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Comme votre intestin, la forêt a besoin de son microbiote

Un brin de mousse grossi 400 fois, vu en microscopie électronique à balayage après un séchage qui permet de préserver l’intégrité architecturale de la mousse et de son microbiote. V. Baton et K. Comte, Author provided

Et oui, les mousses aussi ont un microbiote, mais à défaut d’être interne, comme celui de nos intestins, il est à la surface de la mousse. Celle-ci est colonisée notamment par des bactéries, des champignons, des protistes et des invertébrés.

Ce brin de mousse terrestre par exemple, de l’espèce Thuidium tamariscinum, a été prélevé dans la forêt de Fontainebleau en avril 2017. Autour de sa tige centrale, on voit des feuilles couvertes de petites protubérances arrondies, les « mamilles ». Sur la tige, de fines ramifications apparaissent : ce sont des structures photosynthétiques secondaires, les « paraphylles », dont le rôle et l’origine sont sujets à controverse depuis plusieurs décennies. Et ce qui brille ici par sa relative absence, c’est le microbiote de la mousse, que l’on appelle la « bryosphère ». Ces différentes composantes biologiques sont dépendantes des conditions environnementales et météorologiques, et en particulier de la pollution alentour.

Les mousses terrestres pour évaluer la pollution localement

Les mousses sont d’excellents bio-indicateurs de la qualité de l’air. En effet, contrairement aux végétaux « supérieurs », elles ne possèdent pas de racines et doivent donc se procurer les éléments dont elles ont besoin en les absorbant dans l’atmosphère. Elles sont donc particulièrement exposées à la pollution atmosphérique en métaux lourds et en azote, et en utilisant des facteurs de conversion appropriés, les concentrations analysées dans les mousses peuvent être comparées aux teneurs en éléments traces dans les zones contaminées.

Cette capacité de « bioaccumulation », c’est-à-dire d’accumuler des substances polluantes organiques ou inorganiques à partir du milieu ambiant, est utilisée dans plusieurs programmes nationaux et européens de surveillance et dans le cadre de la convention de Genève sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance.

L’objectif majeur du dispositif français BRAMM, pour « Biosurveillance des retombées atmosphériques métalliques par les mousses », est de surveiller l’évolution de 26 éléments chimiques polluants. Sur 445 sites français, tous les 5 ans depuis 1996, le contenu en éléments traces de cinq types de mousses Bryopsidées, dont T. tamariscinum, est analysé par spectrométrie de masse. Cette approche globale de surveillance biologique est complémentaire à celle utilisant des capteurs physico-chimiques. Elle permet de dresser une cartographie à l’échelle nationale identifiant les zones qui, bien qu’elles soient souvent éloignées des sources de contamination, sont exposées aux polluants présentant un risque sanitaire pour les populations.

Cette surveillance montre que la concentration en polluants mesurée dans les mousses et dans l’atmosphère varie avec les saisons, de façon parfois importante, et aussi imprévisible. Plusieurs causes ont été proposées, par exemple l’âge et la morphologie de la mousse ou les conditions météorologiques et microclimatiques.

Notre brin de mousse, la météo et la pollution de l’air

Avril 2017 était un printemps sec, et la présence de ces paraphylles corrobore l’hypothèse selon laquelle ces structures se développeraient pour accroître la capacité de photosynthèse en période sèche. Le développement des paraphylles forme de plus un feutrage épais à la surface de la tige, ce qui permettrait aussi – secondairement – de retenir un maximum d’eau pour la survie de la mousse. Les paraphylles seraient un des mécanismes de protection pour survivre aux conditions arides.

Bien que cette hypothèse soit actuellement controversée, nous avons effectivement pu observer de très fortes variations des paraphylles entre un hiver pluvieux et doux et un printemps sec et doux sur la même espèce de mousse issue du même site d’étude.

Nous ajoutons une hypothèse d’étude qui reste à vérifier. Nous pensons que la « bryosphère » – le microbiote de la mousse – pourrait être responsable des variations saisonnières en absorbant et bioaccumulant une partie des contaminants atmosphériques. Par exemple, plusieurs études montrent que le groupe très présent des cyanobactéries est capable de transformer l’azote atmosphérique en azote organique et de former une véritable symbiose avec la mousse. D’autres sont capables de bioaccumuler certains métaux lourds, tels que le plomb et le cuivre.

Les paraphylles que nous voyons sur cette photo ont donc un double intérêt. D’une part, elles pourraient influer sur un processus biologique, en réduisant drastiquement l’habitat disponible pour le développement de la bryosphère : on ne voit que très peu de microorganismes sur la tige et les feuilles. D’autre part, elles pourraient affecter un mécanisme physique, en perturbant le ruissellement des dépôts humides métalliques le long de la tige et par conséquent diminuer la capacité d’absorption extracellulaire de la mousse.

Ces prochaines années, un des enjeux sera de distinguer les variations inhérentes aux processus physiologiques de la mousse et de son microbiote et celles liées aux facteurs dits « abiotiques », c’est-à-dire la quantité des polluants et la météo. Ainsi, on pourra renforcer la fiabilité des résultats et mieux évaluer la valeur réelle des mousses comme bio-indicateurs de la qualité de l’air aux niveaux national et européen.


Cet article a été co-écrit par Géraldine Toutirais, ingénieure d’étude au MNHN. L’image est issue du travail de master 2 de Valentin Baton de 2017.

Le dispositif français BRAMM (Biosurveillance des retombées atmosphériques métalliques par les mousses) est sous l’égide du Muséum national d’histoire naturelle et la direction scientifique de Sébastien Leblond depuis 2005.

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