Menu Close

Jean‑Michel Blanquer, un ministre à la longévité républicaine ou bonapartiste ?

Visite du ministre de l'Education dans une école primaire de La Ferté Milon en mars 2021. François Lo Presti

En ce mois de septembre, Jean‑Michel Blanquer va battre le record de longévité d’un ministre de l’Éducation nationale de la Cinquième République, détenu par Christian Fouchet, resté un peu plus de quatre ans et quatre mois en poste au gouvernement (du 28 novembre 1962 au 6 avril 1967). Mais on n’atteint pas encore les records des cinq « ministres de l’école » des deux Bonaparte, ni même ceux de trois autres ministres de l’Instruction publique sous la royauté restaurée.

Bien sûr, on pourrait objecter que leurs positions ne sont pas tout à fait comparables, en discutant les intitulés des différents postes. Mais ceux-ci figurent bien ès qualités au sein de « La liste des ministres chargés de l’Éducation nationale et de leurs différentes appellations depuis 1802 jusqu’à nos jours » dans les « Ressources numériques en histoire de l’éducation ».

Instruction publique ou Éducation nationale

L’appellation de « ministre » (des « Affaires ecclésiastiques et de l’Instruction publique ») intervient pour la première fois en août 1824. Mais on doit remarquer que ne c’est pas une rupture, tant s’en faut. C’est la même personne (l’évêque ultra-royaliste Denis Frayssinous) qui devient ce ministre, en continuité avec la responsabilité qu’il avait auparavant : « Grand-maître de l’Université royale ».

L’intitulé « instruction publique » est apparu avant celui d’« éducation nationale », qui arrivera en 1932. Certains ont voulu voir dans ces deux dénominations successives le signe d’une priorité accordée d’abord à « l’instruction » avant celle qui se serait imposée ensuite, à savoir une priorité donnée à « l’éducation ». Mais cela ne signifie pas du tout qu’en réalité l’École est passée de « l’instruction » à « l’éducation » (de « l’instructif » à « l’éducatif ») comme l’a prétendu par exemple Jean‑Claude Milner dans son célèbre pamphlet De l’Ecole paru en 1984.

Cérémonie des vœux aux personnels de l’Éducation nationale de janvier 2018 (Éducation france).

D’abord parce que le premier ministère de plein exercice dévolu à l’École a été institué en pleine période ultra-royaliste et cléricale par l’ordonnance du 26 août 1824. Et si la dénomination « instruction publique » a alors été préférée à celle d’« éducation nationale », c’est parce que ce dernier intitulé renvoyait au moment le plus révolutionnaire de la Révolution française. Et ce ne pouvait être la prédilection des ultra-royalistes alors au pouvoir. Ensuite, parce que la première circulaire de Mgr Frayssinous aux recteurs est on ne peut plus révélatrice :

« Sa Majesté, en appelant à la tête de l’Instruction publique un homme revêtu d’un caractère sacré, fait assez connaître à la France entière combien elle désire que la jeunesse de son royaume soit élevée dans des sentiments religieux et monarchistes ».

Les ministres de l’Instruction publique ou de l’Éducation nationale n’ont jamais duré très longtemps sous la Troisième République ou la Quatrième République car leur nomination et leur maintien dépendaient avant tout d’un accord collectif entre différentes composantes ou « sensibilités » politiques à géométries et à durées variables.

En revanche, les deux Bonaparte ont mis à la tête de l’école des hommes qu’ils ont choisis personnellement et qu’ils ont gardés longtemps. Dans la mouvance bonapartiste, la nomination d’un ministre est d’abord le fait du Prince (le chef de l’État pouvant exercer un pouvoir personnel fort).

Le choix d’hommes de « confiance »

Deux hommes seulement ont été choisis par Napoléon Bonaparte pour s’occuper de l’école :

  • Antoine Fourcroy qui sera « Directeur général de l’Instruction publique » pendant 5 ans et six mois ;

  • Louis Fontane qui sera pendant 6 ans et six mois « Grand-maître de l’Université » (la clef de voûte de la nouvelle organisation de l’école concoctée par Antoine Fourcroy sous l’étroite direction de Napoléon I, qui l’oblige à refaire vingt-trois fois son texte).

Pour ce nouveau poste, Napoléon I a préféré un « royaliste rallié » à un « révolutionnaire mal repenti ». Ainsi vont les choix du Prince qui ne récompense pas nécessairement les mérites intrinsèques, mais peut choisir en fonction de ses intérêts politiques personnels.

