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L’Arctique canadien subit de profondes transformations qui laissent des traces indélébiles sur le territoire. (Doug Barber/ArcticNet), Fourni par l'auteur

Il est urgent de mieux prévoir les événements climatiques extrêmes en Arctique

Les inondations majeures qu’a connues le sud du Québec dans les dernières semaines sont un exemple d’événement climatique extrême qui frappe l’imaginaire collectif. Le bilan de ces inondations se fait encore attendre, mais on estime que plus de 1 200 logements et commerces ont subi des dommages. Pas moins de 600 personnes ont dû être évacuées et des vies ont été perdues.

Malheureusement, ces événements extrêmes et leurs conséquences ne sont pas près de disparaître.

Dans cette optique, le plus récent rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne peut pas être plus clair. Toute nouvelle augmentation des températures entraînera des événements météorologiques extrêmes plus fréquents et plus intenses.

Alors que cette situation est vraie pour l’ensemble de la planète, elle l’est d’autant plus pour l’Arctique. Cette région enregistre un réchauffement de trois à quatre fois plus important que la moyenne mondiale, en raison d’un phénomène appelé l’amplification polaire. Les conséquences sont bien réelles et les communautés nordiques y font face quotidiennement.

Il devient donc nécessaire de développer des façons innovantes d’outiller ces communautés.

Experte des environnements nordiques, et avec l’aide d’une équipe multidisciplinaire composée de géomaticiens et de géophysiciens, je propose d’apporter un éclairage sur les risques encourus par les communautés nordiques et sur certains outils pour y pallier.

Une population nordique particulièrement exposée

Le Nord canadien compte près de 150 000 habitants répartis dans les trois territoires et le nord de certaines provinces. De ce nombre, 32 % sont des Inuits dont le mode de vie traditionnel est intrinsèquement lié au territoire. Ils l’utilisent pour répondre à leurs besoins nutritionnels et culturels, et une grande partie de leurs déplacements sont réalisés sur la glace ou sur la neige.

Néanmoins, la glace de mer devient de moins en moins prévisible et menace la sécurité des pêcheurs et des chasseurs qui s’y aventurent. Le couvert de neige qui tarde à s’installer à l’automne limite l’accès aux territoires traditionnels de chasse.

La diminution du couvert de glace entraîne des épisodes de brouillard plus fréquents, posant de réels problèmes de sécurité publique. Par exemple, de longs épisodes de brouillard peuvent empêcher l’atterrissage des avions responsables de l’approvisionnement en denrées essentielles (nourriture, matériaux).

Ravin causé par la dégradation du pergélisol. Fourni par l’auteur. (Centre d’études nordiques/Martin Sirois)

Les événements météorologiques extrêmes dans les régions nordiques

L’Arctique canadien est aux premières loges des changements du climat. Cette vaste région subit de profondes transformations qui laissent des traces indélébiles sur le territoire.

Le dégel du pergélisol, ce sol gelé qui couvre une grande partie de cette région, transforme la réalité topographique et hydrologique. Dans certains cas, il peut même devenir impraticable. En s’accumulant dans des chenaux, l’eau issue du dégel du pergélisol et de la fonte des neiges peut rapidement creuser un ravin. De même, la dégradation du pergélisol est une problématique majeure pour l’intégrité des infrastructures nordiques.

Les tempêtes plus fréquentes combinées à la dégradation du pergélisol érodent les régions côtières. Le cas de Tuktoyaktuk dans les Territoires du Nord-Ouest est particulièrement alarmant, alors que la mer retranche plus d’un mètre de sa côte chaque année.

Des températures plus chaudes et des précipitations importantes peuvent également favoriser des mouvements de masse. Au printemps 2021, le deuxième plus important glissement de terrain de l’histoire du Québec a été enregistré le long de la Grande rivière de la Baleine. Situé à huit kilomètres en amont des communautés de Whapmagoostui-Kuujjuarapik, cet événement n’a heureusement pas eu de graves conséquences pour ses habitants.

N’empêche, ses 45 millions de mètres cubes de débris auraient pu devenir un véritable enjeu de sécurité publique.

Glissement de terrain survenu au printemps 2021 en amont des communautés de Whapmagoostui-Kuujjuarapik. Whapmagoostui First Nation Corporation/Joshua Kawapit

Des outils pour s’adapter aux changements climatiques dans les régions nordiques

Les aléas naturels sont nombreux dans les régions nordiques, mais les ressources pour les répertorier et les appréhender sont rares.

La plate-forme Web accessible à tous PermafrostData permet néanmoins de jeter les bases d’une adaptation à la nouvelle réalité climatique du Nord. La plate-forme répertorie, entre autres, les aléas naturels survenus au Nunavik et la façon dont ceux-ci influencent la planification de l’expansion des villages dans la région.

Le projet SmartIce, géré par une entreprise sociale du Nunavut, propose un outil qui fournit des informations sur l’épaisseur et les conditions locales de la glace de mer aux utilisateurs du territoire.

De même, la plate-forme SIKU permet à tous ceux et celles possédant un compte de rapporter des risques liés à la glace et aux conditions météorologiques.

Mais la sécurité des utilisateurs du territoire demande néanmoins des outils d’anticipation des événements climatiques à venir. Et dans une région où les données climatiques et environnementales sont parcellaires, ce n’est pas une mince affaire.

Une application prometteuse

Des travaux de recherche réalisés dans le cadre de l’initiative Sentinelle Nord à l’Université Laval ont conduit au développement d’une application Web novatrice de système d’alertes précoces.

Appelée Qaujikairit (alerte, en Inuktitut), l’application fournira aux communautés du Nunavik les informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées sur les risques environnementaux. En alliant intelligence artificielle, données géographiques et climatiques et mécanisme de validation, elle calcule des indicateurs de vulnérabilité climatiques. Elle peut donc, en temps réel, informer les habitants du Nord d’un risque de tempête, d’un épisode de brouillard ou de conditions de glace anormales ou risquées.

Plateforme web Qaujikairit pour la détection hâtive d’événements climatiques extrêmes au Nunavik. Fourni par l’auteur. (Charles Gignac)

Qaujikairit est maintenant un prototype fonctionnel. Riche en événements climatiques extrêmes, la saison hivernale 2022-2023 a permis de valider la justesse des alertes transmises par l’application. Les démarches qui seront entamées dans les prochains mois permettront d’améliorer l’outil, mais surtout de l’aligner avec les besoins des utilisateurs potentiels.

La formule modulaire de l’application laisse le champ libre au développement de nouvelles fonctionnalités qui permettront de s’ajuster à ces besoins.

L’adaptation aux changements climatiques dans les régions nordiques ne sera pas un long fleuve tranquille. Mais l’avènement de développements technologiques tel que la plate-forme Qaujikairit permet d’envisager l’avenir sous un meilleur œil.

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