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Jeu et apprentissage, un couple indissociable

Le jeu, source d'apprentissage? Pexels, CC BY-SA

Même s’il demeure des zones d’ombre dans l’application du Pass culture aux jeux vidéo, la volonté d’y inclure les jeux vidéo est une intention louable, de nature à combattre les idées reçues. Cette intention rejoint partiellement le questionnement du think tank indépendant Valeur(s) Cultures lorsqu’il se demande dans quelle mesure le jeu vidéo constituerait une référence culturelle.

Devenu référence culturelle au même titre que la musique ou le cinéma, le jeu vidéo (et le jeu en général) constitue également une source d’apprentissage.

Culture et jeu (vidéo)

Dans le roman graphique Tetris : Jouer le jeu (Tetris : The Games People Play en version originale), Box Brown s’attaque à un monument du jeu vidéo, Tetris, et à son créateur, Alekseï Pajitnov. Il y relate l’histoire du jeu et de son créateur, et y étudie l’impact de Tetris sur des domaines comme l’art, la culture et le monde des affaires. Dans une même veine, L’Éveil du Maître du Donjon : Gary Gygax et la création de Donjons & Dragons (en version originale Rise of the Dungeon Master : Gary Gygax and the Creation of D&D) s’intéresse au créateur, Gary Gygax, d’un autre jeu mythique, D&D.

D&D est un jeu révolutionnaire pour le monde du jeu en général et qui occupe une place importante dans la culture (geek). Dès sa création, D&D préfigurait certaines tendances du monde numérique et contemporain. Par exemple, comme le souligne David Kushner :

« D&D n’a rien à voir avec un jeu traditionnel, comme le Monopoly ou le Cluedo. Il tient plus du système d’exploitation. Un système de règles élaborées à partir desquelles les joueurs peuvent bâtir leurs propres histoires. Il suffit d’avoir de l’imagination et de la créativité pour créer son propre jeu. »

Autrement dit, le jeu D&D s’apparente à des systèmes d’exploitation comme Windows ou MacOS qui permettent d’utiliser des logiciels (qui sont les équivalents des histoires élaborées par les les joueurs de D&D). En revanche, les règles de D&D s’assimilent davantage à un système libre comme Linux dans la mesure où « tout le monde peut concevoir ses propres “modifications” qui viennent s’ajouter aux règles ».

Le livre de Box Brown.

Il est également question de jeu et de culture dans L’Homme des jeux (The Player of Games en version originale), le deuxième tome du Cycle de la Culture de l’écrivain écossais Iain M. Banks. Même si la culture revêt chez Ian M. Banks une acception différente, l’auteur accorde une place importante au jeu dans son cycle. Dans la préface de l’édition française de L’Homme des jeux, Gérard Klein, écrivain et éditeur de science-fiction, définit La Culture comme « une vaste société galactique, multi-forme, pacifiste, décentralisée, anarchiste, tolérante, éthique, agnostique et cynique, peut-être ultimement conformiste, s’en doutant et s’en défendant. » Dans ce cycle et notamment le deuxième tome, Ian M. Banks se questionne au sujet de la place du jeu dans la société ou sur le rapport entre le jeu et les activités « sérieuses » qui se retrouve dans un terme comme “serious game” – cette question est traitée en plusieurs occurrences par John Huizinga dans l’essai Homo ludens : Essai sur la fonction sociale du jeu.

Ian M. Banks débute son récit ainsi :

« [Voici] l’histoire d’un homme qui partit très loin et très longtemps dans le seul but de jouer à un jeu. Cet homme est un joueur de jeux nommé “Gurgeh”. Son histoire débute par une bataille qui n’en est pas une et s’achève par un jeu qui n’en est pas un ».

Moi ? Je vous parlerai de moi plus tard.

Ainsi commence l’histoire.

Un hors-série de Courrier international consacré au jeu.

En mettant en contact un citoyen de la culture, Gurgeh, pour lequel le jeu est un moyen de se dépasser avec une société, l’Empire d’Azad, pour laquelle le jeu constitue un moyen de s’élever socialement (la victoire lors des jeux permet aux Azadiens de gravir les échelons de leur société et d’améliorer leur statut social), Iain M. Banks explore le jeu sous des facettes différentes. Selon les contextes, situations et personnes, le jeu est perçu comme une forme d’art, un loisir ou une activité sérieuse.

Quand Homo ludens rencontre Homo docens

Dans l’essai Homo ludens : Essai sur la fonction sociale, le médiéviste Johan Huizinga s’intéresse à la fonction sociale du jeu et à son rôle dans le développement des grandes formes de vie collective (langage, religion, poésie, musique, danse, sagesse, science, droit, compétition, combat et guerre). Pour Huizinga, le jeu est consubstantiel de la culture, « plus ancien que la culture ».

Plutôt que le qualificatif d’Homo sapiens, l’homme qui sait, Huizinga propose d’utiliser, en plus de celui d’Homo faber, l’homme qui fabrique, celui d’Homo ludens, l’homme qui joue :

« En revanche, le terme de Homo ludens, l’homme qui joue, me semble exprimer une fonction aussi essentielle que celle de fabriquer, et donc mériter sa place auprès du terme de Homo faber ».

Un terme plus idoine que celui d’Homo sapiens pour qualifier l’espèce humaine est celui d’Homo docens, l’homme qui apprend. Stanislas Dehaene, psychologue cognitiviste et neuroscientifique français, reprend ce terme dans Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines lorsqu’il constate que :

« S’il fallait résumer d’un mot le talent particulier de notre espèce, je retiendrais donc le verbe “apprendre”. Plus que des Homo sapiens nous sommes des Homo docens – car ce que nous savons du monde, pour la plus grande part, ne nous a pas été donné : nous l’avons appris de notre environnement ou de notre entourage. Aucun autre animal n’a su, comme nous, découvrir les secrets du monde naturel. Grâce à l’extraordinaire flexibilité de ses apprentissages, notre espèce est parvenue à quitter sa savane natale pour traverser déserts, montagnes, océans et, en quelques milliers d’années seulement, conquérir les îles les plus lointaines, les grottes les plus profondes, les banquises les plus glaciales, et jusqu’à la Lune. Depuis la conquête du feu et la fabrique des outils jusqu’à l’invention de l’agriculture, de la navigation ou de la fission atomique, l’histoire de l’humanité n’est que constante réinvention. À la source de tous ces triomphes, un seul secret : l’extraordinaire faculté de notre cerveau à formuler des hypothèses et à les sélectionner pour transformer certaines d’entre elles en connaissances solides sur notre environnement. »

Ces deux caractéristiques de l’espèce humaine, Homo ludens et Homo docens, se mélangent ainsi dans l’apprentissage par le jeu (voir le chapitre 6 : « L’apprentissage par le jeu » de l’ouvrage collectif Usages créatifs du numérique pour l’apprentissage au XXIᵉ siècle) et les différentes formes de ludopédagogie. Qu’il s’agisse de l’utilisation d’une méthode comme Lego Serious Play, d’un jeu comme Minecraft dans un cadre éducatif ou de jeux vidéo pour appréhender l’échec, le jeu est source d’apprentissage.

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