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Beaucoup de footballeurs ne feront jamais sur leur entrée sur le marché et remettent leurs espoirs et leurs vies aux mains d'une force supérieure. Niko Besnier, Author provided

Jeunes sportifs dopés au néolibéralisme et à la religion cherchent avenir meilleur

Le « mercato » est peut-être l’un des moments les plus attendus du monde sportif. Il nous rappelle aussi que les joueurs professionnels de football ne sont que des marchandises, des matières premières semblables à des milliers d’autres à disposition du plus offrant sur le grand marché du sport. Or ces « hommes-marchandises » ne représentent que le sommet de l’iceberg. Beaucoup de footballeurs ne feront jamais leur entrée sur ce marché, bien que leurs vies soient dramatiquement et directement affectées par ce dernier. C’est le cas de Michael.

Michael est originaire d’Afrique de l’Ouest, résolu, comme tant d’autres jeunes de la région, à devenir joueur professionnel.

Pour y arriver, il lui faut décrocher un contrat avec un club européen. Ainsi, avec deux amis, il embauche un agent sportif dans son pays. Ce dernier lui promet un essai dans un pays d’ex-Yougoslavie. Mais les deux jeunes doivent d’abord se rendre au consulat le plus proche, qui s’avère être au Caire, pour déposer des demandes de visa. Le processus migratoire est enclenché. Alors qu’ils attendent une réponse à leur demande, leur argent s’épuise. Ils doivent peu à peu compter sur la générosité d’autres migrants d’Afrique de l’Ouest qu’ils ont rencontrés lors de matchs amicaux dans différents quartiers de la ville.

Finalement, le consulat octroie à Michael un visa de tourisme valable onze jours. Il se rend à la capitale du pays en question où, sans surprise, l’essai n’aboutit pas à une offre de contrat.

Son visa étant en fin de validité, il se rend dans un pays voisin où les lois en matière d’immigration sont moins sévères que celles d’autres pays européens, et se présente comme réfugié. On l’héberge dans un centre d’accueil, qu’il peut quitter pendant la journée. Michael fait la rencontre d’une femme, une locale qu’il épouse, ce qui lui permet de demander un statut de résident. Un club de football de troisième division le recrute. Pourtant, Michael rêve toujours de jouer en première division dans l’un des principaux pays européens du football, tels que l’Espagne ou la Grande-Bretagne, mais il a du mal à jongler entre ses entraînements et le travail alimentaire qu’il doit garder pour joindre les deux bouts. (Les détails de l’histoire ont été modifiés pour préserver l’anonymat.)

L’histoire de Michael, racontée dans le récent ouvrage de l’un des co-auteurs de cet article, Niko Besnier (avec Susan Brownell et Tom Carter) illustre bien les recherches menées depuis ces cinq dernières années sur la vie de ces jeunes piégés par un système auquel ils se soumettent à travers différentes formes de domination, que ce soit dans le football, dans le rugby ou dans n’importe quel autre sport.

Pourquoi le sport professionnel est-il devenu l’objectif à atteindre pour des milliers de jeunes issus des pays du sud et à travers lequel ils redéfinissent leur futur ?

De jeunes garçons portent des t-shirts aux noms de célèbres joueurs de foot, icônes de leurs rêves, Dakar 2015. Mark Hann, Author provided

Un avenir par le sport

Pour aborder cette question, nous avons étendu notre analyse à l’ensemble des transformations sociales et économiques que le monde a éprouvé depuis les années 80.

Au cours de cette décennie, le néolibéralisme est devenu le crédo économique à travers le monde, et a engendré une forte libéralisation des échanges. Dans les pays du Sud en particulier, ceci a eu pour effet de saper la viabilité de l’agriculture à petite échelle. Les prix des denrées sont désormais déterminés en grande partie par des spéculateurs dans les centres financiers du monde et sont devenus volatiles. De nombreuses économies postcoloniales ont d’importants ralentissements économiques et ont du se tourner vers la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et des pays donateurs pour éviter la catastrophe. Or les emprunts sont accompagnés de conditions suivies de mesures d’austérité, tels que la réduction de la fonction publique, qui représentait dans de nombreux pays la source principale de travail salarié. Qu’ils soient scolarisés ou non, les jeunes ont été peu à peu laissés pour compte.

À la même époque, dans les pays riches, le sport devient l’objet d’une concurrence commerciale acharnée. En Europe et ailleurs, le moteur de cette transformation a été la privatisation des chaînes de télévision dans les années 80, qui a notamment fait monter les primes que les réseaux étaient disposés à payer pour des droits de diffusion.

