tag:theconversation.com,2011:/id/topics/v-republique-87476/articlesVᵉ République – The Conversation2024-01-24T17:14:09Ztag:theconversation.com,2011:article/2216902024-01-24T17:14:09Z2024-01-24T17:14:09ZComment travaille le Conseil constitutionnel ?<p>Le Conseil constitutionnel doit remettre une importante décision de constitutionnalité à propos de la loi immigration portée par Gérald Darmanin. Quelles sont les méthodes de travail de cette juridiction trop souvent perçue comme obscure et politique ? Parfois décrites comme « secrètes », pour rester loin des pressions partisanes, elles n’en sont pas moins <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782275019284-contentieux-constitutionnel-des-droits-fondamentaux-1e-edition-michel-verpeaux-bertrand-mathieu/">codifiées et méthodiquement arrêtées</a> par des textes fondamentaux, comme l’ordonnance portant <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000705065">loi organique du 7 novembre 1958</a> relative au fonctionnement du Conseil constitutionnel.</p>
<h2>Une procédure plus qu’un contentieux</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel est d’abord « saisi » par des autorités politiques. Il peut s’agir de députés ou sénateurs (plus de 60 sont requis), des présidents des deux assemblées, du premier ministre ou du président de la République. Ces autorités lancent alors un délai d’examen par le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/saisir-le-conseil/qui-peut-saisir-le-conseil-constitutionnel">Conseil de la conformité de la loi à la Constitution</a>, qui ne peut excéder un mois.</p>
<p>Conformément à l’article 61 de la Constitution, les juges constitutionnels disposent d’un mois, après enregistrement de la saisine au greffe, pour rendre une décision.</p>
<p>La saisine pour la loi immigration a été faite en l’occurrence par le président de la République, la présidente de l’Assemblée nationale et les députés et sénateurs de la gauche.</p>
<p>Comme tous les juges, ceux qui forment le Conseil constitutionnel suivent une procédure avant de rendre leur jugement. Néanmoins les concepts de contentieux, parties, instruction, mémoires ou contradiction ne sont pas adaptés à cette juridiction d’un type particulier. Ainsi, le vocabulaire normal de la justice n’est pas utilisé pour le Conseil constitutionnel, tant son office est particulier.</p>
<p>Ayant à juger une question purement objective, c’est-à-dire ne s’intéressant qu’à la conformité́ d’une norme à une autre dans l’intérêt du Droit, le Conseil constitutionnel ne tranche pas un contentieux entre parties. Il se prononce en droit sur la constitutionnalité́ de la loi mais ne donnera pas raison ou tort aux partis politiques qui s’affrontent.</p>
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<p>Ces raisons expliquent le particularisme de la procédure qui conduit au rendu de la décision ; les robes d’avocats ne bruissent pas dans des salles des pas perdus animées où des dossiers papiers s’amoncellent. Les ambiances sont plutôt à l’exact inverse : un peu entre la chambre parlementaire et la juridiction, les couloirs feutrés moquettés laissent le silence régner entre les bureaux fermés des neuf membres et de leurs services, qui communiquent par échanges informels au cours de nombreuses réunions, avant de parvenir à une décision consensuelle dans la salle des délibérés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-conseil-constitutionnel-les-anciens-presidents-de-la-republique-pourraient-ils-etre-les-remparts-des-droits-et-libertes-195377">Au Conseil constitutionnel, les anciens présidents de la République pourraient-ils être les remparts des droits et libertés ?</a>
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<h2>Un principe du contradictoire aménagé</h2>
<p>La décision suit une procédure de fabrication, une véritable « instruction », mais il n’y a pas d’opposition de points de vue entre deux « parties » opposées. Il est difficile d’imaginer au Conseil constitutionnel un « demandeur » et un « défenseur » de la loi comme dans n’importe quel litige, puisque gouvernement et Parlement ont, ensemble, construit une loi et qu’il n’y a donc pas à proprement parler de « parties au procès ».</p>
<p>Pourtant, depuis 1993, par le truchement de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/la-qpc-et-le-parlement-une-bienveillance-reciproque">Robert Badinter</a>, les groupes parlementaires ont la possibilité de venir exposer un point de vue sur un dossier, mais peu s’en sont emparés.</p>
<p>C’est donc le <a href="https://www.gouvernement.fr/secretariat-general-du-gouvernement-sgg">secrétariat général du gouvernement</a>, actuellement Claire Landais, qui vient dialoguer avec le secrétariat général du Conseil constitutionnel, Jean Maïa, dont nous allons voir qu’il joue un rôle central.</p>
<p>Dans le cas qui nous occupe, la réunion a dû être particulièrement originale, entre un secrétariat général du gouvernement censé défendre la constitutionnalité de la loi, et un secrétaire général du Conseil constitutionnel qui a suivi de près les aveux d’inconstitutionnalité tenus par le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/20/loi-immigration-les-mesures-susceptibles-d-etre-censurees-par-le-conseil-constitutionnel_6206980_3224.html">président de la République en personne, la première ministre Elisabeth Borne et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Laurent Fabius rappelle le rôle du Conseil constitutionnel (Public Sénat, 11 janvier).</span></figcaption>
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<p>Les « fiches » du secrétariat général du gouvernement quant à la constitutionnalité de la loi sont censées être préparées bien en amont de la prise de décision, afin de donner des pistes au Conseil constitutionnel pour comprendre le processus qui a conduit à adopter la loi. Dans le cas présent, la secrétaire générale se retrouve dans une position politique compliquée. Outre ces discussions de couloirs, la procédure est bien formalisée autour de plusieurs temps forts et acteurs clefs.</p>
<h2>Des acteurs clés</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel est composé de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres/statut-des-membres">neuf membres</a>, surnommés « les Sages » par les médias, dont le président de l’institution, Laurent Fabius, qui a un collaborateur personnel attaché à l’organisation de son agenda.</p>
<p>Ils sont nommés pour un mandat de neuf ans et renouvelés par tiers tous les trois ans. Trois membres, dont le président, sont nommés par le président de la République, trois autres par le président de l’Assemblée nationale, et les trois derniers par le président du Sénat.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les neuf « Sages » du Conseil Constitutionnel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres">Conseil Constitutionnel</a></span>
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<p>Si le président Laurent Fabius est la figure médiatique de l’institution, son rôle ne saurait masquer l’ascendant d’un homme sur l’organisation des travaux : le secrétaire général, aujourd’hui <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-conseil-constitutionnel/les-services-du-conseil">Jean Maïa</a>. Il est nommé par décret du président de la République, sans durée de temps indicative. Devant s’adapter telle une vigie au renouvellement régulier des membres, il veille plus longuement que les autres à la continuité des travaux de l’institution.</p>
<p>C’est lui qui rédige les fiches informatives, qui renseigne les points juridiques clés, qui prépare le projet de « Commentaire aux Cahiers », <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/les-nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel">publications phares</a> de l’institution, pour expliquer, déminer, dé-politiser. Son œuvre pédagogique est <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782130631255-contentieux-constitutionnel-francais-4e-edition-guillaume-drago/">cardinale</a> pour qu’une décision soit rendue. Sans lui, point de rendez-vous qui tienne, sans lui, pas de colonne vertébrale.</p>
<p>Il est tout et il n’est rien ; autorité administrative et technique, le secrétaire général n’est pas membre de l’institution et ne peut donc rien faire « en son nom ». Tel un administrateur d’une assemblée, il prépare mais n’écrit pas. Le membre rapporteur du texte (nommé par les neuf membres en cooptation pour organiser les travaux de manière équitable) est le seul à préparer « l’avant-projet de décision ».</p>
<h2>Un combat inégal</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel est aussi un adepte du temps précontentieux et deux services clés, la documentation et le service juridique, suit les travaux parlementaires dès la rentrée de l’Assemblée nationale et du Sénat.</p>
<p>Ce travail en amont est important notamment pour connaître la procédure ayant conduit à l’adoption des futures lois potentiellement déférées à la haute institution, prendre connaissance de celles-ci et rechercher les dispositions qui pourraient être inconstitutionnelles, avant même que les parlementaires (ou d’autres autorités) ne les évoquent.</p>
<p>En préparant le débat de constitutionnalité, les services – chapeautés par le secrétaire général et le membre rapporteur, souvent nommé « pré-rapporteur » de lois dont la saisine est pressentie – s’émancipent de la critique politique nécessairement contenue dans les mémoires de saisine.</p>
<p>Ces derniers ne font autre chose que de continuer la joute de l’intérêt général devant un juge qui ne peut trancher qu’à partir d’éléments juridiques dépassionnés. Dans ce combat inégal, le Conseil constitutionnel doit toujours faire gagner le droit et le rechercher, là où les artifices, les atours du vocabulaire de communication des gouvernants, noient le <a href="https://www.cairn.info/fiches-de-culture-juridique--9782340029897-page-221.htm">discours légistique</a>.</p>
<h2>Un jour fatidique</h2>
<p>Les débats au sein de la haute instance conduisent à rendre une décision de justice d’une manière très originale : par délibération « collégiale ».</p>
<p>La décision n’est pas rendue « au nom du peuple français » comme pour les autres juges (assise, judiciaire, administratif par exemple), mais elle n’est pas rendue non plus au nom d’une seule personne (comme les arrêtés ministériels ou autres décisions administratives). Elle est rendue au nom de l’intégralité des membres présents, au moins sept, lors de la délibération.</p>
<p>Ainsi, le rapporteur arrive avec un avant-projet qu’il présente ; c’est un moment de grand oral important, à l’image d’un ministre qui vient défendre son projet dans un Conseil des ministres ; il faut emporter avec soi la conviction des huit autres membres de l’instance. Pour éviter toute pression politique, le nom du membre rapporteur reste secret dans toutes les affaires. Ainsi, aucune fuite n’a permis d’identifier qui rapportera sur la loi immigration.</p>
<p>Sont présents autour de la table en U – l’ordre protocolaire autour du président est arrêté en fonction des années de nomination –, le greffe, pour consigner ce qui est dit, le service juridique et le secrétaire général pour éclairer les débats.</p>
<p>Ce n’est qu’une fois que les neuf membres sont d’accord avec ce qui est présenté que la décision peut être prise ; dans le cas contraire, les membres discutent point par point avec le rapporteur du texte sur la rédaction qui sera adoptée et qui fera consensus.</p>
<p>Tout y est pesé ; le poids juridique, l’impact politique, les remous médiatiques. Chaque président a imprimé son style, Robert Badinter pour la juridictionnalisation (soit le fait de remettre à une juridiction le contrôle d’une situation), Laurent Fabius pour la communication.</p>
<h2>Une décision déceptive</h2>
<p>Aujourd’hui, la décision à rendre contient une <a href="https://www.leparisien.fr/politique/decision-du-conseil-constitutionnel-sur-la-loi-immigration-des-experts-redoutent-une-dimension-politique-22-01-2024-V6ZUCLACFJCJ3MLFQ4PA2JLZBE.php">charge politique inédite</a>. Le gouvernement attend du Conseil constitutionnel qu’il « nettoie » le texte des addenda venant du groupe Les Républicains, auquel il a concédé politiquement.</p>
<p>Œuvrant à la manière du projet de loi de réforme des retraites – dont les censures par le juge constitutionnel étaient prévisibles et portaient précisément sur les <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/14/retraites-ce-que-le-conseil-constitutionnel-a-garde-ou-ecarte-des-differentes-saisines_6169591_4355770.html">mesures sociales</a> censées servir la dureté de la réforme – le gouvernement engage donc le juge à son corps défendant dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/17/incompetence-des-juges-absence-d-independance-reelle-les-entorses-du-conseil-constitutionnel-a-la-democratie_6211253_3232.html">querelle politique</a>.</p>
<p>Pour autant, la décision à venir générera nécessairement de la déception de part et d’autre, puisqu’en portant un regard juridique sur la loi, elle n’apportera pas de solution au débat politique.</p>
<p>On l’aura compris, les membres sont accompagnés par des services et dirigés par un rapporteur qui travaillent sur le projet de loi depuis de longues semaines, épluchant les travaux parlementaires, les différentes versions du texte, les jurisprudences antérieures du juge constitutionnel, de manière à concilier deux textes fondamentaux : la loi voulue par le pouvoir politique et la Constitution du peuple français.</p>
<p>L’une assure la confiance politique du pays en ses gouvernants le temps d’un mandat, l’autre assure la protection d’une ligne fondamentale de droits humains qui traverse les âges.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Charlène Bezzina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Conseil constitutionnel est une juridiction souvent perçue comme obscure et politique malgré un protocole très codifié et singulier, dans le paysage juridique français. Décryptage.Anne-Charlène Bezzina, Constitutionnaliste, docteure de l'Université Paris 1 Sorbonne, Maître de conférences en droit public à l'université de Rouen, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213672024-01-21T14:41:55Z2024-01-21T14:41:55Z« Emmanuel Macron préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut »<p><em>La conférence de presse d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, a fait l’objet de nombreuses remarques, à la fois sur la forme – deux heures et quart face à son auditoire – mais aussi le fond. Au-delà des axes politiques et des choix ministériels défendus, l’historien des médias Alexis Lévrier (CRIMEL-Université de Reims/GRIPIC-Sorbonne Université) qui a notamment publié l’ouvrage <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">« Jupiter et Mercure. Le pouvoir présidentiel face à la presse »</a> (2021) revient sur ce que ce moment dit du rapport très ambivalent que le chef de l’état entretient avec les médias, et ce que cela révèle aussi de la V<sup>e</sup> République.</em></p>
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<p><strong>La conférence de presse du 16 janvier 2024 marque-t-elle une étape nouvelle dans l’histoire des rapports entre <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">Emmanuel Macron et la presse</a> ?</strong></p>
<p>Il faut d’abord rappeler que le chef de l’État n’aime pas particulièrement cet exercice : il a donné très peu de grandes conférences de presse depuis son élection, alors même qu’il s’agissait d’un rituel prisé par les présidents de la République depuis le général de Gaulle. De la même manière, Emmanuel Macron a eu tendance à plusieurs reprises à se passer des vœux à la presse, autre tradition qui suppose la rencontre entre le président et les journalistes. L’an dernier, il a par exemple remplacé au dernier moment ce cérémonial par un échange en « off » avec une <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/v%C5%93ux-president-macron-presse-rituel-off-annulation-2023">dizaine d’éditorialistes choisis</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-resilience-du-journalisme-face-au-pouvoir-jupiterien-160264">La résilience du journalisme face au pouvoir « jupitérien »</a>
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<p>Il a malgré tout donné quelques conférences de presse au cours de son premier mandat, par exemple en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=h36VYBX5lD4">2021 au moment de la présidence française de l’Union européenne</a>, ou en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=s_0VbuU6XNg">mars 2022 pour lancer sa campagne pour l’élection présidentielle</a>. Auparavant, en avril 2019, un événement très similaire à celui qui vient de se tenir avait eu lieu pour clore la séquence du Grand débat national : le président s’était exprimé pendant deux heures trente devant un parterre de plusieurs centaines de journalistes, qui avaient eu la possibilité de lui poser des questions après un discours liminaire prononcé sur un <a href="https://www.dailymotion.com/video/x76lrxn">ton très solennel</a>.</p>
<p>Cette fois, le président semble avoir opté pour un format un peu plus souple et moins daté : son discours était plus court (une demi-heure contre une heure) et ses réponses plus brèves, ce qui a permis à plus d’une vingtaine de journalistes de l’interroger. La spécificité de cette intervention (et son importance pour l’Élysée) apparaît aussi dans le « teasing » qui l’a précédé : en annonçant un « rendez-vous avec la nation » dès la fin 2023, Emmanuel Macron a su créer une attente auprès de la population, encore renforcée par des <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron">rappels au cours des derniers jours</a> et par le choix d’un horaire en « prime time » destiné à toucher un public le plus large possible.</p>
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<figcaption><span class="caption">Conférence d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, France 24.</span></figcaption>
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<p>Malgré les quelques efforts dont témoigne cette dernière conférence de presse, il est évident que le chef de l’État est peu à l’aise dans l’exercice et privilégie d’autres moyens de s’adresser aux Français.</p>
<p>D’une manière générale, c’est un président qui préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut. Il l’avait du reste théorisé en amont de sa première élection, comme en témoignent les propos retranscrits par Philippe Besson, qui l’a accompagné durant sa campagne de 2017. Dans son essai <a href="https://www.lepoint.fr/livres/un-personnage-de-roman-nomme-macron-07-09-2017-2155117_37.php"><em>Un personnage de roman</em></a>, le romancier rapporte ainsi les jugements sévères tenus par Emmanuel Macron sur cette profession : le futur Président aurait même déclaré que beaucoup de journalistes « sont à la déontologie ce que mère Teresa était aux stups ».</p>
<p>Il en aurait tiré l’idée que cette corporation doit être contournée autant que possible pour s’adresser aux Français : « Il faut tenir les journalistes à distance […], trouver une présence directe, désintermédiée au peuple » (<em>Un Personnage de roman</em>, Julliard, 2017, p. 105).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Un personnage de roman</em>, Philippe Besson, 2017 (collection 10-18).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fnac.com/a11269087/Philippe-Besson-Un-personnage-de-roman">Fnac</a></span>
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<p>Ce rêve d’une « désintermédiation » est illusoire, puisqu’un responsable politique a de toute façon besoin d’utiliser des médias pour communiquer. Mais Emmanuel Macron a tendance à le faire sans journalistes, par le biais d’allocutions solennelles face caméra (au moment de la crise sanitaire notamment) ou en recourant aux réseaux sociaux.</p>
<p>Cette méfiance à l’égard de la presse constitue évidemment une rupture spectaculaire avec le modèle incarné par François Hollande : <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/francois-hollande-le-president-qui-voulait-etre-normal-60381">« le président normal »</a> ouvrait constamment les portes de l’Élysée aux journalistes et n’a cessé de communiquer avec eux pendant son mandat.</p>
<p>À l’inverse, Emmanuel Macron a revendiqué dans deux entretiens programmatiques – <a href="https://le1hebdo.fr/journal/macron-un-philosophe-en-politique/64/article/j-ai-rencontr-paul-ricoeur-qui-m-a-rduqu-sur-le-plan-philosophique-1067.html">dans <em>Le 1</em> en 2015</a> puis dans <a href="https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-crois-pas-au-president-normal_432886"><em>Challenges</em> en 2016</a>- sa volonté de renouer avec une verticalité dans l’exercice du pouvoir. Plus encore que l’exemple gaullien, souvent cité, il a suivi les leçons du communicant de François Mitterrand, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Pilhan">Jacques Pilhan</a>, qui a théorisé la notion de président « jupitérien » : il a voulu une parole arythmique, maîtrisée, en choisissant ses propres moments et ses propres formats pour intervenir dans l’espace médiatique. Cette rareté a pour vertu de créer une attente : ce 16 janvier 2024, 8 chaînes de télévision ont par exemple diffusé en direct la conférence de presse du président.</p>
<p><strong>Comment expliquer cette méfiance à l’égard des journalistes ?</strong></p>
<p>Là aussi c’est assez particulier à Emmanuel Macron. Bien sûr il s’agit pour lui de revenir à une forme d’âge d’or de la V<sup>e</sup> République, qu’incarneraient les présidences de Gaulle et Mitterrand. Mais même ces deux prestigieux prédécesseurs ont su créer des liens de proximité et parfois d’amitié avec des journalistes. Certains de leurs successeurs sont allés beaucoup plus loin, à l’image de François Hollande donc, mais aussi de Nicolas Sarkozy, qui a cultivé des relations souvent passionnelles avec la presse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">« Moi, président·e » : Règle n°1, la jouer people</a>
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<p>Il me semble que l’attitude assez singulière d’Emmanuel Macron à l’égard de la presse s’explique d’abord par son parcours. Contrairement à ses prédécesseurs, il n’a jamais été élu. Or, quand vous êtes élu à l’échelle territoriale ou locale, vous devez construire une forme de compagnonnage avec la presse. Parfois cela créé des relations de connivence, ce qui pose question bien sûr. Mais au moins ce lien, cette médiation existe. Emmanuel Macron a voulu pour sa part créer une « saine distance » avec la presse, selon une formule utilisée <a href="https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/macron-plaide-pour-une-saine-distance-entre-pouvoir-et-medias-CNT000000UVWwg.html">lors de ses premiers vœux à la presse, en 2018</a>. Le problème est que cette distance s’est souvent accompagnée d’une incompréhension, et parfois d’une forme de brutalité.</p>
<p><strong>La « saine distance » voulue par Emmanuel Macron suffit-elle à expliquer pourquoi la presse française est à ce point dépendante des interventions du président pour construire l’agenda médiatique ?</strong></p>
<p>Cette dépendance de la presse française ne date pas de l’élection d’Emmanuel Macron, bien au contraire. Elle s’explique d’abord par le fonctionnement de la V<sup>e</sup> République, qui attribue un pouvoir écrasant au président de la République. Le chef de l’État a la possibilité de fixer le rythme de ses interventions, et les grands médias se trouvent donc en situation de subordination à cette parole.</p>
<p>La situation actuelle puise même son origine dans une histoire plus ancienne encore : il existe une faiblesse culturelle de la presse française à l’égard de l’État depuis l’Ancien Régime, période durant laquelle les journaux ont été assujettis au pouvoir dans des proportions considérables. Il n’est pas anodin que les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-journalistes-en-france-1880-1950-christian-delporte/9782020235099">grandes conquêtes du journalisme</a> (de la loi de 1881 à la création de la carte de presse) aient eu lieu sous la III<sup>e</sup> République, seul régime parlementaire durable que la France ait connu. À chaque fois que la France a renoué avec un pouvoir centralisé, personnalisé et incarné, cela s’est accompagné <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">d’une tentation de limiter la liberté de la presse</a>.</p>
<p>Avec la V<sup>e</sup> République nous sommes ainsi revenus à un système très hiérarchisé, dans lequel le pouvoir maintient une relation pyramidale avec les journalistes : au sommet les éditorialistes politiques, souvent reçus et choyés par l’Élysée, et tout en bas les journalistes de terrain, dont le travail d’enquête est pourtant indispensable à la démocratie. Avec ces éditorialistes qui vivent dans l’entre-soi avec le pouvoir, c’est l’héritage de notre culture de Cour qui persiste.</p>
<p>Dans un premier temps, Emmanuel Macron avait voulu rompre avec ces « relations poisseuses », selon une confidence <a href="https://www.albin-michel.fr/le-tueur-et-le-poete-9782226398055">rapportée par Maurice Szafran et Nicolas Domenach</a>, qui incarnent précisément cette forme de journalisme politique. Mais il aura fini par rejoindre cette tradition française si favorable au pouvoir. </p>
<p>La méfiance à l’égard du journalisme d’investigation était par exemple flagrante le 16 janvier. Alors que <em>Libération</em> et <em>Mediapart</em> ont fait paraître des enquêtes défavorables à Amélie Oudéa-Castéra au cours des jours précédents, ils ont été oubliés par les attachés de presse de l’Élysée qui ont distribué la parole tout au long de la soirée. Ainsi, alors que la question de l’école a occupé une très large partie de la conférence de presse, jamais <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160124/affaire-oudea-castera-mediapart-publie-le-rapport-sur-stanislas-cache-par-les-ministres">l’enquête sur l’école Stanislas</a> publiée par Mediapart le jour même n’a été mentionnée.</p>
<p>La presse française a cependant une responsabilité dans cette situation, et là encore la conférence de presse du 16 janvier l’a montré de manière parfois gênante. Dans le monde anglo-saxon, il est en effet courant, lorsqu’un responsable politique esquive une question, que la même question lui soit posée par les journalistes désignés ensuite. Or, le 16 janvier, personne n’a vraiment relancé Emmanuel Macron quand le président a choisi de botter en touche, et aucun journaliste n’a choisi de reprendre à son compte les questions que ne pouvait pas poser Mediapart.</p>
<p>Certains journalistes ont bien sûr manifesté à titre individuel leur exaspération d’être ainsi privés de parole, à l’image de Paul Larrouturou.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747368669628293343"}"></div></p>
<p>Mais on aurait pu imaginer une forme de résistance collective, et elle n’a pas eu lieu. Le plus inquiétant dans la conférence de presse du 16 janvier était sans doute cette incapacité de la presse française à se penser elle-même comme un contrepouvoir face au chef de l’État.</p>
<p>**Quel bilan tirer des relations entre Emmanuel Macron et les journalistes sept ans après son arrivée au pouvoir ? Peut-on déjà considérer que sa présidence aura été marquée par un recul de la liberté de la presse ?</p>
<p>Le constat est forcément nuancé puisque ce jeune chef de l’État venu de la gauche, et qui se réclame du <a href="https://theconversation.com/lechec-du-en-meme-temps-macroniste-une-repetition-dun-phenomene-du-xix-si%C3%A8cle-204627">« progressisme »</a>, a fait l’éloge à plusieurs reprises de la fonction démocratique du journalisme. Dans ses vœux à la presse, en janvier 2022, il avait par exemple célébré le travail des journalistes et cité la formule célèbre de Zola : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0EHb0xb8Hrs">« Je suis pour et avec la presse »</a>. Il s’agissait alors de s’opposer à Éric Zemmour, qui venait de mettre en cause le rôle joué dans l’Affaire Dreyfus par l’auteur de « J’accuse ».</p>
<p>Ce président du « en même temps » semble parfaitement conscient des contradictions françaises en la matière. S’il a souvent souligné l’attachement des Français à l’héritage de l’Ancien Régime, il a aussi présenté la France comme un « pays de monarchistes régicides » dans un entretien au Spiegel, en <a href="https://www.spiegel.de/international/europe/interview-with-french-president-emmanuel-macron-a-1172745.html">octobre 2017</a>. Il sait que l’une de ces Révolutions, en <a href="https://www.retronews.fr/histoire-de-la-presse-medias/long-format/2018/03/22/la-suspension-de-la-liberte-de-la-presse-en-1830">juillet 1830</a>, a justement eu pour origine la volonté de défendre la liberté de la presse. On peut donc considérer qu’il a voulu tenir compte de cette double aspiration dans l’exercice du pouvoir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Retronews, archives BNF.</span></figcaption>
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<p>Mais cet équilibre apparaît aujourd’hui de plus en plus précaire, et l’on peut s’interroger sur le legs que laissera le macronisme après dix années d’exercice très vertical du pouvoir. Il semble presque banal aujourd’hui que les journalistes soient pris pour cibles par les forces de l’ordre lors des manifestations, et le projet de loi sécurité globale prévoyait même dans sa version originelle de rendre presque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/le-conseil-constitutionnel-censure-l-ex-article-24-de-la-proposition-de-loi-securite-globale_6080897_3224.html">impossible de publier des images de policiers</a>. On peut constater par ailleurs que les convocations à la DGSI ont été particulièrement nombreuses depuis 2017 : il est devenu courant d’essayer d’identifier les sources des journalistes d’investigation, au mépris des lois qui protègent leur travail. L’exemple d’Ariane Lavrilleux, qui a subi 39 heures de garde à vue en septembre 2023, apparaît de ce point de vue comme <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/ariane-lavrilleux-en-garde-a-vue-une-attaque-sans-precedent-contre-la-protection-du-secret-des-sources-alertent-des-societes-de-journalistes-20230921_5UWBOPZ4DNG3XFQ4PCQDFYFUL4/">particulièrement inquiétant</a>.</p>
<p>La conférence de presse du 16 janvier a montré malgré tout qu’Emmanuel Macron se considère toujours comme le défenseur des libertés face aux risques que représenterait l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national. Tourné désormais vers les élections européennes, il a voulu mettre en scène l’affrontement de deux projets de civilisation qui se dessinerait à l’échelle du continent. Mais le paradoxe de cette défense des valeurs démocratiques est qu’elle survient au moment même où la France est à la manœuvre, au niveau européen, pour limiter la liberté de la presse.</p>
<p>Notre pays figure en effet parmi les pays qui militent activement pour autoriser la <a href="https://disclose.ngo/fr/article/espionnage-des-journalistes-la-france-fait-bloc-aux-cotes-de-six-etats-europeens">surveillance des journalistes par des logiciels espions</a>. Le « en même temps » finit ici par se perdre et par aboutir à une évidente contradiction : Emmanuel Macron se veut le héraut du camp du progrès à l’échelle européenne mais, en matière de journalisme, il défend des pratiques autoritaires qui sont d’habitude l’apanage des démocraties illibérales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221367/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Lévrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La conférence de presse d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, montre l’ambivalence du rapport qu’entretient le chef de l’état avec les médias.Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences Université Reims Champagne Ardenne, chercheur associé au GRIPIC, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2206712024-01-09T17:58:31Z2024-01-09T17:58:31ZLe choix Attal : l’hyperprésidentialisme macronien au défi de l’absence de majorité parlementaire<p>Le président Macron profite pleinement depuis six années des mécanismes institutionnels pour imposer son style hyperprésidentiel dans la façon de conduire l’exécutif. Mais l’absence de majorité absolue au parlement vient gripper la mécanique managériale qu’il a mise en place.</p>
<p>Le quatrième changement de premier ministre en six ans en offre l’illustration. Et le choix de Gabriel Attal ne garantit pas la sortie de ce qui ressemble à une impasse politique. Mais au moins il incarnera un style politique similaire à celui de son mentor.</p>
<h2>Le fait majoritaire, pilier du présidentialisme</h2>
<p>La V<sup>e</sup> République repose depuis 1962 sur un socle solide : le « fait majoritaire ». Le chef de l’exécutif, élu au suffrage universel direct, dispose dans ce cas d’une majorité solide au Parlement pour faire voter les lois correspondant à <a href="https://theses.hal.science/tel-03709759/file/LECOMTE.pdf">l’application de son programme</a>. Et si la majorité parlementaire renâcle sur certains sujets, les mécanismes du parlementarisme rationalisé (dont le plus connu est le fameux <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">article 49.3</a> permettant l’adoption d’une loi sans vote) obligeront les éventuels frondeurs de la majorité présidentielle <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1998_num_48_1_395258">à se soumettre</a>.</p>
<p>On a pensé que les institutions de la V<sup>e</sup> République seraient affaiblies le jour où la majorité présidentielle et parlementaire discorderaient. Pourtant, les trois cohabitations (1986-88 ; 1993-95 ; 1997-2002) sont venues prouver que la France pouvait être dirigée, chaque tête de l’exécutif assumant toute l’étendue de ses fonctions.</p>
<h2>Affaiblissement du rôle du premier ministre</h2>
<p>Néanmoins, la classe politique a souhaité en 2000 mettre fin à cette situation en raccourcissant le mandat présidentiel à cinq ans, et en inversant le calendrier électoral. Le but était de faire des élections législatives qui suivent l’élection d’un nouveau président une sorte de ratification par le peuple de la présidentielle, profitant, notamment, d’un découragement des électeurs d’opposition qui laissent <a href="https://www.cairn.info/institutions-elections-opinion--9782724616101-page-119.htm">se (sur) mobiliser</a> l’électorat du président élu. Cela lui laisse une majorité absolue pour gouverner et appliquer son programme.</p>
<p>Le fait majoritaire en sort renforcé, puisque le programme du président devient de facto le programme législatif, le premier ministre est réduit au rang de « collaborateur » du président, chargé d’appliquer fidèlement la ligne fixée à l’Élysée. Cela a pu déjà être le cas avant la réforme du quinquennat, mais c’est encore plus flagrant depuis, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron incarnant cette inclination présidentialiste – que certains qualifieront de dérive – même si ce dernier <a href="https://theconversation.com/acte-ii-un-nouveau-macron-entre-en-scene-128030">affirmait avoir changé</a> pour l’acte II de sa mandature.</p>
<h2>Le management politique selon Emmanuel Macron</h2>
<p>Dès lors, Emmanuel Macron peut gérer le pays comme un PDG. Il s’entoure d’une garde rapprochée qui lui sert de conseil d’administration, opaque aux Français, et peut changer de directeur général (qu’on appellera ici premier ministre) très librement (déjà le quatrième en 6 ans et demi alors qu’en moyenne sous la V<sup>e</sup>, les premiers ministres restent en poste <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/07/03/edouard-philippe-est-reste-a-matignon-plus-longtemps-que-la-moyenne-des-premiers-ministres_6045094_4355770.html">2 ans et 10 mois</a>) pour redynamiser l’équipe – le gouvernement chargé de remplir les objectifs que le PDG lui assigne. Le Parlement ressemble alors furieusement à une assemblée générale des actionnaires ne servant que de chambre d’enregistrement, du moins si on maîtrise les droits de vote de plus de 50 % des actionnaires.</p>
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<h2>Impasses d’un hyperprésidentialisme sans majorité</h2>
<p>Toute cette belle mécanique se grippe dès qu’il n’y a plus de majorité absolue. Depuis un an, l’exécutif peine à dégager des majorités pour voter les textes essentiels. Il use et abuse des <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">votes par 49.3</a> et s’est livré à des concessions idéologiques à l’extrême droite afin de faire voter la loi sur l’immigration. Ce passage en force s’est fait en tordant les abatis à ce qu’il est convenu d’appeler « l’aile gauche » des macroniens, et en tournant le dos au positionnement de campagne du candidat Macron. Celui-ci doit son élection à un appel à faire barrage à Marine Le Pen et avait déclaré aux électeurs de gauche qui s’étaient ralliés à lui (par défaut) que ce vote « l’obligeait ».</p>
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<p>Et voilà le président Macron pouvant se vanter d’une loi votée qui a tout d’une victoire à la Pyrrhus. L’accouchement aux forceps de cette loi, loin de prouver l’aptitude à agir d’un Emmanuel Macron sans majorité parlementaire stable, est plutôt venu <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-loi-immigration-dit-de-limpasse-dans-laquelle-se-trouve-emmanuel-macron-219920">étaler ses faiblesses</a>. S’il concède aux droites pour voter une loi, il perd sur sa gauche ce qu’il gagne là-bas, et des contestations se font alors entendre dans son propre camp.</p>
<p>Or, il est un épisode qu’Emmanuel Macron a vécu de l’intérieur, et qu’il ne souhaite pas voir se réitérer, c’est l’émergence du camp des « frondeurs » durant le quinquennat de François Hollande. Il veut éviter qu’une dynamique contestataire, pouvant devenir sécessionniste, apparaisse au sein des forces parlementaires soutenant le président.</p>
<h2>La disgrâce d’une Élisabeth Borne pourtant méritante</h2>
<p>Ainsi, loin de récompenser une première ministre loyale qui a réussi à faire voter des lois dans des procédures parlementaires très mal embarquées, le président Macron semble lui faire payer les divergences qu’elle a exprimées dans le tumulte de la loi sur l’immigration (et de ne pas avoir su faire taire celles de certains ministres et parlementaires macroniens).</p>
<p>C’est à cette même aune qu’on peut comprendre la saillie inattendue du président célébrant les talents de Gérard Depardieu, affirmant – contre toute vraisemblance – que la Légion d’honneur n’a rien à voir avec la morale, là où le dictionnaire de l’Académie française fait de l’honneur un « sentiment d’une dignité morale ». Le président s’est fait aussi le <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/12/22/affaire-depardieu-emmanuel-macron-partage-une-fake-news-les-journalistes-de-complement-denquete-se-defendent-de-tout-bidonnage-11659017.php">relais d’une fake news</a> laissant entendre que les journalistes de France 2 auraient truqué les propos au montage. Cette faute de communication politique, qui a provoqué un lourd malaise chez les féministes, peut être interprétée comme une façon de rappeler à l’ordre la ministre de la Culture qui avait dénoncé les propos de Gérard Depardieu et les reniements de la loi sur l’immigration.</p>
<h2>Des défis identiques avec un nouveau premier ministre</h2>
<p>L’arrivée d’une nouvelle figure pour incarner la suite du quinquennat ne changera pas la situation politique. La quête d’une nouvelle voie/voix ressemble à un choix contraint : dans quelle impasse entrer ?</p>
