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Une femme tient un micro et salue la foule.
La candidate démocrate à la présidence, la vice-présidente Kamala Harris, lors de la première journée de la Convention nationale démocrate, le lundi 19 août 2024, à Chicago. La Presse canadienne/Jacquelyn Martin

Kamala Harris et TikTok : le secret de la viralité a-t-il été percé ?

À moins de 80 jours de l’élection présidentielle américaine, la stratégie numérique de Kamala Harris, et ce particulièrement sur TikTok, crée un enthousiasme significatif qui contraste fortement avec la présence en ligne de son opposant, Donald Trump.

Au-delà du mème du cocotier ou de l’appropriation de « Brat », la visibilité du compte @KamalaHQ est en elle-même spectaculaire. Chaque nouvelle publication a en effet le potentiel de devenir plus virale que la dernière, comme si la jeune équipe en coulisse avait percé le secret de la viralité.

Il n’existe bien sûr aucune formule concrète afin de provoquer la viralité. Bien qu’elle soit l’objectif ultime de nombreux créateurs de contenu, elle reste une métaphore simpliste pour décrire un phénomène bien plus complexe.

L’image de la contagion, fort répandue, laisse présupposer par exemple que l'audience est passive, sorte de réceptacle docile, ouvert aux contenus qui se propagent comme des virus. Pourtant, le théoricien américain Henry Jenkins met en lumière le rôle crucial des utilisateurs, qui ne se contentent pas de consommer passivement, mais participent activement à la transformation et à la diffusion du contenu, nourrissant ainsi sa circulation. Aujourd’hui, le contexte de publication, les algorithmes et les dynamiques des médias socionumériques eux-mêmes sont des fonctions déterminantes dans ladite viralité, rendant le phénomène d’autant plus difficile à appréhender.

Professeure associée et doctorante à l’École des médias de l’UQAM, mes recherches se concentrent sur les médias socionumériques et la circulation de l’information sur TikTok. Cet article vise à comprendre comment @KamalaHQ parvient à maintenir, voire augmenter sa popularité, et plus particulièrement les dynamiques renforçant sa présence numérique.

Des outils similaires, des stratégies repensées

Les médias sociaux sont devenus un levier indispensable dans les campagnes présidentielles américaines. En 2008, Barack Obama a révolutionné leur usage en exploitant ces plateformes pour mobiliser les jeunes électeurs et collecter des fonds. En 2016, Donald Trump a innové en utilisant Twitter de manière intensive et stratégique, contournant ainsi les médias traditionnels pour communiquer directement avec ses partisans et affecter sa couverture médiatique en temps réel.

L’équipe de campagne de Kamala Harris s'appuie sur les mêmes outils, mais propose une approche numérique différente en adaptant le contenu en fonction de l’audience ciblée et du média social. Sur X (anciennement Twitter), @KamalaHQ s’adresse aux passionnés de politique, tandis que sur TikTok, il vise les nouveaux électeurs. Ces choix stratégiques sont loin d’être anodins. Pour une majorité d’utilisateurs de X (59 %), leur intérêt pour l’actualité politique est l’une des principales raisons pour lesquelles ils utilisent la plateforme, alors qu’approximativement six Américains sur dix âgés de moins de 30 ans (62 %) affirment utiliser TikTok.

Outre les caractéristiques de ses utilisateurs, chaque média social possède ses propres particularités. Il peut ainsi être profitable d'adapter ses stratégies numériques selon le média que l'on utilise. Dans le cas de TikTok, il ne suffit pas de suivre et d’adapter ses tendances au moment opportun . Il est également crucial, comme le fait @KamalaHQ, d’offrir du contenu original et authentique, de publier des vidéos courtes et percutantes pour capter l’attention des usagers et, surtout, d’être actif pour se démarquer et susciter l’engagement.

Segmenter en ligne afin de mieux engager ses audiences

La segmentation est une autre stratégie qui peut apporter des avantages considérables. Plutôt que de republier un même contenu sur toutes ses plateformes, elle consiste à offrir une expérience unique sur chacune d'entre elles. Cette stratégie minimise la redondance des contenus et le désintérêt des usagers.