Un autre facteur a été la commercialisation de nombreux clubs et équipes, devenues désormais des entreprises qui rivalisent pour obtenir joueurs, couverture médiatique et soutien financier des sponsors. Quant aux recruteurs, ils voyagent désormais de plus en plus loin à la recherche de « talent brut ». Enfin, l’arrivée de la télévision par satellite contribue à diffuser l’image d’un sport perçu comme libérateur véhiculant des images de gloire et de succès économique jusque dans les contrées les plus reculées du monde.

C’est en raison de la convergence de ces transformations globales que, dans de nombreux pays, les jeunes ont investi tous leurs espoirs de réussite par le sport.

Même les sports locaux comme la lutte sénégalaise sont aujourd’hui fortement médiatisés, Dakar 2015. Mark Hann, Author provided

Une vie aux marges de la gloire

Nos récentes recherches ethnographiques et comparatives sur le rugby à Fidji, le football au Cameroun et la lutte au Sénégal nous ont permis de constater que la vie des jeunes et leurs espoirs concernant leurs futurs ont été transformés par le monde du sport de manière remarquablement identique dans des régions du monde très différentes.

Dans certains cas, comme à Tonga, une nation insulaire du Pacifique, l’État lui-même encourage les jeunes sportifs à émigrer. Or cette politique a deux effets : elle résout le problème de la crise du travail et elle a le potentiel d’enclencher de généreux envois de fonds des sportifs émigrants qui auraient réussi dans leurs carrières.

Mais la possibilité d’une carrière de sportif professionnel est bien différente de sa probabilité. Comme le montre l’histoire de Michael, les jeunes sportifs risquent beaucoup plus de se retrouver à la périphérie du monde sportif, tels que l’Europe de l’Est ou l’Asie du Sud-Est, plutôt que de poursuivre une carrière de rêve et de subvenir aux besoins de leurs familles. Pire encore, certains risquent la noyade en tentant de traverser la Méditerranée pour atteindre des pays qui sont de plus en plus hostiles aux réfugiés économiques et politiques.

Deux footballeurs camerounais devant leur « hébergement », une taverne abandonnée qu’ils partagent avec d’autres joueurs migrants, Pologne du Sud, hiver 2015. Paweł Banaś, Author provided

Le pouvoir de la religion

Dans un contexte où le présent a si peu à offrir et où l’avenir est plus que jamais incertain, un nouvel élément apparaît : la foi religieuse. Comme cela a été amplement documenté, certaines formes de religiosité telles que le christianisme charismatique et le pentecôtisme se répandent comme une traînée de poudre dans les pays du Sud, et les jeunes espoirs sportifs affluent vers ces confessions.

À Fidji, par exemple, les jeunes fidjiens autochtones participent assidûment aux entraînements quotidiens de rugby en espérant que leur détermination et leur foi en Dieu porteront leurs fruits. Ils prient avant et après l’entraînement, copient des versets de la Bible sur leurs chaussures de sport et entonnent des hymnes après le sermon du pasteur du club. « Je dois faire confiance au plan que Dieu a pour moi », expliquait l’un des coéquipiers de rugby de Daniel Guinness, co-auteur de cet article. « Je sais que tout est possible grâce à Lui » poursuit-il.

Puis, paraphrasant Galates 6 :9, il expliqua qu’il « préparait le champ » pour la « moisson de bénédictions » que Dieu a préparé pour sa vie.

On trouve des ressemblances frappantes dans des contrées aussi diverses que Fidji, le Cameroun et le Brésil, ainsi qu’au Sénégal où se mêlent des pratiques et croyances musulmanes et autochtones. Dans les confessions religieuses telles que le pentecôtisme, le succès dépend de son talent et de son sens du but, qui ne peuvent se réaliser que par un constant travail sur soi-même.

Les régimes d’entraînement fastidieux et épuisants deviennent alors un impératif moral individuel pour servir un Dieu qui détermine l’avenir. Les confessions charismatiques donnent pour leur part un sens à la vie des jeunes aspirants.

Les fédérations sportives et les organismes sportifs internationaux, trop préoccupés par leur propre enrichissement, n’ont pas pris conscience des effets que ces dynamiques ont sur les jeunes dans les pays du Sud. Une source d’espoir peut cependant venir des joueurs migrants eux-mêmes. Ainsi, les joueurs de rugby des îles du Pacifique en Europe se sont organisés pour traiter les problèmes les plus graves auxquels ils sont confrontés dans ce tourbillon migratoire où les espoirs sont balayés au gré du marché sportif.

This article was originally published in English

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