffèrent :</p>
<blockquote>
<p>« Si l’on compare les récits des hommes à ceux de leurs partenaires, on constate dans certains cas une surestimation de leur contribution réelle. Les hommes semblent se livrer à un exercice d’ajustement de la réalité pour correspondre à un discours politiquement correct de co-responsabilité dans les tâches ménagères et les soins aux enfants ».</p>
</blockquote>
<h2>Charge mentale : les hommes font-ils une crise ?</h2>
<p>Le discours autour de la charge mentale des hommes s’inscrit dans une expression plus large d’une <a href="https://theconversation.com/la-crise-de-la-masculinite-ou-la-revanche-du-male-96194">« crise de la masculinité »</a>, c’est-à-dire le sentiment qu’il serait <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">difficile d’être homme</a> dans la société actuelle du fait d’une remise en cause des rôles genrés traditionnels, particulièrement depuis 2017 et le mouvement #MeToo. De fait, en 2024, 37 % des hommes disent considérer que le féminisme menace leur place et leur rôle, et qu’ils sont en train de perdre le pouvoir. Le HCE souligne que <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">ces résultats</a> indiquent un retour préoccupant des injonctions conservatrices qui réassignent les femmes à la sphère domestique.</p>
<p>Comme l’explique le professeur de sciences politiques <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/la-crise-de-la-masculinite-francis-dupuis-deri/9782757892268">Francis Dupuis-Déri</a>, cette notion de crise de la masculinité n’est pas récente. Elle est régulièrement invoquée pour expliquer et justifier l’(in) action des hommes et les inégalités de genre. Il souligne que cette idée relève du mythe plus que de la réalité empirique :</p>
<blockquote>
<p>« Les hommes ne [seraient] pas en crise, ils [feraient] des crises quand les femmes refusent le rôle […] qui leur est assigné. »</p>
</blockquote>
<p>Le débat sur la « charge mentale » des hommes peut être considéré comme une marque de la « crise » en cours, signalant une résistance aux luttes féministes. En effet, elle relève d’une tentative de symétriser dans le discours l’implication des femmes et des hommes au foyer. Cela invisibilise la permanence d’une <a href="https://theconversation.com/inegalites-femmes-hommes-tout-ce-que-les-chiffres-ne-nous-disent-pas-171040">inégale répartition du travail domestique</a>.</p>
<p>Il est bien sûr important de reconnaître que les hommes <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1303232?sommaire=1303240">s’impliquent davantage</a> dans le foyer depuis ces 25 dernières années, notamment sur l’éducation des enfants. Toutefois, dans le contexte actuel, la notion de « charge mentale des hommes » relève d’une subversion du concept originel aux dépens de sa politisation féministe initiale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223042/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Certains articles soulignent que, comme les femmes, les hommes ressentiraient une charge mentale. Est-ce vraiment le cas ? De quelle charge mentale parle-t-on ?Edwige Nortier, Assistant Professor Comptabilité, Contrôle, Audit, EM Lyon Business SchoolElise Lobbedez, Lecturer (assistant professor), University of EssexJuliette Cermeno, Docteure en sciences de gestion - théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2231092024-03-05T16:01:10Z2024-03-05T16:01:10ZLes scientifiques héroïnes de fiction influencent-elles les choix d’orientation des adolescentes ?<p>Les filles n’auraient-elles que peu d’intérêt pour les sciences ? C’est ce que pourrait laisser penser <a href="https://www.education.gouv.fr/filles-et-garcons-sur-le-chemin-de-l-egalite-de-l-ecole-l-enseignement-superieur-edition-2023-357695">leur sous-représentation persistante dans les filières et professions dédiées à ces disciplines</a>. Pourtant, les <a href="https://www.autrement.com/la-bosse-des-maths-nexiste-pas/9782746755734">recherches</a> en sociologie montrent que ce n’est pas faute de goût ou d’aptitudes qu’elles sont <a href="https://www-cairn-info.srvext.uco.fr/revue-francaise-de-pedagogie-2021-3-page-109.htm">relativement absentes de ces domaines</a>.</p>
<p>Une explication se situerait plutôt du côté des normes sociales qui influencent les filles dans leurs choix. Si la famille et l’école jouent un rôle important dans l’incorporation de ces normes, la culture, par les représentations et les modèles qu’elle véhicule, contribue à structurer le rapport que les adolescentes ont aux sciences et à influencer leurs choix d’orientation. C’est ce que montrent les résultats de l’<a href="https://www.lecturejeunesse.org/wp-content/uploads/2023/09/LJ_Filles-et-Sciences.pdf">enquête initiée et encadrée par l’association Lecture Jeunesse</a>, soutenue par le ministère de la Culture.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/miss-france-ambassadrice-des-maths-aupres-des-filles-220298">Miss France, ambassadrice des maths auprès des filles ?</a>
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<p>En enquêtant auprès de 45 lycéennes amatrices de mathématiques, nous avons cherché à répondre aux questions suivantes : quels contenus culturels les filles qui aiment les sciences consomment-elles ? Quel rapport ont-elles à ces contenus et comment ceux-ci façonnent leurs représentations des sciences ? Existe-t-il des <em>role models</em> féminins, réels ou fictifs, qui inspirent et encouragent ces filles à s’engager dans des voies scientifiques ?</p>
<p>Dans le cadre de cette recherche, le terme « science » désigne l’ensemble des disciplines relevant des sciences formelles, de la matière et de la vie, par opposition aux sciences humaines et sociales. L’enquête examine l’ensemble des supports culturels (contenus écrits et audiovisuels, musées, jeux, pratiques amateurs, etc.) qui diffusent les sciences, ensemble désigné sous le terme de culture scientifique.</p>
<h2>Les loisirs scientifiques, une pratique minoritaire chez les adolescentes</h2>
<p>La culture scientifique des lycéennes est peu développée : sur les 45 filles interrogées, seules neuf déclarent avoir des loisirs scientifiques réguliers. L’influence de l’origine sociale sur ces activités est notable : les filles issues des milieux favorisés les plus dotées en capital économique et culturel sont plus susceptibles d’avoir des loisirs scientifiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-si-peu-de-filles-en-mathematiques-222028">Pourquoi si peu de filles en mathématiques ?</a>
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<p>L’étude révèle en outre que, si goût des lettres et goût des sciences ne sont pas incompatibles, les lectures d’ouvrages scientifiques demeurent rares. En effet, alors que les trois-quarts des filles disent aimer lire et y consacrer du temps, seulement cinq d’entre elles lisent des ouvrages de sciences. Les lectures scientifiques sont donc minoritaires, même chez les grandes lectrices.</p>
<p>Invitées à chercher les sciences dans tous les livres, films ou séries qu’elles connaissent, les filles identifient quelques titres (films de science-fiction, biopics de scientifique, séries, <em>animes</em>, etc.) qu’elles associent à la thématique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578313/original/file-20240227-28-7ak5sq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578313/original/file-20240227-28-7ak5sq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=194&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578313/original/file-20240227-28-7ak5sq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=194&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578313/original/file-20240227-28-7ak5sq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=194&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578313/original/file-20240227-28-7ak5sq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=244&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578313/original/file-20240227-28-7ak5sq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=244&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578313/original/file-20240227-28-7ak5sq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=244&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Quelques exemples de titres que les filles associent aux science.</span>
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<p>Les adolescentes sont néanmoins peu attachées à ces contenus qu’elles ne regardent qu’occasionnellement. Elles ne les envisagent pas comme des supports d’apprentissage des sciences, ce qui contraste avec l’usage didactique qu’en font les garçons qui, comme l’a montré le chercheur David Peyron, <a href="https://davidpeyron.wordpress.com/textes-et-extraits/science-fiction-et-etudes-scientifiques-comment-les-amateurs-justifient-ils-les-liens-entre-pratiques-culturelles-et-etudes-menees/">perçoivent « le monde imaginaire comme lieu d’expérimentation des savoirs »</a>.</p>
<p>Enfin, lorsque les adolescentes apprécient ces contenus, c’est rarement en raison de leur dimension scientifique. <em>Les figures de l’ombre</em>, qui relate l’histoire de trois femmes ingénieures afro-américaines travaillant pour la NASA, est par exemple le « film préféré » de l’une des adolescentes interrogées. Or, cette dernière précise bien que son intérêt pour le film n’est pas dû à sa dimension scientifique :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que ça me plait aussi beaucoup parce qu’il y a un rapport avec la société : c’est des femmes noires, c’est un combat… c’est pas juste des sciences. J’pense qu’un film ou un livre juste sur les sciences… je ne sais pas si ça me suffirait. »</p>
</blockquote>
<h2>La mise à distance des loisirs scientifiques alimente un sentiment d’incompétence en sciences</h2>
<p>Pour la plupart des adolescentes, tout ce qui touche aux sciences relève du travail scolaire et n’est pas perçu comme une source possible de divertissement. Certaines filles rejettent même avec véhémence l’idée d’avoir une passion extrascolaire pour les sciences.</p>
<p>À travers ce rejet se joue une mise à distance de la figure repoussoir du <em>geek</em> « qui aime les maths, les mangas et les jeux vidéo » et qui consacre son temps libre aux sciences. Pour les filles, situer les sciences hors du champ des loisirs revient ainsi à rejeter l’assignation au masculin qui accompagne l’investissement des sciences.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578323/original/file-20240227-22-df6sw8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578323/original/file-20240227-22-df6sw8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578323/original/file-20240227-22-df6sw8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578323/original/file-20240227-22-df6sw8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578323/original/file-20240227-22-df6sw8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578323/original/file-20240227-22-df6sw8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578323/original/file-20240227-22-df6sw8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Echange issu des entretiens qualitatifs menés dans le cadre de l’enquête de Lecture Jeunesse.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Cette mise à distance empêche la naissance d’un sentiment de familiarité avec les sciences qui nourrit la confiance en soi dans ces disciplines. Par ailleurs, la culture scientifique est un attendu implicite des filières académiques puis des milieux professionnels scientifiques. La méconnaissance de certaines références culturelles scientifiques est perçue comme un manquement et exclut les filles des dynamiques de groupe dans ces environnements.</p>
<p>Au bout de compte, cela alimente chez les filles le sentiment que leur travail ne fera jamais le poids contre la culture accumulée des garçons, et conduit en parallèle leurs camarades et collègues masculins à les juger incompétentes.</p>
<h2>Investir le pouvoir incluant de la culture à travers les « role models » féminins</h2>
<p>À travers les mécanismes d’identification qu’ils permettent, les objets culturels ont le pouvoir d’inspirer les jeunes filles en leur proposant des modèles féminins. Or, dans son état actuel, la culture scientifique est excluante : les femmes y sont invisibilisées ou représentées de façon stéréotypée.</p>
<p>Les rares représentations de femmes scientifiques sont en outre souvent contreproductives. Figures trop impressionnantes pour susciter l’identification, femmes dotées d’un don inné pour les sciences ou ayant dû faire face à l’adversité pour suivre leur vocation : les représentations féminines dans l’offre culturelle contemporaine véhiculent l’idée que les femmes scientifiques ne peuvent pas être des femmes ordinaires et heureuses.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578326/original/file-20240227-24-ip7gt2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578326/original/file-20240227-24-ip7gt2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578326/original/file-20240227-24-ip7gt2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578326/original/file-20240227-24-ip7gt2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578326/original/file-20240227-24-ip7gt2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578326/original/file-20240227-24-ip7gt2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578326/original/file-20240227-24-ip7gt2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Exemples de figures féminines contreproductives.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La création de modèles de proximité est donc fondamentale : les adolescentes ont besoin de rencontrer des femmes scientifiques ordinaires et accessibles. Le rôle majeur que peut jouer la fiction est encore insuffisamment investi : les modèles féminins efficaces pour donner aux filles l’envie de s’engager vers les sciences sont encore à inventer.</p>
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<p><em>Cet article a été co-écrit par Clémence Perronnet, Lydie Laroque et Aurore Mantel (de l’association <a href="https://www.lecturejeunesse.org/">Lecture Jeunesse</a>).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223109/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clémence Perronnet a reçu pour cette étude une bourse de La Chaire Femmes et Sciences, Paris-Dauphine PSL Université (en partenariat avec la Fondation L’Oréal, La Poste, Generali France, Safran et Talan).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lydie Laroque est membre du laboratoire EMA et du comité scientifique de Lecture Jeunesse</span></em></p>Existe-t-il des « role models » féminins, réels ou fictifs, qui inspirent et encouragent ces filles à s’engager dans des voies scientifiques ?Clémence Perronnet, Chercheuse en sociologie à l'Agence Phare rattachée au Centre Max Weber (UMR 5283), ENS de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241042024-03-03T16:01:18Z2024-03-03T16:01:18ZL’héritage de Barbara Strozzi, compositrice et interprète vénitienne, quatre siècles plus tard<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577047/original/file-20240122-59268-92rxq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C26%2C1254%2C807&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Barbara Strozzi peint par Bernardo Strozzi vers 1630.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bernardo_Strozzi_001.jpg">Gemäldegalerie Alte Meister</a></span></figcaption></figure><p>Dans la Venise du XVII<sup>e</sup> siècle, les femmes n’avaient qu’un accès limité à l’éducation et à l’enseignement musical. Le monde l’interprétation et de la composition musicale était dominées par les hommes, et la participation active des femmes y était inhabituelle.</p>
<p>Mais l’une d’entre elles a défié cette norme et <a href="https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=7165002">excellé en tant que chanteuse et compositrice</a>, surmontant la résistance et la désapprobation sociale associées à celles qui cherchaient à faire une carrière musicale.</p>
<p>Barbara Strozzi est née le 6 août 1619 à Venise, où elle a réussi à s’imposer comme l’une des principales compositrices et chanteuses de la période baroque. Son enfance et sa formation sont entourées de mystère, et ses débuts ont été marqués par des circonstances particulières. Barbara était la fille illégitime de <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Giulio_Strozzi">Giulio Strozzi</a>, un poète et librettiste vénitien qui, plutôt que de dissimuler son origine, l’a reconnue et éduquée avec ses trois enfants légitimes.</p>
<p>Giulio Strozzi a ainsi défié les conventions sociales en offrant à Barbara une éducation solide. Il lui donne accès à la bibliothèque familiale et lui permet de participer à la vie culturelle et artistique qui fleurit à Venise au XVII<sup>e</sup> siècle. La ville était un lieu crucial pour la musique baroque, et Barbara Strozzi a eu l’occasion, dès son enfance, de s’imprégner de la riche tradition musicale locale.</p>
<p>Son éducation musicale a été renforcée par la tutelle du compositeur <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Francesco_Cavalli">Francesco Cavalli</a>, un musicien influent de l’époque. Cavalli travaillait à Saint-Marc, la célèbre basilique de Venise, et c’est là qu’il a donné à Barbara des cours de composition et de chant. Ce soutien a été fondamental pour son développement artistique et la consolidation de ses compétences musicales.</p>
<h2>Une œuvre unique en son genre</h2>
<p>Grâce à cette excellente formation, Barbara Strozzi est devenue une chanteuse et une compositrice douée, reconnue pour ses capacités exceptionnelles. Sa musique, essentiellement vocale, couvre une grande variété de genres, des arias lyriques aux <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Madrigal_(m%C3%BAsica)">madrigaux</a> et aux cantates. Ses compositions se caractérisent par leur expressivité, leur originalité et leur complexité technique, et témoignent de sa maîtrise de la forme musicale et de sa grande capacité à explorer les émotions.</p>
<p>En tant que soprano, elle a interprété elle-même un grand nombre de ses compositions, ce qui a ajouté une dimension unique à son œuvre. Ses talents de chanteuse ont influencé sa façon de concevoir et d’écrire la musique vocale, et l’accent mis sur l’expressivité vocale est devenu la marque de son style.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Page de titre d’une composition de Barbara Strozzi : Placeres de Euterpe : cantatas and arietas for solo voice, seventh opera" src="https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Diporti di Euterpe</em> : Cantates et Ariettes pour voix seule, op.7, par Barbara Strozzi.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.loc.gov/resource/music.musihas-200154784/?sp=5&r=-0.308,-0.009,1.634,0.781,0">Library of Congress</a></span>
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<p>Outre ses compétences techniques, Barbara Strozzi s’est également distinguée par sa capacité à fusionner des éléments de la tradition musicale italienne avec des éléments originaux. Ses compositions étaient novatrices et reflétaient l’influence de compositeurs contemporains, tout en conservant une identité unique : elle était capable de capturer l’essence de la période baroque tout en marquant de son empreinte le paysage musical de l’époque.</p>
<h2>Une musique novatrice</h2>
<p>Malgré ses indéniables compétences, elle a affronté de nombreuses difficultés. Comme l’explique Sandra Soler Campo dans <a href="https://dialnet.unirioja.es/servlet/libro?codigo=777469"><em>Women Musicians : Difficulties, Advances and Goals to Achieve in the 21st Century</em></a>, les restrictions liées au genre ont empêché, au fil de l’histoire, l’accès des femmes à l’éducation musicale, leur participation à la sphère professionnelle de la musique et la publication des œuvres qu’elles composaient.</p>
<p>L’un des aspects les plus remarquables de la contribution de Barbara Strozzi est sans aucun doute sa capacité à se frayer un chemin dans un monde musical dominé par les hommes.</p>
<p>Elle a également dû surmonter les stéréotypes associés aux femmes dans le monde artistique, la tendance de l’époque étant de lier la créativité artistique à la masculinité. Cela engendrait de la méfiance et du scepticisme à l’égard des femmes qui excellaient dans des domaines tels que la musique. C’est dans la sphère privée que les femmes étaient socialement censées s’épanouir, ce que Barbara Strozzi n’a jamais voulu assumer.</p>
<p>Contrairement à de nombreuses femmes de son époque, et grâce à ses compétences et à sa détermination, elle est parvenue à publier huit recueils de musique. Cela lui a permis d’asseoir sa notoriété, car ses compositions étaient novatrices et expressives. Grâce à ces publications, nous pouvons toujours interpréter et écouter son œuvre très personnelle et originale, tant au niveau des textes et des thèmes que de la musique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1F458aC_FUM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Une figure de référence</h2>
<p>Outre sa carrière musicale, Barbara Strozzi était connue pour sa beauté ; elle fut la muse de plusieurs poètes et artistes de l’époque. Cette dualité entre son talent musical et son pouvoir de séduction contribue à en faire une figure singulière. Sa vie et son œuvre ont inspiré les générations suivantes, ouvrant la voie à l’excellence des femmes dans un domaine historiquement dominé par les hommes.</p>
<p>Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des œuvres de Barbara Strozzi programmées dans des concerts de musique ancienne. En 2019, à l’occasion du 400<sup>e</sup> anniversaire de sa naissance, l’autrice Mar Busquets-Mataix a publié le roman <a href="https://olelibros.com/comprar-libros/narrativa/mujeres-sin-limites/la-voz-y-el-agua-mar-busquets/"><em>La voz y el agua</em></a>, qui met en lumière sa valeur musicale en tant que chanteuse et compositrice, mais aussi son courage et le caractère visionnaire de son personnage.</p>
<p>Il ne fait aucun doute que Barbara Strozzi a laissé une trace indélébile dans l’histoire de la musique baroque.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Las personas firmantes no son asalariadas, ni consultoras, ni poseen acciones, ni reciben financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y han declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado anteriormente.</span></em></p>Barbara Strozzi, compositrice et chanteuse de la période baroque, est connue pour ses compositions novatrices, sa virtuosité vocale et sa capacité à défier les barrières de genre.Sandra Soler Campo, Profesora de didáctica musical, Universitat de BarcelonaElia Saneleuterio Temporal, Profesora del Departamento de Didáctica de la Lengua y la Literatura, Universitat de ValènciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2229372024-02-29T16:25:15Z2024-02-29T16:25:15ZCinéma, littérature… est-ce la fin du mythe de Pygmalion ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578849/original/file-20240229-24-x4zlap.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=246%2C53%2C1644%2C1176&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans « Pauvres créatures », Bella inverse les rôles.</span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p>L’intervention de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=JFRAmKjRAB8">Judith Godrèche lors de la dernière cérémonie des Césars</a> nous a rappelé que la « femme enfant » que l’homme rêve de modeler est un sujet puissant de fantasmes masculins, qui a emmené beaucoup de « petits chaperons rouges », comme elle dit, vers la désolation.</p>
<p>La création d’une femme idéale par des hommes est aussi au cœur du film
<em>Pauvres créatures</em>, lion d’or à la Mostra de Venise, 11 fois nominé aux oscars. Il est adapté du roman de science-fiction de <a href="https://theconversation.com/pauvres-creatures-connaissez-vous-alasdair-gray-lauteur-du-roman-dont-le-film-est-tire-221639">l’écossais Alasdair Gray</a>. Le réalisateur Yorgos Lanthimos y évoque le fantasme de la création de la « femme idéale » en mêlant réalisme et onirisme, à l’instar de Buñuel, qu’il admire. L’héroïne Bella Baxter, interprétée magistralement par Emma Stone, éblouit avec ses <a href="https://www.vogue.fr/galerie/costumes-emma-stone-pauvres-creatures-interview">fabuleux costumes signés Holly Waddington</a>.</p>
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<p>La jeune femme est ramenée à la vie par le Dr Godwin Baxter, dit « God » (Willem Dafoe), « dieu » aux allures de Frankenstein, qui a récupéré son corps après qu’elle se soit jetée d’un pont, enceinte, puis lui a greffé le cerveau de son propre bébé. Son « créateur » comme son disciple, le Dr Max McCandles (Ramy Youssef) suivent amoureusement ses progrès fulgurants jusqu’à ce qu’elle s’enfuie avec un séducteur, Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo).</p>
<p>Alors commence son odyssée européenne, un <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2007-5-page-58.htm">« grand tour » de formation</a>, une tradition chez les aristocrates anglais du XVI<sup>e</sup> au XVIII<sup>e</sup> siècles.</p>
<p>Ce film nous plonge dans une nouvelle version de Pygmalion, mythe qui n’en finit pas d’inspirer la littérature comme le <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/02/23/la-jeune-fille-au-cinema-ou-les-ravages-d-un-mythe_6218004_4500055.html">cinéma, avec une influence telle, qu’il sert même de justification dans les défenses des réalisateurs accusés d’emprise sur mineures</a>,</p>
<h2>« Et l’homme créa la femme »</h2>
<p>Pygmalion, dans <em>Les Métamorphoses</em> d’Ovide (243-297), est un sculpteur chypriote qui tombe amoureux de la statue qu’il a créée, Galatée,à laquelle Aphrodite donne vie. Pygmalion s’est désintéressé des femmes chypriotes, les Propétides, qu’il juge impudiques, trop libres. Elles sont associées <a href="https://theconversation.com/comment-les-sorcieres-sont-devenues-des-icones-feministes-216284">à des sorcières</a>, ou des prostituées, par opposition à la pureté et la fidélité de la création idéalisée de l’homme : Galatée.</p>
<blockquote>
<p>« Parce que Pygmalion avait vu ces femmes passer leur vie dans le crime, outré par ces vices dont la nature a doté en très grand nombre l’esprit féminin, célibataire, il vivait sans épouse, et depuis longtemps, il lui manquait une compagne pour partager sa couche.</p>
<p>Dans le même temps, il sculpta avec bonheur l’ivoire immaculé avec un art remarquable et donna corps à une beauté à nulle autre pareille ; il conçut de l’amour pour son œuvre. En effet, celle-ci a l’apparence d’une vraie jeune fille que l’on croirait vivante et si la pudeur ne s’y opposait, prête à bouger ; tant l’art s’efface à force d’art. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean-Léon Gérôme, Pygmalion et Galatée, vers1890.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Jean-L%C3%A9on_G%C3%A9r%C3%B4me,_Pygmalion_and_Galatea,_ca._1890.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Au fil de l’histoire, sculpteurs, peintres, auteurs, puis cinéastes se sont emparés du mythe.</p>
<p>L’amour narcissique de l’artiste pour sa création est au cœur de la fable de La Fontaine : <a href="https://www.lafontaine.net/les-fables/les-fables-du-livre-ix/le-statuaire-et-la-statue-de-jupiter/">« Le statuaire et la statue de Jupiter »</a> qui évoque Pygmalion et sa passion quasi incestueuse :</p>
<blockquote>
<p>« Pygmalion devint l’amant/De la Vénus dont il fut père ».</p>
</blockquote>
<p>Dans <em>Le Chef d’œuvre Inconnu</em>, Balzac décrit en 1831 Frenhofer, artiste désireux de produire un portrait parfait de femme, passionné par sa création, au point d’en devenir fou :</p>
<blockquote>
<p>« Ah ! Ah ! s’écria-t-il. Vous ne vous attendiez pas à tant de perfection ! Vous êtes devant une femme et vous cherchez un tableau. […] Voilà les formes mêmes d’une jeune fille. »</p>
</blockquote>
<p>Ces versions décrivent l’amour de l’art dans sa forme absolue, idéalisée.</p>
<p>Mais créer une femme parfaite, selon ses goûts, est aussi un rêve suprême de domination masculine. Au XVII<sup>e</sup>, dans <em>l’École des Femmes</em> de Molière (1662), Arnolphe, de peur d’être cocu, maintient la jeune Agnès sans éducation, afin d’épouser une femme innocente. Au XVIII<sup>e</sup>, Rousseau écrit une pièce intitulée <em>Pygmalion</em>(1762), et dans <em>Emile et Sophie</em> il décrit la compagne parfaite d’Emile comme celle dont l’esprit restera une terre vierge que son mari ensemencera à sa guise. Au XIX<sup>e</sup>, l’artiste de Daudet dans <em>Le Malentendu</em> choisit une femme sans culture pour l’instruire selon ses goûts…</p>
<p>La pièce de Georges Bernard Shaw <em>Pygmalion</em>(1914), adaptée au cinéma par Leslie Howard sous le même titre en 1938, a donné <em>My Fair Lady</em> de George Cukor avec Audrey Hedburn, récompensé par huit oscars en 1965. Dans ce film, deux lords entreprennent de transformer une vendeuse de fleurs en lady, en lui enseignant à parler de manière raffinée. Dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maudite_Aphrodite"><em>Maudite Aphrodite</em> de Woody Allen</a> (1995), le héros tente de faire de la mère génétique de son fils adoptif – une prostituée actrice de porno – une mère honorable.</p>
<p>Dans le droit fil du mythe de Pygmalion, bien des héros de cinéma cultivent ce rêve de <a href="https://cinephantasmagory.com/2020/03/08/le-mythe-de-pygmalion-au-cinema/">transformer une femme</a> selon leurs désirs, de créer une « pretty woman » soumise à leur bon vouloir.</p>
<p>Dans le film de Lanthimos, Bella Baxter est objectifiée par le regard de son créateur, de son fiancé, de son amant Duncan et de son ancien mari (le cadrage en œil de bœuf met en scène ces regards des hommes fixés sur elle, le fameux <a href="https://www.eveprogramme.com/52894/au-cinema-et-ailleurs-le-male-gaze-on-en-parle/">“male gaze”</a>). Chacun tente de retenir les élans de Bella vers la liberté : son père créateur l’enferme tout d’abord comme ses autres animaux greffés (tout droit sortis de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C3%8Ele_du_docteur_Moreau"><em>l’Ile du Docteur Moreau</em> de H.G. Wells </a>. Il se justifie : « c’est une expérience, et je dois contrôler les résultats ».</p>
<p>Le processus créatif autorise la domination, du scientifique comme de l’artiste, jusqu’à l’abus.</p>
<p>Cependant étant lui-même victime d'un père qui l'a asexué, il lui accorde finalement sa confiance et il accepte son départ. Ne lui a-t-il pas raconté que ses parents étaient des explorateurs ? A partir de là, elle part explorer le vaste monde et la vie en noir et blanc de Bella passe en couleurs ; la caméra suit désormais le regard de l’héroïne dans son périple éducatif. Bella mène la danse de façon endiablée, et s’affranchit de la domination masculine.</p>
<h2>Inversion des rôles</h2>
<p>Désormais la parole est à Galatée et non plus à Pygmalion. Déjà, l’artiste belge Paul Delvaux inversait les rôles, en peignant une femme amoureuse d’un buste d’homme en 1939, <a href="https://fine-arts-museum.be/fr/la-collection/paul-delvaux-pygmalion">dans une veine surréaliste</a>. Aujourd’hui, le mythe est revisité dans la fiction (romans, films) en se focalisant sur celle qui était jusqu’alors réduite au rôle de « femme objet » ; Galatée, à l’ère de #MeToo, prend enfin la parole.</p>
<p>Madeline Miller, autrice à succès du <em>Chant d’Achille</em>, lui redonne une voix dans sa nouvelle <em>Galatée</em> (2021) : l’héroïne éponyme fuit la maison où elle est enfermée avec sa fille et s’adresse à son créateur comme à un geôlier détesté. Dans <em>Pauvres créatures</em>, Bella, comme Agnès dans <em>l’École des femmes</em>, est consciente de ses lacunes et a soif de connaissances. Son éducation passe par le voyage, la lecture et la philosophie avec son amie Martha, l’éveil à la conscience politique avec sa compagne prostituée Toinette, mais surtout l’exploration de la sexualité.</p>
