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IVG, grossesse, accouchement : quand la crise sanitaire menace les droits des femmes

Des manifestants sont assis dans un couloir du bâtiment du Conseil national de l'Ordre des médecins à Paris le 18 mars 2019, après que l'Union des gynécologues-obstétriciens de France (SYNGOF) a menacé de déclencher une grève de l'avortement. Jacques Demarthon/AFP

« Rien n’est définitivement acquis. Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes » déclarait Simone de Beauvoir, d’après Claudine Monteil (Simone de Beauvoir : Modernité et engagement).

Le 17 mars 2020 à midi, la France est entrée en confinement pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Il a alors fallu statuer sur l’aspect « essentiel » (ou non) de chaque activité. Dans ce grand tri, la santé et les droits reproductifs peinent à trouver leur (juste) place.

En un mois, 80 000 femmes accouchent ou avortent

En France, chaque année, 1 million de femmes accouchent ou ont une interruption volontaire ou médicale de grossesse (IVG, IMG). Ces interruptions de grossesse, accouchements et soins afférents ne peuvent pas être reportés, or ils sont nombreux : 80 000 sur un mois, 160 000 sur deux mois (sans compter les milliers de fausses couches, de suivis de grossesse, de post-partum).

L’accès à l’IVG est déjà fortement contraint et limité en temps « normal » par les forces humaines disponibles, notamment en période de vacances.

INED.

Les accouchements journaliers sont également déjà dépendants de la disponibilité des équipes hospitalières avec une diminution des accouchements les week-ends, jours fériés et lors des vacances scolaires.

Pourtant, leur prise en charge a été un angle mort dans les décisions politiques jusqu’à ce que la société civile se mobilise face au non-respect des droits reproductifs.

Une stigmatisation supplémentaire de l’IVG

Dans une tribune parue le 31 mars 2020 dans Le Monde, des professionnel·le·s de santé, des chercheur·es et des personnalités politiques ont appelé le gouvernement à allonger les délais légaux d’accès à l’IVG pour pallier les difficultés liées au confinement. En effet, de nombreux services d’IVG sont fermés ou limités en raison du Covid-19 : les soignant·es sont mobilisé·es ailleurs ou malades, et le confinement complexifie l’accès pour les femmes.

Suite à la tribune, les voix réactionnaires se sont immédiatement faites entendre, faisant un parallèle abject entre les décès liés au Covid-19 et l’arrêt de grossesses. L’éternel débat autour de l’avortement et la crispation sur le délai légal ont été remis sur la table (on se souvient du retour en arrière du Sénat en mars 2019 sur le sujet), sans prendre en compte l’urgence de santé publique.

Une photo prise le 28 septembre 2017 à Paris, lors d’une manifestation pour la Journée internationale du droit à l’avortement, montre des cintres en tissu sur le sol, outil pour pratiquer l’avortement dans les pays ou l’IVG est illégal. Thomas Samson/AFP

Le ministre de la Santé, Olivier Véran, et la Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, ont réagi suite à la tribune et saisi la Haute Autorité de Santé (HAS) le 7 avril sur l’allongement du délai pour la seule IVG médicamenteuse (de cinq à sept semaines de grossesse) et sur la téléconsultation, modèle déjà appliqué en Angleterre. La HAS a rendu un avis favorable le 10 avril et un arrêté est paru au Journal Officiel le 14 avril.

Une législation inadaptée

En dépit de cet arrêté, les professionnel·le·s n’ont pas de directives précises sur les adaptations des nouveaux protocoles et leur prise en charge par la sécurité sociale. De plus, l’allongement du délai de l’IVG chirurgicale a été refusé malgré les urgences de la crise. Ce blocage, qui fait écho à la volte-face du Sénat de l’année dernière, soulève la question de la mobilisation des législateurs sur la santé reproductive et les droits des femmes. Pourtant, avec le confinement, de nombreuses femmes risquent de dépasser les douze semaines actuellement autorisées en France, une difficulté aggravée par la fermeture des frontières.

Ainsi, pour avorter, ces femmes seront contraintes à un avortement clandestin, mettant en danger leur santé, ou à recourir à une interruption médicale de grossesse (sans que les législateurs n’adaptent le protocole), obligeant les femmes à vivre un accouchement.

