tag:theconversation.com,2011:/institutions/institut-national-des-langues-et-civilisations-orientales-inalco-2285/articlesInstitut national des langues et civilisations orientales (Inalco)2024-03-18T15:33:14Ztag:theconversation.com,2011:article/2246792024-03-18T15:33:14Z2024-03-18T15:33:14ZPourquoi y a-t-il encore des élections présidentielles en Azerbaïdjan ?<p>Dans un <a href="https://eurasianet.org/perspectives-azerbaijans-boringest-election-campaign-ever">article récent</a>, Bahruz Samadov, chercheur à l’Université Charles de Prague, spécialiste du Caucase et plus particulièrement de l’Azerbaïdjan contemporain, qualifiait la campagne en vue de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/07/azerbaidjan-apres-sa-victoire-dans-le-haut-karabakh-le-president-ordonne-une-election-presidentielle-anticipee_6204400_3210.html">présidentielle anticipée</a> de l’élection du 7 février 2024 de campagne « la plus ennuyeuse de tous les temps ». Il est vrai que ce scrutin, qui s’est soldé par la cinquième victoire, avec 92 % des suffrages dès le premier tour, d’Ilham Aliev – au pouvoir depuis 2003, après dix années de présidence de son père Heydar Aliev – était dénué du moindre soupçon de suspense.</p>
<p>Les libertés fondamentales sont <a href="https://www.amnesty.fr/pays/azerbaidjan">régulièrement bafouées en Azerbaïdjan</a>, et toutes les manifestations d’opposition véritable, quelles que soient leur échelle ou leur forme, sont muselées. Le pays, qui dispose des <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/03/11/le-secteur-des-hydrocarbures-en-azerbaidjan-une-lente-transition-du-petrole-vers-le-gaz-et-la-petrochimie#">20èmes réserves mondiales prouvées de pétrole (0,4 % du total) et des 25èmes réserves mondiales prouvées de gaz (0,5 % du total)</a>, fait pourtant office de partenaire de choix de nombreux acteurs internationaux, car il a acquis une position inespérée avec à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En effet, les sanctions adoptées contre Moscou ont officiellement interdit aux Européens de se fournir en gaz russe, et l’Europe a donc choisi de <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/es/statement_22_4583">doubler ses exportations en provenance d’Azerbaïdjan</a>.</p>
<p>En novembre 2022, Bakou a conclu un accord avec Moscou : les Russes y exportent du gaz, officiellement destiné uniquement à la consommation intérieure, <a href="https://www.eiu.com/n/azerbaijans-gas-exports-to-the-eu-face-challenges/">mais en réalité réexporté ensuite par l’Azerbaïdjan vers l’Europe</a>. Le respect de cet accord Aliev-Poutine devient alors une condition <em>sine qua non</em> de la politique énergétique européenne. En retour, les partenaires internationaux ferment les yeux sur la réalité de la situation politique dans le pays : il s’agit d’une dictature <a href="https://www.hrw.org/news/2023/12/19/azerbaijan-prominent-opposition-figure-arrested">impitoyable envers ses opposants</a>, à la tête de laquelle se trouve une seule et même famille pratiquement depuis la chute de l’Union soviétique.</p>
<h2>Un pays transmis de père en fils</h2>
<p>À la chute de l’URSS, c’est Aboulfaz Eltchibeï, président du Front populaire azerbaïdjanais, un parti antisoviétique favorable à la dissolution de l’URSS, formé quelques années plus tôt, qui prend le pouvoir. Le gouvernement nouvellement créé fait face, dans le même temps, aux <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/armenie-guerre-haut-karabakh-azerbaidjan">victoires successives de l’armée arménienne au Haut-Karabakh</a>.</p>
<p>Au printemps 1993, après la prise par les troupes arméniennes de la ville de Kelbajar (Haut-Karabakh), Eltchibeï déclare l’état d’urgence. Une alliance est alors formée entre l’ancien directeur du KGB, Heydar Aliev, et Souret Husseïnov, qui était à la tête de milices de volontaires azerbaïdjanais et avait été renvoyé par Eltchibeï après la perte du district. Les défaites successives conduisent l’Azerbaïdjan vers une crise politique : Souret Husseïnov prend les armes face au pouvoir en place, et le président Eltchibeï est contraint de fuir la capitale.</p>
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<p>Aliev arrive à Bakou le 8 juin 1993. Il prend la tête du Parlement le 15, et annonce quelques jours plus tard qu’il assume les fonctions présidentielles en l’absence d’Eltchibeï. Le Parlement approuve son arrivée au pouvoir. En octobre, des élections sont organisées, et Aliev est élu président avec près de 99 % des suffrages. Husseïnov devient son premier ministre. Aliev établit peu à peu son contrôle sur la vie politique et économique, et est réélu avec 78 % des voix cinq ans plus tard.</p>
<p>En 2003, sa santé devenant trop fragile, il renonce à se présenter une nouvelle fois à la présidentielle et « demande » à ses concitoyens de porter au pouvoir son fils Ilham, alors âgé de 42 ans. Ce dernier est élu le 15 octobre 2003, à l’issue d’un <a href="https://www.hrw.org/news/2003/10/20/azerbaijan-stolen-election-and-oil-stability">scrutin marqué par des fraudes massives</a>. Son père décède deux mois plus tard.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/582333/original/file-20240316-24-8rpgx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582333/original/file-20240316-24-8rpgx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582333/original/file-20240316-24-8rpgx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582333/original/file-20240316-24-8rpgx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582333/original/file-20240316-24-8rpgx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582333/original/file-20240316-24-8rpgx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582333/original/file-20240316-24-8rpgx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fresque murale à Bakou représentant le fils et le père Aliev.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/chiaraneve/9443220671/">Chiara Neve/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Ilham Aliev remporte toutes les présidentielles suivantes avec une marge plus que confortable : 88,73 % des suffrages en 2008, 84,55 % en 2013, 80 % en 2018, et donc 92 % en février dernier.</p>
<p>Chaque fois, les fraudes sont systématiques. Il fait face à des candidats d’opposition très conciliants, cooptés par le pouvoir, et la véritable opposition n’a que peu de relais. Certains, comme le blogueur <a href="https://www.lefigaro.fr/international/la-vie-dans-l-ombre-de-mahammad-mirzali-refugie-azeri-le-plus-menace-de-france-20230131">Mahammad Mirzali</a>, ont été contraints de fuir. D’autres, comme le chercheur <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/09/azerbaijan-authorities-must-immediately-release-prominent-scholar-gubad-ibadoghlu">Gubad Ibadoghlu</a>, qui a été arrêté en juillet 2023, ont tenté de retourner en Azerbaïdjan. Il a été arrêté à l’été 2023 et est, à ce jour, toujours emprisonné. Les choses ont largement empiré au cours des dix dernières années. Illustration particulièrement éclatante : en 2013, les autorités ont accidentellement <a href="https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2013/10/09/oops-azerbaijan-released-election-results-before-voting-had-even-started/">publié les résultats des élections la veille de celles-ci</a>.</p>
<h2>La fabrication de prétendus opposants politiques</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/579563/original/file-20240304-22-whwqac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/579563/original/file-20240304-22-whwqac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/579563/original/file-20240304-22-whwqac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=693&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/579563/original/file-20240304-22-whwqac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=693&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/579563/original/file-20240304-22-whwqac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=693&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/579563/original/file-20240304-22-whwqac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=871&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/579563/original/file-20240304-22-whwqac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=871&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/579563/original/file-20240304-22-whwqac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=871&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Capture d’écran du site de Reporters sans frontières montrant le classement de l’Azerbaïdjan en matière de liberté de la presse. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://rsf.org/fr/pays/azerba%C3%AFdjan">RSF</a></span>
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<p>Si les élections ne sont que poudre aux yeux, et dans la mesure où chacun connaît les résultats à l’avance, pourquoi la dynastie au pouvoir continue-t-elle à en organiser tous les cinq ans ? Il y a, d’une part, la question du droit et de la <a href="https://www.wipo.int/wipolex/fr/legislation/details/9384">Constitution</a>, qui « proclame la création d’un État démocratique, juridique, laïque et unitaire, où le pouvoir de l’État est fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs » et dont la famille régnante se prétend garante.</p>
<p>Par ailleurs, la tenue de ces simulacres de scrutins permet d’afficher l’existence d’une chimérique opposition qui serait autorisée à agir et à se présenter. Nous l’avons dit, Ilham Aliev a fait face, en 2024 comme lors des présidentielles précédentes, à plusieurs « adversaires ». Mais ils sont tous acquis au pouvoir ; ainsi, Zahid Oruj, arrivé deuxième cette année avec 2 % des suffrages, n’a pas vraiment de critique à formuler à l’égard du gouvernement. Idem pour les autres candidats.</p>
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<p>Ce mirage d’une opposition autorisée permet de semer la confusion sur la scène intérieure et de servir un récit acceptable sur la scène internationale. Ainsi, en 2024, le gouvernement britannique, par exemple, <a href="https://www.gov.uk/government/news/azerbaijan-presidential-election-2024-uk-statement">déclare</a> partager « un certain nombre de préoccupations concernant les élections qui se sont déroulées dans un environnement restrictif, en l’absence de véritables alternatives politiques », et ajoute que « de graves violations ont été observées, dont certaines vont à l’encontre du document de Copenhague de 1990, qui énonce un certain nombre de droits de l’homme et de libertés fondamentales ». Cependant, Londres se dit dans le même temps « prêt à soutenir des réformes électorales et des progrès dans le processus démocratique ».</p>
<p>C’est l’existence même de ce « théâtre démocratique » selon la formule de l’écrivain et activiste <a href="https://oc-media.org/authors/samadshikhi/">Samad Shiki</a>, qui permet aux puissances étrangères de maintenir l’illusion selon laquelle Bakou serait un partenaire peu ou prou acceptable du point de vue des droits humains.</p>
<h2>Un moyen de museler toute forme d’opposition véritable</h2>
<p>Pourtant, il existe une opposition véritable en Azerbaïdjan, qui soutient la mise en place d’une démocratie. Ce fut le cas du mouvement <a href="https://oc-media.org/azerbaijani-democracy-1918-movement-shuts-down-citing-government-pressure/">Democracy 1918</a> dont les membres ont été arrêtés et assignés à résidence en août 2023, et qui a cessé ses activités à l’automne 2023. Son ancien leader, Ahmad Mammadli, a publié très récemment avec le chercheur Cesare Figari Barberis un <a href="https://www.ispionline.it/en/publication/the-emergence-of-democratic-movements-and-their-systematic-repression-in-azerbaijan-162642">article</a>, qui analyse ces différents mouvements et l’impact qu’ils ont eu au cours de la dernière décennie. Les deux auteurs soulignent que le renforcement de la répression observé ces dernières années ne concerne pas uniquement les mouvements démocratiques, mais aussi les musulmans chiites, accusés de collusion avec l’Iran, les universitaires, les médias indépendants et les journalistes d’investigation.</p>
<p>Samad Shiki, qui a été observateur lors de la dernière présidentielle, relate avoir été témoin d’un grand nombre de fraudes :</p>
<blockquote>
<p>« Il y avait des électeurs non enregistrés qui venaient voter, et qui ont voté plusieurs fois ; on a amené des gens en bus pour voter. Plutôt que de falsifier les élections, les autorités souhaitaient montrer que la participation était élevée. Ils voulaient montrer aux observateurs internationaux et aux médias que les gens venaient voter. Les votes ne sont pas comptés comme il faut. Même si les observateurs notent que 300 personnes sont venues, les autorités annoncent 500 participants. Le pourcentage des votes est même connu à l’avance. Les urnes ne sont pas montrées aux observateurs lorsque les votes sont comptés. »</p>
</blockquote>
<p>Les observateurs internationaux sont autorisés et participent de ce théâtre <a href="https://forbiddenstories.org/azerbaijan-business-of-election-observation/">dénoncé par l’écrivain</a>. À la fin de l’année 2023, un certain nombre d’opposants et de journalistes ont été arrêtés, notamment les journalistes d’investigation d’AbsazMedia, une plate-forme qui proposait des enquêtes de fond sur différents sujets, et avait par exemple couvert les <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/enquete-en-azerbaidjan-l-opposition-a-un-projet-de-mine-d-or-derange-le-pouvoir_6339079.html">manifestations de Soyudlu</a> contre la construction d’un second réservoir d’eau de l’été 2023. Les protestataires accusent l’Anglo Asian Mining PLC, qui administre la mine d’or de Gedabek, située près de leur village, de rejeter des substances toxiques dans le lac artificiel, polluant la région. Les manifestations ont été durement réprimées.</p>
<p>À cause de ces investigations, qui s’inscrivent d’ailleurs dans une enquête plus vaste menée avec le projet indépendant de <a href="https://forbiddenstories.org/from-azerbaijan-to-smartphones-how-tainted-gold-ends-up-in-high-tech-products/">Forbidden Stories</a> sur l’Azerbaïdjan cité précédemment, <a href="https://www.frontlinedefenders.org/fr/profile/ulvi-hasanli">Ülvi Hasanli</a>, Mohammed Kekalov, Sevinç Vaqifqizi, Nargiz Absalamova, Hafiz Babali et Elnara Gasimova ont été arrêtés et placés en détention provisoire au mois de novembre 2023.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1755593803820618196"}"></div></p>
<p>Pourtant, certaines manifestations écologistes ont été autorisées, et même encouragées par le gouvernement, dans le corridor de Latchine, à partir de décembre. Celles-ci, toutefois, servaient de prétexte pour contribuer à organiser une <a href="https://theconversation.com/le-haut-karabakh-condamne-a-la-famine-dans-lindifference-de-la-communaute-internationale-212229">famine au Haut-Karabakh et contraindre l’intégralité des Arméniens de la région à l’exil après des bombardements en septembre</a>. Ces <a href="https://theconversation.com/nagorno-karabakh-slowly-but-surely-baku-is-weaponising-the-green-movement-to-cut-off-the-regions-supplies-200495">fausses manifestations</a> ont été organisées par les autorités elles-mêmes, et s’y trouvaient de jeunes volontaires et des soutiens du régime.</p>
<p>Les autorités azerbaïdjanaises poursuivent leurs opposants jusqu’à des milliers de kilomètres : <a href="https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/temoignage-un-jour-ils-vont-me-tuer-il-a-fui-lazerbaidjan-sa-vie-est-en-sursis-a-nantes-79481e34-f3e0-11ed-9f02-f7c1b8f6226c">Mahammad Mirzali, déjà cité, réfugié à Nantes</a>, en a fait les frais, réchappant à plusieurs tentatives d’assassinat. En Allemagne, <a href="https://providencemag.com/2022/09/azerbaijan-brutally-hunting-down-azeri-dissidents/">Gabil Mammadov a été battu dans la rue en 2020</a>, par « des individus non identifiés ». En Suisse, Manaf Jalilzade été brutalement attaqué en avril 2022.</p>
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<figcaption><span class="caption">Nantes : tentatives de meurtres et menaces de mort, un journaliste azéri vit cloîtré chez lui, France 3 Pays de la Loire, 1er avril 2021.</span></figcaption>
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<p>La fausse opposition existant en Azerbaïdjan est finalement un outil politique comme un autre destiné à la fois à museler toute forme d’opposition véritable et à servir de relais au régime en politique intérieure. Sur la scène internationale, elle permet aux partenaires de Bakou de fermer les yeux sur les exactions et les <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20240201-torture-en-azerba%C3%AFdjan-quand-europe-regarde-ailleurs">faits de torture</a> commis à l’encontre de tous ceux qui rêvent d’un Azerbaïdjan plus démocratique. La <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20231015-haut-karabakh-president-azerba%C3%AFdjanais-ilham-aliev-drapeau-national-stepanakert">victoire d’Ilham Aliev au Haut-Karabakh</a> lui a par ailleurs offert un <a href="https://www.courrierinternational.com/article/scrutin-presidentielle-en-azerbaidjan-les-electeurs-ont-remercie-aliev-pour-le-haut-karabakh">regain de popularité certain</a>, ce qui n’annonce certainement pas une future démocratisation du pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224679/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élodie Gavrilof ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ilham Aliev, aux affaires depuis 2003, vient d'être reconduit à la présidence pour un cinquième mandat, à l'issue d'un simulacre d'élection.Élodie Gavrilof, Historienne, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2181892023-11-23T17:55:24Z2023-11-23T17:55:24ZLe Hamas à Gaza : de l’enfermement à la sauvagerie<p>L’attaque sauvage du Hamas contre le 7 octobre dernier illustre une détermination et une montée en puissance des capacités militaires du mouvement islamiste, qui se sont traduites, pour la première fois, par une prise d’otages massive et des massacres de civils commis selon un mode opératoire inédit.</p>
<p>Au-delà de la douleur et de la sidération, que cherchait à accomplir le Hamas par cette offensive sans précédent ?</p>
<h2>Anéantir le statu quo</h2>
<p>Le premier objectif du Mouvement de la résistance islamique – dont Hamas est l’acronyme en arabe – est d’incarner la représentation des Palestiniens et d’assurer une relève politique.</p>
<p>Face à une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/cisjordanie-lautorite-palestinienne-la-derive">Autorité palestinienne discréditée</a>, réduite à gérer les affaires courantes et impuissante à assurer la sécurité de ses administrés, le Hamas cherche à reprendre le leadership d’une communauté politique qu’il a <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/hamas-du-quietisme-au-terrorisme-5270282">lui-même contribué à fracturer</a>. Sa revendication portant sur la libération de tous les prisonniers palestiniens, dont la majorité appartient au Fatah, renvoie à cette volonté <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/08/guerre-israel-hamas-porter-la-cause-des-prisonniers-contribue-a-faire-de-l-organisation-islamiste-le-representant-de-la-resistance-palestinienne_6199003_3232.html">d’assumer la lutte</a> en faveur des droits du peuple palestinien. La perspective d’élargissement de cent cinquante femmes et mineurs palestiniens détenus en Israël en échange de cinquante femmes et enfants israéliens otages du Hamas que prévoit <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/guerre-entre-le-hamas-et-israel-l-accord-pour-la-liberation-de-50-otages-a-ete-approuve-par-les-deux-camps_6200151.html">l’accord conclu le 21 novembre entre Israël et le Hamas</a> grâce à la médiation du Qatar, de l’Égypte et des États-Unis constitue un premier résultat en ce sens pour l’organisation islamiste.</p>
<p>Le deuxième objectif consiste à ranimer la question palestinienne qui, malgré la grave détérioration des conditions de vie des Palestiniens liée à la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2016-1-page-287.htm">colonisation et à l’enfermement</a>, s’était en quelque sorte éteinte. Le conflit israélo-palestinien n’était certes pas résolu, mais sa faible intensité conduisait Israël et la communauté internationale à le considérer comme gérable, et nulle perspective politique ne se dessinait donc à l’horizon, si ce n’est une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/20/le-gouvernement-israelien-fait-un-pas-important-vers-une-annexion-de-la-cisjordanie_6178434_3210.html">annexion de la Cisjordanie</a> et une remise en cause des règles de l’accès à l’Esplanade des mosquées, à Jérusalem, les Juifs religieux venant y prier de plus en plus fréquemment. Le 7 octobre, le Hamas a brutalement ravivé le conflit.</p>
<p>Enfin, le Hamas ne pouvait qu’anticiper la colère d’Israël et sa riposte contre Gaza. L’ampleur des frappes de Tsahal et son incapacité à éviter la mort de milliers de civils permettent de miser sur une indignation planétaire et une extension du conflit à l’espace régional, voire à l’espace mondial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dal-qaida-au-hamas-la-strategie-de-la-guerre-mediatique-217929">D’Al-Qaida au Hamas : la stratégie de la guerre médiatique</a>
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<p>L’attaque du 7 octobre et les représailles israéliennes qu’elle a suscitées vont-elles bouleverser la donne au Moyen-Orient ? L’enchaînement des violences risque d’entraîner plusieurs acteurs régionaux dans la guerre et d’approfondir les fractures au sein des sociétés occidentales déjà ébranlées par le terrorisme islamiste sur leur sol. La brutale offensive du Hamas se révèle un piège tendu à Israël et au monde entier. Que s’est-il passé pour en arriver là ?</p>
<h2>Gaza verrouillée, le Hamas en quarantaine</h2>
<p>Le Hamas ayant <a href="https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2006/01/26/victoire-des-islamistes-du-hamas-aux-elections-palestiniennes_734705_3208.html">remporté les élections législatives en janvier 2006</a>, la formation d’un gouvernement <em>hamsaoui</em> remit en cause l’édifice de sous-traitance sécuritaire sponsorisé par les Américains et les Européens, qui exigèrent que le Hamas renonçât à la violence, avalisât les accords de paix signés par l’OLP, et qu’il reconnût l’État d’Israël. L’ultimatum fut rejeté́, car les islamistes n’avaient rien à gagner d’une série de concessions unilatérales.</p>
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<p>Dans le sillage du succès électoral du Hamas, du refus du Fatah de participer à un gouvernement d’union nationale et de sa tentative de saper la victoire islamiste, les heurts entre les deux mouvements se multiplient dans la bande de Gaza, malgré la médiation saoudienne, et aboutissent en 2007 à un coup de force du Hamas qui mobilise ses effectifs pour écraser ceux du Fatah. La rupture est <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/palestine-de-l-etat-introuvable-la-nation-en-deroute-quoi-servent-les-dirigeants-palestinien">à la fois géographique et politique</a> puisque le Hamas gouverne la bande de Gaza tandis que l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas contrôle une série d’îlots urbains en Cisjordanie.</p>
<p>La communauté́ internationale interrompit dès 2006 tout transfert de fonds direct vers la bande de Gaza. Par leur ultimatum, les Occidentaux renoncèrent à tout levier diplomatique auprès du mouvement islamiste. Ainsi, malgré les déclarations de plusieurs de ses dirigeants <a href="https://www.lorientlejour.com/article/549365/L%2527existence_d%2527Israel_est_%253C%253C_une_realite_%253E%253E%252C_declare_Mechaal.html">admettant l’existence d’Israël</a>, malgré la <a href="https://iremam.hypotheses.org/7122">publication en 2017 d’un « document politique »</a> qui semblait reléguer dans le passé la <a href="https://www.senat.fr/rap/r08-630/r08-630-annexe2.pdf">charte antisémite de 1988</a> et envisageait un État palestinien dans les frontières de 1967, le Hamas est resté au ban de la communauté internationale, ses alliés se limitant finalement au Qatar et à l’Iran. </p>
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<p>La politique d’ouverture du Hamas témoignait-elle d’une mutation en cours ou n’était-elle qu’un leurre destiné à tromper ses adversaires ? Notons que les processus de transition ou de transformation politique sont par nature fragiles et incertains ; ils ne dépendent pas seulement de l’intention de leurs promoteurs mais aussi de la structure d’opportunité dans laquelle ils s’inscrivent.</p>
<p>La communauté internationale ne réagit pas à l’inflexion du Hamas. L’Union européenne <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-40727791">ne consentit pas à radier le mouvement de sa liste des organisations terroristes</a>, et la bande de Gaza demeura soumise <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/10/du-blocus-au-siege-complet-de-la-bande-de-gaza-par-israel-les-craintes-d-une-catastrophe-humanitaire_6193599_3210.html">à un double blocus</a>, israélien et égyptien.</p>
<h2>1994, des frontières sans souveraineté</h2>
<p>Pour autant, il ne faudrait pas croire que les habitants de la bande de Gaza exerçaient un quelconque droit à en sortir et à y rentrer avant 2007. Le processus d’Oslo et <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ps1994.htm">l’installation de l’Autorité palestinienne dans la bande côtière en 1994</a> coïncidèrent avec le bouclage du territoire. La gauche alors au pouvoir à Tel-Aviv choisit de réduire le nombre de travailleurs palestiniens autorisés à travailler sur le sol israélien et procéda à l’installation d’une clôture hermétique séparant la bande de Gaza d’Israël.</p>
<p>Durant la seconde moitié des années 1990, les <a href="https://embassies.gov.il/MFA/FOREIGNPOLICY/Terrorism/Palestinian/Pages/Suicide%20and%20Other%20Bombing%20Attacks%20in%20Israel%20Since.aspx">attentats-suicides commis en Israël</a> par le Hamas et le <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2005-4-page-299.htm">Djihad islamique</a> (organisation qui émerge dans les années 1980 et prône la lutte armée contre Israël) renforcèrent le choix de séparation fait par les dirigeants de l’État hébreu. Ainsi, en 1997, <a href="https://online.ucpress.edu/currenthistory/article-abstract/97/615/19/166454/The-Palestinian-Economy-after-Oslo?redirectedFrom=fulltext">seulement 4 % des Gazaouis</a> – essentiellement des membres haut placés de l’Autorité palestinienne – étaient autorisés à se rendre en Israël, à Jérusalem ou en Cisjordanie.</p>
<p>Les Gazaouis <a href="https://www.letemps.ch/monde/bande-gaza-evacuee-camp-concentration-sera-un-plus-grand">évoquaient déjà à l’époque la « prison à ciel ouvert »</a> dans laquelle ils vivaient ; l’écrasante majorité de la classe d’âge née dans les années 1970, trop jeune pour avoir été travailler de l’autre côté de la <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271072-israel-palestine-multiples-limites-mais-quelle-frontiere">ligne verte</a> n’a connu d’Israël que ses soldats, qui occupaient le territoire jusqu’à leur retrait partiel en mai 1994, et ses prisons.</p>
<p>Les générations suivantes n’ont pas eu l’occasion de rencontrer des Israéliens et la plupart des Gazaouis d’aujourd’hui ne sont tout simplement jamais sortis de l’étroite bande de terre. De son côté, le pouvoir égyptien a également maintenu un strict contrôle de l’accès à son territoire, <a href="https://carnegie-mec.org/2012/10/01/hamas-and-morsi-not-so-easy-between-brothers-pub-49525">y compris lors de la présidence de Mohamed al-Morsi</a>, pourtant membre des Frères musulmans, dont est issu le Hamas.</p>
<p>Le blocus imposé au territoire gouverné par le Hamas à partir de 2007 a encore davantage isolé les Palestiniens qui y vivent, car les étrangers autorisés à s’y rendre ne l’ont été que de manière exceptionnelle. Le personnel des organisations non gouvernementales s’est réduit, ainsi que le passage des journalistes et aussi celui des chercheurs, ces derniers étant interdits d’entrée dans la bande par les autorités militaires israéliennes. En outre, celles-ci ont asphyxié l’économie locale en limitant drastiquement la liste de produits autorisés à entrer dans la bande côtière sous prétexte d’empêcher tout détournement militaire.</p>
<h2>La fermentation</h2>
<p>Malgré cette main de fer israélienne, le Hamas a pu continuer à s’armer et à lancer des roquettes contre Israël, entraînant les adversaires dans une <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/hamas-israel-history-confrontation-2021-05-14/">série de guerres entre 2008 et 2021</a>. Ces dernières années, il a également développé un <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/invit%C3%A9-du-jour/20231107-le-r%C3%A9seau-des-tunnels-du-hamas-est-l-un-des-plus-sophistiqu%C3%A9s-de-l-histoire-de-la-guerre">réseau sophistiqué de tunnels</a> lui permettant d’enterrer son dispositif militaire et de mettre à l’abri les membres de sa branche armée. </p>
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<p>Il a collecté minutieusement du renseignement sur les installations militaires et civiles israéliennes à proximité, notamment en consultant des sources ouvertes. En revanche, le renseignement israélien reposait de plus en plus sur un arsenal technologique auquel les combattants des brigades Izzedine al-Qassam (la branche armée du Hamas) ont appris à échapper au fil du temps.</p>
<p>Étanche au monde, Gaza devenait de plus en plus opaque. Si la terrible offensive du 7 octobre a pu se préparer et se produire, c’est notamment parce que les gouvernants israéliens, confiants dans leur arsenal technologique et obnubilés par leur emprise sur la Cisjordanie, <a href="https://theconversation.com/comment-les-services-de-renseignement-israeliens-ont-ils-pu-rater-les-preparatifs-du-hamas-un-specialiste-de-la-lutte-anti-terroriste-explique-215527">ont ignoré des signaux d’alerte</a> mais c’est aussi parce que les hommes de <a href="https://www.europe1.fr/international/attaque-du-hamas-en-israel-qui-est-mohammed-deif-le-leader-des-brigades-islamistes-ezzedine-al-qassam-4208340">Mohamed Deif</a> ont accumulé un matériel militaire et logistique et ont basculé vers de nouveaux répertoires d’action.</p>
<p>L’ampleur de l’attaque terroriste a conduit les Israéliens à dénoncer l’Iran et le Hezbollah comme responsables, mais les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/24/attaque-du-hamas-contre-israel-ce-que-les-services-de-renseignement-americains-ont-dit-a-leurs-homologues-europeens_6196215_3210.html">renseignements américains ont établi</a> qu’il s’est agi d’une attaque « made in Gaza », dont les chefs politiques du Hamas de Gaza et a fortiori <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/qatar-hamas-israel-1.6999416">ceux résidant au Qatar</a> n’auraient pas été informés.</p>
<h2>Trois hypothèses pour expliquer la sauvagerie du 7 octobre</h2>
<p>Le choc du 7 octobre tient à l’efficacité de l’entreprise de mort <em>hamsaoui</em> mais également aux actes de cruauté, de torture et de profanation des corps perpétrés par ses hommes.</p>
<p>L’organisation islamiste assume depuis sa création le meurtre de civils israéliens, prétextant que tous les Israéliens rejoignant l’armée, il n’y aurait pas à proprement parler de « civils » dans le pays.</p>
<p>Entre 1994 et 1999, durant le processus de paix, puis pendant <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Intifada-al-Aqsa-de-son-declenchement-en-2000-a-l-annee-2002.html">l’Intifada al-Aqsa</a>, les brigades Izzedine al-Qassam ont commis des dizaines d’attentats-suicides dans des villes israéliennes. C’est à leurs yeux le moyen de mettre à profit le courage et l’abnégation des Palestiniens, prêts à offrir leur vie, et d’infliger à l’ennemi, attaché aux plaisirs de la vie terrestre, les pertes les plus douloureuses possible.</p>
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<p>Néanmoins, pendant la décennie durant laquelle l’attentat-suicide est pratiqué, le <em>modus operandi</em> est demeuré le même : un homme généralement jeune sélectionné pour la rigueur de sa foi et sa détermination revêt une ceinture d’explosifs et se fait exploser au milieu d’une foule. Une forte discipline et un strict respect des consignes caractérisent les rangs du mouvement. </p>
<p>Comment expliquer le basculement d’une hyperviolence normée dont relevait l’attentat-suicide à la sauvagerie multiforme du 7 octobre ? Trois hypothèses méritent d’être examinées.</p>
<p>La première hypothèse est celle d’une organisation débordée par ses membres exaltés par leur soudaine puissance, dépassée peut-être aussi par d’autres groupes ou par des civils palestiniens qui ont profité de l’ouverture en vingt-neuf points de la clôture de sécurité pour aller piller et tuer. Un épisode relaté par Samuel Forey dans <a href="https://www.grasset.fr/livre/les-aurores-incertaines-9782246815433/"><em>Les Aurores incertaines</em></a> (Grasset, 2023) lors de sa visite dans la bande de Gaza en novembre 2012 donne à voir la possibilité du déchaînement et de l’acharnement collectifs, voire d’une répartition des tâches. Le journaliste évoque l’exécution sommaire de personnes accusées de collaboration avec Israël par la brigade Qassam. Les hommes gisant au sol sont achevés par une foule anonyme qui accomplit le lynchage, sans que cela provoque d’intervention de la police <em>hamsaoui</em>.</p>
<p>De manière comparable, en 2000 à Ramallah, des Palestiniens <a href="http://edition.cnn.com/2000/WORLD/meast/10/12/israel.tm/index.html">avaient mis à mort deux Israéliens égarés en zone A</a> et l’un des tueurs s’était servi du téléphone portable d’une des victimes pour annoncer le meurtre à la femme du supplicié. L’occasion soudaine de s’échapper de l’enclos gazaoui aurait libéré les instincts de meurtre et de vengeance de quelques centaines d’hommes. La thèse de la perte de contrôle est celle qui est <a href="https://www.middleeasteye.net/news/israel-palestine-war-hamas-and-israel-were-inches-deal-hostages">mise en avant par les responsables du Hamas</a>, qui peinent à justifier l’ampleur et les modalités du massacre.</p>
<p>La deuxième hypothèse est celle d’une mutation du Hamas. Sa branche armée, dont les membres ont <a href="https://www.france24.com/fr/20121114-chef-militaire-hamas-tue-gaza-raid-israel-jaabari-brigades-qassam">fréquemment été visés par des assassinats ciblés israéliens</a>, s’est renouvelée et a continué de recruter parmi la jeunesse de Gaza. L’univers clos et étriqué d’une organisation secrète, celui d’une sociabilité exclusive refermée sur le groupe, a façonné l’esprit de ces hommes privés d’une quelconque expérience avec le monde extérieur ou tout autrui significatif. Dans une vie où tout ailleurs est inaccessible, la formation islamique et militaire qu’assure l’organisation n’aurait été troublée que par le visionnage des vidéos des exactions commises par les combattants de Daech. En outre, l’échec politique du Hamas à s’imposer comme un interlocuteur d’Israël et de la communauté internationale a pu renforcer le poids de la branche militaire. Dès lors, une sorte de « daechisation des esprits » et le sentiment de toute-puissance des brigades Izzedine al-Qassam expliqueraient les actes de barbarie commis le 7 octobre.</p>
<p>La troisième hypothèse rejoint une lecture dominante en Israël aujourd’hui : l’attaque terroriste aurait révélé la nature véritable du Hamas. Plusieurs responsables politiques de l’État hébreu ont d’ailleurs affirmé <a href="https://www.jns.org/idf-spokesperson-hamas-was-more-barbaric-and-more-brutal-than-isis/">l’équivalence de ces deux mouvements</a> ou rebaptisé l’organisation islamiste palestinienne « Hamas – Daech ». Le fait que les chefs de l’organisation <a href="https://www.liberation.fr/checknews/israel-na-pas-sa-place-sur-notre-terre-qui-est-ghazi-hamad-la-voix-du-hamas-depuis-le-massacre-du-7-octobre-20231103_Z6ZD7UK24JBYVAHSCDKYYS5K7Y/">affirment que la religion musulmane interdit de tuer des civils</a> et que Mohamed Deif, commandant des brigades Qassam, <a href="https://www.israelnationalnews.com/news/379862">aurait donné comme consigne à ses troupes d’épargner femmes, enfants et personnes âgées</a> ne serait qu’un leurre destiné à masquer les intentions et les pratiques des islamistes.</p>
<p>Le temps de la recherche n’étant pas celui des médias, il est encore trop tôt pour trancher définitivement entre ces hypothèses.</p>
<h2>Un suicide politique ?</h2>
<p>Si l’objectif du Hamas était d’obtenir un levier de négociation sans précédent en monnayant plusieurs dizaines d’otages, l’ampleur des représailles israéliennes à Gaza montre que ce premier pari, dont l’issue est encore incertaine, est très chèrement payé. La perspective de déclencher un conflit régional, voire mondial ne peut être totalement écartée mais elle ne semble pas probable, <a href="https://www.memri.org/reports/hamas-calls-entire-islamic-nation-join-jihad-against-israel-declares-friday-october-13-2023">l’appel à <em>l’oumma</em> des chefs du Hamas</a> n’ayant pas entraîné de franches mobilisations.</p>
<p>Choqué et humilié, Israël est déterminé à restaurer sa force de dissuasion, au prix de milliers de morts parmi les civils palestiniens. <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/palestine/hausse-des-violences-colonies-a-l-ombre-de-gaza-une-situation-explosive-en-cisjordanie-occupee_AV-202311170746.html">L’intensification des attaques de colons en Cisjordanie</a>, les mauvais traitements infligés aux prisonniers palestiniens, la méfiance à l’égard des citoyens arabes augurent d’une brutalisation sans précédent.</p>
