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Images de la femme et positionnements de marques chez Christian Dior

miss dior 1947.

2017 marque les 70 ans de la création du premier parfum pour femmes de Christian Dior. À l’occasion de cet anniversaire, célébré par l’exposition « Christian Dior : esprit de parfums » au musée international de la parfumerie de Grasse, nous proposons d’étudier les représentations de la femme véhiculées par les parfums de la maison Dior. Pour ce faire, une analyse sémiotique des stratégies de positionnement des marques J’adore, Poison, Miss Dior et Addict est proposée.

Christian Dior, couturier parfumeur dès 1947.

Le positionnement en marketing

Le positionnement de la marque est un des concepts clés en marketing. Positionner une marque consiste à la différencier de ses concurrentes dans l’esprit du consommateur. Le point de différence mis en avant peut être basé sur un attribut objectif de l’offre ou simplement relever de l’imaginaire. Ainsi, sur le secteur des eaux minérales, la marque Hépar met en avant son taux de magnésium élevé pour se positionner comme une eau médicament, tandis que la marque Evian se positionne comme une source de jouvence sans pour autant qu’un attribut objectif ne vienne supporter cette promesse.

Le positionnement est considéré comme crucial en marketing car il permet aux consommateurs d’identifier les marques. Le principe étant que ces derniers tendent à choisir des marques qui leur ressemblent, avec des valeurs, une image auxquelles ils peuvent/veulent s’identifier.

Le monde de la parfumerie n’échappe pas à cette règle. Dans la mesure où le choix d’un parfum relève de l’expression de soi, touche à la question de la représentation des genres ainsi qu’à la thématique de la séduction, il est intéressant d’étudier les stratégies de positionnement mises en place sur ce secteur.

Stratégies de positionnement sur le secteur des parfums

La sémioticienne américaine Laura Oswald a réalisé dans les années 90 une étude portant sur une trentaine de publicités de marques haut de gamme telles que Calvin Klein, Chanel, Clarins, Clinique, Dior, Elizabeth Arden, Estée Lauder, Lancôme, Ralph Lauren ou Yves Saint-Laurent. Elle remarque que les marques en présence cherchent généralement à se distinguer en exprimant différentes images de la femme. Plusieurs stéréotypes féminins sont ainsi proposés aux consommatrices et ces dernières peuvent s’identifier à celui qui leur correspond le mieux. Oswald observe notamment 2 grands types de positionnement correspondant à 2 interprétations du féminin qui s’opposent : la « déesse » versus la « girl next door ». Elle note également qu’à chacun de ces positionnements correspondent des codes visuels particuliers.

Ainsi, les marques exprimant une image de la femme comme « déesse » utilisent majoritairement des publicités en couleurs ainsi que des décors irréels et intemporels. Les publicités sont riches en textures et motifs. Enfin, le point de vue, le cadrage et l’arrière-plan placent l’égérie dans un décor fantasmatique vide de toute relation humaine. La femme « déesse » est ainsi représentée comme un idéal admirable mais inaccessible. Au contraire, les marques exprimant l’image de la « girl next door » recourent à des publicités en noir et blanc et capturent une « tranche de vie » de la femme représentée. Les plans sont plus serrés, les décors réalistes et les tenues plus simples. L’égérie interagit généralement avec une autre personne (homme ou enfant). Bien qu’incarnée par un top model, la « girl next door » est ainsi représentée comme une femme contemporaine et ancrée dans le réel.

L’étude de Laura Oswald semble toujours pertinente sur de nombreux points. Ainsi, les marques J’adore, Poison, Miss Dior et Addict cherchent effectivement à se positionner en incarnant différentes images de la femme. En revanche, si l’image de la femme déesse est bien mobilisée, plusieurs des interprétations du féminin proposées par Dior diffèrent de celles décrites par Oswald.

J’adore : une déesse solaire inaccessible

Le cas de la marque J’adore est celui qui colle le plus à l’analyse de Laura Oswald. Le nom de la marque tout d’abord ancre de façon évidente son positionnement dans le domaine du divin. Le sens premier du verbe adorer étant de « rendre à une divinité le culte qui lui est du ». Les codes visuels utilisés par la marque sont ensuite très proches de ceux décrits par la sémioticienne. Ainsi, dans la publicité représentée ci-dessous, Charlize Théron apparait seule, émergeant des flots, en contre-plongée. Selon le principe d’intertextualité, la publicité évoque la naissance de Vénus ce qui apparaît comme une allusion supplémentaire à la figure de la déesse. Il est intéressant d’observer en outre que plusieurs éléments visuels jouent avec la verticalité et renvoient à la thématique de l’élévation : le déplacement des lettres du logo, la posture et le regard de Charlize Théron, la figure de l’aube ainsi que la forme allongée du flacon. Tout est donc fait pour suggérer que J’adore est un parfum d’essence divine permettant aux femmes de s’élever au statut de déesses et de devenir à leur tour des objets d’adoration.

Publicité Dior J’adore, le féminin absolu.

