tag:theconversation.com,2011:/institutions/universite-de-technologie-de-compiegne-utc-2567/articlesUniversité de Technologie de Compiègne (UTC)2023-10-11T10:50:23Ztag:theconversation.com,2011:article/2139362023-10-11T10:50:23Z2023-10-11T10:50:23ZReconstruire les jonctions os-tendon-muscle en laboratoire : un défi sportif !<p>C’est notamment grâce à nos 500 tendons que nous sommes capables de bouger, car ils font le lien entre nos os et nos muscles. Mais comme le célèbre talon d’Achille, ils sont aussi un de nos points faibles : ils peuvent se rompre, et leur cicatrisation est alors très compliquée – tout comme les ligaments, qui font quant à eux le lien entre deux os.</p>
<p>Un gros enjeu pour certains sportifs – environ <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3761855/">40 % des joueurs de tennis sont touchés par des inflammations du tendon du coude</a>, et cela peut doubler chez les joueurs de plus de 40 ans. Une rupture de tendon peut aussi être synonyme de fin de carrière, comme ce fut le cas de Yoann Huget, qui a dû arrêter sa carrière de rugbyman en 2021 après une rupture du tendon d’Achille.</p>
<p>Et cela ne se limite pas aux athlètes ! En effet, les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/B9780128015902000053">personnes âgées sont aussi atteintes par des ruptures du tendon car avec l’âge ces derniers deviennent plus fragiles et ne se régénèrent plus aussi vite qu’ils se dégradent</a>. Environ <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3761855/">30 % des consultations pour des troubles musculo-squelettiques sont liées à des tendinopathies</a>. Ainsi, avec le vieillissement global de la population, comprendre comment réparer les tendons devient un enjeu majeur de santé publique.</p>
<h2>Faire pousser des tissus artificiels pour remplacer les tendons rompus</h2>
<p>Grâce aux progrès en ingénierie tissulaire et à l’utilisation de biomatériaux, on développe de nouvelles approches pour tenter de réparer les ruptures des tendons. L’idée est de <a href="https://doi.org/10.1098/rsif.2006.0124">cultiver des cellules dans des conditions particulières sur une « matrice » artificielle</a> (appelée <em>scaffold</em> en anglais), qui leur sert de support, un peu comme un échafaudage pour construire une maison. L’objectif est que cet ensemble développe les caractéristiques biologiques et mécaniques d’un tissu humain « naturel ».</p>
<p>Cependant, recréer un tendon neuf ne suffit pas, encore faut-il pouvoir l’implanter efficacement. En effet, comme le tendon se régénère très mal, suturer un substitut sur un tissu dégradé ou rompu n’est pas une solution viable : du fait d’une faible vascularisation locale, il reçoit moins de signaux favorisant la cicatrisation et la réparation… et risque de rompre à la première sollicitation mécanique.</p>
<p>C’est pourquoi, dans le laboratoire <a href="https://bmbi.utc.fr/">CNRS Biomécanique et Bioingénierie BMBI</a> à l’Université de Technologie de Compiègne, nous proposons d’élargir le champ de vision en <a href="https://doi.org/10.3390/ma11071116">associant les deux « voisins » du tendon : l’os et le muscle</a>.</p>
<p>En effet, l’os a une capacité d’autorégénération qui s’appuie sur des mécanismes de renouvellement cellulaire, ce qui explique que les fractures osseuses se réparent naturellement. <a href="https://www.insb.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/regeneration-musculaire-le-couplage-entre-myogenese-et-angiogenese-est-stimule-par-les">Pour les muscles, la régénération passe par les cellules souches myogéniques</a>.</p>
<p>L’idée est donc de fabriquer en laboratoire un tendon avec, à une extrémité, une composante osseuse, et à l’autre, une composante musculaire. Ceci devrait permettre in fine de greffer le continuum os-tendon-muscle artificiel à l’os et au muscle du patient – une greffe qui devrait mieux tenir que les greffes de tendons artificiels sur tendons endommagés.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/551402/original/file-20231002-19-o3uqig.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Schéma de la stratégie de recherche" src="https://images.theconversation.com/files/551402/original/file-20231002-19-o3uqig.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/551402/original/file-20231002-19-o3uqig.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=286&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/551402/original/file-20231002-19-o3uqig.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=286&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/551402/original/file-20231002-19-o3uqig.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=286&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/551402/original/file-20231002-19-o3uqig.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=360&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/551402/original/file-20231002-19-o3uqig.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=360&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/551402/original/file-20231002-19-o3uqig.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=360&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Stratégie os-tendon-muscle pour la réparation des tendons.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Rivoallan</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Comment orienter le devenir des cellules souches</h2>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cellules-souches-23930">cellules souches</a> sont initialement pluripotentes, c’est-à-dire qu’elles peuvent encore devenir différents types de cellules. Cette différenciation se fait naturellement in vivo jusqu’à atteindre un type de cellule spécialisée et fonctionnelle dans chaque tissu.</p>
<p>Mais <a href="https://doi.org/10.3390/ijms23010260">il est également possible de guider in vitro la différenciation vers des cellules osseuses (ostéoblastes), tendineuses (ténocytes) ou musculaires (myotubes)</a>, en jouant sur leur environnement, par exemple des facteurs chimiques, des stimulations physiques ou le matériau servant de support.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/551399/original/file-20231002-19-9uqely.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="schéma de différenciation des cellules souches" src="https://images.theconversation.com/files/551399/original/file-20231002-19-9uqely.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/551399/original/file-20231002-19-9uqely.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=293&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/551399/original/file-20231002-19-9uqely.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=293&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/551399/original/file-20231002-19-9uqely.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=293&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/551399/original/file-20231002-19-9uqely.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/551399/original/file-20231002-19-9uqely.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/551399/original/file-20231002-19-9uqely.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La différenciation des cellules souches aboutit à la formation de différents tissus.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Rivoallan</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>C’est une combinaison de ces deux dernières approches que nous avons choisie : en travaillant sur les propriétés du « scaffold » (composition, architecture, propriétés mécaniques…) et en exerçant un étirement cyclique, nous avons démontré que l’<a href="https://doi.org/10.3390/ijms23010260">on peut amorcer la différenciation des cellules souches vers les différents phénotypes d’intérêt (os, tendon ou muscle)</a>.</p>
<p>Le scaffold est fabriqué à partir d’un polymère biocompatible (le polycaprolactone) mis sous forme de nanofils. On obtient ainsi des supports de quelques dizaines de microns d’épaisseur, plus ou moins poreux, et dont la topographie dépend du collecteur qui réceptionne les fibres extrudées.</p>
<p>Par exemple, sur des fibres disposées aléatoirement, les cellules souches ont tendance à évoluer vers un phénotype tendineux (tendon) si on leur impose des cycles d’étirement.</p>
<p>Sur des fibres structurées en forme de nids d’abeille, les cellules deviennent plus aisément de l’os. Enfin, sur des fibres bien alignées, elles fusionnent en myotubes longs et bien droits, comme on en trouve dans le tissu musculaire.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/551429/original/file-20231002-19-svwh5t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="microscopies des 3 structures de scaffold" src="https://images.theconversation.com/files/551429/original/file-20231002-19-svwh5t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/551429/original/file-20231002-19-svwh5t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=183&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/551429/original/file-20231002-19-svwh5t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=183&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/551429/original/file-20231002-19-svwh5t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=183&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/551429/original/file-20231002-19-svwh5t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=229&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/551429/original/file-20231002-19-svwh5t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=229&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/551429/original/file-20231002-19-svwh5t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=229&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le support de culture des cellules souches, ou scaffold, est fabriqué à partir d’un polymère biocompatible et nanostructuré. Pour des fibres alignées, les cellules ont tendance à se différencier en un tissu musculaire, pour un scaffold aléatoire en tendon, et pour un support en nid d’abeille, en os.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Rivoallan</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Nous sommes parvenus à fabriquer d’un seul tenant ce matériau composé de ces différentes structures – nids d’abeille, aléatoire et alignée – pour ensuite cultiver des cellules souches qui deviennent de cellules osseuses, tendineuses ou musculaires suivant leur localisation.</p>
<p>À ce stade, ce sont plutôt des approches innovantes en microfabrication qui sont mobilisées, comme le « gap-spinning », une variante de la technique utilisée pour fabriquer les nanofils, ou encore la fabrication de collecteurs spécifiques par impression 3D ou photolithographie.</p>
<p>Dans un premier temps, on n’envisage pas d’aboutir à une solution implantable chez les patients, mais de proposer un modèle d’étude in vitro des jonctions os-tendon et tendon-muscle, afin de mieux comprendre la formation et la dégradation de ces jonctions, notamment en termes de vieillissement et de réponse aux chocs. Ainsi, nous pourrons évaluer différentes stratégies thérapeutiques pour traiter les pathologies des personnes âgées et des sportifs, sans recourir à l’expérimentation animale.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213936/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Rivoallan a reçu des financements du MESRI (demi-allocation), bourse "Exposé-Schorlaship" et "DAAD". </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cécile Legallais a reçu des financements de l'ANR (projet TENORS ANR-21-CE18-0035), du Labex MS2T et de l'Equipex FIGURES.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Timothée Baudequin a reçu des financements de l'ANR, de l'institut INSIS du CNRS et de la Direction à la Recherche de l'Université de Technologie de Compiègne. </span></em></p>Les ruptures de tendon touchent les sportifs et les personnes âgées. Une nouvelle stratégie pour tenter de les réparer de façon pérenne est en développement.Nicolas Rivoallan, Doctorant en Biomécanique et Bio-ingénierie, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Cécile Legallais, Directrice de Recherche CNRS en Biomécanique et Bioingénierie, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Timothée Baudequin, Maître de Conférences en Génie Biologique, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1962352022-12-14T18:43:02Z2022-12-14T18:43:02ZParole des accusés : de son importance dans un procès d’assises<p>Alors que le procès des attentats du 22 mars 2016 débute à Bruxelles, la cour belge attend que Salah Abdeslam, mis en cause pour sa participation dans ces événements qui ont causé la <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentats-de-bruxelles-abdeslam-quitte-la-salle-daudience-protestant-contre-ses-conditions-dextraction-07-12-2022-TO3PPQPHUZAATJ5BN35YJ3CNPM.php">mort de 32 personnes</a>, s’exprime aux côtés de huit autres co-accusés. Au premier jour de l’audience, mardi 6 décembre, <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/attentat/attentats-bruxelles/proces-des-attentats-de-bruxelles-salah-abdeslam-et-quatre-co-accuses-quittent-la-salle-d-audience-72411336-760c-11ed-8f92-c4b50591c8c5">ils ont été cinq à quitter la salle d’audience</a>, jugeant « leurs conditions d’extraction » et de transferts entre cellules et prisons indignes. Or leur présence et leur parole sont particulièrement importantes dans ce type de procès.</p>
<p>Lors du procès des attentats de Paris, du 13 novembre 2015, après six années de silence, la parole de Salah Abdeslam, dernier membre du commando terroriste des attentats de Paris encore en vie, était également très attendue par la cour, les avocats et les parties civiles. Après avoir usé de son droit au silence, il a finalement <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/direct-proces-du-13-novembre-salah-abdeslam-le-principal-accuse-doit-a-nouveau-etre-interroge-4b21abc0-baf6-11ec-8d6e-c8becc50df10">« livré sa vérité »</a> lors de ce procès et il faut souligner l’immense travail réalisé par les avocats, durant l’audience et en amont, pour aboutir à cette parole.</p>
<h2>Le poids de la parole de l’accusé</h2>
<p>Le mot « justice » vient du latin <em>ius</em>, « le droit », et <em>dicere</em>, « dire », étymologiquement, il signifie « dire le droit ». Ainsi le lien entre la justice et la parole est-il très profond. Cependant, la parole judiciaire a ses propres enjeux et est produite selon des règles et des mécanismes bien spécifiques au dispositif judiciaire. Centrale, dans les procès d’assises régis par l’oralité, la parole est orchestrée par le ou la président·e de la cour qui va la distribuer tour à tour aux différents acteurs. À ce sujet, l’avocat et maître de conférences, <a href="https://journals.openedition.org/droitcultures/308">Jean Danet</a> écrit :</p>
<blockquote>
<p>« ce qui va se dire dans l’enceinte de justice, c’est une parole socialisée, encadrée par des règles très précises, finalisée, inscrite dans le temps, dans la durée, dans un contexte »</p>
</blockquote>
<p>Dans cet article, nous proposons de voir ce que représente la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2017-2-page-265.htm">parole des accusés et quels enjeux de pouvoir</a> elle mobilise pour les différentes parties du procès.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/victimes-de-terrorisme-quelle-indemnisation-189831">Victimes de terrorisme : quelle indemnisation ?</a>
</strong>
</em>
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<hr>
<h2>Pour la justice : construire la vérité judiciaire</h2>
<p>Dans le cadre d’un procès pénal, les magistrats jugent des faits (un attentat terroriste ou un projet d’attentat par exemple) et l’auteur des faits. Dans ce sens, les interrogatoires visent à comprendre factuellement le ou les crimes commis mais aussi comment ils ont été commis et par qui.</p>
<p>Cela implique de comprendre l’état d’esprit de l’accusé, ses intentions, son degré de discernement au moment des faits, sa liberté d’action. C’est donc en <a href="https://theconversation.com/proces-terroristes-des-trajectoires-pour-comprendre-juger-et-reparer-167808">comprenant qui est l’accusé</a>, à travers son histoire et sa personnalité, que se construit la vérité judiciaire qui doit permettre d’assigner un crime à un individu.</p>
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<p>Dans le cadre du système juridique romano-germanique (<a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2002-1-page-251.htm">Civil law</a>) exercé en France et en Belgique, les informations provenant de l’accusé lui-même, et donc sa parole, ont une valeur particulièrement importante. À titre d’exemple, la présidente du procès des attentats de Bruxelles a reporté de deux mois le début de l’audience, après que plusieurs des principaux accusés aient <a href="https://www.rtbf.be/article/proces-des-attentats-du-22-mars-si-le-box-vitre-est-maintenu-nous-refuserons-de-participer-a-ce-proces-annonce-l-avocat-d-abrini-11056418">refusé de comparaître derrière des box vitrées</a>.</p>
<p>Elle a en effet estimé que le dispositif viole le droit des accusés à un procès équitable (article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, CEDH ci-après) et <a href="https://www.rtbf.be/article/proces-des-attentats-de-bruxelles-la-cour-ordonne-le-demontage-des-boxes-des-accuses-11068228">expliqué que</a> :</p>
<blockquote>
<p>« C’est une bulle qui les exclut de leur procès, une entrave à la communication, entre autres, avec les avocats. Il y a une difficulté de voir les accusés tant pour le futur jury que pour la présidente. Cet isolement réduira ou anéantira la participation des accusés à leur procès. »</p>
</blockquote>
<hr>
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<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lutte-antiterroriste-les-mailles-du-filet-francais-sont-encore-bien-trop-larges-167814">Lutte antiterroriste : les mailles du filet français sont encore bien trop larges</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Appliquant un modèle de justice inquisitoire et contradictoire, la cour va questionner les accusés et écouter leur version des faits afin de produire la vérité judiciaire au sein de débats dits « contradictoires » car différentes versions d’un même fait s’opposent ou se distinguent.</p>
