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Une femme parle au micro
La candidate démocrate à l'élection présidentielle, la vice-présidente Kamala Harris, s'exprime lors d'un événement de campagne, vendredi 13 septembre 2024. The Associated Press | Jacquelyn Martin

Kamala Harris subit les vieux réflexes du double standard

Le débat Harris versus Trump du 10 septembre dernier a été marqué par des attaques de part et d’autre. Alors que Trump pouvait se permettre de critiquer Harris et de remettre en question son intelligence et sa loyauté envers le pays, Harris ne pouvait pas aller aussi loin.

Pourquoi ?

En raison notamment des attentes genrées envers les femmes leaders et les femmes en poste de pouvoir plus largement. Cette campagne offre des visions distinctes des États-unis et de son futur. Elle est aussi l’occasion d’étudier les discours politiques et la manière dont les deux politiciens justifient leur candidature et tentent de rejoindre les électeurs et électrices étasuniens.


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Cette campagne est également la seconde où une femme démocrate se présente contre un homme républicain. Rappelons en effet que Hillary Clinton avait affronté Donald Trump lors des élections présidentielles de 2016. Les médias accordent ainsi beaucoup d’attention à ce qui est encore une nouveauté : une femme candidate. Par ailleurs, si elle est élue, Kamala Harris sera non seulement la première femme présidente, mais aussi la première femme racisée à le devenir.

Dans la mesure où, du moins aux États-Unis, peu de femmes ont été élues à des postes aussi importants, et qu’il y a donc peu de modèles sur lesquels se fonder, une certaine confusion est susceptible de s’installer : les politiciennes peuvent s’interroger sur la bonne stratégie de campagne à adopter, tandis que les médias doivent revoir ou réévaluer leur manière de couvrir la politique. Les citoyens eux-mêmes peuvent se retrouver désorientés, puisqu’ils ne disposent pas nécessairement des critères nécessaires afin d’évaluer ces candidates.

Dans le cadre de mes travaux de recherche en communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières, et à titre de co-chercheuse à la Chaire sur le leadership et la confiance politique, je m’intéresse notamment aux manières dont les femmes politiques sont présentées dans les médias et aux défis que pose le leadership féminin. J’ai déjà partagé mes travaux sur le sujet via plusieurs articles dans La Conversation à propos du leadership féminin.

Double standard

La grande attention dont est l’objet Harris peut par exemple se manifester par des discours abordant ses vêtements ou sa vie privée. En cela, il s’agit d’un double standard. Il est présent quand un même élément est perçu comme un défaut chez une femme, mais une qualité chez un homme. Par exemple, les hommes auront de l’autorité et les femmes seront autoritaires.

En effet, des études ont montré que la couverture négative des vêtements portés par des femmes politiques peut avoir un effet négatif sur leur élection. D’autres recherches ont montré que les femmes perdaient des appuis lorsqu’il était question de leur apparence dans les médias. D’autres travaux de recherches montrent que les traits de caractère tels que l’assurance, la détermination et l’ambition sont considérés comme des traits masculins et non féminins.

Un homme en costume regarde vers sa gauche
Le candidat républicain à la présidence, l’ancien président Donald Trump, s’adresse aux journalistes après un débat présidentiel avec la candidate démocrate à la présidence, la vice-présidente Kamala Harris. The Associated Press | Matt Slocum

Autrement dit, qu’on le veuille ou non, les femmes politiques doivent naviguer en eaux troubles et dans un monde politique où la double-contrainte reste prégnante et où les stéréotypes de genre informent les attentes médiatiques et citoyennes. Il reste que la douceur et la mise en scène de qualités dites féminines peut être un piège pour les femmes en politique. Les recherches montrent notamment que les qualités dites masculines sont privilégiées par les électeurs, notamment en contexte de crise.


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Le défi d’Harris est de présenter une image de candidate présidentiable dans un contexte où, dans la lignée d’Hillary Clinton, elle est la première à tenter de briser le plafond de verre, voire la falaise de verre. Comment arrive-t-elle à relever les défis qui se présentent à elle ? Comment Harris réussit-elle à naviguer ce contexte précis ?

Elle le fait en mobilisant un récit positif, en se présentant comme une leader compétente, authentique et près des citoyens et citoyennes ainsi que de leurs préoccupations.

Classe moyenne : une leader près des gens

Kamala Harris se présente comme étant une candidate proche des citoyens et citoyennes, qui comprend leur réalité. Cette approche rejoint la dimension de proximité du triangle du leadership telle que présentée par Diego Ceccobelli et Luigi Di Gregorio, des chercheurs en communication politique italiens avec qui nous collaborons. Cette théorie met de l’avant le fait que les leaders sont évalués en fonction de trois critères : la compétence, l’authenticité et la proximité.


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Dans la lignée de cette théorie, Harris met l’accent sur le fait qu’elle provient de la classe moyenne. Elle est la fille d’une mère monoparentale qui l’a élevée avec sa sœur dans un quartier populaire de la Californie. Sa mère a travaillé fort pour faire ses études et pour être en mesure d’acheter une maison. Harris utilise ce narratif dans ses discours, ses communications politiques dans les médias sociaux, ses prises de parole lors du débat et ses réponses aux entrevues journalistiques.


L’expertise universitaire, l’exigence journalistique.

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Ce positionnement constitue également une précieuse stratégie afin de se distinguer de Donald Trump dont l’image est celle d’un homme blanc fortuné qui ne s’intéresse pas ou peu à la classe moyenne. La campagne de Trump reste particulièrement masculine. Elle met à profit des clips visant à faire peur aux citoyens : peur de l’autre, peur des immigrants, peur de la guerre, peur pour leur sécurité économique et physique. Pour lui, les immigrants sont à l’origine de tous les problèmes actuels aux États-Unis, soit le crime, le manque de logements, la santé et l’éducation. Pour Trump, les femmes sont faibles et par conséquent Harris ne peut pas faire une bonne présidente.

Une femme tient un micro devant une foule
Kamala Harris s’exprime lors d’une soirée de veille au Cherry Street Pier après le débat présidentiel à Philadelphie. The Associated Press | Jacquelyn Martin

Pour contourner ce cadrage, Harris met de l’avant le fait qu’elle est une femme forte qui a, en tant que procureure, mis de nombreuses personnes derrière les barreaux et n’a pas hésité à leur tenir tête. Dans le cadre de son travail, elle disait avant de plaider : « Kamala Harris for the people ». Cet élément était un aspect important de son discours lors la convention démocrate d’août.

Première femme

Enfin, si les médias ont recours au cadrage de la première femme, il est rare de voir Kamala Harris utiliser elle-même ce cadrage ou cet argument pour convaincre les citoyens américains de voter pour elle et son parti. Au contraire, elle construit sa légitimité sur un récit qui la place au cœur de la classe moyenne américaine.

Son défi reste celui de convaincre la population américaine qu’elle est la personne toute désignée pour diriger les États-Unis et ainsi briser le plafond de verre pour elle et pour toutes les autres femmes politiques qui pourront la suivre.

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