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Kosovo-Serbie : un projet européen à relancer d’urgence

Lors d'un concert en novembre 2010, à Pristina. Agon Syla/Flickr, CC BY-NC-SA

Le 26 août 2015, à Bruxelles, la chef de la diplomatie de l’Union européenne Federica Mogherini, le premier ministre du Kosovo Isa Mustafa et son homologue serbe Aleksandar Vučić se serraient la main à l’issue de la cérémonie de signature d’un accord considéré comme « historique » pour la normalisation des relations entre les deux pays. Mais depuis lors, l’opposition kosovare – dont le parti Vetëvendosje (« Autodétermination ») est devenu le porte-drapeau – descend régulièrement dans les rues des principales villes du Kosovo pour dénoncer le danger de « morcellement du pays ».

À vrai dire, Vetëvendosje s’est toujours opposé aux négociations entre le Kosovo et la Serbie. Il s’y oppose, par principe, tant que la Serbie n’a pas reconnu les exactions commises au Kosovo lors du conflit de 1998-1999. Il s’y oppose également, ainsi que certains de ses dirigeants l’affirment souvent, afin d’empêcher le processus de décentralisation à base ethnique engagé depuis la proclamation de son indépendance en 2008. En recourant à ces manifestations, l’opposition cherche à témoigner de son mécontentement à l’égard du gouvernement Mustafa dont les faibles perspectives économiques et le fort taux de chômage ont poussé des milliers de jeunes kosovar(e)s à quitter le pays. Elle veut ainsi aussi montrer son attachement à l’idée d’un État unitaire fort qui résiste aux dissonances de la géopolitique européenne ou régionale.

Dans le cas présent, cependant, cette opposition va beaucoup plus loin. Depuis 2013, date de signature d’un accord de principe sur la normalisation des relations entre le Kosovo et la Serbie, on savait que l’opposition kosovare entendait rejeter un des points cruciaux des négociations, celui concernant la création des associations des municipalités serbes (en serbe « Zajednica »). Elle les considère comme le prélude d’une nouvelle « Republika Srpska » (l’entité serbe de Bosnie), un « État dans l’État » qui préparerait le terrain à la « bosnianisation » du Kosovo.

Après un blocage continu des séances parlementaires prévues pour voter cet accord – du gaz lacrymogène a été lancé à plusieurs reprises par des députés de l’opposition –, le Tribunal constitutionnel du Kosovo a finalement été saisi le 30 octobre 2015 par la Présidente Atifete Jahjaga afin de trancher sur sa compatibilité avec la Loi fondamentale. Verdict : l’accord est maintenu, mais plusieurs points – ceux traitant des pouvoirs exécutifs prévus pour les Zajednica – ont été jugés anticonstitutionnels. Certains ont pu être tentés d’expliquer ce rejet, comme ils le font parfois lorsqu’il s’agit des rapports politiques dans les Balkans, d’un point de vue ethno-national. Pourtant, sur les sept juges composant le Tribunal constitutionnel, deux seulement appartiennent à la communauté albanaise, quoique celle-ci représente 90 % de la population totale du Kosovo.

Structures parallèles serbes

Cette décision du Tribunal constitutionnel du Kosovo suscite une certaine perplexité à l’égard des acteurs de ces négociations. Elle ruine un peu plus la confiance qu’ont les Kosovars envers l’Union européenne, renforçant corrélativement la position des États-Unis. Un nouveau round de négociations entre le Kosovo et la Serbie va s’imposer au cours de l’année 2016, sous l’égide de l’Union européenne qui entend jouer un rôle actif dans la réconciliation entre les deux pays. Deux séries de préoccupations semblent devoir guider l’UE dans sa conduite prochaine à l’égard de ce processus :

— Premier objectif : empêcher les ingérences de la Serbie et de l’Albanie voisines au Kosovo et permettre au nouvel État, reconnu depuis 2008 par 107 pays (dont 23 pays membres de l’UE), d’étendre son contrôle institutionnel sur tout le territoire. Indirectement, cette démarche semble viser, à long terme, à forger une identité nationale propre au nouvel État. Une idée qui suscite des critiques en Serbie comme dans l’Albanie voisine, car le Kosovo constitue un enjeu concurrentiel de leurs mémoires nationales.

