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Jeux olympiques en Corée du Sud et Mondial de football en Russie : une année sportive… très politique

A Séoul (Corée du Sud), le 22 décembre 2017. Jung Yeon-Je/AFP

2018 est un cru prometteur pour la géopolitique du sport. Deux événements sportifs et politiques marqueront l’année : les Jeux olympiques d’hiver en Corée (en février) et le Mondial de football en Russie (en juin-juillet). Deux zones importantes pour le sport de haut niveau. Et deux points chauds pour les relations internationales. En effet, chacun de ces événements cristallisera une ou plusieurs crises : les Jeux se dérouleront à Pyeongchang, à quelques dizaines de kilomètres de la Corée du Nord, et le Mondial sera organisé par un pays sous sanctions économiques, financières et sportives.

La portée économique et culturelle des grands événements sportifs internationaux est désormais bien connue, notamment grâce aux travaux de Pascal Boniface, le directeur de l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques). Qu’il s’agisse des Jeux de Berlin utilisés, en 1936, par le régime nazi pour célébrer sa puissance ou de la démonstration de force de la République populaire de Chine lors des Jeux de Pékin en 2008, les compétitions sportives internationales fortement médiatisées servent tout à la fois de caisse de résonance pour les évolutions du monde mais aussi d’arène aux rivalités géopolitiques.

Les idéaux pacifiques de Pierre de Coubertin sont malheureusement restés lettre morte. Les enjeux financiers, les scandales liés au dopage, à la protection de l’environnement ou aux dépenses somptuaires menacent depuis longtemps l’image de ces compétitions. C’est que sport est bien plus que du sport : c’est de la politique, de l’économie, de la diplomatie et de la communication. Ces compétitions tendent un miroir déformant mais éclairant sur l’état du monde.

Des Jeux olympiques d’hiver à l’ombre de la menace nucléaire nord-coréenne

La XXIIIe édition des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver aura lieu en Corée du Sud du 9 au 25 février. Les sites principaux sont situés à environ 80 kilomètres de la zone démilitarisée séparant la Corée du Nord et la Corée du Sud suite à la guerre dans la péninsule de 1950-1953. Course aux armements en Asie, vicissitudes stratégiques de la présidence Trump, etc. : tous ces éléments se cristalliseront dans la compétition. Sous les magnifiques images des montagnes coréennes, la politique régionale sera à scruter.

La première préoccupation du pays hôte sera la sécurité de la compétition et le comportement de la Corée du Nord. Utilisera-t-elle l’événement pour exercer une nouvelle pression sur la région ? Ou bien mettra-t-elle à profit la participation de ses propres athlètes pour tenter de se réinsérer partiellement dans la communauté internationale ? Depuis le début de la présidence Trump, le régime de Kim Jon-Un a donné un nouvel élan à la course aux armements, déjà fort active dans la région. Il perfectionne la militarisation de ses têtes nucléaires grâce à une série de tests. Et il étend de plus en plus le rayon d’action de ses missiles, menaçant le Japon et même le territoire des États-Unis – qu’il s’agisse de l’île de Guam ou même de l’Alaska.

De leur côté, les alliés de la Corée du Sud déploient des batteries antimissiles, notamment THAAD, à proximité du territoire chinois et de l’Extrême-Orient russe. Face aux préoccupations des pays participants aux Jeux pour la sécurité de leurs délégations et face aux tensions sans cesse renaissantes entre les menaces nucléaires nord-coréennes et les déclarations belliqueuses de la présidence Trump, le premier objectif de la Corée du Sud sera de présenter le visage serein d’une compétition dont la sécurité est assurée.

L’affiche des JO de Séoul en 1988. Ben Sutherland/Flickr, CC BY

Deuxièmement, ces Jeux olympiques seront l’occasion, pour le pays hôte d’une indispensable opération de nation branding ou, plus exactement de nation rebranding. En bon français, il s’agit d’infléchir l’image de la Corée. Le pays est familier de l’exercice. Cela avait déjà été le cas pour les Jeux olympiques d’été de Séoul en 1988 : après une reconstruction rapide et une croissance forte sous la férule du général Park, il s’agissait pour la Corée du Sud de manifester sa prospérité et son intégration dans l’économie internationale.

Aujourd’hui, il faut affaiblir l’équivalence, instillée dans l’opinion mondiale, entre Corée et prolifération nucléaire mais aussi matérialiser son softpower. En effet, la Corée du Sud nourrit une grande partie de l’Asie de ses chansons, de ses séries et de son cinéma. Ainsi, le slogan choisi par les organisateurs des JO de cet hiver illustre la volonté de la Corée du Sud de s’inscrire non seulement dans la révolution numérique mais aussi dans celui de la culture : « Passion. Connected ». Ce mot d’ordre rappelle la place de Samsung dans le PIB du pays : 25 %. Mais il illustre aussi le fait que la Corée est un réservoir de représentations collectives très puissant.