<p>L’aveu de sa culpabilité par l’accusé demeure l’un des principaux enjeux de l’audience. Par l’aveu, l’accusé reconnaît sa responsabilité et son implication dans les faits et il en valide l’assignation. Cependant, il y a eu trop d’abus faits pour <a href="https://www.justicepenale.net/post/2017/02/19/laveu-en-droit-p%C3%A9nal-faute-avou%C3%A9e-faute-%C3%A0-demi-pardonn%C3%A9e">obtenir des aveux</a>, ce qui a entraîné une évolution de leur statut de preuve. Ainsi, durant l’instruction, il fait encore souvent office de « preuve », mais durant un procès, les magistrats mettent un point d’honneur à vérifier les conditions de production de cet aveu afin d’être sûr qu’il est vrai. Aujourd’hui, lorsqu’il est obtenu, l’aveu n’a pas plus de valeur que d’autres preuves plus matérielles <a href="https://www.em-consulte.com/article/829744/l-aveu-reine-des-preuves-l-aveu-dans-la-procedure">par exemple</a>.</p>
<p>L’aveu n’est pas tant « ce que l’on veut entendre » que « ce que l’accusé est prêt à livrer de lui et de sa propre vérité ». Des chercheurs nuancent toutefois cette parole dite « libre » par les acteurs de la justice pénale et le cadre de production, très contraignant, de cette parole. La chercheuse en linguistique Evelyne Saunier écrit <a href="https://journals.openedition.org/semen/14168">à cet effet</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le “bon accusé” est celui qui illustre au mieux son portrait en se cantonnant à l’incarnation d’une figure saisissable. Son registre est celui de l’émotion, non de la raison. »</p>
</blockquote>
<h2>Pour les victimes : pouvoir comprendre</h2>
<p>Avant toute autre chose, les victimes et les parties civiles attendent du procès l’occasion d’être reconnues juridiquement en tant que victime des faits. Elles souhaitent être entendues par la cour mais aussi par les accusés, présumés coupables des crimes dont ils sont victimes. S’exprimer devant la justice a, pour certains, un pouvoir salvateur comme l’exprime un père qui a perdu sa fille au Bataclan le <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/proces-des-attentats-du-13-novembre-2015-les-attentes-et-les-craintes-des-parties-civiles-87cb6978-0e4c-11ec-aed2-938cdb0b390a">13 novembre 2015</a> :</p>
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<p>« Beaucoup de rescapés ou de familles de victimes ne se sont pas exprimés dans les médias et vont le faire devant la Cour. Il va y avoir un effet de masse. On va mesurer l’impact dans les esprits et dans les corps. »</p>
</blockquote>
<p>Pour certains, il y a aussi un besoin de comprendre <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/proces-des-attentats-du-13-novembre-2015-les-attentes-et-les-craintes-des-parties-civiles-87cb6978-0e4c-11ec-aed2-938cdb0b390a">ce qui s’est produit et pourquoi</a> :</p>
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<p>« comprendre comment des gens ont pu être ainsi conditionnés pour passer à l’acte. Connaître également le rôle de chacun et leurs connexions. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, la parole des accusés a son importance en ce sens qu’elle permet de construire du sens. Après les traumatismes et la sidération provoqués par un attentat terroriste, la rationalisation et l’élaboration de sens sont des processus essentiels pour la reconstruction des victimes. L’une des fonctions du procès est de faire du lien. Les victimes et les parties civiles sont entendues par la cour, au même titre que les accusés. Il s’agit de réinscrire leurs récits individuels dans un discours collectif, de retisser des liens rompus par les actes criminels. Le magistrat <a href="https://www.cairn.info/des-crimes-qu-on-ne-peut-ni-punir-ni-pardonner--9782738112057.htm">Antoine Garapon écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’expérience racontée cesse d’être simplement vécue : elle devient communicable et permet de faire entrer un événement indicible dans la configuration d’un récit. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, le même événement est-il raconté tel qu’il a été vécu par la ou les victime(s), et tel qu’il a été vécu par le ou les accusé(s). Il s’agit de récits personnels, d’expériences propres à chacun, relatant néanmoins de faits communs que le dispositif pénal va rassembler dans l’espace-temps de l’audience.</p>
<h2>Pour l’accusé : droit au silence et droit d’être entendu</h2>
<p>Conformément à l’article 6 de la CEDH, l’accusé a le droit « à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».</p>
<p>Comme à aucun autre moment de la procédure, l’accusé a l’occasion, lors de son procès, de s’exprimer publiquement, de livrer « sa vérité ». Certains voient cela comme une opportunité à ne pas rater. À la fin du procès de la filière terroriste de Cannes-Torcy, en juin 2017, l’un des 19 accusés <a href="http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2020/01/17.29-Rapport-final.pdf">prononce ces mots</a> :</p>
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<p>« Je remercie les juges d’avoir écouté mon histoire. Pour la première fois, quelqu’un a pris le temps de m’écouter. »</p>
</blockquote>
<p>D’autres, comme Mehdi Nemmouche (attentat au Musée juif de Bruxelles en mai 2014) ou Osama Krayem (attentats de 2015 et 2016 en France et en Belgique), utilisent le droit au silence, également au cœur de l’article 6 de la CEDH et introduit en France par la loi du 27 mai 2014, comme un moyen de désarmer le système inquisitoire en lui refusant une parole clé.</p>
<p>Comme l’explique le magistrat <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2019-1-page-221.htm">Denis Salas</a>, par leur silence, ils exercent une emprise sur le déroulement du procès.</p>
<p>Certains accusés justifient leur silence comme étant leur seul moyen de se sentir encore acteur d’un processus qui leur échappe. Ainsi, après avoir usé de son droit au silence, Salah Abdeslam s’adresse <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/direct-proces-du-13-novembre-salah-abdeslam-le-principal-accuse-doit-a-nouveau-etre-interroge-4b21abc0-baf6-11ec-8d6e-c8becc50df10">au président en ces termes</a> :</p>
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<p>« Si j’ai fait usage de mon droit au silence, c’est parce que je ne me suis pas senti écouté […] Je pense que depuis le début de cette affaire, on ne veut pas voir la personne que je suis vraiment. Les gens n’arrivent pas à accepter ce que je suis vraiment. »</p>
</blockquote>
<h2>La mise en récit de soi</h2>
<p>Le dernier enjeu pour l’accusé que nous souhaitons souligner concerne la valeur transformatrice de la mise en récit de soi, de l’élaboration de sens et de la réflexivité permise par la publicité des débats.</p>
<p>L’accusé a une occasion unique de raconter son histoire et sa version de l’histoire. Il devient <em>sujet</em> et produit sa propre histoire, se donnant ainsi une chance d’être entendu. Mais au-delà d’une simple historicisation, l’accusé qui se saisit d’une histoire qui lui appartient et qu’il donne à entendre, se saisit aussi d’une occasion de redevenir l’acteur de cette histoire et d’agir sur la suite. Ce phénomène de subjectivation a été particulièrement visible lors du procès de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz qui s’est tenu à Paris en 2019 et que nous avons étudié dans le cadre de <a href="https://www.theses.fr/s352298">nos travaux</a> qui seront rendus publics au printemps prochain.</p>
<p>Les discours des deux principales accusées, Irène Madani et Ornella Gilligmann, ont considérablement évolué tout au long de leur procès. Tandis qu’elles niaient leur culpabilité et minimisaient leurs implications respectives dans les faits au début de l’audience, elles ont, au fur et à mesure des témoignages, des interrogatoires et des auditions, reconnu leurs parts de responsabilité, leurs torts et leur culpabilité. Les derniers mots qu’elles adressent à la cour sont pour demander pardon et <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/10/14/01016-20191014LIVWWW00001-proces-attentat-rate-notre-dame-plaidoiries-verdict-terrorisme-islamisme.php">assurer que le djihadisme ne fait plus partie de leurs projets d’avenir</a>.</p>
<p>La mise en récit de soi a fait l’objet de <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100594820">recherches poussées</a>. Elle est notamment utilisée dans des cadres thérapeutiques ou de développement personnel. Cécile de Ryckel et Frédéric Delvigne, qui ont travaillé sur la construction de l’identité par le récit, <a href="https://www.cairn.info/revue-psychotherapies-2010-4-page-229.htm">écrivent</a> ainsi « la mise en intrigue de nos récits transforme notre agir ».</p>
<p>Pour conclure, nous empruntons au magistrat <a href="https://www.cairn.info/des-crimes-qu-on-ne-peut-ni-punir-ni-pardonner--9782738112057.htm">Antoine Garapon</a> les questions suivantes : le procès est-il le lieu adéquat pour l’élaboration et l’expression de ces récits personnels ? Peut-il être, précisément, le lieu dans lequel ces récits individuels sont réinscrits symboliquement dans un discours collectif ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196235/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Littaye a reçu des financements du Ministère des Armées. </span></em></p>La parole des accusés répond à des enjeux de pouvoirs distincts pour chacune des parties du procès, tout particulièrement dans les affaires de terrorisme.Claire Littaye, Docteure, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1916112022-10-18T16:43:18Z2022-10-18T16:43:18ZBourses étudiantes : comment corriger les inégalités du système français ?<p>Fait exceptionnel, inédit peut-être, le <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-boursiers-sur-criteres-sociaux-en-2021-2022-87286">nombre d’étudiantes et étudiants boursiers</a> a baissé de 3,9 % dans l’enseignement supérieur français en 2021-2022. Signe, à nouveau qu’en France, ce système chargé de permettre l’accès des classes populaires à l’enseignement supérieur est à bout de souffle, peinant à combler les inégalités qu’il est censé corriger ?</p>
<p>Il faut savoir que les bourses concernent 650 000 personnes, soit 4 jeunes sur 10 inscrits dans les établissements publics (et près de 70 000 dans le privé, en forte croissance) pour un total de 2,4 milliards d’euros. Les boursiers et boursières sont majoritairement concentrés dans les filières moins prestigieuses, les territoires moins dynamiques et les établissements distanciés dans la course aux classements internationaux de « l’excellence ». Rappelons, en comparaison, qu’avec la <a href="https://www.quechoisir.org/actualite-impots-avez-vous-interet-a-detacher-votre-enfant-majeur-de-votre-foyer-fiscal-n90702/">demi-part fiscale supplémentaire</a> accordée aux parents d’enfants inscrits dans le supérieur, des personnes très bien loties bénéficient aussi d’une aide financière aux études : <a href="https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20150916-rapport-APL.pdf">avec ce système</a>, les familles les plus aisées reçoivent 1,7 milliard d’euros chaque année.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/avoir-20-ans-en-2020-quand-le-covid-19-revele-les-inegalites-entre-les-jeunes-148292">Avoir 20 ans en 2020 : quand le Covid-19 révèle les inégalités entre les jeunes</a>
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<p>On peut dès lors s’interroger sur le caractère réellement redistributif de ce système, d’autant qu’il peine à aider suffisamment les plus démunis : même à l’échelon le plus élevé (qui concerne les jeunes qui ne peuvent compter sur aucun soutien financier familial), la bourse reste sous les 600 € par mois, très loin du seuil de pauvreté (1063 €), même après la <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A15079">revalorisation de 4 %</a> décidée pour la rentrée 2022 et censée compenser l’inflation.</p>
<h2>Taux de boursiers</h2>
<p>Plus pernicieux, le système de bourses est devenu un outil de communication politique depuis 2007 et le <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/France/Valerie-Pecresse-reforme-le-systeme-des-bourses-etudiantes-_NG_-2007-09-19-598489">mandat de Valérie Pécresse</a> sous Nicolas Sarkozy : plutôt que de se concentrer sur l’accès des enfants des classes populaires aux établissements prestigieux, c’est le taux de boursiers qui est devenu l’indicateur central de l’ouverture sociale. <a href="https://www.education.gouv.fr/media/11183/download">Le nombre de boursiers a en effet augmenté</a> rapidement pendant ce quinquennat, passant de 495 000 à 647 000, soit une hausse de plus de 31 %.</p>
<p>C’est qu’un nouvel échelon, l’échelon 0, avait été ajouté, donnant droit à une bourse de… 0 euro mais permettant d’être exonéré de <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14725#:%7E:text=Rentr%C3%A9e%20universitaire%202022%2D2023%20%3A%20les%20frais%20d%E2%80%99inscription%20restent%20inchang%C3%A9s,-Publi%C3%A9%20le%2030&text=Les%20frais%20d%E2%80%99inscription%20%C3%A0,243%20euros%20pour%20le%20master.">frais d’inscription universitaire</a> – ce qui ne représente au final qu’un soutien de 10 à 20€ par mois, une inscription en licence étant fixée à 170 euros par an, en master à 243 euros par an.</p>
<p>Lors de son introduction en 2007, l’échelon 0 regroupait 9 % des boursiers, il est monté à 21 % en 2011. Pour sortir de ce maquillage des chiffres trop évident, l’échelon 0 a disparu pendant le mandat Hollande, absorbé dans l’échelon supérieur, mais pas vraiment l’échelon 1 (180€ par mois) plutôt un demi-échelon introduit juste avant, <a href="https://www.liberation.fr/desintox/2016/04/16/le-pourcentage-d-etudiants-boursiers-a-t-il-augmente-sous-hollande_1446449/">l’échelon 0bis</a> à 100€ par mois : on comprend l’urgence de clarifier le système ! Cet échelon minimal regroupe <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-boursiers-sur-criteres-sociaux-en-2020-2021-50552">près d’un tiers des boursiers</a>.</p>
<p>De surcroît, avec le mécanisme des points de charge permettant de prendre en compte le nombre de frères et sœurs ainsi que la distance entre le domicile des parents et l’établissement d’inscription, les bourses sont également attribuées à des enfants des classes moyennes. On peut ainsi être boursier ou boursière avec des parents déclarant jusqu’à 95 000 € annuels.</p>
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<p>Des discussions sont ouvertes au ministère de l’enseignement supérieur pour faire évoluer le système des bourses. C’est du moins ce qui a été annoncé fin septembre lors de la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/29/la-reforme-des-bourses-un-chantier-d-ampleur-pour-la-ministre-de-l-enseignement-superieur_6139410_3224.html">conférence de presse de rentrée</a> du ministère de l’enseignement supérieur. Mais aucune enveloppe n’est prévue pour 2023, <a href="https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2023/projet-de-loi-de-finances/budget-general/recherche-et-enseignement-superieur">d’après le bleu budget</a>, le document qui précise les financements publics, ce qui fait douter de la volonté d’aboutir prochainement, malgré l’urgence criante de la <a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-peut-on-vraiment-parler-de-generation-Covid-171165">précarité étudiante</a>, particulièrement visible pendant le Covid avec les files d’attente à l’aide alimentaire, malheureusement toujours bien réelles.</p>
<h2>Deux modèles de financement</h2>
<p>Dans la perspective du débat qui s’annonce, la nature du soutien qui sera accordée aux étudiants dira beaucoup de la conception que le gouvernement se fait de l’éducation et de la voie dans laquelle s’engagera notre système d’enseignement supérieur. De fait, les perspectives qui s’offrent à nous renvoient à deux conceptions différentes de son financement :</p>
<ul>
<li><p>La première est celle d’une éducation conçue avant tout comme un investissement, dans la pure tradition de la théorie du capital humain, chère à des auteurs comme <a href="https://www.jstor.org/stable/986801">Gary Becker</a>. Dans ce cadre, l’étudiant est le principal bénéficiaire des études et les études n’ont de valeur que par les gains monétaires qu’elles engendrent pour l’individu. On comprend dès lors qu’elles ne peuvent être logiquement choisies qu’en fonction du retour sur investissement espéré par l’étudiant et lui seul, motivé par le seul appât du gain ;</p></li>
<li><p>Radicalement différente, une deuxième conception considère que les études forment d’abord un investissement collectif dont les bienfaits sont essentiellement sociaux. Dans cette perspective, il apparaît naturel que les citoyens ayant bénéficié d’un accès aux études contribuent à la société par leurs activités, de même qu’en payant des impôts, les facultés contributives des diplômés étant généralement supérieures.</p></li>
</ul>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-allocations-etudiantes-au-danemark-un-modele-a-suivre-184497">Les allocations étudiantes au Danemark, un modèle à suivre ?</a>
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<p>Ces deux perspectives se retrouvent à grands traits respectivement dans le <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2015-2-page-119.htm">modèle d’enseignement supérieur anglo-saxon</a> et dans le modèle des pays d’Europe du Nord : en Angleterre, aux États-Unis ou en Australie, les frais de scolarités frôlent (ou dépassent parfois allègrement) les 10 000 euros par année d’études. Ces frais élevés ne sont nullement contradictoires avec les bourses : pour assurer un peu d’ouverture sociale, des bourses peuvent être accordées à quelques étudiants pour les aider… à payer une partie de ces frais d’inscription. Néanmoins, avec ou sans bourse, les étudiants sont poussés à s’endetter, en même temps qu’ils construisent des stratégies de rentabilisation de cet investissement, à travers le choix des filières empruntées et leurs débouchés professionnels.</p>
