Menu Close

Jeux olympiques, que reste-t-il de nos amours ?

Passage relais entre le Tour de France et les JO, via le porte-drapeau Teddy Riner. Kenzo Tribouillard / AFP

L’agenda sportif de l’été 2016 est plutôt dense. Euro de football, Tour de France et maintenant Jeux olympiques se succèdent et se transmettent le témoin, ce que symbolise l’intronisation de Teddy Riner en tant que porte-drapeau de la délégation française à Rio lors du podium final de l’édition 2016 du Tour de France.

Et à la fin, chacun fait ses comptes. L’apport économique de l’Euro 2016, tant pour la France que pour l’UEFA se chiffre en milliards. L’ultra-domination de l’équipe Sky sur le Tour depuis plusieurs années est présentée comme la résultante d’un travail alliant « gains marginaux », selon la terminologie du manager de l’équipe Dave Brailsford, et stratégie marketing savamment orchestrée, le tout porté par un budget hors du commun.

Quant aux Jeux olympiques, c’est d’abord le montant astronomique de leur financement qui fait débat. Bref, le sport serait devenu une simple question d’argent. L’annonce du potentiel transfert de Paul Pogba vers le club de Manchester United pour un montant record (et astronomique) en est le dernier avatar symbolique. Face à cette domination hégémonique de l’univers financier, peut-on encore aimer le sport aujourd’hui ?

Le sport, une affaire d’entreprise ?

Les liens entre sport et entreprise sont indéniablement de plus en plus prégnants. L’univers sportif est, depuis le début des années 1990, soumis à une poussée gestionnaire croissante. Les clubs sportifs et leurs membres se professionnalisent dans leurs pratiques ; les organisations sportives, d’associations se transforment en entreprises ; les fédérations sportives, les unes après les autres, favorisent l’émergence de statuts professionnels pour leurs pratiquants et leurs structures.

Ce phénomène se caractérise par deux pressions conjointes qui travaillent à la domination gestionnaire qui s’exerce aujourd’hui de manière prépondérante sur l’univers sportif. Tout d’abord, il faut étudier les structures, soumises actuellement à une exigence de rentabilité. D’une manière générale, les organisations sportives sont aujourd’hui largement pilotées par des règles, instruments et techniques issus de l’univers gestionnaire : budget, statistiques, marketing, communication, etc.

Preuve en est la question de la règle controversée du fair-play financier de l’UEFA. Ici, l’éthique professionnelle du club ne passe pas par l’observation de règles de conduite provenant du sport, mais par un précepte moral fondé sur un critère d’équilibre financier. Affirmer qu’« on ne dépense pas plus que ce que l’on gagne », c’est avant tout mettre en avant un élément garantissant une libre concurrence entre des clubs devenus de véritables entreprises sportives, avec leurs dirigeants, leurs actionnaires, leurs salariés et leurs clients. C’est également rentrer dans une logique de rendu de compte propre à l’univers gestionnaire.

L’UEFA prône le fair play financier au sein des clubs de football européens. Pui Shing Alumni/Flickr, CC BY-NC-ND

Ensuite, on constate une injonction croissante à la compétence en ce qui concerne les individus en général et les athlètes en particulier. Par imitation du secteur marchand, le secteur sportif va se concentrer sur la codification et la standardisation de savoirs, savoir-faire et savoir-être spécifiques pour et à l’intérieur de chaque discipline et permettant une division du travail accrue.

C’est le cas tant dans les sports collectifs, où chacun se voit attribuer un rôle et se doit de le remplir sans déroger à la prescription, que dans les sports dits « individuels », mais où la performance collective est souvent mise en exergue pour valoriser, au nom d’une fédération ou d’un club et de l’ensemble des individus qui le composent ou le soutiennent, la performance d’un(e) athlète en particulier.

Que reste-t-il de l’imaginaire sportif ?

Pourtant, l’imaginaire sportif perdure. Le sport n’est toujours pas une entreprise comme les autres. Par imaginaire, il ne faut pas se contenter de l’évocation d’une image qui renvoie à un symbole. Il faut également comprendre comment cette imagerie participe à la structuration des représentations sociales des individus et des cadres dans lesquels ils agissent au quotidien. L’imaginaire est ainsi un processus continu qui hérite du passé, fait vivre le présent et permet de construire le futur.

