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Journée mondiale du thon : la longue route vers une pêche durable

On célèbre ce 2 mai 2017, pour la première fois, la Journée mondiale du thon. Créée à l’initiative des pays membres de l’Accord de Nauru (Kiribati, Îles Marshall, Micronésie, Palau, Papouasie Nouvelle Guinée, Îles Salomon et Tuvalu), cette journée vise à rappeler l’importance vitale du marché du thon pour de nombreux pays, et à mettre en lumière les défis considérables que le secteur rencontre en termes de durabilité.

Pour le consommateur qui s’interroge sur la provenance du poisson qu’il achète, c’est également l’occasion de rappeler la diversité des espèces vendues sur les étals, leurs différences provenances et méthodes de captures, ainsi que les leviers qui permettraient d’assurer une gestion plus durable des stocks.

Sept espèces pour un immense marché

Le thon fait figure de mastodonte au sein du marché des produits de la mer. Il englobe plusieurs espèces de poissons migrateurs, les principales étant le listao, l’albacore, le germon, le thon obèse et trois espèces de thon rouge (thon rouge du Pacifique, thon rouge de l’Atlantique, thon rouge du Sud).

En 2015, les captures de ces sept espèces ont atteint 4,8 millions de tonnes, soit 5 % des captures mondiales des pêches. Chaque seconde, 152 kilos de thons sont pêchés… pour assurer une consommation mondiale de l’ordre de 0,45 kg/an/personne, équivalente à celle du Nutella.

En 2014, le chiffre d’affaires de l’industrie thonière atteignait ainsi 33 milliards de dollars, soit 24 % de la valeur de la filière mondiale des produits de la mer. Le thon est ainsi l’un des plus importants marchés des produits de la mer en termes de valeur économique.

Conserves et sashimis

Le thon est principalement capturé par des flottes industrielles. Les principaux engins de pêche utilisés sont la senne (un long filet qui encercle le banc de thons), la palangre (une ligne équipée de plusieurs milliers d’hameçons munis d’appâts) et la canne.

Selon l’engin de pêche utilisé et les espèces ciblées, on distingue plusieurs segments de l’industrie thonière.

Le thon en conserve est la principale forme de consommation du thon : près de 75 % des captures mondiales de thons sont ainsi destinées aux conserveries. Les principales espèces utilisées sont le listao et l’albacore qui sont principalement capturés par des senneurs.

Le thon sashimi est caractéristique du marché japonais. Les espèces concernées sont l’albacore, le thon obèse et les trois espèces de thon rouge, ces dernières étant quasi exclusivement destinées à ce marché. Ce marché aux critères de qualité extrêmement stricts est alimenté par la flotte palangrière et certaines pêcheries à la ligne artisanales (Indonésie, Maldives).

Le thon consommé sous forme de steak sur les marchés européens et américains est de l’albacore et du germon capturés par les palangriers ou les ligneurs. Le thon consommé localement dans certains pays disposant d’une importante flottille thonière artisanale (notamment l’Indonésie, les Maldives et le Sri Lanka) représente également un marché conséquent.

Tant en termes de volumes que de valeur, le principal segment de l’industrie thonière est le thon en conserve. Protéine animale la moins chère, la conserve de thon représente un marché de 1,7 million de tonnes (soit 850 millions de conserves. Les principaux marchés sont l’Union européenne (700 000 tonnes), les États-Unis (400 000 tonnes) et le Japon (100 000 tonnes). Ces marchés dits « traditionnels » sont actuellement en déclin et voient leurs niveaux de consommation se stabiliser. Les principaux marchés émergents pour la conserve sont les pays du Moyen-Orient, notamment l’Iran, l’Égypte et la Libye.

La gestion des stocks, un enjeu majeur

Ces dix dernières années, la durabilité des produits thoniers est devenue un enjeu majeur pour les acteurs de l’industrie, notamment sous la pression de certaines ONG. La demande pour des produits de thon durables émane essentiellement des consommateurs nord-européens et concerne principalement le thon en conserve. Cette demande se traduit par deux préoccupations majeures.