<p>Car qui qu’il ait choisi, Emmanuel Macron restera le seul décisionnaire, l’hyperprésident qui décide de tout et qui est jugé redevable devant les électeurs. Car il continuera à être confronté au lourd défi de l’invention d’un récit, crédible, à offrir aux Français pour justifier son second quinquennat. Car se pose toujours la question, pour laisser une trace dans l’histoire, de ce qu’il incarne, et de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique/l-edito-politique-du-vendredi-22-avril-2022-9462267">l’existence ou pas d’un « macronisme »</a>, au sens d’ossature idéologique. Car la bonne idée qui le fit élire en 2017 du « dépassement » du clivage gauche-droite s’est largement transformée en un pragmatisme opportuniste qui brouille son positionnement, au point de faire percevoir son action comme « de droite », <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements-2022-1-page-117.htm">à la façon d’un Valéry Giscard d’Estaing</a>, avec une politique économique très pro-business.</p>
<p>Il existe bien un guide qui sert de colonne vertébrale à Emmanuel Macron, même s’il ne clame jamais haut et fort, et que cela ne constitue pas un outillage idéologique : le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/084000041.pdf">rapport « Attali » de la Commission pour la libération de la croissance française</a>. Commandé par Nicolas Sarkozy – alors président, son rapporteur était un jeune énarque ambitieux, un certain… Emmanuel Macron.</p>
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<p>Relire aujourd’hui ce rapport de 2008, c’est y retrouver tous les mantras du discours macronien :</p>
<ul>
<li><p>« Favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs clés » (c’est la fameuse start-up nation)</p></li>
<li><p>« Faciliter la concurrence, la création et la croissance des entreprises, par la mise en place de moyens modernes de financement, la réduction du coût du travail et la simplification des règles de l’emploi »</p></li>
<li><p>« Créer les conditions d’une mobilité sociale, géographique et concurrentielle. De permettre à chacun de travailler mieux et plus, de changer plus facilement d’emploi » (les réformes successives de l’assurance chômage par exemple)</p></li>
<li><p>« L’État et les autres collectivités publiques doivent être très largement réformés. Il faudra réduire leur part dans la richesse commune (..) faire place à la différenciation et à l’expérimentation » (abolition de certains statuts dans la fonction publique, multiplication des dérogations et expérimentations à l’embauche des fonctionnaires…)</p></li>
<li><p>« Encourager la mobilité internationale (notamment par une procédure souple de délivrance de visas aux étudiants, aux chercheurs, aux artistes et aux travailleurs étrangers, en particulier dans les secteurs en tension) ».</p></li>
</ul>
<p>La mise en œuvre de ce catalogue de mesures rédigées en 2008 commence à s’épuiser, soit qu’elles aient été réalisées, soit qu’elles se heurtent à des freins politiques faute de majorité (comme pour la loi immigration), soient qu’elles ne soient plus d’actualité face aux nouvelles réalités du monde.</p>
<h2>Attal, le style macronien à Matignon</h2>
<p>Un dernier extrait de ce rapport vieux de 16 ans annonce aussi le style macronien :</p>
<blockquote>
<p>« Avant de se lancer dans l’action, il ne faut pas que la main tremble. Le pouvoir politique sait que les Français veulent la réforme, qu’ils croient en la réforme si elle est socialement juste et économiquement efficace, et qu’ils attendent qu’elle soit conduite tambour battant ».</p>
</blockquote>
<p>Emmanuel Macron ne cesse de répéter qu’il ne faut pas céder sur les réformes et face aux <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798%5D">immenses protestations</a>, comme on l’a vu pour la réforme des retraites. Et c’est là que le choix de Gabriel Attal fait sens, par rapport au <a href="https://www.midilibre.fr/2022/05/16/elisabeth-borne-nouvelle-premiere-ministre-le-profil-de-celle-que-macron-a-choisie-pour-succeder-a-castex-10298653.php">style Élisabeth Borne</a>, tout en retenu, en femme de dossier, fuyant les effets de manche au profit d’une posture technicienne un peu rugueuse.</p>
<p>Du peu qu’on a pu observer de son action en tant que ministre de l’Éducation, Gabriel Attal dessine le profil d’un excellent communicant, sachant se mettre en avant comme celui qui sait trancher, prenant des décisions fortes et symboliques rapidement, parlant haut et clair, pratiquant la triangulation en allant puiser des idéaux nostalgiques dans les discours des droites (pour prôner un retour à l’école d’antan largement mythifiée). Ces aptitudes au faire-savoir expliquent en grande partie sa nomination.</p>
<p>Gabriel Attal aura pour double mission de conduire la campagne électorale des élections européennes – qui s’annoncent périlleuses, et de faire ruisseler des éléments de langage prouvant que l’ambition réformiste macronienne reste intacte et sa concrétisation possible. Fidèle de la première heure, il doit toute sa carrière politique à Emmanuel Macron et incarne la jeunesse comme naguère son mentor. Gabriel Attal sera le directeur général mais aussi le directeur de la communication de l’entreprise et de la <a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/la-marque-macron/">« marque Macron »</a>. Mais pour combien de temps ? Quand l’hyperprésidentialisme se conjugue avec une logique managériale, où chaque ministre semble avoir un contrat d’objectifs, dans un contexte d’absence de majorité parlementaire et de gronde sociale, le turn-over s’accélère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce quatrième changement de premier ministre en six ans est un phénomène inhabituel sous la Vᵉ République. Mécanique managériale, absence de majorité et hyperprésidence : focus sur la nomination de Gabriel Attal.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2146552023-10-03T16:36:01Z2023-10-03T16:36:01ZLa Vᵉ République a 65 ans : retour sur quelques réformes constitutionnelles phares<p>L’adresse du Président Emmanuel Macron aux Sages pour célébrer le 65<sup>e</sup> anniversaire de la Constitution de la V<sup>e</sup> République pourrait être, selon plusieurs observateurs, l’occasion de <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/macron-va-s-exprimer-au-conseil-constitutionnel-pour-le-65e-anniversaire-de-la-ve-republique_AN-202309260450.html">proposer une nouvelle réforme constitutionnelle</a>. Cette proposition n’aurait rien de surprenant, le chef de l’État ayant déjà annoncé <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/revision-constitutionnelle-pourquoi-emmanuel-macron-veut-il-avoir-recours-a-une">son intention de la réformer</a> l’an dernier. </p>
<p>L’histoire de la V<sup>e</sup> République rend également l’exercice tout à fait envisageable. En effet, depuis sa promulgation le 4 octobre 1958, la Constitution actuelle <a href="https://www.lgdj-editions.fr/livres/histoire-constitutionnelle-de-la-france-de-1789-a-nos-jours/9782275102184">a déjà été réformée 24 fois</a>, le plus souvent sous la présidence Chirac (14). Certaines réformes ont néanmoins marqué durablement la société française.</p>
<h2>L’élection du président de la République au suffrage universel direct</h2>
<p><a href="https://www.elysee.fr/la-presidence/proclamation-des-resultats-du-scrutin-du-21-decembre-195">Élu le 21 décembre 1958</a> par un collège de grands électeurs, Charles de Gaulle avait pour objectif d’inscrire l’élection présidentielle au suffrage universel direct dans la constitution française bien avant de revenir au pouvoir. Il avait annoncé ce projet lors de son <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000010/le-discours-de-bayeux.html">discours de Bayeux</a> (16 juin 1946), considérant que cela permettrait à la fois d’établir un lien plus direct entre le chef de l’État et les citoyens et d’accorder une plus grande légitimité au président élu.</p>
<p>Les circonstances tumultueuses de son retour au pouvoir en <a href="https://theconversation.com/mai-1958-une-histoire-encore-inachevee-89684">mai 1958</a> ainsi que la <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2009-2-page-24.htm">mémoire vivace du coup d’État de 1851</a> par Louis-Napoléon Bonaparte contraignent le général de Gaulle et son entourage à faire des concessions. Après avoir proposé initialement l’inscription de l’élection du président au suffrage universel direct dans la nouvelle constitution par l’entremise de Michel Debré, le <a href="https://books.openedition.org/pan/312?lang=fr">comité consultatif constitutionnel</a> décide de former un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/download/securePrint">collège de grands électeurs</a>. L’objectif est d’élargir la base électorale sans prêter le flanc aux accusations de tentation dictatoriale gaulliste que l’élection au suffrage universel direct permettrait.</p>
<p>Souhaitant revenir sur ce point, le général de Gaulle profite de l’émotion suscitée par <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe85009640/l-attentat-du-petit-clamart">l’attentat du Petit-Clamart</a> pour annoncer une réforme constitutionnelle permettant l’élection du président de la République au suffrage universel direct via un <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00080/l-election-du-president-de-la-republique-au-suffrage-universel.html">référendum</a>. Malgré une vive campagne des opposants de tous bords politiques qui appellent à voter contre cette réforme qui permettrait à un « dictateur » d’agir librement (le bien nommé <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2004-3-page-45.htm">« cartel des non »</a>), le <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1963_num_13_2_392714">« oui » l’emporte aisément</a> (62 %) le 28 octobre 1962. Si l’idée initiale était de faire du chef de l’État un « arbitre » entre le gouvernement et le Parlement, l’élection au suffrage universel direct, couplée à la posture gaullienne, acte le déplacement de l’essentiel du pouvoir exécutif de Matignon à l’Élysée.</p>
<h2>Le passage au quinquennat</h2>
<p>Si le septennat était voulu par Charles de Gaulle pour permettre au chef de l’État d’élaborer une politique sur le long terme, Georges Pompidou n’était pas toujours de cet avis. Devenu président, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/06/06/de-la-tentative-avortee-de-georges-pompidou-a-la-hate-imposee-par-valery-giscard-d-estaing_3716472_1819218.html">il souhaite réduire la durée du mandat présidentiel à cinq années</a>. Il propose de réaliser cette <a href="http://www.georges-pompidou.fr/sites/default/files/1973_04_03_message-Parlement.pdf">réforme en 1973</a>. L’Assemblée nationale et le Sénat adoptent un texte mais le <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/rfsp_0035-2950_1984_num_34_4_394163.pdf">projet avorte</a> subitement faute d’une majorité suffisante – une réforme constitutionnelle par le biais du Congrès ne peut être adoptée qu’avec l’approbation des 3/5<sup>e</sup> des parlementaires. </p>
<p>L’opposition restait vivace, <a href="http://www.pub-editions.fr/index.php/le-programme-commun-de-la-gauche-1972-1977-c-etait-le-temps-des-programmes-5228.html">aussi bien à gauche</a> – où l’on refuse par principe de soutenir une réforme pompidolienne alors même que le quinquennat présidentiel est inscrit dans le programme commun de la gauche – que par une partie des (néo) gaullistes <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/10/13/contre-le-quinquennat_2554504_1819218.html">au nom du respect de la constitution voulue par le général de Gaulle</a>. Par la suite, les <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/06/06/de-la-tentative-avortee-de-georges-pompidou-a-la-hate-imposee-par-valery-giscard-d-estaing_3716472_1819218.html">présidents Valéry Giscard d’Estaing (VGE) et François Mitterrand</a> se sont montrés favorables au passage du septennat au quinquennat… à condition que leurs mandats ne soient pas concernés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7uSgJaQ5kaU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Du septennat au quinquennat, débats sous la Ve, INA.</span></figcaption>
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<p>Il faut attendre 2000 pour que le sujet revienne sérieusement dans les discussions. Le 10 mai, dans une <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/05/10/et-maintenant-le-quinquennat-par-valery-giscard-d-estaing_61077_1819218.html">tribune au Monde</a>, VGE appelle à une réduction du mandat présidentiel à cinq ans. Certains chiraquiens (<a href="https://www.lepoint.fr/politique/jacques-chirac-1932-2019-le-president-5-5--28-09-2019-2338244_20.php">tel François Baroin</a>) y voient une tentative de l’ancien président de saper le mandat de son rival, alors qu’il avait précisé dans sa tribune que ladite réforme ne s’appliquerait pas au mandat en cours mais à partir du suivant, en 2002. </p>
<p>Il faut se souvenir du contexte du moment. Depuis 1997, la France connaît sa <a href="https://www.cairn.info/la-politique-en-france--9782707154446-page-363.htm">troisième cohabitation</a>. Lionel Jospin dirige un gouvernement de coalition de partis de gauche avec un président de droite, Jacques Chirac. L’idée derrière la proposition de VGE est de renforcer le caractère présidentiel du régime et de <a href="https://www.persee.fr/doc/juro_0990-1027_2000_num_13_4_2596">réduire les risques de cohabitations</a> en synchronisant les élections présidentielles et législatives. <a href="https://www.lesechos.fr/2000/05/quinquennat-lionel-jospin-se-dit-determine-a-faire-aboutir-la-reforme-744063">Lionel Jospin s’y rallie immédiatement</a> au motif qu’il s’agirait d’une <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/142120-lionel-jospin-16052000-reforme-constitutionnelle-quinquennat">réforme plus démocratique</a> – les électeurs s’exprimeraient plus souvent sur le choix du chef de l’État.</p>
<p>Ce plan déplaît à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/09/23/quinquennat-en-2000-apres-cinquante-jours-de-bras-de-fer-giscard-d-estaing-et-jospin-font-plier-chirac_6053287_823448.html">l’origine au président Chirac</a>, qui finit toutefois par s’y rallier en imposant ses conditions : pas de limite du nombre de mandats réalisable, pas d’autres changements sur le statut présidentiel. Jacques Chirac exige également que le changement s’opère par référendum et non auprès du Parlement. Une décision qui se <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000418/le-referendum-du-24-septembre-2000-sur-le-quinquennat.html">solde le 24 septembre 2000</a> par une adoption du quinquennat présidentiel avec 73 % de « oui », mais moins d’un tiers des électeurs s’est exprimé dans les urnes !</p>
<h2>L’instauration définitive de l’« hyper-présidence » en 2008</h2>
<p>Quelques années plus tard, Nicolas Sarkozy se lance dans la campagne présidentielle de 2007. Il <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/2007-sarkozy-promet-de-realiser-toutes-ses-reformes-sous-2-ans_387769">promet en cas de victoire</a> de transformer les institutions pour les moderniser, afin de mieux répondre aux aspirations populaires. Une fois élu, il confie la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2007/07/12/01002-20070712ARTFIG90207-nicolas_sarkozy_lance_sa_reforme_constitutionnelle.php">direction d’un comité de réflexion</a> à Édouard Balladur où des politiques et des juristes réfléchissent sur les changements à apporter à la constitution. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2008-5-page-19.htm">Ce comité remet son rapport en octobre 2007</a>, rapport qui irrigue la réflexion de la majorité parlementaire (l’Union pour un mouvement populaire, UMP). </p>
<p>Quelques propositions importantes sont rejetées par peur d’affaiblir la majorité parlementaire ou de perdre le soutien de certains élus – non-cumul des mandats, proportionnelle pour l’élection des députés, réforme du Sénat. Néanmoins, la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2007/12/07/01002-20071207ARTFIG00250-sarkozy-accelere-la-reforme-des-institutions.php">plupart des recommandations</a> restent suivies. Le projet est débattu au Parlement à l’été 2008. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/06/11/reforme-constitutionnelle-badinter-face-a-balladur_1056733_823448.html">Ses partisans</a> défendent le fait que la réforme augmenterait le pouvoir du Parlement ; à l’inverse, les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/06/11/reforme-constitutionnelle-badinter-face-a-balladur_1056733_823448.html">opposants</a> estiment que les concessions faites au pouvoir législatif sont maigres comparativement aux acquisitions du pouvoir exécutif.</p>
<p>Le <a href="https://www.elysee.fr/nicolas-sarkozy/2008/10/01/declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-sur-la-loi-constitutionnelle-du-23-juillet-2008-de-modernisation-des-institutions-de-la-cinquieme-republique-a-paris-le-1er-octobre-2008">23 juillet 2008</a>, la réforme constitutionnelle est promulguée. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000019237256">Les changements sont conséquents</a> : </p>
<ul>
<li><p>le président de la République ne peut plus assurer que de deux mandats consécutifs ; </p></li>
<li><p>le Conseil économique, social et environnemental et le Conseil supérieur de la magistrature sont réformés (le CESE s’ouvre à des associations environnementales et de jeunesse et peut être saisi par des pétitions citoyennes ; le CSM n’est plus dirigé par le chef de l’État et le ministre de la Justice, sa composition change pour donner plus de place à la société civile) ; </p></li>
<li><p>la <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/plaq-inst-num-bd.pdf">fonction de défenseur des droits est créée</a> (pouvoir consultatif non contraignant, émet simplement des recommandations qui peuvent ne pas être suivies) ; </p></li>
<li><p>l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent désormais fixer librement leurs agendas ; </p></li>
<li><p>le chef de l’État peut convoquer le Congrès pour s’adresser solennellement à tous les parlementaires ; </p></li>
<li><p>le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/referendum-d-initiative-partagee/referendum-d-initiative-partagee-rip-mode-d-emploi">référendum d’initiative partagée</a> (RIP) est créé, permettant aux parlementaires de le saisir dans des conditions strictes, etc.</p></li>
</ul>
<p>Malgré quelques ajouts qui semblent accorder plus de latitude d’action aux pouvoirs législatif et juridique, le pouvoir présidentiel reste immense. Les contre-pouvoirs ressortent plus affaiblis que renforcés, incitant des hommes favorables à la réforme comme <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/09/19/01011-20090919FILWWW00582-raffarin-plaide-pour-des-contre-pouvoir.php">Jean-Pierre Raffarin</a> à les renforcer pour que la présidence de la République ne se réduise pas à « l’exercice solitaire du pouvoir ». </p>
<p>Rapidement, le constat émis par la presse et les oppositions se veut même alarmant. Nicolas Sarkozy, déjà qualifié d’« hyper-président » par sa forte présence médiatique en 2007, aurait renforcé les capacités d’action du pouvoir exécutif à travers celui de l’Élysée qu’il aurait gravé dans le marbre par son style (la fameuse <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-presidents-de-la-republique--9782262069155-page-585.htm">« hyper-présidence »</a>, qualifiée depuis plusieurs années de <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Emmanuel-Macron-president-jupiterien-vis-vis-presse-2021-05-07-1201154589">« pouvoir jupitérien »</a> pour souligner la différence de personnalité avec le président actuel).</p>
<p>De plus en plus de citoyens manifestent également la volonté d’inverser la tendance actuelle à la verticalité en y intégrant un <a href="https://www.sudradio.fr/sud-radio/un-collectif-reclame-des-etats-generaux-de-la-democratie">pouvoir plus horizontal</a>, comme la <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/reforme-des-retraites-60-des-francais-souhaitent-que-les-syndicats-poursuivent-l-appel-a-la-mobilisation-7900255541">réforme des retraites</a> l’a encore si bien rappelé ces derniers mois. Cela n’a rien d’impossible, la constitution de la V<sup>e</sup> République a su démontrer à plusieurs reprises sa capacité d’adaptation et sa grande souplesse. Tout est question de volonté politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214655/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryan Muller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 4 octobre 1958, était promulguée la Vᵉ République. Le président de la République s’apprête à célébrer le 65ᵉ anniversaire du régime. Revenons donc sur quelques réformes phares de la constitution.Bryan Muller, Docteur en Histoire contemporaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2147942023-10-03T16:35:54Z2023-10-03T16:35:54ZNon, la Vᵉ n’est pas un régime présidentiel !<p>Ce 4 octobre, la France fête les <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">65 ans de la Constitution de la V<sup>e</sup> République</a>. Cet anniversaire intéresse les commentateurs qui s’interrogent sur cette stabilité, la France ayant été habituée, mis à part la III<sup>e</sup> République, à des régimes plus courts. Les raccourcis sont alors nombreux et <a href="https://www.rtl.fr/programmes/entrez-dans-l-histoire/7900301707-la-quotidienne-comment-sont-nees-les-quatre-premieres-republiques">certains vont jusqu’à prétendre que la V<sup>e</sup> serait un régime présidentiel</a>. C’est pourtant faux.</p>
<p>Pour se convaincre de la nature parlementaire de notre régime, il suffit de relire l’article du professeur de droit Georges Vedel sur le régime présidentiel dans l’<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/regime-presidentiel/"><em>Encyclopédie universalis</em></a>.</p>
<p>Dans un tel régime, la séparation des pouvoirs est dite stricte. Celle-ci est agencée autour de l’autonomie des pouvoirs, aucun n’intervenant dans la désignation de l’autre et ne pouvant mettre un terme anticipé à ses fonctions.</p>
<p>Cette indépendance juridique est doublée d’une spécialisation fonctionnelle : chaque titulaire se voit offrir la plénitude des compétences attachées au pouvoir qui lui a été confié. L’autre dispose seulement d’un moyen d’empêcher, traduction des <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270289-la-separation-des-pouvoirs"><em>checks and balances</em></a>, garants de l’équilibre du régime</p>
<p>La collaboration est ainsi « négative », chacun disposant de la <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/montesquieu">« faculté de rendre nulle »</a> la décision prise par un autre. A gros traits, le régime présidentiel ne connaît ni dissolution ni motion de censure. Il n’y a d’ailleurs pas de gouvernement au sens d’organe collégial émanant de la majorité parlementaire et politiquement responsable devant elle. Les chefs d’État sont seulement entourés de secrétaires politiquement responsables devant eux.</p>
<p>Les rappels de ces quelques principes démontrent qu’à n’en pas douter, la France est un régime parlementaire. On ne rencontre dans la Constitution de 1958 aucun des principes du régime présidentiel : ni indépendance juridique, ni spécialité fonctionnelle. Exécutif et législatif collaborent et détiennent un pouvoir de révocation réciproque. Ainsi la Constitution prévoit-elle la motion de censure, traduction du principe de responsabilité politique du gouvernement devant l’assemblée (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527529/1999-07-09">art 49 al 2</a>) et l’équilibre-t-elle par la dissolution (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527474">art 12</a>).</p>
<p>L’existence de projets de loi sur lesquels le Premier ministre engage – ou pas – la responsabilité du gouvernement est également une des manifestations du caractère parlementaire de notre régime. Elle traduit la collaboration des pouvoirs, le Premier ministre disposant avec les parlementaires de l’initiative législative (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241026">art 39</a>) puis du droit d’amendement (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241038">art 44</a>).</p>
<p>D’où vient alors cette confusion ? Sans doute du fait que si elle est résolument un régime parlementaire, la V<sup>e</sup> est un régime parlementaire particulier.</p>
<h2>La Vᵉ, un régime parlementaire particulier</h2>
<p>En droit d’abord, la V<sup>e</sup> innove en reconnaissant au président de la République des pouvoirs propres qui en font un acteur du jeu institutionnel. Dans un régime parlementaire que l’on peut qualifier de classique, le rôle du chef de l’État est avant tout symbolique, il ratifie les choix opérés par d’autres. Ainsi, son pouvoir de nomination permet seulement de donner une existence juridique au gouvernement, choisi en dehors de lui par la majorité à l’Assemblée. Aussi, tous ses actes sont-ils signés par le chef de gouvernement et les ministres responsables de leur exécution. Ce contreseing servait originellement à authentifier les actes du chef de l’État, il a ensuite permis de transférer la responsabilité politique de l’acte, avant qu’avec la responsabilité, la réalité du pouvoir soit transférée au chef du gouvernement, véritable initiateur de ces décisions.</p>
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<p>En France, de nombreux pouvoirs du président sont dispensés du contreseing, lui permettant d’assurer son rôle de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1958/08/29/m-michel-debre-devant-le-conseil-d-etat-la-cle-de-voute-du-regime-parlementaire-c-est-la-fonction-du-president-de-la-republique_2301172_1819218.html">« clé de voûte »</a> capable d’absorber les pressions contraires des organes législatif et exécutif. Les pouvoirs dispensés de contreseing, comme la nomination du Premier ministre (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527467">art 8 al 1</a>), lui permettent d’assurer la stabilité de la construction constitutionnelle.</p>
<p>C’est en ce sens qu’il faut entendre la notion de « pouvoir propre » évoquée plus haut. Il s’agit des pouvoirs ayant trait à la justice constitutionnelle, ceux permettant d’en appeler à la Nation. Il s’agit enfin des pouvoirs attachés à sa fonction d’arbitrage et de garant de l’intérêt de la Nation. Le pouvoir de nommer le Premier ministre et de prononcer la dissolution s’attachent à cette fonction d’arbitrage. Il faut se souvenir que les rédacteurs de la Constitution <a href="https://theconversation.com/letrange-malediction-des-presidents-majoritaires-sous-la-v-republique-69851">n’envisagent pas l’existence d’une majorité stable</a>, ils n’ont pu expérimenter que des coalitions fragiles. Ainsi, le pouvoir du président de « nommer » le chef de gouvernement indépendamment de toute procédure d’investiture (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527467">art 8 al 1</a>) lui permet de sonder la composition de l’Assemblée pour désigner celui qui lui semble le plus à même d’être le chef de la majorité qu’il voit se dessiner.</p>
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<p>La dissolution, libérée de toutes les conditions imposées par la IV<sup>e</sup> République (<a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1946-ive-republique">art 51 de la Constitution de 1946</a>) est également un pouvoir d’arbitrage, le président étant libre d’estimer si le conflit qui oppose majorité et gouvernement doit être tranché par le peuple.</p>
<p>Dans les deux cas, les mécanismes d’équilibre instaurés par le régime parlementaire sont, sous la V<sup>e</sup>, maîtrisés par le président. Cette réalité parasite notre perception du régime de la V<sup>e</sup> République. Elle est toutefois insuffisante à expliquer le recours fréquent au qualificatif de régime présidentiel.</p>
<h2>Une particularité juridique amplifiée par la pratique</h2>
<p>Alors pourquoi cette confusion persistante ? <a href="https://theconversation.com/debat-et-si-la-france-optait-pour-un-regime-parlementaire-138951">Sans doute parce que cette particularité juridique a été amplifiée par la pratique</a>. Dès lors qu’il a été élu au suffrage universel direct, le président a été légitime à intervenir directement dans l’action politique quotidienne au détriment du gouvernement. Plus encore, c’est au cours de son élection et non plus lors des législatives que les contours de l’intérêt général se dessinent.</p>
<p>Au cours des 56 années de concordance, les députés de la majorité se sont montrés fidèles au chef de l’État qui avait permis leur élection et qui dispose du pouvoir de les renvoyer devant leurs électeurs. À tel point que leur loyalisme les a conduits à abandonner certains de leurs pouvoirs au président : celui de choisir le chef du gouvernement ou de le révoquer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<p>En dépit de la place prise par l’institution présidentielle, notre régime n’est toujours pas un régime présidentiel. Si aucune motion de censure n’a été adoptée depuis 1962, son existence est toujours prévue par la Constitution et de nombreuses sont déposées (la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/actualites-accueil-hub/projet-de-loi-de-programmation-des-finances-publiques-2023-2027-rejet-d-une-motion-de-censure-et-adoption-en-nouvelle-lecture">dernière le 27 septembre 2023</a>). De même, le gouvernement est toujours chargé de conduire la politique de la Nation par ses projets de loi.</p>
<p>Comment qualifier notre régime pour traduire cette réalité institutionnelle et éloigner la comparaison injustifiée avec le régime présidentiel ?</p>
<h2>Un régime parlementaire rationalisé, dualiste et majoritaire</h2>
<p>Notre régime parlementaire est avant tout rationalisé : les relations entre exécutif et législatif sont encadrées par le droit afin de garantir la stabilité du gouvernement et l’efficacité de son action. Toutes les procédures redécouvertes par les Français à l’occasion de l’examen du projet de loi retraite (vote bloqué, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527529/1999-07-09">art 49 al 3</a>, irrecevabilité financière de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527516">art 40</a>…) constituent de tels mécanismes d’encadrement qui offrent au gouvernement la maîtrise du fond et des horloges, puisqu’il choisit le moment où il active ses pouvoirs.</p>
<p>Il est ensuite en fait et non en droit un régime parlementaire dualiste, le président ayant créé un second lien de confiance au cœur du régime parlementaire. Dans un régime parlementaire classique, une seule relation de confiance existe, celle qui unit la majorité parlementaire et le gouvernement. Dans un régime dualiste, une relation de confiance entre le chef de l’État et le gouvernement se surajoute : le premier Ministre doit toujours jouir de la confiance de la majorité, mais il ne saurait durablement gouverner sans celle du président. Le caractère dualiste du régime cède lorsque la majorité à l’Assemblée est opposée au président. Dans ce cas, il ne peut plus s’appuyer sur le loyalisme de la majorité pour désigner librement le Premier ministre. Il doit <a href="https://www.herodote.net/16_mai_1877-evenement-18770516.php">« se soumettre à la logique du régime parlementaire »</a> et nommer Premier ministre le leader du parti majoritaire à la chambre. Rôle qu’il ne peut plus jouer puisque son parti n’est plus majoritaire.</p>
<p>Le principe majoritaire s’impose donc à nos institutions, nouvelle manifestation du caractère parlementaire de notre V<sup>e</sup>, régime parlementaire majoritaire dans lequel le chef de la majorité, qu’il siège à l’Elysée ou à Matignon, dirige l’action du gouvernement et de la majorité à l’Assemblée.</p>
<p>Rationalisé, dualiste, majoritaire, voilà de quoi qualifier suffisamment le régime de la V<sup>e</sup>. Si les qualificatifs aident à mieux cerner la réalité, ils n’ont de sens que parce que la V<sup>e</sup> est par essence un régime parlementaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214794/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement à ce qui est parfois écrit ou dit, on ne rencontre dans la Constitution de 1958 aucun des principes du régime présidentiel : ni indépendance juridique, ni spécialité fonctionnelle.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2063762023-05-25T16:48:54Z2023-05-25T16:48:54ZL’État doit-il mentir pour agir ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528211/original/file-20230525-15-6vicuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1280%2C3235%2C3036&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Affiche de Sarkozy représentant Pinocchio lors des manifestations contre la réforme des retraites en octobre 2010 à Paris.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sylke_ibach/8276325360/">Flickr/Sylke Ibach</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Mentir pour protéger, mentir pour servir, mentir par omission, mentir pour « le bien commun », mentir comme moyen de gouverner : les historiens Renaud Meltz et Yvonnick Denoël publient le premier inventaire du « mensonge d’État » sous la V<sup>e</sup> République. Convoquant les travaux d’une vingtaine d’universitaires et journalistes, ils rassemblent plusieurs grandes thématiques soulignant les arrangements avec la vérité et la transparence par différents acteurs de l’État sous la V<sup>e</sup> République : la vie privée des présidents, l’armée, le nucléaire, le terrorisme et l’islamisme, les lâchetés administratives, la santé publique, les affaires policières et judiciaires, la finance. Le livre distingue plus spécifiquement quatre cas de figure où le mensonge se conçoit respectivement en ennemi de la sincérité (il travestit des faits), de la publicité (il cache des informations), de la connaissance (il organise l’ignorance ou empêche la science de progresser) et de la conscience collective (il organise l’oubli et fictionnalise le passé national). Extraits choisis de l’introduction.</em></p>
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<p>« J’assume parfaitement de mentir pour protéger mon président. » Sibeth Ndiaye a le mérite de la franchise <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2019/04/02/sibeth-ndiaye-a-t-elle-vraiment-dit-j-assume-parfaitement-de-mentir-pour-proteger-le-president_1718838/">lorsqu’elle proclame</a> qu’elle dénoue délibérément le pacte qui régit les rapports entre les gouvernants et les citoyens dans une démocratie libérale. Ce contrat repose sur la publicité des décisions et la sincérité de ses acteurs. Il est vrai que la condamnation du mensonge demeure implicite dans la Constitution de la V<sup>e</sup> République. Elle proclame dès son article 3 que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants » ; les délibérations du Parlement qui « contrôle l’action du gouvernement » sont publiques et publiées au Journal officiel. La notion de publicité est partout, dans la Constitution ; celle de sincérité, nulle part, ou presque.</p>
<p>À quoi bon délibérer et décider en pleine lumière si la sincérité n’est pas requise ? Seule exception : les comptes des administrations publiques qui doivent être « réguliers et sincères ». Comme si le mensonge, la dissimulation, le travestissement ne pouvaient se loger que dans les réalités chiffrées, qui seraient le seul horizon de la vérité. Comme si la sincérité était un devoir du citoyen, dans sa déclaration fiscale ou son témoignage, mais pas du gouvernement. Le mensonge sous serment <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/268693-quest-ce-quun-faux-temoignage">constitue une infraction pénale</a>. Le citoyen qui dépose devant les commissions parlementaires jure en levant la main droite de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». Un magistrat doit répondre de parjure. Mais un président, un ministre <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-politiques-se-sentent-ils-obliges-de-mentir-186957">peut mentir dans l’exercice de ses fonctions</a> sans risquer d’autre peine que celles délivrées par le tribunal médiatique. Or <a href="https://theconversation.com/le-mensonge-politique-au-coeur-de-la-campagne-presidentielle-de-donald-trump-144882">l’opinion est parfois tolérante au mensonge</a>.</p>
<h2>La raison d’État justifie-t-elle les écarts avec la vérité ?</h2>
<p>« Les Guignols de l’info », en représentant Jacques Chirac en « super-menteur » pendant la campagne de 2002, ne l’ont pas empêché d’être élu président de la République… Est-ce à dire que la notion de mensonge d’État se réduit à celle du secret, longtemps justifiée par la raison d’État ?</p>
<p>Si le mensonge politique n’est pas l’envers parfait de la vérité (l’erreur, par exemple, ne relève pas de ce livre), les notions de sincérité, d’authenticité, d’exactitude, ne concernent pas seulement la morale privée ou la science, mais aussi la vie politique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Super menteur, les Guignols de l’info, 2002.</span></figcaption>
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<p>Suite à une décision du Conseil constitutionnel de 2005, entérinée six mois plus tard par le règlement de l’Assemblée nationale, le débat parlementaire obéit désormais au principe « de clarté et de sincérité ».</p>
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<p>Ces notions apparaissent moins souvent dans la France laïque que dans des nations plus imprégnées de religion, comme aux États-Unis, où l’injonction morale est ancrée dans la culture politique. Le mensonge sous serment de Bill Clinton sur une liaison extraconjugale a conduit le président <a href="https://connexion.liberation.fr/autorefresh">à la lisière de l’<em>impeachment</em></a>.</p>
<p>La question des <a href="https://ifp.u-paris2.fr/fr/fake-news-et-post-verite-20-textes-pour-comprendre-et-combattre-la-menace">fake news</a> suscite une floraison de publications sur les conditions de leur régulation dans le régime médiatique actuel. La propagande en période de guerre, qui fait déroger les démocraties libérales à leur règle ordinaire, a intéressé les historiens.</p>
<p>Mais un angle mort demeure : la vulnérabilité de notre vie sociale et politique à une large gamme de mensonges d’État qui profite du caractère trop implicite du pacte de publicité sincère au fondement de nos institutions. Faute de penser la vérité en matière politique, on s’est habitué au poison. Aucun ouvrage d’histoire ou de sciences politiques n’a récemment affronté la question du mensonge d’État afin de penser sa nature et de documenter ses effets. Ce livre veut réparer cette lacune pour la période la plus contemporaine : celle de notre V<sup>e</sup> République.</p>
<h2>Que peut-on et que doit-on savoir en démocratie ?</h2>
<p>Philosophes et politistes s’émeuvent non sans raison du relativisme du temps présent, qui voit fleurir l’expression « post-vérité ». La frontière entre « opinion » et « vérité de fait », pour <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/La-crise-de-la-culture">reprendre l’expression de Hannah Arendt</a>, distinction reprise à son compte par <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-faiblesse-du-vrai-myriam-revault-d-allonnes/9782021383041">Myriam Revault d’Allonnes</a>, pose question : qu’est-ce que la vérité, que peut-on savoir en dehors des sciences de la nature, en matière sociale et politique ?</p>
<p>Quelles sont les conditions pour permettre d’approcher et de partager ce type de vérité ? Nous proposons de distinguer ce qui relève de la véracité en matière sociale de la vérité mathématique, et l’exigence de publicité de la soif de transparence.</p>
<p>Il ne s’agit pas de fonder naïvement une science exacte de la politique comme en rêvaient les socialistes utopiques ou <a href="https://www.cairn.info/histoire-raisonnee-de-la-philosophie-morale-et-pol--9782707134219-page-559.htm">Auguste Comte</a> mais de s’accorder sur un horizon de vérité dans le monde social, en admettant ses limites langagières.</p>