Enfin, troisièmement, ces Jeux olympiques souligneront à quel point l’Asie est un des grands pôles du sport international en devenir. Après les Jeux olympiques de Tokyo (1964) et de Sapporo (1972) au Japon, de Sydney (2000) en Australie et de Pékin (2008), la Corée portera les couleurs de l’Asie au sein de l’olympisme et donc de la mondialisation du sport. C’est la signification du vote du Comité olympique international en 2011 : Pyeongchang avait été préférée à deux villes européennes, Annecy et Munich. Sa victoire avait été nette, avec 63 voix sur 95. Si le monde économique a déjà pris son centre de gravité en Asie du Nord, le monde sportif est, lui, encore polarisé en Europe et en Amérique du Nord.

Mondial de Football en Russie : redorer l’image du pays ou affirmer sa puissance

La compétition sportive internationale la plus regardée de l’année 2018 sera incontestablement la compétition de football de la FIFA. Seuls les Jeux olympiques d’été auraient pu entrer en lice en terme d’audience télévisuelle. Mais, en 2018, la Coupe du monde de football éclipsera bien les autres événements.

À Iekaterinbourg, on se prépare pour l’été 2018. Murray Foubister/Flickr, CC BY-SA

La signification géopolitique de l’événement tiendra tout simplement au lieu, à la durée et au moment de la compétition. Elle se déroulera du 14 juin au 15 juillet dans 12 villes de Russie européenne. Autrement dit, le Mondial de football 2018 placera sous les yeux de l’opinion internationale, durant tout un mois, un État dont la place est centrale sur la scène politique internationale mais dont l’image est brouillée.

D’une part, le Comité olympique russe vient d’être suspendu par le Comité olympique international en raison de dopage lors des derniers Jeux de Sotchi. Le CIO a seulement laissée ouverte la possibilité, pour les athlètes russes n’ayant jamais été suspendus pour dopage et se soumettant à des tests, de participer à la compétition en tant qu’« athlètes olympiques de Russie ».

Dans un pays qui a depuis longtemps érigé le sport de haut niveau en levier d’influence, en outil de prestige national et en instrument de statut géopolitique, il s’agit d’un camouflet significatif. La réussite de l’organisation du Mondial 2018 sera, pour les autorités russes, un moyen d’effacer les controverses sur les coûts financiers et environnementaux des Jeux de Sotchi, de redorer sa réputation en matière de lutte contre le dopage et de droits des homosexuels et attirer le plus possible de spectateurs européens. Tels seront les premiers défis de la Russie. Le pays a en effet fait construire ou de rénover à grands frais 12 stades, a transformé Moscou, au risque de susciter de multiples manifestations à l’approche de l’élection présidentielle de mars 2018.

Le stade Loujniki à Moscou (ici en 2014) a été entièrement rénové pour le Mondial de 2018. Nickolas Titkov/Flickr, CC BY-SA

D’autre part, la Russie fait l’objet de sanctions économiques et financières, suite à l’annexion de la Crimée et à la guerre dans le Donbass en 2014. L’économie russe, plongée dans la récession depuis lors notamment en raison de la chute des prix des hydrocarbures, vient tout juste de se rétablir. Et, sur la scène diplomatique, la Russie a repris l’initiative en déclenchant une expédition militaire en Syrie à partir de septembre 2015.

Toute la question est aujourd’hui celle de la stratégie de la Russie au mitan de 2018, au moment où l’Union européenne examinera la possibilité de levée partiellement ou complètement les sanctions, en même temps qu’elle analysera la mise en œuvre du cessez-le-feu en Ukraine, en vertu de l’accord dit « Minsk II ». La Russie choisira-t-elle l’apaisement et la reprise du dialogue pour éviter le boycott des dirigeants européens qui s’était produit pour les Jeux d’hiver de Sotchi en 2014 ? On se souvient que la Chancelière Merkel et le Président Hollande avaient refusé d’assister aux Jeux pour protester contre l’annexion en cours de la Crimée.

Ou bien fera-t-elle plutôt de l’événement une tribune pour l’affirmation de la puissance russe ? La même question se pose en politique intérieure : les autorités russes mettront-elles l’accent sur la sécurité, la lutte antiterroriste et la pression sur les forces d’opposition ? Ou bien souhaiteront-elles montrer un visage avenant pour les opinions occidentales en laissant l’opposition s’exprimer ?

Apaisement ou rupture ? Les symboles et les signes seront à scruter quelques mois après la réélection, pour la quatrième fois, de Vladimir Poutine à la présidence de la Fédération de Russie, probablement dès le premier tour, le 18 mars 2018, date anniversaire de l’annexion de la Crimée.

Depuis longtemps les grandes compétitions sportives internationales ont quitté le statut d’événements mineurs. Elles sont devenues des enjeux de puissance et de communication pour les États. Le nation branding et le soft power de la Corée du Sud et de la Russie seront au centre de l’année sportive 2018.

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