Poison : une diablesse au pouvoir de séduction létal

Poison se situe, sur bien des points, aux antipodes de ce premier positionnement. Le nom choisi est chargé négativement et ancre cette fois-ci la marque dans le domaine de la magie noire et des sortilèges. Il n’est évidemment pas à prendre au littéral mais au figuré et forme un trope suggérant que le parfum est aussi dangereux/puissant qu’un poison. Poison se positionne donc comme une arme de séduction et active une nouvelle image de la femme non plus déesse mais diablesse, succube ou femme fatale. Les codes visuels utilisés sont en lien avec ce positionnement. Ainsi la figure de la torsion vient remplacer celle de la verticalité : au niveau du flacon et du bouchon du parfum, de la police de caractères poison ou de la représentation du serpent. Cette figure plastique au même titre que la mention « hypnotic », la posture et le regard de Monica Belluci renvoient aux thématiques de la séduction et de l’envoûtement. Davantage encore que la spirale, elle suggère une force qui enserre. Poison se présente ainsi comme un piège, permettant aux femmes qui le porte d’emprisonner leurs victimes.

Publicité Dior Hypnotic Poison, « Dior est mon poison ».

Miss Dior : une jeune fille bourgeoise pas tout à fait sage

Miss Dior active à son tour une nouvelle image de la féminité, plus réaliste, mais tout autant fantasmée. Le nom de la marque tout d’abord ancre le positionnement dans la thématique de la jeunesse. « Miss » (Mademoiselle) renvoyant évidemment à une jeune femme quand J’adore et Poison semblent s’adresser plutôt à des femmes adultes. La représentation féminine véhiculée par Miss Dior est ensuite plus réaliste en ce sens qu’elle ne renvoie pas à une créature mythologique telle qu’une déesse ou une diablesse. Cependant, elle ne renvoie pas non plus à la « girl next door » décrite par Oswald.

Miss Dior est en effet représentée dans des intérieurs très bourgeois et incarne donc une jeune fille de « bonne famille ». Cette jeunesse n’implique pas (plus ?) qu’elle soit vierge. Nathalie Portman la qualifie de « modern princess » dans une interview. Le « modern » signifiant sans doute qu’elle est libérée. Les publicités récentes la montrent d’ailleurs toujours plus déshabillée même si elle revêt par ailleurs des habits de poupée.

L’image véhiculée est donc paradoxale : la princesse moderne affirme être émancipée mais elle semble attendre dans son hôtel particulier qu’un prince vienne la « délivrer ». Le motif du nœud papillon sur le flacon est à ce titre intéressant : il suggère une invitation à le dénouer. Les autres codes visuels sont cohérents avec les thématiques de la jeunesse et de la bourgeoisie : couleurs pastel, motif de la fleur, et police de caractères scripte cursive pour le logo.

Publicité Miss Dior, « Blooming bouquet ».

Addict : une nymphomane dominée par ses désirs ?

Le positionnement d’Addict est plus délicat à analyser. La marque semble faire l’objet de moins d’investissements marketing et les campagnes de communication la concernant sont visuellement moins cohérentes. Cela laisse penser que son positionnement est moins bien défini et a pu changer dans le temps. Néanmoins, comme pour les 3 premières marques le nom choisi ancre le positionnement dans un certain univers : celui de l’addiction et donc de la dépendance.

La publicité ci-dessous est assez peu équivoque et indique qu’il s’agirait d’une dépendance au sexe. Le modèle semble en proie à un désir qu’elle ne peut contrôler et évoque le personnage de Claudia Cristiani dans le déclic de Manara. L’image de la femme représentée serait donc celle d’une « sex addict ». Pour autant, Il ne s’agit pas non plus d’une femme émancipée car cette hypersexualité n’est pas assumée (« Admit it ») et la connotation négative du terme addict suggère que c’est un problème.

Publicité Dior Addict, « Admit it ».

Les stéréotypes féminins véhiculés par les marques et la publicité ont souvent été critiqués. Ici, force est de constater que les représentations véhiculées par les marques de la maison Dior ont quelque chose d’archaïque : déesses antiques, succubes diaboliques, princesses attendant d’être délivrées et nymphomanes luttant contre leurs pulsions.

À l’exception de la figure de la déesse, qui transcende sa condition féminine, elles ne paraissent pas non plus totalement émancipées. Si la diablesse de Poison affirme son pouvoir, cela ne reste qu’un pouvoir de séduction qui sous-tend donc la nécessité de plaire.

Erwan François observe que les maisons de parfum pourraient sans doute communiquer des images plus modernes de la féminité : femmes artistes/activistes/entrepreneuses/intellectuelles/aventurières, etc. Pour autant, il est évident que les images mises en avant relèvent du fantasme et ne sont pas trop à prendre au sérieux. Chaque consommatrice peut en effet jouer avec les archétypes proposés, voire les réinterpréter, en fonction de sa personnalité. Ainsi, il serait intéressant de comprendre comment ces dernières s’approprient les positionnements mis en avant par ces marques.

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