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Incidents aux abords du Stade de France : des problèmes de gestion anciens

Des incidents avaient éclaté pour la finale de la Ligue des Champions. Thomas Coex / AFP

Au lendemain des incidents qui ont précédé la rencontre de finale de Coupe d’Europe opposant Liverpool au Real de Madrid au Stade de France, chacun - hommes politiques, policiers, dirigeants français et européens du football, tabloïds anglo-saxons et bien d’autres - va de ses commentaires tantôt acerbes sur la gestion des foules par les forces de l’ordre, tantôt destinés à incriminer les autres, forcément responsables des incidents.

Mais qu’y a-t-il de nouveau dans ces incidents et dans les problèmes de sécurisation des rencontres sportives ?

Il y a 37 ans, le drame du Heysel

En 1985, alors que nombre d’incidents et de morts avaient précédé la rencontre Liverpool-Juventus de Turin, une mauvaise gestion des foules avait participé à engendrer quelques échauffourées entre les supporters les plus extrémistes. Au point de déclencher au sein du stade du Heysel en Belgique une panique générale, causant la mort par étouffement et écrasement d’une trentaine de spectateurs.

Les images télévisées étaient fortes, pour ne pas dire monstrueuses. Le match fut retardé. Les morts et les blessés furent évacués sur des civières en amont du coup d’envoi. Le match se déroula néanmoins, la Juve gagna. Michel Platini brandit la coupe.

Il fut marqué à vie par ces événements au point qu’une de ses premières déclarations en tant que président de l’UEFA fut de faire de la lutte contre ce type de problème l’une des pierres angulaires de sa mandature.

Michel Platini, 1985 (INA).

Quelques efforts européens depuis 1985

S’il n’y a pas eu un affrontement massif, ces morts et blessés ont été dus pour l’essentiel à un défaut dans la sécurité́ passive (présence de stadiers, de réelle ségrégation des publics, de mesures d’évacuation, etc.) du stade malgré́ la présence de 2 290 policiers.

La même année, ce défaut sera réparé́ le 19 août 1985 par l’édiction de la convention européenne « sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matches de football ».

Il s’agit ici d’un effort rétroactif pour réglementer et contrôler un phénomène pourtant prévisible. Les très (trop) nombreuses déclarations politiques « sportives ou étatiques » constituent pour leur part une « campagne périodique des entrepreneurs moraux » visant à̀ instaurer des normes et un contrôle social afin de rassurer la population.

En 1993, le Comité permanent du Conseil de l’Europe adopta la recommandation n° 1/93, « concernant les mesures à prendre par les organisateurs de matches de football et les pouvoirs publics ».

Cette recommandation établissait une « liste standard de contrôle des mesures à prendre par les organisateurs de matches de football et les pouvoirs publics ». Il s’agit d’une check-list en 70 points de contrôle, de prévention et d’organisation à observer pour l’organisation des rencontres sportives et à répartir en fonction des différents intervenants : propriétaire du stade, organisateur, fédération, Union européenne de Football Association (UEFA), pouvoirs publics et autres.

En 1994, cette recommandation fut renforcée par la recommandation européenne, n°1/94,« concernant les mesures en vue des manifestations sportives à haut risque en salle », prévoyant le même type de mesure en matière de protection, de prévention et de recommandations concernant notamment la vente des billets et le renforcement des mesures de sécurité pour les sports pratiqués en salle que pour ceux prévus pour les stades.

La conjonction de multiples facteurs

Accueil des publics, filtrage, palpations, vente des billets, contrôle de la billetterie, sécurisation des abords des stades, partage des rôles entre forces de l’ordre et organisateur, réunions préalables, chaînes de commandement… tout est prévu… ou presque… puisque nous n’avons pas pu échapper aux incidents du 28 mai.

En France, la loi Alliot-Marie de 1993 et la loi d’orientation à la sécurité publique de 1995, suivies de différentes lois d’orientation à la sécurité publique, sont venues renforcer directement ou indirectement un arsenal tout à la fois préventif, coercitif et répressif qui a permis que de nombreux matches se déroulent sans incident.

Le ministre Gérald Darmanin auditionné devant le Sénat pour les incidents au Stade de France. Geoffroy Van Der Hasselt/AFP

Alors, comment analyser avec le plus de distance et de discernement ce qui s’est passé ? La conjonction de multiples facteurs semble avoir donné lieu à cette situation catastrophique.