<p>Ce livre n’a pas la naïveté de traquer des mensonges comme autant de fautes morales, équivalentes à des erreurs algébriques – nous ne croyons pas davantage, du reste, que les sciences exactes produisent une vérité « pure », le scientisme s’avérant comme une tentation perpétuelle du savoir scientifique d’affirmer un monopole sur la vérité. De fait, les sciences de la nature ne sont pas les mathématiques. Le philosophe et historien des sciences Thomas Kuhn <a href="https://editions.flammarion.com/la-structure-des-revolutions-scientifiques/9782081396012">a montré que les sciences n’échappent pas à l’histoire</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-11-garder-le-secret-177186">« Moi, président·e » : Règle n°11, garder le secret</a>
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<h2>Une forme de relativité de la vérité</h2>
<p>Nous admettons une forme de relativité de la vérité pour les sociétés humaines, sans négliger les zones grises : <a href="https://theconversation.com/theatre-du-pouvoir-la-communication-politique-a-travers-les-ages-99815">l’habileté de la communication</a>, l’ambiguïté qui tient compte de la maturité historique de l’auditoire (le fameux « je vous ai compris » du général de Gaulle), le secret et le flou parfois utiles à la négociation. L’exigence de publicité ne signifie pas que la vérité, en matière politique, se dévoilerait grâce à une formule magique de circulation parfaite d’une information univoque.</p>
<p>L’informatisation de la société et l’accès facilité des citoyens aux données ne favorisent pas mécaniquement le débat public. On perçoit en outre les limites populistes ou puritaines de la revendication à la « transparence ».</p>
<p>L’exigence de publicité peut se retourner contre le projet moderne, libéral, visant à soumettre la décision politique à l’intelligence collective. Le partage de l’information politique, qui préjuge d’une communauté rationnelle, a laissé place à un soupçon systématique de manipulation par les « élites » qui entendraient se soustraire à la critique, trancher en secret, et dissimuler les véritables décideurs.</p>
<p>Ce soupçon confine au complotisme lorsqu’il aboutit à la conviction que le pouvoir est toujours ailleurs que dans les institutions officielles et que la décision procède de circuits occultes. Par ailleurs, l’exigence libérale de publicité des informations nécessaires à la délibération collective peut se tromper de cible et compromettre une non moins légitime <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2020-2-page-1.htm">aspiration au secret, notamment dans la sphère privée</a>.</p>
<p>On pense à la traque des informations mues par des considérations commerciales (le trafic par les GAFAM des données aux fins de publicité privée), politiques (l’affaire Benjamin Griveaux, candidat à la mairie de Paris, par exemple) ou sécuritaires (la traque de l’information permettant d’anticiper tout acte de menace interne ou externe, de la délinquance au terrorisme).</p>
<h2>Quelle frontière entre la publicité et le secret ?</h2>
<p>Quelle est la frontière légitime entre la publicité et le secret en démocratie libérale ? À la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle déjà, le libéral Benjamin Constant <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-2-page-189.htm?contenu=article">contestait</a> le devoir absolu de véracité proclamé par Kant. Le bien général de la nation, en particulier sa défense contre un danger extérieur, justifie-t-il le mensonge ? Apparaît alors la raison d’État, qui se substitue à la rationalité démocratique.</p>
<p>Si Sibeth Ndiaye a justifié avec aplomb le mensonge politique dans l’intérêt d’une personne, serait-ce le président de la République, faut-il dénier aussi catégoriquement le droit au mensonge au nom de la raison d’État ?</p>
<p>La question a été tranchée une première fois, en démocratie libérale sous la III<sup>e</sup> République. La société française, avec l’affaire Dreyfus, a mis en balance le sort d’un individu avec l’autorité d’un groupe, d’une institution. Finalement, il n’a pas paru souhaitable de préserver l’Armée, en dépit de son rôle essentiel dans la survie nationale, en accablant un innocent. Lorsque la culpabilité de Dreyfus s’est avérée une erreur judiciaire, elle est apparue à l’opinion comme ce qu’elle était : un mensonge d’État…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Mensonges d’État », publié le 24 mai aux éditions Nouveau Monde.</span>
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<p>Si les droits de l’individu demeurent sacrés, en démocratie libérale, ceux de l’humanité tout entière ne peuvent pas davantage être bafoués : ce sont les intérêts de l’humanité, voire de la planète, qu’il faut défendre contre la raison d’État. Cette étrange tension entre le plus petit et l’universel nous conduit à considérer qu’il faut écarter tout mensonge d’État au bénéfice de l’intérêt, fut-il généralisé à l’échelle d’une nation.</p>
<p>Cet ouvrage, sur la base d’une large gamme de situations historiques récentes, qui permet de passer en revue tous les types de mensonges et leurs acteurs, prend nettement position. Au terme de l’exercice, il nous apparaît plus encore qu’à ses débuts, au risque d’être considérés comme naïfs, que le mensonge n’affaiblit pas seulement la démocratie libérale, mais l’État lui-même. Il n’est pas seulement condamnable mais inefficace, et se retourne contre l’institution, sinon contre la personne, qui l’utilise.</p>
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<p><em><a href="https://www.nouveau-monde.net/catalogue/mensonges-detat/">« Mensonges d’État. Une autre histoire de la Vᵉ République »</a>, avec Yvonnic Denoël, aux éditions Nouveau Monde le 24 mai.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206376/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Renaud Meltz a reçu des financements de plusieurs institutions pour ses programmes de recherche, dont la MSH du Pacifique et la MISHA, le CNRS et l'IUF.</span></em></p>Convoquant les travaux d’une vingtaine d’universitaires et journalistes, l’ouvrage « Mensonges d’État » dresse un inventaire des mensonges et autres arrangements avec la vérité sous la Vᵉ République.Renaud Meltz, Historien (UHA-Cresat, MSH-P), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2034312023-04-13T17:51:07Z2023-04-13T17:51:07ZÀ 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?<p>Le mouvement social et le gouvernement ont attendu chacun de leur côté les décisions du Conseil Constitutionnel le 14 avril sur la conformité du projet de la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS).</p>
<p>L'institution des « neuf sages » a tranché, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/2023849DC.htm">en validant l'essentiel du texte gouvernemental</a> sur la réforme des retraites avec report du départ à 64 ans. Elle a en revanche rejeté la proposition d’un <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/288693-referendum-sur-les-retraites-le-conseil-constitutionnel-saisi">référendum d’initiative partagée</a> (RIP) soumis par <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/11/reforme-des-retraites-le-referendum-d-initiative-partagee-porte-bien-sur-la-politique-sociale-de-la-nation_6169048_3232.html">la gauche sur le sujet</a>.</p>
<p>Cette séquence mouvementée – <a href="https://theconversation.com/retraites-comment-la-reforme-incarne-le-bras-de-fer-entre-le-pouvoir-et-la-rue-198083">commencée au début de l’année 2023</a> – concentre les différentes critiques adressées depuis plusieurs années au fonctionnement de la V<sup>e</sup> République.</p>
<p>Si bien qu’il est possible de se poser la question de son essoufflement et de sa capacité à apporter de réponses aux demandes sociales et citoyennes.</p>
<h2>Une Constitution étonnamment longue ?</h2>
<p>Rappelons que le 4 octobre 2023, la Constitution de la V<sup>e</sup> République aura 65 ans, <a href="https://www.lalibrairie.com/livres/histoire-politique-de-la-iiie-republique_0-1069587_9782707131195.html">égalant en longévité celle de la IIIᵉ République</a>. Cette constitution a en effet correspondu à des besoins en 1958 (un État fort, un exécutif restauré et indépendant, une prospérité rétablie et redistribuable, la grandeur de la France retrouvée) tout en étant baignée d’un halo de soupçon initial, tant le 13 mai 1958 est resté gravé comme un coup d’État, sinon <a href="https://blogs.mediapart.fr/paul-allies/blog/180620/de-gaulle-et-le-coup-d-etat-du-13-mai-1958">comme un coup politique</a> du « premier des Français », le général de Gaulle.</p>
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<figcaption><span class="caption">1958–1969 : La présidence de Charles de Gaulle (Ina).</span></figcaption>
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<p>Le texte constitutionnel a su déployer une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/13/dominique-rousseau-constitutionnaliste-il-faut-arreter-le-bricolage-le-moment-est-venu-de-changer-de-constitution_6165217_3232.html">réelle adaptabilité</a> en digérant la disparition de son fondateur, la crise sociale de mai 68, les alternances de 1981 et 2012, les cohabitations, les états d’urgence, la crise sanitaire liée Covid – sans parler de l’évolution du champ politique partisan – et une plasticité certaine. Elle a ainsi su intégrer les <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quand-la-constitution-a-t-elle-ete-modifiee">24 révisions</a> qui ont sensiblement modifié les équilibres initiaux et dont le présent locataire de l’Élysée a contribué à accentuer la <a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-2-hyper-president-e-tout-le-temps-167410">pente présidentialiste</a>.</p>
<p>Cette dynamique s’inscrit également dans les <a href="https://theconversation.com/travailler-plus-longtemps-mais-dans-quel-etat-le-cas-des-eboueurs-198888">mutations socio-économiques d’ampleur</a> (transformations des rapports capital/travail, question écologique et insertion dans la mondialisation libérale). Si le mouvement social actuel s’oppose certes au gouvernement sur la question du recul de l’âge de départ à la retraite, il incarne aussi, comme d’autres mouvements sociaux avant lui (<a href="https://theconversation.com/nuit-debout-des-indignes-pas-comme-les-autres-59707">Nuits debout</a> ou les « gilets jaunes »), une <a href="https://theconversation.com/vivons-nous-une-ere-de-soulevements-200950">contestation plus large</a> du système politique français tout entier, postulant l’essoufflement de la V<sup>e</sup> République.</p>
<p>Cet essoufflement repose en effet sur une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/une-republique-a-bout-de-souffle-fabien-escalona/9782021530148">série d’observations établies</a> à partir des pratiques institutionnelles qui ont déjà été relevées par divers commentateurs de la vie politique française convoquant des analyses <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/sciences-politiques/six-theses-pour-la-democratie-continue_9782738149985.php">juridiques</a>, <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/misere-de-la-ve-republique-francois-bastien/9782757803950">politiques</a>, sociologiques, historiques. </p>
<p>Il semble pertinent de mettre en exergue quatre grands domaines qui caractérisent l’essoufflement du régime politique français.</p>
<h2>Un hyperprésident dans une tour d’ivoire</h2>
<p>Le premier point est d’évidence celui signalé par la posture du président de la République. Qu’il soit qualifié d’« hyper-président » ou de <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-le-president-qui-se-veut-jupiterien-77815">« Président jupitérien »</a>, ces signifiants soulignent la <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-est-il-un-president-anormal-85376">posture en surplomb</a> de l’hôte de l’Élysée, sorte de tour d’ivoire depuis laquelle il s’adresse avec <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/lhistorien-pierre-rosanvallon-il-y-a-chez-emmanuel-macron-une-arrogance-nourrie-dignorance-sociale-20230403_HEYZOLZ3XJDD7J57UYTVZ44DHM/">arrogance, morgue et parfois dédain</a> à la foule ou au peuple selon l’intérêt supposé.</p>
<p>Les conséquences de cet <a href="https://www.mediapart.fr/journal/politique/210323/macron-la-verticale-du-vide">exercice vertical du pouvoir</a> sont connues dans une forme de <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">« diagonale du vide »</a> : distance, isolement, concentration du pouvoir, prise de décision seul ou en petits comités (le critiqué conseil de défense sanitaire), absence de transparence, et au final si opposition il y a, <a href="https://www.humanite.fr/societe/mobilisations-retraites/pour-le-syndicat-des-avocats-de-france-il-y-une-volonte-d-intimider-et-de-ficher-787589">autoritarisme, mesures sécuritaires et violences policières assumées</a>.</p>
<p>Une pente dangereuse qui s’est renforcée progressivement depuis les années 2010 à l’occasion des manifestations contre la loi travail en 2016 puis contre les « gilets jaunes » et enfin présentement en 2023.</p>
<h2>La technocratisation des institutions</h2>
<p>Le second domaine est à rechercher du côté de ce que l’on nomme pudiquement la « modernisation des institutions ». Elle se révèle être une bureaucratisation, une technocratisation sinon une forme « d’expertisation » comme le rappelle l’affaire des <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/enquete-affaire-mckinsey-une-ancienne-cadre-decrit-des-prestations-qui-auraient-du-etre-facturees-et-declarees-dans-les-comptes-du-candidat-macron_5750162.html">cabinets privés d’audit récemment décriés</a> au soubassement de toute action publique, supposée être fondée sur l’efficacité, la compétence technique, la rapidité et la réponse adéquate avec ou sans évaluation.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’affaire McKinsey et son rôle dans l’élection présidentielle de 2017 (France Info).</span></figcaption>
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<p>Observée dès 1958, cette tendance assumée par tous les pouvoirs a contribué à la <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">relégation de la délibération parlementaire</a>, procédure démonétisée au point paroxysmique de la <a href="https://retraitesinconstitutionnelles.wordpress.com/2023/04/04/les-habits-inconstitutionnels-dune-reforme">présente réforme des retraites</a>.</p>
<h2>Un Parlement contraint et des contre-pouvoirs réduits</h2>
<p>Le troisième domaine renvoie aux moyens institutionnels et politiques de limiter les contre-pouvoirs. En premier lieu, les procédures et dispositifs du régime parlementaire rationalisé : cela signifie l’encadrement juridique des relations entre Parlement et gouvernement afin de permettre à ce dernier de gouverner en l’absence de majorité à l’Assemblée nationale.</p>
<p>Avec l’apparition du <a href="https://books.openedition.org/pum/8374?lang=fr">fait majoritaire parfait en 1962</a> (alignement des trois majorités), ces dispositifs constitutionnels (le plus connu étant le 49.3) sont devenus une arme pour le gouvernement afin de discipliner l’Assemblée nationale et passer en force en cas de besoin.</p>
<p>D’ailleurs il semble symptomatique de constater que c’est à partir de la décision gouvernementale d’utiliser l’article 49.3 que le basculement semble s’être produit avec un double mouvement complémentaire d’élargissement et de radicalisation.</p>
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<img alt="Immense manifestation du 23 mars 2023 en défense des retraites, à Paris, après l’usage du 49.3 par le gouvernement" src="https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Immense manifestation du 23 mars 2023 en défense des retraites, à Paris, après l’usage du 49.3 par le gouvernement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52766726276/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Lors de la présente séquence sociale, tous les autres moyens disponibles pour contraindre le Parlement ont ainsi été mobilisés par le gouvernement (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527525/2005-03-02">article 47.1</a> qui permet de saisir le Sénat pour examiner un projet de loi, article 44-3 ou technique dite du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241038">vote bloqué</a>).</p>
<p>Même le Conseil Constitutionnel, instauré pour assurer la conformité des lois à la constitution, <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-constitution-maltraitee/">semble maltraiter la Constitution</a> au point de révéler sa nature essentiellement politique en soutien à l’exécutif et non présenter les contours d’une véritable cour constitutionnelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-conseil-constitutionnel-les-anciens-presidents-de-la-republique-pourraient-ils-etre-les-remparts-des-droits-et-libertes-195377">Au Conseil constitutionnel, les anciens présidents de la République pourraient-ils être les remparts des droits et libertés ?</a>
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<h2>Des élus locaux déstabilisés</h2>
<p>D’autres contre-pouvoirs ont aussi vu leurs champs d’action réduits. Plusieurs recherches ont montré comment les collectivités territoriales ont été <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2020-1-page-75.htm">contraintes et soumises</a> à des décisions prises <a href="https://www.berger-levrault.com/fr/communique-de-presse/le-pilotage-des-politiques-publiques-locales-de-la-planification-a-levaluation/">par le pouvoir central</a>.</p>
<p>Ainsi, la suppression de la taxe d’habitation ou le transfert de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/cote-d-or/maires-demissionnaires-la-cote-d-or-se-trouve-dans-le-top-5-2749202.html">nombreuses compétences</a> vers les intercommunalités ont interrogé les élus locaux qui se sentent dépourvus de leviers d’action et questionnent <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/congres-des-maires-qu-attendent-les-elus-de-la-deambulation-d-emmanuel-macron">leur engagement politique</a>.</p>
<p>Ce travail de sape des contre-pouvoirs via les corps intermédiaires a également touché les partis politiques de gouvernement malmenés depuis 2017 (le PS, puis la droite). De même, les associations sont un peu partout en France obligées de <a href="https://lemouvementassociatif-pdl.org/contrat-engagement-republicain-qu-est-ce/">signer un contrat républicain</a> sous peine de ne plus obtenir de subventions publiques. Les syndicats ont été quant à eux dépréciés en tant que partenaire social, exception faite de la situation actuelle qui semble contribuer à un <a href="https://theconversation.com/la-fin-du-syndicalisme-vivant-106759">regain de militantisme</a>.</p>
<h2>Le peuple, ce « mineur constitutionnel »</h2>
<p>Enfin, le quatrième domaine porte sur le peuple, <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-03095148/">ce « mineur » constitutionnel</a> qui est pourtant la matrice existentielle de tout régime politique démocratique. Si le texte constitutionnel y fait référence à de nombreuses reprises et la justice française est rendue en son nom, le peuple est maintenu en lisière de la décision politique alors qu’il est le souverain.</p>
<p>Certes, la souveraineté nationale conduit à déléguer aux représentants du peuple la tâche d’adopter la loi dans le respect de la Constitution, ce qui ne le mobilise qu’à intervalles réguliers (les élections nationales).</p>
<p>En dehors, il ne lui reste plus que les corps intermédiaires (malmenés) ou la rue pour revendiquer et s’exprimer. Son incapacité constitutionnelle à agir et décider par lui-même (le référendum étant initié par le président de la République ou par des parlementaires selon l’article 11), le confine à un rôle de spectateur, sinon d’abstentionniste. Les seconds tours de la présidentielle de 2022 (28,01 %) et des législatives de 2022, (53,77 %) ont atteint des <a href="https://theconversation.com/la-cause-cachee-de-la-montee-de-labstention-180152">scores d’abstention</a> parmi les plus élevés de la V<sup>e</sup> République.</p>
<h2>Une crise de légitimité démocratique profonde</h2>
<p>Par ailleurs, les enjeux écologiques, affichés pourtant <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/ecologie">comme prioritaires</a> par le quinquennat, semblent faire l’objet d’actes relativement <a href="https://reporterre.net/Macron-youtubeur-sur-l-ecologie-mais-creux-sur-les-reponses">timorés</a> face aux crises climatiques en cours, voire sont négligés alors même que les <a href="https://theconversation.com/barrages-et-reservoirs-leurs-effets-pervers-en-cas-de-secheresses-longues-111583">alertes se multiplient</a>.</p>
<p>Or, la Constitution n’offre aucune ressource pour aborder correctement et pleinement cette problématique. En témoigne la Convention citoyenne sur le Climat convoquée par le président de la République en 2019 mais dont les résultats ont été presque tous <a href="https://theconversation.com/comment-rendre-les-conventions-citoyennes-pour-le-climat-encore-plus-democratiques-201521">ignorés par le pouvoir</a>, à l’instar des <a href="https://theconversation.com/pouvoir-vivre-dignement-une-doleance-absente-de-la-campagne-presidentielle-180259">doléances</a> exprimées par les « gilets jaunes ». </p>
<p>Face à cette <a href="https://www.humanite.fr/en-debat/debats/retraites-quelle-issue-la-crise-sociale-et-politique-35-789747">crise démocratique</a> qui interroge la légitimité du régime actuel, et dans la perspective de régénérer les institutions, il semble que la question n’est pas tant de changer <em>la</em> constitution que <em>de</em> constitution, en pensant la transformation du texte constitutionnel à partir des besoins sociaux actuels tout autant que ceux de demain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raphaël Porteilla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La séquence sociale et politique actuelle, dans son opposition au projet de réforme des retraites incarne aussi une contestation plus large du système politique français tout entier.Raphaël Porteilla, Maître de conférence en sciences politiques, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1899952022-09-05T22:54:46Z2022-09-05T22:54:46ZSe renouveler en politique : mission impossible ?<p>Depuis l’avènement de la V<sup>e</sup> République et l’élection du président de la République au suffrage universel, la vie politique française est façonnée par les élections présidentielles, qui doivent immanquablement marquer un changement, voire une rupture dans les programmes comme dans les pratiques politiques.</p>
<p>En 2007, Nicolas Sarkozy s’est fait élire sur une promesse de « rupture ». En 2012, François Hollande a fait de même en faisant son slogan d’une promesse : « Le changement, c’est maintenant ! » Quant à Emmanuel Macron, en 2017, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/desintox-nouveau-monde-les-marcheurs-ont-la-memoire-courte_2826151.html">il annonçait</a> l’avènement d’un « nouveau monde ». Les résultats de la séquence électorale de 2022, marqués par une forte abstention et la progression des forces d’opposition, rendent nécessaire une transformation profonde.</p>
<p>En cette rentrée politique, perdants comme gagnants sont confrontés à cette question : comment se réinventer en politique sans se trahir ?</p>
<h2>François Mitterrand : se relancer à la conquête du pouvoir</h2>
<p>Cette question, plusieurs personnalités qui ont accédé à la présidence de la République se la sont posée, parfois à plusieurs reprises, au cours de parcours marqués par des évolutions personnelles qui sont autant de jalons vers la conquête puis la préservation du pouvoir. François Mitterrand a ainsi endossé trois rôles successifs.</p>
<p>Entre 1959 et 1965, l’ancien jeune ministre ambitieux de la IV<sup>e</sup> République parvient à faire oublier <a href="https://www.lemonde.fr/vous/article/2008/04/22/la-periode-noire-de-mitterrand_1035313_3238.html">ses liens avec le régime de Vichy</a>, volontiers stigmatisé pour apparaître comme le principal opposant à De Gaulle, regroupant derrière lui une grande partie de ceux qui se réclament de la gauche démocratique et sociale. À partir de 1971, il prend le contrôle du Parti socialiste et devient socialiste – sans cacher qu’il s’agit là d’une forte évolution personnelle. En 1969, dans <a href="https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00256/ma-part-de-verite.html">Ma part de vérité</a>, il avait fait cette confidence :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne suis pas né à gauche, encore moins socialiste. Il faudra beaucoup d’indulgence aux docteurs de la loi marxiste, dont ce n’est pas le pêché mignon, pour me le pardonner. J’aggraverai mon cas en confessant que je n’ai, par la suite, montré aucune précocité. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, tout au long de ces années 1970 qui préparent son accès à l’Élysée, il se fait le chantre éloquent d’un socialisme d’inspiration marxiste, dans la continuité d’un Jaurès et d’un Blum et dans la foulée de sa <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09082533/francois-mitterrand-celui-qui-n-accepte-pas-la-ruptureil-ne-peut-pas-etre">première déclaration</a> comme premier secrétaire du PS, le 13 juin 1971 :</p>
<blockquote>
<p>« Celui qui n’accepte pas la rupture ne peut pas être adhérent du Parti socialiste. »</p>
</blockquote>
<p>Une fois parvenu au pouvoir, Mitterrand doit peu à peu faire accepter et incarner lui-même l’adaptation de ce socialisme à l’économie de marché et à ses contraintes. Il ne s’agit pas d’abjurer le socialisme – lors de la présidentielle de 1988, il continue de se dire « socialiste » –, mais plutôt d’en inventer une <a href="https://theconversation.com/union-des-gauches-retour-sur-50-ans-dalliances-et-de-dechirements-182343">version moderne</a>, libérale, européenne. Cette transformation, qui vise à inscrire un gouvernement de gauche dans la durée et à faciliter sa réélection, concerne non seulement le fond, mais aussi la forme du discours du Président.</p>
<p>Le 28 avril 1985, il fait sensation lorsqu’il se présente en président « cablé » (et non plus seulement « branché ») lors d’une interview télévisée avec Yves Mourousi, délibérément placée à la frontière de l’information et du divertissement ; – ce qui était alors une véritable première.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dBqhuL-rmVI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Entretien avec Yves Mourousi.</span></figcaption>
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<h2>Jacques Chirac, une girouette politique ?</h2>
<p>Dans une carrière politique nationale s’étendant sur une cinquantaine d’années, les changements de position de François Mitterrand ne furent pas très nombreux. Ils ont pourtant contribué à remettre en cause la sincérité des engagements d’un homme souvent décrit comme <a href="https://www.revuepolitique.fr/francois-mitterrand-portrait-dun-ambigu">« ambigü »</a> – ou – pour reprendre les termes d’un de ses biographes, Michel Winock – comme une « personnalité ondoyante » et un <a href="https://www.lejdd.fr/Culture/Michel-Winock-retrace-la-vie-de-Francois-Mitterrand-un-rescape-de-tous-les-naufrages-721550-3172643">« maître de l’équivoque »</a>.</p>
<p>Que dire alors de ses deux successeurs ? Jacques Chirac a été comparé à l’acteur italien Leopoldo Frégoli par plusieurs contemporains, notamment le socialiste <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/03/24/qui-est-jacques-chirac_3869791_1819218.html">Jean-Louis Bianco</a> ou encore le journaliste <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4805728r/f31.texteImage">Jean-Marie Colombani</a>, en raison de ses positions successives et contradictoires.</p>
<p>Il a tour à tour défendu un gaullisme conservateur aux côtés de son mentor Georges Pompidou, puis le « travaillisme à la française » pour se démarquer de Valéry Giscard d’Estaing, contre lequel il lance également, en 1979, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/12/12/dates-il-y-a-quinze-ans-jacques-chirac-lance-l-appel-de-cochin_3974697_1819218.html">« l’appel de Cochin »</a> dénonçant la dilution de la nation française au sein de l’Europe. Après 1981, soucieux de rassembler les droites, il s’est converti à la construction européenne et s’est fait le chantre d’un néo-libéralisme inspiré des modèles américain et britannique avant de stigmatiser la « fracture sociale », dans une ultime métamorphose sociale qui lui permet d’être élu en 1995.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-france-desenchantee-185048">La France désenchantée ?</a>
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<h2>Nicolas Sarkozy, théoricien de la rupture</h2>
<p>Son successeur, Nicolas Sarkozy, ne cherche pas à relativiser les <a href="https://www.20minutes.fr/politique/1689983-20150918-video-change-sempiternelles-metamorphoses-nicolas-sarkozy">évolutions de son positionnement et de ses discours</a>.</p>
<p>Au contraire, il les assume et les met en scène – car il a bien pris conscience que les électeurs français de ce début du XXI<sup>e</sup> siècle recherchent le changement et sanctionnent systématiquement ceux qui s’inscrivent dans une continuité. Lors des présidentielles victorieuses de 2007, il fait campagne sur <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2005/07/19/pour-nicolas-sarkozy-2007-se-traduira-par-une-volonte-de-rupture_673607_3224.html">« la rupture »</a>, alors même qu’il a occupé des postes-clefs (ministre de l’Intérieur puis ministre de l’Économie) dans le quinquennat qui s’achève.</p>
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<p>Lors du grand discours tenu porte de Versailles en janvier 2007 qui marque le début de sa campagne, il insiste longuement sur le fait qu’il a changé, au plan politique comme au plan personnel.</p>
<blockquote>
<p>« J’ai changé parce qu’une élection présidentielle est une épreuve de vérité auquel nul ne peut se soustraire […]. J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé. »</p>
</blockquote>
<p>Candidat à sa réélection cinq ans plus tard, il tente d’exploiter le même ressort, en affirmant « J’ai appris » et en assurant les électeurs qu’il a tiré les leçons de l’exercice du pouvoir présidentiel et qu’il changera sa manière d’incarner la fonction. Et lorsqu’après son retrait consécutif à son échec en 2012 il effectue un retour sur la scène politique, il cherche une nouvelle à se réinventer, en affirmant qu’avec l’âge il a trouvé la « sagesse » et le « recul » qui lui faisaient naguère défaut.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aux-origines-des-fractures-francaises-183037">Aux origines des fractures françaises</a>
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<h2>Se démarquer par des actes forts</h2>
<p>Se réinventer en politique, ce n’est pas simplement infléchir son discours. Cela passe aussi par des actes forts, notamment par des ruptures. Ainsi, en août 1976 Jacques Chirac démissionne avec fracas de son poste de premier ministre sous Valéry Giscard d’Estaing pour lancer la famille gaulliste à la conquête du pouvoir, autour d’un nouveau parti (le RPR), d’une nouvelle base militante, d’un nouveau programme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_wkmFSntQOo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jacques Chirac, démission en 1976.</span></figcaption>
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<p>En novembre 2008 Jean-Luc Mélenchon quitte le Parti socialiste dont il animait l’aile gauche depuis une vingtaine d’années. Mélenchon ne présente pas cette rupture comme une transformation de son positionnement, mais au contraire comme une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/11/07/jean-luc-melenchon-quitte-le-ps_1115955_823448.html">marque de fidélité à ses engagements</a>, désormais incompatible avec un Parti socialiste en proie à une « dérive libérale ». Mais par cet acte, il contribue à proposer une nouvelle offre politique qui, au cours des quinze années suivantes, <a href="https://theconversation.com/lfi-du-pari-a-la-mutation-185571">joue un rôle croissant</a> au sein de la gauche puis de la vie politique française.</p>
<p>Les ralliements constituent une autre forme de réinvention de la position politique d’une personnalité. En apportant en février 2017 son soutien à Emmanuel Macron, François Bayrou met fin à quinze ans d’isolement de la famille politique centriste et commence à ancrer le futur président vers le centre droit. </p>
<p>En octobre 1974, Michel Rocard, accompagné de nombreux cadres et militants du Parti socialiste unifié (PSU), rejoint le PS à l’occasion des <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/les-assises-du-socialisme-ou-lechec-dune-tentative-de-renovation-dun-parti-12-et-13-octobre-1974/">Assises du socialisme</a>. Il quitte alors la position marginale qui était la sienne dans le champ politique, en tant que principal dirigeant d’un parti identifié à l’extrême gauche, pour devenir au sein du PS le porte-drapeau d’une <a href="https://theconversation.com/que-reste-t-il-de-la-deuxieme-gauche-160371">« deuxième gauche »</a>, décentralisatrice et modernisatrice, et disputer le leadership de François Mitterrand. Non seulement cet acte politique majeur transforme Michel Rocard en potentiel candidat à la présidence de la République, mais il constitue un jalon essentiel dans l’évolution du socialisme français.</p>
<h2>Une démarche collective</h2>
<p>Se réinventer en politique n’est pas l’apanage des individus et peut aussi caractériser une démarche collective, qui s’est longtemps exprimée par la création d’un parti politique. Au cours des quarante dernières années toutefois, une seule force politique nouvelle est apparue et s’est cristallisée en parti politique avec la ferme volonté de transformer les pratiques politiques et partisanes et de faire émerger de nouvelles thématiques (l’écologie, la démocratie participative) : il s’agit des écologistes qui, en 1984, créent les Verts qui, au cours de leur histoire et de leurs différentes évolutions stratégiques et partisanes, éprouveront des difficultés à respecter pleinement <a href="https://www.mediapart.fr/journal/bibliotheque/pierre-serne/des-verts-eelv-30-ans-dhistoire-de-lecologie-politique">cette promesse de renouvellement</a>.</p>
<p>Le paysage politique français de la V<sup>e</sup> République est donc davantage marqué par l’évolution des forces politiques existantes que par l’émergence de nouvelles organisations. Ces évolutions internes se traduisent souvent par des changements de nom, comme pour manifester ce désir de se réinventer. Ces changements furent particulièrement nombreux entre 2002 et 2015, notamment à droite, comme pour manifester la fin d’une génération marquée par la rivalité entre Chirac et Giscard : l’UMP, LR, le MoDem, l’UDI sont ainsi apparus, sans forcément changer radicalement l’identité de leur famille politique.</p>
<h2>2017 et les limites des dynamiques de renouvellement</h2>
<p>La seule évolution significative concerne le Front national, devenu Rassemblement national en 2018 : le changement de nom s’inscrit dans la stratégie de « dédiabolisation » adoptée par <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2015-2-page-13.htm">Marine Le Pen</a>. Celle qui est parvenue à la tête du FN en 2011 cherche avant tout à normaliser et à légitimer une force politique qui a peu changé sur le fond mais qui s’engage dans une logique de conquête de pouvoir, après le cuisant échec du second tour de la présidentielle de 2017.</p>
<p>La présidentielle de 2017 souligne d’ailleurs les limites des dynamiques de renouvellement, qui semblaient bénéficier pourtant d’un contexte favorable : un jeune président qui s’engage à rompre avec « l’ancien monde » et à réformer la société française en brisant les conservatismes ; une majorité parlementaire constituée autour d’une nouvelle organisation et de députés fraîchement élus et souvent issus de la société civile ; une volonté de renouveler la pratique du pouvoir présidentiel et à impliquer davantage les citoyens dans le débat public… Sur ces différents points, le bilan de la première présidence Macron a été mitigé, ce qui explique en grande partie les résultats en demi-teinte du printemps 2022.</p>
<p>Cette incapacité structurelle à réinventer la politique est liée aussi bien au conservatisme des élites dirigeantes qu’aux contraintes liées aux institutions de la V<sup>e</sup> République. Il nourrit en grande partie le <a href="https://spire.sciencespo.fr/notice/2441/f0uohitsgqh8dhk97ikqlahjk">désenchantement démocratique</a> qui saisit les citoyens français en ce début de XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189995/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont Auvergne, établissement qui bénéficie de subventions publiques.</span></em></p>En cette rentrée politique, perdants comme gagnants sont confrontés à cette question : comment se réinventer en politique sans se trahir ?Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1873782022-08-15T20:26:31Z2022-08-15T20:26:31ZEt si les citoyens participaient aux référendums initiés par le président ?<p>Le premier mandat d’Emmanuel Macron, par rapport à ceux de ses prédécesseurs, a eu la particularité de voir monter une critique de la verticalité des institutions de la V<sup>e</sup> République et de la toute-puissance présidentielle, dont a témoigné, entre autres, le mouvement des « gilets jaunes ». Cette critique s’est en quelque sorte matérialisée dans les résultats des législatives. Alors que depuis l’alignement des deux élections consécutif à la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-revisions-constitutionnelles/loi-constitutionnelle-n-2000-964-du-2-octobre-2000">réforme de 2000</a>, les Français avaient plutôt semblé considérer qu’il fallait donner au président venant d’être élu une majorité pour gouverner, il semble qu’ils aient voulu cette fois obtenir le résultat inverse : obliger l’hôte de l’Élysée, en lui refusant la majorité absolue à laquelle il aspirait, <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">à composer avec les forces politiques</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, on peut aussi spéculer sur le recours au référendum présidentiel prévu par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241004">l’article 11 de la constitution</a>, qui permet au chef de l’État, sur proposition du premier ministre (ou des assemblées), de soumettre directement au peuple un projet de loi. Le président réélu en avril pourrait être tenté d’en faire un usage minoritaire, en l’absence d’une majorité parlementaire en faveur d’un texte, un peu à la manière de Gaulle au début de la <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100996600">Vᵉ République</a>, et plus encore en l’absence, amplifiée par un taux d’abstention hors-normes aux dernières élections législatives, d’une majorité dans le pays – ce qui est sans doute ici une différence avec le fondateur de la V<sup>e</sup> République. Il s’agirait alors d’assurer une légitimité plus forte à certaines réformes difficiles.</p>
<h2>Exclure catégoriquement la révision de la constitution par l’article 11</h2>
<p>Il n’est pas souhaitable en revanche que l’article 11 soit utilisé pour réviser la constitution. On touche ici à un débat récurrent sous la V<sup>e</sup> République, qui commença avec le recours à deux reprises par le général de Gaulle à cet article pour modifier le texte de 1958. La première fois, avec succès, en 1962, pour introduire l’élection directe par les Français du président de la République (le texte de 1958 prévoyait son élection par un collège d’environ 80 000 élus) ; la seconde fois en 1969, après les événements de mai 1968, pour réaliser une double réforme du Sénat et des régions censée répondre aux aspirations du mouvement de contestation.</p>
