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Immobilier : faut-il taxer les loyers fictifs ?

Doit-on taxer les « loyers implicites » dont bénéficie les propriétaires occupants ? Luc Legay/Flickr, CC BY-SA

À l’occasion d’une réflexion sur la fiscalité du patrimoine l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) vient de remettre au goût du jour la taxation des loyers fictifs. Cet organisme de recherche abrité par la Fondation nationale des sciences politiques qui se veut indépendant a pour principale mission « d’étudier scientifiquement et en toute indépendance la conjoncture de l’économie française et de formuler des prévisions économiques à court, moyen ou long terme ».

Pour rappel, en 1997, l’OFCE s’était fait remarquer pour ses prises de position en faveur des 35 heures. Une mesure éminemment politique, peu validée sur le plan empirique, et qui n’est plus très défendue de nos jours. Plus récemment, un dirigeant de cet organisme s’est opposé à Jean Tirole, prix Nobel d’économie, sur la question de la réduction du temps de travail en contestant le caractère scientifique des études prouvant que la réduction du temps de travail n’avait aucun effet positif sur l’emploi. Ce petit rappel montre que ce think tank n’est peut-être pas si indépendant et que ses préconisations ne sauraient être prises en totalité pour des vérités scientifiques.

Loyers implicites : Piketty, déjà…

Dans sa quête de promouvoir une fiscalité plus juste, l’OFCE propose de fiscaliser « les loyers implicites » dont bénéficient les propriétaires occupants.

Cette mesure n’est pas nouvelle. Dans son livre Pour une révolution fiscale Thomas Piketty la proposait en 2011 et en septembre 2013 elle était soutenue par le Conseil d’analyse économique (CAE). Dans une réponse ministérielle publiée au Journal officiel en novembre 2014, le gouvernement avait pensé enterrer pour de bon l’idée d’une taxation des loyers implicites.

Après la loi Duflot qui a mis en place l’encadrement des loyers, nos experts recommandent maintenant d’augmenter la fiscalité sur l’immobilier. Cette fois-ci ce ne sont pas les propriétaires bailleurs qui sont visés mais bel et bien les propriétaires occupant leur logement.

Ces experts (ils doivent être tous locataires, où alors ils estiment ne pas payer assez d’impôts ?) font remarquer doctement qu’un propriétaire occupant sa résidence principale bénéficie d’un revenu non imposable puisqu’il fait une économie de loyer. Ils estiment donc dans leur grande sagesse que ce revenu devrait être imposé. À l’heure où le gouvernement cherche désespérément à faire rentrer de l’argent dans les caisses voilà une belle solution : taxer les propriétaires occupants de leur résidence principale. Dans la foulée on pourra étendre la mesure aux résidences secondaires.

À l’annonce de la récente position de l’OFCE, Christian Eckert, secrétaire d’État au budget, a déclaré sur Twitter (25 octobre 2016) :

« Taxer les propriétaires occupants ! L’OFCE exhume cette idée stupide. Ce gouvernement n’en veut pas. Combien de fois faut-il le dire ! ».

En ces temps d’élection présidentielle, on comprend bien la position du secrétaire d’État qui, en tant que fin politique, a intégré le ras bol fiscal des français, contrairement à nos experts économiques.

Une fiscalité plus juste et plus neutre…

L’OFCE, comme tous les promoteurs d’une taxation des loyers implicites des propriétaires occupants, pointe le fait que l’économie de loyer procurée par l’occupation de sa résidence principale constitue un avantage en nature non imposé, et

« qu’il n’est guère équitable que deux familles de mêmes revenus salariaux payent le même impôt si l’une a hérité d’un appartement tandis que l’autre doit payer un loyer ».

Est-ce que cette comparaison vaut raison ? Oui il y a des citoyens qui héritent et d’autres pas, mais doit-on pour autant taxer les propriétaires occupant sous couvert d’un égalitarisme fiscal ? Notons que les héritiers payent déjà des impôts sur la succession, mais là n’est pas la question. Que l’économie de loyer procurée par l’occupation de sa résidence principale constitue un avantage en nature, nul ne peut le nier. Il ne faut pas être expert au Conseil d’analyse économique ou à l’OFCE pour s’en apercevoir. Cet avantage rentre bien dans le calcul de père de famille que font tous ceux qui cherchent à accéder à la propriété.