Sur TikTok, @KamalaHQ déploie du contenu en vogue qui intègre des codes et références culturelles largement utilisées par les moins de 30 ans. Cela amplifie la résonance du contenu proposé auprès de l'auditoire visé. C’est d’autant plus naturel étant donné que l’équipe derrière ce compte précis est constituée dudit public cible.


L’expertise universitaire, l’exigence journalistique.

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D'ailleurs, la publication Femininomenon reprenant l'audio de la chanson éponyme de la pop star américaine Chappell Roan est la publication la plus performante et la plus appréciée du compte, avec plus de 56 millions de vues et 7,4 millions mentions j’aime.

Cette façon de compartimenter son contenu stimule l’interaction des abonnés avec les différents comptes KamalaHQ : les usagers ne se limitent pas à suivre le contenu sur un seul média social, mais cherchent plutôt à découvrir l’ensemble des publications.

Le crossposting de Trump

Contrairement à l'équipe de KamalaHQ, les comptes du candidat républicain @realdonaldtrump adaptent plus ou moins leurs messages à la plateforme utilisée. Ils ont ainsi davantage recourt au crossposting, c’est-à-dire la publication du même contenu sur plusieurs plateformes sans modification.

Exemple d'une vidéo initialement sur TikTok qui a été republiée sur Instagram.

Le crossposting, bien que couramment exploité, car il représente une économie en temps et ressources, peut se révéler contre-productif. En publiant la même vidéo sur plusieurs médias sociaux, il y a un risque d’affaiblir l’engagement des abonnés. En outre, sans être explicitement mentionné, le contenu original est privilégié et le recyclage est pénalisé en termes de visibilité surtout lorsqu’il provient de la compétition, hormis si cela s'opère à l’intérieur des plateformes de Meta.

Les natifs du numérique et @KamalaHQ, une boucle de rétroaction sur TikTok

Les jeunes générations, dominantes sur la plateforme TikTok et principale cible de @KamalaHQ, possèdent des caractéristiques distinctives qui façonnent leurs interactions en ligne. Ces natifs du numérique sont quotidiennement exposés à une quantité massive d’informations, ce qui rend difficile la captation de leur attention. Pour les accrocher, le contenu médiatique doit être court, dynamique et préférablement divertissant, un modèle parfaitement adapté à TikTok.

Ils adoptent plus rapidement les nouvelles technologies numériques, en maîtrisent les fonctionnalités avec une plus grande aisance, ce qui leur permet de participer plus activement en ligne. L'entrée de Kamala Harris dans la course à l'investiture démocrate a d'ailleurs suscité une augmentation notable de publications pro-Harris générées par les utilisateurs de TikTok.

Cette croissance a permis à l’équipe de @KamalaHQ de tirer parti du flux Pour toi plus efficacement, en concevant une boucle de rétroaction où les vidéos des supporters sont remixés par la campagne.

Cela a eu pour effet de créer d'une communauté impliquée qui partage le contenu de manière organique. Ce soutien numérique accru bénéficie non seulement à Harris, mais aussi aux créateurs de contenu qui constatent une augmentation de leurs abonnés, mentions j’aime et engagements. Ces résultats les encouragent à produire davantage de contenu pro-Harris : c'est une boucle sans fin, pour ainsi dire.

@KamalaHQ et TikTok, un combo contagieux malgré tout?

Bien que la viralité en ligne ne soit pas un simple phénomène de contagion et encore moins une stratégie marketing réalisable, l'enthousiasme entre @KamalaHQ et les utilisateurs de TikTok semble bel et bien avoir quelque chose de viral. Kamala Harris et son équipe de campagne ont fait tourner le vent d'une lutte qui, initialement, n'avait pas le potentiel de raisonner autant avec les plus jeunes électeurs.

Il reste néanmoins un fossé entre l'engagement en ligne et l'exercice effectif de son droit de vote. Mais quoi qu'il advienne, la campagne numérique de Kamala Harris marquera certainement un nouveau tournant dans la manière d'utiliser les médias socionumériques en politique.

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