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Un minuscule masque de carnaval pour les bryozoaires

Structure de silice ressemblant à un crâne en train de hurler
Le cri. Stephan Borensztajn & Caroline Thaler / IPGP / CNRS Photothèque

Les bryozoaires peuvent-ils crier, comme semble le montrer cette photo prise grâce à un microscope électronique à balayage ? Eh bien… non : ces organismes marins sont parfaitement silencieux !

Les bryozoaires sont de petits animaux millimétriques, qui vivent en colonies en moyenne grosses comme le poing. Ces colonies sont constituées de centaines d’individus qui vivent dans des loges minérales construites en carbonate de calcium (CaCO3). Chaque individu de la colonie fabrique lui-même sa propre loge, sorte de boîte présentant des ouvertures, dont une principale qui permet à l’animal de filtrer l’eau de mer et de se nourrir. Sur cette image, nous voyons la pointe du squelette d’une colonie, où nous pouvons distinguer une petite dizaine de ces « loges » ; celles au sommet sont encore en fabrication. Sa forme surprenante est le résultat de la croissance progressive de la colonie.

Les bryozoaires sont donc capables de cette prouesse qu’on appelle la « biominéralisation » : la formation de roche, à partir d’éléments dissous dans l’eau (ici le carbone et le calcium). Ils sont ainsi constitutifs des récifs carbonatés : bien que minoritaires dans les récifs tropicaux, ils peuvent représenter jusqu’à 80 % en poids des carbonates présents dans certains récifs sédimentaires tempérés.

On dit parfois que les bryozoaires sont des organismes à profil bas (c’est-à-dire peu visibles dans les récifs) mais avec un impact important, tant pour fournir des micro-habitats que pour consolider les récifs. Ils sont aux récifs ce que les bouleaux sont aux forêts : une espèce qui s’installe parmi les premières. Chez les bryozoaires, cela tient entre autres dans leur capacité de s’installer sur de nombreuses surfaces, même molles.

Les récifs carbonatés, dont les bryozoaires sont des constituants non négligeables, jouent un rôle prépondérant dans le cycle du carbone. Pour cette raison, la protection de ces récifs est identifiée comme une problématique importante dans le rapport 2022 du GIEC. En effet, plusieurs phénomènes menacent les habitants des récifs côtiers, les plus connus comme les coraux, mais aussi les autres, comme les bryozoaires.

Les bryozoaires à l’épreuve du changement climatique

Parmi ces phénomènes menaçants, le réchauffement climatique, qui provoque un blanchiment des coraux et pourrait aussi s’avérer dangereux pour certaines espèces de bryozoaires. S’y ajoute l’augmentation de la quantité de CO2 qui se dissout dans l’eau de mer, et provoque une acidification. Or, le carbonate de calcium (le minéral qui structure les colonies de bryozoaires) est beaucoup plus difficile à former dans ces conditions plus acides : les colonies deviennent moins denses et donc potentiellement plus fragiles. S’ajoutent à cela la pollution de l’eau et les destructions mécaniques causées par les activités humaines sur les récifs…

Mais les bryozoaires ont déjà survécu à diverses crises depuis 485 millions d’années. Ils disposent pour cela d’atouts, dont leur capacité à tolérer une grande gamme de températures, notamment les plus basses, et à ainsi s’installer dans une grande diversité d’environnements, des abysses aux côtes. Les bryozoaires pourraient-ils ainsi mieux tolérer l’amplitude du changement climatique que les coraux, ou changer de répartition plus rapidement ? Ou bien seraient-ils trop sensibles à l’acidification, et certaines espèces seraient des sortes de canaris des récifs, les premiers à partir ?

Ces questions restent en suspens. Pour y répondre, mieux connaître les bryozoaires est fondamental. C’est pour cela que nous avons collecté cette colonie de bryozoaires sur nos côtes, à Roscoff, où la température et l’acidité de l’eau sont mesurées en continu. Ainsi informés, nous pourrons par exemple anticiper les variations de leur répartition future… et déterminer si, oui ou non, les bryozoaires ont raison de crier !

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