Des conditions d’accouchement déshumanisées

Le 26 mars 2020, une pétition a été mise en ligne par le Collectif « Tou·te·s contre les violences obstétricales et gynécologiques » afin de demander que soit garantie la présence d’un·e accompagnant·e en salle de naissance malgré le Covid-19.

Cette pétition faisait écho à de vives inquiétudes face à la décision de certaines maternités de refuser, pour raisons sanitaires, l’accompagnement des parturientes par leur partenaire ou une autre personne. Ce refus de la présence d’un soutien continu pendant l’accouchement porte atteinte aux droits reproductifs et peut entraîner des conséquences sur la santé physique, psychique et sociale.

La perspective d’accoucher seule est une source d’angoisse pour les femmes. Ce refus a par ailleurs des impacts sur les représentations de genre : il accentue la division sexuée du travail reproductif avec l’idée que la naissance relève uniquement de la responsabilité des femmes qui accouchent et serait une expérience exclusivement féminine.

Dès le 18 mars 2020, l’OMS avait rappelé le droit des parturientes à être accompagnées d’une personne de leur choix pour l’accouchement, y compris pendant la crise sanitaire. Pour faire face à cette situation inacceptable pour les femmes et les couples, différentes stratégies ont vu le jour, dont l’accouchement à domicile. Ces accouchements improvisés, sans préparation préalable, augmentent les risques pour la parturiente et le nouveau-né, dans un contexte où les accouchements à domicile sont d’ordinaire rares et stigmatisés.

Une approche normative

Face aux controverses et mobilisations, le Secrétaire d’État auprès du Ministère des Solidarités et de la Santé, Adrien Taquet, a rappelé le 31 mars l’importance de garder la « composante humaine et familiale » de l’accouchement pendant la crise, sans pour autant donner de consignes précises quant à la prise en charge de l’accouchement.

Il renvoie au texte produit par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) qui limite la présence de l’accompagnant·e en salle de naissance à la phase active du travail.

Meera, Charline et Alma (1 jour) à la maternité : les limites concernant l’accompagnement des parturientes montrent un retour à une approche normative et hétérosexuelle. Abel Dauxert

Leurs recommandations laissent par ailleurs penser que la personne qui accompagne ne peut être que le « père ». Cette approche normative de l’accompagnement laisse de côté les femmes qui n’ont pas de partenaire et les couples de même sexe, faisant fi du droit qu’ont toutes les femmes à être accompagnées et soutenues par une personne de leur choix.

Des droits reproductifs mais pas… fondamentaux

À l’issue de ces sept semaines de confinement, et malgré la mobilisation de la société civile, on ne peut que faire le constat de demi-mesures floues qui inhibent l’autonomie des femmes et laissent le pouvoir aux médecins, au sein d’infrastructures aux conditions sanitaires hétérogènes et très souvent dégradées, amplifiant les inégalités territoriales et sociales préexistantes.

Les femmes sont ainsi face à des professionnel·le·s de santé qui n’ont ni les mêmes moyens, ni les mêmes sensibilités, ni les mêmes pratiques. Quand certaines seront prises en charge par des professionnel·le·s qui s’engagent de manière totale (en déclarant être prêt·es à défier la loi pour l’IVG par exemple), d’autres feront face à des réticences, un manque de disponibilité, des obstacles, voire du mépris.

« Extrêmement simple » d’avorter en France ? Pas autant que les anti-IVG le laissent croire, le 21 janvier 2019.

Le personnel est surchargé et n’a pas de protocole clair, en particulier les sages-femmes qui sont pourtant en première ligne. Les textes (non) produits et les mesures (non) mises en place constituent un rappel à l’ordre de genre et à l’hétéronormativité, voire à l’ordre « moral ». En particulier, l’indifférence face aux demandes de garantir l’accès à l’IVG revient à les considérer comme des soins non essentiels.

La crise pandémique montre combien la lutte pour les droits reproductifs reste d’actualité, et qu’ils ne sont toujours pas considérés comme des droits humains fondamentaux. Pour l’immédiat, l’urgence va être d’accompagner toutes les femmes qui n’auront pas pu exercer leurs droits reproductifs pendant les deux mois de confinement. À l’évidence, il est nécessaire d’envisager un grand plan pour que la continuité des soins, partout sur le territoire, soit assurée tous les jours de l’année, et puisse se poursuivre même en cas de pandémie.

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