<p>Au sein de la classe politique israélienne, le départ massif et forcé de la population palestinienne vers l’Égypte ou vers des pays occidentaux sommés de prendre leur part du fardeau <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">est un scénario à l’étude</a>. La seule autre option acceptable par nombre d’Israéliens est de soumettre encore davantage les Palestiniens à l’intérieur d’enclaves étanches : l’enfermement, la surveillance et la répression armée, modes de contrôle déjà largement éprouvés, se déploieraient à l’aide d’une débauche de moyens supplémentaires. La normalisation de la déshumanisation succéderait à la démonstration de force du Hamas et à la destruction de la bande de Gaza. À nouveau, elle sèmerait les germes de la révolte et de la fureur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218189/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laetitia Bucaille ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Né en 1987, le Hamas s’est emparé du pouvoir à Gaza en 2007 et n’a cessé de s’y renforcer. Le blocus en place depuis seize ans l’a aidé à asseoir son emprise au sein de la population gazaouie.Laetitia Bucaille, Professeur de sociologie politique. Chercheur au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA), chercheur associée au Centre d'Etudes et de Recherche Moyen-Orient, Méditerranée (CERMOM) , Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160502023-10-22T15:15:57Z2023-10-22T15:15:57ZQuelle stratégie israélienne pour Gaza ?<p>« Destruction du Hamas », « réoccupation militaire », « ruines », « massacres et expulsions de civils »… Dans <a href="https://theconversation.com/israel-hamas-le-sujet-meme-de-la-paix-a-disparu-215287">l’affrontement actuel entre l’armée israélienne et le Hamas</a>, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire les avenirs possibles de la bande de Gaza.</p>
<p>Au-delà des objectifs militaires à court terme, la question est bel et bien politique. Alors que les responsables israéliens avancent des propositions différentes et parfois mutuellement exclusives sur le sort futur de l’enclave, les leçons des 56 dernières années (c’est en 1967, à l’issue de la guerre des Six Jours, qu’Israël a pris le contrôle de la bande de Gaza, auparavant occupée par l’Égypte) seront-elles tirées, de sorte qu’une véritable solution viable à long terme s’impose ?</p>
<p>Au vu des propos tenus actuellement à Tel-Aviv, et de l’incapacité de la communauté internationale à peser réellement sur ce dossier, cela semble peu probable. Répondre à la question du devenir de Gaza implique de regarder en face l’échec de la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens, qui a largement consisté à les séparer d’Israël et à les contraindre à vivre dans des enclaves, et d’envisager les différents scénarios de sortie de guerre.</p>
<h2>Les options militaires immédiates</h2>
<p>Suite à l’attaque terroriste et aux prises d’otages du Hamas du 7 octobre, l’armée israélienne a repris le contrôle des localités attaquées. Elle a organisé la mobilisation de 300 000 réservistes et rassemblé des chars au nord de Gaza, tout en lançant une campagne de bombardements intensive.</p>
<p>Les intentions israéliennes restent, pour le moment, générales : « éliminer » le Hamas <a href="https://fr.timesofisrael.com/yoav-gallant-la-bande-de-gaza-ne-sera-plus-jamais-ce-quelle-etait/">selon le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant</a>, ou encore transformer ses zones d’opération « en ruines » pour reprendre les <a href="https://www.leparisien.fr/international/attaques-contre-israel-chaque-zone-dans-laquelle-le-hamas-opere-sera-une-ruine-menace-netanyahou-09-10-2023-NI2X4FBYN5DULH7TE4QPQW4C4U.php">termes de Benyamin Nétanyahou</a>.</p>
<p>Israël prépare également une incursion terrestre dans des zones urbaines très denses où le Hamas bénéficie d’un réseau structuré de tunnels contenant des caches d’armes, dont l’entrée peut se situer <a href="https://china.elgaronline.com/display/edcoll/9781839108891/9781839108891.00023.xml">dans des habitations, des bâtiments agricoles ou des mosquées</a>.</p>
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<p>Les Israéliens bénéficient d’une expérience de combat en contexte urbain après leurs actions <a href="https://www.c-dec.terre.defense.gouv.fr/images/documents/retex/29_naplouse_sud_liban_zurb.pdf">à Naplouse en 2002 ou encore au Liban en 2006</a>. Ils ont appris à <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/08/gaza-passer-a-travers-les-murs-x/">se déplacer à travers les murs</a>, grâce notamment à des technologies de détection et au recours à des balles pénétrantes. Ils connaissent les limites et les dangers de ces opérations terrestres, longues et à grande échelle, par rapport à des interventions limitées à l’intérieur des enclaves palestiniennes comme celles qu’ils ont conduites récemment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/04/apres-le-raid-de-l-armee-israelienne-a-jenine-les-habitants-denoncent-une-punition-collective_6180441_3210.html">à Jénine et à Naplouse</a>.</p>
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<p>En guise de représailles, l’armée israélienne a aussi mis fin à l’approvisionnement en eau (avant de le rétablir dans le sud), en fuel et en électricité dont dépend en grande partie la bande de Gaza. Ces mesures ne sont pas neuves. Elles s’inscrivent dans le <a href="https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2022/06/19/quinze-ans-de-blocus-sur-la-bande-de-gaza_6131001_6116995.html">blocus maritime et terrestre de la bande de Gaza à l’œuvre depuis 2007</a>. Les importations de certains produits dans la bande sont limitées, ce qui affecte l’économie agricole et celle du bâtiment (souligner cela n’exonère en rien de critiquer la <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2018-3-page-23.htm?contenu=resume">gestion économique du territoire par le Hamas</a>), tout en ayant de graves répercussions sur les civils (comme l’a rappelé la <a href="https://press.un.org/fr/2009/cs9567.doc.htm">résolution 1860 du Conseil de sécurité</a>, respectée ni par Israël ni par le Hamas).</p>
<p>Les Égyptiens participent également de ce blocus : <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/face-au-siege-de-gaza-legypte-dans-lembarras-20231014_H6KRQOKAIBHEXANY7NJLPKIYOQ/">méfiants à l’égard du Hamas</a>, ils ont tenté à de nombreuses reprises de <a href="https://fr.timesofisrael.com/legypte-detruit-12-tunnels-de-contrebande-a-gaza/">détruire les tunnels</a> creusés sous la frontière entre leur territoire et la bande de Gaza.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-poste-frontiere-de-rafah-pour-les-gazaouis-une-issue-de-secours-qui-reste-close-215849">Le poste-frontière de Rafah : pour les Gazaouis, une issue de secours qui reste close</a>
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<p>Tout se passe comme si cette enclave était une entité complètement déconnectée d’Israël et de la Cisjordanie. Pourtant, si les colons et militaires israéliens ont effectivement été évacués de Gaza en 2005 sur décision d’Ariel Sharon, Gaza n’en demeure pas moins, depuis lors, un territoire contrôlé par Israël de l’extérieur, notamment par des points de passage et une « barrière ». Le Hamas en a pris violemment le contrôle au détriment du Fatah en 2007. Les Israéliens ont aussi joué la carte de la division palestinienne, ce qui est aujourd’hui <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/11/israel-netanyahou-a-explicitement-renforce-le-hamas-une-conversation-avec-nitzan-horowitz/">reproché à Benyamin Nétanyahou</a>, de nombreux observateurs estimant que sa stratégie a renforcé l’implantation du Hamas à Gaza.</p>
<p>Les considérations tactiques et humanitaires, urgentes, masquent en tout état de cause la question du statut politique de la bande de Gaza et de la stratégie politico-militaire israélienne, appuyée par ses alliés internationaux.</p>
<h2>Quelle stratégie israélienne à long terme ?</h2>
<p>L’administration américaine, traditionnellement très peu critique envers les décisions prises par les autorités israéliennes, se montre aujourd’hui inquiète. Elle a demandé à Israël de préciser sa stratégie pour Gaza. Il est vrai que les positions avancées par les dirigeants de Tel-Aviv sont diverses. <a href="https://www.i24news.tv/fr/actu/israel-en-guerre/1697433150-israel-n-a-aucun-interet-a-occuper-gaza-selon-l-ambassadeur-d-israel-a-l-onu-gilad-erdan">« Nous n’avons aucun intérêt à occuper Gaza ou à rester à Gaza »</a>, a déclaré l’ambassadeur israélien auprès des Nations unies, Gilad Erdan, le 12 octobre. Benny Gantz et Gadi Eisenkot, deux leaders de l’opposition, ont <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/les-etats-unis-pressent-israel-delaborer-une-strategie-en-cas-de-renversement-du-hamas/">rejoint le gouvernement d’unité nationale</a> à la condition qu’un plan opérationnel de sortie de Gaza après une incursion soit formulé.</p>
<p>En politique israélienne, voilà longtemps que l’on entend des voix qui appellent au nettoyage ethnique. Ces derniers jours, des députés du Likoud souhaitaient publiquement une <a href="https://www.haaretz.com/opinion/editorial/2023-10-17/ty-article-opinion/palestinian-expulsion-amid-the-fog-of-war/0000018b-39f9-d5b8-a78b-f9f92b720000">« Nakba 2 »</a> en référence à l’exil forcé de 600 à 800 000 Palestiniens en 1948. Le ministre des Affaires étrangères Eli Cohen a annoncé une <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/eli-cohen-a-la-fin-de-la-guerre-le-hamas-disparaitra-et-la-bande-de-gaza-diminuera/">« diminution du territoire de Gaza » après la guerre</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1713594002090365127"}"></div></p>
<p>De manière générale, le gouvernement de droite et d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou revendique sans s’en cacher une poursuite accrue de la colonisation, voire tout simplement l’annexion de pans des territoires palestiniens. En mars, la ministre des Implantations et des Missions nationales Orit Strock appelait à une <a href="https://www.timesofisrael.com/then-we-retake-gaza-hardline-minister-hails-repealing-of-west-bank-disengagement/">recolonisation de Gaza</a>.</p>
<p>Est-il possible de détruire le Hamas sans pour autant expulser de la bande de Gaza de très nombreux civils palestiniens et, au-delà, sans avoir au préalable élaboré une stratégie politique pour l’avenir de ce territoire ? C’est difficile à croire tant l’histoire de l’occupation nous a prouvé le contraire.</p>
<h2>Les enseignements de l’histoire</h2>
<p>Depuis 1967, les <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/israelpalestine-lillusion-separation-4">formes de l’occupation israélienne</a> de Gaza et de la Cisjordanie ont évolué, tant dans les processus bureaucratiques qui régissent la vie des Palestiniens (permis de déplacement, construction d’habitations, regroupement familial, travail en Israël) que dans les outils de contrôle (checkpoints, surveillance, renseignement, mur, emprisonnement). Les formes de l’opposition palestinienne ont également évolué (des plus pacifiques, comme le <a href="https://theconversation.com/lavenir-incertain-de-la-palestine-a-la-cour-penale-internationale-202162">recours au droit international</a>, aux plus violentes comme celles prônées par le Hamas et <a href="https://www.lefigaro.fr/international/conflit-israel-hamas-qu-est-ce-que-le-djihad-islamique-palestinien-suspecte-d-avoir-frappe-un-hopital-a-gaza-20231018">d’autres groupes djihadistes</a>).</p>
<p>Dans un premier temps, jusqu’aux années 1990, les Israéliens ont administré la vie des Palestiniens, intégrant leur force de travail à leur économie tout en exploitant et colonisant la terre. Leur souci a toujours été de dissocier la gestion de la vie des habitants palestiniens (qu’ils <a href="https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2005-2-page-66.htm">ne voulaient pas incorporer en trop grand nombre à un État majoritairement juif</a>) du contrôle de la terre de Cisjordanie ou de Gaza.</p>
<p>Les années 1990 ont été ensuite marquées par la séparation tant politique que spatiale d’avec les Palestiniens, et ce d’autant plus que s’étiolait le processus de paix et s’aggravaient les attentats contre les Israéliens. Le politiste <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520255319/israels-occupation">Neve Gordon</a> analyse l’occupation dans cette phase comme une délégation de la gestion des Palestiniens à l’Autorité palestinienne, ainsi qu’aux ONG et aux organisations internationales, tout en poursuivant la colonisation et en accentuant le contrôle des mobilités au nom de la sécurité des Israéliens.</p>
<p>Un système de ségrégation spatiale s’est donc mis en œuvre pour que les mobilités des Palestiniens contournent les zones israéliennes. Ce système a offert aux Israéliens, traumatisés par la Seconde Intifada (2000-2005), une illusion de séparation, comme si le danger avait été repoussé de l’autre côté du mur, dans les enclaves palestiniennes.</p>
<p>Gaza est le modèle type de cette stratégie de l’enclave conjuguant contrôle extérieur, incursions militaires limitées mais régulières pour détruire les tunnels et les capacités des groupes armés palestiniens, délégitimation de l’Autorité palestinienne, <a href="https://www.inss.org.il/wp-content/uploads/2018/01/GazaCrisis_ENG-115-128.pdf">dissociation de ses habitants d’avec les Palestiniens de Cisjordanie</a> et appauvrissement de la population. Ce cocktail a permis la montée du Hamas, qui revendique, depuis sa fondation, la lutte armée contre Israël. Cette stratégie sécuritaire où se retrouvent face à face armée israélienne et Hamas permettait aussi de ne pas prendre de décisions politiques majeures sur le sort des Palestiniens, ni de s’engager dans une négociation politique.</p>
<h2>Regards internationaux</h2>
<p>Le 7 octobre 2023 est une tragédie incommensurable dans le conflit israélo-palestinien. Cet événement consacre l’échec de la politique israélienne à l’égard de Gaza et de la question palestinienne en général. L’option strictement sécuritaire n’est plus à même de contenir la violence. Dès lors, on peine à envisager les <a href="https://www.972mag.com/gaza-nakba-sinai-egypt-israel/">scénarios possibles</a> de sortie de guerre. Transférer la gestion des Palestiniens de Gaza à l’Égypte ou à des organisations internationales ? Réinstaurer à Gaza le pouvoir de l’Autorité palestinienne (<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/19/israel-hamas-en-cisjordanie-le-jour-de-toutes-les-coleres-se-retourne-contre-l-autorite-palestinienne_6195389_3210.html">très décriée en Cisjordanie</a>) ? Déplacer la population vers certaines zones de Gaza, vers le Sinaï ou la Jordanie (<a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-israel-gaza-l-egypte-s-oppose-a-un-deplacement-des-palestiniens-au-sinai-et-en-jordanie-11273791">ce que refusent en chœur l’Égypte et la Jordanie</a>) ? Annexer et contrôler militairement des pans de la bande ?</p>
<p>Tous ceux qui s’intéressent au vivre ensemble des deux peuples doivent réactiver une voie de résolution politique et multilatérale de l’occupation et aborder de manière critique la difficile question de la stratégie israélienne à Gaza et de l’autodétermination des Palestiniens. Il peut paraître naïf d’exprimer cela au milieu d’une guerre d’une telle violence. Pourtant, les relations israélo-palestiniennes sont affaire de positionnements internationaux depuis la déclaration Balfour de 1917. Après la Syrie, l’Ukraine et le Karabakh, elles sont aussi un nouveau test de la possibilité de gouverner les relations internationales et interethniques par le droit international et le multilatéralisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Simonneau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le contexte actuel, marqué par le terrible bilan humain des attaques commises le 7 octobre par le Hamas, les responsables israéliens envisagent essentiellement des issues.Damien Simonneau, Maître de conférences en science politique à l'INALCO, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152892023-10-17T19:32:19Z2023-10-17T19:32:19ZLe régiment Azov, l’épouvantail ukrainien au coeur de la rhétorique de « dénazification » russe<p><em>Un an et demi après le début de l’invasion de l’Ukraine, la Russie a régulièrement changé ses buts de guerre affichés et évoqué les raisons les plus variées pour justifier son agression à l’encontre du pays voisin. Mais l’affirmation que l’Ukraine serait « un régime nazi » ou, à tout le moins, un État considérant l’idéologie hitlérienne avec la plus grande sympathie, revient comme un mantra dans les propos des dirigeants russes et de leurs divers porte-voix, en Russie comme ailleurs.</em></p>
<p><em>L’un des arguments récurrents à l’appui de cette affirmation est le rôle joué au sein de la défense ukrainienne par le fameux régiment Azov, dont les références initiales et l’esthétique empruntent indéniablement, à l’extrême droite la plus radicale. Toutefois, pour bon nombre d’Ukrainiens, ces aspects sont soit caducs, soit secondaires. Qu’en est-il ? Adrien Nonjon, enseignant à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), vient de publier aux Éditions du Cerf la <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/20316/Le-regiment-Azov">première somme en français consacrée à ce régiment si controversé</a> qui a connu bien des évolutions depuis son apparition en 2014. Nous vous en proposons ici quelques extraits.</em></p>
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<p>En décidant d’envahir l’Ukraine, la Russie a pris de court l’ensemble des chancelleries du monde, et les éléments de langage pour le moins abrupts employés par son président pour justifier cette subite entrée en conflit en ont surpris plus d’un. S’inscrivant dans une rhétorique puisant aussi bien dans l’historiographie impériale que soviétique, son discours du 22 février 2022 niait l’existence de l’Ukraine, renvoyée à une « Petite Russie », et délégitimait l’État ukrainien. Erreur de l’histoire résultant de la chute de l’URSS en 1991, l’Ukraine était également, selon le président russe, dirigée depuis la révolution du Maïdan de 2014 par une « junte fasciste » souhaitant purger la région orientale du Donbass de la composante russophone de ses habitants. Le choix de ces termes n’a laissé aucun doute sur les considérations du Kremlin vis-à-vis de son voisin occidental : le nationalisme ukrainien serait une invention de l’étranger pour déstabiliser la Russie et ses marges par le biais de « révolutions de couleur ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/kiev-mere-des-villes-russes-ou-kyiv-pilier-de-la-nation-ukrainienne-178675">Kiev, mère des villes russes, ou Kyiv, pilier de la nation ukrainienne ?</a>
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<p>En annonçant deux jours plus tard que « l’opération militaire spéciale » avait pour principal objectif de « dénazifier » l’Ukraine, Vladimir Poutine se présentait au peuple russe non seulement comme un libérateur mais aussi comme un juge devant l’histoire réécrite. Le terme « dénazification » n’est pas dû au hasard. Il renvoie à la conférence de Potsdam qui mit fin, en 1945, à l’idéologie nationale-socialiste en Allemagne. Artificiel et falsificateur, cet objectif s’est particulièrement cristallisé autour d’Azov.</p>
<p>Ce n’est pourtant pas la première fois que le régiment est pris pour cible. Depuis 2014, il est un enjeu sous-jacent du conflit russo-ukrainien. Apparu au lendemain de la révolution du Maïdan, dans le sillage des quelque 7 000 volontaires qui se sont engagés dans la <em>Zona provedennya antiterorystichnoyi operasiyi</em> (Anti Terrorist Operation Zone, ATO) pour contrer l’avancée des séparatistes appuyés par le Russie, Azov a d’abord attiré l’attention par ses étranges insignes faisant allusion à la symbolique du Troisième Reich et ses phalanges comme la SS. Certains de ses combattants ont d’ailleurs pu parfois se mettre en scène dans des clichés ne laissant aucun doute quant à leur affiliation politique.</p>
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<p>Il faudrait encore mentionner le parcours initial de certains des dirigeants de l’unité, autrefois affiliés à d’anciennes structures ultranationalistes et néonazies ukrainiennes comme Tryzub ou Sitch14 (C14). Quand bien même ces forces combattantes ne représenteraient qu’une infime minorité parmi celles et ceux ayant choisi de prendre les armes afin de défendre l’Ukraine, l’intégration d’Azov au sein de la Garde nationale, une institution rattachée directement au ministère de l’Intérieur, n’a fait que nourrir les polémiques concernant d’hypothétiques convergences entre cette unité et l’État.</p>
<p>Le régiment avait déjà été remis en cause dans une série de rapports établis par Amnesty International pour crimes de guerre dans le Donbass qui n’avait pu aboutir faute de preuves suffisantes et d’une disproportion des accusations au regard des crimes perpétrés par les séparatistes. Cependant, la crainte d’une banalisation complice de l’ultranationalisme a été renforcée par l’enregistrement, le 14 octobre 2016, du parti politique Corps National (Natsionalniy Korpous), fondé par des vétérans du régiment. Même si les élections législatives du 26 octobre 2014 ont débouché sur un échec partiel des forces nationalistes radicales, contenues à 5 % des voix, la présence de quelques députés ultranationalistes à la Rada – Andriy Biletskyi, le premier commandant en chef d’Azov remportant d’ailleurs avec plus de 33,75 % un siège au parlement – a été ressentie comme la preuve d’une montée en puissance de l’ultranationalisme, capable de mettre en danger la démocratie. On pourrait certes relativiser ces performances.</p>
<p>L’extrême droite a droit de cité et est même parfois largement plus représentée dans les suffrages quand elle n’est tout simplement pas déjà au pouvoir dans d’autres pays. Pour autant, la question de l’extrême droite ukrainienne, et plus précisément de l’ultranationalisme dont se revendique Azov, n’a eu de cesse de susciter de vifs débats sur ce qu’il incarne ou a pu incarner, et sa symbolique demeure au cœur des discussions.</p>
<p>La polémique a été relancée à la faveur de l’invasion russe de l’Ukraine, chaque expert entendant apporter ses éléments de réponse. Quand certains chercheurs comme Anton Chekhovtsov affirment que le régiment de 2022 n’est aucunement le bataillon de volontaires ultranationalistes de 2014 ; d’autres, à l’instar du journaliste Oleksiy Kouzmenko, affirment que le régiment reste une dangereuse menace pour la réconciliation même du pays. Cette divergence d’opinions est par ailleurs alimentée par des facteurs géopolitiques. Rappelons à cet égard le cas de l’opposant bélarussien Roman Protassevitch : en mai 2021, son avion a été détourné et contraint par l’armée bélarussienne de se poser en Biélorussie sur le trajet Athènes-Vilnius en violation de toutes les règles de l’aviation civile. L’opposant a été emprisonné. Le tollé international suscité par ce coup de force a donné lieu à une riposte concertée de la part de la propagande russe : celle-ci a souligné que Protassevitch entretiendrait des liens avec Azov et qu’il n’était donc pas un militant pacifique mais un néonazi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-coup-de-force-de-loukachenko-souligne-limpuissance-de-lue-161597">Le coup de force de Loukachenko souligne l’impuissance de l’UE</a>
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<p>Repoussoir idéologique permettant à la Russie et ses alliés de justifier les pires atrocités, Azov divise également les Occidentaux. Certains n’hésitent pas à jeter l’opprobre sur Azov, qui devrait être condamné en raison de ses liens supposés avec des groupes extrémistes, tandis que d’autres estiment que son rôle dans la défense de l’Ukraine ne pouvait être ignoré.</p>
<p>On l’aura compris, Azov est omniprésent dans le conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie et l’interprétation qui en est donnée. Bien plus qu’un régiment, qu’une organisation nationaliste ou un parti politique, il est un phénomène à part entière.</p>
<p>Le contexte général au moment où nous écrivons ces lignes nécessite bien entendu une prise de position prudente mais fondée par rapport à l’enjeu. Rappelons-le encore une fois, le conflit russo-ukrainien se caractérise par un emploi massif de l’information comme arme de propagande, de mobilisation et de mise en scène de la guerre. De même, il convient de le rappeler encore, ce sont pas moins de deux cent mille hommes et femmes qui défendent aujourd’hui avec courage et abnégation l’Ukraine. Contrairement à toutes les <em>reductio ad hitlerum</em> présentes dans les médias russes, la très grande majorité de ces combattants ne se reconnaît aucunement dans les valeurs du nationalisme radical ukrainien et des mouvements politiques qui en sont à l’avant-garde comme le mouvement Azov.</p>
<p>Cet ouvrage n’aspire aucunement à s’inscrire dans un débat partisan. Il vise à analyser un objet qui a suscité un emballement médiatique depuis le début de la guerre mais dont la vision est le plus souvent partielle et donc partiale. Au regard de ce sujet d’actualité brûlant, nous entendons revenir en détail et avec méthode sur l’histoire de ce régiment et du mouvement qui lui est lié.</p>
<p>Cette analyse n’est nullement imposée par l’actualité, elle s’inscrit dans un travail personnel, un terrain de recherche fréquenté depuis de nombreuses années, et des publications permettant de corriger pas à pas certains jugements. […] Face à la diversité voire la nébuleuse des thématiques soulevées par le sujet, ma démarche fut soumise à un seul et même impératif : sélectionner quelques angles d’approche particuliers et les aborder autant que possible de manière claire, objective, informée.</p>
<p>À ce titre, partir du terrain de l’Ukraine post-Maïdan a été une opportunité indiscutable. Cette révolution a vu se libérer au sein de la société les nationalismes les plus divers, les a transformés en profondeur dans leurs variables de radicalité et d’orientation idéologique et Azov y a pris toute sa place. Il a fallu bâtir une approche historique à travers l’étude des sources produites par Azov : tracts, manifestes, brochures, affiches, sites Internet et articles. Collectées et classées, elles permettent de mieux cerner Azov dans sa complexité, et d’identifier plusieurs tournants et choix décisifs au sein de ce mouvement. […]</p>
<p>Il n’était pas question ici de réduire Azov de manière ad hoc à un simple phénomène extrémiste pouvant être appréhendé à travers ses seuls messages de propagande. L’enquête de terrain s’est révélée nécessaire – pour ne pas dire essentielle – pour mettre en cohérence des matériaux théoriques et empiriques préalablement mobilisés et des faits liés à l’actualité politique ukrainienne. […]</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/552786/original/file-20231009-25-pdig6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552786/original/file-20231009-25-pdig6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552786/original/file-20231009-25-pdig6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552786/original/file-20231009-25-pdig6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552786/original/file-20231009-25-pdig6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552786/original/file-20231009-25-pdig6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552786/original/file-20231009-25-pdig6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552786/original/file-20231009-25-pdig6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Le Régiment Azov. Un nationalisme ukrainien en guerre</em>, Adrien Nonjon, Éditions du Cerf.</span>
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<p>Des simples entretiens aux observations effectuées in situ, le travail d’enquête sur le terrain, quelles que soient ses difficultés, demeure par sa richesse l’un des meilleurs moyens pour le chercheur de pouvoir faire évoluer sa réflexion, relativiser certains événements, comprendre la portée de certains engagements dans des circonstances bien évaluées, surtout dans le champ d’analyse très mouvant du nationalisme. Il permet d’accéder à des informations novatrices par rapport aux simples lectures et de dépasser l’insularité supposée du sujet en créant une solide passerelle avec l’analyse scientifique institutionnelle. Bien que l’anthropologue Daniel Céfaï reconnaisse qu’il est impossible de parler de travail de terrain en général, ou du moins de méthode type au regard de la pluralité des pratiques existantes (entretiens, observations participantes, étude de cas…), la systématisation de notre approche en Ukraine a été possible en renouvelant méthodiquement les échelles et unités d’analyse disponibles afin de rendre compte de manière exhaustive et fiable d’un sujet aussi délicat et objet de controverses que celui d’Azov et son mouvement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215289/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrien Nonjon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un récent ouvrage permet de mieux comprendre ce qu'est le régiment Azov, ramassis de néo-nazis pour les uns, héroïque organisation de lutte contre la Russie pour les autres.Adrien Nonjon, Doctorant en Histoire , Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2151092023-10-12T17:30:10Z2023-10-12T17:30:10ZComprendre les tensions polono-ukrainiennes<p>Alors que Varsovie apparaissait depuis un an et demi comme <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-la-pologne-meilleur-allie-de-zelensky-face-a-poutine-JQY6LOV53REMNAA3GVTJRLBDZM/">l’un des soutiens les plus déterminés de l’Ukraine face à l’attaque russe</a>, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a annoncé le 20 septembre 2023 que <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/21/guerre-en-ukraine-varsovie-arrete-ses-livraisons-d-armes-a-kiev_6190267_3210.html">son pays ne livrerait plus de nouveaux armements à Kiev</a>.</p>
<p>Comment interpréter cette décision, à première vue surprenante, qui est intervenue dans un contexte de crise diplomatique entre les deux pays au sujet de l’exportation des produits agricoles ukrainiens, et surtout moins d’un mois avant les élections législatives polonaises du 15 octobre ?</p>
<h2>Les grains de la discorde</h2>
<p>En mai 2022, trois mois après le lancement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_2671">l’UE levait ses droits de douane sur les produits agricoles ukrainiens</a> et organisait des <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/corridors-de-solidarite-la-commission-europeenne-lance-une-plateforme-de-rapprochement-des-2022-06-03_fr">« corridors de solidarité »</a> pour permettre leur exportation, devenue impossible via les ports de la mer Noire du fait du blocage mis en place par la Russie.</p>
<p>Mais l’afflux de céréales ukrainiennes, couplé aux difficultés logistiques d’expédition depuis les pays de transit, a formé des goulots d’étranglement provoquant une baisse des prix des céréales vendues par ces pays, ce dont pâtissent les agriculteurs locaux.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les corridors de solidarité tels que présentés par l’UE.</span>
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<p>Dès le début 2023, les agriculteurs polonais ont <a href="https://www.courrierinternational.com/article/politique-en-pologne-les-agriculteurs-arrachent-un-accord-pour-limiter-l-afflux-de-cereales-ukrainiennes">protesté contre l’arrivée des céréales ukrainiennes</a>, aux prix plus compétitifs car non soumises aux normes européennes. Les manifestations organisées en Pologne et devant le siège de la Commission européenne à Bruxelles, les grèves, les défilés de tracteurs et blocages des points de passage à la frontière polono-ukrainienne ont entraîné la <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230405-d%C3%A9mission-du-ministre-polonais-de-l-agriculture-sur-fond-de-l-affaire-du-bl%C3%A9-ukrainien">démission du ministre de l’Agriculture et du Développement rural polonais Henryk Kowalczyk</a> en avril 2023.</p>
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<p>Face aux difficultés rencontrées par les agriculteurs des pays de transit, la Commission européenne a introduit en mai une interdiction de commercialisation du blé, maïs, colza et tournesol ukrainiens en Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie et Slovaquie. Cependant, alors que cette suspension devait prendre fin le 15 septembre, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/cereales-ukrainiennes-nouveau-bras-de-fer-entre-bruxelles-et-leurope-centrale-1978752">ont pris la décision unilatérale d’outrepasser les règles européennes et de la prolonger</a>.</p>
<p>L’Ukraine a réagi en <a href="https://www.wto.org/french/news_f/news23_f/ds619_620_621rfc_21sep23_f.htm">déposant une plainte contre les trois pays auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)</a>, au motif que ces interdictions contreviennent aux dispositions de <a href="https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/06-gatt_f.htm">l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce</a> de 1994 et de <a href="https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/14-ag_01_f.htm">l’Accord de l’OMC sur l’agriculture</a> de 1995.</p>
<h2>La fin des livraisons</h2>
<p>La difficile entente agraire entre la Pologne et l’Ukraine s’est transformée au cours de l’été en <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/les-relations-entre-la-pologne-et-l-ukraine-volent-en-eclats-varsovie-cesse-de-fournir-des-armes-a-kiev-976971.html">crise diplomatique</a>. Les déclarations des dirigeants des deux pays ont provoqué une montée des tensions, trahissant par là même des relations empreintes d’émotions.</p>
<p>Le point culminant de ces tensions fut l’annonce par Mateusz Morawiecki de la suspension des livraisons de nouveaux armements à l’Ukraine le 20 septembre, au motif que la Pologne souhaite désormais se concentrer sur la modernisation de ses propres capacités de défense.</p>
<p>Cette décision faisait à la fois suite à la plainte déposée par l’Ukraine auprès de l’OMC le 18 septembre, et au discours de Volodymyr Zelensky devant l’Assemblée générale des Nations unies à propos de la crise céréalière. Il déclara alors que « certains pays feignent la solidarité » et « soutiennent indirectement la Russie ». La Pologne n’a pas été nommément citée ; mais le ministère polonais des Affaires étrangères a <a href="https://www.sudouest.fr/international/europe/ukraine/guerre-en-ukraine-la-pologne-proteste-contre-les-propos-de-zelensky-a-l-onu-16725469.php">immédiatement convoqué l’ambassadeur ukrainien</a> et fait savoir que « cette thèse est fausse et, de plus, particulièrement injuste en ce qui concerne notre pays, qui soutient l’Ukraine depuis les premiers jours de la guerre ».</p>
<p>Cet été, les tensions se sont exacerbées. En juillet, la décision de la Russie de <a href="https://press.un.org/fr/2023/cs15358.doc.htm">ne pas prolonger l’accord céréalier en mer Noire</a> a accru la pression sur les voies de transport fluviales et terrestres. Dans ce contexte, Marcin Przydacz, le conseiller à la politique internationale du président polonais, a évoqué la possibilité pour la Pologne de prolonger l’interdiction de commercialiser les céréales ukrainiennes sur le sol national en dépit des règles communautaires :</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui, le plus important est de défendre les intérêts des agriculteurs polonais. […] En ce qui concerne l’Ukraine, elle a reçu un très grand soutien de la part de la Pologne. Je pense qu’il serait bon que l’Ukraine commence à apprécier le rôle que la Pologne a joué pour l’Ukraine ces derniers mois et ces dernières années. »</p>
</blockquote>
<p>L’ambassadeur polonais en Ukraine fut convoqué dès le lendemain, le 1<sup>er</sup> août, jour de commémoration en Pologne de l’insurrection de Varsovie. Cette maladresse diplomatique a été mal reçue par les dirigeants polonais. Morawiecki a notamment souligné qu’il s’agissait d’une erreur, d’autant que l’ambassadeur polonais avait été le seul à rester à Kiev le jour de l’invasion russe. Face à cette escalade, Volodymyr Zelensky a réagi le jour même : « Nous ne laisserons aucune affaire politique gâcher les relations entre les peuples polonais et ukrainien, et les émotions doivent absolument s’apaiser. »</p>
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<p>Les deux pays se sont mutuellement accusés de se laisser emporter par les émotions. Par exemple, à la suite de la convocation de l’ambassadeur ukrainien à Varsovie en septembre, le porte-parole du ministère ukrainien des Affaires étrangères Oleg Nikolenko a appelé « nos amis polonais à mettre leurs émotions de côté ». De son côté, le ministre polonais de l’Agriculture et du Développement rural Robert Telus a indiqué, parlant de la plainte déposée par Kiev auprès de l’OMC, que « cette rancœur n’est pas nécessaire. Il faut calmer les émotions ».</p>
<p>Cependant, dans le contexte polono-ukrainien, ces réactions émotionnelles illustrent la fragilité des relations entre les deux pays – des relations sur lesquelles continue de planer l’ombre de dissensions plus anciennes.</p>
<h2>L’ombre des contentieux historiques</h2>
<p>Parties de la <a href="https://theconversation.com/quand-la-russie-la-prusse-et-lautriche-se-partageaient-la-pologne-197779">République des Deux Nations (1569-1795)</a> dominée par le royaume de Pologne, puis États voisins à partir de 1918, l’Ukraine et la Pologne partagent une histoire commune douloureuse. Depuis la chute de l’URSS et l’indépendance ukrainienne au début des années 1990, les deux pays n’ont pas su mener une véritable politique de réconciliation.</p>
