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Investissements étrangers : le recours à l’audit modifie la gouvernance des entreprises cotées dans l’UE

L’éloignement géographique des propriétaires peut poser des problèmes de contrôle. Pixabay, CC BY-SA

Des riches Chinois qui achètent des vignobles français aux GAFA qui implantent des centres de données en Irlande, en passant par les fonds spéculatifs américains qui prennent des participations dans des sociétés comme Deutsche Boerse, les exemples d’investissements étrangers en Europe ne manquent pas. En effet, l’Union européenne (UE) constitue la première destination mondiale pour les investissements étrangers. Pour donner un ordre de grandeur, selon la Commission européenne, les stocks d’investissements directs étrangers détenus dans l’UE par des investisseurs de pays tiers s’élevaient à 7 138 milliards d’euros fin 2019.

En raison principalement de la libéralisation de nombreux marchés de capitaux, les investissements étrangers sont ainsi devenus une source de financement de plus en plus importante pour les entreprises de l’UE. Ce phénomène a des conséquences directes sur le marché de l’audit et plus précisément sur les honoraires d’audit, comme le révèle notre étude récente publiée dans The European Accounting Review.

Cette évolution permet de comprendre les mécanismes à l’origine des changements intervenus dans la gouvernance d’entreprise à travers le monde. Le lien entre propriété étrangère et audit n’est peut-être pas évident à première vue, mais il s’explique par les problèmes d’agence liés à la propriété étrangère.

Améliorer le contrôle des actifs

Selon la théorie de l’agence, le comportement opportuniste potentiel des dirigeants d’une entreprise est une préoccupation majeure pour les propriétaires de l’entreprise. Dans ce cas, un auditeur externe permet d’atténuer les asymétries d’information et les problèmes d’agence qui en découlent. Même s’il existe dans toutes les entreprises un risque que les dirigeants aient un comportement opportuniste et que le propriétaire doive le contrôler efficacement, ces deux aspects sont probablement plus prononcés dans les entreprises à capitaux étrangers.

Si la distance géographique (et culturelle) entre, par exemple, la Silicon Valley et la banlieue de Dublin n’est pas comparable à celle qui sépare Londres des avant-postes commerciaux du XIXe siècle le long du fleuve Congo, elle représente néanmoins un inconvénient pour les propriétaires étrangers : ils sont désavantagés en termes de collecte d’informations et de suivi de la gestion par rapport à leurs homologues nationaux. On peut donc s’attendre à ce qu’ils s’appuient particulièrement sur l’audit afin d’accroître la fiabilité des chiffres financiers de l’entreprise.

Comprendre la théorie de l’agence (Xerfi canal, 2017).

Nous avons exploré la relation entre la propriété étrangère et l’audit, au moyen de tests empiriques basés sur un échantillon international de plus de 1 700 entreprises cotées en bourse et sur les informations correspondantes en matière de finances, d’audit et de propriété provenant de douze pays d’Europe occidentale entre 2005 et 2016. Nous avons effectivement constaté une corrélation positive significative entre la propriété étrangère et les honoraires d’audit.

Pourquoi s’intéresser aux honoraires ? L’objectif des propriétaires étrangers est de réduire l’asymétrie (accrue) de l’information grâce à une meilleure qualité d’audit. L’auditeur doit comprendre l’entreprise, avoir une expérience professionnelle pertinente (par exemple, faire autorité dans son domaine/secteur), avoir une présence internationale, entre autres choses, ce qui lui permettra de percevoir des honoraires d’audit plus élevés.

L’importance de l’origine

Dans notre article, nous prédisons également (et confirmons) que, plus la qualité de la gouvernance et la protection des investisseurs sont élevées dans le pays d’origine des investisseurs, plus les propriétaires étrangers seront disposés à payer pour un audit légal. (Ce que nous avons mesuré à l’aide de données tirées du projet Worldwide Governance Indicators (WGI).)

L’origine des investisseurs étrangers joue un rôle important en ce qui concerne la demande de services d’audit, car les propriétaires venant de pays où la protection des investisseurs est forte internalisent et valorisent l’importance de l’audit en tant que mécanisme de contrôle efficace de leur « pays d’origine ».

Les actionnaires étrangers doivent protéger les investisseurs de leur pays d’origine, aussi encouragent-ils les entreprises dans lesquelles ils investissent à mettre en œuvre les mêmes pratiques de gouvernance d’entreprise que celles auxquelles ils sont eux-mêmes soumis dans leur pays d’origine. Autrement dit, le choix de l’auditeur et donc le prix de l’audit sont un mécanisme grâce auquel les investisseurs étrangers influencent la gouvernance de l’entreprise.

Le choix de l’auditeur et donc le prix de l’audit sont un mécanisme grâce auquel les investisseurs étrangers influencent la gouvernance de l’entreprise. Pxhere, CC BY-ND

En outre, nous avons constaté que le choix des auditeurs permet aux investisseurs étrangers de façonner la comparabilité des rapports financiers. Sachant que les grands cabinets d’audit utilisent un modèle d’audit hautement standardisé pour garantir la qualité de l’audit, les investisseurs étrangers tentent d’inciter leurs entreprises cibles à opter pour les auditeurs du BIG4 (KPMG, PwC, Deloitte et EY). Ces modèles d’audit hautement standardisés garantissent la qualité de l’audit grâce à des procédures approfondies, et augmentent généralement le coût de la prestation.

Notre troisième conclusion concerne l’effet de renforcement d’une participation étrangère importante. Lorsque la part détenue par un investisseur étranger augmente et devient donc plus concentrée, la capacité de cet investisseur à influencer les décisions relatives à la gouvernance de l’entreprise, notamment en matière d’audit, augmente aussi. En conséquence, nous avons constaté que le prix d’un audit augmente avec le pourcentage de participation étrangère.

Un besoin de procédures étendues

En conclusion, ces résultats mettent en lumière les mécanismes sous-jacents par lesquels les intérêts étrangers influencent la gouvernance des entreprises concernées, en particulier sur les décisions relatives aux contrats d’audit.

Si des recherches antérieures avaient démontré que les investissements de portefeuille internationaux encourageaient des pratiques de contrôle efficaces dans le monde entier, cette nouvelle étude élargit ces conclusions en montrant que ces pratiques nécessitent également des procédures d’audit plus étendues. Elle établit aussi que la qualité de la gouvernance et de la protection des investisseurs dans le pays d’origine de l’investisseur étranger, est un facteur important qui influence la conception et l’efficacité du système de gouvernance mis en place par l’entreprise.

Ces résultats suggèrent enfin que les pratiques de gouvernance d’entreprise, en termes d’audit, voyagent dans le monde entier par le biais du portefeuille d’investissements transfrontaliers des propriétaires étrangers.

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