<p>Longtemps, on a relié la curiosité intellectuelle des femmes à l’immoralité et au libertinage. Au XVII<sup>e</sup>, dans sa fable <a href="http://17emesiecle.free.fr/Esprit_vient_aux_filles.php">« Comment l’esprit vient aux filles »</a>, La Fontaine associe la découverte de la sexualité à la formation de l’esprit féminin, dans une veine gaillarde. Au XVIII<sup>e</sup>, l’éveil philosophique et sexuel des femmes vont de pair dans les œuvres libertines de <em>Thérèse Philosophe</em> (Boyer d’Argens) à celles de Sade,en passant par Mme de Merteuil dans Les <em>liaisons dangereuses</em>, on s’instruit <a href="https://journals.openedition.org/narratologie/312">dans les boudoirs</a>.</p>
<h2>Liberté d’expression et liberté sexuelle</h2>
<p>Aujourd’hui, il s’agit de revendiquer une nouvelle façon d’être femme, libre dans sa sexualité, comme dans ses propos. À l’instar de Virginie Despentes,dans <a href="https://www.telerama.fr/idees/pourquoi-il-est-urgent-de-(re)lire-king-kong-theorie,-de-virginie-despentes,n5486772.php"><em>King Kong Theorie</em></a>, Bella parle crûment, elle analyse tout avec une logique sans filtre et refuse les termes convenus que tente de lui imposer Duncan lors d’un dîner mondain. Elle réfute <a href="https://queereducation.fr/monique-wittig-la-pensee-straight/">« la pensée straight »</a> avec ses conventions sociales et ses interdits, comme parler de sexe à table. Ovide semble avoir laissé place à Ovidie, l’autrice de <a href="https://www.senscritique.com/bd/Baiser_apres_metoo_Lettres_a_nos_amants_foireux/42814784"><em>Baiser après #MeToo. Lettres à nos amants foireux</em></a> lorsque Bella commente les prestations de ses amants.</p>
<p>Héritière de <em>Belle de jour</em>, l’héroïne du roman de Kessel (1928), adapté par [Luis Buñuel avec Catherine Deneuve,] Bella choisit également de <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7uy2pf">se prostituer</a>. Rappelons que Belle de jour, <a href="https://theconversation.com/existe-t-il-un-remede-au-bovarysme-du-xxi-si%C3%A8cle-170125">Mme Bovary du XXᵉ siècle</a>, ne trouvait un espace de liberté dans son mariage bourgeois qu’en se donnant l’après-midi à des hommes, selon des codes masochistes.</p>
<p>Pour Bella, qui n’est pas enfermée dans les contraintes du mariage, la prostitution est un moyen d’apprendre à mieux connaître le monde et les hommes, en étant autonome financièrement. Elle impose des règles à ses clients (se parfumer, lui raconter un souvenir d’enfance). Elle se décrit comme « son propre outil de production » dans un vocabulaire appris à ses réunions socialistes avec son amante, Toinette. Elle finit par choisir sa destinée : elle opte pour la chirurgie – comme son père – et épouse le gentil Dr Max McCandles.</p>
<p>Dans les dernières images du film, Bella se cultive dans son jardin, où jouent des dames heureuses. Et son père créateur, à qui elle demande : « Alors, je suis ta création ? » lui répond : « Non, tu as seule créé Bella Baxter ». Le mythe de Pygmalion se transforme : il s’agit toujours, comme l’indique le titre du dernier roman de Marie Darrieusseq de <a href="https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-5991-3"><em>Fabriquer une femme</em> (2024)</a>, mais la créature se développe de façon autonome.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-feminist-gaze-quand-les-femmes-ecrivent-en-feministes-212586">Le « feminist gaze » : quand les femmes écrivent en féministes</a>
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<p><em>Pauvres créatures</em> constitue une version baroque néogothique de <em>Barbie</em> (film également nominé 8 fois aux oscars) – notons que Bella est aussi le nom d’une poupée des années 1950. Histoire de l’éveil d’une conscience féministe, il propose une réécriture du mythe où désormais, libérée de Pygmalion, Galatée jouit de sa pleine autonomie sexuelle et intellectuelle. Si des <a href="https://theconversation.com/cinema-que-voit-on-quand-les-femmes-passent-derriere-la-camera-220936">réalisatrices</a>, telle Céline Sciamma avec <em>le Portrait de La jeune fille en feu</em>(2019), ont montré <a href="https://theconversation.com/cinema-la-vie-amoureuse-et-sexuelle-des-femmes-naurait-elle-plus-de-date-de-peremption-176317">qu’un autre regard</a> sur la femme source d’inspiration était possible, on peut saluer le fait que des hommes réalisateurs imaginent aussi aujourd’hui des versions du mythe mettant en valeur la capacité des femmes à s’émanciper. C’est grâce à ces nouvelles représentations, ainsi <a href="https://www.babelio.com/livres/Szac-LOdyssee-des-femmes/1569959">qu’à une relecture plus féministe des mythes</a>, que pourront évoluer les comportements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Aragon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans « Pauvres créatures », l’héroïne renouvelle le mythe de Pygmalion. À l’ère de #MeToo, la parole est à Galatée.Sandrine Aragon, Chercheuse en littérature française (Le genre, la lecture, les femmes et la culture), Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241062024-02-25T16:26:54Z2024-02-25T16:26:54ZMobilisations agricoles : où (en) sont les femmes ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/21/colere-des-agriculteurs-gabriel-attal-annonce-un-nouveau-projet-de-loi-d-ici-l-ete-pour-renforcer-le-dispositif-egalim_6217681_823448.html">« Colère des agriculteurs »</a>, « Manifestation des agriculteurs », « Blocage des agriculteurs ». Ces titres de presse éclairent à double titre l’invisibilisation de la participation et de l’expression syndicale des femmes dans le <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">secteur agricole</a> : numériquement, en signifiant leur absence des scènes médiatiques et des terrains de la mobilisation, symboliquement, en renvoyant la <a href="https://theconversation.com/les-mouvements-de-contestation-des-agriculteurs-servent-ils-a-quelque-chose-221889">grogne</a> de la profession à des considérations uniquement portées par les hommes.</p>
<p>Les femmes représentaient en 2020 <a href="https://www.msa.fr/lfp/documents/98830/28556362/Population+f%C3%A9minine+en+agriculture+en+2020.pdf">26 % des chef·fe·s d’exploitation</a>, une part qui reste relativement stable. Elles sont majoritairement présentes en élevage et exercent davantage dans les filières de petits ruminants (caprins, ovins lait et viande), équine et avicole, qui généralement renvoient à des structures économiques de taille moyenne et petite.</p>
<p>Les <a href="https://www.oxfamfrance.org/app/uploads/2023/02/Oxfam_mediabrief_agriculture_Vdef.pdf">études</a> montrent que les femmes doivent se confronter à des représentations sociales qui peuvent décrédibiliser leur projet agricole : visions stéréotypées de ce qu’est « un exploitant agricole », remise en cause de la légitimité, remarques sexistes émanant des professionnel·le·s des instances agricoles telles que les commissions d’attribution des terres, banques, techniciens, bailleurs/futurs cédants, associations de développement agricole, etc. Plus généralement, des doutes persistent quant à la capacité d’une jeune femme à s’installer seule et les femmes sont soumises au test répété de leurs compétences.</p>
<p>Un constat qui par ailleurs contraste avec la féminisation des trois principales directions syndicales agricoles, à la tête desquelles œuvrent ou ont œuvré <a href="https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/christiane-lambert-lagricultrice-la-plus-courtisee-de-france-2076504">Christiane Lambert</a> (pour la FNSEA), <a href="https://www.lecese.fr/membre/veronique-le-floch">Véronique le Floch</a> (pour la coordination rurale) et <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/salon-de-l-agriculture-emmanuel-macron-prevoit-un-moment-de-discussion-un-peu-long-avec-avec-les-syndicats-lors-de-l-inauguration-selon-la-confederation-paysanne_6373798.html">Laurence Marandola</a> (pour la Confédération paysanne).</p>
<p>Comment éclairer ce paradoxe d’une profession qui continue à se représenter au masculin alors que les femmes sont de plus en plus présentes dans les arènes décisionnelles et les instances de gouvernance du monde agricole ?</p>
<h2>Des rôles genrés dans la mobilisation</h2>
<p>Une première manière de répondre à cette apparente contradiction est de s’intéresser à la place qu’occupe objectivement les femmes dans l’organisation des événements manifestants. Malgré l’accaparement de la parole par les hommes depuis le coup d’envoi de la mobilisation, les agricultrices n’en sont pas pour autant absentes mais les rôles attribués aux hommes et aux femmes ne sont pas les mêmes : aux premiers les actions commandos et coups de force médiatiques, aux secondes les opérations de sensibilisation.</p>
<p>Les agricultrices invoquent alors un style « manifestant » complémentaire à celui des hommes.</p>
<p>Elles se présentent comme celles qui « prennent la relève » des hommes mobilisés, comme dans le cas <a href="https://www.ladepeche.fr/2024/01/27/colere-des-agriculteurs-les-femmes-prennent-la-releve-sur-le-barrage-de-demu-dans-le-gers-11725617.php">du barrage gersois de Dému</a> le 28 janvier dernier où est organisé, à l’initiative des agricultrices du département, une <a href="https://www.ladepeche.fr/2024/01/27/colere-des-agriculteurs-les-femmes-prennent-la-releve-sur-le-barrage-de-demu-dans-le-gers-11725617.php">journée dédiée aux femmes et aux familles</a>. Elles se représentent aussi comme celles qui « prennent le relais » sur les exploitations, en apportant <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/gironde/bordeaux/temoignages-sur-une-exploitation-une-femme-c-est-primordial-conjointes-meres-exploitantes-les-femmes-soutien-indefectible-des-agriculteurs-2914130.html%C3%A0">leur soutien à l’arrière</a>, incarnant ainsi les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2013-3-page-99.htm">« épouses honorables et les gardiennes indéfectibles »</a> de la communauté familiale.</p>
<p>Leur prise de parole repose sur un <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?download=1&ID_ARTICLE=SR_024_0043">mode d’argumentation moral et humaniste</a>, plutôt que directement politique ou syndical. Tout autant qu’elle vise l’apaisement après les excès de violence masculins, leur participation, parce que rare, a comme objectif de convaincre l’opinion publique de la profondeur du <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">« malaise »</a> paysan. Produit d’une conception relativement traditionnelle des rôles de genre dans la profession, cette tactique de mobilisation (assurer l’arrière/prendre le relais/incarner une parole apaisante) est également un ressort de mobilisation stratégiquement encouragé par les organisations dominantes du gouvernement de l’agriculture et ses fractions les plus conservatrices.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">Loin de « l’éternel paysan », la figure très paradoxale de l’agriculteur français</a>
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<h2>Observer plus finement les actions de basse intensité</h2>
<p>Une seconde réponse à apporter est de regarder autrement les façons de militer pour la profession agricole. Si les médias portent les coups de projecteurs sur des répertoires d’action à forte dimension protestataires, une analyse du travail syndical agricole attentive aux rapports de genre réclame que l’on dépasse ces seuls temps forts de mobilisation pour davantage envisager les actions de promotion professionnelle dites <a href="https://www.theses.fr/2017REN1G038">« de basse intensité »</a>.</p>
<p>Nous entendons par ce terme l’ensemble des événements festifs, ludiques et récréatifs où se construit « discrètement » la défense de la cause agricole. Très régulièrement en effet, les agricultrices, réunis en collectif, mènent des actions de promotion de leur métier destinées à qui repose sur l’ouverture au public de leur territoire professionnel.</p>
<p>On pense ainsi aux portes ouvertes sur les exploitations, l’accueil de groupes scolaires, l’organisation d’animations autour de l’agriculture lors de salons agricoles locaux, les manifestations sportives ou des festivals…</p>
<p>Rien de surprenant alors que l’opération baptisée « sur la paille », lancée par la Coordination rurale de la Vendée au lendemain de l’annonce des mesures par le premier ministre Gabriel Attal, soit venue <a href="https://www.challenges.fr/economie/les-agriculteurs-sur-la-paille-se-deshabillent-pour-repondre-a-attal_881579">d’une agricultrice</a>. Rompant avec les habituels feux de pneus et épandages de lisiers, les manifestants présents ont exprimé leur ras-le-bol en entonnant, dévêtus derrière une large banderole, des chants.</p>
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<figcaption><span class="caption">Premier week-end de mobilisation pour les agriculteurs de Vendée (TV Vendée Actu, 29 janvier 2024).</span></figcaption>
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<p>Un registre humoristique qui n’est pas nouveau : des agricultrices avaient déjà posé en maillot de bain en 2014 <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/rennes-des-agricultrices-en-maillots-de-bain-pour-un-calendrier-2906455">pour la réalisation d’un calendrier</a> dont les bénéfices avaient été reversés à la recherche contre le cancer du sein.</p>
<h2>Les mandats agricoles de plus en plus tenus par des femmes</h2>
<p>Une autre forme d’engagement politique fort des femmes néanmoins peu analysée est leur place croissant au sein d’organisations professionnelles ou syndicales.</p>
<p>Certes le nombre d’agricultrices occupant des postes à responsabilité dans les organisations agricoles augmente tendanciellement. Ainsi, depuis 2012, les assemblées des chambres d’agriculture comptent un tiers de femmes. Globalement, les organisations agricoles cherchent à ce que leurs conseils d’administration soient composés d’au moins 30 % de femmes afin d’atteindre la représentation dite « miroir », c’est-à-dire <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2014-2-page-183.htm">descriptive</a>.</p>
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<p>Cependant, un très fort plafond de verre limite la progression des femmes dans la hiérarchie des mandats. Ainsi le nombre de femmes présidentes de chambres départementales d’agriculture reste très limité, <a href="https://www.senat.fr/rap/r16-615/r16-61512.html">on en compte trois à ce jour</a> : Drôme, Lozère et Côtes-d’Armor.</p>
<p>C’est également un mur de verre qui contribue à une répartition stéréotypée des mandats entre, d’une part, une surreprésentation des femmes dans les fonctions relevant des domaines considérés comme typiquement féminins (le social, la communication, la diversification) et, d’autre part, leur quasi-absence dans les mandats économiques et techniques les plus prestigieux. Au sein des coopératives d’utilisation de matériel agricole mais surtout dans les grands groupes industriels qui pèsent pourtant dans les orientations stratégiques et économiques de la profession, les femmes sont encore très peu présentes.</p>
<h2>Le manque de ressources</h2>
<p>Un ensemble de facteurs expliquent cette dichotomie. D’abord, comme elles sont rarement héritières de leurs entreprises par transmission familiale, elles estiment que les connaissances clefs du « milieu » leur font défaut (maîtrise enjeux fonciers, des données techniques, faible familiarité avec l’environnement institutionnel de la profession) pour évaluer l’opportunité d’une proposition, trancher des litiges et être la porte-voix de leurs homologues.</p>
<p>Ensuite, comme elles se sentent moins habilitées à manier les référents idéologiques, à émettre un avis syndical et à le défendre et à s’exposer publiquement aux jugements des pairs, elles se sentent éloignées des deux composantes gestionnaire et protestataire centrales du répertoire syndical agricole et incarnent moins immédiatement le rôle du « parfait » militant doté d’ambition, de tonus, de hauteur de vue et de charisme. Enfin, comme elles sont moins habituées à endosser ces fonctions, quand elles franchissent le pas, elles partagent une définition exigeante l’engagement porteuse de stress et de sentiment d’inconfort.</p>
<p>Pourquoi alors, certaines agricultrices et paysannes font figure d’exceptions ? Parce qu’elles sont dotées de ressources familiales, culturelles et sociales qui répondent aux qualités attendues du « bon » syndicaliste. Soit elles sont elles-mêmes filles de syndicaliste et ont été dès l’enfance socialisées aux rôles de responsables agricoles, soit elles ont eu des expériences scolaires et professionnelles antécédentes à l’agriculture qui leur ont permis de nourrir une aisance oratoire et argumentative ou encore de se forger des habitudes des négociations avec les pouvoirs publics, à l’instar de Danielle Even, qui a été présidente de la Chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor.</p>
<p>Reste enfin une dernière hypothèse qu’il conviendrait de tester plus finement. <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2007-2-page-45.htm">Les recherches</a> montrent en effet que certains contextes organisationnels favorisent l’accession des femmes : lorsque la valeur des mandats décroît ou en cas de conflits politiques internes.</p>
<p>C’est par exemple les difficultés financières et l’épuisement militant que rencontre l’UDSEA, version finistérienne de la Confédération paysanne, après six années de gestion de la chambre d’agriculture, qui éclairent la nomination d’une femme à la tête du syndicat en 2001.</p>
<p>Dans ces cas, la concurrence pour l’accès aux postes est moindre et l’ascension militante des femmes facilitée. La situation de crise qui mine actuellement la profession agricole est-elle donc un terreau fertile à l’engagement des femmes ?</p>
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<p class="fine-print"><em><span>Clémentine Comer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le secteur agricole continue à se représenter au masculin alors que les femmes sont de plus en plus présentes dans les arènes décisionnelles et les instances de gouvernance. Décryptage d’une invisibilisation.Clémentine Comer, Sociologue, IRISSO, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216452024-02-11T14:59:15Z2024-02-11T14:59:15ZPourquoi il est grand temps de changer nos représentations des femmes scientifiques<p>Le 11 février marque la <a href="https://www.un.org/fr/observances/women-and-girls-in-science-day">Journée internationale des femmes et des filles de sciences organisée par l’Unesco</a>. Elle a pour but de favoriser et accroître la participation des femmes et des filles dans les domaines scientifiques.</p>
<p>En France, alors que la parité était presque atteinte dans les séries S, la réforme des programmes de lycée en 2020, en supprimant les mathématiques dans le tronc commun, a annihilé des années d’efforts vers l’égalité. Le nombre de filles dans les sections de maths au lycée a chuté : <a href="https://www.letudiant.fr/lycee/infographies-comment-la-reforme-du-lycee-penalise-les-filles.html">40 % seulement en spécialité mathématiques, 30 % en maths expert</a>. Soit une baisse de 28 % des effectifs féminins dans les sciences en <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-les-filles-decrochent-des-sciences-depuis-la-reforme-du-lycee-et-du-bac-88233.html">terminale</a> entre 2019 et 2021, et la spécialité « Numérique et sciences de l’informatique » est <a href="https://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2023/11/1024_22_2023_7.html">particulièrement abandonnée par les filles</a>. Ces générations ne vont donc pas modifier les profils des filières à l’université.</p>
<p>Les mathématiciennes, par exemple, <a href="https://www.amcsti.fr/bulletin/la-maison-poincare-sattaque-a-la-sous-representation-des-femmes-en-mathematiques/">stagnent à 20 % depuis longtemps</a>. Les maths sont indispensables pour accéder aux professions scientifiques, techniques, économiques et devenir ingénieure ou programmeuse. Une heure et demie de maths ont certes été <a href="https://www.lesediteursdeducation.com/la-place-des-mathematiques-au-lycee-general">réintroduites en 2023 dans les programmes</a> pour consolider la culture de ceux et celles qui ne prennent pas la spécialité maths. Toutefois cela n’est pas suffisant pour intégrer des filières scientifiques dans le supérieur. Quelles actions envisager pour inverser cette courbe décroissante ?</p>
<h2>La moitié des talents</h2>
<p>En décembre 2023, France a obtenu de mauvais résultats à l’étude PISA de l’OCDE évaluant les <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/la-derniere-enquete-pisa-de-l-ocde-met-en-lumiere-les-difficultes-des-jeunes-a-l-ere-du-numerique.htm">acquis des élèves (elle se classe à la 23ᵉ place en maths)</a>. Par manque d’ingénieures et d’ingénieurs, la France risque de se laisser distancer dans des domaines cruciaux liés à <a href="https://www.mafamillezen.com/metiers-avec-des-maths/">l’intelligence, artificielle, la robotique, la modélisation</a> et elle ne peut se priver de la moitié de ses talents.</p>
<p>Les équipes mixtes ont démontré être plus innovantes et productives que les <a href="https://www.fhinkegale.com/les-equipes-mixtes-sont-plus-performantes/">équipes monogenrées</a>.</p>
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<p>De plus, écarter les filles des domaines scientifiques revient souvent à maintenir des inégalités de salaires, un <a href="https://start.lesechos.fr/societe/egalite-diversite/5-15-22-cest-quoi-le-vrai-chiffre-des-inegalites-salariales-2026840">plafond de verre vers les postes à responsabilité et les domaines à plus forte rémunération</a>], ce qui maintient par conséquent des inégalités sociales qui se répercutent dans les <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/egalite-hommes-femmes/entretien-le-couple-et-l-argent-personne-n-est-completement-a-l-aise-decrypte-titiou-lecoq-fabf4d06-69a8-11ed-bd29-7d31c7eef0da">couples hétérosexuels</a>. Les femmes comme les hommes doivent être présentes dans tous les domaines pour une société vraiment égalitaire.</p>
<h2>Renouer avec l’histoire des femmes scientifiques</h2>
<p>Pour inverser cette tendance, il serait utile que les filles puissent s’identifier à des modèles féminins, en mettant en lumière les modèles historiques illustres sur les réseaux sociaux comme dans les livres de sciences et d’histoire. D’Hypatie, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-vrai-metier-des-philosophes/hypatie-d-alexandrie-mathematicienne-astronome-et-philosophe-neoplatonicienne-3214766">mathématicienne et astronome de l’antiquité</a> au IV<sup>e</sup> siècle apr. J.-C., aux médailles Fields actuelles : l’Ukrainienne Maryna Viazovska, après l’Iranienne Maryam Mirzakhani, en passant par Sophie Germain, mathématicienne de génie, première femme à intégrer l’Académie des Sciences <a href="https://lettres.sorbonne-universite.fr/actualites/pleins-feux-sur-les-femmes-des-lumieres">au siècle des Lumières</a>, toutes ces figures scientifiques devraient être mieux connues.</p>
<p>L’importance de beaucoup de femmes de sciences a été sous-estimée, telles les génies de l’informatique de la NASA qui ont inspiré le film <em>Les figures de l’ombre</em>, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Calculateur_humain">calculatrices</a> afro-américaines <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Katherine_Johnson">Katherine Johnson</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dorothy_Vaughan">Dorothy Vaughan</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mary_Jackson_(math%C3%A9maticienne)">Mary Jackson</a>. Leurs résultats ont souvent été gommés par ce que Margaret W. Rossiter a appelé <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Matilda">« l’effet Matilda »</a> qui décrit la non-reconnaissance de la maternité des découvertes scientifiques. Nous sommes rares à avoir entendu parler de Trotula de Salerne, gynécologue italienne, comme de <a href="https://theconversation.com/femmes-pionnieres-jeanne-barret-premiere-femme-a-avoir-navigue-autour-du-monde-150386">Jeanne Barret</a>, botaniste française ou encore <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/histoire-des-sciences/l-energie-d-emmy-noether_171558">Emmy Noether</a>, mathématicienne allemande.</p>
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<p>Parmi les initiatives qui vont dans ce sens, citons le défi des 40 sœurs d’Hypatie qui propose d’inscrire le nom de <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/interview-pendant-les-visites-de-la-tour-les-touristes-demandaient-ou-etait-marie-curie_163404">40 femmes de sciences</a> au second étage de la tour Eiffel en lettres de métal, comme sont inscrits 72 noms d’hommes de sciences au premier étage. Il est soutenu par de nombreuses universités et organismes.</p>
<p>Le premier musée des mathématiques, l’Institut Poincaré, îlot Pierre et Marie Curie à Paris, <a href="https://www.la-croix.com/culture/Maison-Poincare-nouveau-musee-reconcilier-public-maths-2023-09-30-1201284900">s’est ouvert en septembre 2023</a> avec une <a href="https://www.ihp.fr/fr/actualites-science-et-societe/emmy-noether-mathematicienne-dexception">exposition sur la mathématicienne allemande d’exception Emmy Noether</a> et il a été conçu avec une volonté paritaire.</p>
<p>Il importe également de donner une plus grande visibilité aux femmes de sciences dans les villes : seulement 6 % des dénominations des <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/feminisation-des-noms-des-rues-en-ile-de-france-un-elan-sest-cree-mais-du-travail-reste-a-faire-08-03-2023-4Y2UQLJZXVCRDHTLHC2JT2Q5YE.php">rues en France étaient féminines en 2021</a> malgré les efforts de certaines villes, telle Paris pour atteindre environ 12 %, notamment avec plus de femmes de sciences, comme <a href="https://parislightsup.com/tag/square-edmee-chandon/">Edmée Chandon, astronome du XIX<sup>e</sup> siècle</a>, ou <a href="https://etab.ac-reunion.fr/lyc-amiral-bouvet/femmes-de-sciences-6/">Caroline Herschel</a>, astronome du 18<sup>e</sup>, en 2021.</p>
<p>Ces expositions, comme les spectacles de la <a href="https://www.comediedesondes.com/">Comédie des ondes</a> qui intervient dans les lycées avec du théâtre débat autour de femmes de sciences illustres, présentent des modèles inspirants.</p>
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<h2>Mettre en valeur les scientifiques d’aujourd’hui</h2>
<p>De nombreuses femmes se mobilisent également pour expliquer leurs métiers et inciter les nouvelles générations à prendre le relais. Les associations telles que <a href="https://www.femmesetsciences.fr">Femmes et Sciences</a>, <a href="https://femmes-et-maths.fr/">Femmes et mathématiques</a>, <a href="https://femmes-numerique.fr">Femmes @numérique</a> œuvrent pour faire connaître ces filières d’études.</p>
<p>En véritable « role models », elles montrent le champ des possibles dans les métiers scientifiques. Les associations <a href="https://filles-et-maths.fr/">Femmes et mathématiques et Animath</a> organisent sur toute la France depuis 2009 la journée « Filles, maths et informatique : une équation lumineuse » ainsi que les « Rendez-vous des jeunes mathématiciennes et informaticiennes » spécifiquement destinés aux lycéennes de 1<sup>ère</sup> et Terminales. Des <em>speed meetings</em> sont proposés aux lycéennes pour découvrir les métiers qui s’offrent à elles après des études de maths et pour leur faire rencontrer des professionnelles. Depuis 2016, les « Rendez-vous des Jeunes Mathématiciennes et Informaticiennes » proposent aux filles la possibilité de se rassembler pendant trois jours pour découvrir ce domaine.</p>
<p>Enfin, pour que les filles puissent s’imaginer exerçant ces métiers, il faut qu’elles les entendent nommer au féminin. Si la boulangère et l’infirmière font partie du langage courant, on doit aussi entendre plus régulièrement parler des ingénieures, chirurgiennes, chercheuses ou codeuses. Sans quoi, <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2463075-20190301-autrice-professeuse-procureure-pourquoi-feminisation-noms-metiers-pose-aujourdhui-probleme">l’Académie française elle-même l’a reconnu,</a> il est difficile de faire évoluer les mentalités.</p>
<h2>Lutter contre les stéréotypes de genre dans l’éducation</h2>
<p>Les parents comme les enseignants ont aussi un rôle à jouer : la <a href="https://www.autrement.com/la-bosse-des-maths-nexiste-pas/9782746755734">bosse des maths n’existe pas</a>, mais l’éducation et les préjugés, si. Selon le dernier <a href="https://www.education.gouv.fr/egalite-filles-garcons-en-mathematiques-357731">rapport de l’inspection sur les maths à l’école</a>, les garçons sont souvent incités à la compétition et valorisés comme forts en maths, les filles moins, et elles ont tendance à se sous-estimer. Les filles et les garçons seraient au même niveau en maths à l’entrée en CP et la bascule s’opèrerait au <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/08/31/mathematiques-a-l-ecole-comment-l-ecart-de-niveau-entre-filles-et-garcons-se-creuse-des-le-cp_6139583_4355770.html%5D">début du primaire</a>.</p>
<p>Certains biais des enseignants, souvent inconscients, jouent un rôle important : des maîtresses plus stressées par les maths, puisqu’elles-mêmes n’ont pas été encouragées dans ce domaine, plus d’attention portée aux <a href="https://eduscol.education.fr/document/39275/download">garçons</a>, des types d’évaluation portant plus sur la compétition que la progression. Ainsi, le même exercice présenté comme du dessin est mieux réussi par les petites filles que s’il est présenté comme de la <a href="https://eduscol.education.fr/document/39275/download">géométrie</a>. Le ministère de l’Éducation nationale invite les enseignants à le prendre en compte lors de <a href="https://eduscol.education.fr/3739/faire-evoluer-les-representations-des-eleves-sur-les-mathematiques">leurs cours et leurs évaluations</a>.</p>
<p>Dans les universités, les filières de maths appliquées attirent plus que les <a href="https://femmes-et-maths.fr/enseignement-superieur-et-recherche/">maths fondamentales</a>, les filles sont plus nombreuses lorsqu’il est question de visées concrètes (maths appliquées à l’écologie ou la <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/femmes-et-mathematiques-les-stereotypes-ont-la-vie-dure_23003">médecine)</a>.</p>
<p>Les biais liés au genre dans les recrutements sont aussi à surveiller <a href="https://www.courrierinternational.com/article/egalite-des-sexes-ces-biais-inconscients-qui-nous-font-preferer-les-hommes-au-pouvoir">attentivement</a>. Dans les recrutements universitaires, des observateurs de l’égalité tentent de limiter ces biais, des <a href="https://www.fondationloreal.com/fr/nos-programmes-pour-les-femmes-et-la-science/les-hommes-sengagent-pour-les-femmes-en-science">chercheurs hommes</a> s’engagent pour que les sciences s’ouvrent aux femmes, il faut un engagement de tous car la progression reste lente.</p>
<p>On estime que <a href="https://www.wis-ecoles.com/70-des-nouveaux-metiers-viennent-du-numerique/">70 % des emplois d’avenir</a> nécessiteront une formation en maths et en sciences du numérique et informatique. Il est essentiel que filles et garçons soient à égalité dans ces métiers d’avenir pour une société plus paritaire.</p>
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<p><em>Cet article est republié dans le cadre du <a href="https://www.universite-paris-saclay.fr/actualites/paris-saclay-summit-2024-choose-science">Saclay Summit</a>, qui se tient du 29 février au 1er mars à l’EDF Lab Paris-Saclay.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221645/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Je soutiens Le projet des 40 soeurs d'Hypatie au sein de Sorbonne Université, où j'ai dirigé le comité scientifique de sélection des femmes de sciences qui seraient à honorer. J'ai proposé des noms de parisiennes illustres femmes sciences des siècles passés à distinguer à la Mairie de Paris. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Je suis présidente de l'association Femmes & Sciences.