<p>La décennie 2010 a vu les tensions s’exacerber en raison de politiques historiques antagonistes. Côté ukrainien, avec la réhabilitation de figures comme <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/01/08/guerre-en-ukraine-le-mythe-bandera-et-la-realite-d-un-collaborateur-des-nazis_6157084_4355770.html">Stepan Bandera</a> et <a href="https://fr.timesofisrael.com/ukraine-un-stade-renomme-en-lhonneur-dun-collaborationniste-nazi/">Roman Choukhevytch</a>, chefs de file de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN-B) et de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) pendant la Seconde Guerre mondiale ; côté polonais, avec la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/varsovie-qualifie-de-genocide-le-massacre-de-polonais-par-les-ukrainiens-entre-1943-45-22-07-2016-2056277_24.php">reconnaissance du terme de « génocide »</a> pour qualifier les <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230522-le-massacre-de-volhynie-en-1943-le-sujet-qui-divise-la-pologne-et-l-ukraine">massacres de milliers de civils polonais de Volhynie et de Galicie orientale en 1943</a> par ces mêmes groupes de nationalistes ukrainiens, et la commémoration des victimes particulièrement mise en avant par le parti nationaliste Droit et Justice (PiS) au pouvoir.</p>
<p>La défense de chacune de ces conceptions de l’histoire a entraîné le blocage des travaux d’exhumation des victimes des massacres de Volhynie par les associations polonaises en Ukraine. Et la Pologne a criminalisé la négation « des massacres commis par les nationalistes ukrainiens et les membres de formations ukrainiennes collaboratrices du Troisième Reich » en 2018.</p>
<p>La guerre semblait avoir rapproché les deux pays sur le plan mémoriel. L’un des moments les plus symboliques fut la commémoration conjointe par les présidents Andrzej Duda et Volodymyr Zelensky des 80 ans des massacres de Volhynie, le 9 juillet 2023.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1678001829613805569"}"></div></p>
<p>Cependant, la fébrilité des réactions des dirigeants polonais et ukrainiens lorsque les intérêts de leurs pays respectifs divergent interroge sur la solidité de l’alliance polono-ukrainienne.</p>
<h2>Des intérêts bien compris</h2>
<p>Nous l’avons dit : dès le début de la guerre, la Pologne a été, malgré ces dissensions, l’un des premiers soutiens de l’Ukraine sur les plans diplomatique, humanitaire, financier et militaire. Au cours des trois premiers mois, <a href="https://theconversation.com/3-5-millions-de-refugies-ukrainiens-sur-son-sol-comment-la-pologne-absorbe-t-elle-le-choc-184588">3,5 millions d’Ukrainiens</a> sont passés par la frontière polono-ukrainienne. Un an et demi après le début du conflit, 1,2 million de réfugiés vivent toujours en Pologne, qui a récemment prolongé leur droit de séjour et continue de leur garantir un accès aux prestations sociales équivalent à celui de ses propres citoyens.</p>
<p>Sur le plan géopolitique, l’attaque de l’Ukraine par la Russie a révélé les liens stratégiques qui lient la Pologne et l’Ukraine depuis le début des années 1990. Libérée des obligations du Pacte de Varsovie, la Pologne a alors fondé sa politique extérieure sur la <a href="https://www.taurillon.org/Les-politiques-de-voisinage-la-doctrine-ULB-dans-la-politique,04724">doctrine ULB</a> (Ukraine, Lituanie, Biélorussie), développée dans la revue parisienne <em>Kultura</em> par les intellectuels exilés Jerzy Giedroyc et Juliusz Mieroszewski dans les années 1970. Cette doctrine ULB entendait soutenir les mouvements indépendantistes baltes, biélorusses et ukrainiens afin d’obliger la Russie (mais aussi… la Pologne elle-même) à abandonner toute prétention territoriale sur cet espace autrefois parties de leurs empire et royaume. Ainsi, le 2 décembre 1991, la Pologne fut le premier État à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine.</p>
<p>Au fil du temps, la pensée de Giedroyc et Mieroszewski a été transformée par les politiques des gouvernements successifs. Il s’agit désormais pour la Pologne de créer une zone tampon entre son territoire et celui de la Russie. En se faisant l’avocate de l’Ukraine au sein des institutions atlantiques et européennes, en soutenant les mouvements pro-européens comme la Révolution orange (2004-2005) et l’Euromaïdan (2013-2014), et en associant l’Ukraine à une série de forums régionaux, la Pologne espérait rattacher sa voisine à l’ensemble occidental et s’assurer définitivement de son alliance. Il est communément admis en Pologne que la sécurité du pays passe par l’indépendance de l’Ukraine, et le vaste soutien apporté par Varsovie à Kiev en février 2022 peut être lu à partir de cette analyse.</p>
<h2>L’enjeu des législatives polonaises</h2>
<p>Le 15 octobre 2023 se tiendront les élections législatives polonaises, ce qui n’a pas échappé au premier ministre ukrainien Denys Chmygal, qui a accusé le PiS d’instrumentaliser la question des céréales pour des raisons électorales. En effet, en défendant les agriculteurs polonais, le PiS pourrait espérer reprendre quelques voix au parti agrarien <em>Polskie Stronnictwo Ludowe</em> (PSL). Surtout, son intransigeance à l’égard de l’Ukraine affichée ces derniers mois avait peut-être pour objectif de s’attirer une partie de l’électorat du <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/08/30/les-guerres-de-lextreme-droite-polonaise/">parti Confédération (<em>Konfederacja</em>)</a>, qui dénonce l’« ukrainisation » du pays provoquée par l’arrivée massive de réfugiés, venus s’ajouter aux nombreux travailleurs ukrainiens déjà présents en Pologne avant la guerre. Le parti est annoncé troisième dans les sondages.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur la pancarte : « Pas notre guerre : www. Stop à l’ukrainisation de la Pologne.pl », Marche de l’indépendance, Varsovie, 11 novembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Léa Xailly</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le 3 octobre, l’Ukraine et la Pologne ont <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/cereales-la-pologne-et-lukraine-parviennent-a-sentendre-1984006">trouvé un premier accord</a> : le contrôle des céréales ukrainiennes qui transitent par la Lituanie sera désormais effectué sur le sol lituanien et non plus à la frontière polono-ukrainienne. Si la crise diplomatique semble se résorber petit à petit, il n’en demeure pas moins que l’avenir des relations polono-ukrainiennes dépendra des résultats des élections législatives du 15 octobre et, notamment, du score qu’obtiendra Confédération…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215109/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Léa Xailly a reçu des financements de l'Agence nationale polonaise pour les échanges universitaires (NAWA), dans le cadre du programme d'échanges académiques et scientifiques de coopération franco-polonaise (10/2021-05/2022 ; 09/2022-01/2023)
</span></em></p>La Pologne ne livrera pas d’armes supplémentaires à l’Ukraine. Une décision qui s’inscrit dans un contexte marqué par la crise agricole entre les deux pays et l’imminence des législatives polonaises.Léa Xailly, Doctorante en science politique et relations internationales, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141952023-09-22T19:00:31Z2023-09-22T19:00:31ZLe Haut-Karabakh livré à lui-même<p>Un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-haut-karabakh-s%C3%A9paratistes-arm%C3%A9niens-d%C3%A9posent-les-armes-offensive-azerba%C3%AFdjan">cessez-le-feu</a> a été instauré au Haut-Karabakh après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan, le 20 septembre, qui a fait <a href="https://www.lefigaro.fr/international/attaque-du-haut-karabakh-29-morts-dans-les-frappes-l-azerbaidjan-exige-que-les-armeniens-deposent-les-armes-20230920">au moins 200 morts</a> et conduit à la capitulation des sécessionnistes. Deux jours plus tard, le Conseil de sécurité de l’ONU, réuni à la demande de la France, a été le <a href="https://press.un.org/fr/2023/cs15418.doc.htm">théâtre d’échanges musclés entre les représentants de Bakou et ceux de l’Arménie</a>, laquelle protège historiquement cette région incorporée à l’Azerbaïdjan à l’époque soviétique mais peuplée quasi uniquement d’Arméniens. </p>
<p>Le Haut-Karabakh avait proclamé son indépendance vis-à-vis de Bakou en 1991, au moment de l’effondrement de l’URSS. S’en était suivie une guerre de trois ans, finalement remportée par les forces arméniennes du Haut-Karabakh, largement soutenues par l’Arménie. Ceux-ci avaient par la suite établi dans cette zone la république d’Artsakh, un <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-1-page-30.htm">État de facto doté d’un fonctionnement étatique complet</a>, avec des structures officielles, des élections et une armée, mais qui n’a été reconnu par aucun État représenté à l’ONU. Bakou n’avait jamais accepté cette défaite, et le Karabakh est devenu <a href="https://theconversation.com/trente-ans-apres-leffondrement-de-lurss-ces-etats-fantomes-qui-hantent-lespace-post-sovietique-174140">l’un des nombreux conflits gelés de l’espace post-soviétique</a>. L’Azerbaïdjan a relancé les hostilités à grande échelle en 2020, avec succès, <a href="https://theconversation.com/haut-karabagh-cessez-le-feu-sur-une-ligne-de-faille-geopolitique-149958">récupérant une partie considérable de la région contestée</a>. Sa victoire du 20 septembre signifie-t-elle la fin de ce conflit ? </p>
<p>L’historienne Taline Ter Minassian, spécialiste de la région, répond ici aux principales questions que l’on se pose sur la situation actuelle au Haut-Karabakh et sur les perspectives d’avenir de ses habitants.</p>
<h2>À quoi la vie ressemble-t-elle aujourd’hui à Stepanakert, la principale ville du Haut-Karabakh et capitale de la république autoproclamée en 1991 ?</h2>
<p>Les gens <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/haut-karabakh-apres-les-bombes-la-peur-du-nettoyage-ethnique-20230920_5Z7ZXKLGWRGQZCVBV3USLDIF4M/">ont très peur</a>. Bon nombre d’entre eux sont terrés dans des caves. Un cessez-le-feu a été promulgué, mais les soldats azerbaïdjanais sont à proximité de la ville – ils n’en étaient de toute façon pas très loin, puisque même avant l’attaque du 20 septembre, ils tenaient déjà la ville voisine de Chouchi, distante d’à peine dix kilomètres, et dont ils ont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/08/l-azerbaidjan-annonce-avoir-repris-chouchi-deuxieme-ville-du-haut-karabakh_6058982_3210.html">pris le contrôle lors de la guerre de 2020</a>.</p>
<p>Une partie de la population a été <a href="https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=107865">rassemblée à l’aéroport de Stepanakert</a> – un aéroport où aucun avion civil n’a atterri depuis trente ans, et qui est désormais une sorte de camp retranché aux mains des militaires russes, présents dans le cadre de la mission de maintien de la paix établie à l’issue, précisément, de la guerre de 2020.</p>
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<h2>Quelle était la situation au Haut-Karabakh à la veille de l’attaque que vient de lancer l’Azerbaïdjan ?</h2>
<p>Le 10 novembre 2020, un cessez-le-feu signé sous les auspices de Vladimir Poutine avait mis un terme à ce qu’on a appelé la « guerre de 44 jours », qui était en réalité la seconde guerre du Karabakh. La première ayant été gagnée par le camp arménien au début des années 1990. La seconde, à l’automne 2020 donc, a été remportée de façon incontestable par l’Azerbaïdjan, qui a alors repris le périmètre autour de l’enclave, jusqu’alors contrôlé par les Arméniens, ainsi qu’environ les deux tiers de l’enclave elle-même.</p>
<p>Le <a href="https://fr.azvision.az/news/100149/d%C3%A9claration-du-pr%C3%A9sident-de-la-r%C3%A9publique-dazerba%C3%AFdjan,du-premier-ministre-de-la-r%C3%A9publique-darm%C3%A9nie-et-du-pr%C3%A9sident-de-la-f%C3%A9d%C3%A9ration-de-russie.html">cessez-le-feu</a> prévoyait que des communications devaient être assurées entre, d’une part, l’Arménie et le Karabakh, via la route du corridor de Latchine, et d’autre part entre l’Azerbaïdjan et le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-azerbaidjan-convoiterait-l-extreme-sud-de-l-armenie-02-11-2020-2399058_24.php">Nakhitchevan</a>, qui est une exclave de l’Azerbaïdjan située à l’ouest du territoire arménien et frontalière de la Turquie – c’est-à-dire que l’Azerbaïdjan et la Turquie bénéficieraient dans cette hypothèse, dès lors, d’une sorte de raccordement terrestre direct.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de la région.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Un certain nombre d’Arméniens – on évoque le chiffre de 120 000, mais il est difficile à vérifier – étaient restés dans les zones du Karabakh encore contrôlées par les autorités de la République d’Artsakh, ainsi que dans certains territoires adjacents repris par les Azerbaïdjanais. Je me suis rendue à Stepanakert au tout début de l’application de l’accord de cessez-le-feu de 2020. La situation semblait à peu près stabilisée, notamment du fait de la présence des forces russes de maintien de la paix stationnées le long de ce fameux corridor de Latchine.</p>
<p>Mais cette situation ne pouvait pas satisfaire longtemps l’Azerbaïdjan qui, l’hiver dernier, a mis en place un <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/02/azerbaijan-blockade-of-lachin-corridor-putting-thousands-of-lives-in-peril-must-be-immediately-lifted/">véritable blocus</a>, en interrompant toute circulation à l’intérieur du corridor de Latchine. Le Karabakh était donc coupé de l’Arménie, c’est-à-dire de son seul lien avec l’extérieur, depuis neuf mois. Quelques jours avant l’attaque du 20 septembre, l’Azerbaïdjan avait rouvert une route reliant son propre territoire au Karabakh, officiellement pour y acheminer de l’aide humanitaire mais en réalité, sans doute, aussi et avant tout pour acheminer ses soldats et ses équipements militaires. </p>
<p>Le 20 septembre, en violation totale du cessez-le-feu signé en 2020, l’Azerbaïdjan a déclenché une violente attaque contre Stepanakert et ses alentours. Il y a eu de nombreux morts, y compris d’ailleurs plusieurs soldats russes, dont l’un des hauts responsables des forces de maintien de la paix. <a href="https://www.rtl.be/actu/monde/europe/soldats-russes-tues-au-karabakh-aliev-sest-excuse-aupres-de-poutine/2023-09-21/article/590381">Le président Ilham Aliev s’est fendu d’une courte lettre adressée à Poutine</a> regrettant leur décès. En moins de 24 heures, les autorités de la république du Haut-Karabakh ont été contraintes d’accepter un désarmement total. </p>
<h2>Pourquoi l’Azerbaïdjan a-t-il décidé d’attaquer maintenant ?</h2>
<p>C’est une banalité de le dire, mais pour la Russie, officiellement garante du cessez-le-feu, la priorité est aujourd’hui évidemment ailleurs. Dans le cadre de sa guerre en Ukraine, Moscou a besoin de la Turquie, qui est le parrain international de l’Azerbaïdjan. Signe qui ne trompe pas : la veille de l’attaque azerbaïdjanaise, Erdogan a <a href="https://caliber.az/en/post/191251">dit dans une interview que la Crimée ne retournerait jamais à l’Ukraine</a>. Il n’avait jamais tenu de tels propos auparavant. On peut interpréter cela comme une sorte de monnaie d’échange contre la passivité du Kremlin dans l’affaire du Karabakh. Une chose est certaine : Aliev ne serait pas passé à l’action sans le feu vert d’Erdogan. Riche du produit de la vente de son pétrole, surarmé, notamment grâce à ses <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Israel-et-l-Azerbaidjan-une-romance-diplomatique-sous-le-sceau-de-la.html">achats d’armes auprès d’Israël, dont il s’est dernièrement rapproché</a>, l’Azerbaïdjan était évidemment très supérieur militairement aux forces du Karabakh.</p>
<h2>Comment expliquer ce rapprochement ?</h2>
<p>C’est un jeu diplomatique très complexe. Pour Israël, qui redoute beaucoup l’Iran, il est important d’avoir de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan, lequel a des <a href="https://www.lenouveleconomiste.fr/lintegrite-territoriale-au-coeur-des-tensions-entre-iran-et-azerbaidjan-95580/">relations tendues avec ce pay</a>s, notamment parce que les Iraniens craignent <a href="https://www.cairn.info/ethnicite-et-nationalisme-en-iran--9782811105556-page-75.htm">l’irrédentisme de leur région septentrionale</a>, qui s’appelle Azerbaïdjan iranien, et aussi parce que l’Iran est très hostile à l’OTAN, dont la Turquie, le grand allié de Bakou, est membre.</p>
<p>Les grandes manœuvres ne cessent jamais, chacun défend ses intérêts : il y a deux jours, le ministre russe de la Défense <a href="https://fr.mil.ru/fr/news_page/person/more.htm?id=12479428@egNews">Sergueï Choïgou s’est rendu à Téhéran</a> et les deux pays ont affiché leur entente… Quant aux simples habitants arméniens du Karabakh, ils ne comprennent pas grand-chose à ce Grand Jeu dont ils sont les victimes, puisque les voilà désormais confrontés au risque d’être expulsés de leurs terres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deux-siecles-de-grand-jeu-geopolitique-pour-les-grandes-puissances-210223">Deux siècles de Grand Jeu géopolitique pour les grandes puissances</a>
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<h2>Y a-t-il un risque de nettoyage ethnique orchestré par Bakou au Karabakh ?</h2>
<p>Les autorités azerbaïdjanaises ont beau s’en défendre et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7j2wO83M8jg&">affirmer que les habitants du Karabakh ont vocation à être des citoyens de l’Azerbaïdjan comme les autres</a>, en réalité une campagne visant à les terrifier et à les pousser au départ est en cours depuis longtemps – c’était notamment le but du blocus du corridor de Latchine, qui a affamé le Karabakh.</p>
<p>À présent que l’Azerbaïdjan a mis la main sur toute l’enclave, il est difficile d’imaginer que les Arméniens puissent continuer d’y vivre très longtemps sans garanties de sécurité. Un exode massif semble probable – ce qui serait une sorte de redite des pages les plus terribles de l’histoire des Arméniens, comme celles de 1915 ou de 1921.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/armenie-une-lecon-dhistoire-dune-actualite-brulante-173225">Arménie : une leçon d’histoire d’une actualité brûlante</a>
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<p>Plus près de nous, les Arméniens n’ont pas oublié le <a href="https://www.courrier.am/fr/actualite/pogroms-de-soumgait-un-crime-sans-chatiment">massacre de Soumgaït</a> commis par les Azerbaïdjanais en 1988. </p>
<h2>Comment peut-on qualifier le régime azerbaïdjanais actuel ?</h2>
<p>Il s’agit assurément d’un régime autoritaire, qui n’a absolument rien d’une démocratie. Il est dirigé par une dynastie en place depuis l’époque soviétique, puisque le précédent président du pays, <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2008-3-page-44.html">Heïdar Aliev</a> (1993-2003), père du président actuel Ilham Aliev qui lui a succédé après son décès, était un éminent officier du KGB et membre du Politburo de l’URSS, avant de devenir le président de la République socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan.</p>
<p>Le régime écrase toute voix discordante et n’entend guère laisser la moindre autonomie au Karabakh, alors même que cette région n’y a été intégrée qu’au temps de l’URSS et qu’elle bénéficiait alors du statut de région autonome au sein de la RSS d’Azerbaïdjan.</p>
<p>Au-delà, les Azerbaïdjanais ne cessent de s’affirmer « les frères des Turcs » et emploient, à propos de leur lien avec la Turquie, la formule <a href="https://www.dauphine-strategie-defense.com/publications/2021/1/14/turquie-et-azerbadjan-une-seule-nation-deux-tats-15">« Une nation, deux États »</a>. Les Arméniens n’ont aucune place dans cette vision.</p>
<p>Aujourd’hui, Bakou et Ankara – qui nient officiellement le génocide arménien de 1915 – sont en position de force et il ne faut attendre de leur part aucune délicatesse à l’égard des Arméniens. Ceux-ci seraient bien naïfs de prendre pour argent comptant les propos des responsables de Bakou – d’autant que ceux-ci viennent de trahir leur parole en violant sans états d’âme le cessez-le-feu de 2020.</p>
<h2>L’Arménie, cette fois, n’est pas intervenue pour soutenir le Karabakh…</h2>
<p>Certes, mais elle n’en avait pas les moyens, depuis la guerre perdue il y a trois ans, où elle avait perdu des milliers de soldats. Il y a aujourd’hui en Arménie un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230922-haut-karabakh-en-arm%C3%A9nie-nikol-pachinian-est-coinc%C3%A9-et-sans-solution">grand mouvement hostile au premier ministre Nikol Pachinian</a>, accusé d’avoir tenté sans succès de jouer sur tous les tableaux et d’avoir cherché à donner trop de gages à la fois à la Russie, à l’Azerbaïdjan et aux Occidentaux ; mais il y a aussi la compréhension que, quelles qu’en soient les raisons, l’armée arménienne n’avait pas, cette fois-ci, la capacité de voler seule au secours du Karabakh.</p>
<p>En résumé, on semble assister à nouveau à un épisode similaire à celui d’il y a cent ans, quand l’Arménie avait été prise en étau entre la Turquie de Mustafa Kemal et l’URSS. Sauf qu’il n’y a plus d’URSS pour l’absorber, et la Russie ne va certainement pas tenter de le faire, ne serait-ce que parce qu’elle n’a pas de continuité territoriale avec l’Arménie. </p>
<h2>Au-delà du Karabakh, l’Arménie est-elle en danger ?</h2>
<p>Il faudra suivre cette histoire de jonction de l’Azerbaïdjan et de la Turquie à travers le sud de l’Arménie. Si cela se matérialise, c’est une catastrophe de plus pour l’Arménie, qui risquerait d’être réduite territorialement. Mais c’est un scénario que l’Iran voudra absolument empêcher, car Téhéran tient beaucoup à conserver une frontière commune avec l’Arménie et un tel corridor reviendrait à l’en priver. Une déflagration généralisée ne serait alors pas à exclure.</p>
<h2>Les Occidentaux ont été plus discrets sur ce dossier, même si la France a convoqué en urgence le Conseil de sécurité de l’ONU…</h2>
<p>Les Européens sont loin, les Américains encore plus. Ce qui importe ici, c’est le jeu des puissances régionales. Et si l’Iran est hostile à l’Azerbaïdjan, en revanche Ankara le soutient pleinement et la Russie ne veut se fâcher ni avec l’Azerbaïdjan, ni avec la Turquie.</p>
<p>Moscou a toujours donné la préférence à Bakou par rapport à Erevan, notamment pour les richesses en hydrocarbures de l’Azerbaïdjan – c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le Karabakh avait finalement été attribué par les bolcheviks à l’Azerbaïdjan plutôt qu’à l’Arménie. Bref, une fois de plus, les Arméniens se retrouvent seuls face à leur inextricable situation géopolitique. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214195/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les forces armées du Haut-Karabakh ont déposé les armes après une attaque fulgurante de l’Azerbaïdjan. Et maintenant ?Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2117572023-09-10T14:52:30Z2023-09-10T14:52:30ZSanté mentale des migrants : prévenir et agir est une question de santé publique<p>Le drame d’Annecy a suscité une émotion nationale et fait ressurgir un sujet tabou : la <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20230615.OBS74538/apres-annecy-la-sante-mentale-des-migrants-en-question.html">santé mentale des migrants</a>. Le 8 juin 2023, un homme de nationalité syrienne, reconnu réfugié par les autorités suédoises et demandeur d’asile en France a poignardé huit personnes, dont quatre enfants. Comme lors des drames précédents de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/08/09/l-incendiaire-presume-de-la-cathedrale-de-nantes-avoue-le-meurtre-d-un-pretre-qui-l-hebergeait_6091019_3224.html">Saint-Laurent-sur-Sèvre</a> ou de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/08/31/agression-a-villeurbanne-un-mort-et-au-moins-six-blesses_5504983_3224.html">Villeurbanne</a>, l’actualité vient percuter le débat sur l’accueil des migrants, et devient propice à la <a href="https://www.humanite.fr/politique/attaques-au-couteau/attaque-au-couteau-annecy-l-enieme-recuperation-politique-indecente-de-la-droite-798322">récupération</a> par les détracteurs d’une politique migratoire jugée trop laxiste. Il est alors question de la possible dangerosité des migrants et de leur soi-disant manière de profiter du système de soin français, d’autant que ce dernier, notamment <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/040823/dans-la-sarthe-la-psychiatrie-publique-desertee-par-les-medecins-s-effondre">son secteur psychiatrique</a>, est exsangue.</p>
<p>Pourtant la recherche épidémiologique et clinique est unanime : les personnes migrantes et notamment primo-arrivantes, dont certaines ont vécu des violences extrêmes à l’origine de leur départ – emprisonnement, torture, viol, agression, etc. – ou lors de leur parcours migratoire, présentent un surrisque de développer des <a href="https://www.larevuedupraticien.fr/article/sante-mentale-des-migrants-des-blessures-invisibles">troubles psychiques</a>. Ces troubles sont largement aggravés par des <a href="https://www.refworld.org/pdfid/5f0455264.pdf">conditions d’accueil problématiques</a>, une <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21582">législation inadaptée</a> et la <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/2022/02/17/defacto-031-01/">difficulté d’accès au soin</a>.</p>
<p>Seule une politique sanitaire et sociale globale peut permettre de prévenir de tels drames, certes rares, et plus largement d’assurer une véritable prise en charge en santé mentale, aujourd’hui maillon faible de la politique d’accueil des migrants, alors qu’elle en est un pilier essentiel.</p>
<h2>Déconstruire le tabou de la santé mentale des migrants</h2>
<p>S’il n’y a pas de lien de causalité directe entre la migration et la santé mentale, il est en revanche avéré que plusieurs facteurs pré-migratoires, migratoires, mais aussi post-migratoires aggravent les risques de développer des <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-67712-1_2">troubles psychiques</a>. Ceux-ci sont par ailleurs plus fréquents et sévères que les troubles somatiques (des troubles physiques) à l’arrivée des migrants, dont <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/recos-pratique/migrants-en-europe-leur-sante-se-degrade-avec-le-temps">l’état de santé a tendance à se dégrader</a> lors de la suite du séjour dans le pays d’accueil.</p>
<p>Si la majorité des migrants ne développent donc pas de troubles de santé mentale, certains d’entre eux, notamment les demandeurs d’asile victimes de violences et demandant à être protégés des persécutions subies dans leur pays d’origine, représentent des <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2021/migrants-en-situation-de-vulnerabilite-et-sante.-le-dossier-de-la-sante-en-action-n-455-mars-2021">populations dites « vulnérables »</a> et susceptibles de développer des troubles.</p>
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<p>De récentes enquêtes montrent que les migrations contemporaines sont violentes : par exemple 78 % des demandeurs d’asile pris en charge par le <a href="https://www.comede.org/demandeurs-dasile/">Comité pour la santé des exilés (Comede)</a> en 2021 ont subi des violences et 27 % des tortures, tandis que 56 % des 396 patients reçus par le <a href="https://primolevi.org/app/uploads/2023/06/Centre-Primo-Levi-Rapport-Annuel-2022.pdf">Centre Primo Levi</a> (une association dédiée au soin et au soutien des personnes victimes de la torture et de la violence politique exilées en France) en 2022 disent avoir été victimes de torture.</p>
<p>Par ailleurs, les trajectoires migratoires, comme la traversée de la Lybie ou de la Méditerranée, occasionnent de nouvelles expositions à la mort, aux persécutions, aux pertes brutales, qui plongent les migrants dans un état de stress intense et ont de <a href="https://journals.openedition.org/e-migrinter/2459">fortes répercussions psychiques</a>.</p>
<p>Enfin la situation de précarité des primo-arrivants à leur arrivée, combinée à la barrière de la langue, au manque d’information, à la difficulté d’accéder aux soins, accroît leur vulnérabilité psychique. La vie à la rue ou dans les campements représente une épreuve qui peut détériorer la santé mentale. Certaines populations sont <a href="https://journals.openedition.org/popvuln/4121">particulièrement vulnérables</a>, par exemple les mineurs non accompagnés, les migrants LGBT+, ou les femmes seules, enceintes ou avec de jeunes enfants.</p>
<h2>Stress post-traumatique et dépression</h2>
<p>La recherche internationale documente les liens entre l’exposition à des évènements traumatiques et la <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4443952#">détresse psychologique</a>, exposition qui favorise l’apparition de troubles de stress post-traumatique (TSPT) dont les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/jts.2490050305">traumas complexes</a> lorsque les violences sont répétées.</p>
<p>Les personnes souffrant de psychotraumatisme font état de symptômes qui ont un impact considérable sur leur vie quotidienne : dissociations, troubles du sommeil majeurs, cauchemars, troubles cognitifs et de mémoire, etc. Ces troubles sont fréquemment associés à des épisodes dépressifs. Ainsi l’apparition des troubles psychiques a été mesurée par une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32956381/">équipe internationale de recherche</a> menée par la psychologue Rebecca Blackmore à partir d’enquêtes incluant 21 842 demandeurs d’asile et réfugiés dans 15 pays. Les TSPT et la dépression concernent 31,5 % des personnes étudiées, celle des troubles anxieux 11 %. Celle des troubles psychotiques est également avérée, mais nettement moindre : 1,5 %.</p>
<p>L’évolution de ces troubles est directement corrélée à la qualité de l’accueil et à l’accès aux soins. Comment stabiliser une personne souffrant de stress post-traumatique quand elle est sans domicile ? La vie à la rue peut favoriser un vécu de persécution et redéclencher des reviviscences traumatiques.</p>
<h2>Une offre de soin sous-dimensionnée</h2>
<p>Face à cette situation complexe, aggravée par les récentes lois sur l’immigration qui limitent le droit des exilés à la santé, l’offre de soins en santé mentale pour les migrants demeure largement <a href="https://journals.openedition.org/remi/10558">sous-dimensionnée en France</a>.</p>
<p>Rares sont les services de soin, notamment de droit commun, disposant d’une consultation de psychotraumatisme spécifiquement formée à la prise en charge des populations migrantes dont la demande déborde les services de psychiatrie classique. Ce sont alors les <a href="https://journals.openedition.org/cybergeo/24796">initiatives locales</a>, notamment associatives, qui pallient les manques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-mentale-a-la-sortie-de-prison-la-grande-oubliee-200623">Santé mentale à la sortie de prison : la grande oubliée</a>
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<p>Les migrants constituent une patientèle spécifique et difficile à atteindre, pour quatre raisons principales. Tout d’abord, les personnes en migration sont mobiles, elles se déplacent sur le territoire en fonction des aléas de leur parcours administratif, et donc peuvent ne pas adhérer aux soins sectorisés.</p>
<p>Plus encore, les personnes en souffrance psychique peinent à nommer des symptômes qui les inquiètent, comme les pertes de mémoire ou les reviviscences. Les dernières études montrent que le quotidien des primo-arrivants ne favorise pas la recherche de soins, bien au contraire. Consulter parce qu’on a des cauchemars peut leur sembler secondaire lorsqu’il faut d’abord s’occuper de « la galère de l’hébergement » ou des démarches administratives dans ce qui s’avère être un <a href="https://orspere-samdarra.com/rhizome/le-parcours-du-combattant-experiences-plurielles-de-la-demande-dasile-en-france/">véritable parcours du combattant</a>.</p>
<p>Enfin, la barrière de la langue constitue un obstacle majeur aux prises en charge. Or, malgré la reconnaissance officielle des besoins d’interprétariat par la <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_2746031/fr/interpretariat-linguistique-dans-le-domaine-de-la-sante">Haute Autorité de la Santé</a> depuis 2017, l’interprétariat professionnel demeure très insuffisant dans les services de santé, ce qui entrave la qualité des soins. <a href="https://aoc.media/opinion/2021/06/17/migrants-deni-des-langues-versus-hospibabelite/">Le déni des langues</a> est un des écueils majeurs de l’accueil des migrants, a fortiori lorsqu’ils sont en souffrance psychique.</p>
<h2>Renouveler radicalement l’offre de soin en santé mentale pour les migrants</h2>
<p>Un système de soin efficace doit donc prendre en charge l’ensemble des facteurs qui impactent la santé mentale. Dans la durée, cela suppose une prise en charge précoce car seule la prévention peut diminuer les troubles, les risques de décompensation et leur coût à long terme.</p>
<p>Sur le territoire, cela signifie une action coordonnée entre les acteurs du soin, sociaux et juridiques, institutionnels et associatifs, avec la présence d’interprètes médiateurs. <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/10-actions-pour-renforcer-prise-en-charge-demandeurs-dasile-et">Le plan vulnérabilité</a> mis en œuvre à parti de 2021 par le gouvernement propose des actions pour protéger les demandeurs d’asile et réfugiés dits « vulnérables », mais il est sous-doté, sous-dimensionné et ne garantit pas les <a href="https://www.federationsolidarite.org/actualites/publication-du-plan-vulnerabilites-relatif-aux-personnes-en-demande-dasile-et-refugiees-un-plan-attendu-qui-risque-de-ne-pas-etre-a-la-hauteur-des-besoins/">prises en charge effectives</a>.</p>
<p>Déstigmatiser la question de la santé mentale des migrants est le premier jalon pour une amélioration de leur situation. C’est donc une conscience renforcée de l’enjeu de santé publique, en partenariat avec tous les acteurs, qui peut permettre de replacer les problématiques à leur juste niveau, dans le respect du droit : par exemple l’aspect préventif de <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/defacto/defacto-031/">l’aide médicale d’État</a> doit être défendu, de même que le <a href="http://www.gisti.org/spip.php?article6767">droit au séjour pour soin des étrangers malades</a>.</p>
<p>Au niveau clinique, il est avéré que la reconnaissance de la souffrance psychique et l’accompagnement sont essentiels pour limiter le risque d’apparition de troubles après un traumatisme. Ainsi, tandis que le débat se poursuit sur le risque, pourtant rare, de décompensation psychotique menant à un drame comme celui d’Annecy, d’autres demandes s’élèvent, numériquement bien plus importantes, mais médiatiquement moins spectaculaires, pour prendre en charge la souffrance psychique des migrants.</p>
<p>De la frontière du Calaisis où se multiplient les <a href="https://www.la-croix.com/France/Naufrage-Manche-mort-cinquantaine-migrants-secourus-2023-08-12-1201278616">naufrages</a> à celle du <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/51145/combien-de-temps-on-va-tenir--les-terrasses-de-briancon-depassees-par-lafflux-inedit-de-migrants-venant-ditalie">Briançonnais</a> où des familles de migrants traversent toujours plus nombreuses dans des conditions de stress intense, le besoin de soins en santé mentale des rescapés est immense. La capacité d’y répondre est une affaire de santé publique mais aussi de conscience éthique et politique, qui engage toute notre société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky a reçu des financements de L'Agence Nationale de la Recherche et du ministère de l'Education supérieure et de la Recherche. Elle est directrice de l'Institut Convergences Migrations (CNRS), membre du CSO du CN2R et membre du CA du Centre Primo Levi. </span></em></p>Les migrants qui ont vécu des violences extrêmes présentent un risque de développer des troubles psychiques : une autre politique de santé mentale pour prévenir et soigner est nécessaire.Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, Anthropologue, psychologue clinicienne, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2123972023-09-06T17:34:57Z2023-09-06T17:34:57ZLettonie : les défis du nouveau président<p>Le 8 juillet 2023, Edgars Rinkevics a pris ses fonctions de dixième président de la République de Lettonie, après avoir été élu par la Saeima, le Parlement. Âgé de 49 ans, ce diplomate chevronné, membre du parti centriste Nouvelle Unité, a traversé avec constance divers changements de coalition en conservant le portefeuille des Affaires étrangères qu’il occupait depuis octobre 2011. Avant cela, il avait été en poste au ministère de la Défense, puis directeur de la chancellerie du président de la République sous le mandat de Valdis Zalters (2008-2011).</p>
<p>Autant dire que le nouveau chef de l’État est une figure parfaitement insérée dans le paysage politique letton, mais également à l’étranger, où il incarne son pays avec un flegme souriant depuis près de douze ans.</p>
<p>Il arrive au pouvoir dans un contexte international et régional extrêmement tendu du fait de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> – un contexte qui a des effets majeurs à l’intérieur de son pays, frontalier de la Russie et de la Biélorussie, et dont un quart environ des 2 millions d’habitants sont des russophones…</p>
<h2>Une élection sur le fil</h2>
<p>Dans la discrète Lettonie, la campagne électorale n’a pas été de tout repos. Le président sortant, Egils Levits, s’était dans un premier temps porté candidat à sa propre succession, avant de <a href="https://www.fpri.org/article/2023/05/who-will-be-the-next-president-of-latvia/">jeter l’éponge</a>. Levits était soutenu par le parti national-conservateur « Alliance nationale », formation qui participait à la coalition au pouvoir, en compagnie de Nouvelle Unité et de Liste unie (une union de partis centristes). Lorsque Liste unie a décidé de présenter son propre candidat, un homme d’affaires peu expérimenté en politique, Uldis Pilens, Levits a préféré se retirer de la course. </p>
<p>Le lendemain, le Parti progressiste (social-démocrate, situé dans l’opposition) annonçait que sa candidate serait Elina Pinto, experte en gouvernance publique et activiste de la diaspora. Et quelques heures après, Nouvelle Unité, parti du premier ministre Krisjanis Karins, en poste depuis 2019, désignait Edgars Rinkevics comme candidat.</p>