Cet imaginaire est, il est vrai, souvent malmené. Il doit aujourd’hui trouver sa place au sein d’un cadre largement dominé par la gestion, et où parfois le sport est relégué à un simple produit comme un autre – soit d’appel pour favoriser la vente de produits dérivés, soit de prestige pour constituer un point de référence pour ses consommateurs.

Face à un cadre gestionnaire constituant à la fois un cadre de référence, mais également un répertoire de pratiques organisationnelles et individuelles, l’imaginaire sportif est cependant constitutif d’une nouvelle dynamique « institutionnalisante » où significations symboliques et dimension pratique viennent mutuellement et continuellement s’étayer. Cela est particulièrement à l’œuvre à l’occasion d’événements sportifs de grande envergure.

Par exemple, lors des Jeux équestres mondiaux (championnats du monde des sports équestres) qui ont eu lieu en Normandie en 2014, nous avons pu constater une réappropriation du sport par les différents protagonistes présents, notamment par la redéfinition de certaines pratiques à rebours des règles de gestion édictées par les organisateurs de l’événement.

De ce fait, une manifestation comme les Jeux olympiques ne saurait s’envisager comme un monolithe uniforme, elle est au contraire travaillée par des dynamiques organisationnelles multiples où s’entremêlent selon diverses modalités les statuts des acteurs concernés, leurs rôles, leur travail effectif et leurs interactions diverses.

Plus l’on se trouve près de l’activité sportive, plus l’imaginaire sportif perdure. Cette activité structure un petit monde social dont les frontières sont définies par des normes particulières, et au sein duquel des règles de fonctionnement spécifiques se mettent en place, légitimées par des formes de consensus largement acceptés et partagés par l’ensemble des différentes catégories d’acteurs présentes, des athlètes au personnel administratif en passant par le public, les bénévoles, les prestataires ou les personnels d’entraînement et de terrain.

Toujours à l’occasion des Jeux équestres mondiaux 2014, nous avons pu ainsi mettre en exergue la manière dont les espaces de compétition ont pu s’autonomiser par rapport au reste de l’évènement en bricolant localement de nouvelles règles, plus en phase avec la manière dont les individus concevaient leur sport et en contribuant simultanément à l’émergence d’une enclave spécifique où les interactions se redéfinissaient.

Le sport, une institution de la passion

Certes, le monde du sport est aujourd’hui fortement dominé par des règles parfois sclérosantes, des intérêts financiers éloignés de l’idéal sportif ou encore des pratiques à l’éthique discutable. Il existe cependant encore et toujours une équipe d’Islande, un Romain Bardet ou de futurs champion(ne)s olympiques aujourd’hui (presque) inconnu(e)s et dont demain l’on louera la gloire (parfois) éphémère. Ce qui se joue derrière ces « belles histoires » du sport n’est pas qu’une question de morale, il s’agit de remettre la passion, valeur fondamentale du sport, au centre de la dynamique qui porte l’événement.

Le cycliste Romain Bardet, deuxième du Tour de France 2016. Aurel/Flickr, CC BY

Cette symbolique de la passion, structurante de l’imaginaire sportif, est à la fois génératrice et soutien de pratiques, souvent bricolées, voire parfois contraires à la règle et mises en place par les acteurs eux-mêmes, dont certains opèrent parfois dans l’ombre. On peut penser (et rendre hommage) par exemple aux bénévoles, travailleurs doublement invisibles des événements sportifs (par leur obligation de discrétion et leur travail gracieux) sans qui l’équilibre budgétaire des évènements serait (encore plus) catastrophique.

La réappropriation des évènements sportifs par l’imaginaire de la passion se traduit, au-delà de ses manifestations symboliques manifestes (dont l’encouragement effectué par les supporters est la partie la plus visible), par la redéfinition de la division du travail au sein des évènements, le contournement des statuts, l’émergence d’interactions inédites et l’apparition de modes de régulation nouveaux visibles au plus près de l’activité sportive.

Ne boudons alors pas notre plaisir. En aimant les Jeux olympiques, nous ne nions pas naïvement l’ensemble des difficultés et des problèmes considérables et variés qu’ils suscitent. Nous ne nous soumettons pas non plus servilement à un capitalisme débridé et avilissant dont la domination outrancière nous serait étrangère. Nous participons simplement et légèrement à l’institutionnalisation de la passion.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 191,500 academics and researchers from 5,064 institutions.

Register now