Femmes & Sciences porte le projet "Les 40 soeurs d'Hypatie", initié par Benjamin Rigaud de Défis Sorbonne, et travaille à le faire aboutir pour donner de la visibilité à des femmes scientifiques.</span></em></p>En France, le nombre d’étudiantes qui choisissent des filières scientifiques reste minoritaire. Comment inverser la tendance ?Sandrine Aragon, Chercheuse en littérature française (Le genre, la lecture, les femmes et la culture), Sorbonne UniversitéIsabelle Vauglin, Astrophysicienne et présidente de l'association Femmes & Sciences, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216672024-01-25T14:51:43Z2024-01-25T14:51:43Z« Réarmement démographique » ou comment rater la cible (de communication) ?<p>« Permettre un réarmement démographique » : l’expression employée par le président Emmanuel Macron pour décrire son plan de relance de la natalité et de lutte contre <a href="https://theconversation.com/oui-messieurs-la-fertilite-masculine-decline-aussi-avec-lage-191911">l’infertilité</a> a suscité de vives réactions. Il ne s’agit pas ici de juger la pertinence de ce plan annoncé lors de sa conférence de presse du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ySrRVE3m_SU">16 janvier 2024</a>. Notre objectif est d’analyser ce que cette formule révèle de la difficulté de décideurs, gouvernementaux notamment, à comprendre la psychologie des comportements (et changements comportementaux). Sans cette compréhension, ils s’avèrent incapables de déterminer quelles conditions et caractéristiques doivent être respectées pour qu’une communication à visée persuasive soit efficace.</p>
<p>Ce travers s’était déjà exprimé lors de la pandémie de Covid-19 avec de multiples déclarations et <a href="https://theconversation.com/les-lecons-des-sciences-comportementales-pour-assurer-un-confinement-efficace-134831">mesures incitatives</a> ou coercitives aux résultats à l’efficacité nuancée (avec des dommages collatéraux parfois conséquents, comme une <a href="https://theconversation.com/appeler-a-la-peur-pour-proteger-la-population-et-obtenir-leffet-inverse-133946">montée importante de l’anxiété</a> pouvant aller <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19098/pandemie-2020">jusqu’à des symptômes</a> rappelant des <a href="https://datacovid.org/lefficacite-mitigee-des-appels-a-la-peur-dans-les-communications-du-covid19/">états de stress post-traumatique</a>).</p>
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<figcaption><span class="caption">Conférence d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024.</span></figcaption>
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<p>La phrase d’Emmanuel Macron au sujet du « réarmement démographique » pour permettre « une France plus forte » « par la relance de la natalité » a pu être perçue comme réactionnaire. Elle a provoqué la colère de nombreuses personnalités politiques, notamment à la gauche de l’échiquier politique, mais aussi plus largement de diverses associations féministes ou concernées par les <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/rearmement-demographique-tolle-des-feministes-apres-les-propos-d-emmanuel-macron-20240117">droits des femmes et des familles</a>. Ce parti pris de formulation a occulté certaines mesures qui auraient pu être accueillies plus favorablement (par exemple, le plan de lutte contre l’infertilité attendu par <a href="https://www.midilibre.fr/2024/01/17/le-plan-de-lutte-contre-linfertilite-existe-maintenant-il-faut-le-mettre-en-oeuvre-estime-le-pr-samir-hamamah-11701559.php">certains spécialistes de la reproduction</a>) et a amoindri l’effet d’une perspective qui aurait pu avoir une connotation positive (la vie au travers de naissances à venir).</p>
<h2>Une rhétorique guerrière anxiogène</h2>
<p>Indépendamment d’un jugement sur le fond, la terminologie adoptée explique en partie ces réactions et marques de résistance. Tout d’abord, du fait de la rhétorique guerrière. L’historienne <a href="https://www.huffingtonpost.fr/life/article/parler-de-rearmement-demographique-est-extremement-inquietant-selon-cette-historienne_228477.html">Marine Rouch</a> a ainsi repéré « une sémantique ‘viriliste et guerrière’ qui n’a rien d’anodin ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747527169121648875"}"></div></p>
<p><em>Le caractère guerrier de la métaphore a suscité de nombreuses réactions</em></p>
<p>Déjà mobilisé lors du Covid, ce lexique guerrier, par ses références en France à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/radiographies-du-coronavirus/quand-crise-sanitaire-rime-avec-rhetorique-guerriere-5878741">première et à la Seconde Guerre mondiale</a>, avait alors frappé les esprits (« Nous sommes en guerre » avait martelé Emmanuel Macron). Implicitement et symboliquement également, l’idée de réarmement fait référence à la guerre et peut se révéler anxiogène, a fortiori dans le contexte actuel où guerres et conflits armés réactivent, partout dans le monde, et en particulier sur le continent européen, des <a href="https://www.lexpress.fr/societe/stress-angoisses-les-repercussions-de-la-guerre-en-ukraine-sur-la-sante-mentale-des-francais_2169594.html">angoisses qu’on croyait oubliées</a>.</p>
<p>Ce choix est dommageable, car une rhétorique guerrière entraîne un imaginaire anxiogène. Or, lorsque les individus ont peur, leur réponse inconsciente est souvent un <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2005-1-page-97.htm">mécanisme de défense psychologique d’évitement ou de déni</a>. Autrement dit, une réaction défensive destinée à diminuer l’inconfort psychologique ressenti, mais qui est à l’opposé de celle recherchée. En effet, faire face à une situation stressante nécessite de développer des efforts, cognitifs en particulier, et une stratégie dite d’adaptation. L’individu stressé peut préférer ne pas voir la réalité, la déformer ou encore discréditer la source de l’information <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/32044643/coping_as_a_mediator_of_emotion-libre.pdf">pour se protéger psychologiquement</a>. Ces réactions compromettent bien sûr l’efficacité persuasive.</p>
<h2>Un discours infantilisant et moralisateur</h2>
<p>Le message a aussi été perçu comme infantilisant. En filigrane, certaines et certains y ont entendu que les femmes ne seraient pas suffisamment matures pour décider par elles-mêmes de décisions relatives à la natalité. <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/rearmement-demographique-les-propos-demmanuel-macron-suscitent-la-colere-des-feministes-27efe6ce-b5ec-11ee-be97-0ca6f5a426b0">Cela a pu être vu comme</a> une « tentative de contrôler le corps des femmes », une volonté de « mettre les ventres des femmes au service de l’État ». <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/societe/laissez-nos-uterus-en-paix-tolle-des-feministes-sur-le-rearmement-demographique_AD-202401170680.html">« Laissez nos utérus en paix ! »</a> a lancé de son côté la présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert.</p>
<p>Ce message était instillé par ailleurs dans une communication descendante, dont le caractère directif, voire autoritaire, apparait dans la qualification « d’injonctions natalistes » <a href="https://www.bfmtv.com/societe/les-propos-de-macron-sur-le-rearmement-demographique-font-un-tolle-a-gauche-et-chez-des-associations-feministes_AD-202401170648.html">utilisée de nombreuses fois à son propos</a>. De ce fait, le message, a priori incitatif, avait tout pour engendrer de la <a href="https://www.cairn.info/marketing-social-et-nudge--9782376875482-page-75.htm">réactance (mécanisme de défense psychologique)</a> en raison d’une liberté qui pouvait sembler menacée. Ainsi, la députée écologiste Sandrine Rousseau a <a href="https://www.leparisien.fr/politique/macron-sur-la-natalite-les-uterus-des-femmes-ne-sont-pas-une-affaire-detat-fustige-rousseau-18-01-2024-WQI2PVOP5RASJGTJ6OD42PM5XA.php">réagi</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque femme est libre de choisir de faire des enfants ou de ne pas en faire » et</p>
<p>« Les femmes font absolument ce qu’elles veulent de leur corps ».</p>
</blockquote>
<p>De plus, le discours émanait d’un représentant des pouvoirs publics envers lesquels la méfiance des Français est grandissante. <a href="https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/N-2305-11464.pdf">Cette absence de confiance envers l’émetteur</a> ne pouvait que renforcer la résistance par une diminution de la crédibilité perçue de la source du message.</p>
<h2>Le délicat recours aux normes sociales</h2>
<p>De même, une composante morale transparaît de ce discours incitatif. Délibérément ou involontairement convoquée, la responsabilité individuelle est ainsi associée à un devoir de reproduction de chaque Français(e). Ce « bon » comportement apparaît de façon plus ou moins explicite comme la clé pour revendiquer un statut de « bon » ou « bonne » citoyen(ne). Or, la stimulation d’un devoir de conformité à des normes sociales est indissociable de la responsabilité morale individuelle. Une communication incitative en faveur de la natalité cherche donc à amener les récepteurs et réceptrices à se conformer à ce qui est présenté comme la norme du groupe, de la communauté. Les cibles ressentent de ce fait une pression sociale. L’individu exposé à cette forme d’influence sociale cherchera donc <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/002200275800200106">à se soumettre</a> pour obtenir l’approbation sociale ou éviter la désapprobation sociale.</p>
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<p>Toutefois, le recours explicite ou implicite aux normes sociales exige d’être utilisé avec précaution. D’une part, certaines cibles ayant déjà internalisé une norme morale conforme à leurs valeurs, comme celle de faire des enfants, risquent finalement d’être rebutées par la volonté de persuasion – <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/45767255/Enhancing_or_Disrupting_Guilt_The_Role_o20160519-4175-57fjrw-libre.pdf">notamment si cette dernière est perçue comme manipulatrice</a>. Elles peuvent aussi ressentir une menace sur leur liberté individuelle et <a href="https://www.cairn.info/marketing-social-et-nudge--9782376875482-page-75.htm">développer de la réactance situationnelle</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-prefere-se-passer-des-journalistes-des-quil-le-peut-221367">« Emmanuel Macron préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut »</a>
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<p>De surcroît, en appeler à la responsabilité individuelle peut entrer en conflit avec la perception d’une nature infantilisante du message délivré. Il est en effet paradoxal de demander aux cibles de se conduire en adultes responsables et « en même temps » de leur délivrer un message perçu comme infantilisant. « nouveau, la contradiction dans les intentions perçues réduit la persuasion recherchée.</p>
<p>En outre, il existe <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/47395178/Recycling_the_Concept_of_Norms_to_Reduce_Littering_in_Public_Places-libre.pdf">deux types de normes</a>. D’une part, les normes injonctives – fondées sur la perspective de récompenses ou sanctions sociales. D’autre part, les normes descriptives – qui résultent de ce que font les membres de la communauté et de ce qui est considéré comme le comportement « normal ». Ce second type de norme se base fortement sur l’exemple. Or sur ce point, Emmanuel Macron est dans l’impossibilité de se présenter comme <a href="https://theconversation.com/devoir-dexemplarite-detricoter-les-cols-roules-des-politiques-192891">l’exemple à suivre</a>. Cela affaiblit l’effet de norme descriptive et peut sembler paradoxal, comme n’a pas manqué de le noter le collectif féministe <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/rearmement-demographique-les-propos-demmanuel-macron-suscitent-la-colere-des-feministes-27efe6ce-b5ec-11ee-be97-0ca6f5a426b0">Nous Toutes</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Un homme cisgenre de 46 ans sans enfants qui vient nous donner des leçons sur la façon dont on doit utiliser nos utérus… »</p>
</blockquote>
<p>De plus, la mobilisation de normes sociales ou morales risque d’activer des émotions négatives chez celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas les suivre : culpabilité et honte notamment. Il est alors question de réponses affectives de valence négative, susceptibles de déclencher elles aussi des comportements de défense, d’évitement, de déni, voire le fameux effet « boomerang » consistant à <a href="https://books.google.fr/books/about/Communication_and_Persuasion.html?id=j_FoAAAAIAAJ">prendre le contre-pied</a> exact de ce qui est préconisé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747945785809932547"}"></div></p>
<h2>La confiance, pierre angulaire de la persuasion ?</h2>
<p>En conséquence, et comme le précise la philosophe Cristina <a href="https://psycnet.apa.org/record/2006-06579-000">Bicchieri</a>, pour espérer convaincre en recourant à toutes ces mécaniques d’influence sociale, il ne faut rien négliger. En particulier, Bicchieri pointe la nécessité de :</p>
<blockquote>
<p>« prévoir comment les gens vont interpréter un contexte donné, quels indices ressortiront comme saillants et comment des indices particuliers sont liés à certaines normes ».</p>
</blockquote>
<p>Comme le souligne le chercheur en philosophie de la santé, <a href="https://theconversation.com/les-francais-es-face-a-leur-responsabilite-133726">David Simard</a>, les Français ont un rapport complexe et ambigu à l’autorité et à l’État. De tendance facilement contestataire, ils valorisent la liberté individuelle mais en oublient parfois son corollaire, la responsabilité individuelle. De même, ils ne supportent pas les injonctions mais reprochent facilement à l’État de ne pas définir et/ou de <a href="https://theconversation.com/debat-quand-le-libre-choix-cache-la-societe-disciplinaire-que-denoncait-michel-foucault-138089">ne pas faire respecter des règles</a>. Cela rend l’exercice de la communication incitative encore plus compliqué, surtout à une époque où la confiance dans les élites, dans les médias, dans la Science, dans les politiques semble sérieusement altérée.</p>
<p>Or, en matière de communication liée à la santé (natalité et infertilité s’y rattachent), les chercheurs en psychologie sociale <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21613380">Gabriele Prati</a>, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21957983/">Luca Pietrantoni et Bruna Zani</a> ont montré que cette <a href="https://theconversation.com/politique-une-histoire-de-confiance-186487">confiance</a> représente une clé essentielle de l’efficacité persuasive.</p>
<p>Pour espérer persuader les Français de faire plus d’enfants, il faudrait donc avant toute chose faire (re)naître la confiance… Cela semble passer tout d’abord par une meilleure maîtrise de la psychologie comportementale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les recherches en communication apportent un éclairage critique sur la rhétorique du « réarmement démographique » utilisée par Emmanuel Macron.Marie-Laure Gavard-Perret, Professeure des universités en gestion, Grenoble IAE, laboratoire CERAG, spécialiste du marketing social et de la communication persuasive et préventive. Co-responsable de la chaire de recherche Marketing au Service de la Société (M2S) de Grenoble IAE., Grenoble IAE Graduate School of ManagementMarie-Claire Wilhelm, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Grenoble INP, CERAG, co-responsable de la Chaire Marketing au Service de la Société (M2S) de Grenoble IAE, Grenoble IAE Graduate School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201832024-01-23T16:37:34Z2024-01-23T16:37:34ZLes féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ?<p>Les féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ? Des magazines tels <em>Causeur</em> et <em>Valeurs actuelles</em> font leurs gros titres sur la <a href="https://www.causeur.fr/feminisme-lahaie-fourest-menard-vienet-33706">« terreur féministe »</a> et la radicalité des combats que des militantes <a href="https://www.journaldesfemmes.fr/societe/combats-de-femmes/2625279-valeurs-actuelles-alerte-les-feministes-sont-devenues-folles/">« devenues folles »</a> mèneraient contre le genre masculin. Le Rapport annuel 2024 sur l’état des sexismes en <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/actualites/article/6e-etat-des-lieux-du-sexisme-en-france-s-attaquer-aux-racines-du-sexisme">France</a> qui met en avant une augmentation des idées machistes chez les jeunes hommes de 24-35 ans déplace le pôle de la radicalité en question.</p>
<p>« Faisons du sexisme de l’histoire ancienne », commente le rapport 2024. Ces débats sur le postulat de l’extrémisme féministe d’aujourd’hui et le constat de la montée concomitante des conservatismes masculins à l’égard des femmes intéressent assurément l’histoire et renvoient aux positionnements des <a href="https://www.puf.com/antifeminismes-et-masculinismes-dhier-et-daujourdhui">antiféminismes et masculinismes d’hier</a>.</p>
<p>Un exemple édifiant est la loi qui a permis aux jeunes filles d’accéder à l’enseignement secondaire en France. Adoptée le 21 décembre 1880, sous la III<sup>e</sup> République, la <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/9844-la-loi-camille-see-ouvre-l-enseignement-secondaire-aux-jeunes-filles">« loi Camille Sée »</a> a révélé un masculinisme agitant le chiffon rouge de ce qui était perçu à l’époque comme de l’extrémisme féministe.</p>
<p>Tout à la fois, cette loi républicaine est novatrice et conservatrice.</p>
<p>Novatrice, car elle instaure pour les jeunes filles ce que le Second Empire n’a pas réussi à faire. Soucieux de promouvoir un enseignement secondaire féminin, le ministre de l’Instruction publique <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Duruy">Victor Duruy</a> avait posé avec la circulaire du 30 octobre 1867 le projet de la création de Cours d’enseignement secondaire pour les jeunes femmes. Cette initiative avait soulevé une violente opposition de l’Église catholique qui contribuera à l’échec de cette entreprise. La politique scolaire du ministre se situait dans le contexte d’un Second Empire qui avait initié une ébauche d’instruction féminine dans le primaire, avec la loi Falloux qui permettait l’ouverture d’une école primaire pour les filles dans chaque commune de plus de 800 habitants et la loi de Victor Duruy du 10 avril 1867 qui abaissait ce seuil à 500. Ces mesures étaient des avancées au regard de la loi de juin 1833 de <a href="https://www.guizot.com/fr">François Guizot</a> qui, sous la monarchie de Juillet, avait obligé l’ouverture d’écoles primaires pour les garçons dans chaque commune de plus de 500 habitants, en faisant l’impasse sur l’instruction primaire des filles.</p>
<p>Cette loi républicaine du 21 décembre 1880 est aussi conservatrice car elle crée de façon volontaire un enseignement féminin qui n’a ni le même cursus, ni le même programme, ni le même diplôme que celui des garçons. Il se déroule en cinq ans, au lieu de sept pour eux. Il privilégie un enseignement ménager et de couture pour elles. Et il n’inclut dans son programme aucun cours de philosophie et de langues anciennes. Or, ces matières sont <a href="https://www.decitre.fr/livres/histoire-du-baccalaureat-9782350770901.html">obligatoires au baccalauréat</a>. La fin du cursus donne accès non pas un baccalauréat, mais à un « diplôme de fin d’études secondaires » qui ne permet pas aux filles d’accéder à l’université. Les républicains ont donc profité du revers du Second Empire pour créer un enseignement féminin à leur convenance. Mais s’ils ont œuvré pour que la jeune fille ne soit plus élevée « sur les genoux de l’église », selon la formule chère à leur adversaire clérical, Monseigneur Dupanloup, ils ont aussi agi pour qu’elle soit élevée sur les genoux républicains du foyer familial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-maths-pour-les-garcons-le-francais-pour-les-filles-comment-les-stereotypes-de-genre-se-perpetuent-a-lecole-202392">Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école</a>
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<p>Cet inégalitarisme de scolarisation entre filles et garçons n’est pas le fait du hasard. Dans ce <a href="https://galeries.limedia.fr/histoires/les-stereotypes-de-genre-au-XIXe-si%C3%A8cle/">XIX<sup>e</sup> siècle masculiniste</a>, il résulte d’une peur que les hommes ont que les femmes puissent accéder à autre chose qu’un simple enseignement élémentaire. Cette <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f1.item.r=lyc%C3%A9es%20et%20coll%C3%A8ges%20de%20jeunes%20filles%20documents%20rapports%20et%20discours">frayeur tourne autour d’une trilogie</a> que scandent législateurs et autres théoriciens de l’éducation dans les discours, ouvrages et articles dont ils sont les auteurs : les femmes studieuses seraient des femmes orgueilleuses, hideuses, dangereuses. Les délibérations qui se tiennent à la Chambre des députés en décembre 1879 et janvier 1880 ainsi qu’au Sénat en novembre et décembre 1880 permettent de bien rentrer dans le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f1.item.r=lyc%C3%A9es%20et%20coll%C3%A8ges%20de%20jeunes%20filles%20documents%20rapports%20et%20discours">détail de ces émois</a>.</p>
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<h2>Femmes studieuses, femmes orgueilleuses</h2>
<p><a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/oeuvre/les_Femmes_savantes/119250"><em>Les Femmes savantes</em></a> de Molière et <a href="https://www.livre-rare-book.com/book/20676660/12142"><em>Les Bas-Bleus</em></a> de Barbey d’Aurevilly sont dans toutes les têtes lors des débats parlementaires et sénatoriaux. Ces pédantes ridicules sans talent sont des repoussoirs absolus. Dans l’introduction à son projet de loi, le député Camille Sée <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f84.image.r=Chrysale%20a">rassure</a> ses collègues parlementaires :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne s’agit ni de détourner les femmes de leur véritable vocation, qui est d’élever leurs enfants et de tenir leurs ménages, ni de les transformer en savants, en bas-bleus, en ergoteuses. » (ndlr, « bas-bleu » est expression péjorative pour désigner une femme cultivée)</p>
</blockquote>
<p>Pas plus par snobisme hautain que par surcroît d’intellectualité, il leur promet que la femme républicaine n’abandonnera les tâches culinaires qui lui reviennent :</p>
<blockquote>
<p>« L’économie domestique leur est indispensable ; Chrysale a raison : il faut songer au pot-au-feu. On le dédaignait par mondanité ; il ne faut pas qu’on le dédaigne par excès de capacité. »</p>
</blockquote>
<p>Sur les bancs de ces nobles assemblées, des cris fusent contre les « habits déchirés » que la femme, trop « occupée de hautes études » ne voudra plus recoudre pour son mari. Ils s’indignent aussi du « rôti brulé » et du « pot-au-feu manqué » qu’elle ne manquera pas de lui servir.</p>
<p>Toutes ces admonestations sur les « savantes », les « bas-bleus », les « ergoteuses » avec leur « mondanité », leur « capacité » et leurs « hautes études » sont des doigts sévèrement pointés sur celles qui sont perçues comme de futures orgueilleuses instruites et diplômées qui ne pourront que regarder de haut les tâches subalternes des habits à recoudre et du dîner à préparer. Même après la proclamation de la loi, les recommandations restent tenaces contre « l’orgueil » de la jeune fille instruite.</p>
<p>Tout ce qui relève du scientifique exacerbe particulièrement les élites de l’époque. Le 28 juillet 1882, l’ancien ministre de l’Instruction publique Jules Simon déclare lors d’une remise de prix à de jeunes lycéennes :</p>
<blockquote>
<p>« Je soutiens qu’il est parfaitement inutile d’enseigner la chimie et la physique aux filles […] »</p>
</blockquote>
<p>Le risque de ces sciences, continue-t-il, est de faire de ces jeunes femmes des mères infatuées qui ne s’abaisseront plus à nourrir leur progéniture. Elles utiliseront un langage châtié pour vérifier que leur servante ait bien mis du sucre dans le bouillon de leur petit. Jules Simon se moque du ridicule qu’aurait leur style ampoulé :</p>
<blockquote>
<p>« [Elles] ne manqueront pas […] de s’écrier en molestant la nourrice de leur enfant – car elles ne nourriront certainement plus elles-mêmes – “Avez-vous donné à mon fils son potage sacchariné ?” »</p>
</blockquote>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-hommes-qui-mexpliquent-la-vie-de-nouvelles-solutions-a-un-tres-vieux-probleme-120646">« Ces hommes qui m'expliquent la vie » : de nouvelles solutions à un très vieux problème</a>
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<h2>Femmes studieuses, femmes hideuses</h2>
<p>La femme hideuse, c’est la « virago », cette mégère autoritaire aux allures masculines que généreront ces études secondaires. Trois jours après la séance sénatoriale du 22 novembre 1880, l’écrivain <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/qui-etait-octave-mirbeau-3439692">Octave Mirbeau</a> dans le journal <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k523648k/f1.image"><em>Le Gaulois</em></a> s’étrangle de colère devant la politique républicaine en cours :</p>
<blockquote>
<p>« Qu’est-ce que j’apprends ? Et où allons-nous, mon Dieu ? Ne voila-t-il pas, maintenant, qu’ils veulent prendre nos filles pour en faire des hommes ! »</p>
</blockquote>
<p>Après quelques considérations sur « la barbe au menton » qu’elles ne manqueront pas d’avoir, il dénonce le sabotage d’identité qui se trame :</p>
<blockquote>
<p>« II s’agit de les déniaiser, de les savantiser, de les bas-bleuiser, de les garçonniser, de les viriliser. »</p>
</blockquote>
<p>Tous horizons politiques confondus, le « bas-bleu » n’est donc pas seulement une prétentieuse qui pérore à tout va. C’est aussi une femme qui trahit hideusement sa nature féminine. Un « homme manqué », un « hermaphrodite » qui s’échine à vouloir ressembler à son homologue masculin pour mieux le toiser. Charles Baudelaire, Georges Proudhon ou Jules Barbey d’Aurevilly se déchainent sur les affreuses métamorphoses à venir. En femme de plume célèbre, George Sand est une de leurs cibles favorites. Plus cyniques que jamais, les <a href="https://laffont.ca/livre/journal-des-goncourt-t-3-ne-a-paraitre-97822211t41267/">frères Goncourt</a> s’en prennent aussi à elle pour attester des mutations en cours :</p>
<blockquote>
<p>« Si on avait fait l’autopsie des femmes ayant un talent original, comme Mme Sand […] on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de l’homme, des clitoris un peu parent de nos verges. »</p>
</blockquote>
<h2>Femmes studieuses, femmes dangereuses</h2>
<p>On s’effraie des « bas-bleus » dégénérés autant que des « bas-rouges » révoltés à venir. Le lendemain du vote en première lecture de la loi sur les lycées de jeunes filles, le journal catholique <em>L’Univers</em> <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k703581x">fait son miel</a> du péril imminent que préparent les savoirs et diplômes féminins. Les « futures doctoresses et avocates », élevées « sans religion » et « bourrées de cette science-frelatée » ne seront que les répliques des violences de 1848 et 1870 :</p>
<blockquote>
<p>« La haine de ces bas-rouges sera d’autant plus féroce que leurs appétits seront plus vastes ; elles voudront réformer une société où elles ne sauraient trouver place, et s’en iront, avec les Hubertine Auclert et les Louise Michel, courir les réunions publiques et réclamer les droits de la femme. »</p>
</blockquote>
<p>Lors des débats parlementaires précédant le vote de la loi, le sénateur bonapartiste Georges Poriquet agite également l’épouvantail de l’émeutière communarde. « Même améliorée par la République », il ne veut pas de cette « femme savante, électeur et orateur, la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_commune-9782707186805">Louise Michel</a> du présent et de l’avenir ».</p>
<p>Dangereuses pour les autres, les femmes studieuses le seraient aussi pour elles-mêmes. Ces littératures prédisent que, désœuvrées par ces nouveaux savoirs, elles se donneront « au premier homme qui passera », « qu’elles se tueront », qu’elles « deviendront folles »…</p>
<p>Les hommes du XIX<sup>e</sup> siècle ont eu peur des évolutions à venir. Et ils ont fait peur à leurs contemporains pour que ces progrès ne se fassent pas. Leur refus d’un enseignement secondaire à égalité avec celui des garçons a été extrême. Il a rejeté de toutes ses forces ces changements en dramatisant leurs enjeux. Il faudra attendre le décret de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_B%C3%A9rard_(homme_politique)">Léon Bérard</a> en 1924 pour que les filles puissent commencer à passer un baccalauréat identique à celui des garçons ; soit cent seize ans après le décret impérial du 17 mars 1808 de Napoléon 1er.</p>
<p>Deux siècles plus tard, les conservateurs s’offusquent de l’extrémisme des féminismes d’aujourd’hui. Ces femmes seraient une fois encore <a href="https://www.entreprendre.fr/le-neo-feminisme-nouveau-totalitarisme-engendrant-des-monstres/">orgueilleuses</a>, <a href="https://mamanvogue.fr/bien-etre/enfants/psychologie-enfants/comment-le-feminisme-met-en-danger-la-feminite/">hideuses</a>, <a href="https://atlantico.fr/article/decryptage/le-neo-feminisme-une-ideologie-totalitaire-feministes-militants-societe-france-critiques-pensee-philosophie-revendications-jean-gabard">dangereuses</a>… Ce n’est rien de neuf sous le soleil noir des <a href="https://theconversation.com/il-faut-quon-parle-de-la-maniere-dont-on-parle-des-incels-182928">conservatismes sexistes</a> du XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220183/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Barreau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les féministes du XXIᵉ siècle sont parfois taxées d’extrémisme. L’Histoire nous montre que ce chiffon rouge est souvent agité notamment lors des débats sur l’accès des femmes à l’éducation secondaire.Jean-Michel Barreau, Professeur émérite en Sciences de l'éducation. Historien de l'école et de l'éducation. Spécialiste des normes et valeurs scolaires., Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196362023-12-28T17:12:35Z2023-12-28T17:12:35ZFemmes, dans les collections des musées comme aux postes à responsabilité, où sont-elles ?<p>Êtes-vous capable, spontanément, de citer plusieurs artistes femmes exposées dans des musées ? Si des noms masculins vous viennent plus facilement à l’esprit, ce n’est pas par hasard : les femmes, dans l’art comme dans bien d’autres sphères associées à une forme de pouvoir, d’influence ou de prestige, sont bien <a href="https://boutique.centrepompidou.fr/fr/product/10092-pourquoi-t-il-pas-eu-de-grands-artistes-femmes.html">moins reconnues, exposées et étudiées</a> que leurs homologues masculins. Invisibilisées, elles semblent trop souvent condamnées à une gloire posthume, voire à ne jamais parvenir à percer.</p>
<blockquote>
<p>« Faut-il que les femmes soient nues pour entrer au musée ? »</p>
</blockquote>
<p>Dès les années 1980, le collectif d’artistes femmes anonymes les <a href="https://awarewomenartists.com/artiste/guerrilla-girls/">Guerrilla Girls</a>, a réagi par cette question à une <a href="https://www.tate.org.uk/art/artworks/guerrilla-girls-do-women-have-to-be-naked-to-get-into-the-met-museum-p78793">exposition au MoMA</a>, intitulée « Rétrospective internationale de peinture et sculpture contemporaine » qui avait comme ambition d’exposer les plus grands noms de l’art contemporain. Parmi les 169 artistes présentés, seulement 13 étaient des femmes.</p>
<p>Selon plusieurs études récentes, les femmes restent peu présentes dans les musées en tant qu’artistes. Par exemple, aux États-Unis en 2019, dans les 18 musées les plus importants en termes de nombre de visiteurs, <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0212852">87 % des artistes exposés dans les collections permanentes sont des hommes</a>.</p>
<p>De façon similaire, en France, une <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Musees/Les-musees-en-France/Les-collections-des-musees-de-France/Decouvrir-les-collections/Les-femmes-artistes-sortent-de-leur-reserve/Informations-complementaires/informations/Milieu-artistique/Les-sujets">étude de 2021</a> répertorie dans les catalogues des musées publics nationaux 93,4 % d’artistes hommes.</p>
<p>On pourrait nous rétorquer que nombre d’expositions récentes, en France, sont consacrées aux artistes femmes : <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/OmzSxFv">« Elles font l’abstraction » en 2021</a>, <a href="https://museeduluxembourg.fr/fr/agenda/evenement/pionnieres">« Pionnières » en 2022</a>, ou <a href="https://museedartsdenantes.nantesmetropole.fr/suzanne-valadon">Suzanne Valadon en 2023</a>… En réalité, cette floraison est symptomatique du problème d’égalité des genres : les artistes hommes n’ont pas besoin d’être associés à une catégorie spécifique pour faire l’objet d’expositions thématiques ou monographiques. Ils ont eu tout l’espace pour eux pendant des siècles. Pour corriger cette inégalité, on s’efforce de mettre la lumière sur les femmes en créant des expositions qui leur sont dédiées. Mais comme le soulignait un article paru dans <em>Le quotidien de l’art</em> en 2021, « plane sur ce genre d’initiative le danger de mettre dans le même sac des artistes qui n’ont pas grand-chose d’autre en commun que leur sexe, et de les y réduire ».</p>