<p>Fatigués de Gaulle, les Français répondirent cette fois par la négative, sachant qu’un échec entraînerait la démission de l’intéressé, ce qui se produit effectivement, mettant fin à la carrière politique du grand homme.</p>
<p>Rappelons en effet qu’il n’y a qu’une seule procédure de révision constitutionnelle prévue par la constitution, celle de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006095847">article 89</a>, qui dispose qu’un texte doit être voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat et soit ensuite soumis au référendum sauf si le président de la République décide de le soumettre au Congrès (qui doit alors l’approuver à la majorité des 3/5).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/referendums-assemblees-citoyennes-des-propositions-a-ne-pas-sous-estimer-108927">Référendums, assemblées citoyennes : des propositions à ne pas sous-estimer</a>
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<p>À l’exception des gaullistes, les partis s’étaient unanimement élevés contre l’usage de l’article 11 pour réformer la constitution en 1962. Le président du Sénat de l’époque, Gaston Monnerville, parla <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2010-3-page-4.htm">d’acte de forfaiture</a> et l’Assemblée nationale vota la censure du gouvernement Pompidou, coupable d’avoir proposé le référendum au président de la République.</p>
<p>Les partis étaient évidemment défavorables à l’élection directe du chef de l’État, qui les dépossédait d’une prérogative. C’est ce qui explique que le général de Gaulle n’ait pas recouru à l’article 89, qui aurait supposé une approbation préalable de la réforme par le parlement. Mais les <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/10/17/la-validite-du-scrutin-du-28-octobre_2359463_1819218.html">juristes</a> condamnèrent tout autant ce qui était à leurs yeux un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/07/19/i-l-election-du-president-de-la-republique-au-suffrage-universel_2373199_1819218.html">détournement de procédure</a>.</p>
<p>Pour autant, saisi pour contrôler la constitutionnalité de la loi référendaire, le Conseil constitutionnel se déclara incompétent, estimant qu’il ne pouvait se prononcer que sur des lois votées par le parlement. Le problème qui se posait était celui du moment du contrôle de la part, en outre, d’une institution (le tout jeune Conseil constitutionnel) disposant d’une faible légitimité. Ce dernier ne s’était pas encore affirmé à l’époque comme gardien de la constitution. Le vote référendaire approuvant la réforme a ainsi été considéré comme légitimant a posteriori le recours à l’article 11.</p>
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<h2>La protection de la constitution</h2>
<p>Une telle pratique n’est plus du tout admissible aujourd’hui. La France est une démocratie constitutionnelle qui s’est engagée dans le respect de la prééminence du droit. Si une procédure spéciale, plus lourde que pour la loi ordinaire, est prévue pour réviser la constitution, comme c’est le cas dans la plupart des autres démocraties, cette procédure doit être respectée car elle sert précisément à empêcher que l’on ne modifie trop facilement la constitution et s’en prenne notamment à des libertés et des droits qu’elle garantit.</p>
<p>L’hypothèse d’un recours à l’article 11 pour réformer la constitution a ressurgi dans le débat public lors de la dernière campagne présidentielle après que certains candidats, notamment d’extrême droite, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/revision-de-la-constitution-par-referendum-marine-le-pen-dans-une-impasse">aient annoncé qu’ils pourraient l’envisager</a>. À juste titre, la plupart des juristes ont estimé que la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis 2000 indiquait que celui-ci pourrait bloquer un tel usage. En effet, à l’occasion du référendum sur la révision de l’article 6 de la constitution, relatif à la durée du mandat présidentiel (passage du septennat au quinquennat), correctement engagé dans le cadre de la procédure de l’article 89, le Conseil constitutionnel a accepté de contrôler les actes préparatoires à l’organisation d’un référendum, dans le cadre des compétences qu’il tient de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527548">article 60 de la constitution</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Traité européen 2005 : la France se prononce contre lors du referendum.</span></figcaption>
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<p>Cinq ans plus tard, il était amené à se prononcer sur la constitutionnalité du décret convoquant le référendum sur le projet de loi de ratification du Traité constitutionnel européen, qui intervenait cette fois dans le cadre de l’article 11. Interrogé notamment sur la conformité du Traité à la Charte de l’environnement, qui venait juste d’être insérée dans la constitution, il ne s’est pas clairement déclaré incompétent et a même considéré qu’« en tout état de cause » le <a href="https://www.researchgate.net/publication/278817550_La_decision_Hauchemaille_et_Meyet_du_24_mars_2005_un_nouveau_pas_en_matiere_de_controle_des_referendums">traité n’était pas contraire à la Charte</a>. Ce qui montre que, bien que restant très évasif sur l’étendue de sa compétence, il pourrait à l’occasion de ce contrôle des actes préparatoires à tout référendum, considérer que la procédure normale de révision de la constitution n’est pas respectée.</p>
<p>On ne saurait pour autant conclure de cette jurisprudence que le président de la République est désormais contrôlé dans son usage de l’article 11 et ne pourrait plus l’utiliser pour réformer la constitution. Seule une révision de cet article faisant apparaître explicitement l’interdiction de réviser la constitution par son biais et introduisant un véritable contrôle préventif par le Conseil constitutionnel de conformité du projet de loi au cadre formel et matériel prévu par la constitution peut offrir une telle garantie.</p>
<p>Il reste qu’une révision constitutionnelle se doit de passer par l’article 89, qui requiert a minima une approbation parlementaire de la majorité des membres de chaque Chambre. Dans le contexte actuel d’absence de majorité et de polarisation extrême des forces politiques, les chances d’aboutissement d’une réforme de l’article 11 apparaissent donc minces. Rappelons que sous la législature précédente, bien que doté d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron n’avait pu mener à bien ses deux projets successifs de réforme institutionnelle faute d’un soutien du Sénat.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reviser-la-constitution-par-referendum-la-pratique-peut-elle-contredire-le-texte-181425">Réviser la Constitution par référendum : la pratique peut-elle contredire le texte ?</a>
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<h2>Mieux associer les citoyens au référendum présidentiel ?</h2>
<p>Le véritable enjeu de ce quinquennat est plutôt un usage rénové, impliquant plus les citoyens, du référendum présidentiel. Celui-ci s’est vu souvent reproché, à juste titre, son caractère trop personnalisé et le glissement d’enjeu qui en résulte.</p>
<p>Cela est évidemment dû au fait que le président est le seul à pouvoir, selon les termes de l’article 11, décider d’organiser un référendum, qui plus est, exclusivement sur un projet de loi. Une réforme de l’objet du référendum présidentiel ne devrait sans doute pas se limiter à écarter les révisions constitutionnelles de son champ. Elle devrait, a contrario, élargir cet objet en permettant qu’il ne porte pas seulement sur des projets de loi mais aussi sur des propositions de loi d’initiative citoyenne, telles que celles émanant d’assemblées de citoyens tirés au sort, à l’égard desquelles l’actuel président a montré son intérêt en organisant la Convention citoyenne sur le climat.</p>
<p>Actuellement le chef d’État n’a d’autre choix que de reprendre à son compte une proposition législative d’une telle assemblée pour pouvoir la soumettre au peuple par l’article 11, ce qui est propice au glissement d’enjeu sur sa personne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Convention citoyenne pour le climat, portraits, France 3.</span></figcaption>
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<p>En <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/la-transformation-de-l-ecriture-de-la-constitution-l-exemple-islandais">Islande</a>, ou une convention de citoyens tirés au sort a élaboré un projet de réforme de la constitution en 2010, dont les principales propositions ont ensuite été reprises par un comité de réforme de la constitution élu en 2011, le gouvernement a soumis les principaux points de ce projet (sous forme de questions générales) au vote consultatif des citoyens. De même en <a href="https://laviedesidees.fr/Les-assemblees-citoyennes-en-Irlande.html">Irlande</a>, les amendements de la constitution préconisés par la « Convention constitutionnelle » (composée de citoyens tirés au sort et d’élus) en 2012, puis par l’« Assemblée de citoyens » (exclusivement composée de citoyens tirés au sort) en 2016, qui furent soumis au référendum et aboutirent notamment à la légalisation du mariage entre personnes du même sexe et de l’avortement, avaient été approuvés au préalable par le parlement mais apparaissaient bien comme émanant de ces assemblées. Les expériences de ce type ont tendu à se multiplier ces dernières années et <a href="https://books.openedition.org/dice/10570">comportent de plus en plus souvent des référendums</a>).</p>
<p>Ici aussi cependant, il est illusoire de croire que le parlement en fonction puisse approuver une révision. Un éventuel référendum sur une proposition formulée par une assemblée tirée au sort, ou comportant des citoyens tirés au sort, devra se présenter formellement comme un référendum sur un projet de loi de l’exécutif.</p>
<h2>De nouvelles expérimentations citoyennes ?</h2>
<p>En l’absence d’une réforme de l’article 11, on peut néanmoins suggérer qu’un éventuel recours à un référendum législatif par le président de la République s’accompagne d’une innovation ne nécessitant aucune révision de cet article, et qui permettrait d’impliquer plus activement les citoyens dans la campagne référendaire. Il pourrait s’agir d’instituer en amont de celle-ci une chambre citoyenne tirée au sort, sur le modèle des commissions d’examen des initiatives citoyennes (« Citizens Initiative Review », CIR) <a href="https://olis.oregonlegislature.gov/liz/2019R1/Downloads/CommitteeMeetingDocument/173979">mises en place dans l’Oregon</a> et imitées dans d’autres États américains et qui sont actuellement objets <a href="https://global.oup.com/academic/product/hope-for-democracy-9780190084523?cc=us&lang=en&">d’expérimentations en Suisse et dans d’autres pays européens</a>. Les CIR, qui émettent des avis sur les propositions référendaires, ont été jusqu’ici utilisés dans le cadre de référendums d’initiative populaire, mais rien n’empêche d’y recourir pour des référendums d’initiative présidentielle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/et-si-les-municipales-etaient-loccasion-de-mettre-en-place-un-ric-130896">Et si les municipales étaient l’occasion de mettre en place un RIC ?</a>
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<p>Ces commissions seraient chargées d’étudier le projet de loi présidentiel et de livrer des analyses et recommandations au grand public en vue du vote. Leur avantage, dans la situation politique actuelle, serait d’offrir un point de vue sur un projet de loi soumis au vote – par exemple la réforme des retraites, la lutte contre le réchauffement climatique, etc. – dégagé des logiques de compétition et d’affrontement partisans qui font perdre de vue le sens de l’intérêt général et transforment le référendum présidentiel en vote pour ou contre le président.</p>
<p>Avec le grand débat national, puis la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron a montré son intérêt pour des formules permettant de mieux intégrer les citoyens dans la prise de décision politique. Il a aussi récemment annoncé pour la seconde semaine de septembre l’institution d’un <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-conseil-national-de-la-refondation-installe-la-2e-semaine-de-septembre-annonce-veran-20220721">Conseil National de la Refondation</a> (CNR), bien que l’on ne sache pas encore clairement si cette instance comportera ou non des citoyens tirés au sort aux côtés des représentants institutionnels et de la société civile. Il n’est pas totalement exclu de l’espérer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187378/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le président pourrait être tenté de faire un usage minoritaire du référendum mais sous quelles modalités ? Explications.Laurence Morel, Maitre de conférences, science politique, Université de LilleMarthe Fatin-Rouge Stefanini, Directrice de recherches au CNRS, laboratoire de Droit International, Comparé et Européen, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1864872022-07-06T18:16:47Z2022-07-06T18:16:47ZPolitique : une histoire de confiance ?<p>Dès le remaniement de son gouvernement effectué, Élisabeth Borne a annoncé qu’elle ne solliciterait pas de l’Assemblée un <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/elisabeth-borne-ne-sollicitera-pas-le-vote-de-confiance-des-parlementaires-annonce">vote de confiance</a>, se contentant de présenter ce mercredi une déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale et le Sénat.</p>
<p>Elle a ainsi fait usage de l’article 50.1 de la Constitution introduit par la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19582-revision-du-23-juillet-2008-un-changement-de-republique">révision constitutionnelle</a> du 23 juillet 2008 et qui permet au Premier ministre de faire une déclaration devant l’une ou l’autre des Assemblées, suivie ou non d’un vote qui ne peut engager sa responsabilité politique. Confrontée à une majorité relative, la Première ministre a donc choisi de s’appuyer sur le <a href="http://juspoliticum.com/article/Vers-la-fin-du-parlementarisme-negatif-a-la-francaise-439.html">parlementarisme négatif</a>, qui caractérise la V<sup>e</sup> République dans lequel la confiance est présumée.</p>
<h2>La confiance, au cœur du régime parlementaire</h2>
<p>Ces deux termes méritent explicitation : la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/regime-presidentiel/">confiance</a> est LE principe du régime parlementaire. Elle unit les représentés-citoyens aux représentants et notamment les députés. Aussi, lorsque ceux-ci se dotent d’un gouvernement, ils doivent à leur tour l’investir de leur confiance, habituellement en exprimant celle-ci grâce à un vote qui peut prendre la forme d’une investiture (Italie, Portugal, Grèce, République tchèque…) ou d’une élection (Allemagne, Hongrie, Slovénie, Estonie, Finlande…).</p>
<p>Ce qui explique que nos <a href="https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2020-26-page-5.htm">voisins belges</a> (494 jours après les élections de 2019) ou allemands (172 jours en 2017) doivent au lendemain des élections mener de <a href="https://www.bundesregierung.de/breg-fr/actualites/questions-et-r%C3%A9ponses-concernant-la-formation-d-un-nouveau-gouvernement-319694">longues phases de négociation</a> avant qu’un gouvernement ne puisse se présenter devant les députés. Certains régimes parlementaires se dispensent de cette procédure et fonctionnent sur la confiance présumée comme on le voit par exemple au Danemark, sujet bien présent dans la série <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/RC-021645/borgen-une-femme-au-pouvoir/"><em>Borgen, une femme au pouvoir</em></a>.</p>
<p>Dans ce cas, le Gouvernement bénéficie d’une présomption de confiance : ce n’est plus à lui d’apporter la preuve qu’il jouit bien de la confiance de l’Assemblée. C’est à celle-ci, si elle estime que cette confiance n’existe pas, de démontrer son hostilité.</p>
<p>Aucune disposition de la Constitution de la V<sup>e</sup> République ne rend obligatoire l’investiture du Gouvernement, qui peut donc se contenter d’une confiance présumée. Certes, la rédaction de l’article 49 alinéa 1 est sujette à interprétation :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement une déclaration de politique générale ».</p>
</blockquote>
<p>Il est en effet habituel que dans les textes juridiques l’indicatif vaille impératif. Le « engage » pourrait donc avoir un caractère obligatoire. D’ailleurs, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782226034571-gouverner-memoires-t-3-1958-1962-michel-debre/">Michel Debré</a>, premier Premier ministre de la Cinquième a sollicité la confiance de l’Assemblée nationale le 15 janvier 1959, quand bien même il n’était soutenu que par une majorité relative (le vote lui a tout de même été largement favorable : 453 députés ont voté la confiance et seuls 56 l’ont refusé).</p>
<p>Ce n’est qu’en 1966 que le Gouvernement Pompidou est entré en fonction indépendamment de tout vote de confiance de l’Assemblée (3<sup>e</sup> gouvernement Pompidou nommé le 8 janvier 1966, puis le 4<sup>e</sup> Gouvernement Pompidou entré en fonction le 6 avril 1967. À sa suite, M. Couve de Murville nommé le 10 juillet 1968 ne sollicitera pas non plus la confiance de l’Assemblée). Il s’agissait pour le Premier ministre de démontrer que dorénavant le Président de la République était la <a href="https://www.theses.fr/2011LIL20010">source de l’équilibre institutionnel</a> et que sa confiance, manifestée par les décrets de nomination du Gouvernement et de son chef, était suffisante à légitimer son action.</p>
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<h2>Une obligation relative</h2>
<p>Si à l’époque l’Assemblée nationale avait adopté une motion de censure démontrant au Gouvernement que son interprétation de la Constitution était incorrecte, le droit constitutionnel aurait retenu que la procédure du vote de confiance était obligatoire. En effet, les arguments tirés de l’exégèse du texte, en faveur du caractère facultatif ou obligatoire de la procédure, se neutralisent.</p>
<p>Pour les premiers, l’absence de délai rend l’obligation toute relative, le Premier ministre pouvant repousser l’engagement initial de sa responsabilité tant et si bien qu’il ne l’ait finalement pas engagé avant de quitter ses fonctions. D’autres font remarquer que la Constitution sait utiliser le verbe « devoir » quand elle doit expliciter une obligation. Comme dans l’article 50 qui tire les conséquences d’un vote négatif lors de l’engagement de responsabilité :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission de son gouvernement ».</p>
</blockquote>
<p>À quoi il est répondu que la Constitution sait également insister sur le caractère facultatif des procédures, l’article 49 alinéa 3 prévoyant que le Premier ministre « peut… engager » ou l’article 49 alinéa 4 indiquant qu’il « a la faculté de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale ».</p>
<p>Faute de cela, la recherche de l’expression initiale de la confiance est depuis devenue facultative et c’est à l’opposition de renverser la présomption en adoptant une motion de censure. Toutefois, les procédures ne sont pas équivalentes.</p>
<p>On remarque en effet que l’article 49 alinéa 1 ne fait mention d’aucune majorité nécessaire à accorder où refuser la confiance. Or il ne peut exister en droit de majorité absolue sans texte. La confiance de l’article 49 alinéa 1 est donc accordée ou refusée à la majorité relative : c’est l’option (oui/non) qui a remporté le plus de voix qui remporte le suffrage.</p>
<p>De manière caricaturale, si 100 députés seulement sont présents et que cinquante-et-un votent contre le Gouvernement alors que 50 ont décidé de le soutenir, ce dernier est mis en minorité. La confiance, élément fondamental du régime parlementaire, n’est pas accordée et le Gouvernement doit démissionner.</p>
<h2>La motion de censure en question</h2>
<p>L’encadrement de la motion de censure est moins favorable aux parlementaires puisque pour être adoptée, la censure doit recueillir le soutien de la majorité absolue des membres, soit 289 voix favorables. Dans ce cas, seuls les votes favorables à la motion de censure sont recensés, les abstentions sont ainsi réputées favorables au Gouvernement.</p>
<p>L’adoption d’une motion de censure est donc devenue quasi illusoire, ce qui explique qu’une seule ait été adopté sous la V<sup>e</sup> République, en 1962, lorsque le général de Gaulle opéra un « contournement de la Constitution » afin de permettre l’élection du Président de la République <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/paul-reynaud-et-georges-pompidou-4-octobre-1962">au suffrage universel direct</a>.</p>
<p>Certes, dans le cadre d’un gouvernement soutenu par une majorité relative, mathématiquement, si toutes les oppositions se coalisent, elles détiennent plus que la majorité absolue des sièges. Toutefois et même dans le contexte actuel où l’Assemblée compte 10 groupes, chacun cherche à défendre son identité et sauf événement imprévu, il semble difficile de croire que l’opposition républicaine joigne ses voix à une motion de censure du Rassemblement national, ou que l’opposition de droite joigne les siennes à une motion de censure de la gauche.</p>
<p>La motion de censure déposée dans la foulée de la déclaration politique de la Première ministre a donc peu de chance de recueillir les 289 voix nécessaires, les quatre groupes de la Nupes ne détenant que 151 sièges, soit bien moins que la majorité absolue exigée par l’article 49 alinéa 2.</p>
<p>Paradoxalement, en cherchant à affirmer son leadership sur l’opposition de gauche, LFI, qui a initié cette motion de censure, joue le jeu du régime parlementaire négatif. Certes, le Gouvernement n’aura pas obtenu expressément la confiance, mais l’Assemblée aura démontré son incapacité à lui exprimer sa défiance. L’échec de la motion de censure va ainsi, quelques jours seulement après le remaniement, légitimer le premier gouvernement minoritaire de la V<sup>e</sup> République depuis 1991.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186487/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment l’échec de la motion de censure va quelques jours seulement après le remaniement, légitimer le premier gouvernement minoritaire de la Vᵉ République depuis 1991.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1858792022-06-29T22:51:14Z2022-06-29T22:51:14ZRéforme des retraites : de l’impossible compromis au 49.3<p>Après des semaines de débats à l'Assemblée nationale, au Sénat et une mobilisation massive des syndicats, la première ministre Elisabeth Borne a finalement engagé la responsabilité du gouvernement et eu recours à l'article 49.3 pour faire passer la tant décriée réforme des retraites. </p>
<p>Ce nouvel usage du désormais célèbre article de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527529/1999-07-09">la Constitution</a> a entraîné de nombreuses réactions des syndicats qui ont assuré qu'ils allaient poursuivre le mouvement de contestation, dénonçant pour certains un «déni de démocratie ». </p>
<p>Cet épilogue est aussi symptomatique de la difficile entente entre l'exécutif et le parlement depuis l'issue des élections législatives des 12 et 19 juin 2022. Au moment des comptes, les députés soutenant l’action du président de la République ne sont alors que 248 à l’Assemblée nationale, élus sous les étiquettes LREM, Modem et Horizons. Ils n’ont donc pas la majorité absolue, celle-ci étant de 289 sièges. Cette Assemblée élue au scrutin majoritaire à deux tours a des allures d’assemblée élue à la proportionnelle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1636372971018133504"}"></div></p>
<p>La situation politique est donc assez exceptionnelle : jusque-là, dans l’histoire de la V<sup>e</sup> République, une majorité nette se dégageait toujours à l’issue des élections législatives, soit qu’elle était favorable au président de la République, soit qu’elle ouvrait la voie à une cohabitation (1986, 1993, 1997), marginalisant certes temporairement le président, mais n’empêchant pas l’adoption des textes à l’Assemblée.</p>
<p>Le débat sur la réforme des retraites a de surcroît démontré les divisions à droite sur le texte, qui a forcé le recours au 49.3. </p>
<h2>Deux précédents ?</h2>
<p>Deux précédents sont souvent invoqués comme étant proches de la situation actuelle : celui de 1958 et celui de 1988. En 1958, à l’issue des élections législatives qui précèdent l’élection de Charles de Gaulle à la présidence de la République par le collège des grands électeurs, la nouvelle formation gaulliste, l’Union pour la nouvelle République (UNR), n’a pas la majorité absolue, avec un peu moins de 200 députés sur 465 (en métropole).</p>
<p>En 1988, après la <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/139367-declaration-televisee-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republi">dissolution prononcée par François Mitterrand</a>, qui avait déclaré lors de sa traditionnelle ascension de la roche de Solutré : « Il n’est pas sain qu’un seul parti gouverne… Il faut que d’autres familles d’esprit prennent part au gouvernement de la France », le groupe socialiste n’atteint pas le seuil des 289 élus. Mais ces deux situations sont en fait très différentes.</p>
<p>Alors qu’en 2022 les députés d’opposition manifestent, quelle que soit leur étiquette, un anti-macronisme exacerbé, les élections législatives de 1958 avaient été, au contraire, marquées par le « gaullisme universel ». Des députés se disaient gaullistes, même élus <a href="https://books.google.fr/books/about/Histoire_du_gaullisme.html?id=kA6HQgAACAAJ&redir_esc=y">sous une autre étiquette</a>.</p>
<p>Le premier président de la V<sup>e</sup> République n’eut donc pas de mal à trouver une majorité, d’abord grâce au soutien de la droite indépendante puis, alors qu’évolue sa <a href="https://www.cairn.info/la-politique-etrangere-du-general-de-gaulle--9782130389200-page-148.htm">politique algérienne</a>, grâce à des voix venues de la gauche. Le 2 février 1960, après la semaine des barricades, les députés de gauche (sauf les communistes) s’associent à l’UNR, au Mouvement républicain populaire (centriste, démocrate-chrétien) et à une partie des indépendants pour voter au gouvernement les pouvoirs spéciaux qu’il demande, tandis que 75 élus de droite et d’extrême droite votent contre.</p>
<p>En 1988, il ne manque que 14 voix <a href="https://www.cairn.info/michel-rocard-premier-ministre--9782724625608-page-71.htm">au gouvernement de Michel Rocard</a> pour faire voter ses textes, et non 40. Avec les 25 députés communistes, la gauche est majoritaire à l’Assemblée, même si Michel Rocard est loin d’être assuré de leur soutien. L’opposition RPR (Rassemblement pour la République)-UDF (Union pour la démocratie française)-UDC (Union du Centre) compte 262 députés, dont 40 centristes parmi lesquels le Premier ministre peut espérer trouver des appuis selon les textes présentés.</p>
<p>Quant aux 15 non-inscrits, dont 6 élus d’outre-mer, leurs votes sont imprévisibles. Guy Carcassonne, agrégé de droit public et membre du cabinet du Premier ministre, joue un rôle essentiel dans la négociation permanente entre le gouvernement et le Parlement, sans qu’un contrat de gouvernement explicite ne soit conclu. Son travail consiste à s’assurer, texte après texte, que le gouvernement disposera d’une majorité, tantôt grâce au vote ou à l’abstention communiste, tantôt grâce aux voix ou au refus d’obstruction de centristes ou non-inscrits. Guy Carcassonne invente le vocable de « majorité stéréo ».</p>
<h2>L’article 49.3</h2>
<p>Ces deux gouvernements avaient la possibilité d’utiliser sans limitation l’article 49.3 de la Constitution, ainsi initialement rédigé :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée. »</p>
</blockquote>
<p>Les anciens présidents du conseil Pierre Pflimlin et Guy Mollet, bons connaisseurs de l’instabilité ministérielle de la IV<sup>e</sup> République, avaient poussé en ce sens. Charles de Gaulle et Michel Debré en firent usage en novembre 1959 puis durant l’hiver 1960 à propos de la loi instituant la <a href="https://archives.assemblee-nationale.fr/1/cri/1960-1961-ordinaire1/006.pdf">force de dissuasion nucléaire</a>. Michel Rocard l’utilisa à vingt-huit reprises.</p>
<p>Mais, désormais, la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2016-3-page-e1.htms">révision constitutionnelle de juillet 2008</a> en limite l’usage à <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/jean-jacques-urvoas-la-ve-republique-n-est-pas-morte-20220624">cinq fois</a> par an :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »</p>
</blockquote>
<h2>L’appel au « compromis » : des précédents historiques ?</h2>
<p>L’obtention d’une majorité permettant de voter les textes proposés par le gouvernement semble donc délicate. Pour sortir de cette situation, depuis le 19 juin 2022, se multiplient les appels au « compromis ». Ce « compromis » exclurait les extrêmes, comme l’a montré une déclaration du président de la République le 25 juin <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/remaniement/emmanuel-macron-conforte-elisabeth-borne-et-la-charge-de-former-un-nouveau-gouvernement_5221861.html">envisageant un gouvernement allant des communistes aux « Républicains » de LR</a>, sans les élus de LFI et du Rassemblement national.</p>
<p>Les références historiques existent. <a href="https://books.google.fr/books/about/La_troisi%C3%A8me_R%C3%A9publique.html?id=1DKgAAAAMAAJ&redir_esc=y">Sous la IIIᵉ République</a>, après « l’Union sacrée » en 1914 (où les socialistes, suivis des catholiques étaient entrés au gouvernement Painlevé), les gouvernements Poincaré, en 1926, et Doumergue, en 1934, apparaissent comme des gouvernements de compromis, plus que d’Union nationale, puisque les marxistes (socialistes et communistes) en sont exclus.</p>
<p>Le Gouvernement provisoire de la République (1944-1946) réunit communistes, socialistes, radicaux, MRP, excluant les formations de droite trop marquées par Vichy. Le dernier gouvernement de la IV<sup>e</sup> République, présidé par Charles de Gaulle, rassemble des ministres issus des différents partis politiques, à l’exclusion des extrêmes, poujadistes et communistes.</p>
<p>Mais ces gouvernements de compromis n’ont pu être fondés que dans des circonstances exceptionnelles : l’entrée dans la Première Guerre mondiale ; la panique financière de 1926 après <a href="https://www.lhistoire.fr/cartel-des-gauches-les-le%C3%A7ons-dun-%C3%A9chec">l’échec du Cartel des gauches</a> ; les <a href="https://www.parislibrairies.fr/livre/9782070293193-le-6-fevrier-1934-serge-berstein/">manifestations du 6 février 1934</a> perçues comme une tentative de coup de force contre le régime ; la fin de la Seconde Guerre mondiale, la chute du régime de Vichy et la nécessaire reconstruction de la France ; la crise algérienne et l’impuissance de la IV<sup>e</sup> République à la résoudre.</p>
<p>En dépit des difficultés que connaît la France actuellement, la situation est-elle comparable à ces crises ?</p>
<h2>Une culture politique de l’affrontement</h2>
<p>Rappelons que les compromis d’alors ont été de courte durée. En 1917, le parti socialiste abandonne l’Union sacrée. En 1928, le parti radical, après avoir exclu de ses rangs <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/3134">Franklin-Bouillon</a> et ses partisans qui souhaitaient faire de « l’unionisme » une formule permanente, rompt « l’Union nationale » au congrès d’Angers.</p>
<p>De nouveau, en janvier 1936, les radicaux mettent fin à l’expérience initiée en 1934 pour se reclasser à gauche avec le « Front populaire ». De Gaulle démissionne de la présidence du GPRF en 1946 et les socialistes quittent le gouvernement fin 1958 après la mise en place de la V<sup>e</sup> République ; après la résolution de la crise algérienne, ils se retrouveront même dans le « Cartel des non » hostile à de Gaulle.</p>
<p>C’est que le compromis semble étranger à une certaine culture politique française. Celle-ci valorise la confrontation, l’affrontement. Pour être élu au scrutin majoritaire à deux tours, le plus usité sous les III<sup>e</sup> et V<sup>e</sup> Républiques, il faut « battre » ses adversaires. Le débat parlementaire porte par définition en <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2010-2-page-18.htm.">lui-même une part de violence</a></p>
<p>Et il n’est pas si éloigné le temps où, dans la rue, « gaullistes d’ordre » ou membres d’Occident se confrontaient aux « gauchistes ». Un compromis politique durable, découlant d’une situation ne s’apparentant pas à une crise aiguë, marquerait incontestablement une nouveauté dans l’histoire politique française contemporaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185879/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Nivet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le compromis n'aura pas eu lieu et le gouvernement a finalement choisi de recourir à l'article 49.3 pour faire éviter un vote sur la réforme des retraites.Philippe Nivet, Historien, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1855542022-06-22T21:04:33Z2022-06-22T21:04:33ZAprès le bouleversement des législatives, quelle place pour le Sénat ?<p>Anomalie démocratique, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2004-0-page-33.htm">« assemblée du seigle et de la châtaigne »</a>, réunion de notables ou de privilégiés, les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/dimanche-et-apres/les-senateurs-indispensables-ou-depasses-9704730">qualificatifs négatifs</a> ne manquent pas pour désigner le Sénat, seconde chambre méconnue du Parlement.</p>
<p>Cette image, peu flatteuse, est liée à son <a href="http://www.senat.fr/role/senate.html">mode d’élection</a>. Les 348 sénateurs du Palais du Luxembourg sont en effet élus au suffrage universel indirect par un collège électoral composé essentiellement de délégués des conseils municipaux, ce qui explique, pour partie, sa composition politique majoritairement à droite et qu’il soit qualifié de « Grand conseil des communes de France ».</p>
<p>Or, au vu de la crise politique que traverse la France, l’attention politique pourrait bien désormais se porter sur les sénateurs de droite, qui, pour certains observateurs seraient les <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19507-quest-ce-quun-senateur-quel-est-le-role-dun-senateur">grands gagnants</a> de cette élection législative.</p>
<p>Au vu des défis qui s’annoncent pour le prochain quinquennat, il est important de revenir sur les prérogatives du Sénat ainsi que sur son rôle qui pourrait bien être renforcé et, dans le même temps et de façon inédite, affaiblir la verticalité du pouvoir.</p>
<h2>Deux principales missions</h2>
<p>Classiquement, le Sénat dispose de deux principales attributions : le contrôle du gouvernement et le vote de la loi. Celles-ci lui permettent d’être une chambre d’opposition, de modération et de contre-pouvoir.</p>
<p>Tout d’abord, la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19582-revision-du-23-juillet-2008-un-changement-de-republique">révision constitutionnelle du 23 juillet 2008</a> de modernisation des institutions attribue expressément au Parlement les fonctions de contrôle du gouvernement et d’évaluation des politiques (art. 24). Ce contrôle sur le gouvernement s’effectue en séance notamment par le biais des questions (orales ou écrites) posées aux membres du gouvernement.</p>
<p>D’ailleurs, les sénateurs n’hésitent à poser des questions écrites, orales ou d’actualité (leur nombre a été en forte augmentation avec <a href="https://www.senat.fr/dossiers-legislatifs/depots/depots-2020.html">580 questions</a> pour la session 2020-2021) pour contrôler l’action gouvernementale mais également alerter l’opinion publique.</p>
<p>Par exemple, les sénateurs et sénatrices ont posé des questions sur la <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2020/qSEQ200717281.html">surpopulation carcérale</a>, la <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210623378.html">transparence des prix des médicaments</a> ou encore sur le dispositif <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ21111932S.html">Parcoursup</a>.</p>
<p>Cette mission de contrôle s’exerce aussi par le biais des délégations ou commissions. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs eu un fort retentissement médiatique. On se souvient sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron de la « mission d’information sur les conditions dans lesquelles des personnes n’appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l’exercice de leurs missions de maintien de l’ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements », dites <a href="https://www.senat.fr/rap/r18-324/r18-3240.html">« commission Benalla »</a> qui a fait couler beaucoup d’encre et élevé à leur paroxysme les tensions entre <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/200219/affaire-benalla-le-rapport-du-senat-met-directement-en-cause-l-elysee">l’Élysée et le Sénat en 2018</a>.</p>
<p>Cette commission d’enquête a eu des répercussions importantes tant sur le plan politique que juridique. En mettant en lumière de nombreux dysfonctionnements, cette commission a indirectement <a href="https://blog.juspoliticum.com/2018/09/23/laffaire-benalla-et-la-constitution-le-senat-organe-de-controle-politique-de-lexecutif/">remis en cause</a> la responsabilité du Président de la République et a permis la création de la Direction de la sécurité de la présidence de la République l’année suivante.</p>
<p>Plus récemment, les sénateurs ont enquêté sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés et autres acteurs du secteur privé sur les politiques publiques (<a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/04/06/affaire-mckinsey-le-parquet-national-financier-a-ouvert-une-enquete-preliminaire-pour-blanchiment-aggrave-de-fraude-fiscale_6120839_823448.html">qui a donné lieu à l’« affaire McKinsey »</a>) et suscité des interrogations relatives à la gestion par le gouvernement de la crise du Covid-19. Ces différentes initiatives attestent que le rôle du Sénat est important pour contrôler l’action du gouvernement et mettre à jour, à la manière d’un lanceur d’alerte, certains manquements.</p>
<h2>Un pouvoir législatif non négligeable</h2>
<p>Ensuite, le Sénat dispose du pouvoir législatif et, à ce titre, il vote et peut être à l’initiative des lois. Dans ce domaine, la Haute chambre joue également un rôle très important puisqu’il intervient, le plus souvent (sauf pour certains textes où le Sénat doit obligatoirement être saisi prioritairement à l’instar des lois visant les collectivités territoriales en application de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241026">l’article 39</a> de la Constitution) en seconde lecture.</p>
<p>Étant saisi en second dans le cadre de la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19521-quelles-sont-les-etapes-du-vote-dune-loi">navette parlementaire</a> (transmission et examen des projets et propositions de loi), les sénateurs et sénatrices voient arriver un texte déjà discuté, qu’ils peuvent perfectionner, amender.</p>
<p>C’est d’ailleurs une des qualités unanimement reconnues à la Haute chambre, celle de participer à l’amélioration de la loi. Chambre de réflexion, le Sénat, ne joue d’ailleurs pas toujours un rôle de simple opposant politique.</p>