Par contre, considérer cet avantage comme un revenu imposable est fort contestable. En effet, le revenu imposable comprend l’ensemble des revenus, bénéfices et gains de toutes sortes, perçus par le contribuable. Normalement, seuls les revenus ou les gains monétaires liés à une transaction (location ou vente) sont imposables. C’est ainsi que les plus-values boursières ou immobilières ne sont taxées que lors de leur réalisation.

Le fait générateur est bien l’encaissement du revenu et non son caractère latent ou davantage différentiel. Vouloir imposer une « économie de loyer » constitue une innovation fiscale majeure et ouvre la porte à de nombreuses dérives. Avec une telle réforme, tous les biens propres – immobilier, mobilier, œuvres d’art, etc. – que se réserve un propriétaire pour son usage pourraient devenir imposables à travers un loyer fictif.

Et la taxe foncière et l’ISF ?

Dans la comparaison entre la situation fiscale du propriétaire occupant et du locataire, les promoteurs de la taxation des loyers fictifs, oublient que les propriétaires payent la taxe foncière et que la résidence principale rentre – certes avec un abattement – dans la base de l’ISF.

La taxe foncière comme l’ISF sont loin d’être des contributions négligeables. Prenons un exemple concret à titre d’illustration, celui d’un ménage propriétaire d’un appartement d’une valeur de 1 million d’euros et dont la taxe foncière est de 5 000 euros (ce montant peut varier fortement selon les communes). Supposons que notre ménage soit soumis à l’ISF et que son taux d’imposition marginal soit de 1 %, avec l’abattement de 30 %, le montant de l’ISF payé sur la valeur de l’appartement est de 7 000 euros. Au total, c’est 12 000 euros que paye le ménage propriétaire occupant de son logement.

Ce montant se compare avantageusement à celui de l’impôt sur le loyer fictif du même bien. En effet, en prenant un taux de rendement locatif net de charges de 3 %, cela représente un loyer net annuel de 30 000 euros (2 500 euros/mois). Avec un taux marginal d’imposition de 30 %, l’impôt sur le loyer fictif serait donc de 9 000 euros. Bien sûr ce calcul n’est qu’un exemple parmi bien d’autres situations possibles, mais il a le mérite de montrer qu’il ne faut pas oublier les cotisations fiscales (taxe foncière et ISF) payées sur la détention d’un bien immobilier.

Autre oubli : la rémunération du capital immobilisé dans la pierre

Pour être complet dans la comparaison financière du propriétaire occupant et du locataire, il faudrait tenir compte du coût du capital mobilisé par l’investisseur. Même dans le cas où les crédits sont entièrement payés, considérer que le capital investi ne coûte plus rien revient à dire que les fonds propres sont gratuits !

Or tout étudiant en finance apprend que les fonds propres ne sont pas gratuits et qu’ils supportent un coût d’opportunité. Cette erreur est même fréquemment commise en finance d’entreprise par tous ceux qui croient que seule la dette coûte cher. De la même façon dans la comparaison avec la situation du locataire, nos experts oublient de tenir compte du fait que le propriétaire occupant son logement ne tire aucun revenu de son capital.

S’il était locataire, il pourrait placer sur le marché financier le capital immobilisé dans son appartement et en tirer des revenus. Certes, ces revenus seraient fiscalisés (et encore pas toujours avec l’assurance vie), mais ces derniers constituent bien un manque à gagner. Dans la comparaison, il faudrait aussi tenir compte du fait que le propriétaire paye, contrairement au locataire, les grosses réparations de l’immeuble.

Pourquoi ne pas imposer le capital fictif et tous les revenus fictifs ?

Un propriétaire occupant qui a démembré son bien en donnant la nue-propriété à ses enfants paye l’ISF sur la valeur totale de son bien. Cela revient de fait à imposer la jouissance du bien immobilier sur la base de sa valeur totale alors qu’il n’est propriétaire que de l’usufruit.