Mais si l’Albanie, trop absorbée par ses propres problèmes politiques, ne semble pas avoir la moindre volonté de s’immiscer dans les affaires intérieures du Kosovo, on ne peut pas en dire autant de la Serbie dont l’influence politique sur les habitants serbes au nord du pays reste très forte. Or, avec la signature du dernier accord, la Serbie s’engage à jouer un rôle clé dans la dissolution progressive des structures parallèles serbes et à faciliter leur intégration au sein de l’État du Kosovo.

— Second objectif de l’UE : il concerne une problématique commune au Kosovo et à la Serbie, à savoir l’adhésion à l’Union européenne. Pour le moment, cette dernière se présente comme un projet à deux vitesses : plus qu’à normaliser les rapports avec le Kosovo, la signature de l’accord entre Belgrade et Pristina a surtout contribué à normaliser les rapports de la Serbie avec Bruxelles. Ainsi l’UE vient d’ouvrir les deux premiers chapitres (sur 35) de la procédure d’adhésion.

En échange de son adhésion à l’UE, la Serbie s’est engagée à ne pas s’opposer à celle du Kosovo. Cet accord du 26 août 2015 et les dernières promesses de la Serbie ont été interprétés par la jeune diplomatie kosovare comme « une sorte de reconnaissance » par Belgrade du nouvel État du Kosovo – expression qui en soi ne veut pas dire grand-chose.

L’enjeu des visas

Tandis que le premier ministre serbe Vučić déclarait avoir obtenu plus que ce qu’il espérait de cet accord, le gouvernement du Kosovo, au regard des événements des derniers mois, subit des effets inattendus de la signature de cet accord. Ainsi, alors qu’il espérait montrer le visage d’un État fort en prenant sous contrôle le nord du pays, le caractère anticonstitutionnel de plusieurs points de l’accord signé a porté un coup dur à sa légitimité et a offert un argument de plus à l’opposition qui a de nouveau manifesté le 9 janvier.

Le Premier ministre du Kosovo, Isa Mustafa, La Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Federica Mogherini et le premier ministre de la Serbie, Aleksandar Vučić. Photo de CEEAS

Quant aux perspectives européennes pour le Kosovo, qui paraissent bien lointaines, la signature de l’accord n’a pu nourrir que le faible espoir d’une libéralisation du régime des visas, rapidement écartée malgré le soutien de la députée verte autrichienne Ulrike Lunacek. Cette évolution imprévue a poussé le Premier ministre kosovar Isa Mustafa à déclarer, lors d’un récent entretien avec la radio « Deutsche Welle », que sans la libéralisation du régime des visas, il n’y aurait plus de nouvelles négociations avec la Serbie.

On pourrait s’arrêter longuement sur les futures manœuvres du gouvernement Mustafa qui de fait est sorti affaibli de la signature de l’accord du 26 août. Mais on ne peut, aussi, que s’étonner du rôle flottant des négociateurs européens qui l’ont supervisé. Ces derniers, comme vient de le déclarer Maja Kocijancic, porte-parole de la chef de la diplomatie européenne, continuent d’ailleurs à inviter le gouvernement kosovar à concrétiser l’accord alors que plusieurs de ses points s’opposent à la Constitution du Kosovo. Comment expliquer cette insistance ? Et au vu de la situation tendue créée au Kosovo par la négociation de cet accord, peut-on réellement considérer ce dernier comme un succès de la diplomatie européenne ?

Un projet européen en perte de vitesse

Le travail de la diplomatie de Bruxelles pourrait se révéler déterminant, dans les mois qui viennent, si celle-ci parvenait à relancer un projet auquel les citoyens du Kosovo et ceux du reste des Balkans de l’Ouest ne croient plus vraiment : le projet européen. Bien entendu, le discours sur les perspectives d’adhésion reste toujours dans les agendas des politiques locales des pays de cette région du Vieux Continent. Mais plus qu’à nourrir les illusions de leurs propres citoyens, il sert à contenter les diplomates européens. À cet égard, le vocabulaire « européaniste » du pouvoir – que ce soit à Belgrade, à Pristina, à Tirana ou ailleurs – est très similaire, mais ces mêmes mots sont en voie de perdre de toute signification pour les peuples de ces pays.

C’est, précisément, pour cette raison que les prochaines discussions entre diplomates européens, kosovars et serbes ne doivent pas uniquement répondre à la nécessité du rituel. Au contraire, à la lumière des derniers événements, l’Union européenne doit prendre ses responsabilités, reconsidérer avec la plus grande importance cette région de l’Europe, et être en mesure de proposer des solutions à la hauteur de ses engagements.

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