<p>Sur la période 2020-2021, on peut s’apercevoir que trois textes sur quatre ont été adoptés dans les mêmes termes par les deux chambres. Cependant, il peut également se révéler être un contre-pouvoir offensif en refusant, même après la réunion d’une commission mixte paritaire, l’adoption de certains textes comme la loi relative à la bioéthique ou le projet de loi relatif au système universel de retraite, adopté grâce à l’utilisation de l’article 49.3 à l’Assemblée nationale mais qui a ensuite été abandonné.</p>
<p>Ce dernier exemple montre que le gouvernement peut neutraliser la seconde chambre en donnant le dernier mot à l’Assemblée nationale ce qui n’est pas le cas dans le cadre des révisions constitutionnelles.</p>
<h2>Un pouvoir absolu de blocage</h2>
<p>Le Sénat dispose, en effet, d’un pouvoir absolu de blocage en cas de désaccord concernant une révision constitutionnelle alors même qu’il ne peut être atteint par une dissolution, l’exécutif ne disposant de cette arme que face à l’Assemblée nationale en application de l’article 12 de la Constitution.</p>
<p>Inscrite à l’article 89 de la Constitution, la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/la-revision-de-la-constitution">procédure de révision</a> comprend trois phases : l’initiative, l’adoption et l’adoption définitive. S’agissant de l’initiative, elle relève soit de l’exécutif (le Premier ministre propose un projet de révision au Président de la République) soit des parlementaires (il s’agira alors d’une proposition de révision).</p>
<p>Ensuite, chaque assemblée doit adopter, le projet ou la proposition, en termes identiques. A ce stade, il faut bien souligner que contrairement au vote classique de la loi, le gouvernement ne peut ni utiliser l’article 49.3 ni donner le dernier mot à l’Assemblée nationale. On comprend dès lors que le Sénat a la possibilité, dès cette seconde phase, d’empêcher une révision constitutionnelle.</p>
<p>Si le vœu de révision est adopté en termes identiques, le référendum est la seule voie possible d’adoption définitive concernant les propositions de révision. S’il s’agit d’un projet, le Président peut le soumettre également au référendum ou contourner la voie de la démocratie directe en réunissant les deux assemblées en Congrès qui devront l’adopter à la majorité des 3/5<sup>e</sup> des suffrages exprimés soit un minimum de 555 votes favorables.</p>
<p>Cette procédure permet donc au Sénat de bloquer les révisions constitutionnelles ce qu’il a encore fait récemment en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/07/06/climat-dans-la-constitution-le-senat-persiste-a-refuser-le-terme-garantit_6087154_823448.html">réécrivant</a> le projet de révision de l’article 1<sup>er</sup> de la Constitution qui avait pour objet d’introduire la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique au rang des principes républicains ou encore en refusant en 2016 le projet présidentiel de la <a href="https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201602/inscrire_letat_durgence_et_la_decheance_de_nationalite_dans_la_constitution.html">déchéance de nationalité</a>.</p>
<p>Au regard de ses <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2016-4-page-5.htm">pouvoirs cités plus haut</a>, de sa composition politique et des résultats des législatives, le Sénat aura sans doute un rôle nettement décisif.</p>
<p>Si les LR perdent de nombreux sièges à l’Assemblée nationale, ils n’en sont pas moins courtisés par la majorité présidentielle comme l’a démontrée la sortie médiatique de Bruno Rétailleau. La Haute chambre, avec ses 146 sénateurs et sénatrices et son président Gérard Larcher pourrait très bien être amené à jouer un <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/la-presidence-de-la-commission-des-finances-doit-revenir-au-rn-larcher-defend-le-respect-pour-les-elus-de-le-pen_AN-202206220138.html">rôle clef</a> dans les négociations à suivre.</p>
<p>Dès lors, s’ouvre pour le Sénat une nouvelle période au sein de laquelle sa qualification de point d’équilibre des institutions prend, à nouveau, tout son sens.</p>
<hr>
<p><em>A paraître, <a href="https://credespo.u-bourgogne.fr/toute-lactualite/808-le-senat-acteur-meprise-de-la-5e-republique.html">Le Sénat de la Vᵉ République, acteur méprisé ? Actes du colloque</a> qui s’est tenu au Palais du Luxembourg, les 21 et 22 octobre 2022, Dir. Nathalie Droin et Aurore Granero, à paraître aux éditions IFJD, Coll. Colloques et essais.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Granero est membre de l'Observatoire de l'éthique publique. </span></em></p>Si l’actualité politique se focalise sur l’Assemblée nationale, une autre partie pourrait se jouer à la seconde chambre du Parlement, le Sénat.Aurore Granero, Maître de conférence HDR en droit public, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1848532022-06-16T20:41:33Z2022-06-16T20:41:33ZLe centre attrape-tout d’Emmanuel Macron<p>Lors d’une interview sur France Culture (18 avril 2022), Emmanuel Macron qualifia son projet politique d’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/emmanuel-macron-grand-entretien-sur-la-culture-et-les-idees-5924030">« extrême centre »</a>, par opposition aux deux autres blocs politiques. Le macronisme a-t-il trouvé là sa définition ?</p>
<p>Dans <em>L’extrême-centre ou le poison français, 1789-2019</em>, l’historien <a href="http://www.champ-vallon.com/lextreme-centre-ou-le-poison-francais/">Pierre Serna</a>, rappelait comment les « matrices des politiques possibles » avaient toutes étés inventées durant la période révolutionnaire. En effet, le centre politique n’existerait pas sans la droite et la gauche, soit des catégorisations politiques nées d’une pratique d’assemblée et d’une topographie parlementaire apparues à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle. Le philosophe Marcel Gauchet a quant à lui <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Les-Lieux-de-memoire">bien démontré</a> le rôle de l’offre politique et sa structuration historique.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/468740/original/file-20220614-16-g1c5ap.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Estampe du XVIII illustrant le roi de France acceptant la Constitution française" src="https://images.theconversation.com/files/468740/original/file-20220614-16-g1c5ap.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468740/original/file-20220614-16-g1c5ap.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468740/original/file-20220614-16-g1c5ap.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468740/original/file-20220614-16-g1c5ap.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468740/original/file-20220614-16-g1c5ap.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468740/original/file-20220614-16-g1c5ap.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468740/original/file-20220614-16-g1c5ap.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le Roi acceptant la Constitution, au milieu de l'Assemblée Nationale le 14 Septembre 1791. Palais des Tuileries. Salle de Théâtre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/le-roi-aceptant-la-constitution-au-milieu-de-lassemblee-nationale-le-14-septembre-e07adc">BNF/RMN</a></span>
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<p>C’est notamment avec le débat sur l’octroi du veto au roi que <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/collection/10.asp">l’hémicycle</a> s’est départagé entre sa partie gauche (hostile au veto royal) et sa partie droite (favorable au veto). </p>
<p>Si la Révolution refusait alors le clivage droite/gauche au nom de la souveraineté nationale, de l’expression unanimiste d’une Nation tendue vers le gouvernement de la Raison, c’est véritablement sous la Restauration que la géographie gauche-droite a été scellée avec la constitution d’un parti ultra(royaliste), défenseur du caractère sacré de la royauté.</p>
<h2>Le début d’un système de positions fixes</h2>
<p>C’est alors le début d’un système de positions fixes qui se réunit au gré des élections et des renouvellements au sein de l’espace parlementaire, avant que le clivage droite ne se généralise à l’ensemble du pays, pour se penser et se situer en politique, avec le surgissement de <a href="https://www.cairn.info/l-affaire-dreyfus--9782707171672.htm">l’affaire Dreyfus</a> à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Il faut également remonter à la période révolutionnaire pour trouver de très de nombreux députés de la Convention siéger au sein de la Plaine (aussi appelé Marais) en référence à sa position au centre et en bas de l’hémicycle, par opposition aux Montagnards assis sur les bancs en haut et à gauche de l’hémicycle. Ces très nombreux députés, le plus souvent issus de la bourgeoisie libérale et républicaine, sont attachés aux conquêtes de 1789 (se démarquant des monarchistes) tout en refusant les excès révolutionnaires des Montagnards.</p>
<p>Considérant ce système de position, l’entreprise politique contemporaine de conquête et d’exercice du pouvoir <a href="https://theconversation.com/le-bilan-demmanuel-macron-agenda-neo-liberal-et-pragmatisme-face-aux-crises-178671">d’Emmanuel Macron</a> s’apparente bien à l’idée de centre, soit une force politique à la fois centrale et intercalée se présentant sous le jour d’un rassemblement de Républicains modérés.</p>
<h2>Une nouvelle Troisième Force</h2>
<p>Le macronisme occupe d’autant mieux cette position centrale qu’il a ressuscité des logiques tripartites observées au cours des précédentes républiques parlementaires, lorsque la formation de blocs centraux visait, entre autres choses, à neutraliser les ailes « indésirables ». On pense ainsi au cabinet de <a href="https://www.cairn.info/les-droits-en-france--9782130555148.htm">Jules Méline (1896-1898)</a>, union de modérés écartant aussi bien les tenants à droite d’un déracinement de la République que les ennemis à l’extrême gauche de l’ordre social libéral ; ou à la coalition de la Troisième force, sous la IV<sup>e</sup> République, ayant pour dessein d’écarter du pouvoir aussi bien les communistes que les gaullistes.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/468737/original/file-20220614-18-opw2v5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Portrait de Jules Méline homme politique sous la IIIᵉ République" src="https://images.theconversation.com/files/468737/original/file-20220614-18-opw2v5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468737/original/file-20220614-18-opw2v5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468737/original/file-20220614-18-opw2v5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468737/original/file-20220614-18-opw2v5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468737/original/file-20220614-18-opw2v5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468737/original/file-20220614-18-opw2v5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468737/original/file-20220614-18-opw2v5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Jules Méline, homme politique sous la IIIᵉ République, ministre de l’Agriculture en 1883 sous le deuxième gouvernement Ferry.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_M%C3%A9line#/media/Fichier:Jules_M%C3%A9line_1898.jpg">BNF/Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Cette tripartition contemporaine prend à revers le dualisme institué sous la V<sup>e</sup> République, chaque force politique étant ici conduite, par son idéologie et/ou par ses alliances, à s’ancrer dans le camp de la droite ou dans celui de la gauche.</p>
<p>En 2022, plus encore qu’en 2017, cet attelage de sensibilités dites « modérées » aime à se présenter comme le seul rempart efficace face à l’hypothèse d’une gauche radicale rangée derrière Jean-Luc Mélenchon d’un côté et d’une <a href="https://theconversation.com/dune-extreme-droite-a-lautre-geographie-des-votes-zemmour-et-le-pen-182615">droite nationale de l’autre</a>.</p>
<p>En contribuant à déplacer plus à gauche et plus à droite les alternatives politiques, affaiblissant du même coup le PS, l’UDI et LR (et ralliant leurs dissidents), la majorité présidentielle en vient à les assimiler quant au danger qu’elles constitueraient pour la France. Là où nous étions déjà habitués à la logique <a href="https://www.cairn.info/les-systemes-de-partis-dans-les-democraties-occide--978272461055.htm">anti-cartel</a> du RN, <a href="https://www.lepoint.fr/debats/umps-25-07-2011-1355972_2.php">dénonçant l’UMPS</a> sur le registre du bonnet blanc et du blanc bonnet, c’est désormais une majorité modérée qui en vient à endosser le <a href="https://www.lesechos.fr/elections/legislatives/duels-rn-nupes-le-camp-macron-peine-a-arreter-une-ligne-1412865">discours des équivalences</a>, justifiant ainsi le refus des consignes de vote au second tour des élections législatives.</p>
<p>C’est de plus en plus ce rapport à l’extérieur qui nourrit la cohérence de la majorité présidentielle tant son accordéon politique interne se déplie, et alimente les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/11/elections-legislatives-2022-la-recomposition-politique-se-confirme_6129798_823448.html">candidatures dissidentes se réclamant de la majorité présidentielle</a> aux élections législatives de juin 2022.</p>
<h2>« Gouverner au centre » : l’exemple Giscard</h2>
<p>Au jeu des comparaisons et des analogies, il a pu être tentant de rapprocher Emmanuel Macron de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, tous deux énarques, Inspecteurs des Finances, jeunes ministres en charge de l’économie et élus présidents de la République à un âge inhabituellement jeune. Porteurs (ou se présentent comme tels) d’une expertise économique et libérale, ils ont été confrontés durant leur mandat à un choc exogène et perturbateur (<a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2004-4-page-83.htm">l’après-crise pétrolière</a> pour l’un, le Covid pour l’autre). Une analogie supplémentaire concerne <a href="https://www.u-picardie.fr/curapp-revues/root/11/lehingue.pdf">leur stratégie de conquête du pouvoir</a>. Dans son discours de Charenton (8 octobre 1972), VGE avait comparé la société française à un « grand groupe central avec des ailes » et déclaré « La France souhaite être gouvernée au centre. » Cela signifiait-il « être gouvernée par les centristes » ?</p>
<p>Représentant d’une droite orléaniste modérée et progressiste, son « centrisme » ressort <a href="https://www.cairn.info/les-grandes-figures-de-la-droite--9782262088101-page-351.html">incertain</a>. Mais il sait en tout état de cause rallier les forces centristes, comme le Centre démocrate fondé par Jean Lecanuet en 1966 (après sa candidature à l’élection présidentielle) pour conquérir le pouvoir au détriment de l’héritier du gaullisme, Jacques Chaban-Delmas. C’est après le scrutin présidentiel de 1974 que le Centre se retrouvera presque systématiquement allié avec la droite.</p>
<p>Emmanuel Macron semble avoir fait le même pari pour sa première élection présidentielle de 2017, prétendant gouverner au centre sans être lui-même une parfaite incarnation centriste. De même, il réussit à mobiliser le centre par l’entremise et grâce au <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/francois-bayrou/presidentielle-2017-francois-bayrou-renonce-et-soutient-emmanuel-macron_2069455.html">soutien de François Bayrou</a>, celui qui n’a jamais été homme de gauche, mais a su réaffirmer une autonomie centriste au moyen de sa <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/l-antisarkozysme-visceral-de-francois-bayrou_1107951.html">critique du sarkozisme</a>.</p>
<h2>Le centrisme introuvable d’Emmanuel Macron</h2>
<p>Une manière commode de conclure à ce qu’Emmanuel Macron n’est pas un centriste est de rappeler qu’il n’a lui-même jamais revendiqué cette étiquette, pas davantage qu’il n’a convoqué les figures centristes du passé dans la présentation de soi (de Jean Lecanuet à Jacques Delors). Au demeurant, n’a-t-il pas revendiqué son ubiquité politique, tantôt de droite, tantôt de gauche, plutôt qu’un centrisme invariant ?</p>
<p>Étalonner Emmanuel Macron sur l’échelle du centrisme supposerait de pouvoir se doter préalablement d’une définition sans équivoque du centrisme, quand son expression ressort contingente des époques et des configurations historiques, multiple et pluraliste. Elle peut aussi bien déborder au centre gauche (social-démocratie ouverte au marché) qu’au centre droit (droite humaniste et sociale), ou correspondre à un centrisme écologique explicitement revendiqué par <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/nous-avons-le-devoir-de-batir-une-ecologie-centrale">l’Union des centristes et des écologistes (UDE)</a>, ou <a href="https://ecologieaucentre2022.fr/">« L’Écologie au centre »</a>, anciennement Alliance écologiste indépendante. Mais son incarnation la plus forte est à rechercher du côté de la démocratie-chrétienne (du MRP à François Bayrou).</p>
<h2>Une juxtaposition d’héritages et d’influences</h2>
<p>Avec Emmanuel Macron, nous avons ainsi davantage affaire à une juxtaposition – savante ou bricolée ? – d’héritages et d’influences multiples. Si l’écologie politique est quasi-absente, l’identité démocrate-chrétienne apparaît ténue, malgré le compagnonnage intellectuel revendiqué avec le philosophe Paul Ricœur, <a href="https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_2003_num_76_1_2406">ancien président du mouvement du christianisme social</a>.</p>
<p>Le social-libéralisme ressort <em>a contrario</em> de manière plus marquée, les inclinaisons libérales d’Emmanuel Macron le portant vers un capitalisme entrepreneurial davantage que d’héritiers. Elles sont également observées du côté de sa vision du secteur public, avec une pensée administrative et des réformes institutionnelles sous influence de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2015-1-page-5.htm">l’anglosphère</a> et du <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-6-page-26.htm">New public management</a>. Ce qu’illustrent aussi bien l’extension l’introduction législative des contrats de projet (recrutement d’agents publics en CDD pour réaliser un projet ou une opération en particulier) que sa vision de l’éducation nationale (transformer les directeurs d’établissements scolaires en véritables managers selon le credo <em>let the managers manage</em>, mise en cause des concours nationaux comme porte d’entrée dans le métier d’enseignant).</p>
<h2>Une verticalité du pouvoir assumée</h2>
<p>Autant Emmanuel Macron peut convoquer différentes traditions, toutes congruentes avec l’idée de modération qui sied au centre, autant <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/08/le-general-de-gaulle-grand-inspirateur-d-emmanuel-macron_6065561_3232.html">l’héritage gaullien qu’il revendique</a> prend à revers l’histoire du centre. Au-delà des inimitiés conjoncturelles entre De Gaulle et les notables centristes, les forces politiques du centre répugnent à la dimension centraliste, verticale, voire autoritaire du pouvoir, autant d’attributs qui se retrouvent condensés dans l’expression de « présidence jupitérienne », supposée qualifier un style d’exercice du pouvoir.</p>
<p>Cette verticalité se retrouve dans le fonctionnement politique de sa majorité. Traditionnellement, les forces politiques centristes connaissent un modèle d’autorité politique personnelle et décentralisée, une <a href="http://www.afsp.msh-paris.fr%E2%80%BAcollhistscpo04">« démocratie des notables" sans organisation forte pour reprendre la vulgate duvergérienne du parti de cadre, qu’il convient de nuancer</a>. Si l’organisation politique n’est pas massive dans le cas de LREM/Renaissance, l’appareil relève bien en revanche d’une supervision centraliste (et présidentielle) qui joue d’autant plus que les grands notables locaux font et continuent de faire défaut à la suite des échecs électoraux aux scrutins intermédiaires.</p>
<p>C’est finalement sur un soutien indéfectible à la construction européenne que tradition centriste et macronisme se rejoignent de la manière la plus forte.</p>
<h2>Un président transformiste</h2>
<p>Au pluralisme de la majorité présidentielle (allant de la social-démocratie jusqu’aux gaullistes modérés) répond l’art du transformisme présidentiel (en référence au <em>performer</em> qui change plusieurs fois de costumes sur scène).</p>
<p>Si les circonstances (Gilets jaunes, Covid) expliquent et commandent des adaptations (report de la réforme des retraites, dépense publique), il n’est pas rare que la stratégie et le calcul politiques l’emportent sur le reste. L’agenda et les prises de parole d’Emmanuel Macron se sont réajustées à mesure que son électorat a glissé vers la droite (ce qui ressortait notamment d’une <a href="https://www.ifop.com/publication/les-indices-de-popularite-juillet-2021/">enquête IFOP-JDD</a> publiée en juillet 2021), allant jusqu’à accorder une interview exclusive au magazine de la droite ultra conservatrice <em>Valeurs actuelles</em>. Son libéralisme culturel sur les questions d’identité, de laïcité, d’immigration ou de dépénalisation des drogues « douces » recule. Mais lorsque le contexte électoral le presse d’envoyer des signes aux électeurs de gauche, il n’hésite pas à promouvoir Pap Ndiaye au poste de ministre de l’Éducation nationale, soit l’exact opposé de son prédécesseur Jean-Michel Blanquer en termes d’image et de symboles (car il faudra attendre pour pouvoir juger des politiques). C’est ainsi un centrisme attrape-tout auquel nous avons affaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184853/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Frinault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La cohérence de la majorité présidentielle se définit de plus en plus par rapport à l’extérieur, tandis qu’elle jongle en interne entre ses différentes chapelles.Thomas Frinault, Maître de conférences en science politique, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1849492022-06-13T19:13:28Z2022-06-13T19:13:28ZLégislatives, l’élection de la rupture ?<p>En plaçant à quasi-égalité la majorité présidentielle et la principale force d’opposition la Nupes, les résultats du premier tour des élections législatives de 2022 – dont le décompte pose certes des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/13/legislatives-2022-nupes-ou-ensemble-en-tete-du-scrutin-les-raisons-de-la-divergence-entre-le-monde-et-le-ministere-de-l-interieur_6130066_823448.html">questions méthodologiques</a> – marquent une certaine rupture par rapport à la tradition électorale qui s’est instaurée 20 ans plus tôt.</p>
<p>En effet, en 2002, la réduction à cinq ans du mandat présidentiel et l’inversion du calendrier électoral (qui, initialement, aurait dû conduire à organiser les <a href="https://www.cairn.info/institutions-elections-opinion--9782724616101-page-119.htm">législatives avant la présidentielle</a>) ont donné une fonction particulière à un scrutin qui survient quelques semaines seulement après le moment majeur et décisif de la vie politique française : l’élection présidentielle.</p>
<p>Les électeurs sont invités à confirmer leur vote précédent et, de fait, à amplifier le résultat de l’élection présidentielle. Depuis 2002, ils ont donc toujours envoyé à l’Assemblée nationale une large majorité pour le président. Cela avait déjà été le cas en 1981, lorsque le nouveau président, François Mitterrand, dissout l’Assemblée nationale élue en 1978 alors dominée par la droite.</p>
<h2>L’accent parlementaire de la France</h2>
<p>Cette concordance entre majorité présidentielle et majorité parlementaire renforce la nature présidentialiste du <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100761880">régime politique en France</a>, en donnant au président de la République les mains libres pour constituer son gouvernement et conduire sa politique. <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/comment-la-constitution-organise-t-elle-la-cohabitation">Elle a évité depuis vingt ans</a> la pratique de la cohabitation, qui a eu lieu à la suite d’élections législatives organisées cinq ans (en 1986 et en 1993) ou deux ans (en 1997) après une élection présidentielle.</p>
<p>La cohabitation rappelle que la nature constitutionnelle de la V<sup>e</sup> République <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quelle-est-la-place-du-parlement">reste parlementaire</a> : lorsque la majorité à l’Assemblée nationale s’oppose au président de la République, c’est bien elle – et non le président de la République – qui inspire la constitution et la politique du gouvernement.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/la-politique-en-france--9782707154446-page-363.htm">Les conclusions négatives</a> que Lionel Jospin comme Jacques Chirac avaient tirées de l’expérience d’une longue cohabitation (1997-2002) les avaient conduits à privilégier la lecture présidentialiste des institutions et à donner aux législatives leur nouveau statut : celui d’élections secondes, voire secondaires.</p>
<h2>Une mobilisation inégale de l’électorat</h2>
<p>Si ce calendrier électoral conduit à amplifier le résultat de l’élection présidentielle, c’est essentiellement en raison d’une mobilisation inégale de l’électorat. Les électeurs du vainqueur de la présidentielle se rendent davantage aux urnes pour les législatives que ceux des perdants, qui soit ne croient plus à la victoire soit ne veulent pas bloquer les institutions en imposant au Président légitime une nouvelle cohabitation : c’est notamment <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/1er-tour-legislatives-2017-sociologie-des-electorats-et-profil-des-abstentionnistes">ce qui s’est produit</a> lors des élections législatives de 2017.</p>
<p>Depuis que les législatives se situent dans la foulée des présidentielles, l’abstention y bat des records. En 1981 déjà, elle s’élevait à 30 % quand, trois ans plus tôt, elle n’atteignait que 17 %. Et alors qu’en 1986, 1993 ou 1997, elle restait maintenue en dessous du tiers des inscrits, <a href="https://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/vie-politique-et-associative/participationvote">elle progresse sans cesse depuis 2002</a> – jusqu’à atteindre des records, en 2017 (52 %) comme en 2022 (52,5 %). Cette abstention différentielle amplifie donc la dynamique présidentielle, de façon artificielle. En obtenant moins de voix que le vainqueur de la présidentielle, les candidats de la majorité présidentielle creusent dès le premier tour l’écart avec les autres : en 2002, 2007 et 2017, cet écart s’élevait à plus de dix points et ont garanti ainsi une victoire très large en nombre de sièges, au second tour.</p>
<p>L’élection de 2022 montre toutefois que cette mécanique ne fonctionne pas de façon systématique. Avec moins de 26 % des voix, les candidats de la majorité présidentielle, regroupés sous la bannière « Ensemble », régressent par rapport au résultat des législatives de 2017 mais aussi par rapport au score obtenu par Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle du 10 avril 2022. Ils font jeu égal avec la coalition de gauche, ce qui laisse prévoir un second tour particulièrement ouvert. Quant au Rassemblement national, ses électeurs se sont moins démobilisés qu’à l’accoutumée : avec plus de 18,5 % des voix, il enregistre son meilleur score à une élection législative, en progression de 5 points par rapport à 2017.</p>
<h2>Une dynamique cohabitationniste ?</h2>
<p>Plusieurs facteurs expliquent ce résultat incertain pour la majorité. Contrairement à ses trois prédécesseurs (Sarkozy en 2007, Hollande en 2012 et lui-même en 2017), Emmanuel Macron est dans la position d’un président réélu. Il n’incarne donc plus le changement et ne bénéficie donc pas de la <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2017-1-page-47.htm">dynamique de renouvellement</a> qui a conduit, depuis la fin des années 1970, à la multiplication et à la banalisation des alternances des élections législatives, seule la majorité élue en 2002 ayant été reconduite en 2007.</p>
<p>Ainsi, le soir même où plus de 58 % des Français l’ont réélu, une majorité d’entre eux souhaitait qu’il n’obtienne pas une majorité absolue à l’Assemblée nationale : aux yeux d’une partie non négligeable de l’électorat, le <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/legislatives-61-des-francais-ne-souhaitent-pas-qu-emmanuel-macron-dispose-d-une-majorite-absolue-a-l-assemblee-selon-un-sondage-ipsos-sopra-steria_2180021.html">spectre d’une cohabitation est un moindre repoussoir</a> que le risque d’une concentration des pouvoirs pour cinq années supplémentaires.</p>
<p>Jean-Luc Mélenchon a très tôt saisi cette évolution de l’opinion et a pleinement assumé le fait de porter une dynamique cohabitationniste – comme l’atteste cette incantation devenue slogan électoral : « Mélenchon premier ministre ».</p>
<p>L’alliance électorale des gauches, autour de la Nupes, vise de façon pragmatique à rendre possible cette cohabitation, en maximisant les chances des candidats de gauche d’être présents au second tour face à la majorité. Elle a ainsi évité la démobilisation d’un électorat qui, pour être minoritaire, pèse à peine moins que la majorité présidentielle. Les premiers pas difficiles du gouvernement, l’effacement des autres oppositions (RN et LR) de la scène médiatique ont contribué à faire du duel Macron-Mélenchon l’enjeu essentiel de la campagne électorale.</p>
<p>Dans le cadre d’un mode de scrutin majoritaire à deux tours qui se révèle de plus en plus en <a href="https://theconversation.com/quel-mode-de-scrutin-pour-quelle-democratie-179124">décalage</a> avec la structure de la vie politique, la Nupes réussit à valoriser au maximum son poids électoral : avec un plus du quart des suffrages exprimés, ses candidats sont qualifiés pour le second tour dans plus de 80 % des circonscriptions.</p>
<p>Ce duel, différent de celui qui a mis aux prises Macron et Le Pen au second tour de la présidentielle, a eu l’attrait de la nouveauté : il a aussi favorisé la mobilisation des électeurs de gauche. Les législatives de 2022 n’ont pas été des élections de confirmation du scrutin présidentiel. Elles ont plutôt constitué le troisième tour de ce scrutin.</p>
<h2>Une situation proche de 1988</h2>
<p>Cette situation rappelle les résultats des élections législatives de 1988. Comme Emmanuel Macron, François Mitterrand venait d’être réélu, avec un résultat au premier tour supérieur à celui qu’il avait obtenu lors du précédent scrutin mais autour d’une ligne programmatique assez floue. Bouleversé par l’irruption du Front national, le paysage politique ne répondait déjà plus à la structure bipolaire qui le caractérisait <a href="https://www.le-livre.fr/livres/fiche-r320094033.html">depuis les années 1960</a>.</p>
<p>Au premier tour, les candidats de l’opposition de droite et du centre, conduits par Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, font, en voix, jeu égal avec les soutiens de François Mitterrand (socialistes et radicaux de gauche pour l’essentiel). Au second tour, les socialistes n’obtiennent qu’une majorité relative de 275 sièges, ce qui obligera les gouvernements successifs (conduits par Michel Rocard, Edith Cresson et enfin Pierre Bérégovoy) à négocier tantôt avec les communistes tantôt avec les centristes pour obtenir des majorités.</p>
<p>Mais même avec une majorité relative, cette législature a pu arriver à son terme : il n’y a pas eu de crise de régime. Le premier tour des élections législatives de 2022 n’ouvre donc la voie ni à une situation totalement inédite ni à une remise en cause fondamentale des institutions de la V<sup>e</sup> République, même si le nouveau record d’abstention impose à l’évidence des réponses à la fois politiques et institutionnelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184949/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le premier tour des élections législatives de 2022 n’ouvre la voie ni à une situation totalement inédite ni à une remise en cause fondamentale des institutions de la Vᵉ République.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1801602022-04-05T18:46:04Z2022-04-05T18:46:04ZChanger de constitution pour changer de régime ?<p>Contrairement à ce que pourrait laisser penser une observation rapide du débat public à l’occasion de la prochaine élection présidentielle, la question du passage à une nouvelle République <a href="https://theconversation.com/debat-sortir-de-la-v-republique-une-fausse-bonne-idee-175162">n’est ni récente</a>, ni l’apanage de certains candidats à la fonction suprême.</p>
<p>Dès les premières années de la V<sup>e</sup> République, le « coup d’État permanent » que permettait le nouveau régime fut dénoncé par un certain… <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Coup_d%27%C3%89tat_permanent">François Mitterrand</a>. Et si ce dernier s’est finalement coulé à merveille dans des institutions autrefois honnies, nombreux sont aujourd’hui les <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-la-6e-republique-pourquoi-comment-de-bastien-francois">chercheurs</a>, mais aussi les <a href="https://www.pouruneconstituante.fr/">mouvements citoyens</a>, qui en appellent à un changement de constitution, sans parler des candidatures qui font cette proposition à chaque élection présidentielle.</p>
<p>Dans une société démocratique, les textes constitutionnels visent à encadrer l’action du pouvoir de sorte à garantir qu’il s’exerce conformément à la volonté du peuple souverain. Cela passe en France, en particulier, par le respect par les gouvernants des droits fondamentaux et par l’interdiction de concentrer le pouvoir dans les mains d’un seul, comme le rappelle la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000697056/2022-03-23/">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » </p>
</blockquote>
<p>C’est donc moins à sa capacité à assurer la stabilité du régime, qu’à la façon dont elle garantit – ou non – la représentativité des institutions qu’il faut juger une Constitution.</p>
<p>Et, de ce point de vue, le texte actuel ne remplit pas véritablement sa fonction. Quand, scrutin après scrutin, le <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1255">taux de participation électorale</a> ne cesse de <a href="https://theconversation.com/la-cause-cachee-de-la-montee-de-labstention-180152">s’effriter</a>, quand la composition sociale de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais également, de plus en plus, de leurs électeurs, ne reflète qu’une <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/origines-elections">minorité de la société française</a> – l’Assemblée nationale ne compte que 4,6 % d’employés et aucun ouvrier alors que ces catégories socio-professionnelles sont majoritaires) – quand la révolte des classes populaires « en gilets jaunes » de l’hiver 2018 tourne aussi rapidement à la confrontation violente, que reste-t-il de la représentativité des gouvernants ?</p>
<p>Certes, la constitution actuelle ne saurait être la seule explication à cette crise institutionnelle. Mais en raison de sa fonction d’organisation de l’exercice du pouvoir d’État, elle en est nécessairement l’une des plus déterminantes.</p>
<h2>Une centralisation du pouvoir toujours plus forte</h2>
<p>Depuis 1958, la constitution organise invariablement une centralisation du pouvoir largement fondée sur l’hégémonie du pouvoir exécutif au sein de l’appareil d’État. Il n’est qu’à rapprocher la liste des pouvoirs que le Président peut actionner sans autorisation prévue à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527482">l’article 19</a> de la constitution et l’irresponsabilité qui caractérise son statut à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527561">l’article 67</a> de la même constitution.</p>
<p>Pourtant, la volonté de maintenir un régime dans lequel le gouvernement devait avoir les moyens de sa politique aurait dû en principe réserver au parlement une place de choix pour partager la fonction législative avec un gouvernement responsable devant lui. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/statistiques-de-l-activite-parlementaire">Moins de la moitié des lois adoptées sont d’origine parlementaire</a> alors que les propositions de loi sont beaucoup plus nombreuses que les projets de loi d’origine gouvernementale.</p>
<p>Mais toute une série de dispositifs constitutionnels accumulés au cours de la longue existence du régime ont donné à ce dernier une légitimité passant désormais exclusivement par le président de la République, quitte à enjamber le pouvoir législatif. On pense ainsi à l’abandon de l’investiture obligatoire des gouvernements, le pouvoir de révocation du gouvernement par le président, le fait majoritaire renforcé par le quinquennat et l’inversion du calendrier rendant fictive la responsabilité gouvernementale et improbable une nouvelle cohabitation.</p>
<p>Le gouvernement, c’est-à-dire le pouvoir exécutif, étant à l’initiative de l’écrasante majorité des projets de lois et maître de l’ordre du jour des assemblées, il dispose de tous les moyens de contrôler le travail parlementaire et de faire voter les textes qu’il souhaite, y compris en brusquant les débats en séance publique. On rappellera la tentative de coup de force du gouvernement Édouard Philippe à la veille de la crise sanitaire pour faire passer la réforme des retraites par <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/273878-edouard-philippe-29022020-recours-article-49-3-reforme-des-retraites">l’article 49-3 forçant l’adoption sans débat du projet gouvernemental</a>.</p>
<p>Le gouvernement a aussi la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/l-exercice-du-droit-d-amendement-et-annexe">possibilité de limiter</a> voire d’interdire le dépôt d’amendements, de demander une seconde délibération, jusqu’à l’engagement de sa responsabilité sur le vote d’une loi, les moyens de pressions sur les députés et sénateurs sont nombreux et variés.</p>
<p>S’y ajoutent un mode de scrutin très majoritaire et une opportune <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000404920/">« inversion du calendrier »</a> qui a consolidé la subordination de la majorité parlementaire au pouvoir exécutif. Ainsi dépossédé de l’essentiel de sa fonction, le parlement ne peut plus être le lieu privilégié du débat public sur les grandes orientations politiques de la Nation, un lieu où s’exprimerait une réelle diversité de points de vue.</p>
<h2>Le pouvoir judiciaire, « simple autorité »</h2>
<p>La situation du pouvoir judiciaire n’est guère plus enviable. Ravalé au rang de simple « autorité » <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527555">dans les termes de la constitution elle-même</a>, il n’est pas suffisamment à l’abri de l’influence du gouvernement, qui conserve la main sur les nominations des magistrats – ses propositions ne sont soumises à l’avis conforme du conseil supérieur de la magistrature que pour les juges et non les procureurs, qui ne peuvent dès lors prétendre à la qualification d’autorité indépendante au sens <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/essentiel/affaire-moulin-contre-france-parquet-dans-tourmente">du droit européen</a> – et, surtout, les moyens des juridictions. Or le degré d’indépendance de la Justice conditionne directement l’effectivité des droits et libertés des citoyens.</p>
<p>Mais cette subordination des pouvoirs législatif et judiciaire serait impossible sans la domination exclusive du pouvoir présidentiel que permet le texte constitutionnel. Une domination garantie par une panoplie de mesures visant à définir un privilège présidentiel que la personnalisation du pouvoir n’a cessé d’amplifier.</p>
<h2>Un chef de l’État « irresponsable en tout »</h2>