<p>Il en résulte de multiples effets pervers. L’endettement qui pèse sur la vie des jeunes actifs peut les conduire à des choix fort peu utiles socialement, à tel point que, face à de tels effets, la <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/11/06/a-new-york-la-gratuite-totale-des-etudes-de-medecine-fait-debat_5379362_4401467.html">faculté de médecine de la très prestigieuse New-York University</a> a décidé en 2018 de rendre gratuites des études jusque-là fort coûteuses : les choix de spécialités peuvent désormais être faits davantage selon des besoins médicaux que des enjeux de remboursements de prêts. Cette question de l’endettement est devenue un enjeu financier aux États-Unis – minés par plus de 1600 milliards d’euros d’encours de dettes – et politique – avec la récente et <a href="https://lvsl.fr/annulation-de-la-dette-etudiante-aux-etats-unis-la-fin-dun-totem-neoliberal/">historique annulation</a> des dettes étudiantes par Joe Biden.</p>
<p>En contrepoint du modèle anglo-saxon, au Danemark, les études sont gratuites et tous les étudiants reçoivent une allocation d’autonomie pouvant atteindre autour de 800 euros, si l’étudiant n’habite pas chez ses parents.</p>
<h2>La possibilité d’une allocation universelle ?</h2>
<p>En posant la question du financement des études, le gouvernement français nous pousse à choisir entre ces deux voies, entre ces deux conceptions de l’éducation et, au fond, entre deux modèles sociaux : celui d’une éducation par capitalisation, radicalement individualiste, ou celui d’une éducation par répartition, fondamentalement socialisée. C’est aussi choisir entre une vision des études comme une enfance prolongée, durant laquelle on reste dépendant de ses parents, ou une entrée dans une autonomie permise par une société solidaire.</p>
<p>Il est à craindre, en lisant les conseillers du Président Macron et en analysant les choix politiques du dernier quinquennat, que l’option anglo-saxonne ne soit celle privilégiée par le gouvernement. Quelques efforts tactiques sont à attendre de l’exécutif pour faire passer la pilule d’un tel choix : en Angleterre déjà, des bourses – les <a href="http://www.senat.fr/lc/lc294/lc2944.html">Maintenance grants</a>.) – avaient été créées pour les étudiants méritants des milieux populaires, en même temps qu’un système de « prêts à remboursement conditionnel » était institué. Depuis 2016, ces bourses ont disparu au profit des seuls prêts…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/augmenter-les-droits-dinscription-a-luniversite-une-autre-conception-du-service-public-127301">Augmenter les droits d’inscription à l’université : une autre conception du service public ?</a>
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<p>Il y a pourtant une autre voie possible pour notre système éducatif : celle qui consisterait à revenir aux fondamentaux du préambule de la constitution établissant la gratuité de l’éducation, et aux fondamentaux de notre modèle d’assurance social en créant, comme au Danemark, une allocation universelle d’autonomie. Une telle allocation pourrait être financée par l’extension des cotisations relevant d’une branche de la sécurité sociale ou par un impôt progressif. Elle constituerait une forme de solidarité intergénérationnelle, à l’image des retraites, mais en direction des jeunes générations. Son montant pourrait être raisonnablement de 1000 euros par mois pour les étudiants ne bénéficiant pas du logement familial et de 600 euros par mois pour les autres.</p>
<p>En refondant le système d’aide actuel, ce choix de société représenterait un <a href="https://journals.openedition.org/ei/6233">effort annuel de 19 milliards d’euros</a> : une somme certes importante mais de nature à contribuer à une réelle refondation de notre modèle social en conformité avec ses valeurs originelles. Le Président de la République souhaitait des propositions pour le Conseil national de la refondation : en voilà une !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191611/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Harari-Kermadec est membre du syndicat Snesup FSU. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>David Flacher ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le ministère va lancer une concertation sur le système des bourses étudiantes. Pour faire vraiment évoluer celui-ci, il faudra choisir entre un financement par capitalisation ou par répartition.Hugo Harari-Kermadec, Professeur d'université, Université d’OrléansDavid Flacher, Enseignant-chercheur, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678082021-09-15T19:12:29Z2021-09-15T19:12:29ZProcès terroristes : des trajectoires pour comprendre, juger et réparer<p>Le procès <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attaques-du-13-novembre-a-paris/proces-des-attentats-du-13-novembre-2015/recit-proces-du-13-novembre-comment-le-monde-judiciaire-s-est-mobilise-pour-reprendre-le-dessus-sur-cette-nuit-dhorreur_4712045.html">« V13 »</a>, en référence aux attentats du vendredi 13 novembre 2015 à Paris, a débuté le 8 septembre et s’annonce long (huit mois), difficile et inédit.</p>
<p>Le nombre de parties civiles, d’accusés, l’importance du dossier, la durée et la complexité de l’instruction qui a duré quatre ans et la gravité des faits jugés en font un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/08/le-proces-des-attentats-du-13-novembre-2015-s-est-ouvert-a-paris_6093906_3224.html">procès historique</a>.</p>
<p>Depuis 2017, plusieurs attentats djihadistes (issus de la dernière <a href="https://www.senat.fr/rap/r14-388/r14-3882.html">vague djihadiste</a> couvrant les attentats de 2012 à aujourd’hui) ont été jugés lors de procès souvent très médiatisés et la justice française n’en est pas à son coup d’essai.</p>
<h2>Faire sens</h2>
<p>Ces procès pour terrorisme ont une portée d’autant plus importante qu’ils sont un lieu de confrontation, une confrontation fortement cadrée et arbitrée, dont l’issue doit permettre une réparation. Celle-ci passe, entre autres, par ce que l’on pourrait appeler une <a href="https://www.persee.fr/doc/mhnly_1966-6845_2011_num_8_1_1556">« mise en sens »</a> dont chacun peut se saisir selon ses fonctions ou ses besoins.</p>
<p>En France, c’est devant une <a href="http://www.justice.gouv.fr/organisation-de-la-justice-10031/lordre-judiciaire-10033/cour-dassises-speciale--23412.html">cour d’assises spécialement composée</a> de magistrats professionnels que les chemins des victimes et des accusés vont à nouveau se croiser.</p>
<p>Sous l’autorité du président, la cour, afin de juger, va devoir comprendre et faire comprendre. Le procès rend visible les années d’enquête et la construction d’une vérité qui est soumise au regard d’un collectif de professionnels, mais aussi d’un auditoire composé des victimes, des familles, de journalistes, de chercheurs et de citoyens désireux de voir la justice en action. Construire du sens permet de rendre un jugement équitable et passe par différents procédés.</p>
<h2>Relier un acte à une personne</h2>
<p>Les juges doivent notamment, pour pouvoir juger, relier un acte à une personne, assigner une responsabilité. Dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fabrique_du_droit-9782707144720"><em>La fabrique du droit</em></a>, Bruno Latour écrit :</p>
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<p>« tout le droit peut ainsi être saisi comme un effort obsessionnel pour rendre l’énonciation assignable. Ce que vous avez dit vous engage ».</p>
</blockquote>
<p>Nous avons pu constater, en assistant à des procès pour terrorisme, qu’au sein de notre système pénal, la parole de l’accusé est capitale, de même que la compréhension de son parcours de vie et de sa personnalité. La cour cherche à élucider les motivations et l’état d’esprit de l’accusé au moment de commettre son acte. Au-delà des intentions et des causes, il s’agit de comprendre de quelle manière et par quels moyens l’accusé en est arrivé à passer à l’action criminelle.</p>
<p>Si la cour juge des faits, elle juge aussi l’individu dont la vie ne s’arrête pas au crime. Il s’agit d’éviter la récidive, mais aussi de prévenir un phénomène qui touche la <a href="https://www.cairn.info/le-spectre-de-la-radicalisation--9782810906666-page-13.htm">société dans son ensemble</a>.</p>
<p>Ainsi entend-on les différents acteurs judiciaires, parler de parcours, d’histoire et de trajectoire. Bien que le terme « trajectoire » ne revête aucune signification juridique, il fait sens lorsque l’on parle de ce processus de rationalisation, d’objectivation et de construction de sens à partir d’éléments biographiques et de caractéristiques personnelles propres à chaque accusé.</p>
<h2>Comprendre le contexte de l’accusé</h2>
<p>Parmi les principes qui fondent notre état de droit, il y a <a href="http://www.justice.gouv.fr/loi-du-15-aout-2014-12686/lindividualisation-de-la-peine-12688/">l’individualisation des peines</a> qui vise à adapter la peine au niveau de gravité des faits mais aussi à la situation de l’accusé. Adapter la peine nécessite que la cour comprenne le maillage dans lequel se trouve l’accusé au moment de passer à l’action. Le terme de « maillage » se réfère à la définition de la <a href="http://palimpsestes.fr/textes_philo/morin/defi-complexite.pdf">complexité</a> donnée par Edgar Morin et désigne le contexte de l’accusé : son état d’esprit, son réseau et ses relations, son environnement familial, social, professionnel, ses valeurs et ses besoins.</p>
<p>Il désigne aussi la genèse de ce contexte qui ne peut se réduire à une simple « capture d’écran », il s’agit de comprendre comment ce contexte est advenu et comment l’accusé s’y inscrit.</p>
<p>Comprendre la trajectoire de l’accusé ne le dédouane pas de sa responsabilité, sauf dans certains cas bien spécifiques où l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006149818/2020-11-10/">irresponsabilité pénale</a> est prouvée devant la cour comme ce fut le cas pour <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire-sarah-halimi/l-article-a-lire-pour-comprendre-le-debat-sur-l-irresponsabilite-penale_4602993.html">Kobili Traoré</a> ou encore <a href="https://www.afvt.org/juger-le-terrorisme-lenjeu-du-discernement/">Mamoye Dianifaba</a>. Mais dans l’immense majorité des affaires de terrorisme, les auteurs sont jugés responsables de leurs actes. Le processus de trajectorisation, parce qu’il suppose une construction de sens, permet d’entamer un processus de réparation pour les victimes et d’adapter la peine afin d’éviter que l’accusé ne récidive. Il ne s’agit pas ici d’une trajectoire préexistante que l’on s’emploierait à « révéler » mais bien d’une construction permise, orchestrée et cadrée par le dispositif juridique pénal.</p>
<p>Que nous apprennent donc les procès d’attentats terroristes sur l’élaboration d’une trajectoire ? Comment le dispositif rend-il possible cette construction ? Quelles sont ses limites ?</p>
<h2>L’organisation de l’audience</h2>
<p>En fonction de la gravité des actes jugés, l’organisation d’un procès devant une cour d’assises demande un long travail de préparation. L’une des principales difficultés est de réactualiser et de rendre appréhendable l’enquête, en partant de la ou des scènes de crime, pour remonter au fil des indices et des preuves jusqu’aux accusés. Mais c’est aussi comprendre le déroulement des faits et leur genèse en s’intéressant à l’accusé et à son parcours. On peut observer un schéma organisationnel récurrent dans ces procès.</p>
<p>L’audience est ouverte sur la présentation des faits et des accusés dont l’identité est déclinée. Ensuite, l’enquête est exposée et permet de comprendre les faits et leurs conditions de réalisation. Les témoignages de l’entourage puis l’interrogatoire de l’accusé ainsi que les expertises psy et l’enquête de personnalité, permettent de comprendre la radicalisation (dans le cas des procès terroristes qui nous intéressent) mais également ce qui a pu conduire les accusés à se radicaliser et dans certains cas à passer à l’action violente.</p>
<p>L’enfance, l’adolescence, les événements et les rencontres ayant marqué la vie de l’accusé sont décrits et analysés. L’auditoire, la cour mais aussi l’accusé replongent ainsi dans un passé qui est fouillé. Le réquisitoire, les plaidoiries et le jugement viennent enfin conclure le procès.</p>
<h2>La parole pour construire une trajectoire</h2>
<p>L’oralité des débats et le fait qu’ils doivent être contradictoires permettent un travail collectif. Le président, en recentrant les débats, en distribuant la parole et en veillant au respect du rituel judiciaire, prévient un certain nombre de débordements.</p>
<p>La trajectoire n’est pas linéaire et ne repose pas sur de simples liens de causalités (« l’accusé a vécu cela donc il fait cela »), en ce sens elle n’a aucune vocation prédictive, même si elle doit permettre à la cour de prévenir une récidive. Sa construction se fait lorsque les juges effectuent des allers-retours entre différents événements et différentes périodes de la vie de l’accusé qui n’est pas exposée de manière chronologique, mais en fonction de ce qui est entendu et des questions suscitées.</p>
<p>C’est lorsque l’enquêteur de personnalité aura présenté son compte-rendu, quand nous aurons entendu les différents experts, les témoins, l’accusé (dont les discours divergent parfois beaucoup), qu’à l’issue des débats contradictoires et des confrontations, les juges vont statuer sur une vérité (la vérité judiciaire).</p>
<p>C’est seulement une fois que tous les éléments permettant aux juges de rendre leur verdict sont rassemblés et ont été débattus qu’une trajectoire se dessine. C’est cette trajectoire que les juges vont continuer de tracer avec le verdict.</p>
<p>Lors de l’audience, chaque témoignage est entendu (ou lu lorsque le témoin ne peut se présenter à la barre). Les interrogatoires des accusés par le président et les questions de la cour qui suivent sont des moments très attendus et la seule occasion pour l’accusé de s’exprimer et d’être entendu par l’auditoire, et à travers lui, la société.</p>
<h2>L’usage du silence</h2>
<p>Malheureusement certains accusés font le choix d’un silence maîtrisé et instrumentalisé. Ce fut le cas de Salah Abdeslam lors de son premier procès en 2018, mais aussi celui de Mehdi Nemmouche en 2019. Ce dernier était jugé pour l’attentat au <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/tueries/fusillade-au-musee-juif-de-bruxelles/">musée juif de Bruxelles de 2014</a>. Il a refusé de s’exprimer tout au long de son procès, usant continuellement de son droit au silence (de son « DAS » comme il s’amusait à le répéter). La stratégie du silence est récurrente dans les procès terroristes et ouvertement promue par l’état islamique. <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2019-1-page-221.htm">Denis Salas</a>, ancien magistrat, écrit à ce sujet :</p>
<blockquote>
<p>« Le silence serait le code de référence d’un dispositif de résistance face à la loi de l’ennemi. Il poursuivrait une stratégie de dissimulation (la taqya) qui cache une volonté de continuer le combat sous une apparente passivité. »</p>
</blockquote>
<p>Aucun membre de la famille de Mehdi Nemmouche n’est venu témoigner à l’audience. Il a déclaré <a href="https://www.rtbf.be/info/societe/detail_proces-du-musee-juif-mehdi-nemmouche-indique-qu-il-se-tait-pour-proteger-quelqu-un-revivez-notre-direct?id=10138194">à ce propos le 6 février 2019</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne vois pas ce que les affaires familiales viennent faire là-dedans. »</p>
</blockquote>
<p>Ce sont finalement les captations vidéos des interrogatoires menées par les enquêteurs, exceptionnellement projetées à l’audience, qui ont permis à la cour et à l’auditoire d’accéder à la parole de Mehdi Nemmouche. Dans ces vidéos, on découvre un homme tout à fait différent de celui présent dans le box depuis le début de son procès, tantôt joueur, tantôt moralisateur, tantôt critique. Lors de la septième audition notamment (sur les huit diffusées), Nemmouche s’est montré particulièrement communicant, répondant volontiers aux questions portant sur la géopolitique, l’histoire de la Syrie, il parle de ses lectures, de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Algérie. Mais aux questions portant sur sa famille ou son enfance, il répond « DAS » et lorsque les enquêteurs lui demandent s’il aurait préféré ne pas être placé par les services sociaux en famille d’accueil, il répond : « C’est un parcours comme un autre ». Un peu plus tard il explique en <a href="https://www.rtbf.be/info/societe/detail_proces-du-musee-juif-suite-du-visionnage-des-auditions-filmees-de-nemmouche-direct-commente?id=10140206">riant</a>) :</p>
<blockquote>
<p>« Pour un enfant de la DDASS, j’exerce mon DAS. Je fais des rimes, je vais pouvoir réclamer des droits d’auteur. »</p>
</blockquote>
<h2>L’expérience du récit de soi</h2>
<p>À l’inverse, les accusées du <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/dossier/attentat-rate-notre-dame-bonbonnes-de-gaz-proces-avocats-accuses-rachid-kassim-septembre-2016-attaque-terrorisme-police-justice">procès de l’attentat échoué</a> aux bonbonnes de gaz (2016), principalement des femmes, se sont énormément livrées à la cour, parfois sur des événements très intimes. La correspondance entre Ornella Gilligmann et Inès Madani <a href="https://www.europe1.fr/societe/ines-madani-lado-timide-de-sevran-qui-se-faisait-passer-pour-un-djihadiste-sur-internet-3921155">qui s’est faite passer pour un combattant djihadiste</a> rentré de Syrie a fait l’objet de nombreux débats. Ornella Gilligmann était alors persuadée d’avoir affaire à un homme dont elle était tombée <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/09/30/01016-20190930LIVWWW00004-attentat-rate-paris-notre-dame-ines-madani-proces-terrorisme-Daech-ei-djihadistes-ornella-gilligmann-bonbonnes-gaz.php">« follement amoureuse »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Moi, je me sentais revivre avec cet homme. J’étais en confiance. »</p>
</blockquote>
<p>Derrière les noms et les visages, il a été possible de mettre des histoires et des vécus. Les témoignages des victimes mais aussi le regard et les témoignages de leurs proches, les auditions des experts, les questions qui parfois les ont confrontées aux incohérences de leurs discours, et enfin l’expérience du récit de soi sont autant d’éléments susceptibles d’avoir ébranlé des certitudes, des croyances et des postures fortement affirmées avant que le procès n’ait lieu. Au moment des <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/10/14/01016-20191014LIVWWW00001-proces-attentat-rate-notre-dame-plaidoiries-verdict-terrorisme-islamisme.php">derniers mots</a> des accusés, Inès Madani, principale accusée, déclare :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai beaucoup de regrets. J’ai honte d’être ici aujourd’hui. C’est une humiliation pour mes proches et pour moi aussi. Je reconnais les faits. Je présente mes excuses. Aux personnes que j’ai entraînées dans ma chute. Je m’excuse auprès de ma famille. »</p>