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<p>Si son bilan positif en matière de politique étrangère semblait parler en sa faveur, il n’a d’abord pas pu compter sur le soutien de l’Alliance nationale, qui a jugé que le président et le premier ministre ne devaient pas être issus du même parti, ni sur celui des Progressistes donc, alors que ces derniers partagent sur bien des points les orientations sociales-libérales de Nouvelle Unité.</p>
<p>Lors du premier tour de scrutin, le ministre des Affaires étrangères a recueilli 42 voix, contre 25 pour Pilens et 10 pour Pinto. Le deuxième tour a donné exactement les mêmes résultats, avant que, conformément à la Constitution, Pinto ne se retire. Enfin, le 31 mai, <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/observatoire/2004">Rinkevics a été élu</a> à l’issue du troisième tour de scrutin, emportant sur le fil, et grâce au ralliement des Progressistes, 52 des 100 voix du Parlement, Pilens en récoltant 25.</p>
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<p>Constitutionnellement, les prérogatives du président sont restreintes en Lettonie. Le chef de l’État peut toutefois opposer son veto à des lois et convoquer des référendums, privilèges dont avait usé en son temps <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2007-4-page-17.htm">Vaira Vike-Freiberga</a>, présidente de 1999 à 2007, qui avait parfaitement su trouver sa place dans le système letton, donnant de la substance à sa fonction par son autorité morale, notamment en incarnant son pays sur la scène européenne et internationale au moment de la double <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2004-4-page-99.htm">adhésion à l’UE et à l’OTAN</a>. Elle <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n114/grand-entretien/la-lettonie-est-de-retour">expliquait alors</a> que le rôle réduit du chef de l’État letton lui offre une large liberté pour se positionner au-dessus des débats politiciens et s’affranchir de certaines contingences.</p>
<h2>Un programme à forte teneur sociale</h2>
<p>Le choix du Parlement, même chaotique, signe finalement une volonté de continuité et de stabilité. Les priorités d’Edgars Rinkevics étaient globalement connues et son expérience en matière de politique étrangère vaut en quelque sorte assurance de cohérence. En ces temps particulièrement inquiétants pour le pays, l’heure n’est ni à l’aventurisme ni à l’expérimentation.</p>
<p>Les priorités de son prédécesseur, Egils Levits, avaient été l’identité (et notamment la <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/lettonie-2polvalorisation.htm">promotion de la langue lettone</a>) mais aussi, dès le 24 février 2022, le <a href="https://georgiatoday.ge/president-of-latvia-egils-levits-the-only-side-is-ukraines-side/">soutien résolu à l’Ukraine</a> ; le président sortant a par exemple milité pour la création d’un <a href="https://theconversation.com/les-crimes-commis-en-ukraine-pourront-ils-un-jour-faire-lobjet-dun-proces-international-181021">Tribunal pénal international pour juger des crimes perpétrés par la Russie</a>. Il laisse toutefois l’image d’un chef de l’État relativement éloigné des préoccupations de ses administrés, ce qu’a révélé en particulier son attitude assez passive pendant la pandémie de Covid-19.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-etats-baltes-a-lepreuve-du-covid-19-une-certaine-idee-de-leurope-137761">Les États baltes à l’épreuve du Covid-19 : une certaine idée de l’Europe</a>
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<p>Lors de son <a href="https://www.president.lv/en/article/speech-president-latvia-edgars-rinkevics-saeima-8-july-2023">discours d’investiture devant la Saeima</a>, Rinkevics, sans surprise, a annoncé la poursuite de la politique étrangère qu’il avait mise en œuvre depuis tant d’années, insistant évidemment sur l’importance d’un soutien indéfectible à l’Ukraine. Il a par ailleurs souligné la fracture sociale qui perdure dans le pays, les écarts ne cessant de se creuser entre populations et entre régions, et affirmé que le <a href="https://www.populationdata.net/pays/lettonie/">déclin démographique de la Lettonie</a>, problème majeur du pays, ne sera pas résolu à coups de prestations sociales, insuffisantes pour promouvoir la natalité, mais en investissant significativement dans l’éducation, la santé et le logement, conditions nécessaires pour endiguer une émigration inquiétante, surtout parmi les jeunes. </p>
<p>Le nouvel élu a également mis l’accent sur la lutte contre la corruption et la criminalité, ainsi que sur la consolidation d’un pouvoir judiciaire fort et indépendant – des sujets qui traversent depuis plus de trente ans la société lettone. Il n’a pas été disert sur la question des populations russophones de Lettonie, même s’il est clair que, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, celles-ci sont, encore plus qu’auparavant, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/en-lettonie-la-communaute-russophone-sous-pression-le-recit-de-l-envoye-special-du-figaro-20221228">implicitement mises en demeure de devoir assurer leur loyauté à l’État letton</a>. Loyauté qui passe notamment par une condamnation ferme et sans appel des actions de la Russie. Mais le nouveau Président, ferme dans ses principes, est aussi un homme de consensus qui ne souhaite pas attiser artificiellement des tensions dont la Lettonie saura très bien se passer.</p>
<h2>L’Ukraine, une priorité évidente</h2>
<p>Depuis 2014 et, plus encore, depuis février 2022, l’engagement de Riga vis-à-vis de l’Ukraine ne s’est jamais démenti. Si l’aide fournie pèse certes peu en valeur absolue, la Lettonie se positionne, et c’est notable, en <a href="https://www.ifw-kiel.de/topics/war-against-ukraine/ukraine-support-tracker/">deuxième position des pays engagés en part de PIB</a> (1,1 % au 31 mai 2023), juste derrière l’Estonie et devant la Lituanie et la Pologne. Pour Edgars Rinkevics, les régimes russe et biélorusse menacent la région baltique, l’Europe et le monde. En la matière, le président entend persévérer dans son soutien à Kiev <a href="https://www.president.lv/en/article/president-latvia-latvia-has-provided-strong-support-ukraine-and-its-people-ever-illegal-annexation-crimea-2014-and-we-will-continue-provide-support-until-complete-victory-ukraine">jusqu’à la victoire complète de l’Ukraine</a>.</p>
<p>Cet engagement passe par un <a href="https://www.lefigaro.fr/international/edgars-rinkevics-le-pouvoir-russe-est-plus-faible-que-nous-le-pensions-20230628">appui actif</a> aux candidatures de Kiev à l’UE et à l’OTAN, le chef de l’État insistant sur les signaux nécessaires à envoyer tant à l’Ukraine (qui ne doit pas se décourager) qu’à la Russie (qui doit comprendre que les alliés de l’Ukraine ne l’abandonneront pas).</p>
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<p>En <a href="https://www.president.lv/en/article/president-rinkevics-poland-plays-strategic-role-strengthening-regional-security">visite de travail en Pologne le 16 août</a>, Rinkevics a rencontré son homologue Andrzej Duda avec lequel il a échangé sur les questions de sécurité régionale, de soutien à l’Ukraine, de renforcement de la coopération bilatérale économique et en matière de défense, ainsi que sur la façon de mettre en œuvre les décisions adoptées lors du <a href="https://theconversation.com/lotan-et-lukraine-ou-va-t-on-apres-le-sommet-de-vilnius-210022">sommet de l’OTAN à Vilnius</a>.</p>
<p>Peu avant, il s’était rendu dans la région de Latgale, à la frontière avec la Biélorussie, afin d’y évaluer les risques induits par les orientations de ce pays désormais vassalisé par le Kremlin : qu’il s’agisse du <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/06/a-la-frontiere-entre-la-pologne-et-la-bielorussierien-na-change-en-deux-ans">risque migratoire</a>, de la présence des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/les-images-de-la-nouvelle-base-de-wagner-en-bielorussie-20230803">mercenaires de Wagner</a>, du <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/le-deploiement-d-armes-nucleaires-russes-en-bielorussie-represente-t-il-une-menace-pour-l-europe_AV-202305260637.html">déplacement d’équipements nucléaires russes sur le territoire biélorusse</a> ou du fonctionnement de la <a href="https://theconversation.com/au-belarus-la-centrale-nucleaire-de-la-discorde-129722">centrale nucléaire d’Astravets</a>, les menaces émanant de ce pays sont perçues comme sérieuses par le président, qui dit par ailleurs vouloir veiller à la réduction des inégalités internes à son pays, <a href="https://www.osw.waw.pl/en/publikacje/osw-commentary/2023-03-15/far-behind-riga-latvias-problems-uneven-development">celles-ci affectant particulièrement cette région orientale de Lettonie</a>.</p>
<h2>Faire avancer la société</h2>
<p>Edgars Rinkevics souhaite voir se concrétiser deux projets qui font débat dans le pays depuis quelques années : d’une part, la ratification de la <a href="https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention">Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique</a>, adoptée par le Conseil de l’Europe en 2011, jusqu’ici bloquée en Lettonie par les conservateurs qui, curieusement, semblent sur ce sujet assez perméables au <a href="https://researchportal.helsinki.fi/en/publications/russia-and-the-istanbul-convention-domestic-violence-legislation-">discours véhiculé par la Russie</a>, selon lequel les textes internationaux de ce type mettent à mal la famille traditionnelle ; d’autre part, l’ouverture de l’union civile à tous les couples, sujet sur lequel le nouveau président s’était déjà clairement prononcé avant de prendre ses nouvelles fonctions. En 2022, la Cour constitutionnelle a reconnu les unions entre personnes de même sexe, mais le Parlement n’a rien fait pour appliquer cette décision, notamment en matière de protection juridique.</p>
<p>Or, quand Edgars Rinkevics s’exprime sur cette question, sa parole est particulièrement guettée. En effet, le 6 novembre 2014, il avait provoqué un tremblement de terre en postant laconiquement en anglais sur Twitter : « J’annonce fièrement que je suis gay… Bonne chance à tous… »</p>
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<p>Quelques heures auparavant, <a href="https://twitter.com/edgarsrinkevics/status/530436835101904896?lang=fr">dans un autre tweet</a>, accompagné du hashtag #Proudtobegay, il avait annoncé que la Lettonie, où les couples homosexuels ne bénéficiaient jusqu’alors d’aucune reconnaissance légale (la <a href="https://www.wipo.int/wipolex/fr/legislation/details/7363">Constitution</a> a même été modifiée en 2005 pour leur interdire de se marier), allait créer un cadre juridique leur accordant des droits ; il avait alors annoncé qu’il se battrait en ce sens, même si cela devait provoquer une « méga-hystérie ».</p>
<p>Le lendemain, dans un nouveau tweet, il remerciait les internautes pour leur compréhension et leur soutien : « La vie continue. » Dans un pays réputé conservateur, son coming out n’a eu aucune incidence sur sa carrière, et il est notable que <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/lettonie-edgars-rinkevics-elu-premier-president-gay-20230531">son homosexualité est mise en avant essentiellement à l’étranger</a>, alors qu’elle est rarement mentionnée en Lettonie, où elle est jugée peu pertinente pour évaluer sa légitimité à occuper de hautes fonctions. Il n’en reste pas moins que Rinkevics est désormais le premier chef d’État ouvertement gay de l’histoire de la Lettonie, <a href="https://www.leparisien.fr/international/ces-rares-pays-qui-ont-elu-un-chef-detat-ouvertement-homosexuel-avant-la-lettonie-01-06-2023-IXADJVHUNBENNE65YJIURQ57K4.php">et même de l’histoire de tous les pays de l’Union européenne</a>.</p>
<h2>Une scène politique interne chahutée</h2>
<p>Les premières semaines du nouveau président sont quelque peu troublées par la chute du gouvernement, à la suite de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/08/14/en-lettonie-le-premier-ministre-demissionne-sur-fond-de-desaccords-entre-les-membres-de-sa-coalition_6185381_3210.html">démission, le 14 août, du premier ministre Krisjanis Karins</a>, qui a tiré les conclusions des désaccords persistant au sein de la coalition : pour favoriser le consensus, le chef du gouvernement a tenté de revoir les équilibres au sein de la coalition (composée, rappelons-le, de Nouvelle Unité, de l’Alliance nationale et de Liste unie), voire de l’élargir – propositions auxquelles se sont opposés ses deux partenaires.</p>
<p>Le 24 août, après avoir consulté les cinq formations présentes au Parlement, Rinkevics a nommé première ministre <a href="https://www.mk.gov.lv/en/employee/evika-silina">Evika Silina</a>, de Nouvelle Unité (jusque-là ministre de la Protection sociale). Elle est chargée de former rapidement un nouveau gouvernement de large coalition et d’obtenir le soutien du Parlement d’ici mi-septembre.</p>
<p>La démarche du président semble claire : pour avancer et mettre en œuvre une politique active, il est indispensable de rassembler et de chercher le consensus. Rinkevics n’est pas naïf, pourtant : il est peu probable que Silina parvienne à regrouper cinq formations loin d’être compatibles du fait des positions de principe d’Alliance nationale et des Progressistes. Le pari semble donc osé : il ne s’agit pas d’enfermer les cinq partis jusqu’à ce qu’ils trouvent un accord, <a href="https://www.baltictimes.com/rinkevics_nominates_evika_silina_for_prime_minister/">a-t-il affirmé</a>, mais il serait bon pour le pays que chacun laisse de côté ses émotions et commence des négociations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212397/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Bayou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aux avant-postes de la guerre russo-ukrainienne, la Lettonie s’est récemment dotée d’un nouveau président qui devra, dans un contexte difficile, piloter une classe politique profondément divisée.Céline Bayou, Chercheuse associée au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2102232023-09-05T17:03:58Z2023-09-05T17:03:58ZDeux siècles de Grand Jeu géopolitique pour les grandes puissances<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541949/original/file-20230809-23-a4bief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C7%2C1189%2C790&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">«&nbsp;The Last Stand&nbsp;», de William Barnes Wollen (1898), dépeint Le 44<sup>e</sup> régiment d’infanterie britannique attaqué par les Afghans lors de la bataille de Gandamak, en Afghanistan, en 1842.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/f2/The_Last_Stand%2C_by_William_Barnes_Wollen_%281898%29.jpg/1200px-The_Last_Stand%2C_by_William_Barnes_Wollen_%281898%29.jpg">Getty - DeAgostini</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>L’expression « Grand Jeu », popularisée par Rudyard Kipling, désignait au XIX<sup>e</sup> siècle la rivalité coloniale et diplomatique qui mettait aux prises, au Caucase et en Asie centrale, l’Angleterre victorienne et la Russie tsariste – avec, au centre de l’échiquier, l’Afghanistan, « cimetière des empires ». Cette notion est encore souvent employée de nos jours pour décrire les complexes manœuvres auxquelles se livrent, dans cette même région, les puissances actuelles – qu’il s’agisse de la Russie désormais poutinienne, de la Chine ou encore des États-Unis.</em></p>
<p><em>Dans son nouvel ouvrage, <a href="https://www.nouveau-monde.net/catalogue/sur-lechiquier-du-grand-jeu/">« Sur l’Échiquier du Grand Jeu »</a>, qui paraît aux Éditions Nouveau Monde ce 6 septembre, et dont nous vous présentons ici un extrait, Taline Ter Minassian, professeure d’histoire de la Russie et du Caucase à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), retrace deux cents ans de cette partie géopolitique aux règles et aux limites sans cesse fluctuantes.</em></p>
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<p>« Quand tout le monde est mort, le Grand Jeu est terminé. Pas avant. Écoute-moi jusqu’à la fin… » Le lecteur de <em>Kim</em>, le roman de Kipling, aura compris que l’histoire du Grand Jeu, commandée par une fatalité géopolitique implacable, n’a pas de fin. Tout comme la guerre froide, le Grand Jeu se nourrit d’espaces de confrontations réels, mais aussi de référents symboliques porteurs de mythes et</p>
<p>de mythologies.</p>
<p>Le Grand Jeu, qui fut initié au début du XIX<sup>e</sup> siècle par l’immense problème de la défense de l’Inde britannique « le plus loin possible et avec le moins de moyens possible », s’est perpétuellement modifié depuis lors, déplaçant le champ des tensions sur un échiquier toujours plus vaste entre des joueurs plus nombreux. Deux siècles de voyages intrépides, de sombres intrigues nouées dans le bazar de Tabriz ou de Boukhara, d’embuscades et de hauts faits dans les rocailles du Waziristan ont abouti à des centaines de milliers de morts au cours de cinq guerres successives en Afghanistan, perdues par la Grande Bretagne, l’URSS et les États-Unis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1632984553257160714"}"></div></p>
<p>Pour échapper au vertige du décompte des morts, on est tenté de se réfugier dans le temps de l’innocence qui fut aussi celui de l’ignorance. On songe à William Moorcroft et à ses dix mille pages d’archives dormant dans les fonds de l’India Office, couvertes d’une écriture fiévreuse chamboulée par le balancement cadencé de sa monture, yak ou chameau. Ce détail émouvant contient toute la puissance d’évocation du Grand Jeu. En 1974, dans un village des fins fonds de l’Hindou Kouch, Garry Alder a rencontré un beau vieillard aux traits classiques dont le père se souvenait avoir entendu dire qu’un certain petit docteur anglais passant par là avait rendu la vue à des aveugles. Dans ces vallées reculées où il pratiquait, on s’en souvient, l’opération de la cataracte, Moorcroft était tout simplement devenu un dieu.</p>
<p>L’histoire du nouveau Grand Jeu depuis les années 1990 pourrait être le sujet d’un livre entier. Depuis la chute de l’Union soviétique, le terme s’est répandu au point de devenir banal, dans un océan de références, d’articles et d’expertises diverses à propos des tensions et des enjeux politiques et économiques de l’Asie centrale et du Caucase du Sud. Une fois encore, la notion a suscité une certaine réserve dans le milieu académique anglo-saxon, les tensions géopolitiques actuelles ayant été jugées au cours des années 2000 d’une nature très différente, notamment au plan économique, de celles du Grand Jeu classique.</p>
<p>Un autre argument avancé serait l’absence manifeste d’un dessein occidental affiché face à l’atavisme impérialiste de la Russie ou de la Chine. D’où le doute.</p>
<p>Le nouveau Grand Jeu existe-t-il seulement ? Formule simplement séduisante, label destiné aux gros titres, le nouveau Grand Jeu ne serait pas un concept « dur » rigoureusement élaboré. Selon ses détracteurs, il ne serait que l’analogie fautive du Grand Jeu classique (dont l’existence au passage est ainsi admise) et le produit d’une sur-interprétation romantique d’une époque révolue. Or le Grand Jeu, ancien comme nouveau, est essentiellement une métaphore performative des tensions géopolitiques et non une grille de lecture des relations internationales au sens strict.</p>
<p>Elle implique souvent, comme on l’a vu, la capacité d’initiative d’agents isolés qui s’aventurent vers le cœur de l’échiquier. « La Grande Bretagne recommence le Grand Jeu », titrait en 2020 une revue russe de stratégie à propos de la nomination du nouveau patron du MI6, Richard Moore. Suggérant le rôle que la Grande-Bretagne aurait pu jouer auprès de la Turquie lors du déclenchement de la seconde guerre du Karabagh (27 septembre-10 novembre 2020), l’article s’attarde sur le profil de ce diplomate diplômé de l’Université d’Oxford, parlant couramment le turc et réputé proche de Recep Tayyip Erdoğan.</p>
<blockquote>
<p>« L’impression grandit que “l’Anglaise” a lancé un nouveau Grand Jeu qui ne se limitera pas au Caucase […]. La géographie des questions qui ont été discutées lors de la visite de Moore à Ankara reflète de manière assez significative les plans grandioses de l’alliance anglo-turque. Et nous n’avons pas encore mentionné l’Ukraine dont le président, après avoir rencontré le même Moore, s’est rendu auprès d’Erdoğan et en Asie centrale. »</p>
</blockquote>
<p>D’empoisonnements en disparitions mystérieuses d’oligarques ou d’anciennes taupes, en opérations de cyberguerre et en piratage divers, sans parler des expertises publiques des services secrets britanniques à propos des fiascos militaires russes en Ukraine, les exemples de la guerre anglo-russe des services secrets ont abondé au cours des deux dernières décennies en Europe comme sur le territoire du Grand Jeu.</p>
<p>Sur le terrain, les tensions géopolitiques ont été récurrentes jusqu’à atteindre le point d’incandescence du 24 février 2022, jour du lancement de « l’opération militaire spéciale » en Ukraine. Si les frictions se manifestent sur l’échiquier classique, elles débordent de beaucoup de celui-ci, sur un arc de confrontation courant de l’Ukraine au Caucase, opposant désormais la Russie à l’« Occident collectif ».</p>
<p>Depuis 2008, la Russie a mené ou est intervenue dans plusieurs guerres : Géorgie (7-16 août 2008), Syrie (30 septembre 2015), conclusion d’un cessez-le-feu au Haut-Karabagh (10 novembre 2020) se soldant par l’envoi d’une force de maintien de la paix et, depuis le 24 février 2022, l’intervention militaire massive, menée simultanément sur six fronts, en Ukraine.</p>
<p>Le constat s’impose : depuis 2008, « l’arc des crises », notion héritée du fameux Rimland des théoriciens de la géopolitique, s’est transformé, à l’issue d’une implacable montée en tensions, en un « arc de confrontation » directe avec l’OTAN et le camp occidental. Si l’on admet l’existence d’un nouveau Grand Jeu, son champ géographique s’est considérablement élargi, de l’Asie centrale, soit des « Balkans de l’Eurasie » selon la célèbre formule de Zbigniew Brzezinski, jusqu’aux rives ukrainiennes de la mer Noire. Mais une constante s’impose : l’effondrement de l’URSS a laissé dans le voisinage de la Fédération de Russie une vacuité où se sont engouffrés les jeux d’influences politiques, économiques, de hard et soft power.</p>
<p>Comme au début du XIX<sup>e</sup> siècle, l’Asie centrale est devenue, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, le « ventre mou » de la Russie. Réalité ou métaphore, le nouveau Grand Jeu se déploie sur une multitude de théâtres. Citons pêle-mêle la guerre des tubes d’un « Pipelinistan » étendu de l’Asie centrale au Caucase jusqu’à la Baltique. L’enquête sur le sabotage le 26 septembre 2022 des gazoducs Nord-Stream 1 et 2 n’a abouti à aucune conclusion probante sur la responsabilité de la Russie, selon le Washington Post. De son côté, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov ne s’est pas privé de mettre en cause les services secrets britanniques en déclarant que « nos services de renseignement disposent de preuves suggérant que l’attaque a été dirigée et coordonnée par des spécialistes militaires britanniques ».</p>
<p>De « nouvelles routes de la soie » dans le cadre de la Belt and Road Initiative (BRI) jusqu’au projet de corridor économique entre la Chine et le Pakistan (CPEC), de Gwadar à Kachgar à travers le massif himalayen, la Chine est devenue la puissance montante sur l’échiquier du nouveau Grand Jeu, suscitant, côté russe, le fameux « pivot vers l’Est ». Le tournant russe vers l’Asie est en effet une politique de diversification économique et diplomatique en direction de la Chine. Préconisée de longue date par Moscou, cette bascule devrait permettre à la Russie de profiter du dynamisme de l’économie chinoise tout en coupant les ponts avec l’Europe, dans le contexte des sanctions consécutives à la guerre menée par la Russie en Ukraine.</p>
<p>Conservées au Texas, les archives de George Crile montrent qu’à la veille de sa mort, il travaillait à un nouveau projet de livre, la suite de <em>My Enemy’s Enemy</em> (ou Charlie Wilson’s War). Bombardements américains en Afghanistan et au Soudan, talibans au Pakistan et en Afghanistan, Ben Laden, Charlie Wilson, Gust Avrakotos, Milt Bearden… les titres des dossiers de travail sont très évocateurs du projet que George Crile était sur le point d’entreprendre.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu du livre « Sur l’Échiquier du Grand Jeu », de Taline Ter Minassian.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>« Comme dans Charlie Wilson’s War, on y trouvera le récit de faits jusqu’ici non documentés, révélant des lieux exotiques et improbables et une histoire secrète qui a conduit aux défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. […] Il permettra au lecteur de saisir les mystères profondément troublants qui entourent la confrontation toujours plus dangereuse de l’Amérique avec l’Islam », écrit-il dans ses notes préparatoires. Les années qui suivirent les attentats du 11 Septembre livrèrent en effet le spectacle dégrisant des séquelles de l’alliance désastreuse de la CIA et du djihad en Afghanistan.</p>
<p>La traque puis l’assaut héliporté du complexe fortifié d’Oussama Ben Laden à Abbottabad au Pakistan le 2 mai 2011, suivi en direct par Barack Obama et ses conseillers depuis la Maison Blanche, fut une réussite spectaculaire sans lendemains. La ville d’Abbottabad où Ben Laden avait trouvé refuge est située sur l’une des « nouvelles routes de la soie ».</p>
<p>Elle est désormais desservie par l’autoroute Hazara construite par les Chinois, dont les six voies serpentent entre les montagnes au nord d’Islamabad. Le projet de corridor économique entre la Chine et le Pakistan (CPEC) est présenté au Pakistan comme « l’événement qui change la donne » (game changer) dans le nouveau Grand Jeu. Les images de la chute annoncée de Kaboul et du retrait chaotique des Américains le 30 août 2021, au terme de la plus longue guerre jamais engagée par les États-Unis, ont fait le tour du monde. Et le monde déplora l’abandon de l’Afghanistan, retombé aux mains des talibans. Kaboul désertée par les ambassades occidentales est depuis lors investie par la « diplomatie silencieuse » et singulièrement pragmatique du Kremlin. Une nouvelle partie du nouveau Grand Jeu a d’ores et déjà commencé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210223/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du Caucase aux confins de la Chine, en passant par l’Asie centrale, les grandes puissances internationales se livrent depuis près de deux siècles un « Grand Jeu » sans cesse renouvelé.Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2124042023-08-29T16:31:17Z2023-08-29T16:31:17ZDisparition de Prigojine : quelles conséquences pour les ultra-nationalistes russes ?<p>Le 23 août dernier, le tristement célèbre Evguéni Prigojine, propriétaire de la <a href="https://www.revueconflits.com/wagner-societe-militaire-privee-innovante-et-secrete/">compagnie militaire privée Wagner</a>, trouvait la mort en Russie dans le crash de l’avion qui le transportait, en compagnie de plusieurs hauts responsables de la milice, dont le fondateur de celle-ci <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230824-russie-dmitri-outkine-le-n%C3%A9onazi-cofondateur-de-wagner-mort-aux-c%C3%B4t%C3%A9s-de-prigojine">Dmitri Outkine</a>. La nouvelle a immédiatement suscité de très nombreuses réactions dans le monde et, aussi, en Russie même.</p>
<p>Si le Kremlin peut bien orienter l’enquête vers la théorie d’un accident technique ou d’une bombe placée à bord de l’appareil, supposément par les services secrets occidentaux ou ukrainiens, une grande partie des observateurs de tous pays et de tous bords soupçonnent Vladimir Poutine d’avoir ordonné l’élimination de l’homme qui avait osé, deux mois auparavant, à la tête de milliers de combattants de Wagner, lancer une <a href="https://theconversation.com/cinq-questions-apres-la-marche-pour-la-justice-de-wagner-208593">« marche sur Moscou » qui s’apparentait fortement à une tentative de putsch</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-comment-comprendre-les-24-heures-de-chaos-entre-le-kremlin-et-le-groupe-wagner-208427">Guerre en Ukraine : comment comprendre les 24 heures de chaos entre le Kremlin et le groupe Wagner</a>
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<p>Le président russe avait paru passer l’éponge sur la trahison de son associé, puisqu’il avait <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-66154909">rencontré Prigojine début juillet</a> avant que celui-ci n’apparaisse, à la fin du mois, au <a href="https://www.courrierinternational.com/article/wagner-evgueni-prigojine-un-visage-connu-au-sommet-russie-afrique-de-saint-petersbourg">sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg</a>.</p>
<p>Cette réconciliation de façade et les propos tenus par Poutine après l’annonce du crash de l’avion de Prigojine – le défunt avait été, <a href="https://meduza.io/en/feature/2023/08/24/he-was-a-person-with-a-complex-fate">a-t-il jugé</a>, « un homme de talent, qui avait parfois fait de mauvais choix » – n’ont pas convaincu l’immense majorité des spécialistes étrangers.</p>
<p>Ils n’ont pas, non plus, emporté l’adhésion des cercles ultra-nationalistes russes, qui pour beaucoup tenaient Prigojine en haute estime.</p>
<h2>La CMP Wagner vue par les ultra-nationalistes russes</h2>
<p>Depuis le lancement de l’invasion russe de l’Ukraine, Prigojine, à la tête de Wagner, avait cherché à se donner l’image d’un patriote courageux et désintéressé, <a href="https://t.me/larkin_doc/13609">« prêt à faire le sale boulot »</a> dans les intérêts présumés de la Russie. Bravant régulièrement un commandement militaire dont il fustigeait <a href="https://theloop.ecpr.eu/the-downfall-of-prigozhin/">l’inefficacité et la corruption</a>, il avait également alimenté un culte de la violence extrême au nom de la « justice » en temps de guerre. Un culte dont le <a href="https://www.liberation.fr/checknews/le-patron-de-wagner-evgueni-prigojine-a-t-il-envoye-une-masse-ensanglantee-au-parlement-europeen-20221124_TD6ZGH7FNZF2NFZPPYIZILXQ3U/">marteau ensanglanté était devenu le symbole phare</a>. Ces qualités étaient largement appréciées dans les cercles ultra-nationalistes russes, <a href="https://theconversation.com/vladimir-poutine-deborde-par-lextreme-droite-russe-191137">qui n’ont cessé d’appeler à renforcer l’effort de guerre contre l’Ukraine</a>. À leurs yeux, Poutine et les responsables militaires étaient trop mous, tandis que Prigojine et ses « musiciens » (surnom donné aux mercenaires de Wagner) livraient aux Ukrainiens une « véritable » guerre sans répit.</p>
<p>Contrairement à Prigojine, Dmitri Outkine n’était pas une figure publique et ne bénéficiait pas de capital symbolique propre, au-delà de la mouvance marginale – même au sein des nationalistes russes – des néo-nazis. Il n’empêche que son rôle et son expérience professionnelle en tant qu’ancien officier des forces spéciales du renseignement (GRU) de Russie furent capitaux dans la création de la société Wagner. De fait, <a href="https://www.rferl.org/a/russia-plane-crash-wagner-commander-dmitry-utkin/32563386.html">« Wagner » était initialement le nom de code d’Outkine</a>, reflétant les opinions néo-nazies de ce dernier, étant donné que Richard Wagner est considéré comme le compositeur préféré d’Adolf Hitler.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1664332767046279177"}"></div></p>
<p>La rébellion du groupe Wagner des 23-24 juin 2023 avait, certes, entaché la réputation de Prigojine aux yeux de la galaxie ultra-nationaliste russe, dans la mesure où elle a fait planer le spectre de la désunion, voire de la guerre civile. Néanmoins, à l’exception d’une poignée de figures publiques dont Igor Guirkine (Strelkov), qui était en conflit ouvert avec Prigojine et le traitait de « clown noir », la plupart des nationalistes ou « patriotes » autoproclamés s’étaient abstenus de condamner sans équivoque les Wagner et leur chef. Cette position ambiguë n’est pas sans rappeler celle des autorités du Kremlin qui ont fustigé la « trahison » sans en nommer les auteurs avant de procéder à la <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230714-russie-vladimir-poutine-entretient-le-flou-sur-la-r%C3%A9organisation-et-l-avenir-de-la-milice-wagner">réorganisation</a>, plutôt qu’à la liquidation, du groupe Wagner.</p>
<h2>Un assassinat largement imputé aux services russes</h2>
<p>L’opinion dominante dans ces milieux, qu’elle soit exprimée en termes crus ou voilés, est d’attribuer le crash de l’avion aux services de sécurité russes. Chacun comprenait que la mutinerie de Wagner n’était pas un acte pouvant rester sans réponse et encore moins « excusé ». L’élimination de Prigojine n’a donc pas surpris grand monde : c’est plutôt le fait qu’elle ait tant tardé qui a étonné. Par exemple, Dmitri Bastrakov, fondateur de la maison d’édition nationaliste russe Centurie noire et combattant volontaire en Ukraine, estime que si « l’événement » (la mort de Prigojine) était attendu, « il est surprenant qu’il ait été retardé de deux mois », bien que cette stratégie attentiste <a href="https://t.me/chernaya100kitchen/3636">« corresponde parfaitement au style de Poutine »</a>.</p>
<p>D’autres, parmi les plus loyaux au Kremlin, continuent de relayer la parole officielle, qui prétend qu’« une enquête approfondie sera menée » et que <a href="https://tsargrad.tv/news/jekspertiza-podtverdila-jeto-prigozhin-belye-pjatna-v-gibeli-glavy-chvk-vagner_854958">« la vérité sera établie »</a>. D’autres encore s’abstiennent d’évoquer la version, très probable, de l’assassinat politique et préfèrent se limiter à des propos de type <a href="https://t.me/chernaya100kitchen/3639">« dans la nouvelle réalité, tout est possible »</a>. </p>
<p>Dans le même temps, le vocable « héros » a connu une inflation dans les milieux ultra-nationalistes russes pro-guerre (n’oublions pas qu’<a href="https://russiapost.info/society/russian_far_right">ils ne soutiennent pas tous la guerre contre l'Ukraine</a>) pour désigner Prigojine et ses associés. Ainsi, <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220409-puy-du-fou-dieu-et-extr%C3%AAme-droite-le-monde-de-l-oligarque-russe-konstantin-malofeev">Konstantin Malofeev</a>, cet « entrepreneur orthodoxe » d’opinion nationale-monarchiste et fondateur de la chaîne de télévision Tsargrad, a rendu hommage à Prigojine, « héros troublé » et « vrai patriote de la Russie, qui <a href="https://t.me/kvmalofeev/1956">effrayait les ennemis et gênait les bureaucrates »</a>. Bastrakov a, lui, <a href="https://t.me/chernaya100kitchen/3636">déploré</a> la mort d’« héros ambigus, mais certainement grands ». </p>
<p>Un terme également employé par l’idéologue du « néo-eurasisme » <a href="https://theconversation.com/du-national-bolchevisme-a-leurasisme-qui-est-vraiment-alexandre-douguine-189515">Alexandre Douguine</a> qui invoque le livre <em>Marchands et Héros</em> (1915) du sociologue allemand Werner Sombart, lequel y célébrait la Première Guerre mondiale comme la « guerre allemande ». À l’appui de Sombart, Douguine <a href="https://tsargrad.tv/news/dugin-raskryl-glavnyj-podvig-prigozhina-ukazal-put-vsem-ostalnym_854172">considère</a> que Prigojine, ayant commencé comme un entrepreneur (« marchand ») dans les années 1990, serait passé « au statut de héros <… > au moment même où le pays en avait le plus besoin », montrant ainsi la voie aux autres membres de l’élite russe qui seraient trop empreintes par l’esprit du calcul et du profit, et non par la mentalité héroïque.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1694617741829836896"}"></div></p>
<h2>Un milieu sous pression</h2>
<p>En juillet dernier, l’une des icônes de cette ultra-droite russe, Igor Guirkine (Strelkov), qui s’est fait connaître en 2014 en tant que chef militaire séparatiste dans le Donbass, a été <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230721-russie-l-influent-blogueur-nationaliste-igor-strelkov-guirkine-arr%C3%AAt%C3%A9-pour-extr%C3%A9misme">arrêté</a> pour « extrémisme » et se trouve aujourd’hui sous les verrous. La mort de Prigojine et l’arrestation de Guirkine constituent à première vue deux événements indépendants ; en réalité, tous deux traduisent la volonté du Kremlin de <a href="https://www.russiapost.info/politics/ultrapatriotic">reprendre la main</a> sur les milieux « ultra-patriotiques » dont les critiques virulentes de la conduite de la guerre ont été tolérées pendant de longs mois.</p>
<p>Cette tolérance relative s’explique par différentes motivations, dont l’impossibilité de réprimer totalement la dissidence radicale, mais aussi la volonté du pouvoir de ne pas se couper d’une frange de la population à la fois <a href="https://russiapost.info/politics/conservative_critics">majoritairement fidèle au régime et intéressée par des voix critiques</a>.</p>
<p>Or, en juin dernier, la mutinerie de Wagner a changé la donne. La critique des « patriotes en colère » (pour reprendre le nom du <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/guerre-ukraine-russie/2023/05/17/le-club-des-patriotes-en-colere-veut-aider-la-russie-a-gagner-la-guerre-en-ukraine-quelle-est-son-influence-MH4XEXUWIRCRFNQLETZXZNM3GI/">mouvement lancé en avril 2023</a> sous la présidence de Guirkine, le Club des patriotes en colère) a été réinterprétée comme un facteur de déstabilisation, notamment à l’approche de la réélection programmée de Poutine lors du scrutin de mars 2024.</p>
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<p>De plus, cette critique, qui se focalisait précédemment sur le commandement militaire, spécialement sur le ministre de la Défense Sergueï Choïgou (surnommé par Guirkine « maréchal bidon ») et le chef d’état-major Valeri Guérassimov, avait été redirigée, à partir du début de l’année 2023, sur la figure de Poutine, vu comme un chef suprême incapable d’assumer ses responsabilités face à une guerre existentielle.</p>