<p>D’abord, le président de la République concentre en sa personne un nombre de prérogatives sans commune mesure avec ce qui se pratique dans les autres États européens dont la plupart relèvent d’une tradition parlementaire, mais, également, outre-Atlantique, où le régime présidentiel oblige toujours le chef de l’exécutif à composer avec les autres pouvoirs. Le locataire de l’Élysée, lui, est non seulement le chef de l’État, supposé garant des institutions, mais aussi le chef du gouvernement, dont il nomme et révoque discrétionnairement les membres.</p>
<p>Irresponsable en tout, en ce sens <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527561">qu’il n’a de comptes à rendre à aucun autre pouvoir</a> et notamment devant le Parlement, puisqu’il a le pouvoir de le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527474">dissoudre</a> à sa guise.</p>
<p>L’article 16 de la Constitution lui donne en outre la possibilité de s’arroger les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241008">pleins pouvoirs</a> s’il estime – seul – que sont menacées « les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ». D’autres prérogatives pour lesquelles le chef de l’État n’a aucune autorisation à demander sont <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527482">énumérées</a> dans la constitution qui toutes tendent à un exercice vertical et autoritaire du pouvoir, ce d’autant plus que depuis l’inscription dans la constitution de la désignation du président au suffrage universel direct en 1962, sa légitimité est réputée incontestable.</p>
<h2>Un pouvoir littéralement illimité</h2>
<p>Rien ne s’oppose donc plus à ce qu’il puisse faire un usage effectif de ces prérogatives, qui lui confèrent un pouvoir littéralement illimité puisqu’il s’exerce sans que puissent s’y opposer ni les autres pouvoirs ou autorités constitués. Ainsi la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19425-la-procedure-de-destitution-du-president-de-la-republique">destitution</a> serait la seule option, mais elle demeure d’usage assez improbable.</p>
<p>Ni le pouvoir législatif ou judiciaire, ni le peuple lui-même, à l’occasion d’une élection intermédiaire défavorable ou d’un référendum négatif, exceptée l’unique occurrence de 1969, quand le peuple s’est opposé à la révision constitutionnelle proposée par le Général de Gaulle. Le référendum auquel cette révision du Sénat et des régions a donné lieu ayant été négatif, le Général de Gaulle en tiré les conséquences et a démissionné de ses fonctions.</p>
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<figcaption><span class="caption">Démission du général de Gaulle, YouTube/INA.</span></figcaption>
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<p>C’est le lot d’un chef juridiquement irresponsable, mais doté des pouvoirs les plus puissants. Tout dans le texte de la constitution concourt donc à en faire un dirigeant sans partage, contrairement à l’idée que l’on peut se faire d’un régime démocratique où le peuple demeure souverain même entre deux élections présidentielles et où les autres pouvoirs jouent, parce qu’ils sont distincts du pouvoir exécutif, leur rôle de contrepoids.</p>
<h2>L’hégémonie de l’État central</h2>
<p>Enfin, le texte constitutionnel organise aujourd’hui une très large centralisation du pouvoir qui, en tant que telle, rend difficile l’expression des opinions divergeant de celles des classes dirigeantes. Cette centralisation se fonde d’abord sur l’hégémonie de l’État central sur toutes les autres institutions publiques.</p>
<p>En dépit des réformes intervenues depuis 1982, et de la consécration formelle du principe de leur « libre administration », les collectivités locales n’ont qu’un pouvoir d’influence très limité dès lors que leurs dotations restent presqu’entièrement décidées par Bercy.</p>
<p>Sur fond d’austérité budgétaire persistante, la décentralisation s’est ainsi régulièrement traduite par le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2009/12/BONELLI/18585">recul des services publics qui leur étaient confiés</a>, ce qui n’est certes pas de nature à rapprocher les citoyens des autorités… Il en est de même pour d’autres organismes publics censément indépendants et officiellement investis d’une fonction de contre-pouvoir, mais qui, à l’image de l’Université ou de la Justice, ne sont pas dotés des moyens à la hauteur de leurs missions.</p>
<p>C’est dire si, d’un point de vue démocratique, les raisons pour modifier profondément la constitution et changer de régime ne manquent pas, que l’on en appelle ou non à une « VIᵉ République ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Girard est membre du Think tank "Intérêt général. La fabrique de l'alternative" </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La constitution actuelle ne saurait être la seule explication à la crise institutionnelle que traverse la France, mais elle en est l’une des plus déterminantes.Charlotte Girard, Maîtresse de conférences en droit public, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresVincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1795022022-03-21T20:08:10Z2022-03-21T20:08:10ZLa concentration des médias, un enjeu démocratique depuis la IIIᵉ République<p>Depuis le 24 novembre 2021, le Sénat dispose d’une <a href="http://www.senat.fr/commission/enquete/2021_concentration_des_medias_en_france.html">commission d’enquête sur la concentration des médias</a>. D’après les mots de son président, le sénateur centriste Laurent Lafon, celle-ci ne vise pas à « dénoncer le comportement ou la stratégie de tel ou tel acteur » mais à « comprendre le nouveau paysage qui se dessine ».</p>
<p>Son objet est avant tout d’« interroger la pertinence » d’une législation établie en 1986 (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000512205/">loi relative à la liberté de communication</a>, dite loi Léotard) et dont le volet « anti-concentration » (défini dans son article 39) n’a été que partiellement modifié, malgré les profondes transformations de l’écosystème médiatique.</p>
<p>Les travaux de cette commission ont pu bénéficier d’une certaine exposition médiatique, en raison de l’audition des principaux propriétaires de groupes médiatiques, et notamment celle de Vincent Bolloré le 16 janvier.</p>
<p>Principal actionnaire du groupe Vivendi, il étend son <a href="https://lesjours.fr/obsessions/l-empire/">empire médiatique</a> depuis le lancement de la chaîne Direct 8 en 2005.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le Système B. L’information selon Vincent Bolloré. Documentaire produit par Reporters sans frontières (RSF).</span></figcaption>
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<p>L’industriel suscite de légitimes inquiétudes quant à cette mainmise croissante sur l’information, au regard de la « droitisation » des orientations éditoriales, de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pa3bEmxx01M">mise au pas des rédactions</a> et de la multiplication des procédures visant à faire taire les investigations journalistiques à son encontre.</p>
<h2>Surabondance de l’offre et concentration du capital</h2>
<p>Plus que les autres démocraties libérales, la France connaît une situation paradoxale. D’un côté, le numérique a rendu possible une démultiplication sans précédent de l’offre de médias et de contenus, au point d’engendrer une situation d’<a href="https://www.pulaval.com/produit/nature-et-transformation-du-journalisme-theorie-et-recherches-empiriques">« hyperconcurrence »</a> pour l’attention des publics et leur monétisation.</p>
<p>De l’autre, le capital des principaux médias privés d’information, écrits comme audiovisuels, nationaux comme locaux, est concentré <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA">entre les mains d’une trentaine d’actionnaires</a> dont certains figurent parmi les principales fortunes du pays (Bernard Arnault, Patrick Drahi, Xavier Niel, François Pinault, Daniel Kretinski, Martin Bouygues, famille Dassault, etc.).</p>
<p>Ainsi, tandis que la soixantaine de quotidiens régionaux appartiennent à six principaux groupes (Sipa Ouest-France, EBRA, Rossel, Centre France, Sud-Ouest et La Dépêche), les dix-neuf chaînes privées de la télévision numérique terrestre sont la propriété d’à peine six acteurs (Altice, TF1, M6, Canal+, NRJ Group, Amaury) qui ne seront plus que cinq en raison de la fusion programmée entre les groupes TF1 et M6.</p>
<p>À ce panorama succinct, il faut ajouter les processus de concentration entrepris à l’échelle mondiale sur les autres branches du nouvel écosystème médiatique. Qu’il s’agisse des fournisseurs d’accès à Internet (Orange, Free, SFR…), des « infomédiaires » (Google, Facebook, Twitter…) ou des plates-formes de streaming (Netflix, Amazon, Disney+), chaque couche de ce vaste secteur est dominée par des entreprises en situation de monopole ou d’<a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/oligopole/55880">oligopole</a> qui accaparent l’essentiel des revenus issus des usagers eux-mêmes ou des annonceurs.</p>
<h2>Des industriels en quête d’influence</h2>
<p>Pour justifier la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/11/28/pour-tf1-la-competition-avec-les-plates-formes-internationales-est-desormais-frontale_6103947_3234.html">fusion entre les groupes TF1 et M6</a> ou le rachat par Vivendi du <a href="https://www.marianne.net/societe/medias/concentration-des-medias-quand-vincent-bollore-humilie-le-senat">pôle « médias » du groupe Lagardère</a> (Europe 1, <em>Paris-Match</em>, <em>Le Journal du dimanche</em>), les dirigeants des entreprises médiatiques mobilisent un <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/concentration-des-medias-six-moments-a-retenir-de-l-audition-de-vincent-bollore-au-senat_4923527.html">argumentaire</a> récurrent depuis quatre décennies : la France doit disposer de « champions » nationaux pour faire face à la concurrence « déloyale » des firmes étrangères, garantir la qualité de l’information (face aux fake news qui circuleraient par le biais des <a href="https://aoc.media/analyse/2019/06/20/pourquoi-avons-nous-si-peur-des-fake-news-1-2/">réseaux socionumériques</a> états-uniens) et préserver l’« exception culturelle » hexagonale (à travers notamment les règles de financement du cinéma français).</p>
<p>Cet argumentaire n’explique cependant pas cette singularité du capitalisme médiatique français : impliquer des investisseurs issus d’autres branches industrielles et financières (logistique, luxe, banque, armement, BTP, télécommunication, etc.), et pour qui les activités médiatiques ne constituent pas l’essentiel de leurs chiffres d’affaires.</p>
<p>Pourquoi s’engagent-ils alors dans un secteur économiquement fragilisé face à la dispersion des audiences et la reconfiguration profonde de l’environnement technologique et des usages ?</p>
<p>Si l’on excepte les <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753580404/dirigeants-de-medias">récents travaux de Julie Sedel</a> qui a entrepris une précieuse sociologie des patrons de médias, la recherche universitaire manque de données de première main pour restituer finement les motivations à l’origine de ces rachats.</p>
<p>Différents indices montrent cependant à quel point l’accaparement des entreprises médiatiques ne relève pas seulement de logiques marchandes.</p>
<p>Elle participe aussi d’une ambition de peser (au moins indirectement) sur les débats publics et de servir les intérêts des autres branches de leurs groupes respectifs. Comment ? En s’érigeant en interlocuteurs privilégiés d’acteurs politiques dont les carrières sont partiellement conditionnées par leur <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753581999/un-capital-mediatique">visibilité médiatique</a>.</p>
<p>Parmi les exemples les plus notoires, on se souvient des liens nourris que Nicolas Sarkozy pouvait entretenir avec Arnaud Lagardère, qu’il désignait comme « son frère », ou avec Martin Bouygues, témoin de son mariage et parrain de son fils.</p>
<p>Bien que ces derniers aient toujours revendiqué l’absence de pression sur les orientations éditoriales de leurs médias respectifs, la <a href="https://pur-editions.fr/product/7451/les-pages-politique">sociologie du journalisme</a> a pu montrer qu’il n’est nul besoin qu’un propriétaire intervienne directement sur les contenus pour que les rédactions en chef évacuent toute information susceptible de déplaire à leurs actionnaires.</p>
<h2>Une problématique ancienne : éloigner les médias des « puissances d’argent »</h2>
<p>Cette concentration des principaux médias privés dans les mains d’une oligarchie industrielle et financière est cependant loin d’être une problématique nouvelle. Sous la III<sup>e</sup> République déjà, l’accaparement de nombreux journaux par les « puissances d’argent » a constitué un enjeu majeur des affrontements politiques.</p>
<p>Si la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070722/">loi sur la liberté de presse de 1881</a> a permis la libre expression des opinions par voie de presse, les législateurs n’ont pas interrogé les conditions économiques susceptibles de garantir l’effectivité du pluralisme médiatique.</p>
<p>Strictement régi par le jeu de l’offre et de la demande, le marché des journaux est alors entré dans une dynamique de massification de l’audience globale de la presse, favorisant les titres « populaires » et bon marché, détenus par les milieux d’affaires.</p>
<p>Au tournant du siècle, quatre quotidiens parisiens (<em>Le Petit Journal</em>, <em>Le Petit Parisien</em>, <em>Le Matin</em>, <em>Le Journal</em>) dominent outrageusement la diffusion, cependant que l’agence Havas dispose d’un quasi-monopole sur les activités de courtage publicitaire et les Messageries Hachette contrôlent une large part des réseaux de distribution.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=888&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=888&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=888&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1116&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1116&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1116&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une du Petit Journal du 17 juin 1908.</span>
<span class="attribution"><span class="source">gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
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<p>Au cours de l’entre-deux-guerres, différents projets de régulation du marché de la presse voient le jour, face à la <a href="https://cths.fr/ed/edition.php?id=1153">multiplication des scandales mettant en cause les relations entre la presse et « l’argent »</a>. Le rachat du <em>Figaro</em> en 1922 par l’industriel du parfum acquis aux idées mussoliniennes, François Coty, puis celui du <em>Temps</em> en 1929 par François de Wendel, président du Comité des Forges, accréditent l’image d’une presse mise au service des intérêts patronaux.</p>
<p>C’est dans ce contexte, ici grossièrement résumé, que les pouvoirs publics ont octroyé aux journalistes professionnels un statut reconnaissant l’importance de leur rôle dans les régimes démocratiques. En créant les principes de « clause de conscience » et de « clause de cession » pour amoindrir la dépendance des journalistes vis-à-vis des velléités propagandaires des patrons de presse, la loi Brachard de 1935 visait à renforcer la crédibilité des journaux.</p>
<p>Selon les mots du rapport accompagnant la loi, leur contenu ne devrait ainsi être confié qu’aux <a href="http://www.ccijp.net/article-2-rapport-brachard.html">« mains expérimentés des professionnels »</a>, soumis à une déontologie propre et désormais identifiables par leur carte de presse.</p>
<h2>« La presse n’est pas un instrument de profit commercial »</h2>
<p>La Seconde Guerre Mondiale a contribué à accélérer ce processus de transformations d’un secteur dont les titres les plus commerciaux s’étaient compromis avec l’occupant.</p>
<p>Prenant appui notamment sur la « Déclaration des droits et des devoirs de la presse libre » élaborée dans la clandestinité et posant le principe que <a href="https://www.acrimed.org/Petite-histoire-des-ordonnances-de-1944-sur-la">« la presse n’est pas un instrument de profit commercial »</a>, différentes ordonnances édictées à la Libération visaient à réformer les règles relatives à la propriété des journaux, à lutter contre la concentration et à octroyer un rôle inédit à l’État pour encadrer et réguler une activité désormais définie comme « service public » ou, du moins, au service du public.</p>
<p>Au-delà du monopole d’État sur l’audiovisuel, l’ordonnance du 26 août 1944 exigeait notamment la transparence dans le capital du journal, l’interdiction pour un même actionnaire de posséder plus d’un quotidien ainsi que l’impossibilité, pour le directeur d’un journal, d’exercer une fonction industrielle ou commerciale fournissant l’essentiel de ses revenus.</p>
<p>Face aux difficultés financières rencontrées par ce que <a href="https://cths.fr/ed/edition.php?id=1153">l’historien Patrick Eveno a qualifié de « presse sans capitaux »</a> (de 33 quotidiens nationaux publiés en 1946, il n’en restait plus que 13 en 1954), ce cadre légal a été progressivement assoupli, voire ouvertement contourné, à l’image du puissant groupe constitué par Robert Hersant à partir de 1950.</p>
<p>Mais c’est au cours des années 1980 que l’ouverture du capital des médias aux « capitaines d’industrie » s’accélère, à travers la constitution de groupes pluri-médias. Enclenchée en 1982, la libéralisation de l’audiovisuel s’est accompagnée d’un dispositif légal fixant des « seuils anti-concentration » (loi Léotard de 1986) et de la création d’une autorité administrative indépendante chargée d’attribuer les fréquences nouvellement créées aux entrepreneurs privées, de définir leur cahier des charges et de veiller au respect du cadre légal (le Conseil supérieur de l’audiovisuel devenu ARCOM en janvier 2022).</p>
<p>Cependant, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/140222/medias-aux-origines-du-naufrage-democratique-francais">comme l’a récemment rappelé Laurent Mauduit</a>, cette dynamique d’attribution des fréquences radiophoniques et surtout télévisuelles a été marquée par d’intenses arrangements entre acteurs politiques et dirigeants de groupes privés, ainsi que par la passivité des responsables successifs du CSA face aux manquements répétés de certaines chaînes privées vis-à-vis de leurs obligations légales.</p>
<h2>Garantir l’autonomie des rédactions</h2>
<p>Si l’on excepte les quelques médias qui appartiennent à leurs journalistes ou ceux dont la gouvernance garantit l’autonomie de la rédaction (<em>Mediapart</em>, <em>Le Canard enchaîné</em>, <em>Le Monde</em>, etc.), les entreprises médiatiques françaises, et en particulier les groupes audiovisuels, restent dominées par des acteurs positionnés au sommet de la hiérarchie sociale et qui ont un intérêt direct à peser sur les orientations politiques et économiques du pays.</p>
<p>De récentes crises sociales (« gilets jaunes »), sanitaires (Covid) et internationales (guerre en Ukraine) ont pourtant rappelé à quel point les affrontements politiques s’accompagnent toujours de batailles informationnelles qui mettent en tension les exigences de pluralisme des opinions et de respect de la véracité des faits.</p>
<p>Face à la polarisation exacerbée du débat public, les régimes démocratiques doivent ainsi, plus que jamais, disposer de rédactions autonomes vis-à-vis des forces en présence et notamment des plus puissantes d’entre elles, sur un plan financier et communicationnel.</p>
<p>Mais fabriquer un journalisme de qualité a un coût que la dispersion des audiences face à la surabondance de l’offre de contenus parvient, plus difficilement qu’autrefois, à compenser. Dans ces conditions, les fragilités économiques rencontrées par de nombreux médias d’information ont rendu possible les dynamiques de regroupement de leur capital dans un nombre plus limité de mains.</p>
<p>Face à cette situation problématique pour la salubrité du débat public, il faut se pencher sur les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-information-est-un-bien-public-julia-cage/9782021483154">récentes suggestions de Julia Cagé et Benoît Huet</a> et imaginer de nouveaux dispositifs légaux pour « refonder la propriété des médias » : renforcement des dispositifs anti-concentration, modification de la gouvernance des entreprises médiatiques pour mieux protéger les rédactions de la tutelle actionnariale, incitation des pouvoirs publics au financement participatif pour diversifier l’origine des capitaux médiatiques, etc.</p>
<p>Les premiers éléments du programme d’Emmanuel Macron, à qui les sondages accordent de très fortes chances de réélection, ne laissent cependant pas présager d’ambitions réformatrices sur ce point. Au contraire, c’est à l’encontre des médias publics et de leur financement que se sont pour l’heure concentrées les propositions du candidat. En suggérant le 7 mars de <a href="https://www.franceculture.fr/medias/suppression-de-la-redevance-envisagee-la-question-de-lexistence-meme-de-laudiovisuel-public-est">remplacer la redevance par l’impôt</a> (et par conséquent par une négociation budgétaire entre responsables de l’exécutif et dirigeants des entreprises publiques), Emmanuel Macron laisse entrevoir la possibilité d’une emprise plus prononcée du pouvoir politique sur le service public de l’audiovisuel.</p>
<p>C’est pourtant ce même service public qui échappe aux logiques commerciales et à la satisfaction d’intérêts capitalistiques qui gouvernent nombre de médias privés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179502/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Kaciaf ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La concentration des médias aujourd’hui à l’œuvre en France menace le pluralisme constitutif de la démocratie. Elle réactive des enjeux soulevés dès la IIIᵉ République.Nicolas Kaciaf, Maître de conférences en science politique, spécialiste des médias, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1674102021-10-06T17:06:25Z2021-10-06T17:06:25Z« Moi, président·e » : Règle n°2, hyper-président·e tout le temps<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422101/original/file-20210920-27-dmpro2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6000%2C3997&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un manifestant portant un masque d'Emmanuel Macron grimé en Jules César </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock/Gerard Bottino</span></span></figcaption></figure><p><em><strong>« Moi, président·e »</strong>, le podcast qui vous donne les clés de l’Élysée.</em></p>
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<iframe frameborder="0" width="100%" height="110px" style="overflow:hidden;" src="https://podcasts.ouest-france.fr/share/player_of/mode=broadcast&id=12775">Wikiradio Saooti</iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-610" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/610/72c170d08decb232b562838500852df6833297ca/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><em>Au micro de Clea Chakraverty et de Fabrice Rousselot, les chercheurs de The Conversation France vous font entrer dans les coulisses de la campagne présidentielle et vous dévoilent les secrets qui permettent de décrocher la fonction suprême.</em></p>
<p>Dans ce second épisode, il est question du pouvoir dans toute sa verticalité. Si la V<sup>e</sup> République est un régime parlementaire d’un point de vue juridique, le Président dispose d’un grande latitude dans ses prises décisions. Ainsi, bien souvent le Premier Ministre est choisi pour sa capacité à s’effacer au profit du chef de l’État. Dès lors, il est tentant pour le candidat fraîchement élu de prendre les décisions seul, loin de l’idéal démocratique. Une notion a même vu le jour pour illustrer ce phénomène : l’hyper-président.</p>
<p>Dans cet épisode, Delphine Dulong, professeure de sciences politiques (Paris 1 – CESSP), analyse ce phénomène de l’hyperprésidence et son impact en termes de gouvernance. Jusqu’à quel point peut-on incarner le pouvoir ?</p>
<p><strong>À écouter aussi</strong></p>
<p><a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">Règle n°1 - La jouer people</a><br></p>
<p><a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-3-manier-la-rhetorique-168287">Règle n°3 - Manier la rhétorique</a><br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-4-se-plier-aux-rituels-168298">Règle n°4 - Se plier aux rituels</a><br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-5-surfer-sur-la-crise-170725">Règle n°5 - Surfer sur la crise </a><br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-6-depasser-les-clivages-170598">Règle n°6 - Dépasser les clivages</a><br> </p>
<p><strong>Références</strong></p>
<p><a href="https://www.decitre.fr/livres/premier-ministre-9782271137913.html"><em>Premier ministre un rôle politique intenable</em></a>, D. Dulong, édition Decitre (2021)</p>
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<p><em>Crédits, Animation et conception, Fabrice Rousselot. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni. Crédits musique : « La Marseillaise », Oberkampf (1983). Photo d’illustration, Jean-Claude Coutausse. Archives, BFM, INA.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167410/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour prendre et garder le pouvoir, faut-il privilégier la verticalité ? Pour l’hyper-président, la question ne se pose pas. Pour autant, est-ce une bonne stratégie ?Delphine Dulong, Professeure en science politique, CESSP, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneFabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1676722021-09-15T19:10:57Z2021-09-15T19:10:57ZJean‑Michel Blanquer, un ministre à la longévité républicaine ou bonapartiste ?<p>En ce mois de septembre, Jean‑Michel Blanquer va battre le record de longévité d’un ministre de l’Éducation nationale de la Cinquième République, détenu par Christian Fouchet, resté un peu plus de quatre ans et quatre mois en poste au gouvernement (du 28 novembre 1962 au 6 avril 1967). Mais on n’atteint pas encore les records des cinq « ministres de l’école » des deux Bonaparte, ni même ceux de trois autres ministres de l’Instruction publique sous la royauté restaurée.</p>
<p>Bien sûr, on pourrait objecter que leurs positions ne sont pas tout à fait comparables, en discutant les intitulés des différents postes. Mais ceux-ci figurent bien ès qualités au sein de « <a href="http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/?q=ministres-list">La liste</a> des ministres chargés de l’Éducation nationale et de leurs différentes appellations depuis 1802 jusqu’à nos jours » dans les « Ressources numériques en histoire de l’éducation ».</p>
<h2>Instruction publique ou Éducation nationale</h2>
<p>L’appellation de « ministre » (des « Affaires ecclésiastiques et de l’Instruction publique ») intervient pour la première fois en août 1824. Mais on doit remarquer que ne c’est pas une rupture, tant s’en faut. C’est la même personne (l’évêque ultra-royaliste Denis Frayssinous) qui devient ce ministre, en continuité avec la responsabilité qu’il avait auparavant : « Grand-maître de l’Université royale ».</p>
<p>L’intitulé « instruction publique » est apparu avant celui d’« éducation nationale », qui arrivera en 1932. Certains ont voulu voir dans ces deux dénominations successives le signe d’une priorité accordée d’abord à « l’instruction » avant celle qui se serait imposée ensuite, à savoir une priorité donnée à « l’éducation ». Mais cela ne signifie pas du tout qu’en réalité l’École est passée de « l’instruction » à « l’éducation » (de « l’instructif » à « l’éducatif ») comme l’a prétendu par exemple Jean‑Claude Milner dans son célèbre pamphlet <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1985_num_71_1_2361_t1_0071_0000_2"><em>De l’Ecole</em></a> paru en 1984.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/laOhDVQAeZ8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Cérémonie des vœux aux personnels de l’Éducation nationale de janvier 2018 (Éducation france).</span></figcaption>
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<p>D’abord parce que le premier ministère de plein exercice dévolu à l’École a été institué en pleine période ultra-royaliste et cléricale par l’ordonnance du 26 août 1824. Et si la dénomination « instruction publique » a alors été préférée à celle d’« éducation nationale », c’est parce que ce dernier intitulé renvoyait au moment le plus révolutionnaire de la Révolution française. Et ce ne pouvait être la prédilection des ultra-royalistes alors au pouvoir. Ensuite, parce que la première circulaire de Mgr Frayssinous aux recteurs est on ne peut plus révélatrice :</p>
<blockquote>
<p>« Sa Majesté, en appelant à la tête de l’Instruction publique un homme revêtu d’un caractère sacré, fait assez connaître à la France entière combien elle désire que la jeunesse de son royaume soit élevée dans des sentiments religieux et monarchistes ».</p>
</blockquote>
<p>Les ministres de l’Instruction publique ou de l’Éducation nationale n’ont jamais duré très longtemps sous la Troisième République ou la Quatrième République car leur nomination et leur maintien dépendaient avant tout d’un accord collectif entre différentes composantes ou « sensibilités » politiques à géométries et à durées variables.</p>
<p>En revanche, les deux Bonaparte ont mis à la tête de l’école des hommes qu’ils ont choisis personnellement et qu’ils ont gardés longtemps. Dans la mouvance bonapartiste, la nomination d’un ministre est d’abord le fait du Prince (le chef de l’État pouvant exercer un pouvoir personnel fort).</p>
<h2>Le choix d’hommes de « confiance »</h2>
<p>Deux hommes seulement <a href="https://www.reseau-canope.fr/musee/collections/es/museum/mne/histoire-biographique-de-l-enseignement-en-france/5e0312c2-6c64-4249-a835-abd9882092f8">ont été choisis</a> par Napoléon Bonaparte pour s’occuper de l’école :</p>
<ul>
<li><p>Antoine Fourcroy qui sera « Directeur général de l’Instruction publique » pendant 5 ans et six mois ;</p></li>
<li><p>Louis Fontane qui sera pendant 6 ans et six mois « Grand-maître de l’Université » (la clef de voûte de la nouvelle organisation de l’école concoctée par Antoine Fourcroy sous l’étroite direction de Napoléon I, qui l’oblige à refaire vingt-trois fois son texte).</p></li>
</ul>
<p>Pour ce nouveau poste, Napoléon I a préféré un « royaliste rallié » à un « révolutionnaire mal repenti ». Ainsi vont les choix du Prince qui ne récompense pas nécessairement les mérites intrinsèques, mais peut choisir en fonction de ses intérêts politiques personnels.</p>
<p>Trois hommes seulement ont été à la tête du ministère de l’Instruction publique durant la quasi-totalité du Second Empire :</p>
<ul>
<li><p>Hippolythe Fortoul pendant 4 ans et six mois (il décède le 7 juillet 1856) ;</p></li>
<li><p>Gustave Rouland, durant 6 ans et dix mois ;</p></li>
<li><p>Victor Duruy, pendant six ans.</p></li>
</ul>
<p>Hippolyte Fortoul, un professeur de lettres, devient en 1848 un conseiller et un ami de Louis-Napoléon Bonaparte qui le fait ministre de l’Instruction publique le lendemain même de son coup d’État, le 3 décembre 1851. Leur premier souci est de tenir en main le corps enseignant. Cela va de la prescription du port obligatoire du costume noir par les professeurs (20 mars 1852) et à l’interdiction du port de la barbe (4 avril 1852), jusqu’à la suspension de ceux qui se montrent hostiles au nouveau régime.</p>
<p>L’Empereur choisit pour lui succéder un homme qui peut lui inspirer personnellement confiance : le procureur général de la Cour de Paris qui s’était illustré par ses réquisitoires contre des révolutionnaires italiens ayant mené des tentatives d’assassinat contre lui. Le passage de Gustave Rouland au ministère sera à éclipses et ne marquera guère les esprits.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420855/original/file-20210913-24-1abd2v5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420855/original/file-20210913-24-1abd2v5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420855/original/file-20210913-24-1abd2v5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420855/original/file-20210913-24-1abd2v5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420855/original/file-20210913-24-1abd2v5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420855/original/file-20210913-24-1abd2v5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420855/original/file-20210913-24-1abd2v5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Victor Duruy par Eugène Pirou.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Victor_Duruy_01.png">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il n’en va pas de même pour Victor Duruy qui peut être considéré comme l’un des ministres les plus importants à ce poste où il s’est illustré de multiples façons. Mais là encore, il s’agit d’un choix de confiance du « Prince » bonapartiste. Historien réputé, Victor Duruy a été en effet en contact personnel avec Napoléon III à partir de 1859, à la faveur des travaux que l’Empereur prépare sur l’histoire de Rome et de César. Victor Duruy est nommé inspecteur général en 1861, et c’est au cours d’une tournée d’inspection qu’<a href="https://www.reseau-canope.fr/musee/collections/es/museum/mne/histoire-biographique-de-l-enseignement-en-france/5e0312c2-6c64-4249-a835-abd9882092f8">il apprend inopinément qu’il est nommé</a> par Napoléon III à la tête du ministère de l’Instruction publique.</p>
<p>On le voit, dans la mouvance bonapartiste, ce qui compte avant tout – aussi bien pour le choix que pour la durée dans le poste de ministre de l’École – c’est la confiance que le Chef de l’État peut avoir pour des raisons avant tout personnelles et qui ne tiennent pas nécessairement aux compétences et aux talents particuliers pour l’exercice de cette responsabilité.</p>
<h2>La rupture de la Cinquième République</h2>
<p>La Cinquième République se distingue nettement de la Troisième République et de la Quatrième République par le fort pouvoir personnel permis au Chef de l’État. On ne devrait donc pas être surpris que les deux ministres de l’Éducation nationale qui ont duré le plus longtemps sous la Cinquième République aient été nommés et aient exercé leurs charges aux deux moments les plus « bonapartistes » : sous Charles de Gaulle et sous Emmanuel Macron.</p>
<p>Il s’agit d’abord de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1967/04/10/m-christian-fouchet-ou-le-ministre-le-plus-long_2625119_1819218.html">Christian Fouchet</a>. Son ministère peut être considéré également comme l’un des plus importants de la longue histoire de l’école. Dans la tradition bonapartiste, le président de la République Charles de Gaulle a nommé le 28 novembre 1962 un homme de confiance.</p>
<p>Christian Fouchet a en effet été un rallié de la première heure à Londres. Il lui a été confié des missions délicates durant la deuxième guerre mondiale en Italie et en URSS. Après les accords d’Évian, il lui est revenu d’organiser le referendum sur l’autodétermination, notamment en Algérie. Et son action au ministère de l’Éducation nationale prendra fin le 6 avril 1967 pour qu’il soit à la tête du ministère sensible de l’Intérieur.</p>
<p>On sait, selon des indications parues de façon réitérée dans la presse et jamais démenties, que Jean‑Michel Blanquer a rédigé <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/auteurs/jean-michel-blanquer/">deux ouvrages sur l’école</a> de façon a attirer l’attention de présidentiables, notamment d’Alain Juppé et surtout de François Fillon. Ce faisant, il a attiré l’attention de l’épouse du présidentiable qui sera élu, Brigitte Macron.</p>
<p>Il obtient sa confiance et finalement celle d’un Président de la Cinquième République parmi les plus bonapartistes – Emmanuel Macron – qui le nomme ipso facto ministre de l’Éducation nationale le 17 mai 2017. Mais, contrairement à Christian Fouchet, Jean‑Michel Blanquer n’a pas accédé au ministère de l’Intérieur au dernier remaniement ministériel ; et il va donc le dépasser en durée à la tête du ministère de l’Éducation nationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167672/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En ce mois de septembre, Jean‑Michel Blanquer sera le ministre de l’Éducation nationale resté le plus longtemps rue de Grenelle sous la Vᵉ République. Remise en perspective historique de ce record.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1621942021-06-16T17:38:47Z2021-06-16T17:38:47ZLe préfet et la pandémie : comment le coronavirus révèle les transformations de l'État<p>Dans le Finistère, dans l’Aude, en Moselle, les débats autour de la levée du port obligatoire du masque – finalement annoncée pour le jeudi 17 juin par le premier ministre Jean Castex – mettent en lumière le rôle crucial des <a href="https://www.senat.fr/seances/s202103/s20210324/s20210324008.html">préfets</a> dans la gestion de la crise sanitaire. De fait, le préfet est en première ligne face à la pandémie de coronavirus, pour filer la métaphore employée par le Président de la République déclarant la guerre au virus. Sur tous les fronts, il a vu <a href="https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/269427-etat-durgence-et-autres-regimes-dexception-article-16-etat-de-siege">ses pouvoirs temporairement renforcés</a> par l’état d’urgence sanitaire, comme ils l’avaient été par l’état d’urgence sécuritaire en 2015-2018.</p>
<p>En effet, le préfet incarne l’État sur le territoire. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527579/">L’article 72 de la Constitution</a> en fait le représentant territorial du gouvernement. Il est chargé d’appliquer localement les politiques publiques définies au niveau national. Selon la plaisante formule d’Odilon Barrot, <a href="https://www.senat.fr/evenement/archives/D18/1851A.html">« c’est le même marteau qui frappe, mais on a raccourci le manche »</a>. Bras armé de l’État, il est amené à s’investir tout spécialement dans les priorités identifiées par le gouvernement.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/N5lcM0qA1XY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Selon l’article 72, il est notamment compétent pour faire prévaloir l’intérêt général national sur les intérêts publics locaux et pour assurer le respect de la loi par les collectivités territoriales (communes, départements, régions). Il a également des compétences importantes en matière de police et de gestion de crises. Tout cela justifie qu’il soit spécialement mobilisé durant cette pandémie.</p>
<p>Mais précisément parce qu’il l’incarne sur le territoire, la figure préfectorale témoigne aussi des évolutions qui ont marqué l’État depuis le Premier Empire : le préfet est en effet un <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Le-ministere/Histoire/Histoire-des-prefets">legs napoléonien</a>. Sans revenir sur l’évolution historique de la fonction préfectorale, il est possible de relever, tout au long de l’année 2021, deux des grands marqueurs de cette <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/277854-le-prefet-quel-nouveau-role-dans-lorganisation-administrative">mutation actuelle</a> : l’évolution des fonctions du préfet et celle de son statut. La première concerne les rapports de l’État avec la société, la seconde touche à l’organisation interne de l’État.</p>
<h2>De « l’empereur aux petits pieds » à un rôle de coordinateur</h2>