</blockquote>
<p>Au terme du procès, les accusés peuvent faire le choix de s’inscrire ou de se réinscrire dans une trajectoire que le procès leur aura permis d’appréhender et/ou de s’approprier, ou bien d’en demeurer résolument coupé. Dans un cas comme dans l’autre ce choix détermine en partie la suite de la vie de l’accusé, mais également, celle d’une partie des victimes qui pourront entamer un nouveau chapitre de leur vie.</p>
<hr>
<p><em>L’autrice effectue sa thèse sous la direction d’Olivier Gapenne.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167808/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Littaye a reçu des financements de l'Agence de l'Innovation de Défense (Ministère des armées). </span></em></p>Que nous apprennent donc les procès terroristes sur l’élaboration de la trajectoire de l'accusé ? Comment le dispositif rend-il possible cette construction ? Quelles sont ses limites ?Claire Littaye, Doctorante, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1443002020-10-01T18:52:25Z2020-10-01T18:52:25ZUn implant innovant pour le traitement d’insuffisances cardiaques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/361093/original/file-20201001-23-nkw0zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C3712%2C2078&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un nouveau traitement pour les insuffisances cardiaques.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/dvXGnwnYweM">Giulia Bertelli / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Notre équipe vient de développer un nouvel implant cardiaque visant à réparer la valve mitrale sans opération à cœur ouvert, cette dernière sépare l’oreillette du ventricule dans le cœur gauche. Il est destiné à pallier les fuites de la valve chez les patients souffrant d’insuffisance mitrale. Cette pathologie est grave, car aucun des traitements actuels ne permet de la traiter de manière efficace.</p>
<p>Elle est la pathologie valvulaire la plus fréquente dans les pays occidentaux, après le rétrécissement aortique des personnes du 3<sup>e</sup> âge. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10190406/">Près de 20 % de la population</a> souffre d’une insuffisance mitrale même bénigne.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/360291/original/file-20200928-16-8ywzp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/360291/original/file-20200928-16-8ywzp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/360291/original/file-20200928-16-8ywzp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=497&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/360291/original/file-20200928-16-8ywzp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=497&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/360291/original/file-20200928-16-8ywzp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=497&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/360291/original/file-20200928-16-8ywzp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=625&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/360291/original/file-20200928-16-8ywzp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=625&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/360291/original/file-20200928-16-8ywzp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=625&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Schéma en coupe du cœur.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si on se restreint à l’insuffisance mitrale pathologique, près de 10 % de la population de plus de 75 ans en souffre. Parmi les différentes conséquences cliniques qu’elle engendre, la plus fréquente et la plus critique est la fuite mitrale, qui se produit en systole : lorsque le muscle ventriculaire se contracte pour évacuer le sang vers les organes. L’ouverture partielle de la valve engendre une régurgitation du sang vers l’oreillette. Celle-ci est responsable d’un mauvais état de santé des patients et d’une forte augmentation du risque de mort prématurée en raison du manque d’irrigation en sang.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/360294/original/file-20200928-24-10v6sfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/360294/original/file-20200928-24-10v6sfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/360294/original/file-20200928-24-10v6sfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/360294/original/file-20200928-24-10v6sfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/360294/original/file-20200928-24-10v6sfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/360294/original/file-20200928-24-10v6sfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/360294/original/file-20200928-24-10v6sfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Illustrations de la morphologie du cœur et des écoulements sanguins lors des deux phases du cycle cardiaque.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Actuellement, le traitement de référence de l’insuffisance mitrale est la chirurgie à cœur ouvert, le but étant si possible de réparer la valve mitrale, ou de la remplacer sinon. Ces interventions lourdes nécessitent l’ouverture de la cage thoracique, l’arrêt du cœur et la mise en place d’une circulation extra-corporelle. Outre son fort taux de récidive, elle présente le défaut de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17350971/">ne pas être praticable sur une part importante de patients</a>, car trop fragiles compte tenu de leur âge et condition physique.</p>
<h2>Une solution sans chirurgie à cœur ouvert</h2>
<p>Ce besoin de est particulièrement criant chez les patients souffrant d’insuffisance mitrale fonctionnelle, chez qui la fuite de la valve est due à la dilatation du ventricule gauche et non à des défauts de la valve, comme dans le cas de l’insuffisance mitrale organique. La valve n’arrive plus alors à se fermer, car le ventricule dilaté tire sur les feuillets, ce qui empêche qu’ils viennent en contact l’un avec l’autre en systole. Les traitements conventionnels ne sont d’aucune utilité, car trop invasifs et incapables de contrer la traction exercée sur la valve.</p>
<p>En raison de leur état de santé, seule une approche endovasculaire est envisageable pour traiter ces patients. Elle consiste à introduire un dispositif médical replié dans un cathéter en passant par les vaisseaux sanguins. L’avantage de cette approche est l’absence d’ouverture chirurgicale : le cathéter est introduit dans la veine au niveau du pli de l’aine via une simple ponction et remonté jusqu’à l’oreillette droite du cœur, puis l’oreillette gauche après avoir percé le septum (la membrane séparant cœurs droit et gauche).</p>
<p>Un seul type de dispositifs de réparation est actuellement disponible sur le marché : le <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_2028916/fr/mitraclip">Mitraclip</a>, qui consiste en une petite pince, que le chirurgien cardiaque vient placer au milieu des deux feuillets sans arrêter le cœur, et qu’il laisse de manière permanente. L’ouverture de la valve est alors non physiologique, le passage du sang se faisant sur les côtés par deux orifices de part et d’autre du clip. Il est, de plus, très fréquent qu’il faille mettre plusieurs clips (souvent deux, parfois trois), ce qui induit un rétrécissement accru des orifices, gênant l’écoulement sanguin.</p>
<p>Une limite de cette option est la difficulté inhérente à sa pose : pour être efficace, le clip doit être apposé à des niveaux équivalents sur les deux feuillets, sans quoi ceux-ci se distordent causant une fuite résiduelle. L’acte est donc souvent long, d’autant plus si plusieurs clips se révèlent nécessaires.</p>
<h2>Notre nouvel implant</h2>
<p>Afin d’optimiser la prise en charge des patients atteints d’insuffisance mitrale fonctionnelle, il convient donc de développer de nouveaux dispositifs endovasculaires. Le dispositif, que nous avons <a href="https://bases-brevets.inpi.fr/fr/document/FR3085835.html">récemment breveté</a>, est basé sur une nouvelle approche : il est destiné à être placé sous cœur battant sur un des feuillets de la valve et à combler l’espace résiduel entre les deux feuillets au moyen d’un ballonnet. L’implant est en effet constitué d’une pince, permettant sa fixation sur le feuillet de manière permanente, et d’un ballonnet, dont le volume est ajusté in situ pour minimiser les fuites de sang pendant la systole, l’idée étant que le feuillet libre soit alors en butée contre lui.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/360780/original/file-20200930-16-l7iwi1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/360780/original/file-20200930-16-l7iwi1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/360780/original/file-20200930-16-l7iwi1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/360780/original/file-20200930-16-l7iwi1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/360780/original/file-20200930-16-l7iwi1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/360780/original/file-20200930-16-l7iwi1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/360780/original/file-20200930-16-l7iwi1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/360780/original/file-20200930-16-l7iwi1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Schémas de l’implant en position ouverte et positionné sur un des feuillets de la valve mitrale..</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’implant est destiné à être introduit en endovasculaire par voie veineuse et doit donc être repliable dans un cathéter pouvant être navigué depuis l’aine jusqu’au cœur. Dans le cathéter, le ballonnet est inséré dégonflé et replié sur lui-même. La pose de l’implant sur un des feuillets et le gonflement du ballonnet sont réalisés sous échographie transœsophagienne, de manière à voir le résultat fonctionnel de l’ouverture du ballonnet pendant la procédure : l’objectif est en effet de trouver le gonflement optimal pour chaque patient, qui réduise au maximum les fuites résiduelles en systole.</p>
<p>L’originalité de la genèse du dispositif tient à deux éléments : d’une part, le travail en symbiose entre une équipe clinique et une équipe de recherche, après que le Professeur Couetil et le Docteur Bergoend ont eu l’idée du concept totalement innovant, et nous ont contactés ; d’autre part, le fait que la phase de conception du dispositif a été réalisée, au sein de cours de l’UTC conçus en mode projets, par des équipes projet formées d’étudiants ingénieurs. Le projet a bénéficié de plusieurs équipes regroupant des étudiants de différentes filières (génie biologique, génie des matériaux, génie mécanique, design…) et de différents niveaux (de bac +3 à bac +5). L’un d’eux, Adrien Laperrousaz, co-signataire du brevet, a été lauréat du concours national I-LAB (BPI-MESRI) en 2015 et a obtenu une bourse pour financer le développement de l’implant pendant ses études d’ingénieur, ainsi qu’une étude de marché. Il est donc remarquable que le projet ait permis une concomitance entre le temps de la recherche et le temps de l’enseignement.</p>
<p>Des tests in vitro ont depuis été réalisés à University College London en collaboration avec le Professeur Burriesci et son équipe. Ils ont testé l’implant sur une valve bioartificielle, placée dans un banc simulant l’écoulement sanguin intra-cardiaque, et qui avait été rendu pathologique. Ils ont montré que l’implant permettait de réduire notablement les fuites de sang vers l’oreillette, et ont apporté ainsi une preuve de concept.</p>
<p>Les avantages du nouvel implant sont nombreux. Il offrira une vraie alternative mini-invasive pour la réparation de la valve mitrale, et présente une facilité de pose par rapport aux autres approches, comme l’implant n’est apposé que sur un seul feuillet. Il aura l’avantage de pouvoir s’adapter à de sévères défauts de coaptation causés par une dilatation du ventricule et potentiellement aussi de l’anneau mitral, et réduira donc les fuites résiduelles par rapport à l’existant. Le gonflement du ballonnet pourra en effet être ajusté à la sévérité du défaut de coaptation de chaque patient. Enfin, en maintenant la forme de son ouverture en diastole, le dispositif permettra un fonctionnement plus physiologique de la valve, ce qui sera probablement un avantage sur le moyen et long terme, car moins générateur de turbulences lors de la diastole et donc de moins de remaniement fibreux des feuillets valvulaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144300/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Notre projet est une collaboration entre l’Université de technologie de Compiègne (UTC), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP).</span></em></p>Actuellement, le traitement de référence de l’insuffisance mitrale est la chirurgie à cœur ouvert. Ce nouvel implant pourrait éviter cette lourde intervention.Anne-Virginie Salsac, Directrice de recherche CNRS, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1259622020-01-22T19:08:18Z2020-01-22T19:08:18ZL’avenir de la robotique sociale : assistance ou surveillance ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/310524/original/file-20200116-181593-1l80fcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C4031%2C3005&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/qKs8Oq4D_R0">Fitore F/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span></figcaption></figure><p>Si les robots dits sociaux sont encore loin d’accompagner notre quotidien, on peut d’ores et déjà s’interroger sur le projet dont ils sont porteurs. A l’heure où les pratiques numériques confortent plus que jamais l’analyse deleuzienne sur les <a href="http://1libertaire.free.fr/DeleuzeBrochure02.pdf">sociétés de contrôle</a>, la tentation est grande pour la robotique sociale, encore très malléable, de chercher son modèle économique du côté d’un capitalisme cognitif datavore et peu scrupuleux.</p>
<h2>Vers un « dataterminisme »</h2>
<p>Comme le révèlent les faillites dans le secteur, le robot social peine à trouver sa raison d’être et son modèle économique en dehors des laboratoires. L’innovation étant aujourd’hui en grande partie darwiniste, le marché fait face à des offres de « solutions » pour lesquelles il n’existe pas encore de problème. Or, quel est aujourd’hui le critère de « sélection artificielle » sur le marché numérique ? Les données.</p>
<p>Rien de tel, donc, qu’un produit collecteur de données pour assurer sa sélection sur le marché. Je nomme cette mécanique « dataterminisme » car, malgré le caractère illusoire du déterminisme technologique, le matraquage technocapitaliste en matière dataïste, tant en actes techniques et financiers qu’en paroles, obstrue le champ des possibles. L’idéologie selon laquelle il n’est point de salut en dehors de la donnée est ainsi renforcée.</p>
<h2>Dans le sillage des enceintes connectées</h2>
<p>Les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Enceinte_connect%C3%A9e">enceintes connectées</a> témoignent à cet égard d’une réussite assez stupéfiante. Elles ne diffèrent pourtant pas tellement de tous les robots sociaux de type « compagnons » domotiques qui échouent sur le marché. Des deux côtés, il s’agit à la fois d’exporter des fonctions à faible valeur ajoutée, car déjà disponibles sur d’autres dispositifs portables comme les téléphones, et de proposer à l’utilisateur une nouvelle modalité d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Interactions_homme-machine">interactions homme-machine</a> (IHM) dévaluant la main au profit de la voix. Dès lors, comment expliquer le succès des unes et l’échec des autres ?</p>
<p>La percée des enceintes connectées tient probablement à un fort effet de marque (Google, Amazon, Apple) et à une relative simplicité technique rendant leurs prix « abordables ». Mais à leur réussite commerciale s’ajoute une double réussite stratégique : l’accès aux nouveaux filons d’extraction de données que sont la vie de foyer et la voix en elle-même. C’est que notre voix, en quelque sorte, parle à notre insu : de la propension à payer le loyer en retard au risque de faire une crise cardiaque, en passant par notre santé mentale. Le marché de l’extraction de données vocales attire ainsi un nombre croissant d’entreprises…</p>
<h2>Des effets à ne pas négliger</h2>
<p>Le passage d’IHM manuelles à des IHM vocales est loin d’être insignifiant, car il marque l’émergence d’artefacts capables de convoquer le registre général de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sentience">sentience</a> (capacité d’avoir des expériences vécues) comme le bébé phoque <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paro_(robot)">Paro</a> ou le dinosaure <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pleo">Pleo</a>, ou celui, plus anthropocentré, de la subjectivité, avec des robots comme Spoon, NAO ou encore Pepper.</p>
<p>Les conséquences éthiques de ces phénomènes qu’on peut qualifier de psychotechniques ne sauraient être négligées. En effet, la capacité des robots sociaux à stimuler notre empathie et à générer des émotions est désormais bien connue. Mais alors que le pouvoir de persuasion des robots est un sujet d’étude émergent, que de nombreux acteurs du numérique usent (et abusent) de nos biais cognitifs pour maximiser le temps que nous consacrons à leurs services, il semble plus qu’opportun de questionner le positionnement à venir des <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Social_robot">sociobots</a> sur le marché.</p>
<h2>Quand l’expérience devient fonction</h2>
<p>Aujourd’hui plus que jamais, l’UX design (ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_utilisateur"><em>user experience</em></a> Design) met en tension le couple fonction/expérience. En pratique, la seconde n’existe pas que pour servir la première, comme le montre l’exemple des enceintes connectées. Leur fonction, on l’a vu, n’a que peu de valeur ajoutée. Leur intérêt semble plutôt procéder de l’expérience d’utilisation, à savoir de l’interaction verbale.</p>