<p>L’arrestation de Guirkine, qui était quotidiennement lu et vu sur Internet par des centaines de milliers de personnes, a provoqué une vague de déclarations en son soutien et d’appels à sa libération émis par des blogueurs nationalistes. Cependant, <a href="https://novayagazeta.eu/articles/2023/07/30/girkinu-nikto-ne-pishet">plusieurs dizaines de personnes au mieux</a> sont venues le soutenir au tribunal. Cela peut s’expliquer par la vision idéologique des « ultra-patriotes » : s’identifiant à l’État et à ses intérêts, qu’ils jugent supérieurs aux droits individuels, ces acteurs ont beaucoup de mal à contester les autorités même lorsqu’ils n’apprécient guère les dirigeants en place.</p>
<p>Un autre facteur, non moins important, est le climat de répression qui a été installé en Russie au cours de ces dernières années et particulièrement depuis février 2022 : les « patriotes en colère » savent parfaitement qu’ils se feront écraser s’ils tentent de défier l’appareil de l’État dans les rues. En outre, personne parmi eux n’a oublié que, avant Prigojine, plusieurs figures de ce camp avaient été les cibles d’attentats au cours de l’année écoulée. Daria Douguina, fille d’Alexandre Douguine et figure montante de la sphère ultra-nationaliste russe, est morte en août 2022 dans l’explosion de sa voiture ; le populaire blogueur militaire Vladlen Tatarski a été tué par une bombe dans un café (ancienne propriété de Prigojine) en avril 2023 ; un mois plus tard, l’écrivain <a href="https://www.europe1.fr/international/guerre-en-ukraine-qui-est-zakhar-prilepine-lecrivain-russe-blesse-dans-lexplosion-de-sa-voiture-4181715">Zakhar Prilépine</a>, qui s’est fait coopter dans le monde politique en devenant, en 2021, co-président du parti parlementaire Russie juste/Patriotes/Pour la vérité, était grièvement blessé dans un attentat contre son véhicule.</p>
<p>Sur la question de ces attentats, la droite radicale russe s’est très majoritairement alignée sur le discours officiel de l’État. Guirkine <a href="https://t.me/strelkovii/4764">imputait</a> les attentats contre Douguina, Tatarski et Prilépine aux services ukrainiens. Ces derniers jours, lors des <a href="https://t.me/OpenUkraine/47829">commémorations</a> organisées par l’extrême droite en mémoire de Prigojine et Outkine, leurs portraits ont souvent été disposés aux côtés de ceux de Douguina et de Tatarski.</p>
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<p>Cela ouvre la voie à des sacralisations post-mortem qui permettent de (re)mobiliser les soutiens de cette mouvance. Ainsi, Douguina a été quasiment sanctifiée dans les milieux ultra-nationalistes qui l’ont <a href="https://vk.com/wall-177800934_15121">comparée</a> à Jeanne d’Arc, tandis que sa mort a été présentée comme un <a href="https://t.me/holmogortalks/30475">sacrifice</a> pour la Victoire russe avec un grand « V ». </p>
<h2>Une nébuleuse protéiforme qui ne se limite pas à la blogosphère</h2>
<p>Les ultra-nationalistes, très présents sur Internet, spécialement sur Telegram, disposent également de certains relais dans les « ministères de force » (services spéciaux, ministère de la Défense) russes.</p>
<p>Guirkine a pris sa retraite du Service fédéral de sécurité (FSB) avec le grade de colonel en 2013, peu avant de devenir un héraut du séparatisme pro-russe dans le Donbass. Prigojine, qui <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jan/24/yevgeny-prigozhin-the-hotdog-seller-who-rose-to-the-top-of-putin-war-machine-wagner-group">connaissait Poutine depuis le début des années 1990</a>, était proche de certains généraux comme Sergueï Sourovikine, ancien commandant en chef des forces aérospatiales russes, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-un-general-russe-redoute-limoge-deux-mois-apres-la-rebellion-de-wagner-annoncent-plusieurs-medias-russes_6021098.html">limogé quelques heures avant le crash de l’avion de Wagner</a>, ou de Mikhaïl Mizintsev, ancien vice-ministre de la Défense qui a rejoint le groupe Wagner en mai 2023. Par leur intermédiaire, les dénonciations de Prigojine accusant le commandement militaire de saboter l’effort de guerre <a href="https://carnegieendowment.org/politika/90051">pouvaient trouver écho auprès de certains officiers de haut rang</a>.</p>
<p>Le discours des nationalistes pro-guerre n’existe pas en vase clos. Il agit sur et réagit à d’autres discours, dont ceux de « l’opposition systémique », c’est-à-dire les partis représentés à la Douma d’État, ou ceux des médias officiels. Les propos de certains députés, et de certaines personnalités médiatiques, ne dépareraient pas au sein des milieux ultra-nationalistes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1531301883628986368"}"></div></p>
<p>La question primordiale à cet égard est celle de la loyauté et du contrôle. Contrairement aux partis de l’opposition parlementaire et des médias officiels qui dépendent tous du Kremlin, la droite radicale est constituée d’acteurs relativement autonomes pouvant être liés à l’État mais agissant en leur propre nom et, surtout, pouvant s’opposer aux politiques de l’État, voire défier publiquement la légitimité de Poutine. Dans un sens, leur loyauté envers le régime est concurrencée, et dominée, par leur loyauté envers des valeurs qu’ils jugent supérieures : la solidité et la grandeur de l’État (souvent d’un État idéalisé) et/ou de la nation.</p>
<h2>Cette mouvance peut-elle peser sur la politique du Kremlin vis-à-vis de l’Ukraine ?</h2>
<p>La réponse est non. Les dix-huit premiers mois de l’invasion russe de l’Ukraine l’ont bien montré. Certes, la mouvance nationaliste-patriotique continue à façonner une fraction minoritaire de l’opinion russe qui soutient très activement la guerre, alors que la majorité, apathique, se contente de répondre dans les sondages qu’elle soutient l’action du régime russe (et, probablement, la soutiendrait tout autant si le Kremlin décidait demain de mettre fin aux opérations militaires en Ukraine). Mais bien que les voix nationalistes s’exprimant aux marges de l’État contribuent à faire monter les enchères, elles n’exercent pas d’influence directe sur les orientations de Poutine et de son administration.</p>
<p>Le régime russe cherche, bien entendu, à en tirer des bénéfices. Ainsi, Poutine peut <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Guerre-Ukraine-Russie-lascension-influenceurs-militaires-2023-06-16-1201271835">recevoir des blogueurs militaires radicaux</a> pour afficher sa détermination à vaincre l’Ukraine. Mais dans le même temps, le régime n’hésite pas – et n’hésitera pas à l’avenir – à employer <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2022-4-page-165.htm">la violence dictée à ses yeux par la raison d’État</a> : outre les opposants libéraux comme Alexeï Navalny et Vladimir Kara-Mourza ou les néo-nazis violents, celle-ci peut aussi bien viser les (anciens) mandataires du régime. Les cas de Guirkine et de Prigojine montrent que personne n’est à l’abri.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212404/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jules Sergei Fediunin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’élimination de Prigojine va-t-elle révolter ou au contraire tétaniser la droite russe la plus radicale et la plus va-t-en-guerre, qui avait généralement le patron de Wagner en haute estime ?Jules Sergei Fediunin, Post-doctorant au Centre d'études sociologiques et politiques Raymond Aron (EHESS), Docteur en science politique associé au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE) de l'INALCO, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2122292023-08-28T16:53:48Z2023-08-28T16:53:48ZLe Haut-Karabakh condamné à la famine dans l’indifférence de la communauté internationale<p>La situation des quelque 120 000 personnes qui vivent au Haut-Karabakh, enclave arménienne au sein de l’Azerbaïdjan revendiquée aussi bien par Erevan que par Bakou, <a href="https://bice.org/fr/haut-karabakh-120-000-habitants-dont-30-000-enfants-pris-au-piege">est aujourd’hui tragique</a>.</p>
<p>Coupés du reste du monde, et spécialement de l’Arménie, les habitants, des Arméniens ethniques, voient se profiler le spectre d’une famine désastreuse, imposée par les autorités azerbaïdjanaises, qui souhaitent ainsi les <a href="https://theconversation.com/vers-un-exode-force-des-armeniens-du-haut-karabakh-200390">contraindre à l’exode</a>.</p>
<p>Ni la Russie, pourtant supposée proche de l’Arménie, et dont des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/conflit-au-haut-karabakh-tres-forte-probabilite-d-escalade-avertit-erevan-20230314">forces de maintien de la paix sont déployées dans la région</a>, ni les pays occidentaux n’interviennent pour empêcher la catastrophe humanitaire qui s’annonce. Comment l’expliquer ?</p>
<h2>Des décennies de conflit tantôt violent, tantôt « gelé »</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cette carte montre la répartition des terres consécutive à l’accord de paix en 2020. Les Arméniens ethniques du Haut-Karabakh sont désormais coupés de l’Arménie, les zones séparant les deux territoires ayant été reprises par l’Azerbaïdjan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">kamilewski/Shutterstock</span></span>
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<p>Le Haut-Karabakh est une région disputée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis la chute de l’Union soviétique. Dans les années 1920, cette zone peuplée à plus de 90 % d’Arméniens avait été rattachée à la République socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan. En 1991, après la chute de l’URSS, le Haut-Karabakh proclame son indépendance. Bakou envoie l’armée. Soutenu par l’Arménie, le Haut-Karabakh (dénommé Artsakh par les Arméniens) finit, en 1994, par remporter, cette guerre au bilan très lourd (plusieurs dizaines de milliers de morts). L’Arménie et le Haut-Karabakh conquièrent à cette occasion sur l’Azerbaïdjan des terres dont ils décident de conserver le contrôle, afin d’établir un cordon sanitaire autour du Haut-Karabakh et d’être directement liés l’une à l’autre.</p>
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<p>Au cours des près de trente années écoulées depuis, l’Arménie, qui n’a elle-même jamais reconnu l’indépendance du Haut-Karabakh, n’a signé aucun traité de paix avec l’Azerbaïdjan. Pendant ce temps, l’Azerbaïdjan a préparé sa revanche, <a href="https://www.internal-displacement.org/publications/azerbaijan-after-some-20-years-idps-still-face-barriers-to-self-reliance">maintenant ses réfugiés dans des habitations provisoires</a> malgré les richesses induites par les exportations d’hydrocarbures (à l’inverse de l’Arménie, l’Azerbaïdjan <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20180411-azerbaidjan-pays-riche-hydrocarbures">dispose d’importantes réserves de pétrole et de gaz</a>).</p>
<p>En 2018, une <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-12-page-7.htm">révolution de velours</a> se produit en Arménie. Elle porte au pouvoir le journaliste et jusqu’alors opposant politique Nikol Pachinian, ce qui suscite des espoirs, désormais quasi évaporés, de démocratisation et de lutte contre la corruption. Vladimir Poutine y voit un parallèle avec la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-mardi-01-mars-2022-1269932">Révolution orange (2004)</a> et la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/l-euromaidan-ou-la-revolution-ukrainienne-pour-la-democratie">Révolution de la Dignité (2013-2014)</a> en Ukraine, ainsi qu’avec la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2004-1-page-121.htm">Révolution des Roses en Géorgie (2003)</a>. C’est pourquoi il n’intervient pas en septembre 2020 quand, alors que les frontières sont fermées et que le monde a les yeux rivés sur les statistiques du Covid-19, <a href="https://theconversation.com/armenie-azerba-djan-le-retour-de-la-guerre-au-haut-karabagh-147430">l’Azerbaïdjan attaque violemment le Haut-Karabakh</a>.</p>
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<p>Après quarante-quatre jours, l’Arménie et l’Artsakh, mal préparés, doivent s’avouer vaincus. Les protocoles du 9 novembre 2020 prévoient la restitution des districts de Kelbajar, Aghdam et Lachine à l’Azerbaïdjan, et l’installation d’une force russe de maintien de la paix sur le corridor de Lachine, afin d’assurer la sécurité le long de cette voie essentielle pour le transit des biens et des personnes entre l’Arménie et le Haut-Karabakh.</p>
<h2>L’impact de la guerre en Ukraine</h2>
<p>La guerre en Ukraine a bousculé les rapports de force dans la région. Les sanctions adoptées contre la Russie ont officiellement porté un coup d’arrêt aux exportations d’hydrocarbures russes vers l’Europe. Mais quelques jours avant le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Ilham Aliev, l’inamovible et <a href="https://www.hrw.org/world-report/2020/country-chapters/azerbaijan">très autoritaire président de l’Azerbaïdjan</a>, qui a succédé en 2003 à son père Heïdar Aliev après le décès de celui-ci, s’était rendu à Moscou, <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/67830">où il avait rencontré Vladimir Poutine</a>. Lors de ces discussions, il avait été question de la capacité de l’Azerbaïdjan à augmenter ses exportations de gaz vers l’Europe.</p>
<p>En novembre 2022, l’Azerbaïdjan a conclu un accord avec la Russie : celle-ci y exporte une partie de son gaz, lequel est <a href="https://www.eiu.com/n/azerbaijans-gas-exports-to-the-eu-face-challenges/">ensuite réexporté vers l’Europe</a>. L’UE achète le gaz de Bakou, fermant les yeux sur son origine réelle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1549019908427509761"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://twitter.com/vonderleyen/status/1692454544762884439">déclarations d’Ursula von der Leyen</a> selon lesquelles l’UE serait parvenue à mettre fin à sa dépendance énergétique envers la Russie ne sont donc que poudre aux yeux, et destinées à entretenir une posture diplomatique acceptable dans le cadre de la réponse européenne à l’invasion de l’Ukraine. Les conséquences de cette posture sont toutefois extrêmement graves pour les Arméniens.</p>
<p>En concluant <a href="https://investir.lesechos.fr/marches-indices/economie-politique/lue-signe-un-grand-contrat-gazier-avec-lazerbaidjan-1754981">son accord sur le gaz avec l’Azerbaïdjan</a>, l’Europe a renforcé la position d’une dictature dont tous les indicateurs sont <a href="https://rsf.org/fr/classement">encore plus alarmants que ceux de la Russie</a>, dans sa région et sur la scène internationale. Convaincues que plus personne ne volerait au secours des Arméniens, et se trouvant en position de force face à la Russie, les autorités azerbaïdjanaises ont bloqué le corridor de Lachine à partir du 12 décembre 2022.</p>
<p>Dans un premier temps, le pays a <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/armenie/les-faux-ecolos-isolent-le-haut-karabakh-aa903e3e-7d2c-11ed-bd42-a5077fc75000">envoyé de faux éco-activistes</a>, qui ont bloqué le corridor au nom de prétendus prétextes environnementaux. Cette opération était cousue de fil blanc : d’une part, Ilham Aliev lui-même a encouragé les manifestants, et d’autre part, les <a href="https://eurasianet.org/azerbaijani-village-still-under-lockdown-after-protest-arrests-continue">véritables éco-activistes azerbaïdjanais ont été arrêtés dans le cadre d’autres manifestations</a>. Le 23 avril 2023, sous les yeux des soldats de la paix russes, et malgré l’accord de 2020, l’Azerbaïdjan a installé un checkpoint à Lachine. Plus rien, ni personne, n’a pu ni entrer, ni sortir, sans l’accord des autorités azerbaïdjanaises.</p>
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<h2>L’étranglement du Haut-Karabakh</h2>
<p>À partir de décembre 2022, c’est donc le <a href="https://www.icrc.org/en/document/operational-update-icrcs-work-across-lachin-corridor">CICR qui a pris le relai</a> afin de transporter les malades du Haut-Karabakh vers l’Arménie. Pour ce faire, il se met toujours d’accord avec les autorités azerbaïdjanaises locales. Pourtant, le 29 juillet 2023, et malgré l’accord préalable de ces autorités, les Azerbaïdjanais ont <a href="https://armenpress.am/fre/news/1117084/">arrêté le convoi transportant Vagif Khachatryan vers Erevan pour des soins urgents</a>. L’homme a été <a href="https://genprosecutor.gov.az/az/post/6619">accusé d’avoir participé au massacre de Meshali le 22 décembre 1991</a>, quand des soldats arméniens ont tué vingt-deux villageois azerbaïdjanais. Seulement, les <a href="https://www.ombuds.am/en_us/site/ViewNews/2635">investigations menées notamment par le défenseur des droits arménien</a> ont montré que celui qui a participé à ces crimes était un homonyme, car l’homme arrêté n’a été enrôlé dans l’armée que l’année suivante.</p>
<p>Par ailleurs, tous les Arméniens ont à un moment ou à un autre pris part au conflit. Si avoir participé à l’une des guerres devient un crime, c’est toute la population qui est menacée d’arrestation. <a href="https://www.osf.am/2022/03/the-situation-of-armenophobia-in-azerbaijan-and-the-danger-of-ethnic-cleansing-was-discussed-in-yerevan/">L’arménophobie est systémique en Azerbaïdjan</a>, surtout depuis la fin de l’URSS. Dans les manuels scolaires, les <a href="https://armenpress.am/eng/news/1074728.html">Arméniens sont dépeints comme des barbares assoiffés de sang</a>. Les thèses officielles azerbaïdjanaises présentent les Arméniens du Karabakh comme des intrus s’étant installés par la force sur des terres volées aux Azerbaïdjanais. Ils font d’ailleurs la même chose avec la République d’Arménie, montrant ainsi que le projet n’a jamais été de récupérer le Haut-Karabakh mais bien d’achever la connexion terrestre entre l’Azerbaïdjan et la Turquie. Tout chercheur en sciences humaines sait pourtant que la démographie est plurielle au sein de confins d’empires comme le Caucase.</p>
<p>En outre, si tous les crimes de guerre doivent être condamnés, il convient alors, afin de construire la paix, que les crimes de guerre commis par l’Azerbaïdjan soient aussi poursuivis. Or ce n’est pas l’attitude Bakou, au contraire, comme le montre notamment le cas Ramil Safarov. En 2004, lors d’un exercice parrainé par l’OTAN en Hongrie, ce soldat azerbaïdjanais a assassiné à coups de hache et dans son sommeil le militaire arménien Gurgen Margarian. Condamné à la perpétuité en 2006, il a été extradé en 2012 vers l’Azerbaïdjan, où <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-histoire-du-jour/l-affaire-safarov-un-fait-divers-qui-ravive-une-guerre_1738387.html">il a été accueilli en héros et gracié par Ilham Aliev lui-même</a>. L’invocation des crimes de guerre – uniquement arméniens – est utilisée par les autorités de Bakou afin de justifier leurs actions visant les populations arméniennes du Haut-Karabakh.</p>
<p>Le 15 juin 2023, l’Azerbaïdjan a finalement <a href="https://oc-media.org/azerbaijan-blocks-red-cross-access-to-nagorno-karabakh/">interdit au CICR de passer par le corridor de Lachine</a>, accusant ses employés de trafic, notamment de téléphones portables et de cigarettes. Alors qu’aucune denrée alimentaire n’a pu être transportée sur place depuis le mois de décembre 2022, fin juillet 2023, un convoi de 19 camions transportant 400 tonnes d’aide alimentaire a été <a href="https://apnews.com/article/armenia-azerbaijan-nagorno-karabakh-blockade-2a9fb9852534ab38656a99b435f0ba86">bloqué à Kornidzor, le dernier village avant la frontière</a>.</p>
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<p>Les stocks de farine s’estompent peu à peu, et les habitants s’en remettent maintenant à un mélange moins riche afin de fabriquer un peu de pain. Sur les groupes Facebook, les habitants s’organisent et échangent leurs dernières réserves contre un peu de lait maternisé, ou quelques chocolats pour les enfants. Ils font désormais la queue toute la nuit pour espérer obtenir une miche de pain. Les transports sont à l’arrêt, faute de carburant. Un homme de 40 ans est <a href="https://www.civilnet.am/en/news/747294/man-dies-of-hunger-in-karabakh/">mort de faim le 15 août</a>.</p>
<p>Le 16 août 2023, les autorités arméniennes ont <a href="https://press.un.org/fr/2023/cs15384.doc.htm">appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à mettre fin au blocus</a>. Des manifestations ont régulièrement lieu à Erevan, devant le siège de l’ONU, mais aussi dans d’autres villes du monde, comme Paris, Sydney ou Los Angeles. La situation sur place se détériore de jour en jour, et met à mal tout espoir de paix dans la région ; c’est d’ailleurs ce que <a href="https://en.feministpeacecollective.com/post/in-solidarity-with-karabakh-artsakh-against-total-war-blockade-and-hegemony">dénonce un collectif féministe pour la paix en Azerbaïdjan</a>.</p>
<p>La paix ne peut être atteinte dans ces conditions, mais ce n’est pas ce que cherchent les autorités azerbaïdjanaises. Leur politique est destinée à obliger les Arméniens de la région à partir ou à mourir, et c’est la raison pour laquelle le 18 août, l’Institut Lemkin pour la prévention des génocides a publié une <a href="https://www.lemkininstitute.com/single-post/lemkin-institute-issues-active-genocide-alert-azerbaijan-in-artsakh">alerte sur la situation dramatique au Haut-Karabakh</a>.</p>
<p>La situation du Haut-Karabakh n’a provoqué que de timides réactions sur la scène internationale, et de nombreux États appellent les deux parties à rouvrir la circulation dans les deux sens. À l’ONU, seules la France et Malte ont dénoncé l’attitude de l"Azerbaïdjan. En Europe, personne, à part quelques activistes arméniens, ne dénonce l’accord sur le gaz. Pour mettre fin au blocus, il faudrait une réponse bien plus forte face à l’attitude de l’Azerbaïdjan. </p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212229/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élodie Gavrilof ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’enclave arménienne située en Azerbaïdjan est actuellement coupée de tout approvisionnement en nourriture. Une crise humanitaire majeure pourrait rapidement s’y faire jour.Élodie Gavrilof, Historienne, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2087842023-07-12T15:40:38Z2023-07-12T15:40:38ZRé-écrire l’histoire : comment le pouvoir en Inde cherche à diffuser une vision exclusivement hindoue de son passé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535846/original/file-20230705-15-3432xf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1280%2C716&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Projet de statue monumentale (212&nbsp;mètres) au guerrier Chhatrapati Shivaji Maharaj, qui doit être édifiée dans la baie de Bombat (Mumbaï).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://media.biltrax.com/the-design-and-planning-of-chhatrapati-shivaji-maharaj-memorial/">Chhatrapati Shivaji Maharaj Memorial</a></span></figcaption></figure><p>Depuis son arrivée au poste de premier ministre en 2014, Narendra Modi instrumentalise souvent la religion en présentant l’Inde comme un <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/religions-du-monde/20230420-hindouisme-religion-et-instrumentalisation-par-les-nationalistes-hindous">« hindu rashtra », un pays hindou</a>. La grande historienne indienne <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/01/en-inde-les-nationalistes-hindous-reecrivent-l-histoire-pour-legitimer-la-primaute-des-hindous_6132984_3210.html">Romila Thapar</a> estime à cet égard que, « en Inde, les nationalistes hindous réécrivent l’histoire pour légitimer la primauté des hindous ». C'est également au nom de sa volonté de réécrire certains éléments de l'histoire que <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/narendra-modi-veut-changer-le-nom-de-l-inde-en-bharat-et-offusque-l-opposition_6020129.html">Modi a remplacé le nom « Inde » par celui de « Bharat »</a> dans les invitations envoyées à ses homologues pour <a href="https://www.g20.org/fr/g20-india-2023/new-delhi-summit/">le G20 de Delhi</a> qui se tiendra les 9 et 10 septembre.</p>
<p>Si l’instrumentalisation de l’histoire n’est pas l’apanage des Indiens – elle a largement contribué à la <a href="https://www.cairn.info/la-creation-des-identites-nationales--9782020342476.htm">naissance et au développement du nationalisme en Europe</a> –, elle alimente aujourd’hui un <a href="https://theconversation.com/linde-nation-multiculturelle-aux-immenses-ambitions-internationales-203777">projet idéologique d’unification culturelle du pays</a>.</p>
<h2>Une vision coloniale de l’Inde revisitée</h2>
<p>Aux origines des débats actuels, on trouve souvent l’interprétation biaisée produite dès le début de l’époque coloniale, au XIX<sup>e</sup> siècle : pour les colons britanniques, l’Inde, alors divisée en de nombreux royaumes et principautés, est <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/comparative-studies-in-society-and-history/article/abs/does-india-have-history-does-history-have-india/3C2A175653E0B3ADFB53514AA6EC4615">« sans histoire »</a>. Dans un univers culturel nourri d’une riche littérature plurilingue, il n’existait en effet pas de genre historiographique comparable aux chroniques européennes ou chinoises en la matière. Les Européens en déduisent que les Indiens, préoccupés par les approches spirituelles, ne s’intéresseraient pas à l’histoire.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le corollaire de cette attitude supposée est sans appel : l’Inde serait condamnée à l’immobilisme, enfermée dans des traditions sclérosantes et à la merci de despotes indifférents aux besoins de leur peuple. C’est une justification toute trouvée de la colonisation : celle-ci allait permettre d’arracher les Indiens à leur passivité, pour les faire « entrer dans l’Histoire ».</p>
<p>Ceux qui s’engagent dans la <a href="https://books.openedition.org/septentrion/13944?lang=fr">lutte anti-coloniale</a> estiment donc primordial de contrer cette vision et d’écrire eux-mêmes leur histoire afin que tous les Indiens prennent conscience de l’existence d’une Nation indienne. Pour cela, il faut étudier son passé et donc sa spécificité, définir son identité, affirmer ses valeurs. Pour beaucoup d’intellectuels de l’époque, le <a href="https://www.editions-picquier.com/produit/la-decouverte-de-linde">passé de l’Inde est surtout marqué par son extraordinaire diversité</a>. Non-violence et tolérance apparaissent comme des vertus cardinales propres au passé pré-colonial de l’Inde. La brutalité de la domination coloniale se trouvait en rupture avec ce passé. Articles et ouvrages dénoncent alors la sujétion économique de l’Inde et vantent sa capacité à absorber pacifiquement les influences venues de l’extérieur.</p>
<p>À l’indépendance, les leaders indiens qui gouvernent le pays construisent une démocratie « laïque », qui suppose que l’État protège toutes les communautés religieuses, surtout si elles sont minoritaires.</p>
<p>Il n’y a pas vraiment d’écriture d’une histoire « officielle », mais les premiers manuels scolaires entendent renforcer le sentiment national et contribuer à la concorde. Le récit de la lutte anti-coloniale insiste sur l’unité du combat et le rôle des élites. <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv4s7jj4">L’écriture de l’histoire en Inde</a> est aussi influencée par les interprétations marxistes, par définition exemptes de lecture religieuse du passé, qui mettent en avant les phénomènes sociaux et économiques pour expliquer l’évolution du pays.</p>
<h2>Le nationalisme hindou « en guerre » contre l’histoire de l’Inde ?</h2>
<p>Cette vulgate est contestée en 1998, quand le Bharata Janatya Party (Parti du peuple, BJP), le parti de la droite nationaliste hindoue, <a href="https://frontline.thehindu.com/cover-story/article30161045.ece">parvient au pouvoir central pour la première fois</a>.</p>
<p>À l’époque, il ne possède pas la majorité absolue à la Lok Sabha (la Chambre basse du Parlement) et ne peut pas imposer un agenda politique mettant en œuvre son idéologie de <a href="https://www.asianstudies.org/publications/eaa/archives/on-the-difference-between-hinduism-and-hindutva/">l’<em>hindutva</em></a>, définie dans les années 1920 pour affirmer que l’Inde est avant tout hindoue (pour rappel, <a href="https://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2015/08/30/inde-religion-recensement-catholiques-musulmans-14609.html">quelque 80 % des 1,4 milliard d’Indiens sont aujourd’hui hindous</a>, environ 14 % musulmans, le reste se partageant entre une pluralité de minorité, dont des chrétiens). Mais certaines initiatives sont révélatrices : de nouveaux manuels sont élaborés pour mettre en valeur un ancien passé « hindou » de l’Inde, un âge d’or qui aurait précédé les conquêtes musulmanes du XI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Dans les <a href="https://frontline.thehindu.com/the-nation/education/article30215755.ece">manuels recommandés par le National Council of Educational Research and Training</a> (NCERT), l’Inde « glorieuse » est présentée comme celle d’une époque pré-islamique durant laquelle les habitants du pays étaient tous autochtones et de « race » aryenne, ce qui contredit les preuves matérielles, linguistiques et génétiques généralement admises.</p>
<p>Cette vision prend clairement ses racines dans les interprétations coloniales britanniques de l’histoire indienne. Dans son ouvrage <a href="http://journals.openedition.org/samaj/6636"><em>Aurangzeb : The Man and the Myth</em></a> (Penguin Random House India, 2017), l’historienne américaine Audrey Truschke souligne que « l’animosité intemporelle entre hindous et musulmans incarne la stratégie britannique du “diviser pour régner” ».</p>
<p>Ces manuels réécrits ne furent cependant pas utilisés car dès 2004, le <a href="https://www.nytimes.com/2004/05/13/international/asia/in-huge-upset-gandhis-party-wins-election-in-india.html">parti du Congrès revient au pouvoir</a>. L’offensive reprend en 2014, quand le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/inde-le-nationaliste-hindou-modi-en-passe-de-l-emporter-16-05-2014-1824253_24.php">BJP remporte de nouveau les élections générales</a>, mais cette fois, en obtenant à lui seul la majorité absolue à la Lok Sabha.</p>
<p>Lors de son premier discours devant l’Assemblée, le nouveau premier ministre Narendra Modi se plaignit des <a href="https://www.firstpost.com/politics/1200-years-of-servitude-pm-modi-offers-food-for-thought-1567805.html">« mille deux cents ans de servitude »</a> subis par l’Inde : il ajoutait sans ambiguïté la période dite « musulmane » à la période coloniale qui avait vu se développer un nationalisme indien alors principalement dirigé contre le Raj britannique.</p>
<p>Cette vision de l’histoire de l’Inde, était déjà présente au sein du RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh – « Association des volontaires nationaux », une association hindoue créée en 1925 et matrice idéologique pour beaucoup de cadres du BJP – et répandue dans les écoles de l’organisation dès les années 1960. Depuis 2014, elle s’est peu à peu imposée dans les États dirigés par le BJP, avec la rédaction de <a href="https://www.nytimes.com/2023/04/06/world/asia/india-textbooks-changes.html">nouveaux manuels</a>, mais aussi par des attaques ad hominem contre les universitaires indiens ou étrangers qui défendent une interprétation nuancée des relations passées entre hindous et musulmans.</p>
<p>Les médias se sont fait l’écho de ce nouveau nationalisme qui conduit à considérer un pan entier de l’histoire et de la culture indiennes comme étranger. « Le Sangh Parivar [nébuleuse d’organisations pro <em>hindutva</em>] est en guerre contre l’histoire de l’Inde » écrivait en 2018 A.G. Noorani, ancien avocat à la Cour suprême, dans un <a href="https://frontline.thehindu.com/the-nation/communalism/politics-of-history/article24901838.ece">article du magazine <em>Frontline</em></a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1672215295958581251"}"></div></p>
<p>Après la <a href="https://asiacentre.eu/fr/2019/05/29/inde-que-signifie-le-triomphe-de-narendra-modi/">reconduction au pouvoir du BJP et de Modi en 2019</a>, cette guerre s’est intensifiée, prenant des formes multiples : villes débaptisées pour hindouïser leur nom (comme <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2020-1-page-92.htm">Allahabad, devenue Prayagraj</a>), construction d’un <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/en-direct-du-monde/en-inde-un-temple-dedie-au-dieu-ram-bientot-construit-sur-le-site-d-une-ancienne-mosquee_4041277.html">temple sur l’emplacement de l’ancienne mosquée de Babri</a> détruite par des militants hindous en 1992, transformation des musées.</p>
<p>Cette réécriture du passé ne concerne plus seulement l’histoire de la période dite musulmane, mais aussi ce qui la précède et ce qui lui succède. Ainsi, les événements mentionnés dans les célèbres épopées du <a href="https://www.lexpress.fr/culture/livre/le-mahabharata_811258.html"><em>Mahabharata</em></a> et du <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/ramayana/"><em>Ramayana</em></a> sont de plus en plus souvent présentés comme des faits historiques. Par ailleurs, l’histoire du combat pour l’indépendance de l’Inde est l’objet d’une relecture qui vise à minorer, voire à effacer l’action des hommes et femmes politiques favorables à une vision séculariste et tolérante du pays. Si Gandhi conserve une place de choix dans l’imaginaire et les discours des dirigeants, Nehru, qui dirigea l’Inde pendant 17 ans après son indépendance acquise en 1947, voit sa place dans le combat pour l’indépendance de l’Inde minorée, voire occultée.</p>
<p>Les conséquences de cette offensive culturelle peuvent être graves : assassinats d’intellectuels qui s’affirment « rationalistes », attaque contre un <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/city/pune/maratha-activists-vandalise-bhandarkar-institute/articleshow/407226.cms">institut de recherche accusé d’avoir aidé un historien américain</a>… À l’école, la propagande menace d’imprégner durablement les esprits des jeunes Indiens : bien souvent, les manuels scolaires sont les seuls matériels dont disposent les enseignants. L’accent mis sur l’apprentissage par cœur fait que les enfants répètent inlassablement ce qui s’y trouve écrit.</p>
<h2>Déclinaisons régionales : l’impossible unification de l’histoire de l’Inde ?</h2>
<p>Il y a peu de protestations massives contre les nouvelles interprétations de l’histoire promues par le BJP et le RSS. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure que les perceptions sont devenues uniformes et conformes à une doxa commune à toute l’Inde.</p>
<p>D’abord, l’Inde est un État fédéral et l’éducation est une prérogative des États. Les manuels scolaires ne sont effectivement révisés que dans les régions dirigées par le BJP, ce qui concerne la moitié des Indiens, même si le NCERT a recommandé en 2020 un allègement des programmes pour les manuels de sciences sociales dans tous les États du pays en éliminant des chapitres sur les pogroms anti-musulmans de 2002, l’histoire moghole ou les mobilisations sociales récentes.</p>
<p>Il existe aussi, dans les différentes régions de l’Inde, des versions régionales de l’histoire qui peuvent s’écarter, parfois significativement, des prises de position du BJP. C’est notamment le cas en Inde du Sud qui revendique un passé dravidien et non aryen. Au Tamil Nadu, certains affirment qu’une civilisation tamoule, aussi glorieuse que les civilisations sanskrites et brahmaniques, portée par les Indo-Aryens, s’est déployée pendant plusieurs millénaires précédant l’ère chrétienne sur un continent aujourd’hui englouti, <a href="https://www.thepeninsula.org.in/2021/03/26/tamil-civilisation-and-the-lost-land-of-lemuria-kumari-kandam/">Kumari Kandam</a>. Cette affabulation, basée sur une hypothèse, avancée à l’époque coloniale par le zoologiste britannique Philip Sclater, est prise très au sérieux par les plus militants.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La statue de l’Unité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Statue_de_l%27Unit%C3%A9#/media/Fichier:Statue_of_Unity.jpg">Snehrashmi/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>La réécriture de l’histoire passe aussi par la glorification de certains personnages historiques héroïsés, quasi divinisés, auxquels on dresse des statues, comme celle du poète et philosophe tamoul <a href="https://www.indica.today/research/conference/historical-monument-of-saint-thiruvalluvar/">Tiruvalluvar</a> achevée en 1999 sur un rocher situé à la pointe sud de l’Inde, ou la statue de l’Unité, à l’effigie de Vallabhabhai Patel, ministre de l’Intérieur à l’indépendance, inaugurée en 2018 à l’embouchure de la Narmada, au Gujarat : c’est la plus grande au monde (182 m de haut, 240 m avec sa base). Elle met à l’honneur un personnage présenté par le BJP comme un défenseur des hindous face à un Nehru laïque. Dans la baie de Bombay, une <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/sep/14/india-to-break-record-for-worlds-largest-statue-twice">statue à la gloire de Shivaji</a>, un héros régional du XVII<sup>e</sup> siècle qui a combattu contre les Moghols, est en construction. Elle devrait atteindre 212 mètres.</p>
