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Il y a 75 ans, la « vraie » signature du traité de Bretton Woods

L’ambassadeur Lord Halifax signe pour le Royaume-Uni l’accord de Bretton Woods, le 27 décembre 1945 à Washington. Capture d'écran / British Pathé.

Le 22 juillet 1944 s’achevait la Conférence de Bretton Woods. Elle avait duré trois semaines et épuisé les 730 délégués venus de 44 pays ainsi que des milliers de secrétaires, traducteurs, journalistes, femmes de chambre, etc.

Après la lecture d’une lettre du président Roosevelt suivie d’un dîner d’adieux bien arrosé et agrémenté de chants traditionnels, les chefs de délégation s’étaient succédé dans la Gold Room du Mount Washington Hotel. Les uns après les autres, sur la table ronde en bois d’érable, ils signèrent le texte final, que personne n’avait vraiment eu le temps de lire et qui définissait les règles d’un système monétaire international, administré et soutenu par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (plus exactement la Banque internationale pour la reconstruction et le développement).

Même Mikhail Stepanov, le chef de la délégation soviétique, apposa sa signature sur le texte de l’accord après avoir reçu in extremis l’aval de son ministre de tutelle, Viatcheslav Molotov.

Vue aérienne de l’hôtel Mount Washington à Bretton Woods, dans le New Hampshire aux États-Unis, qui a accueilli la Conférence monétaire en 1944. Wangkun Jia/Shutterstock

Mais ces signatures ne restent que formelles et n’impliquent aucun engagement pour les pays concernés. Le traité doit en effet être ratifié et ce n’est que le 27 décembre 1945, quatre jours avant la date limite du 31 décembre 1945, que les ambassadeurs signent officiellement à Washington le « traité de Bretton Woods », Henri Bonnet pour la France et Lord Halifax pour le Royaume-Uni représentent leur pays dans la Conference Room du Département d’État.

Keynes au cœur des négociations

En dix-sept mois, beaucoup de choses ont pourtant changé. La paix est revenue, Franklin Delano Roosevelt, mort le 12 avril a été remplacé par Harry Truman aux États-Unis et Winston Churchill, battu aux élections de juillet 1945, a dû laisser la place au travailliste Clement Attlee au Royaume-Uni.

Le président américain a laissé partir le secrétaire d’État, Cordell Hull, et le secrétaire au Trésor, Henry Morgenthau Jr. Ce dernier, qui avait pendant dix ans conduit la politique économique de « New Deal » de son ami intime Roosevelt, avait présidé la Conférence de Bretton Woods. C’est le vice-président de cette même conférence, Fred Vinson, qui lui avait succédé et qui signera le traité pour les États-Unis.

Si Morgenthau présidait la Conférence de Bretton Woods, c’est son « assistant » (le plus haut poste de l’administration américaine avant sous-secrétaire), Harry Dexter White, qui en fut le maître d’œuvre. Dans les années 1940, il avait négocié avec l’anglais John Maynard Keynes les prêts américains – les fameux « crédits-bails » – et le nouveau système monétaire international. Le départ d’Henry Morgenthau Jr s’accompagnera de l’effacement progressif de White qui participe néanmoins activement à la campagne en faveur de la ratification.

Finalement, malgré les saillies du sénateur républicain Robert Taft, le Congrès américain ratifie plus facilement que prévu l’accord de Bretton Woods.

Images de la signature de l’accord de Bretton Woods (British Pathé, 1946).

Du côté anglais, le nouveau chancelier de l’Échiquier est le travailliste Hugh Dalton qui doit à la fois sauver un pays en ruine et financer les balbutiements de l’État-providence inspiré par William Beveridge. À l’automne 1945, Keynes est une nouvelle fois envoyé négocier à Washington les conditions d’un nouveau prêt américain.

La négociation est difficile. Le Trésor américain n’est certes pas plus intransigeant qu’à son habitude, mais on est encore très loin du plan Marshall qui attendra encore trois ans. Si Keynes est resté ferme, Hugh Dalton se montre plus exigeant encore et tente de renverser le rapport de force en liant la ratification de l’accord de Bretton Woods aux conditions du prêt américain.

John Maynard Keynes. Jan Christian Smuts/Wikimedia

Au désespoir de Keynes (et plus encore de Lady Keynes inquiète de la santé de son époux), la négociation traîne en longueur. Elle se conclut début décembre, ce qui ouvre la possibilité d’une ratification in extremis. Le prêt en question ne sera d’ailleurs remboursé qu’en 2006 sous le gouvernement Blair.