<p>Ce n’est donc pas tant ce qu’elles font, que la façon dont elles le font, qui est important. De là à dire que l’expérience d’utilisation devient la fonction de l’objet, il n’y a qu’un pas que certains robots sociaux franchissent. C’est le cas, par exemple, de Paro et de Lovot dont la fonction n’est pas de réaliser quoi que ce soit, mais de faire acte de présence, de divertir, de rassurer et/ou de générer des émotions positives comme de l’attachement. Leur fonction se déploie dans et par l’expérience, ce qui revient à dire qu’elle est l’expérience. La question est : à quels intérêts l’expérience générée est-elle soumise ?</p>
<h2>Donner au numérique une ampleur suffisante</h2>
<p>Ces dernières années, les technologies de captation de données ont grandement profité des investissements massifs dans l’intelligence artificielle. Or, le capitalisme dataïste a tout intérêt à étendre son périmètre de captation à la moindre parcelle d’existence pour maximiser le nombre et la diversité des données récoltées. Les technologies du numérique ne se contentent donc pas de nous accompagner le long d’un continuum assurés par nos extensions techniques (portables, tablettes, objets connectés en tout genre), elles génèrent une part importante des expériences qui donnent corps à ce continuum.</p>
<p>La stratégie dataterministe est donc double : numériser les expériences jusqu’ici non numériques, à l’instar de la course à pied, et créer de nouvelles expériences dont la source est le numérique lui-même, depuis les innombrables sites de e-commerce jusqu’aux jeux en ligne en passant par les réseaux sociaux. En clair, il s’agit de donner au numérique l’ampleur suffisante pour qu’il devienne un substrat, une matrice conditionnant un maximum d’expériences alimentant la datagenèse.</p>
<h2>Une captation de l’intimité sans précédent</h2>
<p>Les robots sociaux possèdent des atouts substantiels pour réaliser cette double stratégie, notamment celui de numériser et donc de « dataïser » notre vie sociale hors-ligne. Et l’on peut légitimement craindre que les sociobots suivent la voie tracée par les enceintes connectées : leur potentiel interactif et émotionnel fera d’eux d’excellents explorateurs de notre intimité et d’efficaces extracteurs de données.</p>
<p>Nombre de capteurs peuvent être intégrés aux sociobots, transformant l’utilisateur en « fonds disponible », pour reprendre l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Dispositif_(conf%C3%A9rence_de_Martin_Heidegger)">expression heideggérienne</a>. De la reconnaissance faciale à l’analyse vocale ou thermique en passant par la détection d’émotions, ces technologies intégrables renferment un pouvoir de captation de l’intimité des utilisateurs sans précédent. L’humain devient peu à peu transparent et gouvernable.</p>
<h2>Un projet éminemment dangereux</h2>
<p>De fait, comme l’expliquent Antoinette Rouvroy et Thomas Bern <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2013-1-page-163.htm">dans un article de référence</a>, les big data ont pour intérêt d’autoriser l’élaboration de « savoirs probabilistes statistiques à des fins d’anticipation des comportements individuels, qui sont rapportés à des profils définis sur la base de corrélations découvertes par datamining. » Partant de ce constat, les deux chercheurs forgent le concept de gouvernementalité algorithmique qu’ils définissent comme « un certain type de rationalité (a)normative ou (a)politique reposant sur la récolte, l’agrégation et l’analyse automatisée de données en quantité massive de manière à modéliser, anticiper et affecter par avance les comportements possibles. »</p>
<p>Le projet économique d’une telle rationalité est simple : accroître le contrôle sur l’acte d’achat en s’adressant à la part préréflexive du psychisme. Notre « double statistique » est utilisé pour « susciter l’acte d’achat, sur le mode de la réponse-réflexe à un stimulus d’alerte court-circuitant dans la réflexivité individuelle la formation du désir singulier. » Autrement dit, il s’agit « de produire du passage à l’acte sans formation ni formulation de désirs ». En misant sur la contrôlabilité de nos « moi » préréflexifs, la prédation dataïste obstrue ce qu’on nomme en philosophie les processus de subjectivation, c’est-à-dire les processus conduisant à nous constituer comme sujets capables de réflexivité.</p>
<p>Vivre subjectivement relève du vivre ensemble en tant qu’un sujet est toujours multiple et qu’il procède d’une mosaïque d’éléments, d’influences, d’expériences très diverses. En d’autres termes, la politique commence avec la vie subjective. Supprimer la possibilité de délibération avec soi-même en s’adressant à la part pulsionnelle du moi, c’est s’attaquer au cœur même de la politique qui commence avec et en soi.</p>
<h2>Comment accepter l’Autre ?</h2>
<p>Dès lors, si le vivre ensemble du sujet est empêché, comment pourrait-on accepter le vivre ensemble intersubjectif ? Comment accepter l’autre sujet, l’autre tout court, si je ne vis pas d’abord ce processus d’acceptation, de conciliation, de délibération en moi ? En outre, obstruer la subjectivation, c’est créer une docilité confinant à une « nouvelle servitude volontaire ».</p>
<p>Le projet dataterministe, en tant qu’il porte un projet social dépolitisant, est donc éminemment dangereux. Comme l’affirme Antoinette Rouvroy : « La gouvernementalité algorithmique est un système immunitaire développé par le capitalisme pour lutter contre tout ce qui pourrait le mettre en crise. Les êtres humains ne sont capables de se rebeller que s’ils deviennent des sujets à part entière. Or la technologie vient les saisir un niveau infrasubjectif, au stade pulsionnel, et leur donne ce qu’ils veulent tout de suite. »</p>
<h2>Pour une éthique démocratique des techniques</h2>
<p>Dans ce contexte, le problème fondamental ne concerne pas tant le respect de la vie privée que la défense et la promotion active d’une vie subjective individuelle et collective, soit, en bref, d’une vie politique. C’est donc le modèle dominant de l’économie numérique qui doit être révisé. La dépolitisation individuelle et collective dont la gouvernementalité algorithmique est porteuse doit être combattue par sa symétrique inverse, à savoir une re-politisation individuelle et collective.</p>
<p>Ne nous y trompons pas : il s’agit d’un défi démocratique, et non technocratique. Alors que les démocraties représentatives affrontent des défis d’ampleur inédite tels que la crise écologique et la menace d’un populisme désinformateur que de nombreux grands noms du numérique encouragent ou, au mieux, favorisent par leur inaction, la revalorisation de la citoyenneté via de nouvelles formes d’engagement politique et d’action hors les urnes semble regagner du terrain. Cette « renaissance », en partie conduite par une jeunesse qui se sait plus que jamais en danger, témoigne bien d’un désir de politique.</p>
<p>Il y a là une formidable opportunité de revitalisation de la démocratie, par l’exercice démocratique lui-même. Alors que le dataïsme propose d’accentuer l’exsanguination politique au profit de la seule gestion économique, nous pouvons au contraire associer activement l’expertise à la citoyenneté et construire un avenir commun ! Comment ? En utilisant les outils rigoureux de la démocratie technique pour réguler l’économie des données dominante et déterminer quelles sont les causes et modes légitimes de récoltes.</p>
<p>Face à ce défi, la robotique sociale encore naissante devra choisir son camp : embrasser ce qui se fait déjà ou se développer selon un modèle alternatif où la notion de « robot compagnon » n’est pas l’hypocrite synonyme de « robot espion ». C’est dans cette ouverture à l’alternative que réside la véritable innovation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125962/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien De Sanctis est doctorant CIFRE à l'UTC et au sein de la société Spoon qui co-finance sa thèse avec l’État. Il est par ailleurs membre de l'association technocritique Le Mouton Numérique et de La Pause Philo Média. </span></em></p>Quel est donc le projet économique et politique des robots dits sociaux ? S’agit-il, à l’instar de nombreux objets connectés, d’alimenter le marché des big-data, en espionnant notre vie privée ?Julien De Sanctis, Doctorant CIFRE en philosophie et éthique des techniques, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1240482019-10-06T19:41:21Z2019-10-06T19:41:21ZConversation avec Véronique Aubergé : « Le robot social est un selfie de l’homme moderne »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/295709/original/file-20191006-118244-8xd5ty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Emox</span> </figcaption></figure><p><em>Docteure en Informatique et en Linguistique, Véronique Aubergé est chercheure au LIG (CNRS/Université de Grenoble Alpes/INP Grenoble). Ses travaux portent sur l’étude des émotions humaines générées par nos interactions avec des dispositifs de synthèse vocale. Depuis 2012, le medium technique privilégié de ses recherches en interaction humain-machine (IHM) est celui du robot dit social.</em></p>
<hr>
<p><strong>Julien De Sanctis : Véronique, vos recherches s’effectuent aujourd’hui principalement au <a href="https://www.univ-grenoble-alpes.fr/living-lab/le-living-lab-du-laboratoire-d-informatique-de-grenoble-346126.kjsp"><em>Living Lab Smart Home Domus</em></a>, un laboratoire qui reproduit les conditions de vie quotidienne en appartement. Les personnes prenant part aux expérimentations y rencontrent un petit robot de service nommé Emox. Pouvez-vous nous le présenter rapidement ?</strong></p>
<p><strong>Véronique Aubergé :</strong> Je qualifie souvent Emox de robot « majordome ». C’est une sorte de boîte roulante dotée d’une « tête » rotative en forme de sphère. Du point de vue fonctionnel, Emox joue le rôle d’assistant domotique : il gère, à la demande de l’utilisateur, l’accès à la radio, aux volets automatiques ou encore à la bouilloire. Outre se forme et ses mouvements qui peuvent rappeler, même vaguement, ceux d’une entité vivante, nous avons doté Emox d’une forme de langage ultrasimple consistant en l’émission de deux petits sons permettant d’étudier le phénomène que je nomme <a href="https://clf.unige.ch/files/8414/4102/7367/17_Sasa-Auberge_185-196.pdf">« glu socio-affective »</a>.</p>
<p><strong>JDS : Comment décririez-vous le phénomène de « glu socio-affective » ?</strong></p>
<p><strong>VA :</strong> J’utilise cette métaphore de la glu pour rappeler que nos liens interpersonnels se tissent à même la matière, grâce à une foule de signaux qui agissent comme des « nutriments » communicationnels. Ces signaux peuvent être des mots échangés, de simples sons, une intonation particulière, des regards ou, à l’inverse, l’absence de regard, des échanges tactiles comme une main sur l’épaule ou une tape dans le dos, une posture, une façon de marcher derrière quelqu’un ou une gestuelle.</p>
<p>J’assimile tout cela à de la matière évanescente dont nous nous nourrissons pour vivre et construire notre « moi » au même titre que nous ingérons des aliments pour assurer le bon fonctionnement de notre organisme. Dans mes travaux, l’isolement social se définit comme la situation où une personne est mal voire n’est plus suffisamment exposée à ces signaux et perd peu à peu la capacité à se « gluer » aux autres, c’est-à-dire à tisser des liens interpersonnels nutritifs au plan communicationnel. Un robot comme Emox peut aider à conserver cette aptitude lorsqu’elle menace de disparaître en étant lui-même « gluant » ou, autrement dit, en se montrant capable de participer à cette nutrition sociale dont nous avons absolument besoin via l’émission de divers signaux de communication.</p>
<p><strong>JDS : Un robot social est-il un robot « gluant » ?</strong></p>
<p><strong>VA :</strong> Oui, c’est une bonne façon de filer la métaphore ! Pour développer un peu cette idée, je ne pense pas que la définition du robot social se trouve dans la machine elle-même : on n’arrive pas au robot social via une description technique de l’artefact. L’un des grands enjeux de la recherche en robotique est d’identifier dans un objet ce qui va déclencher la perception d’un robot social. À mon sens, il y a robot social dès lors qu’un objet nous pousse à le percevoir comme un sujet. Y a-t-il des conditions technologiques pour favoriser une telle perception et différencier le robot social de la peluche sociale par exemple ? Je veux bien le croire. </p>
<p>Quoi qu’il en soit, le robot social se présente comme un point de bascule où l’artefact passe d’extension du moi à « incarnation » d’un autre. Avec lui, le moindre signal – un son, un mouvement – est interprété comme relevant d’une « intention ». Même quand il ne fait rien, il y a possibilité de se dire qu’il reste immobile parce qu’on l’ennuie ou parce qu’il boude. Qui dit robot social dit interprétation. La différence avec l’humain et l’animal, c’est que l’un comme l’autre a vraiment des intentions. Lorsque je regarde un chien se diriger vers sa gamelle, ce n’est pas uniquement moi qui projette une interprétation sur le comportement du chien : une intention correspond à cette interprétation. Dans le cas du robot social, il n’y a pas d’intention réellement modélisée, contrôlable et réactive sur la durée et la plasticité de la relation, uniquement des réponses tranchées cadrées par un programme.</p>
<p><strong>JDS : Cela rejoint le débat sur l’opposition entre forme et substance. Le robot aurait la forme sociale sans en avoir la substance…</strong></p>
<p><strong>VA :</strong> Oui, c’est une position notamment défendue par l’anthropologue <a href="https://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/seuls-ensemble">Sherry Turkle</a> et que je partage : même si une des théories fondatrices de l’informatique affective est celle du triptyque <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/3-540-49057-4_1">« Belief-Desire-Intention »</a>, qui s’inspire de la théorie de l’esprit, il n’y a pas chez le robot d’intention ancrée dans la dynamique de la relation vivante, mouvante, gluante. Toutefois, on ne peut pas nier que, dans cette bascule de l’objet vers le sujet que représente la robotique sociale, la capacité de l’artefact à se présenter comme un « autre » augmente notre espace social au sens où il stimule ouvertement nos facultés d’interactions sociales, qu’il s’agisse de communication verbale ou non.</p>
<p><strong>JDS : En parlant d’espace social, le risque de la robotique sociale n’est-il pas de conduire à moins de relations interhumaines ?</strong></p>
<p><strong>VA :</strong> On rentre là dans un débat particulièrement complexe pour lequel nous n’avons que trop peu de recul scientifique. La robotique sociale est un champ de recherche très jeune et les expérimentations en conditions « réelles », c’est-à-dire en société, en prise avec les gens et leurs pratiques, sont presque inexistantes. Je pense qu’un robot peut être un bon instrument pour détecter les situations d’isolement. Par exemple, une jeune fille de 35 ans à la fois active et entourée qui trouverait un robot mignon et interagirait volontiers avec lui plusieurs minutes par jour voire plusieurs heures serait peut-être plus isolée socialement qu’on ne le pense ; mais dans ce cas, le robot ne serait que le symptôme d’une forme de désocialisation, pas sa cause première. L’enjeu éthique serait donc de trouver les bonnes conditions pour que l’artefact n’aggrave pas mais, au contraire, corrige cette désocialisation.</p>
<p><strong>JDS : Dans ce contexte, pourquoi affirmer comme vous le faites parfois, que la notion de robot social est un pléonasme ?</strong></p>
<p><strong>VA :</strong> Il s’agit d’un pléonasme aujourd’hui ! J’insiste sur cette dimension présente. Aujourd’hui, beaucoup de machines sont socialisées dans nos esprits et nos cœurs, sans qu’il y ait besoin de les rendre aussi suggestives qu’un Pepper ou qu’un Paro.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295610/original/file-20191004-118217-qg2mo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295610/original/file-20191004-118217-qg2mo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295610/original/file-20191004-118217-qg2mo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295610/original/file-20191004-118217-qg2mo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295610/original/file-20191004-118217-qg2mo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295610/original/file-20191004-118217-qg2mo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295610/original/file-20191004-118217-qg2mo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Robot Paro.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Robot magazine</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette projection de socialité est liée, selon moi, à l’évolution de notre rapport aux artefacts et, plus particulièrement, à un changement dans l’objet de nos désirs. Je lisais il y a quelque temps un article du <em>Dauphiné libéré</em> où il était question d’une machine que General Electric devait délocaliser à l’étranger. Une personne interrogée expliquait qu’elle était attristée que la machine sur laquelle elle avait travaillé parte si loin pour être utilisée par quelqu’un d’autre ; et elle racontait tout cela en appelant la machine par le petit nom qu’elle lui avait donné ! Quand Vaucanson, au XVIII<sup>e</sup> siècle, a présenté ses automates comme le canard ou le fluteur au grand public, personne ne les a fantasmés. C’est Vaucanson lui-même et le génie humain dont il était le représentant qui forçaient l’admiration. </p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295609/original/file-20191004-118213-1ydmvl3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295609/original/file-20191004-118213-1ydmvl3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295609/original/file-20191004-118213-1ydmvl3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295609/original/file-20191004-118213-1ydmvl3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295609/original/file-20191004-118213-1ydmvl3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295609/original/file-20191004-118213-1ydmvl3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295609/original/file-20191004-118213-1ydmvl3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Robot Pepper.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Aujourd’hui, l’emballement a changé de camp. Quasiment personne, en dehors des cercles spécialisés, ne connaît le nom des personnes qui conçoivent nos machines. Désormais, ce sont les machines elles-mêmes qui nous ébahissent et qui attisent notre désir. Bien sûr, il y a beaucoup de marketing là-dedans, mais plus fondamentalement, je pense que la socialisation de nos machines et l’attachement qu’on peut ressentir à leur égard sont les témoins d’un changement culturel ancré dans une évolution cognitive. Dans ce contexte, le robot social m’apparaît comme le révélateur d’une souffrance que j’appelle souffrance de l’« autre manquant » ou de l’« autre fantôme », en référence au syndrome du membre fantôme. Nous sommes en quelque sorte en mal d’autrui, mais plus généralement en mal de l’Autre. Cela ne veut pas dire que nous sommes seuls, privés de toute forme de relation, isolés physiquement, etc., mais plutôt que la qualité de nos liens envers autrui et le monde n’est plus nutritive ; elle est même devenue toxique !</p>