<p>Parallèlement, un foisonnement d’approches non professionnelles au travers de romans historiques, de pièces de théâtre et de <a href="https://thewire.in/film/rrrs-abuse-and-distortion-of-history-is-vulgar">films</a> utilise des personnages issus d’un folklore transmis souvent oralement et localement pour évoquer le passé glorieux des différentes régions. Il est donc fort à parier que la multiplicité des passés de l’Inde aura du mal à être absorbée dans une vision unifiée conforme à l’idéologie de l’<em>hindutva</em>.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208784/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Viguier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le projet politique des ultra-nationalistes du BJP, au pouvoir en Inde depuis maintenant neuf ans, passe par une réécriture de l’histoire visant à imposer un récit centré sur l’hindouisme.Anne Viguier, Directrice du département Asie du Sud et Himalaya, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2083332023-07-11T19:32:03Z2023-07-11T19:32:03ZÉtats-Unis / Chine : un duel feutré… pour l’instant<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/18/visite-d-antony-blinken-a-pekin-washington-salue-des-discussions-constructives_6178211_3210.html/">visite du secrétaire d'État Antony Blinken en Chine</a>, les 18-19 juin derniers, une première depuis celle de Mike Pompeo en 2018, visait à amorcer un «dégel diplomatique» avec Pékin et à <a href="https://www.state.gov/secretary-blinkens-trip-to-the-peoples-republic-of-china-and-the-united-kingdom/">«maintenir les canaux de communication pour gérer de manière responsable la relation entre les États-Unis et la Chine»</a>. Si toutes les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/18/affronter-la-chine-ou-lui-parler-les-etats-unis-refusent-de-choisir_6173890_3210.html">questions stratégiques régionales et globales</a> ont été <a href="https://www.state.gov/translations/french/visite-du-secretaire-detat-blinken-en-republique-populaire-de-chine/">abordées</a>, ce déplacement n'a (sans surprise) pas donné lieu à un réel dégel.</p>
<p>Pékin est aujourd'hui la <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/10/23/chine-etats-unis-une-histoire-sous-la-contrainte-ou-les-rivalites-du-temps-present/">priorité stratégique de Washington</a>, et réciproquement. Les tensions structurelles se ressentent <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/le-d%C3%A9bat/20230619-chine-etats-unis-degel-blinken-xi-jinping-rencontre-pour-apaiser-tensions">dans tous les domaines</a> (économique, militaire, technologique et diplomatique). La relation bilatérale n'a <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/l-autre-guerre-froide/">jamais été aussi mauvaise depuis la guerre froide</a>.</p>
<h2>L'interdépendance et l'hostilité</h2>
<p>La dégradation continue de la relation bilatérale est indiscutable ; et pourtant, l'année 2022 a marqué un record dans les échanges commerciaux sino-américains.</p>
<p>Près de <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/pourquoi-les-etats-unis-et-la-chine-n-ont-jamais-autant-commerce-malgre-les-tensions-politiques-20230227">700 milliards de dollars ont été échangés sur cette seule année</a>, en dépit de la pandémie de Covid-19 et des tensions accrues en Asie, spécialement autour de Taïwan, et bien sûr la guerre en Ukraine en toile de fond.</p>
<p>Alors que <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2016/08/29/obamas-china-and-asia-policy-a-solid-double/">l'administration Obama recherchait la «bonne distance»</a> vis-à-vis de Pékin et optait plus largement pour la <a href="https://froggybottomblog.com/2017/10/26/retenue-strategique-et-light-footprint-un-bilan-dobama-en-chef-de-guerre/">«retenue stratégique»</a>, <a href="https://thediplomat.com/2021/01/trump-china-and-foreign-policy-as-theater/">l'administration Trump</a> a considérablement accéléré la cristallisation du rapport de force <a href="https://lelephant-larevue.fr/numero/?n=-29">dans les secteurs du commerce, des technologies, du militaire et du sécuritaire</a>. </p>
<p>L'administration Biden (qui sera peut-être le premier président à ne pas se rendre en Chine depuis la reprise des relations au début des années 1970) poursuit une politique de <a href="https://www.state.gov/the-administrations-approach-to-the-peoples-republic-of-china/">containment de la Chine</a>, pour freiner et contrer son influence toujours croissante. </p>
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<p>Comment, dans ce contexte, expliquer les échanges record enregistrés en 2022 ? </p>
<p>L'historien Niall Ferguson a montré dès 2008 dans son ouvrage <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/302900/the-ascent-of-money-by-niall-ferguson/"><em>The Ascent of Money</em></a> comment les Chinois (essentiellement les citadins) économisaient de l'argent qu'ils prêtaient aux Américains sous forme de bons du Trésor. Ces derniers étaient utilisés pour acheter les produits fabriqués en Chine. L'interdépendance n'a fait que croître avec le temps, y compris après la crise financière de 2008 d'une part, et la crise du Covid-19 d'autre part, malgré quelques réajustements <a href="https://hbr.org/2021/05/the-strategic-challenges-of-decoupling">(le fameux «découplage»)</a>. Rappelons que la Chine demeure le deuxième détenteur de la dette américaine.</p>
<p>L'interdépendance économique est devenue l'un des facteurs les plus déterminants de la relation sino-américaine. Elle s'étend progressivement à tous les domaines – industriel et financier, mais aussi stratégique. Le cas de Taïwan le montre bien : en cas de blocus du pays, les conséquences sur les chaînes d'approvisionnement <a href="https://rhg.com/research/taiwan-economic-disruptions/">auraient un impact sur le monde entier</a>. </p>
<h2>La contestation du modèle américain</h2>
<p>À y regarder de près, la relation sino-américaine est toujours plus sophistiquée, fruit de l'interdépendance que nous venons d'évoquer et d'une <a href="https://www.fbi.gov/investigate/counterintelligence/the-china-threat/chinese-talent-plans">connaissance réciproque sans cesse croissante</a>.</p>
<p>Structurellement, chaque pas de l'un est un test pour l'autre. <a href="https://foreignpolicy.com/2023/02/07/china-spy-balloon-us-national-security/">Ballon stratosphérique chinois</a> survolant le territoire étatsunien, affirmation de Blinken, depuis Pékin, que la <a href="https://kyivindependent.com/blinken-china-promises-not-to-send-weapons-to-russia/">Chine ne livrerait pas d'armes à la Russie en guerre contre l'Ukraine</a>, stations d'écoute chinoises <a href="https://www.ft.com/content/fe720f76-c07b-4308-a1cb-2e8710b2cbea">installées à Cuba</a>, <a href="https://carnegieendowment.org/2023/05/09/is-europe-aligned-on-china-pub-89710">relations avec l'UE</a>, notamment dans les arbitrages sur la 5G chinoise ou la dissociation géoéconomique vis-à-vis de la Chine, <a href="https://chinapower.csis.org/tracking-chinas-april-2023-military-exercises-around-taiwan/">incursions chinoises dans l'espace maritime et aérien de Taïwwan</a>, etc. Surtout, Pékin comme Washington observent de près les <a href="https://carnegieendowment.org/2019/01/16/relationship-under-extreme-duress-u.s.-china-relations-at-crossroads-pub-78159">fragilités et faiblesses de l'autre</a> : économie, chômage, déséquilibres sociaux.</p>
<p>D'un côté, l'administration américaine, polarisée par la guerre en Ukraine et en continu par les <a href="https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2022/02/U.S.-Indo-Pacific-Strategy.pdf">«affaires indopacifiques» et les complications du multilatéralisme</a>, doit <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/d%C3%A9cryptage/20230615-chine-etats-unis-le-d%C3%A9gel">faire des choix prioritaires</a> ; de l'autre, Pékin, malgré ses difficultés économiques et sociales, accorde dans sa diplomatie de plus en plus de place aux <a href="https://www.fmprc.gov.cn/fra/zxxx/202206/t20220627_10710453.html">pays émergents et en développement</a>. </p>
<p>La contestation de la présence américaine en Asie-Pacifique s'est intensifiée dès les premières années du pouvoir de Xi Jinping, arrivé à la tête de la RPC en 2013. Côté américain, on a durant cette période créé ou intensifié des alliances an Indo-Pacifique, notamment à travers le <a href="https://www.jstor.org/stable/resrep35887">Quad et l'AUKUS</a>.</p>
<p>Au-delà de la région indopacifique, c'est le modèle américain en tant que tel qui fait l'objet d'une contestation élargie. Pékin est déterminé à <a href="https://asialyst.com/fr/2023/03/31/comment-chine-travaille-isoler-occident-reste-monde/">discréditer le modèle de démocratie libérale et, derrière, la puissance américaine</a>. Il s'agit, pour la RPC, de <a href="https://www.capitmuscas.com/produit/la-chine-face-au-monde-une-puissance-resistible/">modifier l'environnement international post-1945</a> (droit international, normes et standards, cognition au sens physiologique) pour le «siniser». </p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/organisations-internationales-le-spectre-dune-hegemonie-chinoise-se-concretise-136706">Organisations internationales : le spectre d’une hégémonie chinoise se concrétise</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En somme, <a href="https://www.questionchine.net/shangri-la-2023-apres-l-echec-du-dialogue-blinken-tente-de-retablir-une-relation?artpage=2-2">derrière l'opposition entre les États-Unis et la Chine</a>, on assiste à une rivalité entre des modèles politiques et de gouvernance. La RPC poursuit une stratégie d'intoxication et d'usure à l'égard des États-Unis. On peut distinguer deux axes majeurs : <a href="https://www.capitmuscas.com/produit/la-chine-face-au-monde-une-puissance-resistible/">tisser une toile de relations asymétriques et de dépendances d'abord, puis, modifier l'environnement international post-1945</a> (droit international, normes et standards, cognition au sens physiologique) pour le «siniser» et le dominer. </p>
<h2>Impossible G2…</h2>
<p>Si dans les années 2000, <a href="https://www.brookings.edu/articles/the-united-states-and-china-a-g-2-in-the-making/">certains observateurs évoquaient une gouvernance mondiale future qui serait régie par un G2</a> sino-américain, les deux puissances incontestables «co-gérant» la planète, cette hypothèse est aujourd'hui battue en brèche par les velléités chinoises de <a href="https://www.lejdd.fr/international/le-g7-veut-se-proteger-de-toute-coercition-economique-chinoise-135925">domination et de coercition</a>.</p>
<p>La visite de Blinken a pu donner quelques très relatives avancées (surtout des points de discussion pour entretenir la relation entre les deux grands en dehors du cadre stricto stratégico-militaire), sur des sujets aussi variés que la <a href="https://time.com/6289049/blinken-us-china-climate-relationship/">coopération en matière de protection de l'environnement et le climat</a>, le trafic de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/amerique/trafic-de-fentanyl-pourquoi-la-chine-est-pointee-du-doigt-par-les-etats-unis-X5NHRWLE25ERJFU6B6MISXOOJA/">Fentanyl</a> ou encore le sort de <a href="https://www.reuters.com/world/blinken-actively-talking-about-three-americans-detained-china-cbs-news-2023-06-20/">trois Américains emprisonnés en Chine</a>. Mais les blocages demeurent très nombreux, et majeurs : Pékin reste inflexible sur la question de Taïwan et <a href="https://www.scmp.com/news/china/military/article/3224794/why-china-still-refusing-resume-military-dialogue-us-despite-antony-blinkens-latest-appeal">refuse de rétablir un contact de haut niveau entre responsables militaires</a> chinois et américains. Sur ce dernier point, rappelons que le <a href="https://www.reuters.com/world/china/china-names-us-sanctioned-general-li-shangfu-defence-minister-2023-03-12/">général Li Shangfu, placé sur la liste des sanctions américaines</a>, a été récemment nommé ministre de la Défense…</p>
<p>La visite de quatre jours de la Secrétaire du Trésor, Janet Yellen, début juillet, <a href="https://www.scmp.com/economy/global-economy/article/3226972/us-china-economic-rivalry-not-winner-take-all-us-treasury-secretary-janet-yellen-says">n'a pas inversé la tendance</a>. Sa venue, dans un contexte de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/semi-conducteurs-yellen-se-dit-preoccupee-par-les-restrictions-de-pekin-20230707">fortes tensions, notamment sur les semi-conducteurs</a>, a surtout été l'occasion pour elle d'affirmer son souhait que les deux pays se livrent une <a href="https://www.letemps.ch/economie/a-pekin-janet-yellen-prone-une-concurrence-saine-entre-la-chine-et-les-etats-unis">«concurrence saine»</a>.</p>
<p>Remarquons également que Pékin semble dissocier de plus en plus la diplomatie publique du rôle majeur des <a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3224380/my-hopes-are-american-people-chinas-xi-jinping-tells-old-friend-bill-gates">grandes firmes américaines (visites de Bill Gates, Elon Musk, etc.)</a>, perçues comme des acteurs importants des affaires internationales. La géoéconomie est un levier <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/le-commerce-et-la-force-9782702182307/">souvent employé par la diplomatie</a>. À ce stade, la rivalité sino-américaine est, moins qu'un affrontement classique (politico-militaire), un bras de fer où les deux parties cherchent à prendre l'ascendant <a href="https://www.uscc.gov/sites/default/files/2022-08/Bonnie_Glaser_Testimony.pdf">à travers le développement économique, l'innovation et la contestation du modèle politique de l'autre</a>.</p>
<p>Alors que l'OTAN va ouvrir un <a href="https://www.courrierinternational.com/article/defense-l-otan-va-ouvrir-a-tokyo-son-premier-bureau-de-liaison-en-asie">bureau de liaison au Japon</a>, le <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50115.htm">sommet de Vilnius de l'Alliance (11 et 12 juillet)</a>, en écho du front ukrainien, montre qu'elle intègre de plus en plus l'éventualité de l'ouverture d'un front en Asie, – une perspective que Pékin et Washington redoutent, mais jugent l'un comme l'autre plausible…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208333/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les deux plus grandes puissances mondiales sont engagées dans un bras de fer géopolitique alors même qu'elles sont profondément interdépendantes sur le plan économique.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2085932023-06-27T18:24:16Z2023-06-27T18:24:16ZCinq questions après la « marche pour la justice » de Wagner<p>Alors que les événements du week-end dernier en Russie donnent lieu à de multiples interprétations, The Conversation tente d’y voir plus clair à travers ces quelques questions à Jules Sergei Fediunin, docteur de l’INALCO et post-doctorant au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron à l’EHESS, spécialiste de la politique russe contemporaine.</p>
<h2>Comment analyser cette tentative de rébellion avortée d’Evguéni Prigojine ?</h2>
<p>Il s’agit de toute évidence d’une mutinerie armée. C’est ainsi que les agissements de Prigojine, à la tête de la milice Wagner, ont été qualifiés par le FSB et par le Procureur général de Russie. <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jun/23/wagner-chief-accuses-russias-military-of-attack-and-says-evil-leadership-must-be-stopped">Une enquête pénale a été ouverte dès le soir du 23 juin</a> à l’encontre de celui qui est devenu le chef de guerre le plus célèbre depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, puis <a href="https://www.politico.eu/article/investigation-against-wagner-chief-still-ongoing-reports/">close 24 heures plus tard</a>… avant qu’on apprenne, le 26 juin, qu’elle <a href="https://www.leparisien.fr/international/russie-le-chef-de-wagner-toujours-vise-par-une-enquete-malgre-la-promesse-du-kremlin-26-06-2023-YMJ7F3JABZAEJLUAVRJCZBAXMM.php">serait en fait toujours en cours</a>.</p>
<p>La révolte semble avoir surpris tous les observateurs. Tout porte à croire que la présidence russe a également été prise de court par ces événements, comme en témoignent les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/russie-poutine-tente-de-reaffirmer-son-autorite-devant-les-russes">réactions confuses du Kremlin</a>. Pourtant, des <a href="https://www.lindependant.fr/2023/06/11/guerre-en-ukraine-tensions-entre-la-milice-wagner-et-larmee-russe-evgueni-prigojine-refuse-le-contrat-du-ministre-de-la-defense-11256001.php">tensions</a> existaient depuis plusieurs mois entre la milice Wagner et le ministère russe de la Défense, dirigé par Sergueï Choïgou, <a href="https://www.bfmtv.com/international/attaque-de-drones-sur-moscou-evgueni-prigojine-fondateur-de-la-milice-wagner-s-en-prend-au-ministre-de-la-defense-russe-serguei-choigou_VN-202305300889.html">cible récurrente des critiques de Prigojine</a>.</p>
<p>Il y a quelque chose de grotesque dans cette tentative de rébellion qui, ayant rempli une fonction performative, s’est volatilisée. Les mêmes traits carnavalesques sont propres à la figure de Prigojine, avec sa transgression des normes publiques (par exemple, le <a href="https://www.businessinsider.com/wagner-boss-screams-swears-putins-war-chiefs-shoigu-gerasimov-2023-5?r=US&IR=T">recours systématique à des jurons</a>) au nom d’une « justice » populaire. Ce n’est pas un hasard s’il a donné à sa mutinerie le nom de <a href="https://www.reuters.com/article/ukraine-crisis-russia-prigozhin-march/russian-mercenary-leader-prigozhin-this-is-a-march-for-justice-idUSS8N36M08B">« marche pour la justice »</a>.</p>
<h2>Quels étaient les ressorts de cette mutinerie ?</h2>
<p>Dès le début de l’invasion russe de l’Ukraine, le groupe Wagner s’est avéré un cas particulier. L’État central lui a en effet permis de prospérer <a href="https://theconversation.com/russias-reliance-on-mercenaries-in-ukraine-points-to-the-weakness-of-its-military-and-putins-strategy-of-deflecting-blame-190612">tout en remettant en question son propre exercice des missions régaliennes</a>, telles que le monopole de la violence légitime et le contrôle du système pénitentiaire. Prigojine a été autorisé à recruter des prisonniers en organisant des tournées dans les colonies pénitentiaires à travers le pays. C’est du jamais vu !</p>
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<p>Dans le système politique édifié en Russie ces dernières années, seul le « chef suprême », Vladimir Poutine, aurait pu le permettre. On peut s’interroger sur les motifs de cette complicité, l’un d’entre eux étant sans doute lié à la volonté politique de reporter, puis de réduire l’ampleur, de la mobilisation en Russie, perçue à juste titre comme une <a href="https://www.ft.com/content/dbb7db99-d78f-4dde-8e49-4d0e6732e484">mesure très impopulaire</a>.</p>
<p>Une fois déployée sur le front, Wagner a bénéficié d’une autonomie tactique totale, tandis que Prigojine a joui d’une liberté d’expression sans précédent en temps de guerre. En effet, il s’est permis d’attaquer personnellement le ministre Choïgou mais aussi le chef d’état-major <a href="https://theconversation.com/nomination-du-general-guerassimov-a-la-tete-des-operations-en-ukraine-un-tournant-dans-la-guerre-197827">Valeri Guerassimov</a>, tous deux proches de Poutine.</p>
<p>À travers divers moyens médiatiques, y compris des chaînes Telegram, Prigojine a dénoncé leur incompétence, les accusant d’être responsables de l’état désastreux des troupes, d’un système d’approvisionnement inefficace et même de traiter les soldats russes comme de la chair à canon (ce qui est ironique, compte tenu des <a href="https://www.euronews.com/2023/05/24/wagner-group-chief-acknowledges-skills-of-ukrainian-army-as-he-admits-heavy-losses-in-bakh#:%7E:text=The%20head%20of%20the%20Russian,eastern%20Ukrainian%20city%20of%20Bakhmut.">lourdes pertes subies par Wagner</a>.</p>
<p>Après la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-apres-la-prise-de-bakhmout-les-medias-russes-saluent-un-moment-historique_5840639.html">prise de Bakhmout</a>, principalement par les forces de Wagner, en mai dernier, Prigojine a intensifié sa rhétorique en mettant en avant son « efficacité » face à l’incapacité des généraux et la corruption du ministère de la Défense.</p>
<p>Le conflit qui les opposait a atteint un niveau supérieur autour du 10 juin, lorsque Choïgou, visiblement avec l’accord de Poutine, a contraint toutes les « unités de volontaires » à conclure des contrats avec le ministère avant le 1<sup>er</sup> juillet suivant. Cela signifiait essentiellement que Prigojine, dont les <a href="https://www.pravda.com.ua/eng/news/2023/05/31/7404714/">ambitions personnelles et potentiellement politiques</a> n’ont entre-temps cessé de croître, a été « sacrifié » par le commandement militaire.</p>
<p>Il est probable que l’idée d’une mutinerie ait été conçue dans les jours qui ont suivi cette décision. Même s’il semble qu’un plan ait été élaboré, l’objectif que Prigojine s’était fixé reste peu clair : envisageait-il réellement de se rendre jusqu’à Moscou pour prendre le contrôle de la capitale de force, ou cherchait-il à négocier sa vie et son avenir à travers une démonstration de force spectaculaire mais finalement désespérée, tout en sachant que le régime pouvait se débarrasser de lui à tout moment ? À ce stade, la question demeure sans réponse.</p>
<h2>Qu’est-ce que ces 24 heures révèlent au sujet du commandement politique et militaire russes ?</h2>
<p>Le régime russe n’était visiblement pas préparé à la mutinerie de Wagner, comme en témoigne <a href="https://fr.euronews.com/2023/06/24/prigojine-revendique-le-controle-du-qg-militaire-de-rostov">l’adresse de Poutine à la nation le matin du 24 juin</a>, dans laquelle il évoquait le spectre de la guerre civile, un sujet particulièrement sensible en Russie qui a connu une guerre civile meurtrière en prolongement de la Première Guerre mondiale. En dénonçant un « coup de poignard dans le dos », Poutine n’a pas nommé directement l’auteur de ce coup. Dans ses déclarations du 26 juin, il n’a toujours pas cité Prigojine mais <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-ce-qu-il-faut-retenir-de-la-journee-du-26-juin_5913929.html">n’a pas manqué de remercier</a> les responsables de la sécurité de l’État, dont Choïgou, d’avoir « évité une effusion de sang ».</p>
<p>En effet, Poutine lui-même porte une part de responsabilité dans ces événements, car le phénomène Prigojine doit son existence à sa <a href="https://www.bfmtv.com/podcasts/le-titre-a-la-une/comment-prigojine-est-passe-de-proche-de-poutine-a-traitre-a-la-nation_EN-202306260673.html">proximité personnelle</a> avec le chef du Kremlin. Il semble que ce lien interpersonnel ait fait oublier à Poutine les risques qui lui étaient associés.</p>
<p>Pendant la rébellion, on a pu observer à tous les niveaux de l’appareil d’État russe des réactions <em>ad hoc</em>, telles que la destruction de routes pour ralentir la progression des forces de Wagner en direction de Moscou et l’envoi de deux généraux pour négocier avec Prigojine à Rostov-sur-le-Don (tandis que Choïgou et Guerassimov ne sont pas alors apparus dans l’espace public). La rébellion a ainsi révélé des failles importantes dans la sécurité interne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1672463543189348352"}"></div></p>
<p>La mutinerie a surtout révélé le potentiel destructeur de la rivalité entre différentes factions qui se revendiquent toutes du « patriotisme », élevé au rang de principal marqueur politique sous Poutine. Prigojine a pu incarner un patriotisme violent et militariste, farouchement opposé aux élites « corrompues » et même au capitalisme, mélange idéologique qui a trouvé écho auprès d’une fraction de l’opinion publique russe.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vladimir-poutine-deborde-par-lextreme-droite-russe-191137">Vladimir Poutine débordé par l’extrême droite russe ?</a>
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<p>Les témoignages disponibles montrent que les forces de Wagner ont été <a href="https://www.theguardian.com/world/video/2023/jun/25/crowds-cheer-wagner-fighters-as-they-leave-rostov-on-don-video">accueillies favorablement par une partie de la population à Rostov</a> lorsqu’elles ont pris le contrôle de la ville. Prigojine n’est pas le seul à considérer le régime de Poutine comme étant « trop mou » et « trop clément » envers l’Ukraine. Par exemple, un autre chef de guerre et blogueur militaire, <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/europ%C3%A9en-de-la-semaine/20220611-igor-strelkov-l-amertume-du-nationaliste-russe-face-%C3%A0-la-guerre-en-ukraine">Igor Strelkov</a> (Guirkine), a co-fondé en avril dernier le Club des patriotes en colère. On assiste donc à une espèce de surenchère patriotique, où divers acteurs, tant étatiques que non étatiques, rivalisent avec le régime pour revendiquer l’adhésion à un patriotisme « authentique ».</p>
<h2>Vladimir Poutine sort-il affaibli de cette séquence ?</h2>
<p>Il est difficile de prédire avec précision l’impact de cette mutinerie sur le régime de Poutine.</p>
<p>La rébellion de Wagner a sérieusement entaché la réputation des forces armées russes et l’image d’unité nationale promue par la propagande et saluée par Poutine. Dans ce contexte, la <a href="https://www.russiapost.info/politics/conservative_critics">tolérance relative du Kremlin envers ses critiques radicaux</a> risque de diminuer considérablement. Parallèlement, le scénario de purges au sein des élites, bien que limitées, devient plus probable qu’il y a encore quelques semaines.</p>
<p>La rébellion a aussi révélé un manque de confiance populaire envers la politique du régime. Pendant la tentative de rébellion, de nombreuses blagues ont circulé abondamment sur les réseaux sociaux, comme <a href="https://novayagazeta.eu/articles/2023/06/24/putin-konchilsia">celle-ci</a> : « L’armée russe était la deuxième au monde en 2021, la deuxième en Ukraine en 2022 et la deuxième en Russie en 2023. »</p>
<p>Notons également les conséquences sur la ligne de front en Ukraine : jusqu’à 25 000 combattants (expérimentés) de Wagner risquent d’être renvoyés s’ils ne prêtent pas allégeance au régime et au commandement militaire russes. Poutine a <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/poutine-une-breve-allocution-pour-remercier-les-russes-de-leur-patriotisme-20230626_O6US5YZMS5ANJPUIV2APDRADVM/">publiquement tendu la main</a> à ceux d’entre eux qui ont « reconnu leur erreur », tout en promettant aux autres qu’ils pourraient « partir en Biélorussie ».</p>
<p>Dans tous les cas, les forces ukrainiennes <a href="https://www.lesoir.be/521824/article/2023-06-26/lukraine-accelere-sa-contre-offensive-apres-le-psychodrame-wagner">tentent déjà d’exploiter</a> cette situation ainsi que la perturbation de la chaîne d’approvisionnement des armées russes causée par la « marche » de Prigojine pour accélérer leur contre-offensive.</p>
<h2>Quel sera le sort d’Evguéni Prigojine ?</h2>
<p>Aujourd’hui, personne ne le sait avec certitude. Les détails de <a href="https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4042875-20230626-rebellion-avortee-wagner-accueillant-prigojine-bielorussie-alexandre-loukachenko-fait-pari-risque">l’accord conclu entre le régime russe et Prigojine</a>, par l’entremise du dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko, restent inconnus. Prigojine se verra-t-il offrir un poste ou un champ d’action dans le pays voisin désormais sous contrôle russe ? En tout état de cause, il semble clair qu’il ne pourra plus bénéficier de la confiance de Poutine. La trahison, ou ce qui est perçu comme tel, est considérée comme un crime capital au sein d’un système de pouvoir bâti sur les allégeances personnelles et la loyauté envers la hiérarchie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-vladimir-poutine-a-mis-en-place-une-verticale-de-la-peur-en-russie-201796">Comment Vladimir Poutine a mis en place une « verticale de la peur » en Russie</a>
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<p>Se pose également la question de <a href="https://www.sudouest.fr/international/russie/russie-a-l-etranger-quelle-strategie-desormais-pour-wagner-le-bras-arme-de-moscou-15706222.php">l’avenir du groupe Wagner</a>, étant donné qu’il s’agit d’une structure qui, au-delà de son rôle sur le front en Ukraine, s’est précédemment implantée au Moyen-Orient (en Syrie) et en Afrique (notamment en République centrafricaine et au Mali). Sera-t-elle entièrement incorporée dans les institutions de l’État russe ? Dans ce cas, elle perdrait l’un de ses avantages : la flexibilité d’une compagnie militaire privée dont les combattants sont prêts à faire « le sale boulot » à titre de mandataires, <a href="https://theconversation.com/dans-les-coulisses-du-groupe-wagner-mercenariat-business-et-diplomatie-secrete-200492">moyennant une récompense</a>. Si, en revanche, cette caractéristique d’organisation associée mais non intégrée à l’État est maintenue, la question de la succession à Prigojine sera difficile à résoudre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208593/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jules Sergei Fediunin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les événements des 23-24 juin derniers auront des conséquences considérables aussi bien pour le pouvoir russe que pour la guerre que le Kremlin livre à l’Ukraine.Jules Sergei Fediunin, Post-doctorant au Centre d'études sociologiques et politiques Raymond Aron (EHESS), Docteur en science politique associé au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE) de l'INALCO, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039422023-04-18T15:36:34Z2023-04-18T15:36:34Z« Nixon in China » : quand la géopolitique s’invite sur une scène d’opéra<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521623/original/file-20230418-21-ztxs92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C35%2C5973%2C3961&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le couple Nixon, invité en Chine en 1972, ici mis en scène par Valentina Carrasco.</span> <span class="attribution"><span class="source">Elena Bauer / ONP</span></span></figcaption></figure><p>L’opéra <em>Nixon in China</em> (1987), œuvre majeure de la fin du XX<sup>e</sup> siècle, est entré tout récemment au répertoire de l’Opéra national de Paris. Drame historique et politique en trois actes, l’œuvre de John Adams est composée sur un livret d’Alice Goodman, et mise en scène dans cette version par Valentina Carrasco.</p>
<p>Son intrigue repose sur un <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-opera_et_geopolitique_l_art_lyrique_entre_rayonnement_artistique_et_enjeux_politiques_matthieu_wagner-9782343236803-71526.html">événement emblématique des mutations géopolitiques</a> de la fin du XX<sup>e</sup> siècle : la visite de Richard Nixon en Chine en février 1972.</p>
<h2>Mettre en musique l’histoire récente</h2>
<p>À la lumière des tensions croissantes des relations sino-américaines et de la <a href="https://theconversation.com/macron-a-pekin-les-europeens-peuvent-ils-freiner-le-rapprochement-sino-russe-201980">visite récente</a> d’Emmanuel Macron et d’Ursula Von Der Leyen à Xi Jinping, cette production est une occasion de convoquer les grandes questions internationales du XX<sup>e</sup> et du XXI<sup>e</sup> siècles sous l’angle de l’opéra et du chant lyrique.</p>
<p>Non que la représentation de la politique à l’opéra soit une nouveauté : il est admis que le <a href="https://www.rtbf.be/article/nabucco-lopera-qui-a-marque-lhistoire-de-verdi-et-de-litalie-10950414"><em>Nabucco</em></a> (1842) de Verdi illustre et même engendre les prémices de l’unité italienne, de même que la dernière phase de l’expansion de l’Empire russe au XIX<sup>e</sup> siècle trouve sa voix, dans les appartements du Kremlin, dans la célèbre leçon de géographie de Fiodor dans le <em>Boris Godounov</em> (1869) de Moussorgski.</p>
<p>Mais dans ces deux cas, comme dans beaucoup d’autres opéras, la transposition dans d’autres époques et d’autres lieux induit une distance temporelle considérable entre l’époque de la composition et l’univers de l’opéra. L’histoire y a donc essentiellement un statut métaphorique alors même que la musique produit à chaque représentation un effet inverse d’immédiateté. Trépidation rythmique, pics d’intensité, hardiesses harmoniques et chant lyrique agissent sur les émotions et le corps du spectateur éprouvé dans l’époque et dans l’instant même de la performance.</p>
<p>Si l’opéra peut déclencher des passions politiques, la politique elle-même n’est-elle pas une forme d’opéra ? Fondé sur les temps forts du voyage de Nixon à Pékin en février 1972 au cours duquel le président américain, accompagné de son épouse et du conseiller Henry Kissinger – <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2012/03/20/de-la-chine-d-henry-kissinger-la-chine-de-kissinger_1672096_3260.html">architecte de cette visite historique</a> – rencontre les hauts dignitaires du régime communiste chinois, <em>Nixon in China</em> répond à cette question.</p>
<p>Cet opéra a pour originalité de présenter à l’époque de sa composition un argument tiré de l’histoire récente, voire de l’histoire immédiate. L’idée d’un opéra consacré à la visite de Nixon en Chine aurait germé dans l’esprit de Peter Sellars après sa lecture des <em>Mémoires</em> de Henry Kissinger. À cette époque, Sellars songeait également à concevoir sa propre version d’un ballet communiste chinois.</p>
<p>Ce fut <em>Nixon in China</em>, né de sa collaboration avec John Adams et Alice Goodman, tous trois issus de Harvard, une œuvre qui fait finalement écho aux mêmes critères de modernité thématique et musicale que les <a href="https://www.nytimes.com/2006/03/29/movies/yang-ban-xi-a-documentary-on-chinese-operas-as-propaganda.html"><em>yangbanxi</em></a>, les « œuvres modèles de la scène », opéras conçus pendant la Révolution culturelle et promus par Jiang Qing, la dernière épouse de Mao Zedong.</p>
<p>Dans le second acte de <em>Nixon in China</em>, le président américain et son épouse, la dévouée Pat, assistent aux côtés de Jiang Qing à une représentation du fameux ballet <em>Le Détachement Féminin Rouge</em> dont l’histoire célèbre l’héroïsme d’un régiment de femmes à l’époque de la guerre civile, dans les années 1930, dans l’île de Hainan – ballet auquel ils ont effectivement assisté.</p>
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<p>Cette mise en abyme – la représentation d’un ballet chinois à thème contemporain dans un opéra américain – montre la réussite du pari initial de Peter Sellars : <em>Nixon in China</em> répond effectivement aux mêmes critères de contemporanéité qu’un ballet communiste chinois. Mais s’il s’agit de s’emparer d’un sujet contemporain et qui plus est, de le traiter sur un mode réaliste et même documentaire, <em>Nixon in China</em> ne se réduit pas à ce que ses détracteurs ont appelé à l’époque de sa création un « CNN opéra ».</p>
<h2>Une semaine qui a changé le monde ?</h2>
<p>Lors de sa création sur la scène de l’opéra de Houston en octobre 1987, Peter Sellars n’avait pas lésiné sur les moyens : les époux Nixon et Kissinger sortaient de l’avion présidentiel reconstitué sur scène, le <em>Spirit of ‘76</em> – qui n’est rien d’autre que Air Force One – dont le nom rappelle l’esprit de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis.</p>
<p>Tout un symbole que Valentina Carrasco, née à Buenos Aires, n’a pas voulu reprendre à la lettre : dans la mise en scène de l’opéra Bastille, un autre emblème de l’Amérique, un terrifiant aigle de métal aux yeux rouges, se pose sur le tarmac de l’aéroport de Pékin. Il faut se souvenir que le 21 février 1972, la poignée de main entre Mao et Nixon a eu à l’époque un retentissement historique presque aussi grand que le premier pas de Neil Armstrong sur la lune trois ans plus tôt.</p>
<p>Au terme de cette <a href="https://asialyst.com/fr/2022/02/21/50-ans-apres-visite-nixon-chine-laisse-gout-amer/">semaine de voyage officiel en Chine</a>, Nixon avait porté un toast en déclarant : « nous avons été ici une semaine. Une semaine qui a changé le monde ». Alors que la guerre du Viet Nam battait son plein et que l’anticommunisme américain voyait dans le schisme sino-soviétique une opportunité diplomatique, la visite de Nixon en Chine contribua-t-elle réellement à la détente ?</p>
<p>Le texte d’Alice Goodman habilement construit sur une succession de scènes décrivant le faste des réceptions officielles et des moments intimistes de solitude et de doute, renvoie les deux protagonistes dos à dos.</p>
<p>Lorsque Nixon, par la voix du baryton Thomas Hampson, chante « Joignons nos mains, faisons la paix, pour une fois/L’histoire est notre mère », un Mao incarné par le ténor John Matthew Myers, lui répond : « L’histoire est une sale truie/Si par chance nous échappons à son groin/Elle nous écrase ».</p>
<p>Le président américain tente de le ramener à des considérations géopolitiques plus concrètes : « Parlons à présent de Taïwan/Du Vietnam et des problèmes de là-bas, du Japon… ».</p>
<p>On ne peut que constater, à l’aune de l’actualité récente, l’étonnant continuo des questions internationales évoquées dans <em>Nixon in China</em>, un des airs principaux revenant à Pat Nixon, incarnée par Renée Fleming, soprano lyrique américaine au statut de star internationale.</p>
<p>En manteau rouge, elle joue à cache-cache et sympathise avec le dragon chinois. Préfigurant la fameuse « fin de l’histoire » théorisée par Francis Fukuyama après la chute de l’Union soviétique en 1991, l’air de Pat Nixon, « This is Prophetic » débute ainsi : « Voici la prophétie ! Je vois/Qu’un temps va venir où le luxe/Se dissoudra dans l’atmosphère/Comme un parfum, où de toutes parts/Les vertus les plus simples prendront racine/Et donneront des branches,/Des feuilles et des fleurs ».</p>
<p>L’éloquence des personnages portée par les vers d’Alice Goodman est renforcée par la musique de John Adams, un compositeur minimaliste de la seconde génération inspiré par Philip Glass, Steve Reich et Terry Riley. Consonante et répétitive, caractérisée par un certain statisme harmonique créant chez l’auditeur un sentiment d’attente, la musique se colore de rythmes syncopés et des interventions éclatantes des cuivres. Sur ce riche tapis orchestral, les parties vocales se déploient en phrases mélodiques tour à tour déclamatoires, introspectives ou virtuoses. L’air de Jiang Qing, la femme de Mao <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2012/02/25/une-chanteuse-future-premiere-dame-de-chine_4326993_1819218.html">qui était elle-même actrice et chanteuse</a>, est chanté par Kathleen Kim. Il s’agit d’un morceau de bravoure réservé à une soprano colorature à la manière de la Reine de la Nuit.</p>
