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Inégalités scolaires : les élèves des territoires ruraux manquent-ils vraiment d’ambition ?

Les jeunes ruraux sont souvent très attachés à leurs territoires et cherchent à préserver ces liens de proximité. Pexels, CC BY

Les inégalités territoriales en matière de parcours scolaire font actuellement l’objet de nombreux débats. Des rapports récents mettent notamment en évidence les inégalités entre territoires ruraux et urbains. Les élèves des territoires ruraux, s’ils réussissent aussi bien que ceux des villes à l’école et au collège, s’engagent dans des filières plus courtes (filière professionnelle, apprentissage…), accèdent moins à l’enseignement supérieur et s’engagent moins dans des filières sélectives comme les classes préparatoires aux grandes écoles.


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Pour expliquer ces différences, le manque de mobilité, l’éloignement des opportunités d’emploi plus concentrées dans les grandes agglomérations ou encore le manque de diversité des métiers représentés sont identifiés comme des obstacles. Par ailleurs, les aspirations de ces jeunes seraient limitées à cause du phénomène d’autocensure. Selon ce postulat, ces élèves manqueraient d’ambition car ils auraient peu confiance en eux, « verraient petit », auraient un esprit d’initiative limité et seraient moins compétitifs.

Nous proposons de dépasser ces conceptions péjoratives et déficitaires de la ruralité, impliquant des personnes et non des contextes, pour analyser plus finement les processus psychosociaux en jeu dans le parcours scolaire de ces élèves.

Sentiment d’appartenance

Si le rural se caractérise par une faible densité de population, les géographes montrent qu’il n’y a pas une mais des ruralités qui recouvrent des problématiques éducatives et scolaires différentes. Par exemple, la ruralité périurbaine est très différente du rural isolé, comme le milieu montagnard.

La place de la jeunesse dans le monde rural, explications du géographe Jean Ollivro (CESE, 2016).

L’étude que nous avons menée se centre sur le rural à tradition industrielle, qui concerne des petites villes comprenant une forte proportion d’ouvriers et d’employés et qui sont également marquées par des fragilités économiques et sociales liées à la désindustrialisation.

Cette enquête menée auprès de 1 400 élèves de cours moyen, sixième et troisième, des membres de la communauté éducative et des familles, vise à mieux comprendre les freins et les leviers à l’ambition scolaire de ces élèves. Nous en livrons ci-dessous les premiers résultats.

Les élèves de notre étude ont un sentiment d’appartenance élevé à leur territoire et se sentent davantage liés à leur école ou à leur collège que leurs camarades vivant en milieu urbain et issus de milieux socioprofessionnels similaires. Par ailleurs, ils rapportent majoritairement des relations sociales positives avec les pairs et avec les adultes dont ils se sentent proches, et se considèrent comme soutenus par leurs enseignants.

Globalement, les familles soulignent leur confiance dans l’école pour favoriser les apprentissages et le bien-être de leurs enfants. Et les membres de la communauté éducative disent engager de nombreux efforts pour préserver ou développer ce climat bienveillant dans lequel les relations positives avec les élèves occupent une place importante.

Cela se traduit par une écoute et par la proposition de nombreuses activités périscolaires (voyages, clubs..) permettant de développer la convivialité et le sentiment d’appartenance des élèves à la structure scolaire.

Des ambitions différentes

Contrairement aux idées parfois véhiculées, les élèves de ces territoires ruraux se sentent aussi compétents scolairement que leurs pairs des villes. Les résultats des questionnaires montrent que nombre d’entre eux estiment qu’ils réussissent plutôt bien à l’école et qu’ils sont en mesure de répondre aux attendus scolaires.

Les élèves rapportent également un soutien, de la part de leur famille, plus important qu’en ville en ce qui concerne les devoirs. Cela se traduit par un niveau d’investissement scolaire perçu comme plus élevé pour les écoliers et les élèves de sixième de ces territoires même si la différence s’estompe en fin de collège.