La première préoccupation concerne le statut des stocks : ceux-ci ne doivent pas faire l’objet de surexploitation ou de surpêche (un stock surexploité signifie que le nombre de poissons pouvant assurer la reproduction est « trop faible » ; un stock est en situation de surpêche lorsque la pression de pêche portant sur les stocks est trop élevée). L’état des stocks varie considérablement selon l’espèce considérée et l’océan de pêche.

De haut en bas : germon, thon rouge de l’Atlantique, listao, albacore et thon obèse. Wikipedia

Pour les sept espèces commerciales de thons, on distingue 23 stocks différents répartis dans les quatre bassins océaniques (Pacifique Ouest, Pacifique Est, Indien, Atlantique). Mais tous n’ont pas le même statut. Si les cinq stocks de listao sont dans un état sain, 3 stocks sur quatre de thon rouges sont dans un état critique. En revanche, pour l’albacore, le germon et le thon obèse, les situations sont plus contrastées.

Encadrer les méthodes de pêche

Le second enjeu de durabilité concerne l’impact des engins de pêche sur les autres espèces.

Au sein des pêcheries thonières, la senne est l’engin de pêche dominant (64 % des captures). Depuis quelques années, cette méthode est très critiquée par les ONG environnementales en raison de l’utilisation de bouées artificielles. Appelées dispositifs de concentration de poissons (DCP), ces bouées attirent et concentrent les bancs de thons. Ces DCP sont équipées de balises GPS et de sonars permettant aux navires de repérer et sélectionner les bouées ayant concentré le plus de poissons.

Aujourd’hui, près de 65 % des captures des senneurs industriels sont sur DCP. Particulièrement efficace quantitativement, cette technique a un impact conséquent sur les jeunes poissons et les prises accessoires (de tortues ou de requins par exemple).

Le thon pêché à la canne est une méthode de pêche ayant moins d’impact sur les captures accessoires. Cette technique, bien que plus vertueuse sur les plans écologiques et sociaux ne permet pas à l’heure actuelle de fournir les volumes nécessaires pour alimenter le marché de la conserve.

Les DCP doivent donc être encadrés au mieux pour permettre une exploitation durable des pêcheries thonières :la réduction du nombre de DCP par navires, la diminution des navires supports (ce sont des navires chargés du déploiement des DCP et apportent un soutien à l’activité de pêche), les fermetures de la pêche sur DCP pendant certaines périodes ou dans certaines zones sont autant d’exemples de régulation.

Une régulation contrariée

Le thon étant un poisson hautement migrateur, sa gestion ne peut s’effectuer à la seule échelle des zones économiques nationales. L’encadrement des pêcheries thonières relève du mandat des organisations régionales de gestion de pêches (ORGP), organismes intergouvernementaux chargés de la gestion des stocks dans différents bassins océaniques.

Toutefois, la plupart des ORGP thonières rencontrent aujourd’hui d’importantes difficultés pour mettre en place des mesures de gestion efficaces. En cause, le manque d’information sur l’état des stocks, l’absence de volonté politique, les difficultés de lutte contre la pêche illégale, des subventions publiques qui favorisent la surexploitation… Ainsi à l’heure actuelle, malgré certaines mesures prises par les ORGP les DCP restent largement incontrôlés.

En juin prochain aura lieu à New York la Conférence des Nations unies sur la mise en œuvre de l’objectif de développement durables (ODD) Océans. Il y sera largement question de pêche durable puisque plusieurs cibles de cet ODD Océans portent sur le rétablissement des stocks de poissons, l’élimination des subventions nuisibles, l’accès des petits pêcheurs aux ressources marines et aux marchés. Il faut donc espérer que cet évènement sera l’opportunité pour les acteurs du secteur – États, pêcheurs, grande distribution… – de s’engager vers de meilleures pratiques.


L’Iddri organise le 13 juin prochain une conférence sur la durabilité de la filière du thon, en partenariat avec la Fondation d’Entreprise Hermès. Informations à venir sur www.iddri.org.

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