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L’(extrême) urgence agricole

Au Salon de l’agriculture 2016. Dominique Faget/AFP

Ce texte est publié en partenariat avec La Revue de droit rural (LexisNexis).

Tout comme l’agriculture de plusieurs États membres de l’Union européenne (États baltes, Pologne, Espagne ou Italie), l’agriculture française, qui rencontre depuis plusieurs mois de grandes difficultés, mérite une thérapie d’urgence. Pour paraphraser le propos de l’ancien ministre de l’Agriculture et Président de la République Jacques Chirac lors de l’ouverture du Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, les crises agricoles qui se succèdent avec fracas donnent la nette impression que « notre agriculture brûle et nous regardons ailleurs ».

Le Conseil « Agriculture et pêche » du 15 février 2016 incline à le penser. Il n’a, semble-t-il, porté qu’un intérêt limité à la situation actuelle des marchés agricoles. Le débat qu’il a tenu servira uniquement de base à une discussion formelle qui aura lieu lors de la prochaine session, ce lundi 14 mars 2016. Alors qu’il y a urgence, il décidera seulement à ce moment-là des mesures les plus appropriées à adopter, la Commission ayant demandé aux États membres de formuler des propositions « innovantes » de sortie de crise. L’évolution très défavorable des marchés agricoles et la spirale infernale de la baisse des prix des produits agricoles donnent à croire que l’Union européenne est peu réceptive, voire impuissante, et que la politique agricole commune (PAC), réformée il y a peu en 2013, pâtit d’une orientation stratégique inadéquate.

L’extrême volatilité des prix agricoles

L’indice mensuel de la FAO des prix des produits alimentaires paru le 4 février 2016, qui mesure la variation mensuelle des cours internationaux d’un panier de denrées alimentaires (aliments, céréales, huiles végétales, produits laitiers, viande, sucre), commence l’année 2016 par une nouvelle baisse. La chute est telle que les prix du lait ou du porc proposés aux agriculteurs sont inférieurs à leurs coûts de production.

Non seulement l’industrie alimentaire exerce une forte pression sur les prix mais, sans exagération, il n’est pas faux de considérer que la grande distribution n’y est pas étrangère. L’embargo russe a entraîné une chute des exportations françaises de viande, de produits laitiers, et de fruits et légumes (voir « L’agriculture européenne face à l’embargo russe », La Revue de droit rural, nov. 2014). Le ralentissement de la croissance (et de la demande) en Chine, la sécheresse de l’été 2015, la baisse de la consommation de viande (un risque de cancer pouvant être lié à la consommation de viande rouge), la suppression des quotas laitiers le 31 mars 2015 (voir « La suppression des quotas laitiers : un pis-aller ? », La Revue de droit rural, mars 2015) sont autant de facteurs ayant exercé une influence négative sur le niveau des prix.

Dans l’Union, la collecte de lait a ainsi progressé de 5,5 % entre novembre 2014 et novembre 2015, ce qui bien entendu influe à la baisse sur le prix du lait et, ne permet pas « d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole », contrairement à l’un des buts de la PAC.

L’intervention minimaliste de l’UE

Un nombre élevé d’agriculteurs européens est donc frappé par la situation très difficile des marchés agricoles. La question qui vient immédiatement à l’esprit est de savoir de quels moyens dispose l’Union européenne et les États membres pour agir ? De manière classique, les États accordent des aides et élaborent des plans de soutien qui prévoient la plupart du temps des allègements de charge, qui paraissent bien insuffisants.

De son côté, même si elle est accusée de faire « trop peu et trop tard », la Commission européenne a adopté début septembre 2015 un train de mesures s’élevant à 500 millions d’euros afin de répondre aux difficultés de trésorerie des agriculteurs, de stabiliser les marchés – autre but de la PAC –, et d’améliorer le fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement. Des mesures d’aide au stockage de la viande de porc et de poudre de lait, ainsi que des programmes de promotion ont notamment été prises à ces fins.

Lors du Conseil des ministres du 15 février, aucune aide nouvelle n’a été annoncée, si ce n’est la volonté de la Commission de mettre au point de nouveaux mécanismes de régulation du marché du lait. Un nouvel ensemble de mesures d’urgence aurait eu un coût démesuré, au moment où l’Union doit faire face à la gestion d’une autre crise, celle des migrants. De toute manière, le mot d’ordre de la Commission est celui de la libéralisation de l’agriculture, tant au plan interne qu’au plan international.

Une réforme de la PAC indispensable

Sans faire preuve d’un pessimisme excessif, la PAC réformée à la fin de l’année 2013 ne serait-elle que cautère sur une jambe de bois ? Le tournant libéral et la régulation minimale des marchés agricoles, emblématiques de la PAC actuelle, réduisent les possibilités d’action. La réforme continue à privilégier le versement d’aides découplées, et la Commission européenne la négociation d’accords de libre-échange, dans le but d’écouler plus aisément les produits agricoles européens.

Est-ce la bonne solution ? Il est permis d’en douter, car ces choix ne permettent de maîtriser ni l’amplification de la volatilité des prix agricoles, ni la financiarisation des marchés agricoles. Ne faudrait-il pas alors opter pour une politique agricole qui sécurise davantage la production agricole et préférer, à l’instar du Farm Bill américain de 2014, des soutiens couplés de nature contracyclique et assurancielle. Les quelque 8,5-9 milliards d’euros d’aides agricoles perçus annuellement par la France devraient pouvoir être utilisés différemment et permettre de préserver les agriculteurs des variations erratiques des marchés mondiaux.

Alors que la PAC réformée comprend seulement une réserve de crise, et quelques dispositions sur les fonds de mutualisation et l’assurance récolte, des mécanismes contracycliques garantissent aux agriculteurs américains un prix plancher (et un revenu), lorsque les prix chutent en dessous d’un niveau de référence fixé par le législateur. Les producteurs laitiers disposent même d’une assurance sur les marges. La poursuite du développement de l’agriculture européenne et la sécurité alimentaire de l’Union, qui n’est pas étrangère non plus aux objectifs de la PAC, impliquent certainement une plus grande sécurisation de la production agricole. N’oublions pas non plus que le changement climatique à l’œuvre va accroître les risques en agriculture.

Comme le Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture (Momagri) le suggère, il faut sans doute donner un nouveau cap stratégique à la PAC et réorienter les paiements directs versés aux agriculteurs autour d’un dispositif contracyclique stabilisateur de leurs revenus, cela à un coût budgétaire compatible avec l’enveloppe des cadres financiers pluriannuels rythmant la vie de l’Union européenne. Si l’on n’y prend pas garde, comme le sociologue Henri Mendras avait prévu La Fin des paysans en 1967, celle des exploitants agricoles pourrait être proche et l’ancrage de l’agriculture industrielle irréversible.

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