<p>À l’origine, le préfet constituait une autorité généraliste, compétente dans tous les domaines de l’action publique. Il était, selon la <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/le-testament-ventriloque-de-napoleon-moins-une-bible-quune-belle-histoire-pour-vendre-un-legs-et-un">formule de Las Cases</a>, un « empereur aux petits pieds », puisqu’il avait vocation à diriger tous les services de l’État dans le département, à l’image de l’empereur tenant dans sa main tous les nerfs de l’État central. Comme le dispose l’article 72 de la Constitution, il représentait dans un cadre départemental (ou régional pour les préfets de région créé en 1964) l’ensemble du gouvernement et chacun des ministres. Fonctionnaire d’autorité, il cumulait donc les fonctions de tous les ministères, à l’exception du ministère de la Justice (indépendance de la justice oblige), du ministère des Finances et du ministère de l’Éducation nationale, charge dévolue au recteur d’académie.</p>
<p>Cette logique n’a pas été complètement renversée. Mais la valorisation de la spécialisation conduit aujourd’hui à juger qu’une autorité généraliste ne peut être omnicompétente. Aussi les relais territoriaux du Gouvernement se sont eux-mêmes spécialisés et autonomisés par rapport au préfet. La crise du coronavirus a ainsi montré que l’État agissait essentiellement, en matière de santé, à travers les <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Covid-Agences-regionales-sante-accusations-justifiees-2021-01-18-1201135612">Agences régionales de santé (ARS)</a>. Le préfet n’intervient, lui, qu’en tant qu’autorité de police, pour réglementer le port du masque, <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/teletravail-lexecutif-pousse-les-prefets-a-mettre-les-entreprises-sous-pression-1300235">l’ouverture des commerces et des lieux d’accueil du public</a>, etc.</p>
<p>Aujourd’hui, les services préfectoraux ont surtout gardé une fonction transversale, interministérielle : <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2020-4-page-913.html">ils coordonnent l’action des différents services de l’État sur le territoire</a> (ARS, Chambre de commerce et d’industrie, ADEME, etc.). Une telle évolution est très révélatrice du nouveau rôle de l’État dans la société. Celui-ci ne cherche plus tant à définir l’intérêt général d’en haut et à l’imposer aux acteurs sociaux par le commandement juridique, selon la <a href="https://www.cairn.info/les-espaces-de-la-politique--9782200345273-page-158.htm">logique de la souveraineté propre à l’État moderne</a>. </p>
<p>De plus en plus, il se fait accompagnateur de la société, en se spécialisant et en créant des comités d’experts au champ de compétences précis, capables d’intervenir au plus près des réalités de terrain : le Conseil scientifique mis en place pour faire face à la pandémie en est un exemple significatif. Il n’impose plus un intérêt général transcendant, mais cherche à arbitrer entre les intérêts privés en présence, modifiant la liste des commerces essentiels au gré des revendications ou dérogeant aux principes posées pour favoriser certaines pratiques (le culte par exemple). La régulation remplace la réglementation. D’où le double sentiment, souvent évoqué, d’un État à la fois omniprésent et impuissant.</p>
<h2>La dépendance du préfet renforcée ?</h2>
<p>L’année 2021 aura aussi été révélatrice d’une mutation du statut du préfet, qui témoigne de la volonté de renforcer sa subordination personnelle au gouvernement. Une mesure, a priori anodine, en témoigne. La <a href="https://www.acteurspublics.fr/upload/media/default/0001/34/19f35801298eca709df96c2a56f96b276e47cba4.pdf">circulaire n° 6259/SG</a> du 19 avril 2021 prévoit d’établir, pour chaque préfet, une feuille de route interministérielle, qui lui fixera différents objectifs et qui servira de base à son évaluation.</p>
<p>Cette mesure révèle une tendance marquée dans le fonctionnement des administrations de l’État. Représentant du gouvernement, le préfet est doté de nombreux pouvoirs et d’une vraie autonomie pour les exercer ; mais, en même temps, la chaîne de commandement qui le relie au gouvernement est resserrée, afin que le fluide qui descend du sommet vers la base et anime tout l’État circule bien. Le préfet a toujours été dépendant du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions, puisqu’il met en œuvre ses politiques ; il l’est davantage maintenant dans son statut et sa carrière. Une telle tendance touche aussi <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F31255">d’autres responsables administratifs</a> (directeurs d’hôpital, présidents d’université, etc.).</p>
<p>L’introduction de cette feuille de route formalisée le montre bien. Certes, elle laisse carte blanche au préfet pour réaliser ses objectifs. Mais elle renforce aussi sa subordination au gouvernement, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/22/action-de-l-etat-les-prefets-seront-evalues-sur-leurs-resultats_6077640_823448.html">puisque la feuille de route servira à son évaluation</a>, déterminante pour sa rémunération et la progression de sa carrière. De tels mécanismes incitatifs doivent stimuler le zèle des agents. La logique managériale remplace ainsi la logique juridique. Alors que l’action du préfet était traditionnellement encadrée par le respect des règles de droit et par les contrôles juridiques qui assuraient ce respect, elle est à présent conditionnée par des objectifs chiffrés à atteindre et par l’évaluation de leur résultat. La pression de l’évaluation se substitue à l’obsession du formalisme juridique.</p>
<p>L’autonomie fonctionnelle du préfet se double donc d’une dépendance personnelle, qui se traduit notamment dans son statut. Le paradoxe n’est qu’apparent. Car sa subordination personnelle au gouvernement garantit son autonomie : comme le préfet dépend personnellement du gouvernement, ce dernier lui abandonne une certaine liberté dans l’exercice de ses fonctions, sûr qu’il les accomplira conformément aux vœux de sa chaîne hiérarchique. Sa dépendance statutaire permet de lui confier une autonomie renforcée, quoique contenue dans le cadre des directives gouvernementales et en vue de leur application.</p>
<p>Dans le même esprit, un projet d’ordonnance en cours de discussion envisage la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/05/07/apres-les-inspections-generales-le-corps-des-prefets-devrait-disparaitre_6079541_823448.html">suppression du corps préfectoral</a>. Une telle suppression permettrait au gouvernement de nommer au poste de préfet des non-professionnels : on parle de fonctionnalisation du préfet, puisque celui-ci deviendrait une fonction, exercée temporairement, et non plus un choix de carrière. L’effet de la mesure serait de placer les préfets en dépendance renforcée vis-à-vis du pouvoir central, dans la mesure où leur fonction et leurs perspectives de carrière seraient étroitement soumises à la volonté de l’équipe ministérielle en place.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1397981176028037121"}"></div></p>
<p>Certes, le statut des préfets les place déjà dans une situation de loyauté obligatoire vis-à-vis du gouvernement. Mais il leur assure aussi des garanties statutaires, la certitude de ne pas être limogés arbitrairement (seulement, dans le pire des cas, déplacés) et de se voir affectés sur un poste dans un délai raisonnable. Ces garanties disparaîtraient : les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/21/monsieur-le-president-macron-preservez-le-corps-prefectoral-pilier-de-la-republique_6080951_3232.html">préfets fonctionnalisés seraient entièrement dans la main du gouvernement</a> ; leur dépendance personnelle serait accrue. Le problème est alors d’accoler au préfet une étiquette partisane. Créature du gouvernement, le préfet pourra-t-il encore incarner la continuité de l’État et conserver cette hauteur de vue qui marque sa distance avec l’actualité politique immédiate ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162194/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Henri Bouillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie a permis de mettre en lumière l’importance et l’autonomie des préfets dans la gestion de crise : assiste-t-on au dernier tour de piste d’une fonction au statut menacé ?Henri Bouillon, Maître de conférences en droit public, chercheur associé au Centre de recherches juridiques de l’Université de Franche-Comté (CRJFC), Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1625422021-06-10T21:56:53Z2021-06-10T21:56:53Z« Recevoir en pleine face la colère populaire » : la gifle ou les aléas du voyage présidentiel en province<p>Quelle importance accorder à la gifle que le président de la République, Emmanuel Macron, a reçue lors d’un déplacement à Tain-l’Hermitage le 8 juin 2021 ? Le corps physique de l’individu Emmanuel Macron a apparemment peu souffert de cette violence somme toute contenue et ritualisée : la gifle relève des atteintes physiques mineures mais <a href="https://blogs.letemps.ch/veronique-dreyfuss-pagano/2021/06/09/la-gifle-un-geste-qui-a-une-longue-histoire/">symboliquement stigmatisantes</a>, et pouvait autrefois donner lieu à réparation lors <a href="https://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/CORNEILLEP_CID.pdf">d’un duel</a>.</p>
<p>En revanche, dans le registre de la symbolique politique, l’attaque du corps du monarque républicain n’est pas anodine en ce qu’elle s’attaque à la fonction.</p>
<p>L’ensemble du personnel politique a d’ailleurs condamné cet acte violent selon cette lecture (« il en va des fondements de notre démocratie » a déclaré le premier ministre applaudi à l’Assemblée), tandis que paradoxalement le président en minimisait la portée (« il faut relativiser cet incident… c’est de la bêtise »). En soulignant cependant qu’« il ne faut rien céder à la violence, en particulier la violence contre tous les représentants de la chose publique ». Il invitait en concluant cette brève déclaration <a href="https://www.lci.fr/politique/gifle-emmanuel-macron-appelle-a-relativiser-dans-une-interview-au-dauphine-2188213.html">« à remettre toute cette violence à sa juste valeur »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1402291941270827014"}"></div></p>
<h2>Des épiphénomènes dissonants</h2>
<p>Si une telle violence est en France globalement rare et marginale – sachant que les services de sécurité font en sorte qu’elle ait de moins en moins d’occasions de s’exprimer –, une violence du même ordre a pu resurgir épisodiquement dans le passé récent, que cela soit lors des campagnes présidentielles (Emmanuel Macron avait aussi reçu un œuf sur la tête lors de celle de 2017), ou lors des moments mettant en contact le personnel politique avec des foules (Nicolas Sarkozy fut agrippé par le revers de la veste, Manuel Valls giflé, François Hollande enfariné).</p>
<p>Sans compter les chahuts, les insultes, les chants hostiles et les affrontements avec les forces de l’ordre de « comités d’accueil » tenus de plus en plus éloignés des cortèges officiels.</p>
<p>Ces quelques épiphénomènes dissonants sont souvent hypertrophiés dans les comptes-rendus médiatiques. Ils ne doivent pourtant pas faire oublier que, depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, la mécanique parfaitement rodée <a href="https://journals.openedition.org/lectures/360">du voyage présidentiel en province</a> fonctionne le plus souvent sans fausses notes, conjuguant acclamations des foules en liesse et applaudissements nourris de citoyens ravis d’accueillir le président de la République.</p>
<p>Cela n’a rien de fortuit, c’est même la justification principale de ces dispositifs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1111237074320019456"}"></div></p>
<h2>Le voyage présidentiel : cadrage formel et nécessité de l’informel</h2>
<p>L’événement violent s’est produit dans le contexte d’un « Tour de France » morcelé, entrepris par Emmanuel Macron quelques jours plus tôt, à un an de l’élection présidentielle. Il s’agit en fait d’un ensemble d’aller-retour dans le pays, étalés sur plusieurs mois.</p>
<p>Cette nouvelle « itinérance », selon le mot des communicants du président, avait commencé sans heurts peu avant dans le département du Lot, à Saint-Cirq-Lapopie. Ce petit village touristique paisible avait déjà servi de toile de fond à d’autres immersions d’Emmanuel Macron « dans les territoires » alors qu’il était ministre.</p>
<p>Cette démarche n’est pas sans rappeler l’« itinérance mémorielle » de novembre 2018, à l’occasion de la fin de la Première Guerre mondiale. Il s’agissait, le temps de quelques jours, de « briser la vitre qui sépare traditionnellement le président du pays », selon les mots de son entourage, <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/en-direct-emmanuel-macron-le-programme-de-l-itinerance-memorielle-7795457232">« quitte à recevoir, en pleine face, la colère populaire »</a>. Ce nouveau voyage est envisagé autant comme un temps de célébration du président que comme un moment agonistique, où il pourra défendre sa politique si l’occasion lui en est donnée.</p>
<p>Le sens politique de tels déplacements est objectivement très faible tant ils sont prévisibles. Ils ne prennent un poids politique qu’à travers les commentaires médiatiques qu’ils suscitent. Ceux-ci portent d’ordinaire sur des éléments périphériques et quelques anecdotes, en marge de la routine officielle auxquelles les exégètes professionnels entendent donner de l’importance. Tout compte fait, la gifle reste comme le seul moment notable d’un déplacement qui reprend les modalités classiques d’un genre désormais stabilisé.</p>
<p>Le déplacement des commentaires des éditorialistes, des chaînes d’information, des professionnels et des profanes sur les réseaux sociaux numériques, vers le micro-événement constitué par « la gifle » illustre bien, en creux, les conditions ordinaires de félicité de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0263276486003002002">ces « rencontres » avec le « peuple »</a>. Entre déclinaison formelle et routinière d’un genre et moments informels planifiés, le déroulé habituel de ces déplacements ne suscite ordinairement que peu de commentaires.</p>
<h2>Le bain de foule, un rituel bien rodé</h2>
<p>Les voyages présidentiels font en effet l’objet depuis longtemps d’une organisation rigoureuse. Le bon déroulement du rituel impose de maîtriser l’agencement des divers éléments qui peuvent le constituer. Il faut pour cela tenir compte des multiples contraintes d’un planning minuté, avec ses aspects protocolaires (choix des interlocuteurs à rencontrer, notamment les élus locaux), ses « temps forts » à réaliser (inauguration d’un équipement, retrouvailles, remise de médaille, rencontre avec des citoyens ordinaires, des responsables d’associations, des fractions particulièrement méritantes de la population, etc.), ses moments de convivialité. Tout cela constitue la mise en récit d’une immersion harmonieuse et d’une communion avec les autochtones.</p>
<p>Parmi les séquences ritualisées, celle du bain de foule occupe une place particulière : elle est l’acmé de la rencontre avec le Peuple et se présente comme un des moments d’« informalisation ». Il s’agit dans ce cas de prévoir de brefs temps de relâchement des contraintes au sein d’un dispositif qui reste globalement sous contrôle.</p>
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<p>Mu par un élan irrépressible, le président s’approche des citoyens, tenus jusqu’alors à bonne distance derrière des barrières. Il serre des mains, embrasse femmes et enfants, prononce un compliment pour chacun, s’attarde parfois pour quelques phrases. Surtout, il manifeste sens de l’écoute et contentement d’approcher les « vrais » Français dont il se sentirait trop souvent éloigné par sa charge.</p>
<p>On a vu ainsi, juste avant la scène de la gifle, Emmanuel Macron, « échapper » à son service de sécurité pour se précipiter vers les habitants. Tout compte fait, la séquence de la gifle vient s’insérer au seul bref moment véritablement informel, dans un court interstice de flottement, avant que les services de sécurité ne se repositionnent et maîtrisent l’agresseur. Le président poursuit ensuite (presque) sans encombre le rituel informalisé, selon le plan prévu.</p>
<h2>Le corps du monarque républicain au centre de la cible</h2>
<p>Pour être ancien, le rituel républicain du voyage présidentiel comme temps de « rencontre » avec les Français n’est pas pour autant resté à l’écart des enjeux politiques contemporains. Le président sous la V<sup>e</sup> République tient sa légitimité du suffrage universel direct : il a donc un rôle politique beaucoup plus central que dans les régimes précédents. Cette importance est également symbolique, puisque sa place <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38013-comment-caracteriser-le-regime-politique-de-la-ve-republique">s’est transformée</a> au fil du temps depuis 1958 selon les pratiques et les usages des différents occupants de l’Élysée.</p>
<p>La médiatisation grandissante de la vie politique, déjà importante dans les années 1980, a pris un tournant décisif avec les possibilités offertes de recueil et de circulation accélérée de l’information à partir des années 2000. <a href="https://www.armand-colin.com/lego-politique-essai-sur-lindividualisation-du-champ-politique-9782200283100">L’individualisation plus générale de la vie publique</a> a contribué au succès d’entreprises politiques, qui se présenteront au fil du temps de <a href="https://www.puf.com/content/La_fin_des_partis">moins en moins comme les émanations de collectifs partisans</a> que comme des aventures individuelles de conquête du pouvoir. Les primaires avec leurs affrontements télévisés ont été le symptôme le plus visible de ce changement en 2017, et le cas de la campagne d’Emmanuel Macron est à cet égard exemplaire.</p>
<p>La mobilisation de tous les outils de valorisation individuelle par le personnel politique de premier plan – <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4939">qui n’est pas propre à la France</a> – au service d’une présence constante dans les médias, notamment socionumériques, valorise l’action mais elle banalise en même temps le corps et la fonction présidentielle.</p>
<p>L’inflexion du rôle symbolique du président lors du quinquennat d’Emmanuel Macron est pour beaucoup dans le fait qu’il apparaisse, sans doute encore plus nettement que ses prédécesseurs, comme l’auteur et l’incarnation quasi unique de la politique menée.</p>
<h2>La part de risque</h2>
<p>A de multiples reprises au cours du quinquennat, le président est apparu au centre des dispositifs pensés comme des réponses politiques aux crises qui se sont présentées. Le « Grand Débat » dans ses diverses déclinaisons, la gestion de la crise sanitaire (qui articule notamment le conseil de Défense aux décisions personnelles du président), l’instrumentalisation de dispositifs délibératifs soumis ensuite au bon vouloir présidentiel (comme dans le cas de la Convention Citoyenne pour le Climat) : autant de rappels constants d’une incarnation personnelle de l’autorité politique.</p>
<p>Les écarts langagiers qu’Emmanuel Macron s’est autorisés (« qu’ils viennent me chercher », « ceux qui ne sont rien », « le pognon de dingue », « travailler pour se payer un costard », « traverser la rue pour trouver du travail »…) ont sonné comme des marques personnelles d’arrogance. Elles semblaient parfois adresser un défi à des fractions de la population déjà éloignées socialement et géographiquement des décideurs politiques et plus encore du « nouveau monde » promu par le président.</p>
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<p>Résultat d’un choix assumé, mais sans doute aussi en grande partie contraint, puisque <a href="https://journals.openedition.org/lectures/34148">l’entreprise Macron</a> n’a pas les bases solides et anciennes de ses principaux opposants, l’extrême personnalisation du pouvoir a placé symboliquement le président au cœur de la responsabilité politique. Emmanuel Macron apparaît pour ces raisons le seul et unique interlocuteur du ressentiment des oubliés de sa politique. Y compris quand ce ressentiment se cristallise dans la violence d’une gifle.</p>
<p>Après le mouvement des « gilets jaunes » et les nombreuses manifestations qui ont émaillé ses précédents déplacements, la gifle rappelle que, symboliquement au moins, ce retour au terrain comportera encore longtemps pour Emmanuel Macron, peut-être plus que pour tout autre, une part de risque difficile à maîtriser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162542/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Leroux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La gifle d’Emmanuel Macron a résonné dans la sphère médiatique comme un coup de tonnerre. Quelle importance donner à ce geste, pour l’homme comme pour la fonction qu’il représente ?Pierre Leroux, Professeur en sciences de l’information et de la communication, chercheur titulaire au Laboratoire Arènes, Université catholique de l’Ouest Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1615962021-06-01T19:24:48Z2021-06-01T19:24:48ZJustice : une confiance à restaurer<p>Ce lundi 18 octobre marque le lancement des États Généraux de la justice à Potiers. Ces rendez-vous d'experts devraient aboutir à une série de propositions visant à améliorer le système judiciaire. Si le journal <em>Le Monde</em> évoque un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/14/justice-le-bilan-contraste-du-quinquennat-macron_6098288_3224.html">bilan contrasté du quinquennat sur le sujet</a> cette opération espère répondre aux alertes lancées par <a href="https://www.sudouest.fr/justice/macron-lance-lundi-les-etats-generaux-de-la-justice-a-poitiers-6563900.php">plusieurs magistrats en juin</a> quant aux situations de crises fragilisant l'institution.</p>
<p>Ainsi, le 19 mai 2021, un important rassemblement de policiers a eu lieu à Paris. Celui-ci était initialement un moment de recueillement après les décès des policiers Stéphanie M. et de Éric Masson. Très vite, le regroupement a pris une dimension politique. Il s’est transformé en manifestation devant l’Assemblée nationale pour demander une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/19/manifestation-de-policiers-gerald-darmanin-defend-sa-participation_6080692_3224.html">justice moins laxiste</a>.</p>
<p>Le symbole est fort. Différentes revendications ont été exprimées notamment par des personnalités politiques. Olivier Faure, premier secrétaire du parti socialiste, a émis le souhait d’un <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/olivier-faure-propose-un-droit-de-regard-pour-les-policiers-sur-certaines-decisions-de-justice-20210520">droit de regard des policiers</a> sur les décisions de justice.</p>
<p>Les réactions à des événements tragiques ou à des situations de crise ont souvent tendance à conduire à une remise en cause de principes cardinaux de la démocratie, à savoir la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.</p>
<h2>Qu’est-ce que la séparation des pouvoirs ?</h2>
<p>Dans un premier temps, revenons sur la définition de la séparation des pouvoirs. La séparation des pouvoirs consiste en une division des trois grandes fonctions d’un État, à savoir : l’élaboration des lois (fonction législative), l’exécution des lois (fonction exécutive) et le règlement des litiges (la fonction juridictionnelle).</p>
<p>Ces trois fonctions doivent être exercées par des organes différents et indépendants les uns des autres. Ainsi, le pouvoir législatif est détenu par les assemblées, le pouvoir exécutif par le Gouvernement et le chef de l’État. La fonction juridictionnelle est, quant à elle, détenue par les différents tribunaux.</p>
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<figcaption><span class="caption">La séparation des pouvoirs expliquée par France 24.</span></figcaption>
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<p>Montesquieu est considéré comme le penseur moderne de la séparation des pouvoirs. Dans son œuvre fondatrice, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9758737t/f320.item"><em>L’Esprit des lois</em></a>, le philosophe trouve en la séparation des pouvoirs une solution contre l’arbitraire.</p>
<blockquote>
<p>« Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »</p>
</blockquote>
<h2>Une défiance historique envers les juges en France</h2>
<p>L’histoire de la justice en France est celle d’une défiance plus ou moins affirmée envers les juges. Celle-ci trouve notamment son fondement dans le rôle des Parlements sous l’Ancien Régime. Sous cette période, ces derniers sont des organes de la justice royale. Progressivement, ils ont obtenu la possibilité de faire des remontrances vis-à-vis des lois qu’ils appliquaient. <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/droit-de-remontrances/">Le droit de remontrance</a> consistait donc en la possibilité de « présenter au roi des objections lorsqu’un texte de loi ne leur paraît pas conforme à l’intérêt de l’État ou au bien public ». Or, il a été utilisé comme un véritable droit de veto pour s’opposer au pouvoir et ne pas enregistrer les ordonnances royales.</p>
<p>Cela a conduit à des relations conflictuelles entre le roi et les Parlements notamment en raison des remontrances itératives. Ces dernières permettent au Parlement d’exprimer une nouvelle fois leurs objections quant au texte à enregistrer. Cela conduit parfois à un <a href="http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/lit-de-justice/">lit de justice</a> par lequel le Roi va ordonner l’enregistrement du texte. Il a donc existé un réel bras de fer entre le pouvoir royal et les Parlements sous l’Ancien Régime. Depuis lors, il existe une défiance, une peur du Gouvernement des juges c’est-à-dire une peur que les juges tentent d’imposer leurs décisions aux pouvoirs politiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/403354/original/file-20210528-14-1uy0ats.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/403354/original/file-20210528-14-1uy0ats.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/403354/original/file-20210528-14-1uy0ats.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/403354/original/file-20210528-14-1uy0ats.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/403354/original/file-20210528-14-1uy0ats.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/403354/original/file-20210528-14-1uy0ats.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/403354/original/file-20210528-14-1uy0ats.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Lit de justice tenu par Louis XV.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_de_remontrance#/media/Fichier:Lit_de_justice_tenu_par_Louis_XV.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
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<p>Ces actions des Parlements ont été utilisées après la Révolution pour <a href="https://www.lgdj.fr/le-pouvoir-juridictionnel-en-france-9782275033891.html">minimiser le rôle et le pouvoir des juges</a>. Ce constat historique s’est trouvé conforté par un argument présent dans la théorie de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs. En effet, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9758737t/f331.item">ce dernier considérait</a> que « le juge est la bouche qui prononce les paroles de la loi » et que « des trois puissances, celle de juger est nulle ».</p>
<p>Ainsi, les <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/38525-la-justice-de-la-revolution-francaise-vichy">constituants de 1789 à 1958</a> se sont appuyés sur ces deux éléments pour mettre à l’écart les juges et ne point consacrer un véritable pouvoir juridictionnel indépendant du pouvoir politique.</p>
<p>200 ans plus tard, on retrouve cette méfiance envers les juges dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006071194/">Constitution de la Vᵉ République</a>. En effet, un pouvoir judiciaire ou juridictionnel n’est aucunement consacré. Les constituants ont même fait le choix d’exclure du texte constitutionnel la justice administrative considérant notamment que celle-ci ne pouvait répondre aux <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36650200t.public">exigences suffisantes d’indépendance</a>. Ainsi, la Constitution du 4 octobre 1958, dans son titre VIII, consacre « l’autorité judiciaire » ainsi que <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527555">son indépendance</a>, sans véritablement l’élever au rang de pouvoir.</p>
<h2>Un manque de confiance dans la justice</h2>
<p>Aujourd’hui, la méfiance historique envers les juges prend la forme d’un manque de confiance de la population dans les institutions juridictionnelles.</p>
<p>En effet, les différents sondages qui ont été menés le démontrent. Pour exemple, en 2020, <a href="https://www.lepoint.fr/sondages-oui-non/avez-vous-confiance-dans-la-justice-de-votre-pays-27-06-2020-2381983_1923.php"><em>Le Point</em></a> demandait à son lectorat s’ils avaient confiance dans la justice de leur pays. La réponse fut négative à environ 77 %.</p>
<p>Cette tendance négative se confirme par le <a href="https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-la-justice-4/">sondage de l’IFOP sur les Français et la justice</a>. Environ 1 français sur 2 déclare ne pas avoir confiance en la justice. De plus, 53 % considèrent que les juges ne sont pas neutres et impartiaux et 55 % estiment que les juges ne sont pas indépendants du pouvoir politique. Enfin, seulement 34 % des personnes interrogées considèrent que les juges prononcent des peines adaptées.</p>
<p>De même, une <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Round%2012%20-%20Barom%C3%A8tre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague12-1.pdf">enquête du Cevipof</a> de février 2021 constate que plus de 50 % des Français n’ont pas confiance en la justice.</p>
<p>Ces indicateurs statistiques font état d’une véritable crise de confiance. Les évènements du 19 mai 2021 sont donc symptomatiques d’une certaine désillusion vis-à-vis de la justice. Mais les défaillances de cette dernière ne doivent pas conduire à affaiblir son indépendance.</p>
<h2>Restaurer le lien de confiance dans la justice</h2>
<p>Comme a pu le <a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/the-independence-of-judges-and-the-judiciary-under-threat">dire</a> la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović :</p>
<blockquote>
<p>« l’indépendance de la justice sous-tend l’État de droit et elle est indispensable au fonctionnement de la démocratie et au respect des droits de l’homme. »</p>
</blockquote>
<p>Il existe un besoin impérieux de restaurer le lien de confiance entre la population et la justice en France afin qu’à l’avenir ne soient plus remises en cause la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.</p>
<p>Or, un mois avant la manifestation, le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a présenté un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4091_projet-loi">projet de loi</a> « pour la confiance en l’institution judiciaire ». Celui-ci a justement pour ambition de remédier au manque de confiance qu’ont les citoyens dans la justice française. Cependant, <em>Le Monde</em> rapporte <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/19/projet-de-loi-pour-la-confiance-en-l-institution-judiciaire-l-occasion-manquee-d-eric-dupond-moretti_6077276_3232.html">l’insuffisance du projet</a>. En effet, ce projet « fait l’impasse sur une réforme du parquet et les “remontées d’information” vers la chancellerie ». Ainsi, il ne permet pas de résoudre et de renforcer véritablement l’indépendance de la justice.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1397224238201851914"}"></div></p>
<h2>Protéger l’État de droit et la démocratie</h2>
<p>Cependant, une <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/autres-commissions/commissions-d-enquete/commission-d-enquete-sur-les-obstacles-a-l-independance-du-pouvoir-judiciaire/(block)/69211">commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire</a> a été créée le 7 janvier 2020 à l’Assemblée nationale.</p>
<p>Présidée par le député Ugo Bernalicis, elle a pour objectif de formuler des propositions pour « garantir pleinement l’indépendance de la justice ». Le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cejustice/l15b3296_rapport-enquete">rapport d’enquête</a> du 2 septembre 2020 fait état de 41 propositions pour renforcer l’indépendance de la justice. Elles se structurent autour de 3 axes : des garanties renforcées d’indépendance, des moyens supplémentaires pour l’autorité judiciaire et une plus grande transparence.</p>
<p>Certes des évolutions sont encore à mener, mais des événements d’actualité ne doivent pas conduire à remettre en cause des piliers fondamentaux de la démocratie à savoir la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. L’enjeu est important : le maintien de l’État de droit et de la démocratie.</p>
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<p><em>L’autrice effectue sa thèse sous la direction de Fabrice Hourquebie.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161596/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kassandra Goni ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La défiance envers la justice française ne cesse d’augmenter.Kassandra Goni, Doctorante en droit public, thèse portant sur la protection de la liberté individuelle sous la direction du Pr. HOURQUEBIE, CERCCLE (EA 7436), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1604072021-05-06T18:23:32Z2021-05-06T18:23:32Z« Quelle démocratie ? » (1 / 3) : La démocratie française est-elle en crise ?<p><em>« In extenso », des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
<hr>
<p>La démocratie, c’est littéralement le pouvoir exercé par le peuple. Elle ne se déploie évidemment pas de la même manière sous toutes les latitudes. Les États qui ont choisi ce régime, ou prétendent l’avoir choisi, l’appliquent chacun avec leur histoire, leurs institutions, leurs aspirations. Dans certains d’entre eux, la crise sanitaire a eu des impacts sur l’exercice de la démocratie.</p>
<p>The Conversation a choisi d’explorer cette notion à travers une série de podcasts réalisée avec l’Institut des hautes études pour la science et la technologie, et intitulée « Quelle démocratie ? ». On y parle de ses évolutions aux États-Unis, en France et en Chine. Les deux premiers États sont indéniablement des démocraties, même s’ils font régulièrement l’objet de critiques sévères. La Chine, elle, est un régime autoritaire qui, pourtant, se prétend démocratique. Comment la démocratie s’exerce-t-elle, se construit-elle, quels dangers la menacent ?</p>
<p>Dans ce premier épisode, « La démocratie française est-elle en crise ? », nous abordons les défis démocratiques auxquels notre pays est aujourd’hui confronté, de la défiance croissante envers les élites aux questionnements sur la représentativité des élus, en passant par la remise en cause du « système » comme on l’a vu avec les Gilets jaunes…</p>
<p>Pour discuter de tous ces sujets, nous accueillons Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie à Sorbonne Université et président du Collège de philosophie.</p>
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100/" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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<p><em>Conception, Françoise Marmouyet et Grégory Rayko. Production, Romain Pollet</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Ce podcast prolonge une intervention tenue dans le cadre du webinaire <a href="https://www.ihest.fr/ihest-mediatheque/la-democratie-francaise-a-lepreuve-des-crises/">« La démocratie française à l'épreuve des crises ? »</a> enregistré le 4 février 2021 dans le cadre du cycle de formation de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (<a href="https://www.ihest.fr/">IHEST</a>) « Les régimes démocratiques à l’épreuve des transitions ? La question de la gouvernance. »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160407/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Comment la démocratie s’exerce-t-elle, quels dangers la menacent ? Réflexions sur les défis qu’affronte la démocratie française.Grégory Rayko, Chef de rubrique International, The Conversation FranceFrançoise Marmouyet, Coordinatrice éditoriale, The Conversation FranceRayane Meguenni, Chef de projet podcasts, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1581442021-04-06T18:42:21Z2021-04-06T18:42:21ZUn an de communication de crise : l’exécutif face aux Français<p>Articulée depuis l’Antiquité sur l’évolution des formes politiques, <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/revues/la-communication-politique-nouvelle-edition-revue-et-augmentee/">l’historicité de la communication politique</a> se vérifie à notre époque dans les métamorphoses du triptyque « politiques/médias/publics ». L’effet conjoint des innovations liées au numérique et celui la <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Le-Debat/Le-populisme-au-secours-de-la-democratie">crise de confiance</a> qui traverse nos sociétés font que, pour un exécutif démocratique tel que le nôtre, le défi est d’avoir une parole qui porte.</p>
<p>Les crises plurielles émaillant le mandat d’Emmanuel Macron nourrissent toute la verticalité <a href="https://www.cairn.info/l-esprit-de-la-ve-republique--9782262034443.htm">si caractéristique</a> de la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-constitution-guy-carcassonne/9782757846001">Vᵉ République</a>. Ce trait est d’autant plus mal vécu que le processus de <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2018/11/13/01002-20181113ARTFIG00240-president-premier-ministre-quelle-difference-de-popularite.php">désillusion présidentielle</a>, dans l’opinion, est devenu préoccupant au fil des mandats.</p>
<p>Depuis février 2020, c’est la pandémie de Covid-19 qui contraint le plus nos dirigeants à des mises en scène plus ou moins virtuoses de leur action. En ce début avril 2021, l’horizon communicationnel est double pour le pouvoir : l’acceptabilité des mesures contraignantes qui persistent et la bataille de crédibilité politique qui éclot. S’entremêlent donc plus que jamais légitimité, autorité et conflit. Les caractéristiques de cette tragédie sanitaire disculpent dans une large part nos gouvernants en grande difficulté. Pour autant, ce pilier cognitif essentiel de la démocratie que constitue la confiance doit s’appuyer sur la consistance, la cohérence et la constance des mots du pouvoir. Alors que dire de la communication de crise de l’exécutif français depuis un an ?</p>
<h2>Pédagogie et acceptabilité</h2>
<p>Pour commencer à répondre, postulons deux choses. Premièrement, s’impose à nos dirigeants, au fil de cette crise, une information pédagogique sur les motifs objectifs justifiant les arbitrages qu’ils rendent (ex. éviter une saturation des services de réanimation). En second lieu, il leur faut s’assurer, par leur communication, de l’acceptabilité de leurs mesures dans le temps.</p>
<p>Ces deux figures imposées à l’exécutif exigent de lui de résoudre d’abord, par la concertation, la tension entre efficacité et consensus qui est inhérente à ce type de processus décisionnel qui associe politique et science. Elles exigent aussi du président de la République qu’il tienne ses promesses. Depuis février 2020, se sont succédé à Matignon deux styles successifs : une responsabilisation souvent pragmatique avec Édouard Philippe, une ligne plus anxiogène et culpabilisante avec Jean Castex.</p>
<p>À l’Élysée, domine une communication <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/de-la-representation-louis-marin/9782020221870">dont la théâtralité</a> nécessaire mais obsédée par l’agilité du président, interroge. Au final, la communication de crise de notre exécutif compromet ses performances. Deux raisons interdépendantes peuvent expliquer cela.</p>
<h2>Des techniques oratoires de persuasion souvent problématiques</h2>