<p><strong>JDS : Le robot est donc une puissance d’interpellation quant à notre relation au monde ?</strong></p>
<p><strong>VA :</strong> Je le crois vraiment. Le robot est une entité encore très mal identifiée qui n’a pas fait l’objet d’une quelconque inhibition culturelle. Nous sommes en quelque sorte les héritiers d’une culture séculaire d’inhibition, d’insensibilisation envers le non-humain. Notre empathie à géométrie variable est le résultat d’un processus culturel. Par exemple, nous sommes habitués à considérer les animaux d’élevage comme des choses, des ressources, certes vivantes, mais destinées au sens plein du terme à nous nourrir. On se dit peut-être que c’est triste, mais qu’au final « c’est comme ça ».</p>
<p><strong>JDS : Vous voulez dire que le robot n’étant encore soumis à aucune norme culturelle ou sociale précise, notre « empathie naturelle » peut s’exprimer envers lui sans être bridée ?</strong></p>
<p><strong>VA :</strong> Oui. Dans ce contexte, je conçois le robot comme le doigt du sage qui montre la lune. Si nous voulons être malins, il faut regarder très attentivement cette lune qui n’est-autre que l’humain lui-même. Le robot social est un selfie de l’homme moderne qui interroge en profondeur notre posture narcissique et l’écologie relationnelle que nous devrions adopter pour restaurer nos glus.</p>
<p><strong>JDS : Contrairement à beaucoup de vos collègues chercheurs, vous semblez n’accordez que peu de pouvoir au robot lui-même. Notre rapport à l’objet est pour vous essentiellement le résultat d’un processus historique et sociocognitif, de sorte qu’un NAO n’aurait probablement pas eu d’effet différent qu’un automate comme le canard à l’époque de Vaucanson…</strong></p>
<p><strong>VA :</strong> Je le crois, oui. On met beaucoup en avant des histoires de cognition artificielle, d’autonomie avec des artefacts tels que NAO, mais je ne crois pas que l’objet ait autant d’effet sur nous qu’on veut bien le dire. Je crois plutôt que nous avons un fort désir de voir en l’artefact une autonomie, des émotions, tout ce qui peut en faire un « autre », un compagnon envers lequel s’attacher. Bien sûr, il faut qu’une base perceptive conforte ce désir, un caillou ne provoque pas cette impression d’altérité chez nous, mais je pense que le désir est premier. Ce ne sont pas les règles sensorimotrices qui créent le sentiment qu’un NAO ou autres sont autonomes, mais plutôt notre fort « désir d’autre » que la biomécanique ne viole pas. Cela reboucle avec mon idée d’autres fantômes : ce désir est pour moi révélateur d’un manque, d’une souffrance liée à un déracinement relationnel. </p>
<p>D’un point de vue instrumental, le robot peut agir sur cette souffrance comme de la morphine, comme le miroir dans le cas du membre fantôme. Il peut combler momentanément notre manque, masquer notre souffrance, aider les personnes isolées à revenir vers autrui, à se resocialiser ; mais cela ne peut qu’être temporaire, en tout cas, il faut le souhaiter. D’un point de vue plus philosophique, enfin, le robot est un outil conceptuel fort pour repenser la place que nous occupons dans le monde. Mon espoir est qu’il pourra contribuer à une prise de conscience, grâce à ce désir dont il est révélateur, de notre appartenance au monde et qu’il permettra de réviser des siècles de culture nous ayant extraits de cette appartenance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124048/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien De Sanctis est doctorant CIFRE à l'UTC et au sein de la société Spoon qui co-finance sa thèse avec l’État. Il est par ailleurs membre de l'association technocritique Le Mouton Numérique et de La Pause Philo Média. </span></em></p>Découvrez Emox, le robot majordome et le phénomène de glu socio-affective.Julien De Sanctis, Doctorant CIFRE en philosophie et éthique des techniques, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/608832016-06-14T04:39:45Z2016-06-14T04:39:45ZPour un rôle plus affirmé des universités de technologie dans la reconfiguration du paysage des écoles d’ingénieurs<p>Les mouvements de concentration universitaire en cours depuis près d’une dizaine d’années sous une forte impulsion gouvernementale exprimée notamment par la loi Fioraso de juillet 2013 et la logique des investissements d’avenir (IDEX, ISITE…) interpellent fortement l’ensemble des établissements français d’enseignement supérieur et de recherche, universités et grandes écoles. Et placent ceux dont la taille est relativement plus faible devant des choix stratégiques souvent difficiles.</p>
<p>Ils n’ont que deux options ; soit continuer à se développer de manière indépendante en tentant de préserver un statut autonome ; soit rejoindre (selon un choix réfléchi ou subi) un établissement de taille plus importante (université, groupe, COMUE…) avec un transfert partiel de pouvoir et de compétences à une autre structure.</p>
<h2>Deux choix</h2>
<p>Le premier choix cité, même s’il existe théoriquement, est de plus en plus difficile à assumer pour des grandes écoles (ingénieurs, commerce…). Elles sont pour la plupart dotées d’un positionnement, d’une reconnaissance, d’une visibilité et d’une attractivité forts mais le nombre d’élèves y est souvent inférieur à un millier et les capacités ainsi que les moyens d’actions (à l’international, en termes de communication, de partenariats avec les milieux économiques, de prise en compte de problématiques globales nécessitant une capacité pluridisciplinaire…) y sont plus limités.</p>
<p>Le second choix peut constituer, dans certains cas spécifiques, une opportunité intéressante, à condition d’éviter les phénomènes préjudiciables de dilution dans un grand ensemble. Les contraintes administratives peuvent en effet freiner l’agilité des écoles, inhiber leurs capacités créatrices et uniformiser leurs indicateurs (taux d’encadrement, nature des financements…) vers la moyenne sans prise en considération de leurs spécificités notamment pédagogiques.</p>
<h2>Efficacité</h2>
<p>De fait, il est aisé de démontrer que l’efficacité des grandes écoles est très liée à une organisation et un mode de fonctionnement caractérisés par une grande agilité et la réactivité qui en résulte. Celle-ci permet de répondre de manière rapide aux sollicitations des entreprises.</p>
<p>Concernant les écoles et formations d’ingénieurs, ceci amène à faire les constats suivants :
1) les écoles d’ingénieurs doivent se regrouper pour atteindre la taille critique nécessaire à leur développement à long terme ;
2) ces regroupements doivent préserver l’agilité et l’efficacité des structures actuelles ;
3) ces regroupements doivent s’opérer dans le cadre d’une politique dont l’Etat doit se doter : au-delà de la politique que s’est donnée l’Etat en matière de restructuration macroscopique de l’ESR (Enseignement supérieur et recherche), il y a besoin d’une politique nationale en matière d’ingénierie et de technologie.</p>
<p>La proposition, que l’État se dote d’une politique en matière d’ingénierie et de technologie, est à mettre en perspective avec la nécessité de rapprocher l’université et l’industrie, dans le cadre de la volonté affichée par plusieurs gouvernements successifs, de créer les conditions d’une réindustrialisation de la France.</p>
<h2>Nature hybride</h2>
<p>Dans ce contexte, les trois Universités de technologie (dont la nature « hybride » est telle qu’elles sont en même temps université et grande école), conscientes de la valeur et la pertinence de leur modèle, notamment dans une vision, une compétition et une perspective internationales, peuvent jouer un rôle majeur dans la mise en place d’un dispositif permettant :</p>
<p>• de contribuer à la poursuite de la structuration du paysage de l’ESR en France et notamment celui des formations d’ingénieurs français, en maîtrisant son évolution ;</p>
<p>• de renforcer le positionnement des universités de technologie à l’échelle nationale et internationale dans le cadre d’une politique cohérente, concertée et maîtrisée de leur développement ;</p>
<p>• d’accompagner des écoles ou universités intéressées par une évolution vers le modèle des UT, soit sous la forme de la mise en place d’un partenariat structurée avec les universités de technologie, soit dans le cadre plus ambitieux d’un processus de transformation vers le statut d’UT, éventuellement dans le cadre d’un projet de regroupement ou association avec d’autres écoles d’ingénieurs.</p>
<p>Les universités de technologie peuvent aussi jouer, au sein des COMUE, un rôle structurant et fédérateur dans l’émergence, la reconnaissance, la structuration et la visibilité de pôles forts « ingénierie, technologie et innovation » reconnus et actifs dans une approche fortement intégrée et une continuité entre les Sciences et les SHS.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/60883/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’État doit se doter d’une politique en matière d’ingénierie et de technologie qui donne plus de latitude aux universités de technologie.Alain Storck, Président, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Pascal Brochet, Directeur, Université de Technologie de Belfort-MontbéliardPierre Koch, Directeur, Université de Technologie de Troyes (UTT)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/598022016-05-27T04:45:41Z2016-05-27T04:45:41ZQuel futur pour l’emploi et le salariat ? (2) : une autre vision du travail et des revenus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/124011/original/image-20160525-25231-1m9zeb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'idée d'un revenu universel est de plus en plus présente dans le débat public.</span> </figcaption></figure><p><em>Nous publions en deux parties ce texte de l’économiste Yann Moulier-Boutang, auteur de « L’<a href="http://www.carnetsnord.fr/titre/l-abeille-et-l-economiste">abeille et l’économiste</a> ». Dans la première partie il explore les racines de la crise et les conséquences de la révolution numérique. Dans la seconde partie ci-dessous il avance des solutions possibles.</em></p>
<h2>Les « solutions » possibles</h2>
<p>Face à une situation de chômage technologique structurel très important qui relègue les espoirs de plein emploi au rang de vœux pieux, il existe au fond trois positions qui conduisent à trois solutions différentes.</p>
<p><strong>La première</strong> consiste à penser que le capitalisme qui est en train d’émerger n’est pas substantiellement différent du capitalisme industriel et que la transition se fera d’autant mieux qu’on prendra le plus rapidement <strong>des mesures d’ajustement</strong> de la main d’œuvre aux nouvelles formes de production (<em>lean management</em>, rationalisation de la main d’œuvre, augmentation de productivité), que les entreprises regagneront des marges de profits et donc embaucheront.</p>
<p>La solution passerait par une baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée, une activation des dépenses de chômage par une formation systématique, une plus grande adaptation des métiers. Les salariés devraient souffrir momentanément de chômage, mais l’emploi devrait redémarrer sur la base d’un contrat de travail unique (moins de sûreté de l’emploi pour les salariés protégés avec par exemple l’adoption d’un contrat de travail unique, mais davantage d’emplois) discours entendu aussi bien en France qu’en Chine récemment. C’est la position néolibérale.</p>
<p><strong>La seconde analyse</strong> reconnaît que le capitalisme nouveau est différent du capitalisme industriel, mais que le contrat de travail salarié « protégé » peut être imposé aux entreprises par l’État et rester le socle de la protection sociale. C’est en gros le socle commun à tous les refus de la gauche des aménagements du Code du travail vers <strong>plus de flexibilité</strong> pour obtenir davantage de création d’emploi.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/124014/original/image-20160525-25218-1ank6uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/124014/original/image-20160525-25218-1ank6uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/124014/original/image-20160525-25218-1ank6uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/124014/original/image-20160525-25218-1ank6uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/124014/original/image-20160525-25218-1ank6uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/124014/original/image-20160525-25218-1ank6uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/124014/original/image-20160525-25218-1ank6uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Margaret Thatcher à la télévision.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/joybot/6379400463/in/photolist-aHJ6va-qGT5F9-7HHJtX-gzTVbz-jvdYic-efaFB5-82MzKq-82JnGa-78HW7x-7eexBZ-7cMECq-75BS7S-82MqBs-82JrnX-82JrFX-82JqRz-aemMx5-82Js1a-82Jr7X-av3FMP-82MyCW-6zZE4d-6zVxgV-82MwMb-6zVxBH-9Stcn3-6zZx45-6zZDob-7cHDsP-7eenGk-av3G78-6ZSdLk-7cMFgW-7eeysK-7eeoBD-7cMyXS-6zVsZ6-6zVv76-49gBJf-av3Hg4-7S82dR-6zZxw5-7eerD8-6zVubP-7cMAFf-8b7BQp-7cMBiC-7eikW3-6zZBvN-7eitKq">Sarah Joy/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’affrontement de ces deux positions a dominé la scène politique depuis 1975 et la discussion en cours en France autour de la loi El Khomri en constitue une illustration parfaite. La première position l’a largement emporté depuis la <a href="http://www.alternatives-economiques.fr/margaret-thatcher-ou-la-dame-de-fer-et-du-laisser-faire_fr_art_834_42844.html">contre-révolution thatchérienne</a> et reaganienne, réduisant la seconde à une résistance dans un pré carré de plus en plus réduit.</p>
<p>C’est au reste ce constat d’impuissance de la gauche traditionnelle, combinée à l’effondrement en 1989 des régimes socialistes d’obédience soviétique et l’hybridation chinoise très curieuse d’un socialisme autoritaire combiné à un développement d’un capitaliste de marché débridé, qui a conduit Tony Blair et son mentor idéologique <a href="https://www.cairn.info/la-sociologie-de-anthony-giddens--9782707151902.htm">Anthony Giddens</a> bientôt suivis dans toute l’Europe, à déserter la social-démocratie au nom d’un réalisme économique.</p>
<p>Avec dix ans de retard, par rapport à l’Allemagne (<a href="http://www.lesechos.fr/02/02/2015/LesEchos/21868-053-ECH_hartz-iv--la-clef-controversee-du-miracle-allemand.htm">Lois Hartz</a>), vingt ans par rapport au Royaume-Uni, les débats français sur la réforme du Code du travail retrouvent ces mêmes lignes de fracture.</p>
<p>Ces deux solutions ou une motion chèvre/choux combinant les deux épuisent-elles toutes les possibilités ? Il est permis d’en douter d’autant qu’une troisième solution est en train de s’esquisser sous nos yeux.</p>
<h2>Deux pistes qui tournent court</h2>
<p>Le problème que rencontrent ces deux « solutions » est simple et tient en un seul mot : <strong>l’impossibilité constatée d’un retour à une croissance durable de plein emploi</strong> et une crise de l’État Providence. Michel Rocard avait assez lucidement craché le morceau dans les années 1990. Avec Nouvelle Donne et Pierre Larrouturou (<em>La gauche n’a plus droit à l’erreur</em>, Flammarion, 2013) il avait récidivé. Sans beaucoup de succès à gauche. C’est dommage. En apparence, mais en apparence seulement, les recettes néolibérales ont paru l’emporter d’abord sous la forme des purges d’austérité à la Thatcher (réduction des dépenses publiques, de l’endettement de l’État, des privatisations) ensuite par les recettes du nouveau Labour anglais dérégulant le marché du travail.</p>
<p>Mais l’instabilité financière qui s’est traduite par des crises très fortes dont celle de 2008 qui a failli devenir systémique, les médiocres bilans en termes d’emplois, des déficits budgétaires croissants, l’explosion des inégalités, le recours croissant à des retraites par capitalisation et non plus par répartition ont montré que la première solution ne parvenait pas à stabiliser un véritable régime de croissance.</p>
<p>Inverser la courbe du chômage au prix d’une dégradation des emplois offerts surtout dans les services ce qu’on a pu voir aussi bien au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis, tel est le cruel dilemme auquel se heurtent les politiques de lutte contre le chômage.</p>
<p>L’heure de la seconde solution a paru émerger avec la montée en Grèce, en Espagne d’une gauche clairement contestataire remettant en cause les dogmes de l’austérité budgétaire et du désendettement à tout prix. Il est à craindre toutefois que la seconde solution : relancer la croissance par la consommation populaire, taxer les profits des multinationales du numérique (les Gafa) imposer par la loi le respect d’un code du travail axé sur la défense du salariat canonique (contrat de travail à durée indéterminée, limitation des licenciements) ne se heurte aux transformations intenses de l’appareil productif par la deuxième vague de la révolution numérique.</p>
<h2>L’impact de la révolution numérique</h2>
<p>Au moment où l’économie matérielle paraît toucher enfin les dividendes des progrès de productivité des ordinateurs, un nouvel impact du progrès technique obère le redressement d’une croissance de l’emploi. C’est le drame des stratégies « d’inversion de la courbe du chômage » adoptée par le Rapport Gallois et le « redressement productif » qui voient échouer les politiques de l’offre après avoir vu échouer les politiques keynésiennes de relance de la demande.
