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Islam-Occident: relire Jacques Berque

Jacques Berque. Mémoires d'Afrique du Nord

Le 5 octobre dernier s’est tenu au Collège des Bernardins un colloque relatif à la pensée politique et religieuse de Jacques Berque (1910-1995), le grand islamologue et orientaliste français. C’est principalement sous l’angle du « dialogue des civilisations et des cultures » que la pensée de Berque y fut abordée. On sait l’importance majeure de ce dialogue dans le contexte politique si troublé qui a suivi les attentats de 2015 en France et ailleurs, et les interrogations nombreuses qui en ont résulté. En ce domaine, il ne fait guère de doute que les travaux de Jacques Berque posent de précieux repères.

L’islamologue fut un remarquable passeur, « entre les deux rives de cette Méditerranée » qui lui fut si chère, comme l’atteste le recueil de ses études paru après sa mort. Il s’y intéresse autant à la liberté des peuples qu’au sujet de l’identité ou encore à ce qu’il appelle les « horizons méditerranéens ».

Ancien administrateur colonial, auteur d’une thèse remarquée sur les structures sociales dans le Haut-Atlas, Jacques Berque fut professeur au collège de France jusqu’en 1981, élu à la chaire d’Histoire sociale de l’islam contemporain.

La France et sa part d’« islamité »

Ses analyses d’une grande lucidité et d’une grande actualité témoignent de son attachement profond au thème du « dialogue et de la synthèse des cultures ». Il n’est sans doute pas besoin de beaucoup insister pour souligner la dimension fondamentale d’un tel sujet dans le contexte actuel troublé où ce dialogue paraît bien mal en point.

Outre ses analyses sur les échanges entre l’islam et de la modernité, Berque a consacré des pages essentielles au sujet de la présence de l’islam en France. Invitant la France à accepter une part de son « islamité », il s’est interrogé, en penseur politique, sur l’articulation nécessaire entre la « francité » et « l’islamité » dans le cadre de la communauté politique nationale. Ses travaux peuvent être à cet égard relus à l’aune du stimulant essai de Pierre Manent, Situation de la France. Pierre Manent s’était, dans un essai très stimulant et qui a suscité de nombreuses discussions, interrogé sur les conditions d’intégration de l’islam, pris en tant que tel, à la société française.

La nécessaire synthèse des cultures

Relativement au dialogue des cultures, Jacques Berque a proposé trois concepts : le mélange, l’amalgame et la synthèse des cultures. C’est cette dernière qui a particulièrement retenu particulièrement son attention, car « la synthèse dépasse les deux identités sans les altérer ». La synthèse « n’aliène en rien leur autonomie ». Ce point est absolument fondamental et Jacques Berque ajoute :

« Il s’agit de prendre les apports respectifs de ces civilisations, sans les contraindre à se perdre les uns dans les autres. »

Il écrit également dans Une cause jamais perdue. Pour une méditerranée plurielle :

« Le tissu se forgera avec le temps. Il y a quelque chose à chercher et à bâtir. »

Chaque culture, la culture arabe comme la culture française, ne saurait perdre ce qui constitue son irréductible spécificité en se fusionnant dans un ensemble plus grand.

Comment, dans ces conditions, doit s’opérer alors cette synthèse ?

Si les musulmans doivent s’adapter à la culture française, les autorités françaises, de leur côté, doivent également contribuer de manière active à ce mouvement profond et nécessaire.

Le rôle de l’école

En cette matière, l’école doit jouer un rôle essentiel dans la réalisation de cette « synthèse des cultures ». Celle-ci doit en effet s’opérer, en premier lieu, à l’école, bien que « tout le système éducatif doive être repensé dans sa forme et souvent dans son contenu même ». C’est à l’école, instrument du projet collectif national, que doit se réaliser « cette innovation culturelle » si fondamentale qui doit permettre de définir une « stratégie axée sur la France du XXIe siècle ». Les enseignants ont une responsabilité majeure en la matière. Françoise Lorcerie rappelle, dans une très belle étude consacrée à Jacques Berque que celui-ci invitait à dépasser deux défauts graves de la « coutume scolaire » : « la nonchalance méthodologique » et « l’unitarisme frileux », « enclin à prendre pour l’universel sa spécificité à lui ».

Dès l’école primaire, les enfants doivent être mis en contact avec des contenus pédagogiques les familiarisant avec la « pluralité des civilisations du monde » et la diversité des cultures méditerranéennes. Bien évidemment, cet apprentissage de la découverte de l’altérité et de la complémentarité ne peut pas se réaliser dans un contexte désinstitutionnalisé et dénationalisé, mais doit être reliée à la construction d’un « récit national » qui puisse articuler l’apprentissage des valeurs patriotiques qui permettent l’« être-ensemble républicain » avec la pluralité des histoires qui dessinent la grande histoire d’une nation.

En cette période où les interrogations sont nombreuses sur la nécessaire consolidation de l’« être ensemble » républicain et de la vocation de la France à parler aux mondes arabes, relire Jacques Berque s’avère vraiment fondamental.

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