<p>Pour quelles raisons les femmes sont aussi peu présentes dans les musées ? La difficulté des femmes artistes à trouver leur place dans les catalogues des musées d’art rappelle celle des femmes qui n’arrivent pas à briser le plafond de verre en entreprise. Ce sujet étant aujourd’hui très documenté dans la littérature en management, nous pouvons tenter d’établir des parallèles avec les raisons de la faible représentation des femmes artistes dans les catalogues des musées et dans les salles d’exposition.</p>
<h2>Stéréotypes et présomption d’inaptitude</h2>
<p>Un premier élément d’explication semble être lié aux stéréotypes de genre, avec la présomption d’inaptitude des femmes à créer de l’art « officiel ». Historiquement, en France, l’art était légitimé par l’Académie Royale de Peinture et Sculpture, créée par le cardinal Mazarin en 1648 qui propose un Salon, lieu annuel d’exposition des artistes officiels, validés par les juges de l’Académie. C’est <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/quest-ce-que-le-salon/">au Salon</a> que l’État achète des œuvres pour les exposer dans des musées.</p>
<p>Dans les années 1800-1830, les femmes ne représentent jamais moins de 14 % des exposants au Salon, mais elles ne sont plus que 1,74 % dans les catalogues des musées de l’époque, n’arrivant pas à briser le plafond de verre des experts (hommes) de l’Académie.</p>
<p>De nos jours et de façon similaire, l’accès des femmes aux postes stratégiques dans les organisations dépend fortement de l’évaluation de leurs compétences par leurs homologues hommes – de fait, ils sont plus nombreux aux postes à responsabilité – influencés par les <a href="https://psycnet.apa.org/record/1995-97464-000">stéréotypes de genre</a> (définis comme des croyances partagées concernant les caractéristiques, traits et comportements d’une personne associées à son genre). Depuis les années 1970, plusieurs études montrent que les caractéristiques « masculines » sont plus largement associées à l’idéal type du leader. Malgré le plus grand nombre des femmes en entreprise et dans les universités, ces stéréotypes sont relativement stables, en particulier chez les hommes qui perçoivent les femmes comme non adaptées <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00914558/document">pour occuper des positions managériales stratégiques</a>.</p>
<h2>« Think artist, think male »</h2>
<p>Comme le souligne <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2007-2-page-113.htm">Trasforini (2007)</a>, « à l’art, on associe en effet l’auteur, l’homme, le maker, tandis que la femme, ‘auteure’ non d’une œuvre mais d’un produit utile et souvent collectif ».</p>
<p>Ce constat est réitéré en 2018 par le <a href="https://haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_inegalites_dans_les_arts_et_la_culture_20180216_vlight.pdf">Haut Conseil à L’Égalité entre les femmes et les hommes</a> :</p>
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<p>« La femme est cantonnée au sujet de l’œuvre d’art, au produit du talent de l’homme. Ce que l’on entend aujourd’hui par création – mais également notre manière de concevoir l’artiste – s’inscrit dans la continuité d’une histoire de l’art qui a toujours pensé le « créateur », comme l’homme disposant d’un don original et singulier ».</p>
</blockquote>
<p>De même que dans les milieux de l’art, le génie artistique est plus spontanément associé au genre masculin, dans l’imaginaire collectif des milieux professionnels, les rôles de leadership sont souvent associés aux hommes. La fameuse citation : « Think leader – Think male », illustre la représentation mentale du portrait type du leader en <a href="https://www.theguardian.com/women-in-leadership/2015/jul/15/think-manager-think-man-women-leaders-biase-workplace">lui attribuant un genre masculin</a>. Ce phénomène documenté dans les théories implicites du leadership depuis plus de 40 ans montre la prégnance des stéréotypes dans la représentation d’un vrai leader. <a href="https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/centres-et-chaires/chaire-diversite-inclusion/publications/mars-2018-etude-diversite-inclusion-et-leadership">Une étude récente</a> montre que les attributs d’un leader sont encore plus majoritairement associés à des caractéristiques dites « masculines ». Les femmes sont vues comme manquant de l’« agentivité » (détermination, confiance, indépendance…) nécessaires pour être des leaders qualifiés.</p>
<p>Cette assimilation homme-leader, homme-artiste alimente un cercle vicieux éloignant des femmes des postes de pouvoir dans les entreprises et des projets ambitieux dans les milieux de l’art.</p>
<h2>Accès différencié aux opportunités</h2>
<p>Même si un petit nombre d’artistes femmes arrivent à être exposées dans les musées, historiquement, elles restent le plus souvent cantonnées à des genres de peinture moins prestigieux (les portraits, la nature morte, les miniatures). L’Académie <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Musees/Les-musees-en-France/Les-collections-des-musees-de-France/Decouvrir-les-collections/Les-femmes-artistes-sortent-de-leur-reserve/Informations-complementaires/informations/Milieu-artistique/Les-sujets">établit une hiérarchie des genres</a> avec, au sommet, la peinture d’histoire qui représente des figures héroïques et le « petit genre », <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Musees/Les-musees-en-France/Les-collections-des-musees-de-France/Decouvrir-les-collections/Les-femmes-artistes-sortent-de-leur-reserve/Informations-complementaires/informations/Milieu-artistique/Les-sujets">qui montre des sujets intimes ou légers, suivis par le paysage, et enfin la nature morte</a>.</p>
<p>Longtemps écartées de la sculpture, de l’étude du nu et des genres majeurs de la peinture, plusieurs femmes artistes, comme <a href="https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/conquetes-feminines-elisabeth-vigee-le-brun-et-les-artistes-femmes-du-xviiie-si%C3%A8cle-11134221/">Elisabeth Vigée Le Brun ou Rosalba Carriera</a>, ont pourtant percé dans les portraits. Cependant, plus les femmes se consacrent à ce genre d’art « modeste », moins elles sont exposées et leurs œuvres portées à la postérité, c’est-à-dire exposées dans les musées.</p>
<p>L’accès aux opportunités est un autre parallèle entre la place des femmes artistes dans les musées et celle des femmes au sein des organisations, révélant l’analogie entre la hiérarchie des genres d’expression en art et les postes occupés dans les structures professionnelles. Dans les entreprises, les femmes sont surreprésentées dans des fonctions support (ex. RH communication, marketing, RSE), elles sont rares dans des fonctions dites opérationnelles comme la vente ou la finance, activités centrales qui permettent <a href="https://www.wtwco.com/fr-fr/insights/2021/05/quotas-dans-les-comites-executifs-la-parite-dans-les-instances-dirigeantes#:%7E:text=Les%20femmes%20repr%C3%A9sentent%2037%25%20des,%20constituant%20le%20c%C5%93ur%20du%20business">plus facilement de grimper les échelons et d’occuper des postes stratégiques</a>. Par exemple, <a href="https://www.sia-partners.com/fr/publications/publications-de-nos-experts/la-place-des-femmes-dans-le-secteur-bancaire-francais-au">selon une étude menée en 2022</a>, même si les femmes représentent aujourd’hui 57 % des effectifs dans le secteur bancaire, elles occupent des postes hiérarchiques inférieurs et moins bien rémunérés.</p>
<h2>Réseau et influence</h2>
<p>Au-delà du genre de l’art, du travail et du talent, la reconnaissance et la qualité d’une œuvre dépendent beaucoup des occasions de rencontre avec le public et des ressources financières et humaines dont l’artiste peut disposer. <a href="https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Mission-EgaliteS">Le rapport de Prat (2009)</a> souligne cette réalité qui n’est pas favorable aux femmes en raison de leur accès limité aux réseaux permettant le partage des savoir-faire, des moyens de production et des outils de travail.</p>
<p>L’inégalité d’accès aux réseaux professionnels et aux personnes influentes limite les possibilités d’évolution, de visibilité et de reconnaissance des artistes femmes. <a href="https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Mission-EgaliteS">Les réseaux de sociabilité masculine</a>, producteurs de solidarités actives, n’ont pas leur équivalent féminin ou de manière marginale.</p>
<p>L’accès aux institutions et aux expositions leur échappe de leur vivant ; et une fois disparues, leurs travaux n’accèdent pas aux archives, et ne peuvent donc susciter l’intérêt des conservateurs.</p>
<p>De la même manière, pour accéder aux postes stratégiques en entreprise, il est nécessaire de faire partie des réseaux d’influence afin de tisser des liens, construire un capital social et être en capacité de saisir des opportunités et d’émerger comme leaders. En comparaison avec les hommes, les femmes ont plus de difficulté à accéder à des réseaux professionnels <a href="https://www.onufemmes.fr/nos-actualites/2021/3/2/le-leadership-est-il-une-affaire-de-sexe-">ce qui limite leur accès à des rôles de leadership</a>. Les études montrent que les femmes ont également un accès plus limité aux sponsors et aux mentors influents qui peuvent les aider à accélérer leurs carrières et à atteindre des <a href="https://www.hbrfrance.fr/leadership/le-leadership-feminin-une-construction-sociale-60341">postes hiérarchiquement importants</a>.</p>
<p>Aujourd’hui encore les perspectives restent inégalitaires en dépit d’un accès égal à l’éducation : les <a href="https://haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_inegalites_dans_les_arts_et_la_culture_20180216_vlight.pdf">femmes artistes représentent 60 % des élèves en France mais seulement 10 % seulement des artistes récompensés</a>. Si des progrès sont constatés vers une meilleure représentation des femmes à des postes de direction dans les instances de la vie culturelle, des efforts sont toujours nécessaires pour arriver à la parité <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-d-ouvrages/Observatoire-de-l-egalite-entre-femmes-et-hommes-dans-la-culture-et-la-communication/Observatoire-2023-de-l-egalite-entre-femmes-et-hommes-dans-la-culture-et-la-communication">(en 2023, 59 % d’hommes occupent la direction des établissements publics culturel, mais ils étaient 70 % en 2017)</a>. Dans les écoles de management et d’ingénieurs, <a href="https://www.cge.asso.fr/barometre-egalite-femmes-hommes-les-grandes-ecoles-toujours-mobilisees/">elles représentent respectivement 50 % et 33 %</a> des effectifs et uniquement <a href="https://ecoda.eu/ecoda-ethics-boards-barometer-of-gender-diversity-in-governing-bodies-in-europe/">3 à 7 % des CEO des entreprises</a> du CAC 40 et du SBF 120.</p>
<p>N’est-il pas temps de rompre ce cercle vicieux qui invisibilise et minimise les femmes aussi bien dans les instances de pouvoir que dans les musées et de (re) poser la question <a href="https://pba-opacweb.lille.fr/fr/collections/ou-sont-les-femmes?p=1">« Où sont les Femmes »</a> ? Les maux sont connus et documentés aussi bien dans la littérature sur les milieux artistiques que managériaux, les remèdes le sont aussi. Par exemple, le code général de la fonction publique prévoit <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-d-ouvrages/Observatoire-de-l-egalite-entre-femmes-et-hommes-dans-la-culture-et-la-communication/Observatoire-2023-de-l-egalite-entre-femmes-et-hommes-dans-la-culture-et-la-communication">au moins 40 % de personnes de chaque sexe aux postes de direction</a> et dans le cadre des entreprises <a href="https://www.united-heroes.com/fr/blog/6-actions-d-entreprise-pour-promouvoir-l-egalite-hommes-femmes">l’index de l’égalité</a> vise à garantir la parité. Il faut juste les appliquer.</p>
<p>Les femmes qui constituent la moitié de l’humanité et la moitié des élèves des écoles d’art et de management (on pourrait appliquer le même discours aux carrières scientifiques) doivent avoir les mêmes possibilités que leurs camarades hommes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219636/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>« Faut-il que les femmes soient nues pour entrer au musée ? » La question que posaient les Guerilla Girls dans les années 1980 semble toujours d’actualité.Hager Jemel-Fornetty, Associate professor, EDHEC Business SchoolGuergana Guintcheva, Professeur de Marketing, EDHEC Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2198422023-12-17T15:34:36Z2023-12-17T15:34:36ZLa mixité en entreprise, l’autre enjeu du système éducatif<p>Malgré les récentes avancées, l’égalité femmes-hommes dans les entreprises, notamment dans les instances de gouvernance, reste l’un des grands enjeux de nos sociétés modernes. Longtemps, des pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) discriminantes à l’égard des femmes ont été accusées d’être à l’origine de la faible mixité des instances de gouvernance. Le législateur est venu corriger cet état de fait en 2011 en imposant un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000023487662/">loi Copé-Zimmermann</a>) et dans les comités exécutifs (comex) à compter de 2029 (<a href="https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/la-loi-rixain-accelerer-la-participation-des-femmes-a-la-vie-economique-et">loi Rixain</a> votée en 2021).</p>
<p>Dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2021-5-page-97.htm">article</a> de recherche publié en 2021, j’avais montré à quel point cette législation coercitive a été efficace pour favoriser la diversité dans les instances de gouvernance. Cependant, la loi ne peut régler tous les problèmes en matière de mixité dans les entreprises. De même, les pratiques de GRH se heurtent à des mécanismes sur lesquels les employeurs ont peu ou pas d’emprise.</p>
<h2>Une politique volontariste est possible</h2>
<p>Les <a href="https://www.skema-bs.fr/facultes-et-recherche/recherche/observatoire-de-la-feminisation">travaux de l’Observatoire Skema de la féminisation des entreprises</a> ont ainsi mis en évidence une grande hétérogénéité en termes de mixité au sein des comités exécutifs, mais également dans la population de « managers intermédiaires » (catégories ingénieurs et cadres) qui constitue le vivier de talents dans lequel les entreprises puisent pour recruter les membres de leur direction.</p>
<p>Si certains employeurs peuvent être suspectés de discrimination dans la mesure où ils disposent d’un vaste vivier de femmes managers intermédiaires mais n’emploient que peu de femmes dans leur comex (LVMH, EssilorLuxottica, Danone), d’autres en revanche ne disposent pas d’un tel vivier de talents féminins (Airbus, Thalès, STMicroelectronics).</p>
<p>Paradoxalement, il y a plus d’entreprises ayant déjà atteint le quota de 40 % de femmes au comex fixé par la loi Rixain parmi celles qui ont un vivier limité de femmes managers intermédiaires (Orange, Schneider Electric et Engie) que parmi celles qui disposent d’un vivier plus conséquent (Vivendi et Crédit Agricole). Une politique volontariste de promotion des talents féminins semble donc possible, même dans les entreprises disposant d’un vivier réduit dans leur population d’encadrement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.skema-bs.fr/facultes-et-recherche/recherche/observatoire-de-la-feminisation">Observatoire Skema de la féminisation des entreprises (2023)</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En revanche, la faible présence des femmes dans le management intermédiaire apparaît moins liée aux pratiques de GRH des employeurs qu’à des mécanismes externes aux entreprises et que ces dernières ne peuvent que difficilement influencer. Dans une recherche récente, j’ai montré qu’au-delà de la discrimination et de l’existence d’un plafond de verre au sein des entreprises, deux autres mécanismes influencent la mixité en entreprise : les <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1-2018-2-page-83.htm">choix éducatifs et les préférences professionnelles</a> qui restent aujourd’hui sexués.</p>
<h2>Peu de femmes ingénieures</h2>
<p>Ainsi, les entreprises industrielles dont le management intermédiaire est composé essentiellement de diplômés d’écoles d’ingénieurs font face à la faible présence de filles dans ces institutions éducatives. En moyenne, les filles représentent 28 % des effectifs des écoles d’ingénieurs (contre environ 50 % dans les écoles de management) avec de grandes disparités entre les écoles. À peine 17 % à Polytechnique, 18 % à CentraleSupélec, 16 % aux Arts et Métiers mais 65 % à AgroParisTech. Les entreprises industrielles recrutant des ingénieurs font face au faible nombre de diplômées formées par le système éducatif.</p>
<p>Certes, les entreprises peuvent influencer les choix éducatifs des filles. Un <a href="https://academic.oup.com/ej/article-abstract/133/653/1773/7055938">article</a> récent, publié dans <em>The Economic Journal</em>, a montré les effets positifs du programme d’ambassadrices scientifiques que L’Oréal délègue dans les lycées depuis 2014 pour lutter contre les stéréotypes genrés et inciter les étudiantes à s’orienter vers les cursus de sciences, technologie, ingénierie et mathématique. Cette recherche montre que les jeunes filles exposées à ce programme de sensibilisation s’orientent plus vers les prépas scientifiques aux grandes écoles. Cependant, l’expérience reste anecdotique au regard de l’importance de la population de lycéennes et du faible rôle donné aux entreprises au sein du système éducatif.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-legalite-entre-les-sexes-nefface-t-elle-pas-les-segregations-dans-les-filieres-scientifiques-152272">Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface-t-elle pas les ségrégations dans les filières scientifiques ?</a>
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<p>Le vivier limité de diplômées des écoles d’ingénieurs s’est également réduit sous l’effet d’un autre mécanisme : les préférences professionnelles, elles aussi genrées. Ainsi, L’Oréal est l’employeur préféré des ingénieures mais n’est que le 35<sup>e</sup> pour leurs homologues masculins. Inversement, les constructeurs automobiles sont plutôt bien considérés par les garçons ingénieurs mais beaucoup moins par les filles.</p>
<p>Cette dichotomie genrée se retrouve dans les écoles de management et les femmes sont attirées par des secteurs déjà très féminisés (luxe, santé, agroalimentaire) et moins par les secteurs industriels comme l’énergie, la construction ou l’automobile.</p>
<p>Aujourd’hui, les employeurs et les associations de femmes ingénieures s’efforcent de promouvoir les métiers de l’industrie auprès des filles. Cependant, leur capacité d’influence reste limitée car les choix éducatifs et les préférences professionnelles se construisent hors et avant l’entrée des individus sur le marché du travail.</p>
<h2>Une responsabilité de toute la société et du système éducatif</h2>
<p>Les pouvoirs publics et de nombreuses parties prenantes ont pendant longtemps attribué à des pratiques discriminantes des entreprises la faible mixité dans les postes à responsabilité. La réalité semble cependant plus subtile puisqu’une partie de la responsabilité incombe aussi au système éducatif au sens large, c’est-à-dire à l’école, aux parents et à la société en général.</p>
<p>Comme l’a montré la sociologue américaine Shelley Correll, tant les parents que les instituteurs tendent à <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/full/10.1086/321299">s’inquiéter beaucoup plus quand les petits garçons éprouvent des difficultés en mathématiques</a> et consacrent plus d’énergie pour les aider à progresser que lorsqu’il s’agit de petites filles, renforçant ainsi dès les petites classes les stéréotypes sexués en matière d’appétence à l’égard des disciplines scientifiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenjeu-societal-de-la-ghetto-sation-sexuelle-des-grandes-entreprises-178078">L’enjeu sociétal de la ghettoïsation sexuelle des grandes entreprises</a>
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<p>Pour reprendre <a href="https://www.lessaintsperes.fr/77-le-deuxieme-sexe-9791095457565.html">l’intuition de Simone de Beauvoir</a>, la société construit les sexes de manière différenciée et cela oriente les choix éducatifs et professionnels des filles et des garçons pour à terme influencer la mixité dans les entreprises. Au-delà de l’école et des parents, les médias, la publicité, la littérature et l’industrie cinématographique construisent une image genrée du scientifique, de l’ingénieur, de l’innovateur ou de l’entrepreneur à laquelle peuvent s’identifier les garçons dès leur plus jeune âge et beaucoup moins les jeunes filles qui sont renvoyées à d’autres stéréotypes.</p>
<p>C’est donc le rôle du système éducatif d’imaginer des dispositifs pédagogiques qui remettent en cause les stéréotypes genrés afin d’orienter les jeunes filles vers les filières scientifiques et les sciences de l’ingénieur. L’enjeu n’est pas uniquement en matière d’équité sociale, mais également en termes de performances économiques et <a href="https://theconversation.com/les-femmes-plus-soucieuses-de-lenvironnement-oui-parce-quelles-ont-appris-a-letre-131314">environnementales</a>. Dans un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09585192.2022.2093121">article</a> publié en 2021, nous avions ainsi montré que les entreprises les plus mixtes sont également plus rentables que celles qui sont très masculines ou très féminines.
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L’économiste Xavier Jaravel, dans son ouvrage récent au titre évocateur, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/marie-curie-habite-dans-le-morbihan-xavier-jaravel/9782021545838"><em>Marie Curie habite dans le Morbihan. Démocratiser l’innovation</em></a> (éditions du Seuil) met d’ailleurs en évidence la nécessité pour nos sociétés et notre système éducatif d’inciter les jeunes filles talentueuses à s’orienter vers des carrières scientifiques pour contribuer au bien-être collectif et développer des innovations responsables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219842/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Ferrary ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les difficultés à atteindre les objectifs d’égalité hommes-femmes dans certaines entreprises s’expliquent par des choix d’orientation et des préférences professionnelles qui restent fortement genrés.Michel Ferrary, Professeur de Management à l'Université de Genève, Chercheur-affilié, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167572023-11-23T17:55:49Z2023-11-23T17:55:49ZViolences conjugales : et si l’on cessait de considérer les victimes uniquement comme « publics vulnérables » ?<p><a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/25-november-against-domestic-violence">La journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes</a>, le 25 novembre, est l’occasion de rappeler l’universalité de ces violences, géographiquement et socialement.</p>
<p><a href="https://virage.site.ined.fr/fichier/s_rubrique/29712/plaquette.result.virage.2020_violences12mois.fr.pdf">L’enquête Virage</a> (violences et rapports de genre), menée en 2015 par l’Ined (Institut national d’études démographiques), a confirmé que les femmes de tous les milieux sociaux peuvent subir des violences conjugales. En revanche, il existe une forte corrélation entre les faits de violences et l’absence et la recherche d’emploi, tant de la femme victime que du conjoint. Pourtant l’insertion professionnelle des victimes n’est que peu, voire pas, abordée dans la politique de lutte contre les violences conjugales.</p>
<p>Ce constat peut paraître d’autant plus paradoxal que l’autonomie, à savoir l’indépendance financière des femmes, est au cœur de la <a href="https://pur-editions.fr/product/1502/l-etat-et-les-droits-des-femmes">politique d’égalité femmes-hommes</a>. Nous avons analysé cinq plans d’action interministériels depuis 2003, les <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/sites/efh/files/2022-09/dossier-de-presse-septembre-2022-grenelle-des-violences-conjugales-trois-ans-d-action-et-d-engagement-du-gouvernement.pdf">mesures du Grenelle</a> de 2019 et réalisé 30 entretiens avec des acteurs institutionnels au niveau national et dans les territoires de La Réunion et des Antilles.</p>
<p>Les victimes sont systématiquement catégorisées en tant que « publics vulnérables » ce qui les réduit à être dans un état durable de vulnérabilité, à être accompagnée pour une insertion sociale mais pas professionnelle qui pourrait viser l’émancipation, davantage compatible avec une approche en termes d’égalité femmes-hommes.</p>
<h2>Refonte de l’administration</h2>
<p>L’administration en charge de mettre en œuvre la politique d’égalité femmes-hommes est rattachée aux questions sociales depuis une quinzaine d’années. Le Service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE) a été intégré dans la Direction de la cohésion sociale (DGCS) en 2007 alors qu’auparavant il était indépendant. La DGCS conçoit et pilote les politiques publiques de solidarité qui ont pour rôle de <a href="https://www.cairn.info/les-politiques-sociales-en-france--9782100778690-page-1.htm">protéger les catégories vulnérables</a> (personnes en situation de précarité, personnes âgées, personnes en situation de handicap, enfants et familles, majeurs protégés). </p>
<p>La transversalité du champ d’action du Service des droits des femmes et de l’égalité (l’égalité femmes-hommes touchant tous les champs de la société) s’en est donc trouvée réduite. Outre un personnel divisé par deux, les liens du SDFE avec le ministère du Travail, par exemple, ont été plus difficiles à maintenir alors que l’égalité professionnelle était au cœur de son action.</p>
<p>Ainsi, en même temps que la politique de lutte contre les violences se développait <a href="https://pur-editions.fr/product/1502/l-etat-et-les-droits-des-femmes">dans les années 2000</a>, les questions d’égalité se retrouvaient institutionnellement associées à celles liées à la vulnérabilité. Cet étiquetage « social » a conduit à une moindre légitimité pour assurer les échanges et solidarité entre ministères, indispensable à cette politique qui mobilise le ministère de l’Égalité femmes-hommes mais également les ministères de l’Intérieur, de la Justice et dans une moindre mesure de la Santé et de l’Éducation nationale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quels-outils-juridiques-et-administratifs-pour-lutter-contre-les-feminicides-164337">Quels outils juridiques et administratifs pour lutter contre les féminicides ?</a>
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<p>Au niveau territorial il en est de même. Le réseau des directrices régionales et déléguées départementales aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) est rattaché depuis 2007 au sous-préfet en charge de la cohésion sociale. Cette intégration a eu des conséquences sur les fonctions que les DRDFE assuraient auprès du préfet. Les initiatives partenariales doivent maintenant être discutées et validées par le sous-préfet chargé de la cohésion sociale. La dépendance à la sensibilité personnelle de ces derniers est devenu un élément déterminant du travail des DRDFE.</p>
<h2>La question de l’autonomie dans l’accompagnement</h2>
<p>Les ministères de l’égalité femmes-hommes qui se sont succédé pensent l’autonomie des femmes par <a href="https://www.pug.fr/produit/1282/9782706125492/la-cause-des-femmes-dans-l-etat">l’égalité professionnelle</a> mais cette dernière n’est qu’exceptionnellement abordée dans les plans d’action interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes. Plus précisément, cette dimension est présente dans le plan global de 2001 et de 2004, puis a disparu après le rattachement du SDFE à la DGCS. L’insertion professionnelle a fait un bref retour dans le <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2016/11/5e-plan-de-lutte-contre-toutes-les-violences-faites-aux-femmes.pdf">5ᵉ plan</a> (2017-2019), considérant que « les violences peuvent avoir un impact durable sur leur accès à l’emploi ». Néanmoins, la thématique est à nouveau absente du Grenelle organisé à l’automne 2019 si ce n’est par la prise en compte dans la santé au travail de l’impact des violences.</p>
<p>Sans impulsion nationale, la question de l’autonomie est appréhendée différemment selon que l’accompagnement est effectué par des travailleurs sociaux « classiques » ou au sein d’associations féministes comme l’a bien montré la sociologue <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2012-1-page-116.htm">Elisa Herman</a> : le travail social féministe participe d’une conscientisation des inégalités subies par les femmes et fait de l’autonomie sa priorité.</p>
<p>Sur notre terrain nous avons pu constater que les intervenants sociaux en commissariats et gendarmeries, les forces de l’ordre et les magistrats orientent les victimes vers des associations généralistes, avec lesquelles des partenariats nationaux ont été conclus, comme <a href="https://www.france-victimes.fr/">France Victimes</a> qui porte « 3 temps de l’accompagnement : juridique, psychologique, social ».</p>
<p>L’accompagnement social porte sur le logement d’urgence, puis l’accès à un logement social. Les dispositifs de droit commun réservés aux populations vulnérables priment sur les hébergements spécialisés. Effectivement, les lieux d’hébergement d’urgence sont généralement destinés aux populations vulnérables et marginales (toxicomanes, SDF, migrants…).</p>
<h2>Des difficultés à reconnaître la spécificité des violences faites aux femmes</h2>
<p><a href="https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention/-/grevio-publishes-its-firs-baseline-report-on-france">Le rapport du Groupe d’experts du Conseil de l’Europe</a> sur l’action contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique pointe également l’insuffisance en France de dispositifs d’hébergement spécialisés destinés aux femmes victimes de violences. Il estime que cette lacune est le reflet de politiques qui peinent à reconnaître la spécificité des violences faites aux femmes et tendent à les assimiler à d’autres problématiques sociales. De même, le <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_rapport_violences_conjugales_2020_-_vpubliee.pdf">Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes</a> plaide pour que les places d’hébergement soient gérées par des associations spécialisées, dans des centres non mixtes, sécurisés, dotés de professionnels formés aux questions de violences faites aux femmes.</p>
<p>Dans le contenu des formations adressées aux forces de l’ordre et aux magistrats, tels qu’ils nous ont été rapportés, la vulnérabilité des victimes est un indicateur de l’emprise, c’est-à-dire de leur aliénation face au contrôle et à la domination exercés par l’auteur des faits de violence. Mais n’est-ce pas circonscrire les violences conjugales seulement au phénomène de l’emprise ?</p>
<p>En 2008, le sociologie états-unien <a href="https://books.google.com/books/about/A_Typology_of_Domestic_Violence.html?id=alLur9raDCwC">Michael P. Johnson</a> dans une réflexion sur la manière de « compter » et donc de « qualifier » les violences conjugales en avait énoncé trois formes : le terrorisme intime (potentiellement toutes les formes de violences et le comportement contrôlant), la résistance violente (stratégie de légitime défense qui peut être verbale et physique) et la violence de couple situationnelle (les actes peuvent être graves mais l’intention n’est pas de contrôler et de dominer, le conflit a « dérapé »).</p>
<p>Cette typologie n’est pas enseignée dans les formations, finalement très centrées sur l’emprise qui peut renvoyer à la première, le terrorisme intime. Or, <a href="https://interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Analyse-n-53-Les-violences-conjugales-enregistrees-par-les-services-de-securite-en-2021">l’augmentation significative des interventions</a>, signalements et plaintes correspondraient essentiellement à la dernière, la violence situationnelle.</p>
<h2>Une hiérarchie des violences</h2>
<p>Les forces de sécurité que nous avons rencontrées précisent que les femmes viennent désormais déposer des plaintes pour des situations pour lesquelles elles ne seraient pas venues auparavant comme une gifle, être poussée violemment, etc. Selon eux, les femmes qui sont dans des situations d’extrêmes violences ne viendraient pas plus qu’avant. Cette perception interpelle car ces femmes sont désignées à plusieurs reprises comme celles qui subissent les « vraies violences ».</p>
<p>Implicitement une hiérarchie semble être faite entre des catégories de violences qui peuvent interroger le traitement des dossiers. A de nombreuses reprises nos interlocuteurs des forces de sécurité et de la justice ajoutent que les violences sont réciproques, que « madame a aussi donné des coups », voire a été à l’origine du conflit qui a dégénéré.</p>
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<p>Sans nier les violences que peut subir un homme au sein d’un couple, les violences subies peuvent être réactives à des violences qu’ils exercent comme dans la typologie de Johnson (violence réactive). L’hypothèse est pourtant peu posée. Les violences conjugales demeurent ainsi enfermées dans un scénario « d’école » : une victime sous emprise, vivant dans la peur et passive face à la violence de son conjoint.</p>
