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Israël : vers un roulement au pouvoir

Affiche électorale de l'alliance politique israélienne Bleu et Blanc représentant, à gauche, son chef, le général d'armée à la retraite Benny Gantz, et à droite le premier ministre Benyamin Netanyahou. Jack Guez/AFP

Les législatives israéliennes du 2 mars dernier ont été les troisièmes en moins d’un an. Paradoxalement, cette instabilité s’explique… par la trop grande stabilité politique du pays, où la domination des partis de droite ne se dément pas. En effet, depuis la fin des années 1970 et, assurément, depuis la décennie 2000, la majorité de l’électorat israélien est à droite, si l’on agrège à ce camp les pans sionistes-religieux et ultra-orthodoxes de l’opinion. Voilà bien longtemps, depuis 1992, qu’une vraie coalition de gauche n’a plus réussi à devenir majoritaire.

Quant à la cause directe de l’incapacité à dégager une coalition une année durant – soit dit en passant, d’autres démocraties comme la Belgique ou l’Italie ont déjà fait « mieux » –, elle s’explique en bonne partie par la partition que joue le nationaliste russophone Avigdor Lieberman. En refusant de joindre ses députés à la coalition de droite qui aurait pu, à une voix près, voir le jour en mai 2019 – par haine personnelle pour « Bibi » Nétanyahou et/ou du fait de sa volonté de limiter le poids des ultra-orthodoxes dans la vie civile, sociale et politique –, il a provoqué un nouveau scrutin, ni Bibi ni son rival Benny Gantz, le chef du groupe centriste-laïque hétéroclite « Bleu et Blanc », constitué de trois formations politiques, ne parvenant à réunir 61 sièges sur 120 que compte la Knesset. Rebelote en septembre, à peu de choses près.

Avigdor Lieberman vote dans un bureau de vote de la colonie israélienne de Nokdim en Cisjordanie, le 2 mars 2020. Gali Tibbon/AFP

La solution de la rotation

Aujourd’hui se dessine enfin la future coalition gouvernementale, puisque Benny Gantz a décidé de modifier brusquement sa tactique. Prenant acte qu’il ne parviendrait pas à former un bloc cohérent (il aurait dû rassembler les partis arabes et les ultranationalistes de Lieberman, une gageure) sur la seule base du « tout sauf Bibi » – ce dernier ayant tout de même remporté le scrutin du 2 mars – il a accepté un système de rotatsia (rotation) déjà éprouvé en Israël entre 1984 et 1988 (en l’espèce entre Shimon Péres et Yitzhak Shamir) et apprécié des Israéliens.

Nétanyahou et Gantz alterneraient à la tête d’un gouvernement d’urgence nationale en gouvernant 18 mois chacun, celui n’étant pas premier ministre occupant les Affaires étrangères tandis que ses alliés politiques disposeraient des portefeuilles de la Défense et de la Justice. Double avantage pour Bibi, le vainqueur du scrutin du 2 mars : demeurer un an et demi au pouvoir, et (par conséquent) bénéficier de l’immunité judiciaire. Avantage pour Gantz : diriger le pays dans un an et demi pour la même durée – et plus si affinité politique et électorale – alors même qu’il ne se retrouve plus aujourd’hui, suite à son revirement, qu’à la tête d’une quinzaine de députés… Avantage pour Israël : éviter un quatrième tour de scrutin en pleine crise sanitaire, bâtir un budget et retrouver la voie de la stabilité politique avec une large coalition qui regroupera environ 73 députés.

Le 2 mars 2020, au siège de la coalition « Bleu et Blanc » à Tel-Aviv, un écran géant diffuse une émission de la chaîne israélienne Channel 13. Un sondage de sortie des urnes prédit que le Likoud du premier ministre Benyamin Nétanyahou remporte 37 sièges contre 32 pour l’alliance électorale de Benny Gantz. Ils en obtiendront respectivement 36 et 33. Menahem Kahana/AFP

Quelle place pour les partis arabes ?

En dépit de l’idée reçue, les partis arabes ne sont pas nécessairement les grands vainqueurs du scrutin du 2 mars dernier. Certes, en s’unifiant, ils ont réussi un joli score (plus de 12 % des voix) mais, finalement, le gouvernement se fera sans eux, en dépit des rodomontades du chef de leur coalition, le modéré Ayman Odeh.

Cette année triplement électorale aura plutôt démontré que des coalitions pouvaient tout à fait se faire sans leur concours, sachant que les seuls partis acceptant de se coaliser avec eux – ceux de la vieille gauche historique (gauche résiduelle du parti travailliste et laïcistes sociaux du Meretz), ne représentent plus que 10 à 20 % de l’électorat… Cela dit, ils ne sont pas les seuls perdants de la partie puisque, au fond, l’autre prétendu « faiseur de roi », Avigdor Lieberman, restera aussi hors de la coalition à venir.

Les conséquences de l’épidémie de coronavirus

La crise sanitaire (plus de 4 000 personnes infectées et 15 morts au 30 mars en Israël) ne change pas grand-chose aux relations entre Israël et les Palestiniens. Contrairement à une idée répandue, la coopération sécuritaire et commerciale existe au quotidien entre Israël et l’Autorité palestinienne ; il en va déjà de même sur le plan sanitaire. On parle là de petites zones densément peuplées et extrêmement proches, chaque « camp » ayant un intérêt évident à la non-propagation virale chez l’autre ! Hélas, il est en revanche vraisemblable que le coronavirus ne représente pas non plus un « moteur » pour la remise en place d’un vrai processus de paix…

Quant aux États arabes de la coalition sunnite opposée à l’Iran, comme l’Égypte et la Jordanie (déjà en paix avec l’État juif), mais aussi les pétromonarchies du Golfe ou encore le Maroc, le Covid-19 n’interfère en rien avec leur proximité croissante bien que plus ou moins discrète avec Israël. L’épidémie passera plus vite que l’hostilité entre Iran et Arabie saoudite…

La crise ne pèse pas beaucoup sur la politique intérieure israélienne, même si le revirement de Benny Gantz a été justifié par l’urgence nationale consistant à s’unir contre le fléau. Face à l’épidémie, chacun campe sur ses positions traditionnelles : les haredim (ultra-orthodoxes) évoquent souvent « la main de Dieu » ; la gauche proteste contre le manque de moyens hospitaliers ; et Bibi joue – comme à l’accoutumée – le bouclier d’Israël, se posant comme le seul apte à protéger le pays contre tous les dangers…

Les forces de sécurité israéliennes arrêtent un juif ultra-orthodoxe qui protestait contre la fermeture d’une synagogue dans le quartier ultra-orthodoxe de Mea Shearim à Jérusalem, le 30 mars 2020, dans le cadre des mesures prises pour freiner la propagation de la pandémie de Covid-19. Ahmad Gharabli/AFP

Comme de nombreux pays du monde, Israël cherche à développer un traitement et/ou un vaccin contre le coronavirus. Être le premier pays à réussir cette percée n’est pas considéré pour autant comme une priorité nationale. Le symbole apparaîtrait bien pâle au regard de la place objectivement déjà très flatteuse de l’État hébreu parmi les nations médicalement et technologiquement les plus avancées. La recherche scientifique de façon générale, les progrès médicaux en particulier, sont l’un des fleurons et l’une des fiertés d’Israël. À la limite, trouver un remède au mal qui affecte la planète entière permettrait peut-être de contrer les propos conspirationnistes liés au Covid-19 – souvent antisémites et illustrant la crainte fantasmatique du Mossad – qui se déploient à la faveur de l’épidémie…

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