Trois hommes seulement ont été à la tête du ministère de l’Instruction publique durant la quasi-totalité du Second Empire :

  • Hippolythe Fortoul pendant 4 ans et six mois (il décède le 7 juillet 1856) ;

  • Gustave Rouland, durant 6 ans et dix mois ;

  • Victor Duruy, pendant six ans.

Hippolyte Fortoul, un professeur de lettres, devient en 1848 un conseiller et un ami de Louis-Napoléon Bonaparte qui le fait ministre de l’Instruction publique le lendemain même de son coup d’État, le 3 décembre 1851. Leur premier souci est de tenir en main le corps enseignant. Cela va de la prescription du port obligatoire du costume noir par les professeurs (20 mars 1852) et à l’interdiction du port de la barbe (4 avril 1852), jusqu’à la suspension de ceux qui se montrent hostiles au nouveau régime.

L’Empereur choisit pour lui succéder un homme qui peut lui inspirer personnellement confiance : le procureur général de la Cour de Paris qui s’était illustré par ses réquisitoires contre des révolutionnaires italiens ayant mené des tentatives d’assassinat contre lui. Le passage de Gustave Rouland au ministère sera à éclipses et ne marquera guère les esprits.

Victor Duruy par Eugène Pirou. Wikimedia

Il n’en va pas de même pour Victor Duruy qui peut être considéré comme l’un des ministres les plus importants à ce poste où il s’est illustré de multiples façons. Mais là encore, il s’agit d’un choix de confiance du « Prince » bonapartiste. Historien réputé, Victor Duruy a été en effet en contact personnel avec Napoléon III à partir de 1859, à la faveur des travaux que l’Empereur prépare sur l’histoire de Rome et de César. Victor Duruy est nommé inspecteur général en 1861, et c’est au cours d’une tournée d’inspection qu’il apprend inopinément qu’il est nommé par Napoléon III à la tête du ministère de l’Instruction publique.

On le voit, dans la mouvance bonapartiste, ce qui compte avant tout – aussi bien pour le choix que pour la durée dans le poste de ministre de l’École – c’est la confiance que le Chef de l’État peut avoir pour des raisons avant tout personnelles et qui ne tiennent pas nécessairement aux compétences et aux talents particuliers pour l’exercice de cette responsabilité.

La rupture de la Cinquième République

La Cinquième République se distingue nettement de la Troisième République et de la Quatrième République par le fort pouvoir personnel permis au Chef de l’État. On ne devrait donc pas être surpris que les deux ministres de l’Éducation nationale qui ont duré le plus longtemps sous la Cinquième République aient été nommés et aient exercé leurs charges aux deux moments les plus « bonapartistes » : sous Charles de Gaulle et sous Emmanuel Macron.

Il s’agit d’abord de Christian Fouchet. Son ministère peut être considéré également comme l’un des plus importants de la longue histoire de l’école. Dans la tradition bonapartiste, le président de la République Charles de Gaulle a nommé le 28 novembre 1962 un homme de confiance.

Christian Fouchet a en effet été un rallié de la première heure à Londres. Il lui a été confié des missions délicates durant la deuxième guerre mondiale en Italie et en URSS. Après les accords d’Évian, il lui est revenu d’organiser le referendum sur l’autodétermination, notamment en Algérie. Et son action au ministère de l’Éducation nationale prendra fin le 6 avril 1967 pour qu’il soit à la tête du ministère sensible de l’Intérieur.

On sait, selon des indications parues de façon réitérée dans la presse et jamais démenties, que Jean‑Michel Blanquer a rédigé deux ouvrages sur l’école de façon a attirer l’attention de présidentiables, notamment d’Alain Juppé et surtout de François Fillon. Ce faisant, il a attiré l’attention de l’épouse du présidentiable qui sera élu, Brigitte Macron.

Il obtient sa confiance et finalement celle d’un Président de la Cinquième République parmi les plus bonapartistes – Emmanuel Macron – qui le nomme ipso facto ministre de l’Éducation nationale le 17 mai 2017. Mais, contrairement à Christian Fouchet, Jean‑Michel Blanquer n’a pas accédé au ministère de l’Intérieur au dernier remaniement ministériel ; et il va donc le dépasser en durée à la tête du ministère de l’Éducation nationale.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,400 academics and researchers from 4,942 institutions.

Register now