<p>Bien qu’inscrite dans la politique d’égalité femmes-hommes, la question des violences conjugales s’articule davantage à la question de la vulnérabilité qu’à celle de l’émancipation. Organisation institutionnelle et pratiques des acteurs convergent. Au lieu de voir les victimes comme fragilisées par une situation de violences issue d’un rapport de domination, elles sont perçues comme vulnérables, c’est-à-dire à risques de subir des violences. Le souci est alors la construction d’une image de la victime et de ses besoins qui ne correspond pas à la diversité des situations rencontrées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Dauphin a reçu des financements de l'ANR pour cette recherche. </span></em></p>La question des violences conjugales devrait s’articuler davantage à la question de l’émancipation plutôt qu’à celle de la vulnérabilité.Sandrine Dauphin, Docteure en sciences politiques, directrice de projet, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037802023-11-22T17:21:02Z2023-11-22T17:21:02ZPermis de conduire : les stéréotypes de genre influencent-ils les taux de réussite ?<p>Depuis le 1er janvier 2024, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/01/02/permis-de-conduire-a-17-ans-combien-de-jeunes-sont-concernes-qu-est-ce-que-ca-va-changer_6178978_4355771.html">l'âge légal pour passer le permis de conduire</a> est de 17 ans. Mais pour l'obtention de ce précieux sésame, filles et garçons ne sont pas en position d’égalité. En France, l’écart entre les taux de succès des unes et des autres est proche de 10 points au niveau des épreuves pratiques, alors que les taux de réussite sont les mêmes à l’épreuve théorique – soit le passage du Code de la route. L’écart est le même que l’on considère la population dans son ensemble ou qu’on se focalise sur les jeunes.</p>
<p>Les travaux de recherche sur l’accès au permis de conduire sont principalement centrés sur les causes du déclin de la détention de permis. La question du genre y est peu présente.</p>
<p>Quand elle est évoquée, c’est essentiellement pour voir comment, dans le temps long, le taux d’accès des femmes au permis de conduire a augmenté jusqu’à converger vers celui des hommes. On approche d’une situation de parité au milieu des années 1990. La fin du rattrapage des hommes par les femmes en matière d’accès au permis de conduire est d’ailleurs présentée comme l’un des déterminants du plafonnement de l’usage automobile, ou hypothèse du <a href="https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/peak-car-la-baisse-de-la-mobilite-automobile-est-elle-durable/"><em>peak car</em></a>.</p>
<h2>Le permis de conduire, un atout pour l’emploi</h2>
<p>Les études sur le différentiel d’accès au permis de conduire entre les femmes et les hommes sont donc rares et les constats divergent selon les pays. Les femmes sont désavantagées dans la réussite au permis au Royaume-Uni ou en Finlande, mais pas en Suède ni aux Pays-Bas. En France, le taux de réussite à l’examen pratique du permis de conduire automobile est de <a href="https://www.securite-routiere.gouv.fr/etudes-et-medias/info-intox/les-filles-reussissent-moins-lexamen-pratique-b-que-les-garcons-info-ou">53,4 % pour les femmes contre 62,7 % pour les hommes en 2018</a>, soit un écart de 9,3 points. Cet écart se réduit légèrement d’une année à l’autre, puisqu’il était de 11,6 points en 2009.</p>
<p>Alors que les femmes réussissent aussi bien que les hommes l’épreuve théorique du permis de conduire, pourquoi ont-elles en France un taux de réussite de 10 points inférieur à celui des hommes à l’épreuve pratique du permis B ? Pourquoi réussissent-elles mieux l’épreuve théorique (70 %) que l’épreuve pratique (56 %) ? Pourquoi les hommes réussissent-ils mieux l’épreuve pratique alors qu’ils composent ensuite 86 % des conducteurs de moins de 24 ans tués sur la route ?</p>
<p>L’enjeu est d’importance. Le permis de conduire est l’examen le plus passé en France, avec près de 1,3 million de candidats chaque année. Sa réussite conditionne largement l’insertion professionnelle et sociale des personnes, en particulier <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094119016300547">celle des jeunes les moins diplômés</a>. Une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01441647.2020.1747569">méta-évaluation récente</a> s’appuyant sur 93 études a mesuré quantitativement l’impact de l’accès à un véhicule sur les situations d’emploi. Il s’avère que la possession d’un véhicule augmente la probabilité d’être en emploi, en particulier pour les bénéficiaires de minima sociaux.</p>
<p>Les différences d’accès au permis de conduire entre les hommes et les femmes ont donc des conséquences potentielles sur l’insertion professionnelle et les trajectoires de vie des individus. Le respect du principe d’égalité recouvre aussi un enjeu fort pour les pouvoirs publics qui jouent un rôle de régulateur pour les centres de formation à la conduite et pour les centres d’examen.</p>
<h2>Les attentes des formateurs influencées par les stéréotypes de genre</h2>
<p>Nous nous intéressons au rôle joué par les stéréotypes de genre dans l’accès au permis de conduire. Les stéréotypes associés à la conduite ont été étudiés par les psychologues chez les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1369847811000337">adolescents</a> et les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1369847815001230">adultes</a>. Ils reposent sur une vision essentialiste où les compétences de conduite et les prises de risque au volant seraient directement liées au sexe biologique. Par ailleurs, des études par testing ont montré que les stéréotypes sexués sur le permis de conduire étaient utilisés par les employeurs pour qui le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2011-4-page-33.htm">permis moto</a>, par exemple, envoie un signal de genre tout autant que de mobilité.</p>
<p>L’influence des stéréotypes de sexe – de manière générale et de manière spécifique à la conduite – a été suggérée comme <a href="https://hal.science/hal-01670593/">potentiel facteur explicatif</a> des différences dans la réussite de l’examen pratique du permis B. Ces stéréotypes peuvent être définis comme des croyances sociales sur ce que signifie dans une société donnée le fait d’être un homme ou une femme et ce qui est valorisé pour chaque sexe en termes d’apparence physique, d’attitudes, d’intérêts, de traits psychologiques, de relations sociales et d’occupations.</p>
<p>Les stéréotypes sur la conduite des femmes reposent sur une croyance sociale en l’incapacité des femmes à gérer les situations stressantes, demandant des prises de décisions rapides, comme le sont les situations routières. Au contraire, le fait d’être un homme amènerait une compétence naturelle pour la conduite, associée à des comportements à risque et infractionnistes. En ce sens, l’homme est considéré comme le prototype du conducteur, par rapport auquel la femme conductrice est définie de façon antonyme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3J1qxHG2Y44?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Thionville : une bourse pour financer le permis de conduire à des jeunes contre 70 heures de travail (France-3 Grand Est, 2022).</span></figcaption>
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<p>Ces stéréotypes peuvent également influencer les performances des individus. La littérature scientifique sur les effets de menace du stéréotype pose l’hypothèse que, lors d’une tâche évaluative, la mise en <a href="https://psycnet.apa.org/record/1996-12938-001">saillance du stéréotype négatif</a> visant un groupe va avoir un effet direct sur les performances des membres du groupe. Ce phénomène a, par exemple, été largement étudié sur les performances des filles en <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychologie-sociale-2014-3-page-13.htm">mathématiques</a> et a été récemment montré auprès des femmes dans le cadre de la conduite automobile. Des études montrent que l’activation du stéréotype négatif de la femme au volant auprès de femmes conductrices a un effet perturbateur sur leurs performances au volant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-maths-pour-les-garcons-le-francais-pour-les-filles-comment-les-stereotypes-de-genre-se-perpetuent-a-lecole-202392">Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école</a>
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<p>Les stéréotypes de genre créent aussi chez les éducateurs des attentes et des pratiques différenciées en fonction du sexe de l’apprenti. Ce phénomène, connu sous le nom de socialisation de genre, a été déjà bien étudié dans les pratiques éducatives parentales et a également été montré chez les enseignants. Pour autant, il n’existe à notre connaissance aucune étude sur l’effet du sexe de l’apprenti sur les attentes et les comportements des formateurs et des examinateurs dans le domaine de la conduite automobile.</p>
<h2>Un testing sur les auto-écoles</h2>
<p>Pour explorer cette hypothèse, nous avons réalisé une expérimentation par <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00036846.2023.2203459">test de correspondance</a>. L’objectif du test est de déceler d’éventuelles différences de traitement entre des candidats et des candidates à la préparation du permis de conduire de la part des auto-écoles. Il s’agit de vérifier si des stéréotypes de genre en matière de compétences de conduite, pouvant s’élargir aux difficultés d’apprentissage et de réussite au permis de conduire, sont intégrés par les acteurs de la formation et de l’accompagnement au permis B.</p>
<p>Nous avons fait le choix d’un protocole très simple où une paire de candidats, semblables en tous points sauf par leur étiquette de sexe, effectuent des demandes d’informations aux mêmes auto-écoles. En premier lieu, nous avons créé deux identités fictives de candidats au passage du permis de conduire, une fille et un garçon, âgés de 21 ans, en utilisant des prénoms et des noms très répandus en France (Thomas Bernard et Léa Martin).</p>
<p>Nous avons rédigé deux messages de demandes d’information destinés à des auto-écoles sur le coût du permis de conduire et le nombre d’heures nécessaires, chaque message étant envoyé soit par Thomas, soit par Léa, de façon à ce que chaque auto-école reçoive deux messages différents mais équivalents.</p>
<p>Ensuite, nous avons constitué une base d’adresses d’auto-écoles représentative au niveau national, en sélectionnant au hasard 500 établissements parmi l’ensemble des établissements enregistrés au titre du code APE – NAF 8553Z, pour lequel environ 13 500 sociétés sont immatriculées en France.</p>
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<p>Sur cette base, on dispose d’un échantillon de 176 auto-écoles réparties sur le territoire français. Les résultats de l’étude montrent que le fait d’être une femme affecte positivement à la fois la probabilité d’obtenir une information sur le volume horaire mais également le nombre d’heures proposées. Une auto-école propose en moyenne un nombre d’heures de conduite plus élevé de près de 2 heures aux femmes qu’aux hommes.</p>
<p>En conclusion, il s’avère effectivement que le sexe de l’apprenti influence les appréciations des formateurs avant même le début de la phase d’apprentissage, les amenant à déterminer la durée et le contenu des apprentissages en fonction de croyances socialement partagées sur les compétences des hommes et des femmes au volant.</p>
<p>Dès lors que ces pratiques ont des conséquences dommageables sur l’accès à la conduite des femmes et partant, sur leur insertion sociale et professionnelle, le constat sollicite une intervention du régulateur. Dans ce domaine qui est celui des discriminations, il existe une large gamme d’actions publiques qui vont d’un rappel du cadre de la loi et du principe d’égalité des candidats à la mobilité routière, à des actions de formations et de sensibilisation des auto-écoles, qui sont des structures agréées par l’État.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Denis Anne a reçu des financements de l'I-Site Futur pour réaliser une partie de la collecte des données d'un article cité en référence.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Axelle Granié, Sylvain Chareyron et Yannick L’Horty ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Une jeune femme qui s’inscrit dans une auto-école bénéficie-t-elle de la même formation qu’un jeune homme ? Regard sur ces différences d'accès au permis de conduire, accessible désormais à 17 ans.Denis Anne, Professeur associé, Université Gustave EiffelMarie-Axelle Granié, Directrice de Recherches en Psychologie Sociale du Développement, Université Gustave EiffelSylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Yannick L’Horty, Économiste, professeur des universités, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157432023-11-15T21:14:34Z2023-11-15T21:14:34ZViolence conjugale : pourquoi la notion de « contrôle coercitif » pourrait produire plus de justice<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555247/original/file-20231023-19-44di7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C2800%2C1982&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La création d'une infraction de contrôle coercitif en France pourrait être une avancée significative pour l'égalité femme-homme. Cette nouvelle législation pourrait contribuer à la protection de 213 000 femmes dont 82% de mères et de leurs 398 310 enfants covictimes de violences conjugales.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Cette dernière décennie, des <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/289498-lutte-contre-les-violences-intrafamiliales-rapport-chandler-verien">législateurs</a>, des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/05/violences-sexistes-et-sexuelles-le-faible-nombre-de-condamnations-incite-a-trouver-de-nouvelles-facons-de-travailler_6144436_3232.html">magistrats</a>, des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/03/le-controle-coercitif-une-notion-plus-precise-pour-lutter-contre-les-feminicides_6171846_3224.html">ministres</a>, des <a href="https://www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GPL452d8">avocats</a>, des <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/cegn/actus/colloque-la-detection-des-violences-au-sein-du-couple">forces de l’ordre</a> et des <a href="https://www.womenforwomenfrance.org/fr/a-propos-de-nous/actualites/le-controle-coercitif-un-concept-essentiel-dans-les-violences-conjugales">associations</a> de nombreux pays ont reconnu l’échec des approches de la violence conjugale qui la définissaient à partir d’« actes » épisodiques.</p>
<p>Un nombre croissant de pays a donc adopté le modèle du contrôle coercitif pour redéfinir la violence conjugale comme atteinte aux droits et aux ressources plutôt qu’agression. En d’autres termes, reconnaître qu’il s’agit <a href="https://www.womenforwomenfrance.org/fr/a-propos-de-nous/actualites/le-controle-coercitif-un-concept-essentiel-dans-les-violences-conjugales">d’actes délibérés ou d’un schéma comportemental</a> de contrôle d’une personne par une autre.</p>
<h2>Vers une inscription législative ?</h2>
<p>Ainsi en 2021, la <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-213869%22%5D%7D">Cour européenne des droits de l’homme</a> a affirmé que la définition juridique de la violence conjugale doit inclure « les manifestations de comportement de contrôle et de coercition » et que cette modification du cadre juridique et réglementaire doit avoir lieu « sans tarder ».</p>
<p>En 2023, s’appuyant sur des entretiens avec plusieurs centaines de professionnels, victimes, associations et universitaires français, le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/289498.pdf">Plan rouge VIF</a> de la mission parlementaire Chandler-Vérien chargée par la Première ministre Elisabeth Borne d’améliorer le traitement judiciaire des violences conjugales a proposé en priorité la traduction du contrôle coercitif dans la loi et sa mise au cœur des futures campagnes d’information et de la formation des professionnels.</p>
<p>Bérangère Couillard, la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, a elle aussi affiché <a href="https://twitter.com/BCouillard33/status/1705252762450079761">son intérêt</a> pour cette appréhension de la violence conjugale. Sa prédécesseuse Isabelle Rome, magistrate, avait déjà défendu la création d’une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/03/le-controle-coercitif-une-notion-plus-precise-pour-lutter-contre-les-feminicides_6171846_3224.html">infraction</a> spécifique. En effet, une infraction de contrôle coercitif en France pourrait être une avancée significative pour l’égalité femme-homme. Cette nouvelle législation pourrait contribuer à la protection de <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/sites/default/files/2020-11/Lettre%20n%C2%B016%20-%20Les%20violences%20au%20sein%20du%20couple%20et%20les%20violences%20sexuelles%20en%202019.pdf">213 000 femmes</a>, dont <a href="https://www.ihemi.fr/sites/default/files/publications/files/2019-12/flash_21_violences_au_sein_du_couple_.pdf">82 % de mères</a>, et de leurs <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_tableau_de_bord_d_indicateurs_-_politique_de_lutte_contre_les_violences_conjugales.pdf">398 310 enfants</a> covictimes de violence conjugale, empêcher le meurtre et le <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/sites/default/files/2021-12/Lettre%20n%C2%B017%20-%20Les%20violences%20au%20sein%20du%20couple%20et%20les%20violences%20sexuelles%20en%202020.pdf">suicide</a> de centaines de partenaires, d’ex-partenaires et d’enfants chaque année.</p>
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<img alt="Ilustration d’une mère protège son enfant de l’ombre d’une main qui les menace." src="https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Shutterstock.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Le contrôle coercitif atteint de nombreux droits, à commencer par le droit à l’autonomie, à la dignité et à l’autodétermination.</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Un crime de liberté</h2>
<p>Le contrôle coercitif a été qualifié de <a href="https://global.oup.com/academic/product/coercive-control-9780195384048">« crime de liberté »</a> par Evan Stark car il piège les victimes et produit une captivité analogue à la prise d’otage dans la vie privée. Il atteint de nombreux droits, à commencer par le droit à l’autonomie, à la dignité et à l’autodétermination.</p>
<p>La responsabilité des auteurs doit être exigée. À moins que ses éléments constitutifs ne soient envisagés comme un seul comportement malveillant et qui devra être arrêté, ce schéma de violence et d’exploitation peut se poursuivre pendant des années en passant sous le radar des tiers, qu’il s’agisse d’entourage de la victime ou de professionnels.</p>
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<p>La situation française décrite dans le livre <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/controle-coercitif-au-coeur-violence-conjugale"><em>Le Contrôle coercitif : au cœur de la violence conjugale</em></a> (2023) permet de dresser les constats suivants : l’incrimination actuelle de la violence conjugale échoue à condamner et responsabiliser les auteurs, ainsi qu’à protéger les victimes, principalement des femmes et des enfants ; l’absence de contrôle social et de sanction juridique favorise l’aggravation et la récidive ; la situation des victimes ressemble plus à une captivité qu’à une agression.</p>
<h2>Un « véritable système d’impunité »</h2>
<p>Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes a d’ailleurs qualifié le taux de condamnation des auteurs de violence conjugale de <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_indicateurs_violences_conjugales_-_2019-2.pdf">« véritable système d’impunité »</a>. L’écart entre les infractions sanctionnées et la réalité de la violence telle qu’elle est <a href="https://www.ciivise.fr/wp-content/uploads/2021/10/Avis-meres-en-lutte.pdf">vécue par les victimes</a> peut <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/181119/justice-la-perte-de-confiance">éroder leur confiance dans la justice</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/justice-une-confiance-a-restaurer-161596">Justice : une confiance à restaurer</a>
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<p>L’absence de responsabilisation des auteurs se reflète aussi dans l’augmentation des homicides conjugaux pour la deuxième année consécutive. En 2022, <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Publications/Securite-interieure/Etude-nationale-sur-les-morts-violentes-au-sein-du-couple-pour-l-annee-2022">118 femmes, 29 hommes et 12 enfants ont été tués</a>. En 2021, <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/etude-nationale-sur-morts-violentes-au-sein-du-couple-2021">121 féminicides</a> ont été officiellement recensés, un état de la situation encore plus alarmant si l’on ajoute les <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/sites/default/files/2022-11/Lettre%20n%C2%B018%20-%20Les%20violences%20au%20sein%20du%20couple%20et%20les%20violences%20sexuelles%20en%202021.pdf">684 femmes ayant tenté de se suicider</a> ou s’étant suicidées suite au « harcèlement » de leur (ex-) partenaire. Cet échec, qui a lieu malgré les <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-politique-degalite-entre-les-femmes-et-les-hommes-menee-par-letat">efforts déployés</a>, met en exergue le lien entre l’inefficacité de l’appréhension actuelle de la violence conjugale et sa focale sur des actes qui sont des mauvais marqueurs de ses formes les plus dangereuses.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Ujk27hrL1JY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Isabelle Lonvis-Rome, ancienne ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, souhaite que la notion de « contrôle coercitif », qui recoupe les comportements de prédation déployés par un homme pour assujettir sa conjointe, soit mieux prise en compte par la justice. Public Sénat.</span></figcaption>
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<p>La <a href="https://www.researchgate.net/profile/Andreea-Gruev-Vintila/publication/360756577_Violences_au_sein_du_couple_pour_une_consecration_penale_du_controle_coercitif/links/6289e95c6e41e5002d3a6107/Violences-au-sein-du-couple-pour-une-consecration-penale-du-controle-coercitif.pdf">situation en France</a> n’est pas unique. Lorsque la ministre britannique de l’Intérieur a découvert en 2014 que l’Angleterre dépensait davantage pour la lutte contre la violence conjugale que pour la défense nationale, cependant que ni les homicides conjugaux ni les plaintes pour violence conjugale n’avaient diminué, elle a appelé à une <a href="https://www.gov.uk/government/news/government-to-create-new-domestic-abuse-offence">approche entièrement nouvelle</a> et adopté le <em>contrôle coercitif</em> pour remplacer les quatorze incriminations utilisées jusqu’alors. En réponse à un dilemme similaire, en 2018, le parlement écossais a adopté à l’unanimité le <a href="https://www.legislation.gov.uk/asp/2018/5/contents/enacted">Domestic Abuse (Scotland) Act</a>, un crime construit autour d’éléments de contrôle coercitif et passible d’une peine maximale de 14 ans de prison, comme l’homicide.</p>
<h2>Surveillance, isolement, intimidation, contrôle</h2>
<p>Depuis la publication du livre <a href="https://global.oup.com/academic/product/coercive-control-9780195384048"><em>Coercive Control. How Men Entrap Women in Personal Life</em></a> en 2007 par l’un de nous, plus de 1 000 monographies et d’innombrables témoignages de personnes victimes survivantes soutiennent l’idée selon laquelle c’est le contrôle coercitif, et non la violence physique, qui devrait être le principal objectif de l’intervention de l’État dans les cas de violence conjugale, y compris pour l’arrestation et la poursuite des auteurs, l’aide aux victimes, la protection des enfants et des politiques coordonnées.</p>
<p>Le livre <em>Coercive Control</em> montre que 75 % des incidents de violence domestique qui mènent à des arrestations sont des agressions répétées, presque toujours commises dans le contexte d’autres comportements qui vont des agressions sexuelles au harcèlement, surveillance/<em>stalking</em>, menaces et autres tactiques pour intimider les victimes, les isoler et les contrôler en prenant leur argent, les privant de ressources, en micro-régulant leurs vies et celles de leurs enfants.</p>
<p>Dans la plupart des cas de contrôle coercitif, la violence et/ou les agressions sexuelles s’inscrivent dans un contexte d’intimidation, d’isolement et de contrôle. La surveillance commence à la maison et s’étend sur toutes les activités des victimes, y compris le travail, implique les enfants et d’autres membres de la famille et même des professionnels qui deviennent espions, informateurs ou victimes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Illustration -- monstre mâle hurlant sur une femme et un enfant." src="https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=711&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=711&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=711&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=894&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=894&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=894&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le contrôle coercitif des femmes par les hommes est la cause et le contexte le plus important des violences envers les enfants et des homicides d’enfants hors zone de guerre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Si la partenaire adulte est généralement la cible principale du contrôle coercitif, un délinquant qui cherche à monopoliser les ressources et les privilèges disponibles dans l’espace familial peut cibler toute personne qui lui fait obstacle, y compris les enfants, mais aussi les professionnels des forces de l’ordre, de la justice et des services sociaux. <a href="https://www.legislation.gov.uk/asp/2018/5/contents/enacted">L’inclusion par l’Écosse de la « maltraitance des enfants »</a> parmi les éléments du crime de contrôle coercitif montre à quel point il est facile pour la police et les magistrats de passer à côté de la fréquence à laquelle des enfants de tous âges sont enrôlés comme complices ou transformés en victimes adjacentes par des auteurs de contrôle coercitif qui n’ont aucune animosité envers leurs enfants, mais veulent simplement les utiliser pour blesser ou contrôler leurs mères.</p>
<p>Ces tactiques produisent sur les victimes adultes et leurs <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1162908823000373">enfants</a> des effets qui vont de la peur paralysante, la subordination, la dépendance psychologique, l’appauvrissement, le <a href="https://global.oup.com/academic/product/coercive-control-in-childrens-and-mothers-lives-9780190922214">sabotage du lien mère-enfant</a>, à la mort à petit feu, aux idées suicidaires, aux tentatives de suicide, ou la mort.</p>
<h2>Et les enfants ?</h2>
<p>Le contrôle coercitif des femmes par les hommes est la cause et le contexte le plus important des <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-coercive-control-of-children-9780197587096">violences envers les enfants et des homicides d’enfants hors zone de guerre</a>. Cela survient souvent après une séparation, dans le contexte de procédures judiciaires relatives à la résidence de l’enfant et aux droits parentaux ou pendant les droits de visite, quand l’agresseur sent que la seule façon de punir sa partenaire est de <a href="https://global.oup.com/academic/product/coercive-control-in-childrens-and-mothers-lives-9780190922214">saboter sa relation avec l’enfant</a>, blesser ou tuer les enfants, comme nous l’avons tragiquement vécu cette année avec <a href="https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/courbevoie-92400/infanticide-dans-les-hauts-de-seine-une-petite-fille-de-3-ans-succombe-a-ses-blessures-12-05-2023-UDIZS7ZYLBCS7JN2V5MVUN4JEE.php">l’homicide de la petite Chloé, 5 ans, par son père</a> dont la mère avait demandé le divorce et contre lequel elle avait obtenu une ordonnance de protection.</p>
<p>L’enfant est <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/09646639221089252">victime adjacente</a> dans ces cas dont le risque n’est déchiffrable qu’à l’aune du contrôle coercitif sur la mère. L’importance d’étendre aux enfants la protection dans une loi sur le contrôle coercitif a été soulignée par une <a href="https://www.researchgate.net/publication/366393524_Contribution_au_Rapport_UNSRVAW_violence_a_l%27egard_des_femmes_et_des_enfants_dans_les_affaires_concernant_la_residence_des_enfants_les_droits_de_visite_l%27autorite_parentale_-_France">contribution française</a> à un <a href="https://undocs.org/Home/Mobile">rapport de l’ONU</a> sur la violence faite aux femmes et aux filles, et par une <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/node/comment-mieux-lutter-contre-feminicides-libres-propos-sur-controle-coercitif">proposition d’inclure le contrôle coercitif dans le code civil</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215743/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La notion de « contrôle coercitif » permet de définir la violence conjugale comme atteinte aux droits humains et aux ressources plutôt qu’agression.Evan Stark, Professeur émérite, sociologue, Rutgers UniversityAndreea Gruev-Vintila, Maîtresse de conférences HDR en psychologie sociale, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2153032023-10-15T13:33:09Z2023-10-15T13:33:09ZDes modèles de réussite féminins pour réduire l’autocensure dans l’accès au crédit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553291/original/file-20231011-27-lts8gs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C364%2C2723%2C1662&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Beaucoup d’entrepreneures hésitent et finalement n’effectuent pas, à tort, de demande de crédits pour faire grandir leur affaire.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Mikhail Nilov / Pexels </span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En dépit de remarquables progrès ces vingt dernières années, les <a href="https://theconversation.com/topics/entrepreneures-83039">femmes cheffes d’entreprise</a> demeurent moins susceptibles de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0144818822000576">demander un crédit bancaire que les hommes</a>. Or, l’accès au <a href="https://theconversation.com/topics/credit-62431">crédit</a> reste un élément clé pour soutenir la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0378426606000926">performance et la croissance</a> d’une entreprise en lui permettant de saisir des opportunités d’investissement et de faire face aux aléas économiques.</p>
<p>Ce moindre accès au financement réduit la contribution des entrepreneures à l’économie, notamment en matière de création d’emplois, de réduction de la pauvreté et de croissance économique. Cela affecte également leurs revenus personnels, constituant ainsi un obstacle à l’<a href="https://theconversation.com/topics/inegalites-hommes-femmes-136794">égalité des sexes</a>.</p>
<h2>Une autocensure injustifiée</h2>
<p>Pourquoi les femmes entrepreneures sont-elles moins enclines à demander un emprunt à la banque ? L’une des raisons est qu’elles s’abstiennent de déposer un dossier parce qu’elles s’attendent à être discriminées et à voir leur demande d’emprunt <a href="https://academic.oup.com/jeea/article-abstract/11/suppl_1/45/2316340">refusée ou limitée</a>.</p>
<p>La littérature existante souligne pourtant que cette anticipation est souvent erronée : une large partie des demandes de prêt de ces femmes aurait bien été accordée si elles en avaient fait la requête. Aux États-Unis, il y aurait ainsi <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11187-010-9283-6">deux fois plus d’emprunteurs</a> découragés que de demandeurs rejetés (femmes et hommes confondus). Pour les économies émergentes en Europe de l’Est et en Asie, ce phénomène est encore plus exacerbé. Pour chaque demandeur rejeté, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1566014117303229">il y aurait trois emprunteurs découragés</a>.</p>
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<p>En outre, les demandes de prêt des entreprises détenues par des femmes ne sont, en général, pas davantage rejetées que celles des entreprises détenues par des hommes. L’autocensure des femmes sur leur accès au crédit n’a donc pas nécessairement des fondements économiques réels.</p>
<p>L’un des facteurs clés du découragement féminin découle de la représentation que les femmes ont d’elles-mêmes. <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/17566260910969670/full/html">Une moindre confiance</a> en leurs compétences entrepreneuriales, en particulier par rapport aux hommes, les amène à croire qu’elles sont moins susceptibles d’obtenir un prêt. En cause notamment, le manque de modèles féminins de réussite qui peut donner l’impression aux femmes que le succès entrepreneurial est un domaine inatteignable pour elles, restreignant ainsi leurs aspirations.</p>
<p>Elles peuvent se sentir exclues ou ne pas se sentir à leur place dans un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11187-011-9372-1">environnement où les hommes sont majoritaires</a>. En somme, le manque de modèles de réussite féminin dans le domaine du leadership ne permet pas aux femmes de se projeter et de s’identifier dans un rôle similaire ou elle exercerait un pouvoir décisionnel fort. On parle d’<a href="https://psycnet.apa.org/record/2011-07411-001">« effet de rôle-modèle »</a>.</p>
<h2>Des dirigeantes politiques inspirantes</h2>
<p>Dans une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1544612323007985">récente étude</a>, nous avons exploré dans quelle mesure cet effet permettait de changer les perceptions que les femmes ont d’elles-mêmes et d’encourager leur accès au crédit. Nous avons notamment démontré que les cheffes d’entreprise se trouvant dans des pays avec à leur tête des leaders politiques féminins tendaient à davantage demander de crédit.</p>