La deuxième vague d’automation intellectuelle touche les tâches complexes intellectuelles, mais routinières et gouvernables par des algorithmes guidés par les valeurs statistiques</p>
<p>Les progrès rapides dans le remplacement d’activités mobilisant l’intellect, mais codifiés dans des programmes, et dans des données structurées par des tables de calcul, des BIG Data fournis par un nombre croissant d’objets connectés, montre que l’automatisation des immatériels qui peuvent être codifiés est déjà bien avancée. Les robots intellectuels touchent les emplois de banques, de consulting ou de mises à jour des données.</p>
<p>Plusieurs études en <a href="http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/quand-les-algorithmes-remplaceront-les-cadres_1548065.html">France</a>, UK et <a href="http://money.cnn.com/2016/01/15/news/economy/smart-robots-stealing-jobs-davos/index.html">US</a> montrent de façon très convergente que 45 % à 55 % des emplois actuels sont directement menacés dans les 20 ans qui viennent.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/123983/original/image-20160525-25245-1jex8je.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123983/original/image-20160525-25245-1jex8je.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123983/original/image-20160525-25245-1jex8je.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123983/original/image-20160525-25245-1jex8je.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123983/original/image-20160525-25245-1jex8je.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123983/original/image-20160525-25245-1jex8je.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123983/original/image-20160525-25245-1jex8je.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123983/original/image-20160525-25245-1jex8je.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Taux de chômage en France.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Insee</span></span>
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</figure>
<p>Avec plus d’un tiers de la population active au chômage indemnisé ou pas, la partition traditionnelle entre le travail salarié, le travail indépendant, les professions libérales (médecins, avocats, juriste, experts) s’estompe de plus en plus. Or la protection des « indépendants » comprenons les non salariés est une lacune profonde des stratégies prônant le développement tous azimuts de la prise de risque par l’entrepreneur. On confond le risque comelrcial du société avec le risque personnel de l’individu.</p>
<p>Les pays émergents à développement rapide (BRICS) et les nouveaux émergents (Nigéria) ne sont pas mieux lotis puisque des études récentes évaluent à plus de 80 % les emplois menacés soit par une robotisation (qui avance à grands pas en Chine) soit par le couplage des machines learning avec le big data issu des dispositifs d’objets interconnectés. Selon le World Economic Forum de Davos (janvier 2016), <a href="http://www.blog-emploi.com/5-millions-emploi-davos/">5 millions d’emplois risquent de disparaître d’ici 2020</a> en raison de la robotisation de l’économie.</p>
<h2>Revenu universel, emplois subventionnés et intermittence généralisée</h2>
<p>La troisième solution consiste à envisager le couplage d’un revenu d’existence universel, d’une subvention publique des emplois faiblement qualifiés et d’un régime d’intermittence généralisée du travail</p>
<p>En <a href="https://bambooinnovator.com/2014/02/06/if-robots-divide-us-they-will-conquer-the-rise-of-intelligent-technologies-may-cost-us-dear-unless-we-understand-the-dangers-2/">février 2014 Martin Wolf dans le <em>Financial Times</em></a> tirait les leçons de la transformation considérable de l’emploi dans la seconde vague de la révolution des technologies numériques. Il ne voyait que deux mesures capables de conjurer une crise cette fois-ci politique du capitalisme tout cognitif qu’il soit.</p>
<p>La première serait d’ <strong>instaurer un revenu de base ou citoyen inconditionnel</strong> pour tout membre de la société cumulable avec différentes formes d’activité (ce qui correspond pour moi à la rétribution de la contribution marchande ou non de la pollinisation humaine et de l’apport de chacun, sous différentes formes (y compris l’économie sociale et solidaire) à la productivité globale des facteurs.</p>
<p>La seconde mesure encore plus surprenante de la part de ce réaliste du <em>Financial Times</em> qui n’est pas particulièrement anti-capitaliste ni révolutionnaire était de <strong>subventionner toute participation au marché du travail</strong> pour les tâches banales requérant du travail manuel et peu qualifié. En effet, la conséquence directe d’un revenu d’existence serait de supprimer l’incitation majeure à remplir ces emplois. La mesure proposée serait de subventionner ce type d’emploi : chaque dollar gagné par l’employé serait abondé un autre dollar destiné à en financer les cotisations sociales de l’employeur (<em>benefits</em>). Les systèmes bismarckiens à l’allemande ou semi-bismarckiens à la française deviendraient totalement beveridgiens.</p>
<p>Remarquons que d’ores et déjà les <strong>mesures d’aide à l’emploi</strong> ces 25 dernières années ont surtout consisté à exonérer les employeurs de cotisations sociales. Le Président <a href="http://www.lefigaro.fr/emploi/2016/01/14/09005-20160114ARTFIG00107-le-gouvernement-prevoit-un-cheque-emploi-de-2000-euros.php">Hollande a au reste annoncé</a> qu’en 2017 la totalité des emplois rémunérés au salaire minimum (le smic) seraient exonérés de la cotisation sociale employeur.</p>
<p>Pourquoi des mesures qui auraient été taxées il y a vingt ans d’aimables utopies révolutionnaires figurent-elles à l’agenda politique ? Ce sont les transformations de l’économie qui l’expliquent.</p>
<h2>La mue du salariat en intermittence</h2>
<p>Le salariat aménagé par deux siècles de protection sociale passablement érodées depuis trente ans correspond-il encore au mode productif qui se dessine ? La flexibilité réclamée par les entreprises sans protection sociale comme les diverses formes de contestation de l’ubérisation croissante de l’emploi l’ont attesté, n’est pas la solution. L’idée de <strong>flexi-sécurité</strong> à la scandinave souvent citée, mais peu imitée réellement, dernier espoir de ceux qui voudraient sauver le modèle d’un salariat stable et protégé, suffirait-elle à endiguer le tsunami du chômage technologique ? Là encore on peut en douter.</p>
<p>La troisième solution de plus en plus évoquée par l’aile marchante du capitalisme numérique comme nous l’avons montré consiste à remodeler profondément ce qu’a été le salariat. Son modèle de contrat se met à ressembler à de <strong>l’intermittence ou de l’intérim généralisés</strong>, à des contrats liés à des projets de quelques années (Rapport Vizille) ou à de l’événementiel ou enfin à des participations à des poly activités (ce qui correspond au monde vécu par les fondateurs de startups, les bénévoles opérant dans les fablabs).</p>
<p>Mais à la différence du modèle de flexibilité néo-libérale, la protection sociale fondamentale est fournie par un revenu d’existence généralisé à tous pour toute la durée de la vie. La solution à la précarisation croissante du marché du travail y compris pour les classes créatives est un revenu minimum d’existence détaché de l’emploi dans le marché. De l’emploi et pas du travail rémunéré ou de l’activité bénévole.</p>
<h2>La révolution du revenu universel</h2>
<p>C’est une transformation considérable. Quand il s’agissait de financer un RSA amélioré à la marge (de l’ordre de 550 euros par personne) se substituant à l’ensemble des prestations fournies par les assurances maladie, chômage, les retraites, les aides au logement, les besoins de financement pouvait être couverts par le recours au système actuel des impôts.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/124019/original/image-20160525-17595-1l52o0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/124019/original/image-20160525-17595-1l52o0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/124019/original/image-20160525-17595-1l52o0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/124019/original/image-20160525-17595-1l52o0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/124019/original/image-20160525-17595-1l52o0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/124019/original/image-20160525-17595-1l52o0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/124019/original/image-20160525-17595-1l52o0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/124019/original/image-20160525-17595-1l52o0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le revenu de base au salon Naturabio (Lille, 2013).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/revenudebase/11188152334/in/photolist-i3EcUb-i3EbX3-i3Ed4j-h7kXvc-dnMZmw-d8vfpA-oytnR1-d8vxJ7-dnMVCz-zArGkB-zzmhfW-zzmgtq-zArH9v-zy8qwm-yDyi7M-zArBpp-ziPdLw-yDyd64-zzmbiA-oNUqjb-oyrAMY-ziPh4d-ziQKQw-qg5MoF-pYwTkq-qg5MbB-pYDp1K-pcsmhC-p3BtbJ-oFACMu-oY66fn-oFAJeu-oFAVK4-oFADt7-oXPrVi-oFAhR7-oFAEy2-oW3PYh-oFzKHV-oFzEtX-oW3yXL-oyGEgS-oytaKu-oysWPP-oQVu9Y-oyrRhC-oQUnN3-oQUnGb-oQEpkD-oNUqeG">Revenu de base/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Le financement d’un revenu d’existence à un niveau équivalent à celui du smic ne peut pas être assuré par les impôts directs actuels (système Beveridgien) ou par les cotisations sociales (système bismarckien ou mixte à la française) qui ne constituent pas la solution quand bien même il serait partiellement assuré par un impôt sur le capital ou sur la consommation (via la TVA) qui ne suffiraient pas non plus.</p>
<p>La récente étude de Thomas Chevandier, Jérôme Héricourt, Groupe de travail Revenu universel de la Fondation Jean-Jaurès
https://jean-jaures.org/nos-productions/le-revenu-de-base-de-l-utopie-a-la-realite propose un revenu de base à 750 euros. La totalité des transferts opérés par le système actuel correspond à 800 euros par mois et par Français. La solution proposée par ce Think Tank proche du Parti socialiste y consacrerait les ressources actuelles des assurances maladies, handicap, chômages, retraites. L’allocation couvrirait les plus de 18 ans. Les besoins de financement seraient couverts par les modes de financement de la protection sociale actuelle. Un correctif serait effectué pour les retraités qui toucheraient une fois et demie la somme standard.</p>
<p>Les principaux défauts de ce plan c’est qu’il décolle trop peu du niveau de pauvreté pour avoir un impact macro-économique de résorption massive des inégalités et de remède à la précarisation de 25 % de la population active. Il présente au reste un très grand risque de livrer la protection sociale au marché financier de la capitalisation.</p>
<p>Le BIEN (<a href="http://www.basicincome.org">Basic Income Earth Networks</a>) en particulier l’économiste Philippe Van Parijs qui en est l’un des fondateurs explique que le revenu de base doit être le plus élevé possible selon les pays. Nous pensons pour notre part qu’en France il devrait remplacer le salaire minimum et atteindre entre 1 100 et 1 200 euros par personne (y compris les enfants) si l’on veut en faire un outil de flexibilisation de la création d’activité protégée quelle que soit sa modalité (emploi salarié classique, intermittent, partiel, occasionnel, bénévole). Voir notre contribution à paraître dans la revue <em>Multitudes</em> 2016/2, juin, n° 63.</p>
<p>Dès que le revenu universel dépasse l’effort actuel de redistribution, il est illusoire de compter le financer à prélèvement constant. Mais nous savons que le système actuel d’impôt direct ou indirect est à la limite de la rupture. Il faut donc changer totalement le système des impôts en le remplaçant par <strong>une taxe uniforme sur toutes les transactions monétaires et financières</strong> (solution proposée par <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2011-3-page-76.htm">René Montgranier</a> dans les années 1980).</p>
<p>Il y a actuellement 10 fois plus de transactions financières et monétaires mondiales que de PIB (700 000 milliards contre 70 000). Une taxe de 5 % sur toutes ces transactions perçues directement par les banques représenteraient 35 000 milliards même si le régime de croisière de cet impôt en situation normale pourrait être situé entre 1,5 et 2,5 %. Cette logique de taxation correspond au fait qu’aujourd’hui la richesse se crée dans la circulation et les flux et pas sur des stocks (le capital, le revenu, le profit, le patrimoine).</p>
<p>Pour mémoire en France le PIB en 2013 a été de 2539 milliards d’euros ; sur 25 400 milliards d’euros de flux financiers cette taxe pollen à 5 % représenterait 1270 milliards. En 2013 le budget de la France avait été de 386 milliards d’euros de recettes et de 455 milliards de dépenses ; le budget social de la nation avait été de 469 milliards d’euros de dépenses.</p>
<p>Le remplacement de tout le système actuel fiscal (impôts directs, indirects) par cette taxe uniforme perçue par les banques (qui du même coup deviendraient des annexes de l’appareil fiscal de l’État et permettraient à ce dernier d’avoir ses recettes en temps réel) est <strong>doublement redistributif dans les faits</strong>. 1°) Compte tenu de l’assiette de la richesse actuelle aussi bien productive que patrimoniale c’est dans les flux financiers et monétaires que l’essentiel de la richesse des plus riches se fabrique ; 2°) en permettant le financement des dépenses de l’État largement, en réduisant le déficit budgétaire, en accélérant le remboursement de la dette publique, il opérerait un puissant effet de redistribution.</p>
<p>Quant à l’effet incitatif à l’innovation il serait boosté d’une part par l’autonomie économique fournie à ceux qui travaillent dans des projets qui n’ont pas encore de rentabilité financière suffisante pour assurer un emploi marchand et d’autre part par un <a href="http://arsindustrialis.org/vers-le-travail-se-substituant-%C3%A0-l%E2%80%99emploi-pour-un-revenu-de-base-et-un-revenu-contributif">revenu contributif additionnel</a> tel que le propose Ars Industrialis sous l’impulsion de Bernard Stiegler pour ceux qui ont une activité non rémunérée dans des centres d’innovations, des pépinières de start-up, des ateliers de co-working.</p>
<p>Un sondage mené en mars-avril 2016 auprès de 10 000 Européens voyait 64 % d’entre eux se prononcer en faveur d’un revenu de base (<a href="http://basicincome-europe.org/ubie/unconditional-basic-income/"><em>unconditional basic income</em></a>), 58 % étant au courant de ce que cela représentait précisément <a href="http://www.basicincome.org/wp-content/uploads/2016/05/EU_Basic-Income-Poll_Results.pdf">caractère inconditionnel, individuel, cumulable avec une activité rémunérée</a>.</p>
<p>C’est un signe des temps que la proposition d’un revenu universel ou de base soit sorti des milieux très étroits des spécialistes. Et plusieurs gouvernements commencent à voir dans cette proposition une sortie vers le haut de la crise de l’emploi et du salariat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/59802/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yann Moulier-Boutang ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Et si, au lieu de recourir aux solutions classiques d’ajustement du capitalisme, on envisageait des politiques alliant revenu universel, emplois subventionnés et intermittence ?Yann Moulier-Boutang, Professeur des universités en Sciences Economiques, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/598012016-05-26T04:41:07Z2016-05-26T04:41:07ZQuel futur pour l’emploi et le salariat ? (1) : la quatrième révolution industrielle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/123977/original/image-20160525-25245-ffzxef.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/buffawhat/3651645941/in/photolist-6yFD7M-9Zn9a3-9Zkom5-oYnMVT-8wGn4L-mByf9a-79QSFs-cZRkh-sd8Lqg-8uvnwA-mBzowm-4rs4sc-6Viv6E-6VeuZ4-5j3XhA-9BkMP5-5sXBJD-8wDjnc-biaH2x-7jnF7k-kbKdxF-azuneP-6Vez14-f9JN7n-72tYv5-c5WafW-dNui1z-8yALFZ-dT2SQ-5JyUPf-6yFCT4-DaPis-6yKJn7-4X1CJj-6yKJAQ-4VHEGP-7Ud6C9-5RggFT-8wGgPm-8wGkMU-5UeY5W-cbUUMy-6DLbJQ-cibtYJ-6zHtQc-cibttQ-rvGCP8-6qATJH-ixj2HW-oaB2Zh">Sean-Franc Strang/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Nous publions en deux parties ce texte de l’économiste Yann Moulier-Boutang. Dans cette première partie il explore les racines de la crise et les conséquences de la révolution numérique. Dans la seconde partie il avance des solutions possibles.</em></p>