Contrairement à ce qu’a avancé le ministre de l’Intérieur, les supporters anglais aux abords du stade n’étaient pas des hooligans anglo-saxons porteurs de faux billets.

Nulle volonté de casser ou de provoquer des affrontements chez les fans anglais venus au stade de France, contrairement aux actions habituelles des hooligans.

À quelques jours des élections législatives, la déclaration du ministre semble avant tout très politique.

Des manquements

Reprenons les facteurs de risques un à un. Les forces de l’ordre tout d’abord. Il y a à n’en point douter eu des choix d’intervention tout à fait contestables, au regard des publics qui s’agglutinaient et s’impatientaient. Nul hooligan, mais des supporters, énervés certes de ne pouvoir entrer dans le stade, mais aussi des femmes, des familles, des gens de tous âges.

Il y a là un réel problème déontologique dans la doctrine du maintien de l’ordre actuellement en France qui semble dépassée, privilégiant la dispersion à la prévention, et la répression à la dissuasion. Cette doctrine se conjugue avec des problèmes dans la chaîne de commandement.

À ce problème s’en ajoutent deux autres : le « manque d’habitude » en matière d’accueil des foules sportives et des « mesures barrières » insuffisantes.

Manque « d’habitude » qu’induisent les décisions trop souvent répétées d’interdire de déplacements lors des rencontres de championnat à risques ou dans le cadre des derbys les supporters les plus problématiques. La prévention par l’absence est une solution radicale, certes, mais comment habituer les personnels à anticiper, à agir, à réagir face à des débordements potentiels par de telles mesures ?

Comment anticiper les problèmes à venir ? Car le « manque d’habitude » s’applique aussi bien aux forces de l’ordre qu’aux organisateurs et à leur service de sécurité. Le sociologue Raymond Boudon appelait cela « les effets pervers », c’est-à-dire les conséquences inattendues de décisions prises.

Ce « manque d’habitude » est donc accompagné de l’absence de « mesures barrières » suffisantes. Des pré-filtrages ont été mis en place certes, mais pas en assez grand nombre, avec des personnels insuffisamment instruits des procédures, peut-être, dans tous les cas, capables de canaliser les foules et de les orienter vers d’autres dispositifs permettant de vérifier l’authenticité des billets, proposant des solutions d’attente, etc.

Les problèmes de billetterie

Le stade de France, c’est un peu moins de la moitié de la population de la ville de Rennes ou du XIXe arrondissement parisien. C’est une ville et ses habitants qui doivent s’installer en moins d’une heure dans le stade après avoir été partiellement fouillés, palpés, filtrés, répartis.

Là encore, il faut une certaine habitude, mais aussi une résistance tant physique que morale des personnels qui assurent ce travail. Comment imaginer qu’au XXIe siècle la billetterie prévue soit en papier en partie du moins ? C’est déjà accepter que la fraude puisse s’organiser tant les imprimantes et logiciels sont aujourd’hui capables de reproduire et créer n’importe quoi.

Il s’agit d’une faute quasi impensable qui n’a pu que retarder l’entrée et créer des situations ubuesques dans lesquelles bousculades, impatiences, vociférations et provocations ont pris forme avant d’être réprimées.

À ces facteurs viennent s’ajouter les grèves de transports non anticipées par les organisateurs et le gouvernement qui auraient pu prévoir des moyens de substitution.

Sans compter les jeunes émeutiers venus pour provoquer, semer le trouble, par bêtise ou par jeu, pour voler, confirmant ainsi la « théorie des opportunités ». N’y a-t-il pas fréquemment aux abords des grands événements des pickpockets et des vols ?

À la question : serons-nous prêts pour la Coupe du Monde de rugby 2023 et les JO de 2024, la réponse est sans aucun doute positive.

Les incidents dont le monde entier se raille et dont se défendent hommes politiques et dirigeants constituent un fiasco certes, mais qui auraient pu avoir des conséquences beaucoup plus graves.

Ces incidents constituent une excellente « révision » et remise en cause des procédures, des hommes, des moyens tant matériels qu’humains. Ces incidents, à condition d’en reconnaître chacun sa responsabilité, sont « utiles » et constituent un avertissement de ce qui doit être pensé, réfléchi et mis en œuvre dans un an (Coupe du Monde de rugby) ou deux ans (JO 2024).

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