<p>Ces leaders politiques féminins disposent d’une large visibilité et ont ainsi le pouvoir de modifier la perception de la compétence des femmes dans l’ensemble de la société, tout particulièrement en réussissant dans un milieu très compétitif et habituellement très masculin. Cela rejaillit sur le comportement des femmes cheffes d’entreprise. Celles-ci demandent davantage de crédit, s’autocensurant moins financièrement. Nous montrons que c’est bien le découragement « émotionnel » qui s’en trouve réduit, c’est-à-dire les sources de découragement liées à un manque de confiance en soi et à une croyance dans le rejet non lié à des causes économiques sous-jacentes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/des-directions-feminisees-des-entreprises-decouragees-demprunter-183268">Des directions féminisées, des entreprises « découragées » d’emprunter ?</a>
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<p>L’effet est d’autant plus efficace que le leader politique dispose d’un statut social élevé (mesuré à travers son niveau d’éducation) et provient du même pays (homophilie). Enfin, nous démontrons que ce résultat est vrai principalement dans les pays avec un revenu relativement faible, où les normes sociales envers les femmes sont aussi les moins avancées. Le modèle permet de contrebalancer l’absence de ces normes sociales et de promouvoir une meilleure équité homme-femme dans l’accès au crédit.</p>
<p>Ce résultat suggère que l’exposition à des modèles de réussite féminins modifie la perception que les femmes ont d’elles-mêmes, avec des conséquences économiques notables. L’effet de rôle-modèle devient ainsi un levier puissant pour parvenir à l’équité homme-femme, en changeant globalement les (auto-) représentations mentales des compétences attribuées à chaque sexe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215303/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les entrepreneuses s’interdisent plus souvent que les hommes de demander des crédits. L’exposition à des modèles de réussite féminins réduit cette autocensure.Jérémie Bertrand, Professeur de finance, IÉSEG School of ManagementCaroline Perrin, Postdoctorante, Université de StrasbourgPaul-Olivier Klein, Maitre de Conférences en Finance, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2155672023-10-12T17:26:59Z2023-10-12T17:26:59ZFaut-il se réjouir du « Nobel » d’économie attribué à Claudia Goldin ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553529/original/file-20231012-22-4qedpe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C381%2C2123%2C1114&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Claudia Goldin a apporté des thèmes nouveaux à la science, mais avec des méthodes plutôt standard.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Claudia_Goldin#/media/Fichier:Claudia_Goldin_(cropped).jpg">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le prix de la Banque Centrale de Suède, communément appelé <a href="https://theconversation.com/topics/prix-nobel-20616">« prix Nobel »</a> d’économie, vient tout récemment d’être attribué à Claudia Goldin pour avoir mis en lumière les <a href="https://www.kva.se/en/news/the-prize-in-economic-sciences-2023/">« principaux facteurs de différences entre les hommes et les femmes sur le marché du travail »</a>.</p>
<p>L’économie, en tant que discipline, est connue pour son sexisme, à la fois dans son organisation interne et dans sa manière de comprendre et d’influencer le monde. Le métier d’économiste reste à <a href="https://women-in-economics.com/index/">dominance masculine</a> et le champ scientifique <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100423030">invisibilise</a> les contributions des économistes femmes, pourtant <a href="https://www.jstor.org/stable/2117818">nombreuses</a> depuis les travaux fondateurs. Après Elinor Ostrom en 2009 et Esther Duflo en 2019, Claudia Goldin n’est que la troisième femme à remporter cette prestigieuse récompense, sur 93 lauréats depuis la création du prix en 1968.</p>
<p>Primer des travaux focalisés exclusivement sur les <a href="https://theconversation.com/topics/inegalites-hommes-femmes-136794">inégalités de genre</a> est par ailleurs inédit dans l’histoire de ce prix. De ce point de vue, le prix semble donc plutôt une bonne nouvelle. Les <a href="https://theconversation.com/topics/science-economique-33724">méthodes</a> sur lesquels ils reposent invitent néanmoins à nuancer l’idée.</p>
<h2>Courbe en U et travail cupide</h2>
<p>À 77 ans, Claudia Goldin est toujours professeure au prestigieux département d’économie de l’Université d’Harvard, où elle est d’ailleurs la première femme à avoir été titularisée, en 1989. Elle a pour particularité de combiner une approche néoclassique de l’économie et une perspective historique. Rendre justice à une œuvre prolifique qui s’étend sur près de cinq décennies est évidemment vain. Donnons simplement un aperçu de deux résultats saillants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1711800007601652192"}"></div></p>
<p>Le premier consiste à avoir modélisé la <a href="https://www.nber.org/papers/w4707https://www.nber.org/papers/w4707">« courbe en U »</a> de l’emploi féminin en fonction des degrés de « développement » des pays et à proposer une interprétation. Cette courbe montre que l’emploi féminin est élevé dans les économies de subsistance ; il décline lorsque les économies commencent à se monétariser et se marchandiser mais n’offrent que des emplois manuels, fortement stigmatisés pour les femmes ; puis il remonte lorsque les femmes ont accès à des emplois « à col blanc », plus respectables.</p>
<p>La transformation des normes familiales et l’accès à la pilule contraceptive amorcent une autre étape. Les jeunes femmes puis les futures mères peuvent désormais planifier leur avenir, et donc s’engager dans des études puis des métiers, perçus désormais comme de véritables carrières professionnelles et non comme un simple adjuvant au revenu familial. Exhumant de nombreuses archives, compilant diverses bases de données, Claudia Goldin retrace cette évolution pour les États-Unis mais aussi dans d’autres contextes, y compris postcoloniaux, suggérant l’universalité de cette courbe en U et de son interprétation.</p>
<p>Le second résultat, plus récent, porte sur la notion de « travail cupide » (<a href="https://www.nber.org/reporter/2020number3/journey-across-century-women"><em>greedy work</em></a> en anglais). Elle s’interroge ici non plus sur les taux d’emploi des femmes mais sur la persistance des inégalités de salaire au sein d’un même métier. À l’issue de travaux économétriques sophistiqués visant à isoler différents facteurs explicatifs, elle conclut que les inégalités relèvent moins de discrimination que de ce « travail cupide », qui consiste à exiger des travailleurs une grande flexibilité horaire, laquelle pénalise les femmes du fait de leurs responsabilités domestiques.</p>
<p>Les emplois les plus exigeants en termes de longues heures de travail et les moins flexibles sont rémunérés de manière disproportionnée, tandis que les revenus des autres emplois stagnent. C’est ainsi qu’elle explique la persistance de fortes inégalités de salaires femme-homme, notamment dans les métiers hautement diplômés.</p>
<h2>Thèmes nouveaux, méthode <em>mainstream</em> ?</h2>
<p>Loin de se cantonner à ses écrits et enseignements académiques, Claudia Goldin s’engage sur de multiples fronts, y compris pour l’égalité dans sa propre profession. D’abord en faisant office de modèle, puisqu’elle reconnaît <a href="https://freakonomics.com/podcast/the-true-story-of-the-gender-pay-gap/">gagner davantage que son mari</a> Lawrence Katz, lui-même économiste et avec qui elle a régulièrement collaboré (tout en soulignant avoir davantage d’ancienneté). Ensuite en promouvant des <a href="https://scholar.harvard.edu/goldin/UWE#:%7E:text=The%20Undergraduate%20Women%20in%20Economics,aimed%20at%20fulfilling%20this%20goal">programmes spéciaux</a> incitant les jeunes femmes à étudier l’économie.</p>
<p>Les travaux de Claudia Goldin ont eu l’immense mérite d’attirer l’attention de la discipline sur des thématiques longtemps impensées. Ils sont toutefois circonscrits à une méthode et une conception du travail et de l’économie qui limitent nécessairement leur portée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1712434997091578147"}"></div></p>
<p>Claudia Goldin reste fidèle à une approche néoclassique des phénomènes économiques, considérant l’emploi comme un choix et un calcul économique rationnel individuel, influencé par une série de contraintes, d’incitations ou de chocs externes, dont l’origine ne mérite pas d’être questionnée. Elle appuie ses démonstrations sur des analyses économétriques visant à isoler les effets de différents facteurs, dont les non observables et/ou incommensurables sont écartés. Raisonner « toute chose égale par ailleurs » occulte l’entremêlement inextricable de certains facteurs.</p>
<p>La courbe en U, à portée prétendument universelle, s’applique certainement à plusieurs régions du monde et certains groupes sociaux, beaucoup moins à d’autres. Citons le <a href="https://blog.courrierinternational.com/bombay-darling/2021/05/24/en-inde-les-femmes-travaillent-de-moins-en-moins/">cas de l’Inde</a>, où l’emploi des femmes ne cesse de décliner dans une économie pourtant florissante.</p>
<p>Outre le fait de rendre justice à des trajectoires hétérogènes, reconnaître et explorer cette diversité visent surtout à complexifier l’analyse des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/135457097338799">structures de hiérarchie sociale</a> et de la manière dont les inégalités de genre s’articulent avec d’autres rapports de pouvoir, afin de mieux penser leur dépassement. Même au sein des contextes occidentaux, il existe une diversité de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/095892879200200301">régimes de genre</a>, avec des modalités très inégales dans la manière dont État, marché, famille et milieu associatif se partagent les responsabilités. Entrent en jeu ici les droits sociaux, les questions fiscales, les réglementations relatives aux temps et horaires de travail ou encore les normes de masculinité, féminité et parentalité.</p>
<p>Plus encore, l’arbitrage emploi/soin aux enfants se révèle être un processus <a href="https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782721004680-de-la-difference-des-sexes-en-economie-politique-nancy-folbre/">complexe et ambivalent</a> où s’entremêlent des aspirations, des obligations et des contraintes multiples, mais aussi des sentiments et des affects, extraordinairement variables selon les lieux, les contextes et les groupes sociaux.</p>
<h2>« Membres productifs de l’économie »</h2>
<p>Dans son ouvrage de vulgarisation sur l’idée de « greedy work », paru en 2021, en contexte post-pandémique, Claudia Goldin plaide par ailleurs pour des mesures de soutien aux parents et aux prestataires de soin afin de leur permettre, suggère-t-elle, d’être de <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691201788/career-and-family">« meilleurs membres productifs de l’économie »</a>. Comme l’ont cependant montré de nombreuses recherches, y compris en économie, cette course à la productivité est précisément <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/E/bo28638720.html">l’épicentre des inégalités comme de l’insoutenabilité</a> de nos systèmes économiques, puisque la productivité des uns se nourrit de la prétendue non-productivité des autres.</p>
<p>On n’insistera jamais assez sur l’immense responsabilité du savoir économique dominant dans la fabrique d’un monde profondément <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/030981689706200111">inégalitaire et insoutenable</a>, les deux allant de pair. En cantonnant l’économie (comme réalité) et la richesse à la production de biens et services échangeables sur un marché, le savoir économique dominant a entériné et justifié scientifiquement la <a href="https://www.bloomsbury.com/us/patriarchy-and-accumulation-on-a-world-scale-9781350348189/">dévalorisation d’activités, de personnes et de régions du monde</a>, supposées improductives et sans valeur.</p>
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<p>Il en va ainsi des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/quotidien_politique-9782348069666">activités de soin et de subsistance</a>, principalement assumées par des femmes. C’est bien cette dévalorisation qui explique la persistance du <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2006-1-page-27.htm">« salaire féminin d’appoint »</a> : les femmes seraient par essence dépendantes de leur époux et leurs besoins seraient donc moindres. En France, c’est bien cette dévalorisation qui explique une partie du <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/un_quart_en_moins-9782707179104">« quart en moins »</a>, référence au 25 % de décalage entre les revenus moyens des femmes et des hommes.</p>
<p>C’est bien cette dévalorisation qui explique la persistance de secteurs entiers féminisés, sous-payés, et souvent racisés. Majoritairement dédiés aux soins ou à l’éducation, ces secteurs d’activité sont pourtant déterminants pour la survie et le bien-être de nos sociétés. Cette hiérarchisation des activités et des revenus féminins et masculins est gravée dans les normes sociales et les croyances, des hommes comme des femmes, mais aussi dans la réglementation, le droit et son interprétation, notamment le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_genre_du_capital-9782348044380">droit du travail</a> ou le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_genre_du_capital-9782348044380">droit sur les successions</a>.</p>
<p>En somme, si l’on peut se réjouir de cette nomination, gardons la tête froide : sa capacité à infléchir les modes dominants de pensée et d’action vers plus d’égalité et de soutenabilité semble, hélas, limitée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215567/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Guérin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La néo-nobélisée a été pionnière en économie pour l’étude des inégalités entre hommes et femmes. Néanmoins, et paradoxalement peut-être, à partir de méthodes qui en sont aussi pour partie à l’origine.Isabelle Guérin, Directrice de recherche à l'IRD-Cessma (Université de Paris), affiliée à l’Institut Français de Pondichéry, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2138302023-10-06T16:45:19Z2023-10-06T16:45:19ZL’égalité femmes-hommes dans le sport français : une chimère ?<p>À la veille des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en juillet 2024, certaines parties prenantes de l’événement vont sans doute accentuer la communication sur les valeurs choisies comme étendard vertueux de cette olympiade.</p>
<p>Parmi elles, l’égalité entre les femmes et les hommes (F/H) occupe une place de choix car ces jeux seront les premiers de l’histoire olympique à être paritaires (autant d’hommes que de femmes parmi les athlètes en compétition mais aussi parmi les relayeurs et relayeuses de la flamme olympique, et – presque – parmi les salariées et salariés du comité d’organisation avec 52 % de femmes).</p>
<p>Dans cette perspective, cette olympiade propose également plus d’épreuves mixtes ; un logo à l’effigie de Marianne (porte-parole de la devise républicaine) ; une mascotte en forme de <a href="https://www.theguardian.com/sport/2022/nov/15/mascot-paris-olympic-games-2024-likened-to-clitoris-in-trainers-phryges">bonnet phrygien</a> que les internautes ne manquent pas de <a href="https://www.liberation.fr/sports/jo-2024-vive-les-phryges-les-mascottes-clitoris-qui-en-mettent-plein-la-vulve-20221114_QE3ICJC3ZZCYTLIZJYDCEBQXTQ/">comparer avec un clitoris</a>.</p>
<p>Enfin, ces jeux candidatent au nouveau <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/cp-lancement-label-gesi-08-03-2022">label d’État Terrain d’égalité</a> (lancement en 2022) en vue de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et de lutter contre les discriminations et les violences sexistes et sexuelles dans le domaine de l’événementiel sportif. Bien que volontaires, ces mesures sont-elles les signes d’une politique aboutie d’égalité entre les femmes et les hommes dans le mouvement olympique et/ou représentatives de la situation des femmes dans le mouvement sportif français ?</p>
<h2>Parcours de combattantes</h2>
<p>La parité des athlètes aux JOP 2024 est assurément un élément clé de la communication égalitaire des instances olympiques quand on sait le parcours de combattantes nécessaire, d’une part à l’intégration des femmes dans ses grands événements et à leur lente augmentation numérique dans <a href="https://hal.science/hal-02359712">l’ensemble des disciplines olympiques</a>. Alors que <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=1215418759273381">Pierre de Coubertin, en 1912</a>, juge l’arrivée des femmes dans le programme officiel des JO, « impratique, inintéressante, inesthétique et, nous ne craignons pas d’ajouter incorrecte », il faudra toute la persévérance et la pugnacité d’une femme, Alice Milliat, pour s’opposer à <a href="https://www.cairn.info/revue-vingt-et-vingt-et-un-revue-d-histoire-2019-2-page-93.htm">l’idéologie androcentrique de l’institution olympique</a> ; organiser – comme alternative – des Jeux mondiaux féminins entre 1922 et 1934 et fédérer les <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/genre-et-europe/gagner-sa-vie-en-europe/dirigeantes-du-sport-au-XXe-si%C3%A8cle">dirigeantes internationales</a> du sport <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17460263.2019.1652845">autour de la cause des femmes dans et par le sport</a>.</p>
<p>Ainsi, le premier combat pour les sportives fut de conquérir le droit d’accès aux fédérations sportives nationales (le droit d’obtenir une licence sportive), et ensuite aux compétitions internationales comme les JO (le droit de performer). Ainsi, pas de femmes licenciées à la fédération française de cyclisme jusqu’en 1948 et <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09523367.2015.1134500">pas de femmes cyclistes aux JO avant 1984</a>. Pas de femmes licenciées à la fédération française de football jusqu’en 1970 et <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-histoire_du_football_feminin_au_XXeme_si%C3%A8cle_laurence_prudhomme_poncet-9782747547307-15071.html">pas de footballeuses aux JO avant 1996</a>.</p>
<p>Quantitativement, la progression des femmes parmi les athlètes fut lente, irrégulière jusqu’à la dernière décennie du XX<sup>e</sup> siècle où le sujet de l’égalité F/H dans le sport gagne en légitimité et visibilité lors de la déclaration de Brighton en 1994 (sous l’égide du groupe de travail international femmes et sport) ; de la conférence mondiale sur les femmes de Beijing en 1995 (sous l’égide de l’ONU) ; puis de diverses commissions et projets <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19406940.2021.1939763">au sein du Comité international olympique</a>. </p>
<p>Au final, c’est en 2012 (JO d’été) et 2014 (JO d’hiver) que toutes les disciplines olympiques (mais pas forcément toutes les épreuves) sont autorisées aux femmes comme aux hommes. Néanmoins, encore aujourd’hui, le ratio femmes/hommes demeure très variable en fonction des délégations olympiques et en fonction des disciplines sportives (par exemple à Tokyo en 2021, seules six fédérations internationales – le canoë, le judo, l’aviron, la voile, le tir et l’haltérophilie – ont adopté des quotas équilibrés d’athlètes entre les femmes et les hommes).</p>
<h2>Des inégalités persistantes</h2>
<p>De plus, si cet objectif de parité des athlètes aux Jeux olympiques de Paris constitue l’un des leviers clés de la promotion, à l’international, du sport vers les femmes, il s’avère décalé avec la situation des sportives dans la plupart des pays. En France, par exemple, les <a href="https://injep.fr/donnee/recensement-des-licences-sportives-2020/">femmes représentaient 39 % des licences sportives en 2020</a> (chiffre au plus haut avant la pandémie de Covid-19), mais elles n’étaient que 32,8 % dans les fédérations olympiques françaises (et majoritaires dans seulement 4 fédérations olympiques sur 39 : les fédérations de danse, de gymnastique, de roller et skateboard et celle d’équitation). Certes, la progression des licences sportives repose principalement sur l’arrivée de femmes et davantage de jeunes filles – avec +8,1 % de licences féminines contre +2,5 % de licences masculines entre 2012 et 2017 – mais il demeure une <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2022-1-page-71.htm">importante division sexuée dans l’adhésion aux sports en France</a>.</p>
<p>S’il n’est plus possible d’imputer ce constat à des politiques d’exclusion (inégalités d’accès) – comme ce fut le cas par le passé – sans doute révèle-t-il les effets – moins directs – <a href="https://shs.hal.science/halshs-04072725">d’inégalités de traitement</a> (moindres ressources matérielles, financières et humaines) et de reconnaissance (moindre valeur et dignité) persistantes qui continuent à être <a href="https://www.theses.fr/s233255">largement défavorables</a> à l’engagement des <a href="https://www.cairn.info/revue-staps-2021-1-page-5.htm">femmes et des filles dans le sport</a>.</p>
<p>Dorénavant, les restrictions à l’égard des femmes prennent la forme <a href="https://theses.hal.science/tel-01131575">d’une absence de sections féminines</a> dans le club sportif choisi à proximité ; d’une offre d’activités, d’horaires, d’équipements, de budget ou d’encadrement (parfois tout à la fois) <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2018-2-page-218.htm">restreinte</a>. Ces inégalités de traitement vont de pair avec un système de représentations culturelles qui, non seulement entretient la distinction entre la catégorie, socialement construite, des femmes et celle des hommes (autour de ce que « doit être » une femme ou un homme) mais davantage les hiérarchise (Clair, 2015). Ainsi, dès le plus jeune âge, sous les effets d’une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17430437.2023.2181163">socialisation genrée</a> qui se joue dans plusieurs instances, <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2022-1-page-63.htm?ref=doi">dont les médias</a>, les filles sont davantage encouragées à être <a href="https://www.cairn.info/inegalitees-culturelles-retour-en-enfance--9782111399785.htm">lectrices, musiciennes ou sédentaires plutôt que sportives</a> – ou <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2011-4-page-87.htm">danseuses, gymnastes, athlètes</a> plutôt que footballeuses, rugbywomen ou boxeuses.</p>
<p>Les filles sont davantage incitées à participer, à coopérer et à entretenir leur(s) forme(s) plutôt qu’à se battre, se dépasser et performer. Les filles intériorisent une représentation déclassée d’elles-mêmes qui justifierait qu’elles valent moins et donc mériteraient moins de moyens que les hommes. Ainsi, au-delà de la seule parité numérique des athlètes, d’autres critères d’égalité devront être mobilisés pour juger de l’égalité entre les femmes et les hommes comme les usages des espaces sportifs, la qualité des commentaires médiatiques, et plus largement le droit à la reconnaissance de la dignité de toutes les personnes.</p>
<h2>Le leadership féminin à la traîne</h2>
<p>De plus, en matière d’égalité, il convient également d’interroger la situation des femmes hors de l’aire de compétition, notamment dans les fonctions de direction (politique et/ou technique) du sport. Bien que peu médiatisé, le <a href="https://www.theses.fr/2020BORD0200">sujet mobilise</a> le législateur français, comme la <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315692883-13/gender-diversity-governance-international-sport-federations-johanna-adriaanse">gouvernance</a> du mouvement olympique, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/gwao.12790">depuis une vingtaine d’années</a>. </p>
<p>Au sujet de l’égalité d’accès aux fonctions électives du sport, la France est à l’avant-garde avec, en l’espace de huit ans, deux lois ambitieuses : celle du 4 août 2014, puis celle du 2 mars 2022 fixant l’exigence de parité dans les conseils d’administration des fédérations sportives pour 2024 et dans les conseils d’administration des ligues sportives régionales pour 2028. En l’espace de quelques olympiades, <a href="https://e-archivo.uc3m.es/bitstream/handle/10016/31436/impact_valiente_SIS_2020_ps.pdf">ces politiques</a> ont fait bondir la représentation des femmes <a href="https://patrickbayeux.com/actualites/federations-sportives-le-defi-de-la-parite/">dans les instances dirigeantes</a> du sport français (passant de 27,4 % en 2009-2012 à 40,3 % en 2021-2024).</p>
<p>Mais ces résultats numériques ne sont que l’arbre qui cache (mal) la forêt des inégalités, car en matière de politique sportive, le plancher colle. En France, seules deux femmes (5,7 %) sont, en 2023, présidentes d’une fédération olympique et pour les autres, nous manquons cruellement d’études sur les fonctions qu’elles occupent dans les CA ; les mécanismes de résistance qu’elles rencontrent et/ou les stratégies de contournement qui limitent un partage efficace du pouvoir. « Car ce n’est pas tant le pouvoir des nombres, qui, somme toute, fait la différence, <a href="https://doi.org/10.7202/011092ar">mais bien le nombre au pouvoir</a> ».</p>
<p>Enfin, les mondes de l’entraînement sportif et/ou de l’arbitrage révèlent également d’importantes inégalités entre les femmes et les hommes. En France, le <a href="https://insep.hal.science//hal-03081973">pourcentage de femmes entraîneurs de haut niveau</a> stagne durablement entre 8 % en 2006 et 11 % en 2020. Dans ce secteur professionnel, la mixité (et encore moins la parité) n’est pas à l’ordre du jour, et ce d’autant plus que la situation des femmes est encore mal connue. Si les <a href="https://www.cairn.info/quelle-mixite-dans-les-formations-et-les-groupes-p--9782296554597-page-193.htm">travaux</a> de la sociologue Caroline Chimot font encore figure d’exception, ils sont actuellement prolongés au sein du LVIS par des recherches en cours sur les carrières et conditions de travail des femmes entraîneurs, sur les raisons de leur moindre durabilité dans le métier et sur les formes de leadership qu’elles développent en lien (ou non) avec les perceptions/réceptions dans l’écosystème sportif.</p>
<p>Ainsi, sans vouloir minimiser la portée politique et culturelle de cette décision historique, espérons que la parité aux JOP de Paris 2024 ne sera pas <a href="https://www.paris2024.org/fr/parite/">« le dernier pas vers une parité historique aux JO »</a> mais une étape de route vers des politiques et pratiques permettant l’inclusion des personnes minorisées sur le plan de l’ordre de genre à partir <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19406940.2022.2161599">d’un travail critique</a> sur les pratiques et politiques à l’œuvre et/ou de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19406940.2022.2161599">l’ancrage épistémique et idéologiques</a> des dirigeants du sport en France et au-delà.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213830/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Ottogalli-Mazzacavallo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces jeux seront les premiers de l’histoire olympique à être paritaires. Pour autant, peut-on parler d’égalité entre les femmes et les hommes dans le paysage sportif français ?Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, Maîtresse de Conférences en histoire, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2138822023-09-28T19:12:42Z2023-09-28T19:12:42ZQuand les Iraniennes résistent à la surveillance par la « sousveillance »<p>Un an environ après la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/manifestations/iran-un-an-apres-la-mort-de-mahsa-amini_6066060.html">mort de Mahsa Amini</a>, la révolte iranienne ne fléchit pas. Cette jeune femme de 22 ans est devenue le symbole de la lutte contre la <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">politique islamique iranienne sur le port du voile</a>. Son décès amène un <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-la-premiere-fois-que-les-iraniennes-descendent-dans-la-rue-cette-fois-ci-sera-t-elle-la-bonne-192480">vent de révolte</a> à l’encontre du régime iranien. Celle-ci se concentre autour de la lutte contre la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-2-page-277.htm">loi adoptée en 1983 qui imposait aux femmes le port du hijab</a>, quatre ans après la révolution islamique de 1979.</p>
<p>Si un souffle de rébellion s’était déjà emparé de la jeunesse iranienne <a href="https://journals.openedition.org/eps/5170">ces deux dernières décennies</a>, ce tragique événement a renforcé les manifestations. En effet, il n’est plus rare, ces deux dernières décennies, de voir quelques mèches de cheveux dépasser des voiles ou même certaines femmes tête nue.</p>
<p>Cette défiance aux airs de désobéissance civile répand une vague de liberté et d’émancipation chez les Iraniens qui décident de ne plus répondre aux diktats sur le voile.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-regime-iranien-est-un-apartheid-des-genres-il-faut-le-denoncer-comme-tel-191465">Le régime iranien est un apartheid des genres. Il faut le dénoncer comme tel</a>
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<p>Cette dernière année, notamment depuis la mort de Mahsa Amini, les manifestations ont été plus fortes et la <a href="https://www.amnesty.fr/discriminations/actualites/iran-femmes-repression-port-obligatoire-du-voile">répression mise en œuvre par le pouvoir des mollahs</a> est également allée croissant. Le régime iranien emploie à présent des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/technologie-controler-le-port-du-voile-via-la-reconnaissance-faciale-un-projet-fait-polemique-en-iran">outils technologiques de surveillance de masse</a> qui jusque-là n’avaient jamais été <a href="https://www.bfmtv.com/tech/l-iran-utiliserait-la-reconnaissance-faciale-pour-identifier-les-femmes-qui-ne-portent-pas-le-hijab_AN-202301130024.html">utilisés pour imposer une loi vestimentaire aux femmes sur la base d’une politique religieuse</a>. À ce titre, la chercheuse Mahsa Alimardani souligne que le régime a passé des années à construire un <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">appareil de surveillance numérique</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un an après, où en est la révolution ? (Public Sénat).</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.cnil.fr/sites/cnil/files/atoms/files/reconnaissance_faciale.pdf">La reconnaissance faciale permet d’identifier un individu</a>, c’est-à-dire de retrouver son identité parmi un groupe de personnes ou au sein d’une base de données. Cette technologie peut être utilisée en temps réel <a href="https://theconversation.com/la-reconnaissance-faciale-du-deverrouillage-de-telephone-a-la-surveillance-de-masse-184484">dans l’espace public</a> par le biais de caméras de surveillance par exemple.</p>
<p>Mais elle peut également être exploitée dans le cadre d’une surveillance a posteriori, grâce à des images enregistrées issues des caméras de surveillance ou encore des réseaux sociaux.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Cet outil de surveillance visuelle peut alors être utilisé pour identifier les <a href="https://www.bfmtv.com/tech/l-iran-utiliserait-la-reconnaissance-faciale-pour-identifier-les-femmes-qui-ne-portent-pas-le-hijab_AN-202301130024.html">personnes qu’un régime considère comme dissidentes</a> si elles portent des signes visuellement reconnaissables par des machines, de façon automatisée. Cette utilisation de la technologie pour répondre à une politique vestimentaire amène un changement d’échelle dans la répression des contrevenantes. Alors que la police iranienne ne peut être omniprésente, la technologie permet au régime iranien d’avoir un œil ubiquitaire grâce à l’utilisation d’un <a href="https://ipvm.com/reports/tiandy-iran-business">logiciel de reconnaissance faciale issu de la société chinoise Tiandy</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/proposition-de-loi-sur-la-reconnaissance-faciale-un-pas-de-plus-vers-la-surveillance-generalisee-207677">Proposition de loi sur la reconnaissance faciale : un pas de plus vers la surveillance généralisée ?</a>
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<h2>Le voile : sous « l’œil de Dieu »</h2>
<p>En janvier 2023, le journal américain <em>Wired</em> révélait que quelques jours après avoir manifesté de nombreuses femmes <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">avaient été arrêtées chez elles</a>.</p>
<p>Un haut fonctionnaire déclarait d’ailleurs que des algorithmes pouvaient identifier les femmes enfreignant les <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">codes vestimentaires</a>. L’utilisation d’algorithme à des fins d’identification des individus par le biais de leur visage est techniquement possible en Iran, puisque le régime dispose depuis 2015 d’une <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">gigantesque base de données nationale d’identité</a>. Cette base regroupe non seulement les identités (état civil, adresse, etc.), mais également des données biométriques comme les images numérisées des visages des citoyens utilisées pour les cartes d’identité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-sportives-iraniennes-miroir-dun-pays-en-crise-132222">Les sportives iraniennes, miroir d’un pays en crise</a>