<p>Depuis un an, la rhétorique de l’exécutif tout entier s’est d’abord déclinée en une large palette de figures de style déroutantes mais censées dire tour à tour l’incertitude et la puissance. Ici se distinguent bien sûr la métaphore guerrière churchillienne, les <a href="https://www.lemonde.fr/sante/video/2020/03/16/video-nous-sommes-en-guerre-repete-macron-dans-son-deuxieme-discours-sur-le-coronavirus_6033315_1651302.html">anaphores et les psalmodies du président</a>.</p>
<p>Également sa dramaturgie pétrie de paradoxes. Ainsi, ce « maître des horloges… arrêtées » a mobilisé les Français pour la guerre… en les confinant, avant de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-OGmhGnPCYs">décréter la paix</a> dans un vœu pieux lors de <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/275172-emmanuel-macron-14072020-politique-gouvernementale">son interview</a> du 14 juillet 2020 :</p>
<blockquote>
<p>« Nous avons des résultats puisque l’on a réussi à endiguer le virus et retrouvé presque une vie normale. »</p>
</blockquote>
<p>De même, les oscillations du verbe présidentiel entre verticalité et horizontalité-proximité, entre solennité et cartes postales sont apparues dès mars 2020 : allocutions officielles, tweets de soutien aux soignants, <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/04/09/macron-en-consultation-surprise-a-marseille_1784783/">déplacements</a> à répétition…</p>
<p>Cette démultiplication de lui-même et ses légèretés avec l’ethos présidentiel ont atteint leur paroxysme entre fin février et fin mars 2021 : le président plaisante <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/02/24/le-clip-de-mcfly-et-carlito-sur-les-gestes-barrieres-depasse-les-dix-millions-de-vues-sur-youtube_6071029_4408996.html">avec McFly et Carlito</a> avant de reverrouiller tout le pays.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IX_HdFFjSGs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les youtubeurs McFly et Carlito réagissent au défi lancé par Emmanuel Macron.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Les ratés d’exécution</h2>
<p>Mais c’est au sujet des ratés d’exécution récurrents sur les masques, tests et vaccins que les dénis de l’exécutif ont été plus médiatisés au fil des mois.</p>
<p>Le 18 mai 2020, la diffusion sur BFM du reportage « Au cœur de l’Élysée, face à la crise » comporte une séquence où le président <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/ligne-rouge/au-coeur-de-l-elysee-face-a-la-crise-le-document-exceptionnel-de-bfmtv_VN-202005180246.html">se perd dans le sophisme</a> au sujet du manque de masques. La mise en cause de <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/masques-sanitaires/crise-sanitaire-jerome-salomon-mis-en-cause-par-le-senat_4214887.html">Jérôme Salomon</a> par le sénat sept mois plus tard en a été une réplique politico-médiatique embarrassante.</p>
<p>Le 29 décembre 2020, le ministre de la Santé disait <a href="https://www.lci.fr/sante/covid-19-ce-delai-je-l-assume-olivier-veran-repond-aux-critiques-sur-la-lenteur-de-la-vaccination-en-france-2174140.html">« assumer »</a> la lenteur de la vaccination par précaution. Au même moment le président de la République laissait fuiter dans les médias la <a href="https://www.lepoint.fr/sante/ca-doit-changer-vite-et-fort-macron-s-agace-de-la-lenteur-de-la-vaccination-03-01-2021-2407975_40.php">colère</a> qu’elle lui inspirait, alors qu’il avait lui-même décidé cette stratégie vaccinale eurocentrée.</p>
<p>Certes, à la faveur de cette crise sanitaire, le flux permanent jailli de la <a href="https://livre.fnac.com/a4246351/Eric-Maigret-Sociologie-de-la-communication-et-des-medias-3e-edition">nouvelle socio-économie des médias</a> interpelle comme jamais nos gouvernants. Néanmoins, du fait qu’elle occasionne une polyphonie dysfonctionnelle, la théâtralité de cette communication de crise ne cesse de nourrir en retour cette nuée informationnelle.</p>
<h2>Une polyphonie dysfonctionnelle au sein de l’exécutif</h2>
<p>Il se trouve que l’une des vertus de l’exécutif bicéphale de la V<sup>e</sup> République consiste à lui permettre de se moduler selon deux registres de communication complémentaires : l’Élysée incarne et arbitre, Matignon explique et exécute.</p>
<p>Dans la gestion de la pandémie, ce modèle, que l’on peut qualifier de « gaullien », a laissé place à un plan de communication de crise aléatoire et qui révèle d’ailleurs les limites de la dimension logocratique (gouverner par les mots) de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-parole-presidentielle-joseph-daniel/9782021098228">l’institution présidentielle</a>.</p>
<p>L’interminable séquence autour de l’hypothèse du reconfinement, qui s’est étirée entre fin janvier et ce mercredi 31 mars 2021, l’a montré une fois encore de façon évidente. Pourquoi ?</p>
<p>La cause est entendue : <a href="https://books.google.fr/books/about/Gouverner_c_est_para%C3%AEtre.html?id=xKtCAQAAIAAJ&redir_esc=y">« gouverner c’est paraître » indiquait Jean‑Marie Cotteret</a> et la politique est un <a href="https://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1981_num_48_1_1419">« spectacle en soi » rappellait Georges Balandier</a>.</p>
<p>Sur cette scène, discours, gestuelles et productions textuelles ou iconiques se déploient tour à tour pour servir de supports de sens assurant la mise en visibilité de la communication et, si possible, sa consistance dans l’espace public.</p>
<h2>Brouillage de parole</h2>
<p>La relation est toujours déterminante entre le contenu d’un discours politique et son <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/dictionnaire-d-analyse-du-discours-patrick-charaudeau/9782020378451">contexte social d’énonciation</a>, singulièrement le régime médiatique dans lequel il s’inscrit. C’est en cela que, depuis février 2020, le plan-média du tandem exécutif apparaît souvent erratique.</p>
<p>Quel message solennel le président vient-il nous délivrer le soir du 2 février dernier, dans son <a href="https://www.youtube.com/watch?v=mBrV1Gp9-1E">« JT »</a> inattendu ? Aucun, mais il brouille la parole gouvernementale.</p>
<p>Pourquoi Jean Castex vient-il le <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/les-emissions-speciales/revoir-l-interview-de-jean-castex-a-bfmtv_VN-202103160561.html">soir du 16 mars sur BFM</a> veille d’un Conseil de défense où tout sera décisif ? Cette absence de répartition fonctionnelle des rôles entre l’Élysée et Matignon avait émaillé les deux premiers mois de crise en 2020.</p>
<p>Mais, comme l’a écrit <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/guillaume-tabard-une-parole-presidentielle-au-peril-de-la-banalisation-20200326">Guillaume Tabard dans <em>le Figaro</em></a> à l’époque, c’est surtout la parole présidentielle qui avait été « plus répétitive que performative ».</p>
<p>Le lundi 13 avril 2020, il faisait sa quatrième allocution télévisée en un mois, un record sous la V<sup>e</sup> République. En face, la communication gouvernementale technique et rigoureuse orchestrée par Édouard Philippe avait dessiné peu à peu un « point fixe » dans la gestion de la crise. Dès avril, et quels qu’en furent les contextes d’énonciation (conférence de presse, parlement, JT télévisé…), ses ressorts sémio-discursifs – processus selon lequel se manifeste une signification dans un texte, une image ou autre considérés eux-mêmes comme des discours – avaient pivoté autour de l’humilité, le principe de réalité et la responsabilité.</p>
<p>Ainsi, le 2 avril 2020 en duplex TV <a href="https://www.leparisien.fr/video/video-edouard-philippe-annonce-que-le-confinement-ira-probablement-au-dela-du-15-avril-02-04-2020-8293203.php">depuis Matignon</a> :</p>
<blockquote>
<p>« On est dans un moment où il faut être humble. Il n’y a pas de honte à dire qu’on ne sait pas quand on ne sait pas » ;</p>
</blockquote>
<p>ou en conférence de presse le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_O8n98kseMg">19 avril</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nous allons devoir apprendre à vivre avec le virus » ;</p>
</blockquote>
<p>Le 28 avril <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/discours-edouard-philippe-deconfinement-annonces_fr_5ea7ec4ac5b6dd3f908a7d1a">devant les députés</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Un peu trop d’insouciance et c’est l’épidémie qui repart. Un peu trop de prudence et c’est l’ensemble du pays qui s’enfonce ».</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_O8n98kseMg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Édouard Philippe le 19 avril.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un président incapable de nommer ce qui clive ?</h2>
<p>Que conclure ? Toute crise majeure tend à fédérer les Français autour de leurs présidents de la République. Le défi de taille consiste cette fois à protéger cette efficience présidentielle des affres induites par la durée indéterminée de la pandémie. « Le maître du temps, c’est le virus », a reconnu Emmauel Macron le 15 mars dernier à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/discours-edouard-philippe-deconfinement-annonces_fr_5ea7ec4ac5b6dd3f908a7d1a">Montauban</a>.</p>
<p>Si la communication est la continuation de la politique par d’autres moyens, comme l’a écrit récemment <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/arnaud-benedetti-la-communication-gouvernementale-est-suspicieuse-invasive-et-sermonnante-20210324">Arnaud Benedetti</a> elle est aussi comme elle « un art tout d’exécution ».</p>
<p>Le président de la République doit, plus que jamais, tenir l’opinion, tout en endiguant la pandémie. C’est la raison pour laquelle plus celle-ci perdure, moins il s’autorise deux postures : contraindre les Français et se déjuger. On peut toutefois s’inquiéter de sa difficulté récurrente à nommer tout ce qui clive un tant soit peu son auditoire (« frontières », « confinement », « passeport vaccinal »…).</p>
<p>Pour finir, notons que cette communication de crise doit nourrir aussi, pour Emmanuel Macron, la mise en forme persuasive d’un nouveau projet politique pour 2022. Sauf si, comme pour François Hollande et « l’inversion de la courbe du chômage », la campagne vaccinale ne signifie pas à temps la sortie du tunnel…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158144/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Le Breton-Falézan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En ce début avril 2021, l’horizon communicationnel est double pour le pouvoir : l’acceptabilité des mesures contraignantes qui persistent et la bataille de crédibilité politique qui éclot.Isabelle Le Breton-Falézan, Maître de conférences, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1490852020-11-08T17:30:26Z2020-11-08T17:30:26ZDe Gaulle, un libéral méconnu ?<p>À l’heure de la relance de la planification en France, l’héritage de Charles de Gaulle est aujourd’hui revendiqué par toutes et tous, jusqu’à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/03/dans-un-long-texte-marine-le-pen-revendique-l-heritage-du-general-de-gaulle_6041626_823448.html">Marine Le Pen</a> affirmant, à propos des principes de la politique économique gaullienne :</p>
<blockquote>
<p>« sur l’échiquier politique, aujourd’hui, seul le Rassemblement national défend cette ligne. »</p>
</blockquote>
<p>L’assertion est pour le moins paradoxale venant de l’ancienne présidente du Front national, parti d’extrême droite <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/06/04/les-le-pen-et-de-gaulle-de-la-haine-a-la-recup_1790312">très hostile</a> au leader de la France libre puis au Président décolonisateur, car formé autour d’anciens vichystes et d’opposants à l’indépendance algérienne.</p>
<p><a href="http://www.gaullisme.fr/2020/06/06/jean-luc-melenchon-de-gaulle-na-jamais-adhere-a-la-main-invisible-du-marche/">Jean‑Luc Mélenchon</a> assurait quant à lui que :</p>
<blockquote>
<p>« de Gaulle n’a jamais adhéré à l’idée de la main invisible du marché. Le libéralisme est un produit d’importation en France. »</p>
</blockquote>
<p>Personne ne présentait de Gaulle comme un libéral, position logique car la mémoire collective associe volontiers le grand personnage à la planification et au volontarisme industriel <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/haf/1964-v18-n1-haf2047/302342ar.pdf">colbertiste</a>, instruments indispensables à l’expression de la « Grandeur » de la France, <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1955_num_5_1_402602_t1_0182_0000_001">l’objectif</a> ultime du Général, mais aussi à l’expansion de <a href="https://www.cairn.info/l-etat-providence--9782130539353-page-3.htm">l’État-providence</a>.</p>
<p>Pourtant, l’étude des décisions et des écrits de la main du Général de Gaulle portant sur la seconde période où il dirigeait la France, de 1958 à 1969, témoigne de son orientation libérale.</p>
<h2>De Gaulle, libéral ?</h2>
<p>Entendons-nous sur les mots : être « libéral », au sens économique, signifie défendre l’économie de marché et croire dans sa dynamique de création de richesse, sans se priver de considérer comme nécessaires des mécanismes pour l’orienter et compenser ses faiblesses. Keynes lui-même était un libéral.</p>
<p>Cette inclination ne saurait être confondue avec un ultralibéralisme matérialiste, érigeant le marché comme un nouveau veau d’or. Une approche historique, reposant sur la comparaison avec les pratiques de l’époque et sur l’analyse des sources primaires (réalisée en détail dans l’ouvrage <a href="https://books.openedition.org/igpde/102?lang=fr">suivant</a>), permet de restituer le personnage dans toute sa complexité, tout en affirmant la dimension libérale de sa politique économique.</p>
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<figcaption><span class="caption">#INA #Politique Charles de GAULLE : Petite phrase (« L’intendance suit »).</span></figcaption>
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<p>Caractériser la pensée économique du Général de Gaulle suppose au préalable de jeter à bas un poncif : non, le dirigeant français ne « méprisait pas l’intendance », selon l’expression apocryphe qui lui a été attribuée, et qu’il a publiquement démentie lors d’un entretien avec <a href="http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/michel-droit">Michel Droit</a>, l’interlocuteur du Général de Gaulle lors d’entretiens télévisés en direct du palais de l’Élysée, le <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00110/entretien-avec-michel-droit-premiere-partie.html">13 décembre 1965</a>.</p>
<p>Arrivé au pouvoir au <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/de_gaulle.asp">printemps 1958</a>, il ne peut que constater l’extrême dépendance de la France envers les capitaux étrangers car les déficits des finances publiques ont obligé les dirigeants français à quémander des crédits internationaux à l’hiver 1957-1958. Treize années après la fin de la guerre, la France, seule parmi les pays occidentaux les plus riches, a besoin d’une perfusion de crédits étrangers. Une telle vexation ne pouvait passer inaperçue aux yeux de Gaulle, qui s’employa dès lors à restaurer le crédit financier de la France.</p>
<h2>De Gaulle pour une économie libérale</h2>
<p>Pour ce faire, de Gaulle développe une politique certes interventionniste, mais aussi classiquement libérale. Déjà, dans le <a href="https://www.cairn.info/l-annee-1947%E2%80%939782724607864-page-327.htm">discours</a> de Strasbourg du 7 avril 1947, de Gaulle affirmait :</p>
<blockquote>
<p>« L’effort à accomplir ? D’abord, nous établir sur une base de départ solide en stabilisant la monnaie, ce qui implique en premier lieu une réduction considérable des dépenses et, par conséquent, des activités de l’État. »</p>
</blockquote>
<p>Une fois au pouvoir, il se concentre d’abord sur l’assainissement des finances, d’abord avec un emprunt lancé avec succès par son ministre Antoine Pinay à l’été 1958, et ensuite avec le <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2001-4-page-102.htm">Plan Rueff</a>, qui combine austérité, augmentation d’impôts et surtout libération des échanges. Comme le souligne de Gaulle dans ses mémoires :</p>
<blockquote>
<p>« C’est là une révolution ! Le plan nous conseille, en effet, de faire sortir la France de l’ancien protectionnisme qu’elle pratique depuis un siècle ».</p>
</blockquote>
<p>De fait, <a href="https://books.openedition.org/igpde/102?lang=fr">l’étude</a> des archives confirme cette impression : la grande majorité des élites administratives, politiques et patronales était opposée au retour brutal à la libération des échanges internationaux qu’imposait le Plan Rueff, après plusieurs décennies de protectionnisme depuis les lendemains de la crise de 1929, voire le <a href="https://www.cairn.info/revue-humanisme-et-entreprise-2012-3-page-1.htm">tarif Méline de 1892</a>. Les ministres Pinay et Mollet menacent de démissionner.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le Général de Gaulle était patriote et européen, libéral et social I Maël de Calan.</span></figcaption>
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<p>Par la suite, le choix de confier l’économie à des libéraux comme Georges Pompidou, Wilfried Baumgartner et <a href="https://nouveautes-editeurs.bnf.fr/annonces.html">Valéry Giscard d’Estaing</a>, puis son rôle direct dans le plan de stabilisation de 1963, dans la promotion de <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2013-1-page-83.htm">l’étalon-or</a> à partir de 1965, et enfin dans le refus de dévaluer le <a href="https://journals.openedition.org/ress/236">franc</a> en 1968 traduisent un attachement à une gestion prudente et orthodoxe de l’économie, des finances et de la monnaie. Les déficits de l’État sont d’ailleurs inférieurs à ceux de la période précédente.</p>
<h2>Rompre avec le protectionnisme</h2>
<p>De Gaulle assimile le protectionnisme à un repli sur soi mortifère et défaitiste. Dans un <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00112/entretien-avec-michel-droit-troisieme-partie.html">entretien</a> avec Michel Droit du 15 décembre 1965 il lie encore les dynamiques <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00112/entretien-avec-michel-droit-troisieme-partie.html">politiques et économiques</a> en évoquant l’avant-1914 :</p>
<blockquote>
<p>« On restait là, sous la protection des douanes, et on vivait comme ça, à l’intérieur, confortablement. Et il y en a qui disaient que c’était la belle époque. Bien sûr, on ne se transformait pas, on n’évoluait pas. D’autres devenaient de grands pays industriels comme l’Allemagne, l’Angleterre qui avait commencé avant tout le monde, les États-Unis qui avaient entrepris leur essor. »</p>
</blockquote>
<p>Le protectionnisme est alors directement associé au déclin géopolitique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Gérard Minart, Jacques Rueff l’ordo libéralisme à la française.</span></figcaption>
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<p>Au-delà du discours, la politique gaullienne menée de 1958 à 1969 rompt avec la tentation protectionniste des gouvernements précédents. Lorsqu’il revient au pouvoir, de Gaulle impose avec le <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1987_num_16_1_1944_t1_0134_0000_4">Plan Rueff</a> de 1958 une ouverture de l’économie française à la concurrence internationale sans précédent. Au cours des années 1960, de Gaulle soutient la réalisation du <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1969/06/SIDJANSKI/29035">Marché commun à Six</a>. Il accélère même le processus, en supprimant les droits de douane entre les six intervenants dès le premier juillet 1968, soit dix-huit mois avant le calendrier prévu par le Traité de Rome.</p>
<p>Dans le monde, le gouvernement français accepte les négociations de libéralisation internationale du commerce, où, sans faire partie des plus libéraux, il accepte une concurrence internationale stimulante, pour autant qu’elle préserve l’agriculture.</p>
<h2>La rigueur budgétaire</h2>
<p>De Gaulle pratique aussi la rigueur budgétaire, indispensable pour éviter de se retrouver en position de débiteur, comme les gouvernements de la Quatrième République résignés à solliciter régulièrement des aides de leurs alliés. Sur le plan des finances publiques, là aussi, la rupture est nette comme une étude récente sur l’histoire de la Banque de France vient le confirmer : les déficits publics et le recours à la dette se réduisent nettement sous de Gaulle par rapport à la période précédente, alors même que les <a href="https://www.parisschoolofeconomics.eu/fr/actualites/controlling-credit-central-banking-and-the-planned-economy-in-postwar-france-1948-1973-eric-monnet-oct-2018/">fondamentaux économiques</a> -le fort taux de croissance et le faible taux de chômage – n’ont pas changé.</p>
<p>Certes, en économie de Gaulle n’est pas que libéral. Né en 1890 et élevé dans un milieu catholique, il a toujours été sensible à l’influence du <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/2490/charles-de-gaulle-chretien-homme-d-etat">catholicisme social</a> et à sa critique de l’individualisme exacerbée comme du socialisme. On retrouve cette ambition dans son projet de participation, mais il faut noter qu’il ne remet en cause ni la propriété privée ni le caractère central du travail dans l’émancipation de l’individu, et qu’il n’a été que très modestement appliqué.</p>
<h2>Planification et compétitivité</h2>
<p>De Gaulle fut un grand planificateur et l’instigateur d’un colbertisme modernisateur ambitieux. Pourtant aussi paradoxal que cela puisse paraître, cela ne contredit pas son libéralisme. La priorité du <a href="https://www.strategie.gouv.fr/actualites/cinquieme-plan-de-developpement-economique-social">Vᵉ Plan</a> (1966-1970) est explicitement celle de la compétitivité internationale. La planification s’inscrit donc dans la libération des échanges. De même, le soutien au développement industriel par l’encouragement à la concentration et par des aides massives à des programmes de haute technologie s’insère dans cette priorité. <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/8705-juillet-1966-lancement-du-plan-calcul-informatique-par-le-general-de-gaulle-et-le-gouvernement">Le Plan Calcul</a>, Concorde ou Airbus ont tous été lancés sous de Gaulle pour transformer la France en pays exportateur dans ces nouveaux secteurs.</p>
<p>Ajoutons que, dans les années 1960, de nombreux <a href="https://www.researchgate.net/publication/291574704_Des_chiffres_pour_la_planification_economique_europeenne_un_projet_francais_pour_la_CEE_1956-1967">pays européens</a> avaient développé des organes de coordination de leur économie, voire de planification, ainsi que des politiques industrielles ambitieuses. Projeter sur la période gaullienne une vision de la planification appartenant à l’espace soviétique, ou aux périodes antérieures ou postérieures, demeure un anachronisme.</p>
<p>Ainsi, libéral, de Gaulle l’est car il impose avec le Plan Rueff une rupture avec plusieurs décennies de protectionnisme. Il relance la planification indicative mais en la liant à l’exigence de la compétitivité internationale. Point de fétichisme du marché, mais simplement la conscience aiguë de l’interdépendance des nations, et de l’impératif de disposer de finances saines pour être crédible à l’international. Point de « Grandeur » sans rigueur.</p>
<p>Que reste-t-il de ce « libéralisme » à la de Gaulle aujourd’hui ? Sans doute la conscience que la France ne peut se replier sur elle-même si elle veut demeurer un acteur mondial.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149085/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent WARLOUZET a reçu des financements d'organismes de recherche français, allemands, espagnol et européens. </span></em></p>La crise de la Covid-19 sonne le retour de l’intervention publique et nous donne l’occasion de revenir sur la politique de Gaulle, plus libérale qu’elle n’y paraît.Laurent Warlouzet, Chair professor, Histoire contemporaine de la France et de l'Europe, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1393382020-05-26T21:53:06Z2020-05-26T21:53:06ZLREM entre deux rives<p>La constitution du groupe « Écologie, démocratie et solidarité » le <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/le-9e-groupe-a-lassemblee-nationale-sinscrit-resolument-a-gauche_fr_5ec3a2c6c5b6dcac173cd737">19 mai 2020</a> a achevé symboliquement la majorité absolue du groupe LREM à l’Assemblée nationale.</p>
<p>La défection de députés comme Aurélien Taché (ex-Parti Socialiste et désormais ex-La République En Marche) semblait néanmoins relever plutôt de ce que Fernand Braudel aurait appelé « l’agitation de surface » de <a href="https://journals.openedition.org/rh19/419">l’histoire événementielle</a>. Une tension à comprendre dans une histoire plus longue et complexe. </p>
<p>Cependant, la décision du gouvernement de refermer le cycle des élections municipales place l’événement dans une autre perspective . En effet, brusquement, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/05/20/la-perte-de-la-majorite-absolue-a-l-assemblee-un-coup-dur-pour-emmanuel-macron_6040198_823448.html">« ce coup dur »</a> révèle les divisions profondes de la majorité présidentielle, dans un climat de forte défiance et avec un scrutin qui s'annonce compliqué.</p>
<p>La comparaison avec les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/ps/les-frondeurs-du-ps_1551732.html">frondeurs de François Hollande</a> s’impose aux esprits pour en montrer l’effritement, mais est-elle pertinente ?</p>
<h2>Une longue série de départs</h2>
<p>Après tout, le départ d’Aurélien Taché n’est que le dix-septième <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/departs-en-serie-chez-les-deputes-lrem-le-lent-effritement-de-la-majorite-macroniste_2119952.html">d’une série entamée</a> au lendemain de l’élection législative de mai 2017, déclinée en trois cas de figure.</p>
<p>D’abord celui des députés qui ont fait leur baptême du feu électoral en 2017 et ont été déçus du fonctionnement du parti (Frédérique Dumas en septembre 2018, Sandrine Josso en juin 2019). Le second est celui, plus fréquent, des députés généralement issus d’autres formations politiques (de gauche surtout), qui se sont opposés aux orientations fixées par le gouvernement : la loi asile et immigration (Jean‑Michel Clément en avril 2018), le recours au 49-3 pour faire adopter la réforme des retraites (Hubert Julien-Laferrière et Delphine Bagarry en mars 2020), et, surtout, le manque d’ambition écologique (Matthieu Orphelin en février 2019).</p>
<p>Enfin, il faut considérer le cas des députés qui ne se sont pas conformés aux normes disciplinaires et comportementales du parti (Joachim Sun-Forget en décembre 2018, Agnès Thil en juin 2019).</p>
<p>Naturellement, ces trois configurations se mêlent inextricablement, comme le montre la candidature parisienne de Cédric Villani. Exclu en janvier pour avoir <a href="https://www.lepoint.fr/elections-municipales/cedric-villani-tout-ne-se-fait-pas-dans-la-silicon-valley-18-01-2020-2358408_1966.php">refusé de se désister</a> en faveur de Benjamin Grivaux, au nom d’une « tradition séculaire d’indépendance de Paris vis-à-vis du pouvoir », le mathématicien affichait ses divergences stratégiques avec la majorité.</p>
<h2>Une interrogation sur le rôle des parlementaires</h2>
<p>Mais dans tous les cas, ces dissidences sont le symptôme d’une interrogation profonde sur le rôle des parlementaires dans un parti qui s’assume difficilement comme tel, avec ses règles de fonctionnement, son organisation, et ses choix idéologiques. Emmanuel Macron n’apporte aucune réponse : dans <a href="https://en-marche.fr/emmanuel-macron/revolution"><em>Révolution</em></a> il parle peu de la représentation parlementaire et depuis son élection, il alterne actes de tension et paroles d’apaisement, comme en janvier lors de la controverse sur le congé des parents endeuillés.</p>
<p>Selon un rapport publié par le <a href="http://tnova.fr/rapports/la-republique-en-marche-anatomie-d-un-mouvement">think tank Terra Nova en 2018</a>, de telles hésitations étaient alors partagées par la base militante, dont le quart considérait LREM comme un mouvement, et non comme un parti, manifestant le désir d’une organisation plus horizontale.</p>
<p>S’ils se montraient satisfaits de l’action du parti, seulement 20 % à 30 % d’entre eux doutaient de sa capacité à prendre en compte leur opinion, à valoriser leur engagement, à fonctionner démocratiquement. Et s’ils s’identifiaient comme le parti du président, 90 % considéraient comme important de « faire remonter au gouvernement les attentes des Français », de « produire des idées pour influencer les politiques publiques » ou « d’agir localement au quotidien ».</p>
<h2>Les contradictions profondes de LREM</h2>
<p>En somme, le départ tonitruant de certains députés révèle les contradictions profondes de l’organisation fondée par Emmanuel Macron. Mais loin de l’affaiblir, il pourrait contribuer à clarifier sa place dans le paysage politique français pour deux raisons que l’histoire politique éclaire.</p>
<p>D’abord parce que le spectacle d’un groupe majoritaire écartelé entre ses velléités d’indépendance et son allégeance au président qu’il soutient est aussi ancien que la V<sup>e</sup> République elle-même.</p>
<p>Lorsqu’en 1958 le parti gaulliste, l’Union pour la Nouvelle République (UNR), conquiert 206 sièges sur les 576 de l’Assemblée nationale, il n’avait d’autre rôle que de servir les orientations définies par le <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2009-3-page-8.htm?contenu=resume">gouvernement</a>.</p>
<p>La fidélité envers De Gaulle était essentielle, mais à la différence de la majorité LREM, celle de 1958 n’était pas novice en politique. Ces nouveaux élus, pour la plupart des notabilités enracinées, pouvaient jouer d’autonomie au point de contester <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-1990-2-page-53.htm">certains choix essentiels</a>. Ce fut le cas de la politique algérienne : en octobre 1959, le discours de De Gaulle sur l’autodétermination déclencha l’opposition de huit députés menés par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_Delbecque">Léon Delbecque</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337345/original/file-20200525-106848-1m0bnuf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337345/original/file-20200525-106848-1m0bnuf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337345/original/file-20200525-106848-1m0bnuf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337345/original/file-20200525-106848-1m0bnuf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337345/original/file-20200525-106848-1m0bnuf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337345/original/file-20200525-106848-1m0bnuf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337345/original/file-20200525-106848-1m0bnuf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Photo familiale de Léon Delbecque, l’homme de « l’ombre » du général De Gaulle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_Delbecque#/media/Fichier:L%C3%A9on_Delbecque.JPG">Lucien Desprez/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Dans leur sillage, 23 députés démissionnèrent du groupe jusqu’en 1962, et 7 en furent exclus. Lorsque la censure fut votée contre le gouvernement Pompidou le 5 octobre 1962, 18 d’entre eux se désolidarisèrent de la <a href="https://books.openedition.org/pur/111614">majorité présidentielle</a>).</p>
<p>Où conduit cette première comparaison ? Elle montre que les tiraillements de l’actuelle majorité reflètent la difficile adaptation d’un parti présidentiel au contexte constitutionnel de la V<sup>e</sup> République. Selon l’historien Nicolas Rousselier, celui-ci est fondé sur un « paradigme présidentiel » et non parlementaire, ce qui réduit considérablement son <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/La-force-de-gouverner">rôle</a>.</p>
<p>La question posée ne se réduit pas au débat sur l’autorité charismatique d’Emmanuel Macron. Elle engage une réflexion d’ensemble sur ce que représenter veut dire à l’âge de la démocratie participative et des réseaux sociaux.</p>
<h2>Le rôle des partis</h2>
<p>La difficulté qu’ont les députés majoritaires de la V<sup>e</sup> République à donner sens à leur mandat tient aussi beaucoup à la mise en cause des organisations partisanes.</p>
<p>Le moment où ce système se met en place, au début du XX<sup>e</sup> siècle, peut en éclairer les enjeux, notamment dans le cas de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), fondée en 1905.</p>
<p>Car depuis l’apparition des mouvements ouvriers <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Histoire_des_gauches_en_France-9782707138651.html">au XIXᵉ siècle</a>, la méfiance fut toujours forte contre les délégués qui quittaient l’atelier pour l’hémicycle, fréquentaient l’ennemi de classe et risquaient de trahir la cause de la révolution.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337341/original/file-20200525-106836-1mmyn9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337341/original/file-20200525-106836-1mmyn9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=701&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337341/original/file-20200525-106836-1mmyn9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=701&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337341/original/file-20200525-106836-1mmyn9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=701&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337341/original/file-20200525-106836-1mmyn9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=880&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337341/original/file-20200525-106836-1mmyn9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=880&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337341/original/file-20200525-106836-1mmyn9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=880&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Christophe Thivrier expulsé de la Chambre des députés pour avoir crié « Vive la Commune ! » (dessin de José Belon, <em>Le Petit Journal</em>), 1894.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Christophe_Thivrier#/media/Fichier:Christophe_Thivrier_1894.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Mandat impératif, démission en blanc, sanctions disciplinaires, ces procédures de contrôle multipliées par les organisations ouvrières sous la III<sup>e</sup> République montrent leurs préventions contre la représentation parlementaire, alors considérée comme la voix de la Nation, requérant la pleine liberté de parole de l’élu.</p>
<p>Les députés de la classe ouvrière étaient toujours soupçonnés de servir leurs ambitions personnelles, comme Alexandre Millerand qui avait accepté le portefeuille du Commerce et de l’Industrie en 1899. Cette initiative avait été tellement débattue qu’elle avait retardé <a href="https://www.fayard.fr/histoire/les-hommes-revoltes-9782213686578">l’unité socialiste de plusieurs années</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337342/original/file-20200525-106862-1bngqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337342/original/file-20200525-106862-1bngqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=844&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337342/original/file-20200525-106862-1bngqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=844&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337342/original/file-20200525-106862-1bngqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=844&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337342/original/file-20200525-106862-1bngqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1060&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337342/original/file-20200525-106862-1bngqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1060&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337342/original/file-20200525-106862-1bngqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1060&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Invectives et pugilat lors du second congrès unitaire socialiste français tenu salle Wagram (28-30 septembre 1900). Vue d’artiste de Sabattier, <em>L’Illustration</em>, 6 octobre 1900.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Section_fran%C3%A7aise_de_l%27Internationale_ouvri%C3%A8re#/media/Fichier:Congr%C3%A8s_unitaire_socialiste_fran%C3%A7ais,_salle_Wagram,_1900.jpg">Louis Rémi Sabattier/Wikimedia</a></span>
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<p>Avec la fondation de la SFIO en 1905, les parlementaires furent soumis au contrôle du parti, qui exigeait d’eux une stricte discipline de vote et de comportement. Certains refusèrent de sacrifier leur autonomie et se retirèrent, discrètement comme René Viviani, qui se contenta de ne pas se présenter sous les couleurs socialistes en 1906 et devint ministre du Travail, ou avec éclat comme Aristide Briand, devenu ministre de l’Instruction publique et violemment mis en cause par Jean Jaurès en 1907.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337343/original/file-20200525-106848-19b59iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337343/original/file-20200525-106848-19b59iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337343/original/file-20200525-106848-19b59iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337343/original/file-20200525-106848-19b59iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337343/original/file-20200525-106848-19b59iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337343/original/file-20200525-106848-19b59iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337343/original/file-20200525-106848-19b59iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ernest Pignon Ernest : Jaurès, Exposition à la Bibliothèque de Nice parallèlement à celle du Mamac.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/23074701@N02/32526015876">Jean Latour/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Les articles et discours de ce dernier dans les années qui suivirent montrent à quel point cette discipline fut difficile à appliquer (Jean Jaurès, Œuvres, vol. 12. <em>Penser dans la mêlée</em> (1907-1910), édition établie par Jean‑François Chanet et Emmanuel Jousse, Paris, Fayard, 2020, à paraître).</p>
<h2>LREM, parti de « l’ancien monde » ?</h2>
<p>Que montre cette seconde comparaison ? Que les difficultés de la majorité actuelle tiennent moins à un effritement du pouvoir du président de la République qu’à une évolution de La République en Marche, qui se transforme en parti politique de l’ancien monde, avec ses propres finalités idéologiques, son organisation hiérarchique et sa discipline comportementale, risquant de ce fait une <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Sociologie-du-parti-dans-la-democratie-moderne">« tendance oligarchique »</a>.</p>
<p>La création du groupe « Écologie, démocratie et solidarité » affaiblit-elle La République en Marche ?</p>
<p>Rien n’est moins sûr : elle accélère sa mutation en parti de gouvernement adapté à la V<sup>e</sup> République, au prix du renoncement à son ambition originelle de renouveler la vie politique par une participation citoyenne plus intense. Né de l’ancien monde, le parti présidentiel cherche encore les voies du nouveau.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139338/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Jousse ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les départs en série de « Marcheurs » montrent comment le parti LREM n’a pas su se défaire de l’héritage et des contradictions de l’histoire politique française.Emmanuel Jousse, Historien chercheur associé, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.