Une série de documents divulgués par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a révélé comment le gouvernement chinois a tenté d’interférer dans les élections canadiennes.
Cela confirme un certain nombre d’allégations qui circulent depuis un certain nombre d’années concernant les agissements du Parti communiste chinois (PCC). Le Parti conservateur du Canada soutient que cette ingérence chinoise lui a coûté un certain nombre de sièges lors des élections fédérales de 2021. Une enquête internationale a aussi révélé l’existence de postes de police illégaux utilisés par la Chine pour recueillir des informations sur la diaspora chinoise au Canada. Il y en aurait à Toronto, à Vancouver et à Montréal.
L’histoire est en cours de développement et de nombreux détails demeurent inconnus. Il reste à déterminer, par exemple, d’où proviennent les fuites et pourquoi les informations ont été divulguées.
Ces fuites tendent à démontrer que ce sont les libéraux fédéraux qui ont bénéficié de l’ingérence chinoise. Des motivations politiques pourraient donc être à l’origine de ces fuites. Des éléments au sein du SCRS pourraient en effet souhaiter le renversement de l’actuel gouvernement.
Implications politiques
Ces fuites ont d’indéniables implications politiques qui s’intensifieront au fur et à mesure qu’on en saura davantage sur ce scandale. L’opposition à Ottawa a unanimement demandé une enquête publique pour faire toute la lumière sur l’ingérence de Pékin.
Après avoir affirmé qu’aucune autre mesure n’était nécessaire, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que son gouvernement nommerait un « rapporteur spécial » qui travaillera avec deux comités de sécurité nationale pour faire la lumière sur cette histoire.
Les détails de cette enquête, de même que la personne qui sera nommée rapporteur (« un Canadien émérite »), restent à déterminer. Mais cette personne devra savoir naviguer à travers de nombreuses magouilles partisanes.
L’opposition attaquera sans aucun doute l’intégrité du processus, surtout si l’on tient compte du fait que c’est le gouvernement seul qui en détermine la portée. Le rapporteur devra ultimement déterminer si une enquête publique complète est nécessaire.
Les Libéraux en ont-ils bénéficié ?
Les libéraux ont beaucoup à perdre à ce que le public continue de s’intéresser à ce dossier.
Les allégations soulèvent non seulement des questions sur l’intégrité de la démocratie canadienne elle-même, mais aussi sur la complicité du gouvernement, celui-là même qui semble avoir tiré profit de cette ingérence. Il n’a, de fait, pas répondu de manière appropriée, et semble avoir délibérément minimisé, nié ou enterré les allégations d’ingérence.
Les informations disponibles montrent que le premier ministre et ses collaborateurs ont été informés, à de multiples reprises, des signes d’ingérence chinoise lors des élections de 2019 et de 2021.
Le parti au pouvoir est en crise, ébranlé par des fuites qu’il n’avait pas prévues. La preuve en est dans la façon dont Justin Trudeau est rapidement passé d’une réponse initiale qui niait la gravité des rapports et insinuait que des considérations raciales pouvaient se cacher derrière les révélations à l’actuelle réponse, qui tient désormais compte des multiples pressions en faveur d’enquêtes plus approfondies.
Les néo-démocrates, sur lesquels les libéraux comptent pour rester au pouvoir, n’ont pas exclu l’idée de soumettre l’enquête publique à un vote de confiance. Les conservateurs, qui reçoivent un appui favorable dans les sondages auprès des Canadiens, voient sans doute le pouvoir se profiler à l’horizon.
Une crise de sécurité nationale
Il ne s’agit pas seulement de politique, mais bien d’une véritable crise de sécurité nationale, très préoccupante. Les preuves de l’ingérence chinoise soulèvent de sérieuses questions quant à la légitimité de notre processus électoral.
Pékin a apparemment utilisé des ressources importantes en matière de financement ainsi que dans la production de contenu diffusé sur les médias sociaux pour influencer — voire carrément manipuler — les électeurs canadiens afin de promouvoir ses intérêts spécifiques.
En 2019 et 2021, ces ressources ont aidé les campagnes de plusieurs candidats du parti libéral à travers une série de réseaux informels.
Comme le montre l’expérience américaine de l’ingérence russe, il s’agit de la « nouvelle normalité » dans les relations internationales.
Il existe désormais un certain nombre de puissances mondiales qui sont disposées à faire tout ce qu’il faut pour promouvoir leurs intérêts, y compris s’ingérer dans les politiques internes d’autres États.
Des fuites nécessaires ?
Les fuites récentes prouvent non seulement que cela se produit au Canada mais, encore plus grave, que les agences de sécurité du pays sont à la remorque : ils s’efforcent de trouver des moyens de gérer la situation actuelle, alors que les stratégies d’ingérence de la Chine ne cessent de se développer.
La politisation de la question, bien qu’inévitable, n’est pas utile. Mais tant que le gouvernement libéral donnera la priorité à sa survie électorale, le scandale ne fera que s’intensifier.
Les fuites n’ont pas aidé le travail du SCRS, mais plutôt nui à sa crédibilité internationale. Elles rendront probablement plus difficile la cueillette d’informations sensibles par l’organisation.
Néanmoins, avec un gouvernement démocratique élu qui n’a fait jusqu’à maintenant que se croiser les bras, les fuites étaient sans doute nécessaires pour le bien de la démocratie.