<p>Notons que Peng Liyuan, l’épouse de Xi Jingping, est une soprano reconnue en Chine : en 1980, jeune soldate de l’Armée populaire de libération, elle est remarquée pour son talent vocal et se produit dans des spectacles pour soutenir le moral des troupes ; elle deviendra ensuite une artiste très populaire.</p>
<h2>De la diplomatie du ping-pong à la Révolution culturelle</h2>
<p>Valentina Carrasco a voulu, pour cette première production à l’Opéra national de Paris, traiter le fait historique de la visite de Nixon en Chine d’un point de vue métaphorique. Elle a en tous cas, cherché à se démarquer de la mise en scène « réaliste » qui avait été celle de la création de l’œuvre à l’opéra de Houston.</p>
<p>À la base même de toute sa mise en scène, la diplomatie du ping-pong : en 1971, au cœur de la guerre froide, alors que les relations entre la Chine et les États-Unis étaient au point mort, les équipes nationales chinoises et américaines de tennis de table avaient participé au Japon aux Championnats du monde. Alors que toute relation entre sportifs chinois et américains était interdite, des échanges amicaux eurent tout de même lieu, incitant finalement les autorités chinoises à convier les sportifs américains en Chine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wlfNehByADI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ainsi, le sport aurait joué un rôle de médiation diplomatique et permis l’invitation reçue, quelques mois plus tard, par Richard Nixon. La metteuse en scène est donc partie de l’idée intuitive d’une table de ping-pong, « une belle image pour symboliser le jeu politique : deux espaces s’affrontent où les joueurs se renvoient la responsabilité. Le ping-pong est aussi très percussif, comme la musique de John Adams. Plusieurs pages de la partition évoquent le va-et-vient rythmique d’une balle. C’est aussi un sport très chorégraphique ; ce qui est intéressant pour cette œuvre où les scènes de chœur sont nombreuses », confie la metteuse en scène. Au chœur reviennent en effet, des <a href="https://youtu.be/_RSP1HH0CPg">parties très brillantes de l’œuvre</a>, composées selon une écriture verticale, non contrapuntique, les chœurs chantant d’une seule voix à l’image de la foule endoctrinée.</p>
<p>On peut être moins convaincu par l’usage un peu trop didactique d’extraits documentaires à propos de la guerre du Viet Nam et des horreurs de la révolution culturelle (1966-1976). À l’acte I, la surélévation du plateau au moment de la rencontre de Nixon et de Kissinger permet de saisir les dessous de la rencontre officielle.</p>
<p>Dans le bureau de Mao Zedong, les protagonistes échangent des considérations philosophico-politiques tandis que dans les entrailles de la scène transformées en sinistres geôles, des gardes rouges procèdent à un autodafé continuel précipitant dans un four rougeoyant, livres et instruments interdits, notamment un violon, référence à un extrait du documentaire de Murray Lerner <em>De Mao à Mozart</em> (1981)_ <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SlDJ2aE7iGs">projeté ensuite</a>. Une manière sans doute un peu trop appuyée de rappeler que la révolution culturelle avait <a href="https://theconversation.com/chine-la-musique-objet-hautement-politique-161784">totalement proscrit la pratique de la musique occidentale</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/manhattan-science-en-fiction-75523">« Manhattan », science (en) fiction</a>
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<p>Devenu classique, ce premier opéra de John Adams a été suivi par d’autres œuvres inspirées de l’histoire du second XX<sup>e</sup> siècle comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FtnXSra0ZYQ"><em>The Death of Klinghoffer</em></a> (1991) à propos de la prise d’otages de l’<em>Achille Lauro</em> sur un livret d’Alice Goodman ou encore <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PKvKHl9qskk"><em>Doctor Atomic</em></a> (2005) évoquant Robert Oppenheimer et le projet Manhattan sur un livret de Peter Sellars.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fondé sur les temps forts du voyage de Nixon à Pékin en 1972, cet opéra mis en scène par Valentina Tarrasco expose des enjeux de politique internationale qui font écho à l’époque contemporaine.Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037772023-04-17T15:58:32Z2023-04-17T15:58:32ZL’Inde, nation multiculturelle aux immenses ambitions internationales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521025/original/file-20230414-28-6rytjb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C55%2C7348%2C4847&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À New Delhi, le 26&nbsp;janvier 2017, défilé de véhicule militaires emportant le missile de croisière supersonique à moyenne portée Brahmos, lors de la 68<sup>e</sup>&nbsp;célébration du Jour de la République.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/new-delhi-india-january-26-2017-1897758673">PradeepGaurs/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Désormais le pays le plus peuplé de la planète avec <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-du-lundi-17-avril-2023-7300367">1 milliard 428 millions d'habitants</a>, l’Inde abrite de multiples cultures sur son territoire. Aujourd’hui, le premier ministre Narendra Modi cherche à forger l’image d’un peuple indien uni, voire uniforme, tourné vers l’ambition de faire de « la plus grande démocratie du monde » une superpuissance. Dans son ouvrage <a href="https://editions.flammarion.com/breve-histoire-de-linde/9782080285386">Brève histoire de l’Inde. De pays des mille dieux à la puissance mondiale</a>, paru le 5 avril aux éditions Flammarion et dont nous vous présentons ici quelques extraits, Anne Viguier, spécialiste de l’histoire de l’Inde et de l’Asie du Sud, montre toute la complexité d’une société hétérogène qui s’interroge autant sur elle-même que sur son rapport au monde extérieur.</em></p>
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<h2>Un mille-feuille de langues et de cultures</h2>
<p><em>Un conservatoire de la diversité humaine</em></p>
<p>[…] La singularité de l’Inde ne vient pas d’une histoire du peuplement par vagues successives. Après tout, l’ensemble de la planète fut peu à peu colonisé par <em>Sapiens</em> de cette manière. L’Europe sans la Russie, aussi vaste que l’Asie du Sud, est également habitée par des populations diverses, et on sait bien que les peuples germaniques s’y sont mêlés aux Celtes qui les avaient précédés à l’ouest. Mais ce qui surprend, en Inde, c’est que les traces linguistiques de ce passé ancien sont accompagnées de particularismes culturels qui semblent résister au temps, sans que des frontières politiques ne séparent les groupes sur la longue durée : ce n’est pas le politique qui, comme en Europe, a construit cette diversité résistante.</p>
<p>Pourtant, l’Inde fut la matrice de royaumes et d’empires parfois immenses. Par quel mystère l’unification politique échoua-t-elle à s’imposer de manière durable, même sur une partie du territoire, avant que la conquête coloniale britannique ne vienne, au XIX<sup>e</sup> siècle, tenter de soumettre chaque Indien à la même loi ?</p>
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<p>L’Inde vient remettre en cause le récit encore trop habituel d’une histoire de l’humanité suivant une trajectoire unique. […] Les récentes découvertes archéologiques, partout dans le monde, remettent en cause ce récit de référence. L’Inde se trouve être un laboratoire singulier des expériences collectives humaines. Y ont cohabité, jusqu’à nos jours, tous les modèles politiques, une infinité de coutumes, des formes d’organisation sociale parfois très fluides, parfois très rigides.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-foret-lieu-symbolique-et-mythique-des-recits-traditionnels-indiens-125507">La forêt, lieu symbolique et mythique des récits traditionnels indiens</a>
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<p>Rien ou presque ici de la centralisation chinoise, pas d’Église régissant les âmes ni de <em>limes</em> ou murailles fermant l’espace, une réinvention permanente des traditions, une conservation aléatoire d’un passé rarement mis à l’écrit et une capacité à s’emparer des inventions venues d’ailleurs, mais aussi d’y résister. Ainsi, l’Inde adopta des éléments de l’astrologie romaine, elle acclimata la médecine arabe, se régala bien vite du piment venu d’Amérique, mais ne se mit que très tard à utiliser le papier ou la brouette.</p>
<p><em>Ordonner le chaos</em></p>
<p>[…] N’imaginons pas que chaque groupe, en Inde, s’est refermé sur sa propre culture. Traversé d’échanges en tout genre (hommes, idées, marchandises), le monde indien s’est constamment recomposé, associant métissages et particularismes. Le propre des Indiens est peut-être leur capacité à se réclamer d’identités multiples, selon les circonstances, les besoins, les interlocuteurs.</p>
<p>Cette histoire complexe ne peut être passée sous silence, même si le récit présenté ici se veut bref. Car concevoir un récit unifié du passé de l’Inde est une gageure. En Inde, la multiplicité des récits sur l’histoire reste une réalité, chaque groupe ayant établi sa propre mythologie pour expliquer son origine, ce qui n’empêche pas ses habitants actuels de se reconnaître aussi dans un récit national plus récent qui leur donne la certitude de partager une culture commune justifiant l’existence d’un seul État.</p>
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<img alt="Vue aérienne de la Statue de l’Unité, en Inde" src="https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C3994%2C2988&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Statue de l’Unité, représentant Sardar Vallabhbhai Patel, l’un des pères fondateurs de l’Inde contemporaine, a été inaugurée en 2018 par Narendra Modi, dans l’État du Gujarat. Avec ses 240 mètres, elle est de loin la plus grande statue du monde. Modi y voit le symbole de l’unité et de la puissance du pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mahi.freefly/Shutterstock</span></span>
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<p>Un jeune Tamoul interrogé au sortir de sa salle de classe parlera avec fierté des dernières découvertes archéologiques témoignant d’une culture antique brillante dans le sud de l’Inde, à l’appui des descriptions tirées de la plus ancienne littérature écrite dans sa langue. Il évoquera comme une réalité historique l’ancienne légende d’un continent englouti, le pays de Kumari, réceptacle disparu d’une glorieuse civilisation dravidienne. Un militant du parti des nationalistes hindous, dans la plaine du Gange, affirmera avec conviction que les Indiens descendent des Arya, peuple autochtone dont les Européens forment une branche ultérieure venue d’Inde. Dans l’ouest du pays, les militants de la Shiv Sena (parti des « fils du sol ») glorifieront plutôt la geste d’un héros du XVII<sup>e</sup> siècle, Shivaji, qui combattit les puissants Moghols.</p>
<p>À chacun son époque de référence, son mythe, sa manière d’être au monde… De même que, dans l’hindouisme, le <em>dharma</em> n’impose pas de principes d’action universels, puisque chacun doit adapter ses interventions aux circonstances immédiates, à l’environnement (y compris aux agencements des astres) et aux règles propres à sa caste, de même la présence du passé résonne de manière singulière pour chacun, en dépit des efforts pour inventer une « nouvelle Inde » dépouillée de tous ces particularismes qui, selon certains, l’affaiblissent.</p>
<p>[…]</p>
<h2>Une fragile démocratie en quête d’un rôle mondial</h2>
<p>Au cours des années 2000-2010, le nationalisme hindou s’était doublé d’un national-populisme incarné par un nouveau leader, Narendra Modi. […]</p>
<p>En avril 2014, à l’issue d’une campagne à l’américaine anticipant le style Trump deux ans plus tard, le BJP emmené par Narendra Modi remporta les élections générales en réussissant l’exploit d’obtenir à lui seul la majorité absolue des sièges à la Lok Sabha. Même s’il restait minoritaire en voix à l’échelle nationale (31 %), le scrutin uninominal à un seul tour lui avait permis de remporter une majorité de circonscriptions, notamment dans la région hindiphone la plus peuplée.</p>
<p>Pour assurer cette victoire, le parti avait joué sur tous les tableaux : les militants les plus durs espéraient une mise en œuvre de la politique de l’<em>hindutva</em>, tandis que les hautes castes hindoues misaient sur l’abandon des quotas ; la jeunesse en quête d’emploi et de reconnaissance croyait au <em>Make in India</em> (fabriquer en Inde) promis par Modi ; les membres des basses castes espéraient une amélioration de leur sort par un homme qui revendiquait son origine modeste et racontait à l’envi son expérience de petit vendeur de thé dans l’échoppe de son père quand il était enfant.</p>
<p>Le premier mandat de Narendra Modi mit surtout en avant une politique économique offensive, tout en élaborant une personnalisation du pouvoir de plus en plus marquée. Les résultats mitigés firent croire, en 2019, que le BJP allait perdre les élections. Mais de nouveau, ce fut une grande victoire qui parut effacer de manière irréversible toutes les tendances antérieures à une régionalisation de la politique.</p>
<p>La façon dont la personnalité de Modi a été mise en scène y fut sans doute pour beaucoup. Dans la culture indienne, obsédée par la hiérarchie et les symboles, la projection ostensible du pouvoir est ce qui permet la reconnaissance quasi inconditionnelle d’un statut. Ce pouvoir peut être obtenu par différents moyens : la non-violence ou au contraire la violence ; ce n’est pas une question morale. Le succès est attribué au <em>karma</em> de l’individu. L’étoile qui monte est saluée avec une adulation disproportionnée. <em>A contrario</em>, on s’écarte rapidement de celui qui connaît une passe difficile. C’est pourquoi la propagande doit saturer l’espace médiatique pour diffuser l’image du succès et donc de la puissance, et s’assurer des allégeances renouvelées.</p>
<p>[…]</p>
<h2>L’ambition rêvée d’une superpuissance</h2>
<p>L’Inde n’est ni la Chine ni la Russie. Comment dompter une population si vaste, si diverse, comment enrégimenter toutes les castes, toutes les tribus, toutes les croyances, pour les faire tendre vers un but commun ? Certes, les moyens modernes de communication créent un espace imaginaire inédit pour réunir tous les Indiens. Certes, l’idéologie de l’<em>hindutva</em>, qui veut uniformiser l’Inde, s’est implantée au-delà de son bastion originel des régions nord-indiennes, surfant sur la xénophobie locale en Assam, au Gujarat ou au Maharashtra.</p>
<p>Mais de fortes identités régionales persistent au sud, au centre, à l’est. Les élections qui continuent malgré tout à ponctuer la vie politique le montrent. Les Indiens ont le temps. Un temps cyclique tropical. Ils aiment les films-fleuves pleins de chansons, les interminables matchs de cricket, les grandes fêtes qui s’étirent en longueur. Ils peuvent soudainement rejoindre une marche protestataire traversant l’Inde, abandonner leurs champs pour faire le siège de la capitale pendant un an, s’installer dans une rivière pour empêcher la construction d’un barrage ou, plus modestement, s’accrocher aux arbres pour empêcher qu’on les coupe. Tout dépend des lunettes que l’on chausse pour regarder, des lieux où l’on voyage, des personnes que l’on rencontre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-paysans-indiens-pourront-ils-faire-flechir-le-gouvernement-modi-109791">Les paysans indiens pourront-ils faire fléchir le gouvernement Modi ?</a>
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<p>Longtemps, les Français ont plutôt cultivé une fascination pour la Chine, un pays dont l’organisation quasi militaire pouvait mieux correspondre à l’esprit cartésien et au goût napoléonien pour l’ordre. L’Inde fascine certains qui y retournent sans cesse, mais effraie la majorité : trop complexe, trop diverse, trop religieuse et, aujourd’hui, trop intolérante ? C’est l’Europe tout entière, dans son multilinguisme, son fédéralisme inachevé, son idéal humaniste, qui devrait dialoguer avec l’Inde et concevoir des ponts, des échanges, aussi bien économiques que culturels.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Livre d’Anne Viguier « Brève histoire de l’Inde. Du pays des mille dieux à la puissance mondiale »" src="https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « Brève histoire de l’Inde. Du pays des mille dieux à la puissance mondiale », paru le 5 avril 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://editions.flammarion.com/breve-histoire-de-linde/9782080285386">Éditions Flammarion</a></span>
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<p>Le prix Nobel d’économie (1998) et inventeur de l’Indice de développement humain (IDH) Amartya Sen, dans son éclairant essai <em>The Argumentative Indian</em> (2005), en commentant la pensée de Rabindranath Tagore qui affirmait que « l’idée de l’Inde » militait contre « la conscience intense de la séparation de son propre peuple et des autres », souligne que cela vaut autant à l’intérieur du pays – qu’il ne faut pas voir comme une mixture de cultures juxtaposées – que pour la relation de l’Inde avec l’extérieur.</p>
<p>C’est un message refusant une définition exclusive de l’identité. Ouverture à l’espace, mais foi dans la possibilité du renouvellement : « Quand les vieilles paroles expirent sur la langue, de nouvelles mélodies jaillissent du cœur ; et là où les vieilles pistes sont perdues, une nouvelle contrée se découvre avec ses merveilles », écrivait aussi Tagore dans <em>L’Offrande lyrique</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203777/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Viguier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Historiquement constitué d’une mosaïque de langues et de cultures, le deuxième pays au-delà du milliard d’habitants compte s’imposer comme puissance économique et géopolitique.Anne Viguier, Directrice du département Asie du Sud et Himalaya, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031022023-04-11T17:00:19Z2023-04-11T17:00:19ZL’ombre de la guerre en Ukraine sur les législatives en Estonie<p>Les législatives estoniennes tenues le 5 mars 2023 se sont soldées par une large victoire du Parti de la Réforme de la première ministre sortante, Kaja Kallas. Avec <a href="https://rk2023.valimised.ee/et/election-result/index.html">31 % des suffrages</a>, cette formation de centre droit devance nettement l’extrême droite (Parti populaire conservateur estonien, EKRE, 16,1 %) et le centre gauche (Parti du Centre, <em>Keskerakond</em>, 15,3 %). La Réforme dispose d’une majorité confortable (37 sièges sur les 101 du Parlement) et s’apprête à créer une coalition gouvernementale avec le parti Estonie 200 (droite progressiste et ultralibérale, 13,3 %) et les Sociaux-démocrates (gauche progressiste, SDE, 9,3 %).</p>
<p>Si les négociations en cours aboutissent, l’Estonie pourra se targuer d’avoir à sa tête une nouvelle coalition globalement représentative d’une démocratie libérale et progressiste. Même s’il y a des limites à cette belle unité (les SDE prônent une politique plus sociale que les deux autres formations, acquises aux modèles économiques ultra-libéraux ; et la Réforme émet des réserves sur l’adoption du mariage pour tous, souhaitée par les SDE et Estonie 200), le pays a, au grand soulagement de nombreux habitants, évité le retour d’une <a href="https://www.liberation.fr/planete/2021/01/13/en-estonie-la-fin-de-la-coalition-entre-conservateurs-et-extreme-droite_1815898/">coalition réunissant les conservateurs et l’extrême droite</a> (comme celle issue des élections de 2019, et qui avait gouverné jusqu’en 2021).</p>
<p>Le contexte de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> a évidemment pesé sur le scrutin. Kaja Kallas prône sans ambiguïté un <a href="https://dcubrexitinstitute.eu/2023/03/estonias-liberal-wave/">soutien résolu de Tallinn à Kiev</a>, même si ce soutien a un coût socio-économique certain que l’extrême droite estonienne a tenté d’exploiter à son profit durant la campagne.</p>
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<h2>La posture ambiguë de l’extrême droite à l’égard de Moscou</h2>
<p>À de très rares exceptions près (comme lors du référendum sur l’adhésion à l’UE en 2003 ou l’intervention des troupes estoniennes dans la guerre en Irak en 2003), l’orientation pro-occidentale et la politique étrangère n’ont jamais véritablement constitué un objet de débat en Estonie.</p>
<p>Dès le début de la guerre en Ukraine, un <a href="https://news.err.ee/1608913331/poll-two-thirds-of-estonian-residents-back-continued-ukraine-military-aid">large consensus</a> s’est fait jour dans le pays sur la nécessité de soutenir Kiev et de sanctionner Moscou. Tous les partis politiques estoniens ayant obtenu le seuil nécessaire de 5 % pour rentrer au Parlement (<em>Riigikogu</em>) en 2023 s’accordent également sur la nécessité d’augmenter les dépenses budgétaires visant d’accroître les garanties de sécurité du pays.</p>
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<p>Toutefois, si EKRE a soutenu cette dernière mesure, la formation d’extrême droite s’est distinguée durant la campagne avec des <a href="https://www.populismstudies.org/the-impact-of-the-russia-ukraine-war-on-right-wing-populism-in-estonia/">positions pour le moins ambivalentes</a>. Elle a ainsi critiqué l’envoi de matériel militaire estonien en Ukraine, et s’est opposée à l’accueil des <a href="https://theconversation.com/lue-face-au-defi-de-lafflux-de-refugies-ukrainiens-181005">réfugiés ukrainiens</a>, affirmant que leur immigration massive ferait des Estoniens une minorité dans leur propre pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1516764823190654978"}"></div></p>
<p>S’y ajoutent les révélations, à la veille des élections, sur de supposés <a href="https://estonianworld.com/security/politico-russian-paramilitary-group-tried-to-interfere-with-estonian-politics-through-ekre/">liens de l’extrême droite estonienne avec Evguéni Prigojine</a>, le chef de la compagnie militaire privée <a href="https://theconversation.com/dans-les-coulisses-du-groupe-wagner-mercenariat-business-et-diplomatie-secrete-200492">Wagner</a> – ce que EKRE nie, évidemment.</p>
<p>Si ce positionnement visait en partie à attirer vers EKRE les électeurs russophones (près de 28 % des 1,3 million d’habitants), il lui a sans doute aussi coûté des voix parmi ses électeurs ultra-nationalistes, traditionnellement très hostiles envers la Russie. À l’inverse, la constance de la Réforme en matière de politique étrangère fut un élément déterminant de sa victoire.</p>
<h2>Les enjeux économiques de la campagne</h2>
<p>La campagne a également été marquée par de vifs débats autour du pouvoir d’achat, de l’inflation (25,4 % en août 2023) et des inégalités sociales et régionales.</p>
<p>En 2022, 1,4 % de la population vivait dans la pauvreté absolue et <a href="https://estonianworld.com/life/almost-a-quarter-of-estonians-live-at-the-risk-of-poverty/">22,8 % dans la pauvreté relative</a>, c’est-à-dire avec moins de 763 euros par mois. Le taux de pauvreté relative est le plus élevé dans deux régions périphériques : au Nord-Est (<em>Ida-Virumaa</em>), peuplé dans la ville de Narva de quelque 95 % de russophones, et au Sud-Est du pays (<em>Võrumaa, Valgamaa, Põlvamaa</em>), seules régions où la Réforme n’a pas dominé.</p>
<p>Dans ce contexte économique et social difficile, les Sociaux-démocrates et le Parti du Centre promouvaient une meilleure redistribution des richesses et une attention particulière aux régions sinistrées. En revanche, les programmes de la Réforme et d’Estonie 200, qui promeuvent un modèle économique libéral, une intervention minime de l’État dans l’économie et la baisse des impôts, ne disaient pratiquement rien sur le pouvoir d’achat ou sur les déséquilibres sociaux et régionaux.</p>
<p>Le fait que la première ministre semblait davantage préoccupée par la politique étrangère (Ukraine) que par la situation intérieure fut rapidement instrumentalisé par l’extrême droite. EKRE a en effet trouvé un terrain fertile pour ses messages populistes au vu de l’insécurité économique des électeurs, accusant l’élite au pouvoir d’incompétence dans la gestion de l’inflation et des prix de l’énergie.</p>
<p>Si la virulence de l’extrême droite sur ces questions lui a valu d’obtenir la deuxième position à l’échelle du pays et la première (26,5 %) dans le Sud-Est, l’absence d’une offre plus sociale face à la crise socio-économique n’a pas réussi à dissuader les électeurs de reconduire la Réforme.</p>
<p>En réalité, plus que les questions sociales et économiques (sujets moins mobilisateurs en Estonie), cette campagne fut particulièrement dominée par l’opposition entre libéraux et conservateurs. Ce clivage s’est constitué progressivement depuis des années en Estonie, bien avant la guerre en Ukraine.</p>
<h2>D’un clivage ethnique à un clivage politique</h2>
<p>La vie politique estonienne des années 1990 et 2000 se caractérisait essentiellement par un processus de déconstruction du passé soviétique, la consolidation de l’État-nation, l’intégration euro-atlantique et la mise en œuvre de réformes économiques libérales.</p>
<p>Le principal clivage de cette période consistait surtout en une division entre forces politiques présentées comme « pro-estoniennes » (Pro Patria, Réforme…), et celles s’adressant aussi aux minorités russophones et, souvent, plus conciliantes avec la Russie (le Parti du Centre, les Sociaux-démocrates…). Ce clivage « ethnique » fut particulièrement visible au moment du conflit autour du <a href="https://www.liberation.fr/planete/2007/03/05/estonie-statue-de-la-discorde_86640/">déplacement du monument soviétique « Le Soldat de Bronze »</a> au printemps 2007, décision prise par les forces de droite au pouvoir et qui se solda par <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2007-4-page-6.htm">d’importantes émeutes à Tallinn</a> entre des russophones nostalgiques de l’URSS et des militants nationalistes estoniens irrités par l’usage des symboles soviétiques dans l’espace public.</p>
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<p>À partir de 2012, ce clivage entre « pro-estoniens » et « pro-russes » s’efface progressivement au profit d’un clivage entre forces progressistes et forces conservatrices. Cette évolution s’explique d’abord par l’apparition en 2012 d’EKRE, issu de la fusion d’un parti conservateur et agrarien, l’Union populaire estonienne et d’un groupuscule ultranationaliste, le Mouvement patriotique estonien.</p>
<p>Dans les années suivantes, pendant les débats autour du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/ailleurs/l-imbroglio-de-l-union-civile-pour-homosexuels-en-estonie-7845679">projet d’union civile pour les homosexuels</a> en 2014 puis ceux sur <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/europe/en-estonie-la-peur-des-migrants-et-le-poids-de-lhistoire-201509221610-00002141.html">l’accueil des réfugiés en 2015-2016</a>, EKRE mobilise avec succès les Estoniens les plus conservateurs, ce qui participe à une division de la société qui s’accentue encore plus au moment de la crise sanitaire, quand le parti (de nouveau dans l’opposition à partir de janvier 2021) <a href="https://www.crisp.be/crisp/wp-content/uploads/analyses/2021-12-14_ACL-Biard_B-2021-Espace_de_libertes-extreme_droite_face_au_Covid-19_en_Europe_centrale_et_orientale.pdf">proteste</a> contre les mesures de restriction prises par le pouvoir.</p>
<p>Toutes ces situations de crise favorisent l’extrême droite qui réussit à attirer, aussi bien parmi les Estoniens « de souche » que parmi les russophones (la popularité de EKRE atteint 21 % chez les russophones en février 2022), un électorat conservateur et qui se méfie de « l’élite politique ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-au-parlement-europeen-ou-le-renard-dans-le-poulailler-194216">L’extrême droite au Parlement européen, ou le renard dans le poulailler</a>
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<h2>Le retour de la « question russe »</h2>
<p>Face à l’émergence progressive de ce clivage entre conservateurs et progressistes, la division entre les forces « pro-estoniennes » et « pro-russes » s’est donc estompée, mais elle est revenue sur le devant de la scène depuis le début de la guerre en Ukraine.</p>
<p>Le Parti du Centre, seule formation estonienne ayant pu vraiment être considérée comme « pro-russe », a formellement mis fin en 2022 au mémorandum de coopération qu’il avait signé en 2004 avec le parti du Kremlin <em>Russie unie</em> et a condamné l’invasion russe en Ukraine. Alors que, jusqu’à récemment, le Centre bénéficiait du soutien écrasant des russophones du pays (quasiment 78 % à son apogée), ce soutien est actuellement en baisse. La voix des russophones, une <a href="https://fr.euronews.com/2022/03/22/le-dilemme-des-russophones-d-estonie-entre-soutien-a-poutine-et-loyaute-a-l-ue">communauté très hétérogène</a>, est aujourd’hui de plus en plus dispersée entre les partis centristes ou libéraux mais aussi entre les forces les plus radicales, allant de l’extrême droite à l’extrême gauche.</p>
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<p>Si l’électorat de base de l’EKRE est nationaliste, eurosceptique et anti-russe, ce parti a aussi gagné en popularité auprès des russophones les plus âgés, les plus conservateurs et les plus hostiles à l’accueil des réfugiés d’Ukraine ou du Moyen-Orient. D’autant que la solidarité des principaux partis estoniens avec Kiev et certaines mesures récentes (déplacement des monuments soviétiques, <a href="https://estonianworld.com/knowledge/estonias-russian-schools-to-switch-to-estonian-language-schooling/">plan de transition vers un enseignement intégralement en estonien dans toutes les écoles du pays)</a> ont incité une partie considérable des russophones (<a href="https://news.err.ee/1608906971/ida-viru-county-vote-magnet-they-paid-for-accommodation-and-tickets">30 % des voix dans le Nord-Est)</a> à voter pour les candidats les plus critiques envers la politique du parti de la Réforme.</p>
<p>La nouvelle coalition devra gérer ces dissensions tout en s’engageant sérieusement dans la <a href="https://regard-est.com/estonie-au-seuil-dune-transition-energetique-radicale">transition énergétique</a> et en faisant face aux problèmes socio-économiques suscités par la <a href="https://www.rse-magazine.com/L-UE-investit-354-millions-d-euros-pour-que-l-Estonie-abandonne-le-schiste-bitumeux_a5123.html">fin de la production de schistes bitumineux</a>, dont les gisements se trouvent dans le Nord-Est du pays. La situation est donc complexe ; il n’en reste pas moins que, à ce jour, il est peu vraisemblable que l’Estonie (ou, d’ailleurs, les autres pays baltes) prenne un tournant illibéral : les gouvernements de coalition y sont toujours la norme, ce qui réduit la probabilité pour un parti comme EKRE de gouverner un jour seul.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203102/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Katerina Kesa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le parti de centre droit au pouvoir a remporté les législatives en Estonie, en prônant la poursuite d’un soutien résolu à l’Ukraine.Katerina Kesa, Politologue et Maîtresse de conférences en civilisation de l'espace baltique, membre du Centre de Recherches Europes-Eurasie (CREE) à l'INALCO. Co-rédactrice en chef de la revue Nordiques., Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1986272023-03-12T17:13:10Z2023-03-12T17:13:10ZXi Jinping, après dix ans de pouvoir : un avenir incertain<p>Il y a dix ans, le 14 mars 2013, <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/03/14/xi-jinping-l-homme-du-reve-chinois-elu-nouveau-president-de-chine-populaire_1847515_3216.html">Xi Jinping accédait à la présidence de la République populaire de Chine</a> , en étant élu par les quelque 3 000 membres de l’Assemblée nationale populaire. Il y a cinq ans, le 17 mars 2018, il était <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/03/17/xi-jinping-reelu-a-l-unanimite-pour-un-nouveau-mandat-de-5-ans-en-chine_5272345_3216.html">reconduit à ce poste</a>, peu après avoir fait adopter un amendement supprimant toute limitation à son nombre de mandats. Il a en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/05/xi-jinping-cherche-a-renforcer-davantage-son-pouvoir-lors-de-la-session-du-parlement-chinois_6164232_3210.html">obtenu un troisième</a> lors des <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/14/la-resistible-ascension-de-la-chine-pt-1-un-regime-mutant/">« deux Assemblées »</a> (Assemblée nationale populaire et Conférence consultative du peuple chinois) de mars 2023. À cette occasion, il a nommé ou confirmé des responsables qui lui sont acquis aux postes clés de l’État.</p>
<p>Au cours de ses dix années au pouvoir, Xi Jinping, <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/les-mots-de-xi-jinping-p.html">trois fois chef</a> (du Parti, de l’État et de l’Armée), aura dans tous les domaines renforcé son pouvoir personnel et celui du Parti. Toutefois, le président se trouve actuellement <a href="https://theconversation.com/20-congres-du-pcc-un-xi-jinping-plus-puissant-que-jamais-a-la-tete-dune-chine-fragilisee-193583">confronté à une situation particulièrement difficile</a> : trois années de pandémie, qui ont entraîné des <a href="https://theconversation.com/chine-du-confinement-a-la-rebellion-195580">manifestations inédites depuis Tian’anmen</a> et une dégradation de l’économie, les tensions accrues avec Taïwan et les <a href="https://theconversation.com/lattentisme-de-pekin-face-a-linvasion-de-lukraine-par-la-russie-178050">contrecoups de la guerre en Ukraine</a> auront des conséquences profondes.</p>
<p>Derrière l’affichage de la force se cachent des fragilités (structurelles et conjoncturelles) que le régime a toujours plus de mal à dissimuler. Plus que jamais, les logiques intérieures orientent les choix extérieurs. Les <a href="https://www.fdbda.org/2020/02/pekin-face-aux-crises-peripheriques-et-du-centre-le-tournant-conjoncturel-et-structurel-de-la-decennie-2020/">crises du centre et de la périphérie</a> ne sont toujours pas réglées. Elles demeurent des facteurs de vulnérabilité pour le régime.</p>
<h2>La Chine à l’intérieur : difficultés structurelles et conjoncturelles</h2>
<p>En ce début d’année, trois points essentiels semblent se dégager comme problématiques durables : encore et toujours la gestion de la pandémie et la démographie ; l’économie ; et le politique (à tous les niveaux de la hiérarchie, depuis le local jusqu’au Bureau politique).</p>
<p>Le 7 décembre 2022, le régime a subitement mis fin à la politique (très intrusive et draconienne) dite « Zéro Covid ». Si cette décision est liée au <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/chine-la-facture-salee-de-la-politique-zero-Covid_5652041.html">coût colossal qu’a eu pour la Chine la politique « zéro Covid »</a>, sa mise en œuvre soudaine s’explique aussi par les <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20221128-apr%C3%A8s-des-manifestations-d-une-ampleur-in%C3%A9dite-en-chine-la-censure-%C3%A0-l-%C5%93uvre">manifestations inédites</a> d’une population à bout de nerfs du fait des restrictions sanitaires et des mesures draconiennes.</p>
<p>Les conséquences sont immédiates : après un temps de doute (de nombreuses personnes sont restées chez elles dans les premiers jours), les Chinois, peu immunisés, ont multiplié les déplacements, notamment à l’occasion des <a href="https://www.courrierinternational.com/depeche/wuhan-des-fleurs-pour-le-nouvel-et-pour-les-morts-du-Covid.afp.com.20230121.doc.337j4b8.xml">festivités du Nouvel an chinois</a>, ce qui a <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/Covid-en-chine-l-epidemie-flambe-le-nombre-de-cas-double-tous-les-jours-selon-antoine-flahault_5555205.html">occasionné une flambée de l’épidémie</a>. L’ensemble du pays sera touché, et de nouvelles vagues de contamination vont gagner <a href="https://www.who.int/publications/m/item/weekly-epidemiological-update-on-Covid-19---25-january-2023">l’Asie, et rapidement le reste du monde</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fin-du-zero-covid-en-chine-consequences-et-risques-pour-une-population-peu-immunisee-196614">Fin du zéro Covid en Chine : conséquences et risques pour une population peu immunisée</a>
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<p>Si certains observateurs avancent que le <a href="https://fr.businessam.be/pic-infection-Covid-chine-reprise/">pic est passé dans plusieurs grandes villes</a> (notamment à Shanghai), la pandémie va durer encore de longs mois, voire plusieurs années. Mi-janvier, les autorités chinoises ont annoncé <a href="https://www.letemps.ch/monde/chine-reconnait-60-000-morts-covid19-un-mois">environ 60 000 décès du Covid en un mois</a>.</p>
<p>Selon l’institution britannique Airfinity, les chiffres seraient bien plus dramatiques : <a href="https://www.airfinity.com/articles/airfinitys-Covid-19-forecast-for-china-infections-and-deaths">il y aurait eu 700 000 décès depuis début décembre à la mi-janvier</a>.</p>
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<p>Partout dans le pays, et spécialement dans les grandes villes de l’Est et du Centre, les <a href="https://www.economist.com/1843/2023/01/05/inside-chinas-Covid-ravaged-hospitals">images d’hôpitaux saturés et manquant de médicaments sont éloquentes</a>. Plus rares sont les images similaires venant de villes de taille plus modeste et des campagnes. Ce qui ne signifie pas que la situation y soit meilleure, au contraire : c’est simplement que le niveau de couverture médicale y est moindre.</p>
