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Les tissus plissés ont fait la renommée du créateur/ Caroline Blumberg/EPA

Issey Miyake, inventeur d’une mode conceptuelle et grand public

Le créateur Issey Miyake, décédé à l’âge de 84 ans, laisse une trace indélébile dans le monde de la mode. Il était célèbre pour ses vêtements qui s’adaptent au corps en mouvement, pensés de façon conceptuelle, mais tout à fait adaptés à la vie quotidienne. Ses vêtements étaient souvent basés sur des formes géométriques simples réalisées dans des tissus finement plissés qui donnaient naissance à des silhouettes nouvelles et inattendues.

Dans le monde de la mode, Miyake s’est démarqué à plusieurs égards. C’est un créateur non occidental qui a fondé sa propre entreprise de mode multiculturelle prospère à l’échelle internationale, et a su proposer une mode qui dépasse les conventions en matière de silhouettes, de styles ou de type de tissus à privilégier.

La prochaine génération de créateurs de mode a beaucoup à apprendre de l’œuvre de Miyake, de sa réinvention des traditions vestimentaires japonaises à son audace dans l’adoption de nouvelles technologies textiles et de nouvelles silhouettes. Ce qui est peut-être le plus pertinent pour le public moderne, c’est sa vision inclusive, son objectif de « créer pour le plus grand nombre ». Il l’a démontré non seulement par la conception et la coupe de ses vêtements, mais aussi par les modèles qu’il a choisi d’inclure dans ses défilés et ses campagnes.

Une vision égalitaire

Né à Hiroshima, au Japon, en 1938, Miyake avait sept ans lorsque sa ville natale a été détruite par la bombe atomique qui a marqué la fin de la Seconde Guerre mondiale en Asie. Peu de temps après, il a été gravement blessé à la jambe et a perdu sa mère à cause des radiations, des événements qui l’ont incité à « penser à des choses qui peuvent être créées, et non détruites ».

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Miyake étudie ensuite le graphisme à l’université d’art Tama de Tokyo avant d’entrer à l’école de la Chambre Syndicale de la Couture à Paris en 1965. Il a assisté aux manifestations révolutionnaires de mai 1968 à Paris, qui ont abouti à une amélioration des droits des travailleurs et à d’importants changements sociaux. Cela a conduit Miyake à remettre en question le statu quo et l’a inspiré pour penser la mode de manière plus égalitaire et radicale.

Vieil homme en costume
Après les événements de mai 68, Miyake a adopté une approche plus inclusive de la mode. Franck Robichon/EPA

En 1970, il crée le Miyake Design Studio. Sa première gamme est basée sur le concept qu’il appelle « A Piece of Cloth », qui est une façon de concevoir en tenant compte de la qualité bidimensionnelle du tissu et en minimisant les déchets. Pour l’exposition universelle Expo ’70 à Osaka, il a conçoit une gamme de vêtements modulaires pouvant être assemblés en une variété de tenues choisies par celle ou celui qui les porte, appelée à juste titre « mode constructible ».

Miyake était fasciné par l’interaction entre les vêtements et le corps, explorant ce que la mode pouvait être. Cela transparaît dans ses nombreuses innovations, notamment dans la manière dont il a mêlé son héritage japonais à ses expériences européennes et nord-américaines. Il a développé sa vision de la mode contemporaine en combinant le confort des styles occidentaux avec les textiles et les silhouettes de l’Orient, en explorant les tatouages de gangsters japonais comme motifs textiles, le matelassage sashiko pour les manteaux et les formes géométriques inspirées du kimono pour les robes mouchoirs.

Rompre avec les conventions

Aux côtés des designers Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto, Miyake appartient à un groupe de créateurs japonais qui ont établi la pertinence d’une perspective de la mode en dehors des récits euroaméricains dominants. Lorsque j’ai étudié l’histoire de la mode dans les années 2000, c’était comme si elle n’existait qu’à Londres, Paris, Milan et New York, mais cette « nouvelle vague » de créateurs japonais a ouvert la voie à d’autres créateurs internationaux.

Tout au long des années 1980, Miyake continue à expérimenter, exposant son travail dans des musées et des galeries. Il explore davantage les matériaux, par exemple les plastrons moulés, les corsages en bambou et en rotin qui ressemblent à des sculptures, tout en utilisant toujours la mode comme un outil d’étude du corps. En 1981, il crée Plantation, une gamme pionnière non genrée, conçue pour être portée par des personnes de tous âges et de toutes morphologies, dans un tissu naturel facile à entretenir. La collection a été reprise et rebaptisée Issey Miyake Permanente en 1985.

Sa marque Pleats Please a été créée en 1988. Il s’agit d’une gamme de vêtements fabriqués à partir d’une nouvelle technologie de plissage du tissu. Les plis présentent un avantage fonctionnel, car ils créent de l’élasticité dans le vêtement, ce qui permet de varier les tailles. Il s’agit d’un autre développement ludique dans son art de repousser les frontières.

Models in dresses
La marque Pleats Please d’Issey Miyake repose sur des tissus spécialement plissés qui bougent avec le corps de la personne qui les porte. Retro AdArchives/Alamy

En 1999, il présente la gamme A-POC, un retour à son concept original A Piece of Cloth. Cette gamme présente de longs tubes de tissu tricoté qui peuvent être coupés par le porteur à la longueur désirée, une approche visant à minimiser les déchets. Ce style sobre est devenu iconique et ces vêtements sont portés à la fois par des hommes et des femmes de tous âges, représentant une manifestation parfaite de la vision de Miyake pour des vêtements qui offrent le meilleur des deux mondes (occident et orient). Ce sont des objets uniques mais parfaitement fonctionnels et adaptés à la vie de tous les jours.


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Miyake a également apporté cet esprit d’expérimentation et de dépassement des limites à ses défilés. Son spectacle radical « Issey Miyake and Twelve Black Girls », donné au Seibu Theatre de Tokyo et au Gymnase municipal d’Osaka, en est la meilleure illustration. Ce spectacle, qui a été à l’affiche plus d’un mois, mettait en avant douze mannequins noirs, dont Grace Jones, d’une manière totalement inédite.

Dans son autobiographie, Jones souligne combien Miyake l’a soutenue lorsqu’elle était une jeune mannequin à Paris. Un épisode représentatif de son attitude avant-gardiste et de sa mentalité inclusive à une époque où il était inhabituel de présenter des créations exclusivement sur des mannequins de couleur.

Qu’il s’agisse de réinventer les formes des vêtements, d’utiliser la technologie pour plisser des tissus innovants, de réduire les déchets de tissu ou de concevoir des pièces non genrées, sa vision était toujours moderne et adaptée à la vie de tous les jours. Issey Miyake a été un véritable pionnier et sa vision novatrice nous manquera cruellement.

This article was originally published in English

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