<h2>Les origines d’une crise sans précédent de l’emploi et du salariat</h2>
<p>La crise pétrolière de 1974 qui a rebondi en 1978-80 avec la révolution iranienne a clos les Trente glorieuses et leur modèle économique. Ce dernier reposait sur trois piliers : une énergie et des matières premières bon marché, une combinaison de main-d’œuvre banale abondante provenant des migrations rurales urbaines et de main-d’œuvre qualifiée relativement rare et enfin le fordisme c’est-à-dire la production de masse de biens de consommation durables dont l’automobile était le symbole.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/123965/original/image-20160525-25213-10jl223.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123965/original/image-20160525-25213-10jl223.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123965/original/image-20160525-25213-10jl223.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123965/original/image-20160525-25213-10jl223.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123965/original/image-20160525-25213-10jl223.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123965/original/image-20160525-25213-10jl223.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=310&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123965/original/image-20160525-25213-10jl223.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=310&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123965/original/image-20160525-25213-10jl223.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=310&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution du PIB de la France (en volume).</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Les progrès des rémunérations étaient contenu dans les limites des progrès de productivité (le keynésianisme) et le modèle d’emploi était dominé par une salarisation à plein temps associé à une protection sociale (ce que l’on a appelé l’<a href="http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/finances-publiques/protection-sociale/definition/systemes-bismarckien-beveridgien-protection-sociale-quelles-caracteristiques.html">État Beveridgien</a>), l’équilibre macroéconomique étant assuré par une progression régulière du pouvoir d’achat des classes moyennes.</p>
<p>Cette heureuse combinaison a permis trente ans de plein emploi. Toutefois, avec l’ouverture progressive des économies (ce qui allait devenir la mondialisation), l’arrivée des baby-boomers sur le marché du travail, la hausse brutale des énergies fossiles et des matières premières et des coûts salariaux (inflation à deux chiffres) ce modèle s’est effrité, la productivité a ralenti, un chômage chronique s’est installé.</p>
<p>Cela a correspondu aussi au fameux <a href="http://stockage.univ-valenciennes.fr/MenetACVBAT20120704/acvbat/chap01/co/ch01_040_1-4-1.html">rapport du Club de Rome</a> sur les limites de la croissance (1972) qui a introduit une prise de conscience sur les dégâts du progrès industriel pour l’environnement. La crise n’était plus un court passage cyclique. Elle s’est installée.</p>
<p>Les États ont eu de plus en plus de mal à garantir une croissance forte sur la longue période, les systèmes de protection sociale ont été touchés par la baisse de cotisations induite par le chômage. Les investissements se sont tournés vers la périphérie, vite suivis par une délocalisation productive des industries lourdes (sidérurgie, construction navale), des industries légères (textile) à fort contenu en main d’œuvre. Toutefois ce déclin du secteur manufacturier qui a vu la part de l’industrie dans le PIB passer de 30-25 % à 20-15 % a été longtemps compensé par la création d’emploi dans les services particulièrement financiers (banques, assurances).</p>
<h2>Une croissance molle malgré l’électronique et la finance</h2>
<p>On a longtemps cru que la croissance serait tirée par l’électronique et l’informatique. Mais ces nouvelles industries ont très vite été mondialisées et les progrès de productivité qu’elles étaient censées apporter à l’ensemble de l’économie et donc à l’emploi ne sont pas apparus ; si bien que Robert Solow du MIT (<a href="http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/economic-sciences/laureates/1987/solow-lecture.html">prix Nobel 1987</a>) pouvait se demander où était passé l’effet d’ordinateurs dans l’économie.</p>
<p>Les années 1980-2015 connaissent un transfert très rapide des usines dans les petits dragons (Corée, Taiwan, Malaisie, Singapour) puis dans les pays de l’ancien Tiers Monde à croissance très rapide (les BRICS : Brésil, Russie, Chine, Inde, Afrique du Sud). La financiarisation de la production est accélérée par un régime de change flottant et selon un marché financier qui fixe les taux d’intérêt.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/123969/original/image-20160525-25226-170tlzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123969/original/image-20160525-25226-170tlzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123969/original/image-20160525-25226-170tlzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123969/original/image-20160525-25226-170tlzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123969/original/image-20160525-25226-170tlzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123969/original/image-20160525-25226-170tlzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123969/original/image-20160525-25226-170tlzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123969/original/image-20160525-25226-170tlzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La crise de 2008.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=19&ref_id=14683">Insee</a></span>
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<p>Des crises financières récurrentes 1997, 2001, 2008 accroissent l’incertitude et aliment le marché des produits financiers (achat à terme qui forme le marché des produits dérivés, garantie contre le risque de change, titrisation des dettes des ménages et des États).</p>
<p>En 2015 le montant des transactions financières représentait 10 fois celui du PIB (700 000 milliards contre 70 000 milliards de dollars) sans que le plein emploi ait été rétabli dans les pays développés. La performance américaine doit beaucoup à un prix redevenu bas d’une nouvelle forme d’énergie fossile (le gaz de schiste et les pétroles bitumineux) ; en matière d’emploi c’est largement une illusion d’optique. Si l’on tient compte du retrait d’un grand nombre de femmes du marché de l’emploi qui aboutit à un taux global d’activité américain (hommes et femmes) de 60 % contre 88 % en France, le taux de chômage est de plus de 9 %.</p>
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<span class="caption">Situation de l’emploi en France.</span>
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</figure>
<h2>Une bipolarisation salariale</h2>
<p>La qualité des emplois (faible qualification, précarité des contrats de travail) constitue également un point faible de cette croissance molle et hésitante. On observe également une inégalité croissante entre les hauts salaires bien protégés et les bas salaires. Par exemple en France (qui n’est pas le pays européen le plus « inégal ») un quart désormais des effectifs employés se trouvent au salaire minimum (smic). En 1968, la population employée au salaire minimum (le SMIG) n’était que de 10 à 15 %. Aux États-Unis aujourd’hui 30 % des emplois sont en régime d’indépendants, une économie de coûts salariaux estimés à 30 %.</p>
<p>Cette bipolarisation salariale (un sablier asymétrique dont la partie haute serait très petite) accompagne et renforce des disparités de statut, et lorsqu’on se propose d’unifier les statuts : contrat de travail unique au lieu de la polarité contrat à durée indéterminée/contrat à durée déterminée le modèle vers lequel on tend rejoint la répartition des revenus : avec une explosion des rémunérations des 1 % les plus favorisés, une hétérogénéité croissante dans le premier décile, et une aggravation de la situation des deux voire trois derniers déciles.</p>
<p>La situation atteint une zone de rupture : bientôt l’emploi salarié classique (contrat à durée indéterminée) constituera-t-il un privilège réservé à une minorité de la population ?</p>
<p><strong>Taux de chômage en France</strong></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/123970/original/image-20160525-25231-fegolz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123970/original/image-20160525-25231-fegolz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123970/original/image-20160525-25231-fegolz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123970/original/image-20160525-25231-fegolz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123970/original/image-20160525-25231-fegolz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123970/original/image-20160525-25231-fegolz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123970/original/image-20160525-25231-fegolz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123970/original/image-20160525-25231-fegolz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Taux de chômage en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.coe-rexecode.fr/public/Indicateurs-et-Graphiques/La-conjoncture-en-10-graphiques/La-conjoncture-economique-francaise-en-10-graphiques">Coe-Rexecode</a></span>
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<p>La première vague du numérique qui a touché la logistique, la réorganisation spatiale de la production a permis la segmentation de la chaîne de la valeur et la délocalisation : l’emploi à col bleu dans le nord a été le principal touché.</p>
<p>Ni au Japon, ni en Europe la croissance n’est parvenue à repartir ; le FMI a souligné le caractère décevant de la reprise mondiale qui partout se débat dans des scénarios déflationnistes (baisse des prix, croissance à l’arrêt, chômage élevé). N’eût été la politique monétaire de surabondantes liquidités menées par les banques centrales des grands pays (quantitative easing), ont peut se demander si nous ne serions pas entrés dans une dépression à la manière des années 1930. Que s’est-il passé ?</p>
<h2>La transformation numérique, une nouvelle et 4°révolution industrielle ?</h2>
<p>La crise de la croissance et de l’emploi s’étend dorénavant sur plus de 40 ans elle ne paraît pas pouvoir être résorbée à court terme. En ce sens elle ne ressemble ni à la Grande Dépression de 1929 à 1940, ni à la grande stagnation de 1873 à 1893. La seule période de l’histoire du capitalisme qui lui ressemble est celle qui a accompagné la révolution industrielle de 1780 à 1850 qui a vu naître la machine à vapeur, le chemin de fer, la grande fabrique puis l’électricité.</p>
<p>La longue crise de l’emploi qui accoucha au forceps du capitalisme industriel frappa R.T. Malthus, J.B. Say, D. Ricardo et Marx. David Ricardo pencha un moment pour la loi des débouchés de Say qui concluait que les destructions d’emplois générées dans le textile par les machines à tisser automatiques seraient compensées par la grande industrie (mines, sidérurgie, construction de chemins de fer).</p>
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<span class="caption">David Ricardo.</span>
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<p>Dans la première édition de ses <em>Principes de l’économie et de l’impôt</em>(1817) Ricardo pensa que les ajustements entre les facteurs de production, capital, travail salarié permettraient à l’économie anglaise de surmonter rapidement cette situation. Et c’est au nom de ces principes que Ricardo condamna sévèrement la législation de Speenhamland (1795) qui introduisait la dernière loi sur les pauvres. Plus de 3 % du revenu national anglais fut redistribué. Toutefois il fallut se rendre à l’évidence que la crise anglaise se prolongeait. Ce qui conduisit Ricardo dans la 3° édition des <em>Principes</em> (1821) à faire son autocritique.</p>
<p>Il expliqua que le chômage « technologique » aurait pu être résorbé si et seulement si la répartition des revenus issus de la production avait été flexible de part et d’autre ; du côté des salaires comme des profits. Or les profits refusèrent de s’ajuster à la baisse et l’ajustement se fit uniquement sur le salaire réel et sur le chômage.
John Hicks dans son <em>Histoire de la pensée économique</em> remarque que le chômage dura extrêmement longtemps, que le dispositif de Speenhamland ne fut abrogé qu’en 1836, que les salaires et les conditions de vie des ouvriers furent très durs (ce qui nourrit la thèse de Marx et d’Engels de la paupérisation absolue de la classe ouvrière).</p>
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<span class="caption">J. Rifkin.</span>
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<p>Or le caractère interminable de la crise et le très faible contenu en emploi de l’économie nouvelle (numérique, verte, post industrielle, de la société de l’information, du capitalisme cognitif) ne sont pas sans rappeler le cas ricardien. De plus en plus d’économistes (Jeremy Rifkin en particulier) parlent désormais d’une nouvelle révolution industrielle.</p>
<p>Mieux, la correction apportée par David Ricardo à son modèle s’applique bien ici : malgré la puissance de la crise financière de 2008, il n’y pas eu réduction de la part des profits, de ruine massive des riches ; au contraire malgré les déclarations unanimes à droite comme à gauche à réclamer une « moralisation du capitalisme » des profits, la valeur actionnariale guide plus que jamais les stratégies des entreprises et les tentatives de contrôler la finance de marché se heurte au souci de ne rien faire qui puisse compromettre les créations d’emplois.</p>
<p>Le résultat est conforme à ce qu’avait prédit Ricardo : c’est sur le niveau des salaires et sur le volume de l’emploi que se fait l’ajustement à une révolution technologique de très grande ampleur à laquelle nous sommes confrontés.</p>
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<span class="caption">Partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits.</span>
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<p>Sept ans après la crise de 2008 les profits financiers ont manifesté une résilience très forte qui nourrit une inégalité croissante dont nous avons vu les différentes manifestations.</p>
<p>Durant les années 1930, le New Deal avait été le signal aux États-Unis d’une politique de redistribution très active et cette dernière s’est prolongée comme l’a montré Thomas Piketty jusqu’aux années Reagan. Pourquoi en quarante ans de crise aucun New Deal ou révolution ne se sont produits jusqu’à maintenant ?</p>
<p>Sans doute pour trois raisons complémentaires :</p>
<p>1) Le système financier privé ne s’est pas effondré, les États puis les banques centrales ont évité une crise de solvabilité générale ;</p>
<p>2) Les ajustements demandés aux salariés ont été moins rudes du fait des « amortisseurs sociaux » constitués par l’État Providence et le chômage a touché des catégories périphériques par rapport au cœur du salariat (les jeunes et les vieux) ;</p>
<p>3) Les années 30 ont été le témoin d’une révolution managériale dans les entreprises et institutionnelle (insertion des syndicats dans les mécanismes de gouvernance) mais elles n’ont pas connu une révolution technologique susceptible de mettre complètement sur la défensive les ouvriers et leurs syndicats et les classes moyennes comme c’est le cas aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/59801/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yann Moulier-Boutang ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur 40 ans d’évolution de l’emploi depuis l’origine de la longue crise économique commencée dans les années 1970 et analyse de la « révolution » numérique et de son impact.Yann Moulier-Boutang, Professeur des universités en Sciences Economiques, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.