Pourquoi alors, si on impose les loyers fictifs du propriétaire occupant, n’imposerait-on pas, par réciprocité, le locataire à l’ISF sur la jouissance du bien qu’il occupe afin de rétablir la neutralité fiscale ? Enfin, si on veut vraiment instaurer la neutralité fiscale, pourquoi ne pas aussi imposer la jouissance d’un tableau de maître, dont certains valent plus que des appartements et qui en plus sont exonérés d’ISF ? Pourquoi ne pas taxer les plus-values latentes sur les actifs financiers et immobiliers ? Pourquoi tolérer encore des niches fiscales ?

On voit d’ici la complexité de la mise en œuvre d’une telle fiscalité qui viserait à une neutralité parfaite de l’impôt ! De façon plus anecdotique, on pourrait songer à taxer le propriétaire qui cultive ses légumes dans son potager : lui aussi fait une économie par rapport au citadin qui doit acheter ses légumes. Le ramasseur de champignons devrait lui aussi être taxé car il bénéficie d’un avantage, etc.

Plus sérieusement, il faudrait aussi taxer les employés de la SNCF qui voyagent gratuitement, même à la retraite. Autre piste : la fiscalisation des revenus tirés de l’économie collaborative. Mais récemment, le gouvernement a renoncé à fiscaliser les revenus des activités de « co-consommation » comme le covoiturage à condition que le prix ne serve qu’à couvrir les frais directs supportés lors du déplacement (vérification impossible). Bref, on le voit, fiscaliser les loyers fictifs et autres revenus ou plus-values potentielles tirés de la détention de biens propres demeure une réforme bien difficile à mettre en œuvre. Rien ne dit que l’équité fiscale en serait améliorée.

Sur le plan financier, acquérir un bien immobilier revient à faire un investissement dont la rentabilité – mesurée par le taux de rentabilité interne du projet (TRI) – va non seulement dépendre du loyer, mais également et surtout de la plus ou moins-value à terme. Cette rentabilité est loin d’être garantie et comporte un risque. Ainsi tout va dépendre de l’évolution de la valorisation du bien. En cas de vente forcée ou rapide, le propriétaire risque de faire une moins-value ce qui grèvera la rentabilité de son investissement et dans ce cas il aurait été préférable d’être locataire.

Par exemple, faire une économie de loyer annuel de 3 % de la valeur du bien est vite englouti si ce dernier perd 20 %. En d’autres termes, le couple rentabilité-risque cher à la théorie financière du propriétaire occupant est totalement différent de celui du locataire et on ne peut s’en tenir qu’à la face visible de l’économie de loyer implicite qui n’est qu’un élément de l’équation.

Au-delà de la fiscalité, devenir propriétaire est un projet patrimonial qui engage fortement, notamment à travers des crédits à long terme, et on ne peut valablement comparer cette situation avec celle du locataire qui est libre, plus mobile, et n’a que son loyer à acquitter et des charges de copropriété plus faibles. Le choix de devenir propriétaire se traduit, sauf héritage, par un effort d’épargne plus important dans les premières années et un arbitrage entre consommation présente et consommation future. Fiscaliser les loyers implicites revient à revenir sur un des paramètres important du choix fait par un ménage lors de sa décision d’investissement.

Enfin, même à supposer que la situation du propriétaire occupant soit gagnante à long terme par rapport à celle du locataire, devenir propriétaire de sa résidence principale est un bon moyen pour préparer sa retraite et on ne voit pas très bien pourquoi l’État devrait décourager ce comportement de prévoyance en imposant un loyer fictif.

N’en déplaise aux experts du CAE et de l’OFCE, la fiscalité n’est pas neutre et à travers elle se dessine la société dans laquelle on veut vivre. Fiscaliser toujours plus la propriété et le capital comme nous le faisons en France, notamment avec l’ISF et possiblement avec la taxation des loyers implicites, finira par décourager tous ceux qui veulent épargner, investir et rester en France. Est-ce cela que nous voulons à l’heure du ras-le-bol fiscal ?

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