La différence avec les zones urbaines réside dans une plus grande homogénéité de ce public, pour lequel les positionnements extrêmes (sentiment très positif ou très négatif de ses compétences) se font plus rares.

Malgré des fragilités sociales parfois importantes et susceptibles d’affecter la réussite et la motivation scolaire, les enseignants de ces territoires sont très engagés dans la lutte contre l’échec scolaire. Ils soulignent l’importance de proposer un enseignement adapté à chacun, avec des situations de niveaux différents, un accompagnement régulier et un soutien individuel des élèves afin de donner confiance et soutenir les élèves les plus en difficulté.

Dans le même sens, de nombreux enseignants rapportent limiter les comparaisons entre les élèves afin de préserver les plus fragiles et de centrer les élèves sur leurs propres progrès.

Au-delà de l’autocensure régulièrement évoquée pour désigner le manque d’ambition des élèves des territoires ruraux, on pourrait, pour bon nombre d’entre eux, interpréter ces différences comme traduisant des ambitions autres, éloignées de la performance et de la compétition scolaire. Celles-ci résideraient avant tout dans le désir construit par les élèves avec les différents membres de la communauté éducative de préserver un mode de vie familier, qui s’inscrive dans un climat serein, propice à la préservation des liens de proximité.

Il s’agit donc d’abord pour ces élèves de s’insérer dans le tissu social local. Ces attentes sont parfois difficilement compatibles avec l’ambition de poursuivre des études longues et sélectives impliquant mobilité, compétition et possible perte de repères.

Interview du sociologue Benoît Coquard sur la ruralité (LCP, 2020).

Le défi à venir consiste à préserver et à renforcer ces atouts de l’enseignement en territoire rural, mais également à accompagner les équipes éducatives dans la construction de parcours sécurisés diversifiés, permettant une plus grande ouverture des possibles pour ces élèves.

Se délocaliser ou valoriser son territoire ?

Ces constats invitent à poser la question de l’ambition un peu différemment ; dans la société de la complexité qui est la nôtre, penser l’ambition des élèves, ou plus largement des individus, ne nous semble plus pouvoir relever d’une vision uniforme ou normative, et gagne à se penser dans sa pluralité, ce qui suppose d’accepter qu’elle fasse l’objet de réalisations diverses.

Au-delà de son acception géographique ou sociale, où l’ambition, sur son versant positif toujours, se conçoit comme un désir individuel d’aller au loin et plus haut, il nous semble nécessaire de la repenser comme un désir multiforme de se dépasser soi-même, de s’augmenter et d’augmenter aussi ce qui nous entoure. On peut avoir de l’ambition pour soi – et chercher à se délocaliser – ou pour son territoire – et chercher à le valoriser – par exemple.

La reconfiguration de la notion d’ambition entraîne ainsi à sa suite un retour sur celle de mobilité : être mobile, ce peut être savoir se déraciner pour aller chercher ailleurs des formes d’altérité qui peuvent nous augmenter, mais aussi savoir aller chercher ailleurs, au-delà de soi, ce qui permet de revisiter son monde pour s’y enraciner mieux.

Cette conception protéiforme, dynamique et évolutive que nous proposons de l’ambition scolaire nous permet de mieux penser la question des freins et des leviers à un enseignement exigeant et plus équitable ; mais elle suppose de tenir ensemble les différentes échelles, celle de l’élève dans la classe, mais aussi celle de l’environnement scolaire, et plus largement du territoire et des possibilités qu’il offre, ou pourrait offrir.

Cette approche multiscalaire est précisément celle du programme de recherche d’investissement et d’avenir « 100 % Inclusion : un défi, un territoire » (PIA3 100 % IDT), qui vise à relever le défi de l’inclusion de tous les élèves, à travers le décloisonnement des territoires éducatifs des régions Hauts-de-France et Normandie.


Les auteurs remercient Arnaud Elie, ingénieur d’études à l’Université Rouen Normandie, qui a collecté les données de l’enquête et contribué à leur analyse.

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