À Londres, les Communes adoptent le texte proposé qui lie le prêt et l’accord de Bretton Woods. Lord Keynes est alors dans le paquebot qui le ramène d’Amérique. Malgré ce succès, il craint que ses collègues de la Chambre des lords créent davantage de problèmes. À peine débarqué, il se rend au Parlement pour défendre la ratification :

« Vous devez vous prononcer sur la première grande tentative mise en place pour organiser un ordre international qui nous préserve du chaos des guerres sans interférer pour autant avec la diversité des politiques nationales ».

Le texte est finalement adopté par 90 voix contre 8, mais c’est un vote de résignation davantage justifié par le prêt qui devait éviter à l’Angleterre un « Dunkerque financier » que par l’approbation de l’accord de Bretton Woods.

Revirement russe

Ce 27 décembre 1945, 28 pays ont donc ratifié l’accord ce qui permet de le mettre en place. L’ambassadeur soviétique, Andreï Gromyko, le futur « Monsieur niet » de la diplomatie soviétique, n’est pas à la cérémonie de signature. Peu de temps avant, son ministre, Viatcheslav Molotov, avait écrit à son homologue :

« À présent, le gouvernement soviétique ne trouve pas envisageable de signer les projets d’accord conçus à Bretton Woods ».

Viatcheslav Molotov. Dutch National Archives/Wikimedia

Certains diront que cette décision fut le premier acte de la guerre froide mais pas plus en juillet 1944 qu’en décembre 1945, l’Union soviétique n’avait vraiment eu l’intention d’entrer dans un système monétaire échafaudé par les Américains et incompatible avec leur système monétaire.

Cette signature sera suivie, quelques mois plus tard, par une dernière conférence à Savannah, en Georgie, convoquée pour régler les dernières questions en suspens, notamment la localisation des deux nouvelles institutions internationales – FMI et Banque mondiale –, le nom des dirigeants (et leur rémunération), leur mode d’organisation… Une nouvelle et dernière fois, Keynes bataille en vain contre les Américains qui veulent tout contrôler et doter les organisations internationales d’une bureaucratie inutile et surpayée.

Mais la grande surprise vient de la désignation des dirigeants. Les moins informés pensaient que Harry Dexter White serait nommé Directeur général du FMI. Ceux qui l’étaient davantage pariaient sur sa nomination à la tête de la Banque mondiale. Il ne sera ni l’un, ni l’autre mais seulement le représentant américain au conseil d’administration du FMI (Keynes étant son homologue côté anglais).

Dans le collimateur du FBI

Depuis quelque temps, le FBI soupçonnait en effet des membres de la haute administration américaine, dont Harry White, d’avoir alimenté l’Union soviétique en dossiers secrets. Début février, Edgar Hoover avait adressé au président une note accablante sur White et un certain nombre de ses collaborateurs. Elle arriva trop tard pour empêcher la nomination de White au Conseil d’administration, mais pas pour la direction de FMI ou de la Banque mondiale.

Si, l’influence de White est déclinante, à Savannah il parvient encore à influencer les nominations de certains de ses hommes, eux aussi soupçonnés, à des postes clés. Mais c’est Edward Bernstein, son fidèle assistant lors de la Conférence de Bretton Woods, devenu depuis son adversaire (notamment parce qu’il n’était pas convaincu du « plan Morgenthau » préparé par White et qui prévoyait la division de l’Allemagne et sa ruralisation) qui est nommé à la Direction de la Recherche. White soutenait Frank Coe qui sera néanmoins nommé secrétaire général du FMI avant, quelques années plus tard, de partir en Chine conseiller… Mao Zedong.

Quelques semaines après Savannah, le 21 avril 1946, un dimanche de Pâques, Keynes s’éteint dans sa maison de Tilton.

Un peu plus de deux ans plus tard, le 16 août 1948, c’est Harry Dexter White qui succombe à son tour d’une crise cardiaque dans sa maison de Fitzwilliam, New Hampshire (pas très loin de Bretton Woods). Il revenait d’une audition au Congrès où il s’était défendu des accusations portées contre lui par deux espions repentis : Whittaker Chambers et Elizabeth Bentley.

C’est un Belge, Camille Gutt, qui est nommé à la tête du FMI et c’est un Américain, Eugene Mayer, banquier et Directeur du Washington Post, qui présidera la Banque mondiale. Depuis, le FMI a toujours été dirigé par un Européen et la Banque mondiale, par un Américain.

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