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<p>Couplée à un logiciel de reconnaissance faciale, cette base de données permet d’identifier toute personne qui ne respecterait pas loi, par exemple toutes les femmes contrevenant à la loi sur le hijab. Cet outil de surveillance visuelle devient, à l’instar d’un autre cas cité <a href="https://ojs.library.queensu.ca/index.php/surveillance-and-society/article/view/12858">dans un travail de recherche,</a> « l’œil de Dieu ».</p>
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<figcaption><span class="caption">En Iran, la police des mœurs de retour de la rue, HuffPost, juillet 2023.</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">Des exemples récents</a> attestent de cette mise en œuvre de la surveillance. Typiquement, les femmes qui ne portent pas de voile dans leur voiture reçoivent des <a href="https://www.voanews.com/a/iran-issues-warning-on-mandatory-headscarf-in-cars-/6901848.html">SMS d’avertissement</a>. Développé en 2020, <a href="https://www.voanews.com/a/iran-issues-warning-on-mandatory-headscarf-in-cars-/6901848.html">ce programme, Nazer (« surveillance » en persan), lutte contre le retrait du hijab dans les voitures</a>. Il a récemment été <a href="https://www.voanews.com/a/iran-issues-warning-on-mandatory-headscarf-in-cars-/6901848.html">renforcé et déployé dans tout le pays, d’après un officier supérieur de la police</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reconnaissance-faciale-du-deverrouillage-de-telephone-a-la-surveillance-de-masse-184484">La reconnaissance faciale, du déverrouillage de téléphone à la surveillance de masse</a>
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<h2>S’exposer sans voile sur les réseaux sociaux : un acte de « sousveillance »</h2>
<p>Mais, alors que le régime épie les femmes pour surveiller si elles portent le voile ou non, parallèlement, ces dernières cherchent à donner davantage de visibilité à leur lutte contre cette politique, et plus généralement contre le régime. Le voile se retrouve alors au cœur d’une guerre de la visibilité : son port est scruté d’un côté, tandis que son absence est brandie comme un signe d’émancipation sur les réseaux sociaux de l’autre.</p>
<p>Face à cette utilisation de la surveillance pour punir, les manifestants usent d’outils de <a href="http://archiverlepresent.org/terminologie/sousveillancesurveillance">sousveillance</a>, comme l’explique le chercheur Steve Mann afin de donner de la visibilité à leurs actions et aux exactions qu’ils subissent.</p>
<p><em>Le hashtag #Kartemelichallenge visait à montrer sur Instragram la schizophrénie dans laquelle vivent de nombreux Iraniens et Iraniennes.</em></p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/explore/tags/kartmelichallenge/ ?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Construite par opposition à la surveillance, la <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2016-3-page-68.htm">sousveillance viendrait du « bas »</a>. Elle cherche à constituer un contrepoids au pouvoir étatique avec la possibilité de filmer et <a href="https://ojs.library.queensu.ca/index.php/surveillance-and-society/article/view/14088/9355">rendre visibles les actions s’opposant à la surveillance</a>. En ce sens, les photos de femmes s’affichant sans voile sur les réseaux sociaux ou les manifestations relayées sur la Toile s’apparentent à de véritables actions de « sousveillance ».</p>
<p>Par ces actes de désobéissance, les femmes tentent à s’opposer à la surveillance de l’État et à médiatiser leur combat. Le régime iranien a, d’ailleurs, vite compris la puissance de la visibilité des actions des manifestants, et <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/09/22/face-aux-manifestations-l-iran-bloque-massivement-messageries-et-reseaux-sociaux_6142722_4408996.html">cherche à restreindre l’accès à Internet</a>. De fait, les <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/droits-des-femmes/manifestations-en-iran-les-reseaux-sociaux-ont-donne-beaucoup-de-pouvoir-a-ces-jeunes-contestataires-observe-une-specialiste_5399155.html">réseaux sociaux ont donné du pouvoir à la jeunesse contestataire iranienne</a> ainsi que l’observe Azadeh Kian, professeure de sociologie politique.</p>
<p>Cette <a href="https://ojs.library.queensu.ca/index.php/surveillance-and-society/article/view/14088">« ère hypermédiatisée et hypervisuelle »</a> permise par les réseaux sociaux transforme le citoyen en journaliste et témoin documentant ses propres actions et celles de ses concitoyens.</p>
<p>Si l’accès aux technologies les plus puissantes et les plus onéreuses (comme la reconnaissance faciale) reste le privilège des dominants, l’agrégation d’une multitude de voix permise par les réseaux sociaux tente de pallier l’asymétrie de la visibilité. De plus, les coûts réduits des smartphones offrent à qui veut la possibilité de filmer et publier en direct sur la Toile des actions de lutte. La technologie devient ainsi autant un outil d’émancipation que de répression. L’Iran est donc au cœur d’un double déploiement technologique, où s’opposent surveillance et sousveillance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213882/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elia Verdon est membre de l'Observatoire de la surveillance en démocratie. </span></em></p>En Iran, le voile est au cœur d’une guerre de la visibilité : son port est scruté d’un côté, tandis que son absence est brandie sur les réseaux sociaux comme un signe d’émancipation .Elia Verdon, Doctorante en droit public et en informatique, CERCCLE (EA 7436) et LaBRI (UMR 5800), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2119392023-09-14T17:30:04Z2023-09-14T17:30:04ZEn maths, les évaluations de primaire favorisent-elles les inégalités de genre ?<p>Les ministres de l’Éducation nationale se succèdent, mais les évaluations nationales en mathématiques et en Français réalisées en début d’année à différents niveaux de scolarité (CP, CE1, sixième, seconde, 1<sup>e</sup> année de CAP) se poursuivent. En 2023, elles se déroulent du 11 au 22 septembre et sont même étendues, pour cette rentrée scolaire, à de <a href="https://eduscol.education.fr/3836/les-evaluations-nationales-de-quatrieme">nouveaux niveaux</a> (CM1, 4<sup>e</sup>).</p>
<p>Les enjeux restent les mêmes : fournir aux enseignants des <a href="https://www.education.gouv.fr/l-evaluation-des-acquis-des-eleves-du-cp-au-lycee-12089">repères des acquis de leurs élèves</a>, doter les « pilotes » de proximité d’indicateurs leur permettant d’établir un diagnostic local et d’adapter leur politique éducative et, enfin, disposer d’indicateurs permettant de mesurer, au niveau national, les performances du système éducatif (évolutions temporelles et comparaisons internationales).</p>
<p>Ces évaluations font l’objet de <a href="https://www.education.gouv.fr/evaluations-point-d-etape-mi-cp-2022-2023-en-francais-les-eleves-reviennent-au-niveau-de-2020-alors-378557"><em>Notes de synthèse</em> publiées par la DEPP</a>, qui mettent en avant les résultats spécifiques de chaque année, mais aussi leur évolution dans le temps. Le <a href="https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/conseil_scientifique_education_nationale/Note_CSEN_2021_03.pdf">CSEN (Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale)</a> produit également des analyses de ces évaluations et propose des pistes de remédiation et des recommandations. <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/08/31/mathematiques-a-l-ecole-comment-l-ecart-de-niveau-entre-filles-et-garcons-se-creuse-des-le-cp_6139583_4355770.html">Ces résultats sont également médiatisés</a> et génèrent souvent, le temps de leur publication, des débats sur les chaines de télévision ou sur les radios.</p>
<h2>Entre septembre et janvier, des écarts entre les résultats des filles et des garçons</h2>
<p>Concernant les évaluations de début d’école élémentaire (CP et CE1), un triste constat est établi depuis quelques années : les résultats des filles en mathématiques à la mi-CP (janvier) s’écartent négativement de ceux des garçons alors même que, quelques mois auparavant, ceux de l’évaluation d’entrée au CP (septembre) ne révélaient aucun écart. Ces écarts se poursuivent, de manière encore plus marquée, au début du CE1.</p>
<p>Ce constat récurrent est surprenant car de nombreux travaux (<a href="https://www.education.gouv.fr/cycle-des-evaluations-disciplinaires-realisees-sur-echantillon-cedre-en-fin-d-ecole-et-fin-de-2870">CEDRE</a>, <a href="https://www.education.gouv.fr/timss-evaluer-les-competences-des-eleves-de-cm1-et-de-4e-en-mathematiques-et-en-sciences-308600">TIMSS</a>) ayant mis en évidence des écarts de performance en mathématiques entre filles et garçons les ont plutôt situés à la fin de l’école élémentaire, qu’au début (seule <a href="https://www.elfe-france.fr/fr/resultats/sciences-sociales/lecart-de-reussite-en-mathematiques-entre-les-filles-et-les-garcons-est-inexistant-avant-le-cours-preparatoire">l’étude Elfe</a> a dernièrement révélé des écarts de performance en mathématiques au CP).</p>
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<p>Ce qui interpelle, c’est qu’entre le début de CP (septembre), où aucun écart de résultats entre les filles et les garçons n’est constaté et la mi-CP (janvier), où des écarts apparaissent, seulement quatre mois se sont écoulés. Comment est-il possible qu’en seulement quatre mois de fréquentation d’école élémentaire, les filles aient de moins bonnes performances en mathématiques que les garçons ?</p>
<p>Quelles peuvent être les causes de <a href="https://www.education.gouv.fr/evaluations-2023-point-d-etape-cp-357824">ces écarts constatés à chaque cohorte d’élèves</a> entrant à l’école élémentaire depuis 2018 ? Et quelles peuvent être les conséquences de leur large diffusion auprès des élèves, des parents et des enseignants car, comme s’interrogeait déjà Charles Hadji en 2020 sur The Conversation, <a href="https://theconversation.com/ecole-evaluations-nationales-est-ce-le-bon-moment-145969">« dans quelle mesure ces évaluations de début d’année peuvent être bénéfiques, pour qui, et de quel point de vue »</a> ?</p>
<h2>Pression évaluative et stéréotypes de genre</h2>
<p>Pour comprendre ce triste constat, on ne peut se contenter de l’appréhender de manière simpliste car il résulte d’une conjonction de facteurs qui interagissent entre eux à un moment scolaire très spécifique : l’entrée à la « grande école ». Pour le CSEN « c’est bien la scolarisation, et non l’âge, qui cause cet écart », mais qu’y a-t-il derrière cette « scolarisation » et doit-on incriminer une seule cause ?</p>
<p>Plusieurs pistes peuvent être avancées pour comprendre ce décrochage précoce des filles. D’abord, les filles intègreraient plus rapidement que les garçons les codes scolaires de la « grande école » avec cette pression évaluative qui est caractéristique de l’école française. Plus sensibles à cette pression à partir de l’évaluation de mi-CP, elles réussiraient donc moins bien. Cette pression pourrait être plus forte à la mi-CP et au CE1 qu’au début du CP où les enseignants, conscients d’accueillir des « petits de maternelle », seraient plus attentifs à créer un climat d’évaluation non anxiogène.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/maths-lecture-le-niveau-des-eleves-baisse-t-il-vraiment-198432">Maths, lecture : le niveau des élèves baisse-t-il vraiment ?</a>
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<p>Par ailleurs, la nature et le protocole de passation sont à questionner dans la mesure où certains exercices proposés dans ces évaluations pourraient également contribuer à angoisser davantage certains élèves du fait de leur caractère inédit à l’école primaire (par exemple, une série de 15 calculs à effectuer en 7 minutes).</p>
<p>Autre piste à considérer : la question de la <a href="https://theconversation.com/a-quel-age-les-enfants-developpent-ils-leur-identite-de-genre-57142">construction de l’identité genrée</a> des élèves doit également être considérée car, même si elle est d’une grande variabilité selon les élèves et les contextes sociaux et familiaux, on sait que très tôt (vers 2-3 ans), les enfants sont capables de s’identifier en tant que fille ou garçon et que vers 6-7 ans, ils/elles seraient en mesure de reconnaitre le caractère immuable de l’appartenance à un groupe de sexe.</p>
<p>On pourrait donc penser que les filles, conscientes d’appartenir à un groupe qui subit le <a href="https://theconversation.com/maths-a-lecole-dou-vient-le-probleme-191691">stéréotype prégnant de prédominance masculine en mathématique</a>, seraient sous la « menace du stéréotype » qui en découle et pourraient ainsi sous-performer aux évaluations de mathématiques à partir de la mi-CP où elles ont toutes au moins 6 ans.</p>
<p>Une troisième piste est enfin à envisager. Dans les années 90, les travaux de <a href="https://www.travail-genre-societes.com/comite-de-redaction/nicole-mosconi/">Nicole Mosconi</a> et ceux de <a href="https://www.sciencespo.fr/osc/fr/node/1352.html">Marie Duru-Bellat</a> ont montré que les différences de performance entre les filles et les garçons en mathématiques ne pouvaient s’expliquer sans prendre en compte ce qui se passait dans les classes, et notamment la façon dont les enseignants y faisaient vivre les mathématiques. On pourrait donc également supposer que les pratiques des enseignants de CP et de CE1, empreintes inconsciemment de stéréotypes sexués, contribueraient à rendre les filles moins sûres d’elles en mathématiques et donc à les faire moins bien réussir, dès quelques mois d’école élémentaire.</p>
<h2>Les effets de communication des résultats des évaluations</h2>
<p>Pour tenter d’enrayer ce décrochage précoce des filles, il convient également, au-delà des pistes de compréhension évoquées ci-dessus, de s’intéresser à la communication qui en est faite.</p>
<p>Alors que les constats de prédominance masculine en mathématiques ne font, scientifiquement, pas l’unanimité (une <a href="https://psycnet.apa.org/record/2010-22162-004">méta-analyse américaine portant sur 242 études publiées entre 1990 et 2007</a>, et concernant 1 286 350 individus a montré que les filles et les garçons avaient des performances similaires en mathématiques), une communication excessive de l’institution scolaire et des médias pourrait s’avérer encore plus préjudiciable à la réussite des filles en mathématiques en posant comme un fait avéré et prouvé que les filles réussiraient moins bien en mathématiques que les garçons dès le plus jeune âge et donc fatalement pour toute leur scolarité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/maths-a-lecole-dou-vient-le-probleme-191691">Maths à l’école : d’où vient le problème ?</a>
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<p>Un cercle vicieux fatalement défavorable aux filles en mathématiques se développerait alors : plus le stéréotype de suprématie des garçons en mathématiques serait conforté par des résultats à des évaluations standardisées en mathématiques, plus il engendrerait des comportements de menace du stéréotype de la part des filles et des attitudes ou pratiques inégalitaires de la part des enseignants, parents et institutionnels et <em>in fine</em>, aboutirait à des résultats encore plus différenciés entre les filles et les garçons en mathématiques.</p>
<p>Or, les évaluations standardisées ne sont que des photographies des connaissances des élèves prises à un instant T, sous un angle µ. Il serait dommageable, voire fatal, pour la réussite de tous les élèves, de les prendre pour un reflet exact de leurs connaissances.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211939/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Sayac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que se déroulent les évaluations nationales de primaire, regard sur les écarts de performances qui apparaissent très tôt entre filles et garçons. Quelles sont leurs causes et conséquences ?Nathalie Sayac, Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2026552023-08-09T19:22:30Z2023-08-09T19:22:30ZNietzsche, fervent opposant à l’émancipation de la femme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540746/original/file-20230802-29-jn1kxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C73%2C538%2C621&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait of Friedrich Nietzsche</span> </figcaption></figure><p>Longtemps, les philosophes ont ignoré les différences sexuelles, ne les considérant pas comme un objet d’études. Alors, lorsqu’il fait appel à la distinction entre le masculin et le féminin, Nietzsche inaugure une façon de réfléchir sur les relations humaines qui pourrait être considérée, dans une certaine mesure, comme sexuée.</p>
<p>Il est vrai qu’à son époque certains penseurs ont pris la défense du mouvement de l’émancipation féminine. C’est le cas de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2020-4-page-69.htm">John Stuart Mill</a>, qui a écrit des textes en faveur de l’indépendance des femmes bien connus de Nietzsche. Mais à la différence de Mill, Nietzsche mène un combat <em>contre</em> le mouvement de l’émancipation féminine, qui s’avérera sans merci.</p>
<p>Ses écrits contiennent pléthore de remarques au sujet des femmes : certaines relèvent du cliché, d’autres d’une analyse complexe et raffinée de la condition humaine sous le prisme du genre ; il mentionne la condition féminine dans des digressions éparses comme dans des passages très argumentés. Ses réflexions sur ce thème n’ont pas une place marginale dans son œuvre ; elles ne sauraient se réduire à des préférences personnelles et moins encore à des égarements ponctuels. Bien au contraire, dans mon dernier livre <em>Les ambivalences de Nietzsche. Types, images et figures féminines</em>, je défends l’idée <a href="http://www.editionsdelasorbonne.fr/fr/livre/?GCOI=28405100185200">qu’elles s’inscrivent pleinement dans son entreprise philosophique</a>.</p>
<p>À l’exception de ses premiers textes, les considérations de Nietzsche sur les femmes sont présentes un peu partout dans son œuvre. Elles se trouvent, par exemple, dans de nombreux aphorismes d’<em>Humain, trop humain</em>, dans une séquence de paragraphes du second livre du <em>Gai savoir</em>, dans plusieurs discours d’<em>Ainsi parlait Zarathoustra</em>, dans un groupe de paragraphes de <em>Par-delà bien et mal</em> et dans un certain nombre de passages du <em>Crépuscule des idoles</em>. Étant donné l’objet d’étude choisi ici, je porterai mon attention en particulier aux passages de <em>Par-delà bien et mal</em>, où Nietzsche s’en prend aux femmes qui aspirent à devenir indépendantes.</p>
<h2>Un duel impossible</h2>
<p>Dans le paragraphe 238 de ce livre, <a href="http://www.nietzschesource.org/--eKGWB/JGB-238%5D">Nietzsche affirme</a> qu’il y a « l’antagonisme le plus abyssal » entre hommes et femmes. « Se méprendre sur le problème fondamental de ‘l’homme et de la femme’, nier l’antagonisme le plus abyssal et la nécessité d’une tension irréductible, rêver peut-être de droits égaux, d’éducation égale, de privilèges et de devoirs égaux : voilà un signe typique de platitude intellectuelle ».</p>
<p>Ce faisant, il pourrait très bien laisser entendre que l’homme et la femme établissent une relation conflictuelle. Dans son optique, concevoir l’existence comme un duel loyal est une condition inhérente à ce qui est noble. Mais depuis ses premiers textes, Nietzsche affirme qu’il ne peut y avoir de lutte quand on méprise l’antagoniste et il n’y a pas de raison de lutter quand on le domine. D’où il s’ensuit que, pour le philosophe, la relation entre hommes et femmes ne serait pas conçue comme un affrontement entre deux positions qui s’excluent. Car la lutte doit toujours avoir lieu <em>inter pares</em>.</p>
<p>Comment comprendre alors « l’antagonisme le plus abyssal et la nécessité d’une tension irréductible » entre hommes et femmes ? Comment envisager le caractère agonistique d’une telle relation ?</p>
<h2>« Considérer la femme comme une possession »</h2>
<p>Au premier abord, on pourrait supposer que Nietzsche incite les femmes à provoquer les hommes en duel, car il souhaite qu’elles ne se comportent pas comme des hommes, mais qu’elles ne se laissent pas non plus subjuguer par eux. Néanmoins, en se prononçant sur la façon dont on doit envisager la femme, il affirme qu’un homme profond, bienveillant, rigoureux et dur « ne pourra jamais penser à la la femme que de manière orientale : il lui faut concevoir la femme comme une possession, comme un bien qu’il convient d’enfermer, comme quelque chose qui est prédestiné à servir et trouve là son accomplissement ». En somme, un tel homme concevra la femme comme <a href="http://www.nietzschesource.org/--eKGWB/JGB-238">prédestinée à la sujétion</a>. Nietzsche n’hésite donc pas à se montrer contraire du mouvement d’émancipation de la femme déjà présent à son époque.</p>
<p>Il faut tout de même souligner que, dans ses écrits, le philosophe ne s’adresse pas aux femmes. C’est vers les hommes qu’il se tourne et, en particulier, vers les hommes qui, comme lui-même, réfléchissent sur les femmes, et il leur explique comment il faut les traiter. Le passage cité exige notre attention. En envisageant la femme à la « manière orientale », Nietzsche privilégie « la formidable raison de l’Asie » et s’éloigne de l’histoire de la philosophie européenne. Lorsqu’il s’adresse à ses pairs, il fait l’éloge de « la supériorité de l’instinct de l’Asie » et combat ainsi la philosophie occidentale qui a toujours pris pour modèle l’homme européen. Quand il s’agit de savoir comment traiter les femmes, Nietzsche s’en tient à encourager ses congénères à procéder de façon similaire à celle de l’homme asiatique.</p>
<p>Dans l’optique nietzschéenne, depuis la Révolution française, la société européenne considère comme moral de soumettre l’individu aux nécessités générales. Décadente, elle proclame que son bonheur consiste à devenir utile à tous, en supprimant son caractère singulier et en se convertissant tout simplement en un membre de la « masse grégaire ». Voilà pourquoi elle favorise l’apparition des mouvements comme celui de l’émancipation féminine – contre lequel le philosophe s’insurge.</p>
<h2>Une émancipation « décadente »</h2>
<p>Nietzsche pense que l’influence de la femme a diminué en Europe <a href="http://www.nietzschesource.org/--eKGWB/JGB-239">dans la mesure où ses droits se sont accrus</a>. Pour lui, ce n’est pas un hasard si les femmes, qui veulent égaler les hommes, commettent une erreur de calcul. Cherchant à acquérir des droits, elles réduisent leur sphère d’influence. Car tandis que les droits ont à voir avec la société qui se forme après la Révolution française, l’influence concerne celle qui lui préexistait.</p>
<p>Nietzsche pense qu’à la différence des organisations sociales basées sur l’idée d’une hiérarchie, comme celles de l’Asie, de la Grèce ancienne ou de la France pendant l’ancien régime, la société européenne de son époque s’oriente de plus en plus rapidement vers l’uniformisation. Il dénonce alors la tendance égalitaire de l’Europe des temps modernes : <a href="http://www.nietzschesource.org/--eKGWB/JGB-239">« À aucune époque le sexe faible n’a été traité par les hommes avec autant d’égards qu’à notre époque – cela est un trait spécifique du penchant et du goût fondamental de la démocratie »</a>.</p>
<p>Nietzsche estime qu’il se prononce en faveur des femmes en les avertissant que l’émancipation qu’elles souhaitent contribue à affaiblir leurs caractéristiques et leurs particularités. On pourrait argumenter qu’en effet, lorsqu’elles revendiquent l’égalité de droits depuis la Révolution française, les femmes pensent que la société industrielle ne procède à aucune discrimination sexuelle. Mais elles se trompent, quand elles imaginent, en se fiant à l’idée d’une universalité abstraite, que cette société considère tous les citoyens comme des travailleurs et des consommateurs de manière indifférenciée.</p>
<p>Les femmes constatent alors – <a href="https://journals.openedition.org/clio/199">comme l’ont démontré Geneviève Fraisse et Michelle Perrot</a> – basée sur une stricte séparation entre la production de biens et la gestion du foyer, la société industrielle se maintient grâce aux activités qu’elle assigne aux femmes, dès les tâches ménagères, à commencer par la génération et le soin des enfants, jusqu’au soutien apporté aux hommes. Mais, convaincues que « liberté, égalité, fraternité » concerne tous les êtres humains, elles revendiquent alors l’égalité des droits. Et elles se trompent une fois de plus, lorsqu’elles supposent que la devise révolutionnaire s’applique à elles aussi. Les femmes perçoivent ainsi le divorce entre les discours et les pratiques : les principes révolutionnaires inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne vont pas au-delà des frontières de la masculinité.</p>
<p>Dans la perspective nietzschéenne, enthousiasmées par la Révolution française, les femmes se sont affaiblies. D’où il s’ensuit <a href="http://www.nietzschesource.org/--eKGWB/JGB-239">qu’« il y a de la stupidité dans ce mouvement » de l’émancipation féminine</a>. Les femmes qui souhaitent égaler les hommes, s’appliquent à lire et à écrire et renoncent ainsi à « une humilité fine et rusée ». Elles mettent en cause des images idéalisées et sapent la croyance masculine dans « l’éternel féminin ». Leur refus de se comporter « tel un animal domestique fort délicat, curieusement sauvage et souvent plaisant » dissuade les hommes de les traiter avec attention et de les prendre sous leur protection. Elles négligent ainsi les armes qui leur ont permis de remporter tant de victoires. Mais il faudrait souligner que ce sont précisément les armes qui, en général, sont imputées aux faibles. En faisant appel aux clichés associés au féminin, Nietzsche s’emploie à dénoncer ce qui, à ses yeux, est une stratégie de domination de la part des femmes. En insistant sur leur astuce et leur pouvoir de séduction et en les voyant excellentes dans l’art de manipuler, il se rend complice de la dépréciation dont elles sont l’objet depuis des siècles.</p>
<p>Les éléments réunis ici me permettent de conclure que, si Nietzsche critique les femmes parce qu’elles exigent l’égalité de droits, il n’est pas prêt à lutter contre ce qui les conduit à la revendiquer ni contre ce qui les empêche de l’obtenir. Bien au contraire, en prônant une image traditionnelle de la femme, il n’hésite pas à mener un combat sans merci contre le mouvement d’émancipation féminine.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540749/original/file-20230802-27-2pfbly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540749/original/file-20230802-27-2pfbly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540749/original/file-20230802-27-2pfbly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540749/original/file-20230802-27-2pfbly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540749/original/file-20230802-27-2pfbly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1128&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540749/original/file-20230802-27-2pfbly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1128&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540749/original/file-20230802-27-2pfbly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1128&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les ambivalences de Nietzsche.</span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/202655/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Scarlett Marton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’exception de ses premiers textes, les considérations de Nietzsche sur les femmes sont présentes un peu partout dans son œuvre. Et le philosophe s’opposait fermement à leur émancipation.Scarlett Marton, Philosophe, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090062023-08-06T15:31:47Z2023-08-06T15:31:47ZLe fabuleux destin de Thérèse Poulain : dans les coulisses d’une Préhistoire à la française<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537044/original/file-20230712-21-abu8rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C7%2C4905%2C3268&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Thérèse Poulain à son domicile.</span> <span class="attribution"><span class="source">Gwendoline Torterat </span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Les ossements sur lesquels maman travaillait étaient étalés partout dans la maison. Quand je rentrais de l’école, je me mettais sur ses genoux et je les triais avec elle. » (Agnès Poulain, fille cadette de l’archéologue Thérèse Josien-Poulain)</p>
</blockquote>
<p>Disparue en 2022, <a href="https://hal.science/hal-03950706">Thérèse Josien-Poulain</a>, mère de quatre enfants et chargée de recherche au CNRS, a travaillé dès les années 1950 au développement d’un domaine scientifique jusque-là inédit pour la préhistoire française : <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb38801438w">l’archéozoologie</a>. Elle fait partie de ces femmes pionnières qui ont révolutionné la science.</p>
<p>Contrairement à la paléontologie, dont l’histoire remonte à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, les études archéozoologiques sont menées sur les sites portant les traces d’activités humaines et tiennent compte de l’ensemble des ossements d’animaux retrouvés lors des fouilles. Elles s’adossent donc à l’étude des autres vestiges afin d’accéder notamment aux comportements de subsistance vis-à-vis des ressources sauvages et domestiques. Malgré leur proportion importante sur les sites archéologiques, aucun spécialiste n’avait jusqu’alors choisi de consacrer sa carrière à des analyses poussées destinées à dépasser les déterminations anatomiques et taxinomiques en usage.</p>
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<p>C’est pourtant tout un pan des connaissances sur les populations préhistoriques, croisées à celles des relations naturelles et culturelles entre les humains et les animaux non humains qui échappaient à la science.</p>
<p>La thèse que Thérèse Josien-Poulain soutient en 1964 témoigne d’un élan précurseur vers ces questions, d’autant qu’elle intègre les périodes préhistoriques et historiques à sa recherche. Elle fut en effet la première à étudier la <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb351538575">domestication des animaux sur 10 000 ans</a> et la place des premières formes d’élevage dans ce processus.</p>
<p>Et pour cela, elle s’est autant investie sur les terrains de la fouille qu’en post-fouille, c’est-à-dire à l’étape de l’identification et de l’analyse de ces vestiges. Elle a par exemple montré que le prélèvement de certains animaux chassés était différent selon leur âge ou leur état de santé. Elle a également avancé l’hypothèse d’une consommation sélective de certaines parties de l’animal.</p>
<h2>Du Musée de l’Homme à son domicile : la naissance d’un laboratoire domestique</h2>
<p>Au cours de ses études d’histoire-géographie à la Faculté des lettres de Paris, elle suit en tant qu’auditrice libre les cours de l’ethnologue et préhistorien <a href="https://hal.science/hal-01772868v1">André Leroi-Gourhan</a> (1911-1986) au Musée de l’Homme.</p>
<p>En 1951, elle s’associe aux fouilles archéologiques que ce dernier dirige à Arcy-sur-Cure (Yonne) et fait la rencontre de l’un de ses proches collaborateurs, Pierre Poulain (1921-1987), qui était aussi responsable des collections du musée d’Avallon et implanté dans la région depuis plusieurs années. Thérèse Josien épouse Pierre Poulain en 1957 et le suit la même année à Avallon, petite ville de l’Yonne éloignée de près de 200 kilomètres du musée de l’Homme où se trouvait son laboratoire, ses collègues, et les étudiants qu’elle avait commencé à former.</p>
<p>Qu’à cela ne tienne ! Thérèse Josien-Poulain décide de transformer son domicile en y installant une bibliothèque, une collection inédite d’ossements de référence ainsi que de multiples zones de stockage et plusieurs espaces de travail.</p>
<p>Ce laboratoire domestique que s’est constitué Thérèse Josien-Poulain n’est pas un cas isolé. L’historiographie souligne la <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb39150209g">sous-reconnaissance générale des contributions des femmes dans les sciences</a>. Ce phénomène touche autant les catégories de chercheuse, d’assistante ou de technicienne, le statut d’épouse augmentant souvent encore plus leur invisibilisation. L’espace domestique a dès lors longtemps constitué le <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb45339617v">seul lieu pour l’activité scientifique des femmes</a>, également un espace d’inventions.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mathilde-wernert-une-femme-dans-un-monde-de-prehistoriens-en-1907-201212">Mathilde Wernert : une femme dans un monde de préhistoriens… en 1907</a>
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<p>Entre les années 1950 et 2000, un volume colossal de vestiges est arrivé jusqu’au domicile familial de Thérèse Josien-Poulain. Ils proviennent en tout de plus de 600 sites archéologiques, dont 279 ont fait l’objet d’une publication (hors articles de fond).</p>
<p>Des colis d’ossements ont ainsi été envoyés par ses collègues responsables de fouilles en France et à l’étranger, qu’elle appelait ses « fournisseurs ». Avec près de 700 000 ossements répertoriés, elle a examiné sur la table de son salon l’équivalent de plus de 40 000 animaux. Quelques carcasses de boucherie ou de chasse étaient même placées dans le réfrigérateur avant que les os ne complètent la collection de référence. Elle a continué à collaborer de la même manière après sa retraite en 1994, c’est-à-dire bénévolement, pendant plus d’une dizaine d’années.</p>