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<p>Le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/Covid-19-les-riches-chinois-se-ruent-sur-les-vaccins-a-arn-messager-disponibles-a-macao">taux de vaccination</a> est encore en dessous du seuil suffisant pour protéger la population, notamment les personnes les plus âgées. Dans ce contexte, alors que la confiance de la population chinoise dans le vaccin demeure très limitée, les autorités auront à organiser une vaccination (avec rappels) de très grande ampleur. Pendant ce temps, la Chine pourrait voir la diffusion de nouveaux variants, une perspective qui induit une incertitude non seulement pour les marchés boursiers, mais aussi <a href="https://time.com/6246001/china-south-korea-japan-Covid-travel-visa/">pour le voisinage régional, de Singapour au Japon en passant par la Corée</a>. Un signe éloquent : lors de l’ouverture des « deux Assemblées », l’ensemble des membres portaient un masque, <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3212548/china-gdp-beijing-blames-widening-us-economic-gap-high-inflation-strong-dollar?module=perpetual_scroll_2&pgtype=article&campaign=3212548">à l’exception de Xi Jinping et des membres du Comité permanent du Bureau politique</a>.</p>
<p><a href="https://www.latribune.fr/economie/international/la-chine-va-enregistrer-en-2022-sa-pire-croissance-economique-depuis-1976-947987.html">L’économie chinoise est affaiblie</a> par trois années de restrictions sanitaires, la dégradation de l’environnement stratégique international et le ralentissement de la demande mondiale. Elle est aux prises avec des difficultés structurelles et conjoncturelles (<a href="https://asialyst.com/fr/2023/01/21/demographie-chute-libre-croissance-berne-chine-ambitions-contrariees/">vieillissement et poursuite de la chute de la fécondité</a>, montée du chômage, qui frappe désormais <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/la-chine-face-au-spectre-du-chomage-de-masse-1413469">plus de 20 % des moins de 30 ans</a>, crise de l’immobilier, <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/energie/face-a-une-penurie-d-energie-la-chine-mise-sur-le-charbon_AD-202209180116.html">pénuries d’énergie</a>, crise environnementale, etc.).</p>
<p>Les autorités annoncent pourtant un rebond de l’activité économique pour 2023. En cas de fort rebond <a href="https://www.coface.fr/Actualites-Publications/Actualites/Recession-inflation-Ukraine-Chine-politique-monetaire-L-annee-2023-vue-par-Jean-Christophe-Caffet-Chef-economiste-Coface">au deuxième semestre</a>, les conséquences seraient difficiles pour l’économie mondiale, notamment pour la reconstitution des stocks de gaz européens, et parce que ce rebond provoquerait une hausse des prix des produits de consommation et des matières premières, et les taux d’intérêt.</p>
<p>Parmi les enjeux majeurs à court terme, celui de la crise de l’immobilier est fondamental. Les faillites du géant de l’immobilier <a href="https://www.marianne.net/monde/asie/apres-la-crise-evergrande-pekin-vient-enfin-au-secours-de-son-secteur-immobilier"><em>Evergrande</em></a> ou du gestionnaire d’actifs <a href="https://www.letemps.ch/economie/chinois-huarong-lourdement-endette-leve-66-milliards-dollars"><em>Huarong</em></a> en témoignent. Ce secteur (l’un des moteurs du « miracle » économique chinois des années 1980 à 2010) représente <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2022/08/30/china-s-dependence-on-the-property-sector-as-an-engine-of-growth">probablement près de 30 % du PIB chinois</a>, environ 20 % des emplois et <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/05e0fbe4-fcdb-4041-94a0-420076567622/files/730ca0e9-0cf4-4478-9fdb-4341bfad6b81">75 % des actifs financiers des ménages</a>.</p>
<p>D’autre part, le <a href="https://www.reuters.com/markets/asia/china-drafts-rules-trust-firms-curb-shadow-banking-2022-12-30/"><em>shadow banking</em> (système bancaire parallèle)</a> demeure, et alimente des pratiques de corruption à toutes les échelles, malgré l’ampleur des politiques anti-corruption de Xi Jinping (aussi pour lutter contre ses adversaires).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1632230982849024000"}"></div></p>
<p>Le manque de liquidités ne permet pas au Parti-État de maintenir à flot l’ensemble de ses objectifs économiques. Malgré tout, le <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/12/13/la-chine-investit-1-000-milliards-de-yuans-dans-la-production-de-semi-conducteurs/">solde commercial continue d’être massif</a> (plus de 900 milliards de dollars cumulés sur l’année 2022), lié bien sûr aux marchés consolidés d’Europe, d’Amérique du Nord et de l’Asie industrialisée et développée. La demande intérieure chinoise demeure médiocre. Une <a href="https://www.ft.com/content/1795d723-d821-4a36-9bde-db8ebd644cd0">réunion importante du début d’année conduite par Xi Jinping</a> portant sur le secteur immobilier et l’assainissement des finances rappelle l’urgence à court et moyen terme pour le régime de moderniser le secteur. En outre, un effort particulier sera consacré aux nouvelles technologies, notamment dans le cadre de la <a href="https://www.institutmontaigne.org/analyses/autorite-technicite-la-reunion-de-lassemblee-nationale-populaire-et-la-gouvernance-de-xi-jinping">refonte des institutions de l’État annoncée lors de la réunion de l’ANP</a>.</p>
<p>Enfin, au niveau politique, le dernier Congrès en date a abouti à la nomination d’un Bureau politique <a href="https://asia.nikkei.com/Politics/China-s-party-congress/China-s-new-Politburo-United-only-by-loyalty-to-Xi-Jinping">inféodé à Xi Jinping</a>, dont le pouvoir semble établi pour encore de longues années. Cette mainmise induit discrètement une <a href="https://www.scmp.com/news/china/politics/article/3204776/absolute-loyalty-chinas-xi-jinping-tells-politburo-toe-party-line-under-all-circumstances">forme de mécontentement au sein du Parti</a>, qui, articulée à la contestation des mesures sanitaires par la population et le ralentissement économique, laissera sans doute une trace durable.</p>
<h2>La Chine dans le monde : nouvelles offensives</h2>
<p>L’enfermement politique dans lequel les choix de Xi Jinping ont conduit le régime impose un exercice de rééquilibrage de l’image internationale du pays. Lors du dernier sommet de Davos, le vice-premier ministre Liu He (envoyé spécial de Xi Jinping) a ainsi <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=aRjfygkP3rE">déclaré</a> « la Chine est ouverte », afin de rassurer et séduire l’Occident (surtout l’Europe) et de redorer une image écornée.</p>
<p>La <a href="https://www.asiafinancial.com/us-china-rivalry-may-spur-decoupling-of-chip-sector-bbc">rivalité stratégique sino-américaine</a> continue de structurer les relations internationales, dont Taïwan est devenue <a href="https://information.tv5monde.com/video/taiwan-pekin-deploye-71-avions-de-combat-autour-de-l-ile">l’un des points de tension essentiels</a>. Alors que des élections présidentielles auront lieu à Taïwan et aux États-Unis en 2024, le PCC ne se risquera pas sans doute pas, à court terme, à une invasion militaire, mais <a href="https://www.questionchine.net/risques-de-conflit-dans-le-detroit-de-taiwan-le-durcissement-chinois-face-a-la">cherchera à neutraliser les capacités diplomatiques de l'île</a> et intensifiera ses intimidations à son égard.</p>
<p>Incontestablement, <a href="https://www.orfonline.org/expert-speak/chinas-endgame-in-the-russia-ukraine-conflict/">l’évolution du conflit en Ukraine</a> aura un impact sur le degré de la proximité sino-russe, souvent dépeinte (à tort) comme une alliance. En réalité, la Chine et la Russie partagent une <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine%20--%209782724637908.htm">connivence tactique et stratégique contre l’Occident</a>, mais leur relation demeure très asymétrique. La guerre d’Ukraine favorise l’ascendant de Pékin sur la Russie (qu'il soutient implicitement) et lui permet de se présenter comme un « médiateur » et de <a href="https://theconversation.com/quand-la-chine-organise-un-nouvel-espace-de-vassalite-190932">raffermir ses liens avec les marges post-soviétiques</a>. Rappelons qu’ à ce jour la RPC n’a pas condamné la guerre en Ukraine et que Xi Jinping <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n177/article/pekin-et-le-conflit-ukrainien-un-opportunisme-pragmatique">n’a pas échangé avec Volodymyr Zelensky</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gGB5xBs-TDE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La première tournée africaine du nouveau ministre des Affaires étrangères Qin Gang <a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3206824/chinese-foreign-minister-qin-gangs-five-nation-african-tour-show-solidarity-strategic-importance">(en Égypte, au Bénin, en Éthiopie, au Gabon et en Angola)</a>, début janvier, a reflété l’importance des partenaires non occidentaux aux yeux de la Chine. Pékin travaille à un resserrement des relations avec le continent africain, malgré la prise de conscience progressive par les pays d'Afrique du <a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3206961/uganda-turns-away-belt-and-road-rail-deal-china-stalls-loans">piège de leur dette envers Pékin</a>.</p>
<p>Plus largement, la RPC souhaite <a href="https://theconversation.com/quand-la-chine-organise-un-nouvel-espace-de-vassalite-190932">entretenir un dense réseau de relations avec les pays émergents et en développement</a>, y voyant un levier contre l’Occident, en particulier à l’ONU. L’exemple récent de la signature d’un <a href="https://www.france24.com/fr/ %C3 %A9co-tech/20230110-pourquoi-la-chine-se-laisse-tenter-par-le-p %C3 %A9trole-des-taliban">contrat sur les hydrocarbures avec l’Afghanistan des talibans</a> montre combien le « vide » laissé par les Occidentaux est rapidement comblé par la puissance voisine, faisant fi du droit et des sanctions internationales en collusion avec le nouveau régime de Kaboul. Dernièrement, l’annonce depuis la Chine du <a href="https://www.letemps.ch/monde/moyenorient/liran-larabie-saoudite-se-reconcilient-pekin">rétablissement des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite</a> marque la réussite de la diplomatie chinoise et le recul de l’Occident face à Pékin.</p>
<p>L’issue des « deux Assemblées » verra la confirmation des orientations stratégiques de Pékin. Au plan intérieur, on constate des efforts sur le budget de défense, en <a href="https://www.lefigaro.fr/international/taiwan-alarme-par-la-hausse-du-budget-de-la-defense-chinois-20230306">hausse (7,2 %)</a>, malgré le ralentissement économique, mais aussi sur les technologies et sur la <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3212269/chinas-two-sessions-7-economic-points-look-out-annual-meetings-get-under-way">stimulation du marché intérieur</a>. Sur le plan international, la séquence confirme la poursuite du soutien implicite à la Russie, de la montée des tensions avec les États-Unis et du rapprochement avec les mondes non occidentaux. Pékin veut se présenter, plus que jamais, comme l’alternative aux États-Unis. Il reste que, malgré ses déclarations, le pouvoir chinois est <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/La-Suite-des-temps/Demain-la-Chine-guerre-ou-paix">bien moins sûr de lui-même et de son avenir qu’il le laisse croire</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198627/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p>Au pouvoir depuis dix ans, Xi Jinping est aujourd’hui confronté à un ensemble de difficultés économiques, politiques et internationales sans précédent depuis le début de son règne.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2001012023-02-23T20:33:01Z2023-02-23T20:33:01ZL’économie russe dans la guerre : pas d’effondrement, mais une érosion notable<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/510982/original/file-20230219-4579-jr4a86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C30%2C6699%2C4436&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le rouble s’est apprécié dans le courant de l’année 2022, mais il ne s’agit pas nécessairement d’une bonne nouvelle pour l’économie russe.
</span> <span class="attribution"><span class="source">bigshot01/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Au terme d’une année de guerre, les évolutions entrevues dès les premiers mois du conflit se confirment : l’économie russe échange moins avec le reste du monde, elle se désoccidentalise, l’État augmente son emprise sur l’économie nationale et les activités militaires absorbent une part croissante des ressources disponibles.</p>
<p>Pour l’analyste, ces évolutions sont surplombées par les restrictions imposées par les autorités à la publication des données économiques, dont certaines sont délibérément floutées, tandis que d’autres sont « retravaillées ». Dans ces conditions, une analyse rigoureuse de la conjoncture russe sur sources ouvertes est bien sûr plus difficile, mais reste possible.</p>
<p>Au-delà des sanctions, l’économie de guerre dans laquelle s’installe la Russie n’est pas sans conséquence sur ses entreprises et sa population. La question centrale est celle de la capacité de l’économie à maintenir ses principaux mécanismes de coordination dans les conditions d’une rupture de ses liens avec nombre de ses partenaires historiques.</p>
<p>À cela s’ajoutent de nouveaux déséquilibres intérieurs et extérieurs provoqués par la guerre et les sanctions internationales. Jusqu’à présent, le secteur productif, tout comme les ménages et les pouvoirs publics, ont démontré de réelles facultés d’adaptation : les véritables ruptures d’activité n’ont concerné que quelques secteurs. L’économie russe a donc résisté pour l’instant. Il s’agit ici d’estimer dans quelle mesure cette résistance est susceptible de durer.</p>
<h2>La demande globale : reconfiguration extérieure, atonie intérieure</h2>
<p>À l’extérieur de la Russie, le trait marquant de l’année 2022 a été la résilience des économies européennes face au choc de la guerre en Ukraine.</p>
<p>Malgré l’emballement initial des prix internationaux de l’énergie et des matières premières alimentaires, malgré le relèvement des taux d’intérêt directeurs des banques centrales pour contenir l’inflation, la croissance de l’UE a atteint <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/previsions-economiques-de-lhiver-2023-leconomie-de-lue-devrait-echapper-la-recession-mais-reste-2023-02-13_fr">3,5 % en 2022</a>.</p>
<p>Cela a contribué à maintenir un niveau de demande significatif pour les produits russes, en dépit des sanctions. Toutefois, le rôle du facteur géopolitique ne doit pas être sous-estimé : les graphiques 1 et 2 montrent que la décrue des prix du pétrole est postérieure à celle des importations de l’UE en provenance de la Russie. Cela reflète à la fois la réaction des entreprises européennes (qui ont réduit leurs commandes et leurs expéditions dès le déclenchement de la guerre en Ukraine, anticipant une dégradation de la conjoncture russe et un durcissement des sanctions) et les restrictions volontaires aux exportations de gaz vers l’UE que la Russie s’est imposées à elle-même. Par contrecoup, les importations russes de produits européens ont <a href="https://datawrapper.dwcdn.net/Gtb0a/3/">fortement chuté en mars et avril</a>, puis se sont stabilisées à partir de mai à des niveaux inférieurs de 43 % en moyenne à ceux de 2021.</p>
<p><strong>Graphique 1</strong></p>
<p><iframe id="SwY85" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/SwY85/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><strong>Graphique 2</strong></p>
<p><iframe id="Gtb0a" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Gtb0a/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La Russie a suspendu en 2022 la publication de ses statistiques de commerce extérieur. Les <a href="https://www.cbr.ru/analytics/dkp/monitoring/01_23/">données d’enquête de terrain</a> et celles, préliminaires, <a href="https://www.wita.org/atp-research/russia-u-s-export-restrictions/">produites par la Chine</a> corroborent l’hypothèse d’une substitution partielle et asymétrique du client chinois aux clients européens pour les hydrocarbures russes : les exportations russes vers la Chine, qui fléchissaient en début d’année, ont rebondi après le déclenchement de la guerre. </p>
<p>En même temps, la crise subie par la Russie s’est répercutée sur sa demande de produits chinois : pour la période janvier-juin 2022, les importations russes en provenance de Chine sont inférieures de 15,5 % à leur niveau de 2021 (voir graphique 3). Les deux tiers des 1 000 entreprises russes <a href="https://www.rbc.ru/economics/02/02/2023/63da2eda9a7947dc8601f42a">interrogées fin 2022 par l’institut russe d’études économiques Gaïdar</a> déclaraient trouver auprès des fournisseurs chinois des substituts aux équipements sous sanctions occidentales, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de compatibilité et de qualité.</p>
<p><strong>Graphique 3</strong></p>
<p><iframe id="6czc2" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/6czc2/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Face à la chute de la demande extérieure, la demande intérieure n’a pas joué le rôle d’amortisseur. Tout en déclinant après le pic de mars et avril, <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/impact-sanctions-russian-economy/#:%7E:text=Les%20estimations%20montrent%20que%20le,%2C8%20%25%20(OCDE).">l’inflation est restée forte (14 %)</a>, pesant sur le pouvoir d’achat des ménages et leur consommation, en baisse de 5,5 %. Le contrôle des changes imposé par la Banque centrale de Russie pour lutter contre le décrochage du rouble a conduit à une conversion, par les ménages russes de la classe moyenne, de leurs avoirs en devises vers les roubles (graphiques 4 et 5) ce qui, dans un contexte d’accélération de l’inflation, a réduit leur capacité à mobiliser leur épargne pour maintenir leur niveau de consommation.</p>
<p><strong>Graphique 4</strong></p>
<p><iframe id="oQiDN" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oQiDN/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><strong>Graphique 5</strong></p>
<p><iframe id="5uCIX" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/5uCIX/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La demande d’investissement émanant des entreprises n’a pas pris le relais d’une consommation des ménages en berne.</p>
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<p>Outre le facteur guerre, qui raccourcit l’horizon de décision des acteurs économiques et constitue un puissant frein à l’investissement, on peut citer <a href="https://ecfor.ru/publication/kvartalnyj-prognoz-ekonomiki-vypusk-56/">l’explication avancée par les chercheurs de l’académie des sciences de Russie (IPEN-ASR)</a> qui soulignent la dynamique complexe et contradictoire (civile et militaire, privée et publique) de l’effort d’investissement national.</p>
<p>La baisse des perspectives de demande, les restrictions financières et les problèmes d’approvisionnement en équipements et en logiciels ont déprimé la demande d’investissement du secteur privé civil. Cette baisse a été partiellement contrecarrée par le maintien de l’investissement public en matière d’infrastructures et de logements sociaux, ainsi que par l’accélération de l’effort de guerre avec la hausse des dépenses militaires. En conséquence, les chercheurs de l’académie des sciences considèrent que pour l’avenir proche « la principale question est de savoir dans quelle mesure la politique de l’État en matière de soutien à l’investissement pourra compenser la pause des investissements en capital fixe par les entreprises ». La baisse estimée de l’investissement est de -1,6 % en 2022 et devrait se prolonger en 2023 (-3 %).</p>
<h2>L’industrie russe sous pression</h2>
<p>Dans la continuité des premières salves de sanctions, de fortes pressions se sont exercées sur l’industrie russe durant le deuxième semestre 2022 : embargo sur certains composants et de nombreuses technologies, auquel se sont ajoutées les conséquences des retraits volontaires d’entreprises occidentales du marché russe.</p>
<p>En l’absence de données d’enquête de terrain, il est difficile d’évaluer à quel point la chute brutale des livraisons occidentales de semi-conducteurs pèse sur l’économie russe, qui avant la guerre en produisait peu pour ses propres besoins. Hongkong et la Chine sont devenus les principaux fournisseurs de circuits intégrés à la Russie, mais <a href="https://www.wita.org/atp-research/russia-u-s-export-restrictions/">leurs volumes restent largement inférieurs à 2019 et 2021</a>, l’année 2020 étant exclue de l’analyse du fait de la pandémie de Covid.</p>
<p>Il faut noter que parmi les différentes salves de sanctions entrées en vigueur, aucune n’a directement touché la rente pétro-gazière de la Russie jusqu’au dernier trimestre de 2022. Ce n’est que début novembre 2022, puis en février 2023 que les premières restrictions aux achats de pétrole et produits pétroliers ont été décidées. Les effets éventuels de ces mesures sur le budget et les recettes en devises ne pourront se faire sentir qu’en 2023. La bourse de Moscou, dont l’indice est composé majoritairement de valeurs financières et énergétiques, a pourtant déjà intégré la dégradation des perspectives économiques des entreprises concernées, enregistrant une chute de 50 % en un an (graphique 6).</p>
<p><strong>Graphique 6</strong></p>
<p><iframe id="h7N4I" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/h7N4I/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Parmi les fournisseurs alternatifs de la Russie dans le contexte des sanctions et de l’autorisation des « importations parallèles » par les autorités russes au printemps 2022, la Turquie, le Kazakhstan, de la Géorgie et de l’Arménie jouent un rôle significatif en tant que pays de transit des marchandises en provenance de l’UE. Pour ces pays, dans de nombreuses lignes de produits, les volumes d’exportation vers la Russie dépassent les capacités de production autochtones. Toutefois, même considérablement augmentés, les volumes restent limités, à la fois du fait de la baisse de la demande russe et du fait des coûts supplémentaires occasionnés par le contournement des sanctions, qui comportent par exemple les risques pris par les opérateurs contrevenant aux sanctions.</p>
<p>Pour prendre la mesure des goulets d’étranglement qui limitent la capacité de rebond de l’économie russe, il faut intégrer les pressions exercées par les décisions du pouvoir politique russe lui-même sur l’offre nationale. Dans un contexte de déprime démographique (la <a href="https://www.donneesmondiales.com/europe/russie/croissance-population.php">population russe décroît pour la cinquième année consécutive</a>) et de tensions structurelles sur l’emploi, la guerre et la mobilisation ont des conséquences négatives sur l’offre de travail, particulièrement dans les secteurs où la jeunesse est employée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/russie-linformation-economique-victime-collaterale-de-la-guerre-en-ukraine-179860">Russie : l’information économique, victime collatérale de la guerre en Ukraine</a>
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<p>Après la première vague d’émigration immédiatement consécutive au déclenchement de l’invasion, qui a touché les salariés déjà largement internationalisés des secteurs <em>high tech</em> et des services à haute valeur ajoutée, la « mobilisation partielle » de septembre (en réalité, une mobilisation générale qui ne dit pas son nom) a jeté sur les routes de l’émigration une frange plus large de la jeunesse russe, ce qui est susceptible d’aggraver les pénuries d’emploi dans la plupart des secteurs de l’économie.</p>
<h2>Une phase d’érosion – jusqu’où ?</h2>
<p>L’activité économique de la Russie s’est contractée, tout en résistant mieux que prévu au choc de la guerre. La chute du PIB est désormais estimée à 2,5 %, ce qui est moindre qu’en 2020, année de pandémie de Covid-19.</p>
<p>Tout en restant élevée, l’inflation décroît lentement, mais à partir de mi-septembre 2022, date de la mobilisation, les taux sur les obligations d’État ont cessé de suivre la décrue du taux directeur (graphique 7), signalant un possible divorce entre les objectifs de la politique monétaire et ceux de la politique budgétaire. Dans la <a href="https://rosstat.gov.ru/folder/313/document/196621">dernière enquête périodique de_ Rosstat_</a>, les chefs d’entreprise russes interrogés citent la mauvaise situation économique comme principal obstacle au développement de leurs activités. La conjoncture est jugée défavorable par 40 % des répondants au total, et par 60 % des dirigeants de l’industrie manufacturière.</p>
<p><strong>Graphique 7</strong></p>
<p><iframe id="KUJEP" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/KUJEP/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les milieux économiques russes eux-mêmes estiment donc qu’un retour à la normale n’est pas pour demain. L’économie de la Russie est entrée dans une phase d’érosion, consubstantiellement liée à la guerre en Ukraine. Nul ne peut prévoir à quelle échéance l’érosion se transformera en rupture, mais le risque n’est pas nul.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200101/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Vercueil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La guerre et les sanctions ont déjà eu des effets sur l’économie russe. Si un effondrement global est peu probable, les difficultés de l’État à financer la guerre risquent de s’accroître à l’avenir.Julien Vercueil, Professeur des universités en sciences économiques, Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1990362023-02-02T19:01:25Z2023-02-02T19:01:25ZLe nouveau président tchèque saura-t-il réconcilier ses concitoyens ?<p>Les 26 et 27 janvier derniers, les Tchèques <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230128-r%C3%A9publique-tch%C3%A8que-petr-pavel-remporte-l-%C3%A9lection-pr%C3%A9sidentielle">ont élu à la présidence Petr Pavel</a>, 61 ans, ancien chef d’état-major (2012-2015) et président du Comité de défense de l’OTAN (2015-2018).</p>
<p>Peu connu du grand public jusqu’à sa déclaration de candidature, l’ex-militaire – soutenu par la coalition de centre droit « Ensemble » dont le leader, Petr Fiala, est premier ministre depuis 2021 – succèdera au président sortant Miloš Zeman, qui était en poste depuis 2013. Ce dernier, personnalité majeure de la social-démocratie tchèque des années 1990, laisse derrière lui un bilan controversé du fait de sa politique <a href="https://www.lexpress.fr/monde/milos-zeman-un-president-tcheque-provocateur-pro-russe-et-pro-chinois_2160251.html">pro-russe et pro-chinoise</a>, ainsi que d’une pratique tendant à accroître ses pouvoirs, parfois en contradiction avec l’esprit de la Constitution.</p>
<p>L’élection, avec une ribambelle de neuf candidats à cette <a href="https://www.mzv.cz/paris/fr/republique_tch_que/donnees_de_base/syst_me_politique.html">fonction</a> ambiguë combinant un mandat direct (élection directe introduite en 2012) et des prérogatives plutôt modestes, est aussi l’occasion de faire le point sur les tendances qui animent la politique tchèque.</p>
<h2>Un agenda électoral marqué par la guerre en Ukraine</h2>
<p>Le style volontairement posé et calme de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/28/petr-pavel-ancien-general-de-l-otan-remporte-la-presidentielle-en-republique-tcheque_6159680_3210.html">Petr Pavel</a>, combiné à son expérience militaire, a sans doute résonné tout particulièrement dans un contexte international marqué par la guerre en Ukraine, qui se ressent comme très proche depuis Prague.</p>
<p>On estime à environ 600 000 le nombre d’Ukrainiens qui vivent aujourd’hui en Tchéquie, dont environ 400 000 ayant obtenu des visas de protection temporaire accordés aux personnes en danger dans leur pays. La question du positionnement des candidats sur la question de l’aide à l’Ukraine et aux Ukrainiens, mais aussi celle du rapport à la Russie, a ainsi été <a href="https://www.lopinion.fr/international/la-guerre-en-ukraine-pese-sur-lelection-presidentielle-tcheque">abordée dans tous les débats</a>. À l’inverse des positions ambiguës de son adversaire au second tour, l’ancien premier ministre <a href="https://www.politico.eu/article/czech-republic-election-oligarch-andrej-babis-war-russia-presidency/">Andrej Babis</a> (2017-2021), Petr Pavel a plaidé <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20230129.OBS68903/le-nouveau-president-tcheque-petr-pavel-plus-ouvert-a-l-union-europeenne-et-a-l-ukraine.html">pour la poursuite de l’aide à l’Ukraine et pour son adhésion à l’UE</a>, en phase avec la politique de l’actuel gouvernement tchèque.</p>
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<p>Si la guerre en Ukraine a constitué une rupture, des crises passées, telles que celle de l’accueil des migrants en 2015 et la pandémie de Covid-19, avaient déjà laissé une forte empreinte sur la répartition des forces dans l’espace politique tchèque.</p>
<p>En effet, elles avaient conduit certains acteurs politiques (dont Andrej Babis et le leader d’extrême droite <a href="https://www.courrierinternational.com/article/tomio-okamura-lex-eboueur-de-tokyo-devenu-chef-de-lextreme-droite-en-republique-tcheque">Tomio Okamura</a>) à instrumentaliser les inquiétudes exprimées au sein de la société pour mobiliser leurs sympathisants. Ces acteurs ont par ailleurs alimenté des craintes en diffusant des théories de complot et de fausses informations, conduisant à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21599165.2020.1856088">renforcer des expressions xénophobes</a> et à polariser la société. Des manifestations de masse contre les migrants, contre le port du masque et plus récemment contre le gouvernement et « pour la paix » en octobre dernier, sont devenues des expressions de ces nouvelles polarisations. La victoire de Petr Pavel, pro-européen et atlantiste, s’inscrit en contrepoint de ces mobilisations.</p>
<p>D’un certain point de vue, elle peut être aussi lue comme une étape dans ce que les observateurs voient comme la fin du compromis transpartisan en <a href="https://dspace.cuni.cz/bitstream/handle/20.500.11956/170756/H-15_Central_European_culture_wars_web.pdf">faveur d’une orientation occidentale</a> et atlantiste du pays, ainsi que de <a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/explaining-eastern-europe-the-crisis-of-liberalism/">l’adhésion à la démocratie libérale</a>. Désormais, ces positions, qui constituaient une forme de socle commun partagé par la plupart des forces politiques, apparaissent comme des sources de dissensus et de conflictualité.</p>
<h2>Après la défaite d’Andrej Babis, quel avenir pour son parti-entreprise ?</h2>
<p>L’élection de Petr Pavel marque aussi une nouvelle étape pour l’ancien premier ministre Andrej Babis qui espérait se rattraper aux présidentielles après <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/09/le-premier-ministre-tcheque-perd-les-elections-legislatives_6097762_3210.html">son échec aux législatives de l’automne 2021</a>.</p>
<p>D’origine slovaque, cet entrepreneur dans l’industrie agroalimentaire et chimique où il est entré au gré des privatisations des années 1990 a créé son parti, ANO, (« oui » en tchèque) en 2011. Cette formation est considérée comme un « parti-entreprise » populiste, puisque fondée par un entrepreneur, gouvernée à l’interne comme une entreprise et se revendiquant comme étant en rupture par rapport aux politiques « professionnels », et jouant des oppositions classiques entre élites et « gens ordinaires », que le milliardaire Babis serait d’après lui le plus à même de représenter. </p>
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<p><a href="https://information.tv5monde.com/info/l-avenement-du-trump-tcheque-198587">Comparé à Donald Trump</a> pour son image d’entrepreneur à succès, son usage des réseaux sociaux ainsi que ses pratiques de désinformation, ou encore à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/republique-tcheque-andrej-babis-le-berlusconi-de-prague">Silvio Berlusconi</a> pour son contrôle de titres de presse, Babis a repoussé les limites durant la campagne présidentielle, en misant l’essentiel de son message sur l’affirmation que son adversaire, étant soldat, entraînerait le pays dans la guerre.</p>
<p>Son cas permet d’examiner l’impact qu’un parti-entreprise peut avoir sur l’échiquier politique dans un <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/en/content/democratie-fatiguee-le-cas-tcheque.html">contexte d’affaiblissement des partis politiques traditionnels</a> ainsi que des clivages idéologiques classiques de type droite-gauche – même au-delà de Babiš, seuls deux candidats à la présidence sur neuf venaient d’un parti politique.</p>
<p>La flexibilité idéologique de Babiš, le rôle des cabinets de conseil et marketing dans la définition de ses positions, ainsi que la concentration entre ses mains du pouvoir de décision lui ont d’abord permis d’attirer l’électorat de ses partenaires de coalition (sociaux-démocrates), pour se tourner aujourd’hui, comme l’a montré la campagne présidentielle, vers les électeurs des partis d’extrême droite (dont le SPD de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/tomio-okamura-lex-eboueur-de-tokyo-devenu-chef-de-lextreme-droite-en-republique-tcheque">Tomio Okamura</a>).</p>
<p>En effet, si dans un premier temps (2011-2015), Babiš promettait de « diriger l’État comme une entreprise » et ciblait un électorat désabusé par les scandales à répétition des partis de droite, il s’est par la suite tourné vers l’électorat de ses partenaires de coalition. Le parti social-démocrate, un des rares dans la région à ne pas être issu d’une transformation du parti communiste, en a fait les frais lorsqu’il a <a href="https://voxeurop.eu/fr/la-gauche-seffondre-au-sein-dun-paysage-politique-polarise-et-fragmente/">perdu tous ses sièges au Parlement européen en 2019</a>, puis à la Chambre des députés en 2021 (ses propres divisions y sont bien sûr pour beaucoup aussi).</p>
<p>Flexible sur le plan idéologique, naviguant dans la mer des idées politiques avec le compas des sondages d’opinion, Babiš, 68 ans, avance d’élection en élection, préparant déjà les législatives de 2025 et essayant de rallier désormais aussi une partie des électeurs de l’extrême droite (SPD).</p>
<h2>Une présidence « au-dessus de la mêlée » dans une société de plus en plus divisée ?</h2>
<p>Les prérogatives présidentielles, plutôt honorifiques dans un système politique parlementaire, contrastaient jusqu’ici avec les personnalités fortes élues à ce poste après 1989 : l’écrivain et ancien dissident <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2012-1-page-107.htm">Vaclav Havel</a> (président de la Tchécoslovaquie de 1989 à 1992, puis de la Tchéquie de 1993 à 2003), l’économiste et leader souverainiste Vaclav Klaus (2003-2013), ainsi que le sus-mentionné Milos Zeman (2013-2023).</p>
<p>Le président peut néanmoins peser par son pouvoir de nomination du premier ministre et des ministres, mais aussi des juges de la Cour constitutionnelle, qu’il nomme en accord avec le Sénat et dont il faudra renouveler prochainement un nombre important (onze sur quinze dans les deux prochaines années). En outre, il a un poids par sa fonction de représentation à l’étranger (comme l’a montré la politique étrangère clivante de Milos Zeman) ou encore par son influence sur le débat public.</p>
<p>Sur ce point, les prises de position libérales de Petr Pavel sur les questions de société comme le mariage homosexuel sont attendues par une partie de ses électeurs. Il insistera sans doute également pour que la Tchéquie respecte l’engagement envers l’OTAN de renforcer le budget de la défense <a href="https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2022/6/pdf/220627-def-exp-2022-en.pdf">pour atteindre les 2 % du PIB contre les actuels 1,33 %</a>.</p>
<p>Un des défis de la présidence de Petr Pavel consistera à la fois à ramener la fonction présidentielle dans ses limites après les soubresauts des deux mandats de Milos Zeman, mais aussi à jeter des ponts à travers des divisions de la société qui s’expriment de plus en plus sous forme de camps à frontières étanches. Si cette image est exagérée, elle traduit bien un phénomène nouveau en Tchéquie, que l’on pourrait rapprocher, toutes proportions gardées, des divisions entre Républicains et Démocrates aux États-Unis, ou encore des électorats polonais ou hongrois.</p>
<p>En effet, les électeurs de Pavel évoquent les « 2 millions » d’électeurs de Babiš ou les 620 000 d’abstentionnistes du premier tour qui ont soutenu Babiš au second tour, pour exprimer l’effroi de « vivre dans le même pays » que « ces gens-là ». Ce « jeu à se faire peur » fonctionne dans un contexte où le gouvernement repose sur une large coalition de partis qui disposent d’une petite majorité et où la guerre en Ukraine ouvre de nouvelles opportunités pour la diffusion des fausses informations. Il fonctionne également parce que les divisions croissent sur le terreau des inégalités qui se creusent au sein de la société puisque, notamment dans les anciennes régions minières aujourd’hui désindustrialisées, mais aussi dans les grandes villes, la précarité s’accroît. Andrej Babis a effectivement <a href="https://www.paqresearch.cz/post/pavel-prezident-ruzne-obce">largement remporté le vote</a> de ces électeurs vivant dans la précarité. La traduction en politique de ces inégalités sera l’un des principaux enjeux des années à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199036/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jana Vargovcikova ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ferme face à la Russie et déterminé à réduire les clivages au sein d’une société de plus en plus divisée, Petr Pavel tranche nettement avec son prédécesseur Miloš Zeman.Jana Vargovcikova, Maîtresse de conférences en science politique, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.