<h2>Dans les coulisses d’une préhistoire « à la française », une école de pensée née dans les années 1950</h2>
<p>Malgré son isolement géographique, une implication considérable pour seconder son époux au musée, et l’éducation de ses quatre enfants (nés entre 1958 et 1966), Thérèse Josien-Poulain obtient le poste de chargée de recherche au CNRS en 1967. Si travailler de son domicile ne l’a pas empêchée d’être titularisée, il ne lui a toutefois pas été possible d’évoluer par la suite en tant que maître de recherche. Il fallait pour cela avoir la responsabilité de travaux de recherche d’étudiants, une possibilité offerte à ceux qui étaient restés proches des universités et des laboratoires. Cela étant, ses recherches ont largement contribué à la reconnaissance progressive de ce qui deviendra une discipline à part entière à partir des années 1980.</p>
<p>La reconnaissance de Thérèse Josien-Poulain comme fondatrice de l’archéozoologie est marquée par l’organisation des « Journées scientifiques d’Avallon » en 1983. Cet événement hommage fut organisé par une quinzaine de chercheurs travaillant tant sur les périodes préhistoriques qu’historiques. Ils incarnaient d’une part la première génération d’archéozoologues français formés entre autres par les paléontologues et préhistoriens François Poplin et Jean Bouchud (1913-1995). Et d’autre part, ils héritaient d’une certaine école de pensée née dans les années 1950 avec André Leroi-Gourhan : pour lui, sans l’intégration de l’étude des restes de faune, la <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32375872w">préhistoire ne serait qu’un catalogue d’outillage</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="coupure de presse" src="https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Coupure de presse de l’<em>Yonne républicaine</em>, qui couvre la réunion d’Avallon. Thérèse Poulain est la troisième en partant de la droite sur la photo de gauche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gwendoline Torterat</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De façon plus générale, il voulait élargir le spectre des types de vestiges étudiés, pas uniquement osseux. Les méthodes de fouille et d’analyse des vestiges qu’il développa ont suscité l’intérêt d’autres préhistoriens qui mesuraient également l’importance de l’<a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1993_num_48_1_279117">analyse des sédiments et des pollens fossiles</a>. Ce sont plus de 1 500 personnes qui ont ainsi été formées de son vivant à ses méthodes, sur les sites d’Arcy-sur-Cure (1946-1963) et de Pincevent (1964-1986).</p>
<p>Cette école de préhistoire à laquelle Thérèse Josien-Poulain appartenait est donc née sur les chantiers de fouille et a contribué au renouveau des études de paléoenvironnements quaternaires. Néanmoins, pour André Leroi-Gourhan, cet élan d’après-guerre favorable pour la préhistoire était lié à une réflexion de fond sur l’avenir professionnel et institutionnel de la discipline. Son objectif était de <a href="https://hal.science/hal-01772868v1">remettre les travaux de la préhistoire française à un niveau scientifique qui soit digne du pays</a>. L’ambition d’un tel projet scientifique n’a ainsi pu se faire que collectivement, souvent en coulisses, ce dont les recherches pionnières de Thérèse Josien-Poulain témoignent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209006/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gwendoline Torterat a reçu des financements du DIM MAP région Île-de-France.</span></em></p>L’espace domestique a longtemps constitué le seul lieu pour l’activité des femmes scientifiques, participant à leur invisibilisation.Gwendoline Torterat, Post-doctorante en anthropologie sociale (UMR TEMPS 8068, CNRS), Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105662023-08-03T21:33:41Z2023-08-03T21:33:41ZFoot féminin au Cameroun : bien plus qu’un sport<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541039/original/file-20230803-19-rx0nid.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C26%2C5964%2C3934&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Yaoundé - Deuxième journée du championnat Guinness Superleague - 18 janvier 2023,FC Ebolowa contre Amazone FAP</span> <span class="attribution"><span class="source">Sophie Effa</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Alors que les meilleures nations s’affrontent depuis le 20 juillet lors de la Coupe du Monde de football féminin en Australie et en Nouvelle-Zélande, le Cameroun n’aura pas l’occasion de voir ses Lionnes indomptables fouler la pelouse durant cette neuvième édition.</p>
<p>Forcées de s’incliner face au Portugal lors des <a href="https://allezleslions.net/barrages-coupe-du-monde-le-portugal-elimine-le-cameroun/">épreuves de barrage</a>, les Camerounaises n’ont pas attendu le mondial féminin pour célébrer leur participation à ce sport devenu institution sociale. Le championnat de foot au Cameroun a ainsi gagné en médiatisation avec, pour la troisième saison consécutive, le soutien d’une grande entreprise locale, Guinness Cameroun.</p>
<p>L’arrivée de ce sponsor a considérablement renforcé la visibilité du championnat et de ses participantes, avec la retransmission de certains matchs sur la chaîne de télévision nationale ainsi que sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, la performance de Gifto le Russe, la nouvelle star du <em>mbolé</em> – un genre musical issu des quartiers populaires de la capitale camerounaise, très prisé de la jeunesse – lors de la dernière journée du championnat national a également contribué à faire de l’événement une vraie fête.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1641068282257059840"}"></div></p>
<p>Cette nouvelle médiatisation n’apporte cependant que peu d’éléments pour comprendre les expériences des footballeuses camerounaises, leur engagement dans le développement du sport, ainsi que celui de celles et ceux qui les encadrent, dans des conditions très précaires.</p>
<p>C’est ce que le <a href="https://www.hes-so.ch/recherche-innovation/projets-de-recherche/detail-projet/kick-it-like-a-girl">projet de recherche « Kick it like a girl ! »</a>, financé par le Fonds national suisse, a cherché à comprendre, en partant du postulat que le football est beaucoup plus qu’un sport en Afrique : c’est une institution sociale qui permet à ses pratiquants d’accéder à des ressources matérielles, à des réseaux et à une certaine reconnaissance.</p>
<h2>Le football féminin : un observatoire des transformations sociales</h2>
<p>Au Cameroun, des filles et des femmes aiment et pratiquent ce sport – des équipes et des compétitions féminines existent depuis la fin des années 1960 – et elles sont de <a href="https://www.journalducameroun.com/cameroun-le-football-feminin-connait-une-croissance-constante/">plus en plus nombreuses</a>.</p>
<p>Certaines découvrent le sport avec les garçons, « au quartier », d’autres à l’occasion des jeux scolaires organisés par l’État. L’<a href="https://www.france24.com/fr/sports/20220204-cameroun-%C3%A0-la-rails-football-academy-les-jeunes-footballeuses-dribblent-les-pr%C3%A9jug%C3%A9s">Académie du Rail, exclusivement féminine</a>, a vu le jour début 2019 à Yaoundé, et des équipes féminines ont été créées dans des clubs et académies de toutes les régions du Cameroun.</p>
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<p>Les Lionnes indomptables (l’équipe nationale, actuellement en 3<sup>e</sup> position du classement FIFA pour le continent) et leurs succès sont une source d’inspiration pour les filles et plus généralement pour l’acceptation sociale du football pratiqué par les femmes.</p>
<p>Pour autant, sport des masses populaires, symbolisant la virilité et le pouvoir, le football reste considéré comme masculin par essence. Les pratiquantes sont perçues comme déviantes et doivent surmonter de nombreux obstacles pour pouvoir jouer : l’entourage des footballeuses (familles, encadrants sportifs et scolaires, etc.) cultive l’idée selon laquelle la pratique du football nuirait à la « féminité » et aux capacités reproductives des filles.</p>
<p>En raison de ce constat – qui n’est pas propre au Cameroun ni même à l’Afrique – le football constitue un observatoire privilégié <a href="https://theconversation.com/sexisme-dans-le-football-ou-en-sommes-nous-120467">pour mettre en évidence les inégalités de genre</a>, mais aussi les transformations sociales impulsées par l’engagement des joueuses et leurs aspirations à plus de justice.</p>
<h2>Négocier du temps pour jouer</h2>
<p>Quel que soit leur âge et leur génération, toutes les joueuses rencontrées au cours de la recherche parlent de leur amour du ballon et de leur passion pour le jeu.</p>
<p>La plupart racontent également les défis rencontrés, en tant que jeunes femmes, pour jouer au football. Il s’agit tout d’abord de vaincre les réticences ou la franche hostilité des familles, <a href="https://docs.euromedwomen.foundation/files/ermwf-documents/7926_4.121.genreetsportenafrique-entrepratiquesetpolitiquespubliques.pdf">gardiennes de la respectabilité de leurs filles</a>.</p>
<p>De ce point de vue, le football est d’autant plus problématique qu’il est joué dans la rue et dans des espaces publics où les corps des filles échappent au contrôle familial. Le soupçon de lesbianisme qui pèse sur les footballeuses, au <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2004-1-page-163.htm">Cameroun comme ailleurs</a> et alors que <a href="https://www.voaafrique.com/a/homosexualit%C3%A9-le-cameroun-menace-de-suspendre-des-cha%C3%AEnes-tv/7135504.html">l’homosexualité est un délit passible de peines de prison</a>, alimente la défiance des familles. Dans ce contexte, en plus de la réussite scolaire, une bonne éducation passe par l’apprentissage des tâches reproductives qu’elles auront à assumer en tant que femmes <a href="https://www.tandfonline.com/doi/epdf/10.1080/14660970512331390925">dans leurs futurs foyers</a>.</p>
<p>À l’âge équivalent, la part du travail domestique qui incombe aux filles est ainsi beaucoup plus importante que celle de leurs frères, générant une inégalité de temps disponible pour les entraînements ou les matchs, par rapport aux garçons. L’accès à la pratique du football suppose donc d’abord de négocier du temps pour jouer et une certaine liberté de mouvement. Cela pose la question de la légitimité de la participation à une activité de loisir régulière en dehors de la maison pour les filles.</p>
<p>Le rôle des coaches, qui sont en contact avec les familles et les rassurent quant à l’encadrement que les filles reçoivent dans les équipes scolaires ou en club, est ici déterminant. Mais c’est en général lorsque le succès est au rendez-vous et qu’il se matérialise sous forme de primes d’entraînement ou de matchs – si modestes soient-elles – que les parents deviennent plus tolérants vis-à-vis de l’engagement de leurs filles.</p>
<h2>S’imposer sur le terrain</h2>
<p>Avant d’intégrer une équipe féminine, s’imposer sur le terrain sportif à l’adolescence constitue un autre défi. Une joueuse de 19 ans, titulaire d’une équipe de première division, évoque les championnats de son quartier :</p>
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<p>« Quand on m’appelait dans mon quartier, sur un petit stade où on faisait toujours les petits tournois, quelqu’un disait “il y en a une là, elle s’appelle Florence, elle joue bien”. Mais alors, quelqu’un d’autre disait “est-ce qu’on va mettre une fille à la place d’un garçon ? Elle joue où d’abord ? Nous on va marquer les buts, celle-ci ne peut même pas courir donc elle sort !” Je me sentais mal. Mais comme c’était mon quartier, c’était obligé qu’une fille fasse partie des 22 joueurs. Les grands s’imposaient, ils disaient “si elle ne joue pas, mieux on arrête le championnat, on ne joue plus”. » (octobre 2021)</p>
</blockquote>
<p>A priori peu légitimes sur le terrain de jeu du quartier, les filles doivent se battre pour se faire une place. Mais à l’instar de Florence, la plupart des joueuses rencontrées au cours de la recherche disent avoir reçu le soutien de garçons, plus âgés, qui les ont aidées à acquérir cette légitimité en reconnaissant leur potentiel, en les encourageant, et en les imposant dans le groupe. Par la suite, courtisées par les coaches de clubs qui cherchent à monter des équipes féminines, elles n’ont aucun mal à se faire accepter dans le football institutionnalisé.</p>
<h2>Vivre de nouvelles expériences</h2>
<p>Pour surmonter les difficultés rencontrées, les jeunes femmes disent avant tout être portées par l’amour du jeu. Mais elles expriment aussi un point de vue sur l’accès aux ressources, matérielles et symboliques, que cette activité peut leur ouvrir. Toutes ne deviendront pas internationales, mais la plupart en rêvent. Une joueuse de 21 ans, évoluant en première division et déjà sélectionnée plusieurs fois à l’équipe nationale, évoque le moment où elle a pris conscience de l’importance du football dans sa vie :</p>
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<p>« Quand j’ai eu mon premier trophée, j’ai connu des grandes personnes. En jouant au football, on peut rencontrer des personnes qu’on ne pouvait jamais imaginer rencontrer ! On peut entrer où on ne pensait jamais entrer ! On peut avoir ce qu’on ne pensait même pas avoir ! Alors c’est là où j’ai compris que le football pouvait faire de moi une grande personne ! Respectée ! » (octobre 2021)</p>
</blockquote>
<p>C’est fréquemment pour participer à des jeux scolaires, ou à d’autres compétitions, que les joueuses sortent pour la première fois de leur quartier ou de leur ville. À l’exception des compétitions internationales, ces déplacements se font dans des conditions peu luxueuses ni même confortables, avec des voyages de 15 à 30 heures en bus lorsqu’il faut rejoindre des villes du Nord du Cameroun depuis Yaoundé. Ils représentent néanmoins des occasions inédites de voir du pays, de vivre de nouvelles expériences en équipe et de faire la fête lorsque le match est gagné.</p>
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<p>Les compétitions de football sont aussi le cadre dans lequel les jeunes femmes rencontrent des personnalités importantes : joueurs et joueuses célèbres, présidents de clubs ou responsables des institutions faitières, autant d’opportunités de constituer ou d’étendre leur réseau.</p>
<h2>Jouer « pour la passion seulement »</h2>
<p>Le foot féminin « c’est pour la passion seulement » est un leitmotiv fréquemment entendu sur les terrains de la recherche, signifiant que le football féminin est pratiqué pour le plaisir, et qu’il ne faut pas en attendre d’avantages financiers. Généralement, les montants perçus par séance d’entraînement et par match gagné sont trois à cinq fois moins élevés que chez les hommes, aussi bien pour les joueuses que pour les coaches : de l’ordre de 1 000 à 1 500 francs CFA en première division (1 à 2 euros), couvrant les frais de déplacement et une bouteille d’eau ; et de l’ordre de 8 000 à 10 000 francs CFA (10 à 12 euros) par match gagné, contre environ 30 000 FCFC (45 euros) pour les hommes. Notons que ces écarts sont nettement moins élevés que dans les pays européens.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/equal-play-equal-pay-des-inegalites-de-genre-dans-le-football-208530">Equal play, equal pay : des « inégalités » de genre dans le football</a>
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<p>Par ailleurs, certains clubs peuvent soutenir les joueuses pour le paiement de leur loyer lorsqu’elles ne vivent pas en famille et des primes de signature peuvent être versées à la signature d’un contrat.</p>
<p><a href="https://k4d.ch/beaucoup-plus-quun-sport/">Les coaches</a> ainsi que les autres personnels d’encadrement, s’engagent de leur côté dans l’activité avec une très faible contrepartie financière, ce qui apparente leur activité à du bénévolat défrayé, mais avec l’espoir qu’un jour, l’activité « donne » en retour. L’arrivée d’un <a href="https://allezleslions.net/guinness-super-league-quand-guinness-cameroun-manque-a-ses-engagements/">sponsor dans le championnat de première division</a>, en 2021, avait suscité de nombreux espoirs d’amélioration de la rémunération des joueuses et des personnels d’encadrement. Les coaches ont vite déchanté : restant à la charge des clubs, ils et elles n’ont pas vu leur situation s’améliorer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1579535605704577024"}"></div></p>
<p>Quant aux joueuses, le modèle retenu par Guinness (versements directs sur leurs comptes bancaires) est régulièrement contesté par les autres parties prenantes (les clubs notamment). Mais leur situation financière reste très précaire. Les versements sont erratiques ainsi que les montants : de 25 000 francs CFA (un peu moins de 40 euros) par mois la première saison, sur 10 mois, la rémunération est passée à 100 000 francs CFA la deuxième année (la moitié étant versée par le sponsor, et l’autre moitié par la Fédération) pour redescendre à 50 000 francs CFA cette année, la fédération ayant suspendu sa participation aux rémunérations directes des joueuses.</p>
<p>Rappelons enfin que ces quelques données chiffrées – parcellaires car les dimensions financières dans le contexte camerounais sont <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/06/25/la-corruption-au-cameroun-cette-gangrene-qui-tue-le-football-a-petit-feu_5481290_3212.html">marquées par une opacité certaine</a> – ne concernent que les 12 équipes évoluant en première division.</p>
<h2>Un football féminin porté par les acteurs et actrices de terrain</h2>
<p>La recherche met en lumière les aspirations et les luttes des joueuses de football à Yaoundé pour occuper l’espace public, faire valoir leur légitimité et accéder à des ressources et des opportunités grâce à leur pratique sportive.</p>
<p>Ces aspirations trouvent désormais un écho auprès des institutions : celles du football mais aussi de la coopération au développement. Ainsi, en 2018, la <a href="https://www.fifa.com/fr/womens-football/news/la-strategie-de-la-fifa-pour-le-football-feminin-fete-ses-quatre-ans">FIFA</a>, <a href="https://wiwsport.com/2020/07/23/la-caf-devoile-officiellement-la-strategie-pour-le-football-feminin/">suivie par la CAF</a> (Confédération africaine de football) en 2020, lançaient officiellement leurs premières stratégies pour le football féminin. En 2020 également, <a href="https://www.afd.fr/fr/carte-des-projets/championnes-renforcer-leadership-filles-education-football">l’AFD</a> (Agence française de développement) s’associait à la FIFA et à Plan international pour « promouvoir le football féminin à l’école afin de renforcer les capacités des jeunes filles » au Bénin, en Guinée et au Togo.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/541042/original/file-20230803-21-zt1tn3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541042/original/file-20230803-21-zt1tn3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541042/original/file-20230803-21-zt1tn3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541042/original/file-20230803-21-zt1tn3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541042/original/file-20230803-21-zt1tn3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541042/original/file-20230803-21-zt1tn3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541042/original/file-20230803-21-zt1tn3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Yaoundé, causerie pendant une séance d’entrainement (23 octobre 2021).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Béatrice Bertho</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Jusqu’à présent, les efforts de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot) pour le développement du football féminin ont porté principalement sur la sélection nationale (U17, U20 et Seniors). Pour les coaches nommés au plus haut niveau et pour les joueuses appelées en stages et en compétition, les primes versées peuvent atteindre des sommes très élevées et faire du football une activité lucrative. Des efforts d’institutionnalisation sont en cours et portent leurs fruits en première division : la signature du contrat de sponsoring entre la Fecafoot et Guinness – qui vient toutefois d’arriver à son terme et dont on ne sait comment il va être renégocié – en témoigne et y contribue.</p>
<p>Le football à la base est en revanche très peu soutenu : les petits centres de formation et clubs de deuxième division, qui sont extrêmement engagés et actifs dans la formation des jeunes femmes (y compris dans les régions les plus excentrées du pays) reçoivent très peu d’attention. Le matériel manque, les coaches y sont bénévoles, et, s’ils et elles veulent se former, doivent pour cela débourser d’importantes sommes d’argent.</p>
<p>Si le football féminin camerounais existe, c’est pour l’heure bien davantage parce qu’il y a des joueuses qui s’y engagent et des personnes qui les encadrent que du fait des institutions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Béatrice Bertho est coordinatrice de Kick it like a Girl ! Young Women Push Themselves Through Football in the African Public Space, un projet de recherche financé par le programme R4D (Programme suisse de recherche sur les questions globales pour le développement) cofinancé par la Direction du développement et de la coopération et le Fonds national suisse de la recherche scientifique (numéro de subvention 177296). Cette recherche a été mise en œuvre avec un partenariat entre la Haute Ecole de Travail Social et de la Santé de Lausanne (HES-SO), l’Université Catholique d’Afrique Centrale à Yaoundé (UCAC) et l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement, Genève (IHEID).</span></em></p>Au Cameroun, le football est beaucoup plus qu’un sport : c’est une institution sociale, notamment pour ses pratiquantes.Béatrice Bertho, Professeure associée en travail social, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096172023-08-02T18:06:34Z2023-08-02T18:06:34ZStéréotypes de genre dans le football français, les défis des médias pour les jeunes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538757/original/file-20230721-23892-1ngou4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C0%2C4179%2C2797&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La façon dont les magazines destinés à la jeunesse présentent les footballeuses et les footballeurs a un impact sur la perception de la pratique sportive par leur lectorat.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/smiling-girl-reading-on-brown-sofa-109899608">Dmytro Vietrov/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En 2022, le <a href="https://injep.fr/publication/barometre-national-des-pratiques-sportives-2022/">Baromètre national des pratiques sportives</a> de l’Institut national de la Jeunesse et de l’éducation populaire indiquait que 60 % des Françaises et Français de 15 ans et plus affirmaient avoir pratiqué au cours de l’année écoulée une activité physique et sportive régulière. Cette hausse est fortement portée par la pratique féminine : 58 % des femmes pratiquent une activité sportive en moyenne au moins une fois par semaine, soit 7 points de plus qu’en 2018. L’écart entre hommes et femmes s’est ainsi réduit, passant de 6 à 4 points.</p>
<p>Il n’en demeure pas moins que cet écart persiste de façon prononcée dans certaines disciplines : la Fédération française de football (FFF) comptabilisait seulement 157 761 joueuses pour 2 124 335 licenciés lors de la saison 2019-2020, malgré un <a href="https://www.fff.fr/16-le-football-feminin/365-football-feminin-nos-actions.html">plan fédéral de féminisation</a> impulsé en 2011. Axe prioritaire de la FFF sur la période 2012-2016, celui-ci visait à féminiser le football à tous les niveaux, sur et en dehors du terrain.</p>
<p>Parmi les nombreuses pistes explicatives à la lenteur de la féminisation du football français, les médias, et spécialement ceux destinés aux plus jeunes, ont retenu notre attention car ils sont aujourd’hui des <a href="https://journals.openedition.org/communiquer/2576">acteurs majeurs de la diffusion du sport et de la visibilité du sport dit féminin</a>.</p>
<h2>Les médias, acteur important de la socialisation sportive des jeunes</h2>
<p>Le lien mécanique entre médiatisation et massification/démocratisation de la pratique sportive, pourtant rarement mis à l’épreuve des faits, reste tenace dans notre société.</p>
<p>Un exemple parmi d’autres : en 2019, la ministre des Sports Laura Flessel avait déclaré durant la Coupe du Monde féminine de football qu’elle espérait que la médiatisation de la compétition « donne envie à beaucoup de Françaises, et notamment des jeunes filles, de chausser les crampons et de rejoindre les garçons sur le terrain ».</p>
<p>En considérant la capacité des médias à octroyer une place plus ou moins importante à certains contenus, à privilégier et légitimer des cadres d’intelligibilité, des normes ou des modèles de conduite spécifiques et, en creux, <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2022-1.htm">à passer sous silence ou disqualifier certaines pratiques et visions du monde</a>, il semble pertinent d’analyser leur rôle dans la socialisation sportive des jeunes.</p>
<p>Composé d’une dizaine d’enseignants-chercheurs aux ancrages disciplinaires distincts (histoire, sociologie, sciences du langage, sciences de l’information et de la communication), le Collectif MediSJeu (pour mediatisation du sport et socialisation sportive des jeunes) s’est donné pour objectif, dans le cadre d’un programme de recherches étalé sur une dizaine d’années, de répondre à deux questions : dans quelle mesure les médias, en diffusant à grande échelle des modèles de sportivité, participent-ils de la construction des (dé) goûts, du développement de dispositions ou non pour le sport ? Et dans quelle mesure amènent-ils un jeune à admirer ou à stigmatiser d’autres jeunes pratiquant une activité sportive, à s’en auto-exclure, à se forcer à la pratiquer ou à l’abandonner ?</p>
<h2>Une couverture de l’activité sportive déséquilibrée</h2>
<p>Nous avons effectué un examen détaillé de la couverture et du traitement médiatique des joueuses et joueurs des équipes de France de football lors des six dernières Coupes du Monde, féminines et masculines confondues (2010 à 2019), sur l’intégralité d’un corpus reconstitué (n=1 440 numéros) d’un titre de la <a href="https://www.cairn.info/la-presse-des-jeunes--9782707132291.htm">presse écrite dite « jeunesse »</a> destiné aux 6-10 ans, <a href="https://www.playbacpresse.fr/abonnements-le-petit-quotidien"><em>Le Petit Quotidien</em></a>, largement diffusé dans les écoles françaises.</p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2022-1-page-63.htm">premiers résultats</a> montrent que le sport, pratique culturelle pourtant bien installée dans la population française, n’occupe qu’environ 7 % de la surface rédactionnelle, et est majoritairement traité sous forme d’images, souvent relégué en troisième page et dans des formats inférieurs ou égaux au quart de page.</p>
<p>Surtout, en dépit du fait que les jeunes lectrices sont tenues de s’investir dans l’éducation physique à l’école, <a href="https://injep.fr/wp-content/uploads/2018/08/ias1-le-sport.pdf">sont de plus en plus nombreuses à être licenciées dans un club entre 6 et 12 ans</a> et considèrent les jeux sportifs comme l’un de leurs loisirs préférés, le journal construit le sport comme un loisir « masculin ».</p>
<p>En effet, les filles sont concernées par moins de 10 % des articles sportifs, moins souvent présentes en couverture, généralement cantonnées aux dernières pages, rarement représentées seules dans des formats écrits ou de grande taille, et assignées aux articles courts, sans fond ou seulement illustrés par <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2004-1-page-163.htm">« l’être féminin »</a>, c’est-à-dire que ce qui est considéré comme faisant la femme est souvent réduit à l’« être perçu ». Les sportives – sans être complètement oubliées – restent ainsi littéralement reléguées au second plan.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=106&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=106&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=106&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Résultat d’une recherche Google Images sur la requête « Petit Quotidien » + « foot ».</span>
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</figure>
<p>Dans un second temps, nous avons analysé les contenus visuels du quotidien relatifs aux équipes de France de football : dans près de 90 % des cas, les photos ne sont pas mixtes et mettent en scène des hommes dans plus de 85 % des visuels étudiés. Cette domination se poursuit lorsque l’on observe la répartition des hommes et des femmes dans les différents plans photographiques. Au premier plan figurent des hommes seuls (83 % <em>vs</em> 6 % pour les femmes) tandis qu’au second plan, les chiffres sont divisés par deux pour les hommes et par trois pour les femmes (48 % d’hommes <em>vs</em> 2 % de femmes).</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le 24 juin 2023, peu avant le début de la Coupe du Monde, le Petit Quotidien, pour son n°7195, consacre exceptionnellement sa couverture à l’équipe de France féminine de football.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.epresse.fr/kiosque_premium/le-petit-quotidien/2023-06-24">Le Petit Quotidien</a></span>
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</figure>
<p>Pour alourdir encore davantage ce constat, il convient de noter que, quand les femmes sont au premier plan, elles sont le plus souvent accompagnées d’hommes au second plan, contribuant ainsi à construire l’image d’un <a href="https://journals.openedition.org/sds/2174">sport féminin encadré, analysé et régi par des hommes</a>.</p>
<h2>Un choix d’illustrations qui n’est pas neutre</h2>
<p>Les photographies relatives aux Coupes du Monde de football utilisent la plupart du temps un cadrage resserré, c’est-à-dire lorsque le personnage occupe toute la hauteur ou la largeur au minimum (45 % du volume) ou normal, lorsque le personnage occupe la moitié de la hauteur ou de la largeur (37 % du volume).</p>
<p>Le retrait des éléments de contexte peut être considéré comme un levier visant à faciliter la lecture du jeune public, mais il pose dans le même temps la question du message envoyé à propos du football : de tels effets de zoom sur un ou quelques joueurs en particulier participent du processus d’<a href="https://www.cairn.info/revue-staps-2008-4-page-29.htm">individualisation</a> et de <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2011-1-page-105.htm">vedettisation</a> des joueurs et des joueuses, conduisant à la surreprésentation des champions et à la sous-représentation des championnes, et valorisant un champion dans le cadre d’actions décisives (Mbappé, Pogba, Griezmann, par exemple) au détriment d’une équipe.</p>
<p>Au final, le traitement médiatique des joueuses et joueurs des équipes de France de football dans le quotidien étudié n’est pas « neutre » et nos résultats confirment pour la presse écrite jeunesse les <a href="https://www.neonmag.fr/le-sport-feminin-est-16-fois-moins-diffuse-a-la-tele-que-le-sport-masculin-indique-un-rapport-de-larcom-560125.html">constats produits par ailleurs</a> (presse écrite généraliste, presse écrite spécialisée, télévision, etc.). D’après le sociologue du sport Nicolas Delorme, la rédaction de <em>L’Équipe</em>, unique quotidien sportif généraliste français, a <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2021-01-19/pourquoi-le-sport-feminin-est-toujours-aussi-peu-mediatise-9c2e129d-43b9-4fdf-a9d2-e7acd76a3436">délibérément choisi de privilégier le sport masculin</a> au sport féminin, les hommes représentant 82 % du lectorat du journal.</p>
<p>Certes, l’appropriation des messages médiatiques n’est ni immédiate ni systématique, mais relève d’une socialisation complexe et continue, qu’il convient de penser dans l’articulation aux autres agents socialisateurs (famille, école, club, etc.). Il n’en demeure pas moins que les médias doivent être pensés et analysés comme une instance de socialisation puissante : ils peuvent permettre d’ouvrir le champ des possibles, susciter l’admiration voire des vocations, ils participent également d’un processus plus large de stigmatisation/discrimination chez les jeunes lectrices et lecteurs.</p>
<p>On mesure dès lors combien les enjeux sont d’importance pour la Coupe du Monde féminine de football 2023. En renforçant la place des footballeuses dans les contenus proposés et en érigeant des « rôles modèles » pour des millions de jeunes filles, les médias pourraient contribuer à permettre à la jeunesse de se projeter dans des sports que les unes et les autres s’imaginent encore trop sexués, voire ségrégués.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oumaya Hidri Neys a reçu, pour le Collectif MediSJeu, des financements de la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société Lille Nord-de-France, de l'INSPE Lille Nord-de-France et de l’Institut National de Jeunesse et d’Education Populaire (Paris). Le Collectif MediSJeu a également obtenu le label de la Fondation Alice Milliat, première fondation européenne en faveur du sport féminin.</span></em></p>D’après une étude, la presse écrite dite « jeunesse » tend à présenter le football comme un loisir masculin, contribuant ainsi à perpétuer les stigmatisations traditionnelles entourant ce sport.Oumaya Hidri Neys, Professeur des universités en STAPS, Université d'ArtoisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.