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L’« open controlling » pour réveiller la fonction contrôle de gestion

Open controlling.

Le journal Les Echos a publié en avril 2017 un article relatif à une étude du consultant Bearing Point, « Les basiques de la transformation de la fonction finance en entreprise ». Parmi les sept recommandations formulées dans l’étude, j’ai été particulièrement interpellé par la quatrième d’entre elles.

En effet, que ce soit dans la presse économique ou orientée « business », c’est la première fois que j’y lisais une telle préconisation, à savoir que le DAF (Directeur administratif et financier) devait « Passer de la position de frein à l’innovation, au rôle de promoteur » !

Outre sa pertinence et son originalité, ce conseil développe une puissance exceptionnelle car il s’adresse directement au DAF ou au directeur du contrôle de gestion « corporate » de l’entreprise, et pas simplement au responsable financier d’une société d’ingénierie, ou au contrôleur de gestion d’une activité de R&D et d’innovations.

Cette reconnaissance médiatisée du rôle si particulier que doit jouer la fonction finance – gestion de n’importe quelle entreprise face à l’innovation conforte les travaux que nous avons réalisés avec Sophie Hooge, et rassemblés dans l’ouvrage Performance de la R&D et de l’innovation (Presses des Mines de Paris,2016).

La démonstration est ainsi faite que le responsable financier doit évidemment accompagner pleinement le changement de paradigme de l’Innovation, à savoir que si elle était une condition nécessaire pour devenir leader, l’Innovation est devenue aujourd’hui une simple condition d’existence de l’entreprise.

Le terrain de jeu idéal pour décrire les conséquences opérationnelles d’une telle recommandation est bien celui de la R&D, du Design ou de l’Innovation, dans lequel quatre actions apparaissent incontournables.

1. Appeler à une mutation profonde des outils du contrôle de gestion

Alors que la gestion des projets de R&D et d’innovation est devenue indispensable pour assurer la pérennité et la compétitivité des entreprises, le contrôle de gestion traditionnel représente un véritable danger, risquant de considérer le budget R&D comme des « frais fixes » et les projets d’innovation comme des projets de développement.

Pour comprendre les risques de cet écart instrumental avec les enjeux contemporains de l’innovation intensive, un éclairage critique des processus de pilotage de la sphère R&D s’impose, de même qu’une démarche pour développer une instrumentation de pilotage adaptée aux spécificités actuelles des projets d’innovation et de recherche.

À l’opposé du cost killing, particulièrement efficace pour réduire le si coûteux time to market des projets classiques, et après avoir bien appliqué les méthodes de modélisation des processus de développement, basées sur le lean management des usines et des achats, l’observation attentive de nombreuses activités d’innovation montre qu’elles sont le souffre-douleur des outils traditionnels de l’économie d’entreprise.

En effet, la valeur actuelle nette d’un projet d’innovation sera nécessairement très négative, faisant croire à une destruction de valeur alors qu’il s’agit peut-être d’une « pépite ». Car personne n’est à même de prévoir avec certitude les recettes et les coûts générés par un futur produit ou service innovant qui sera un premier mondial, par définition non galvaudée de l’innovation.

Aussi est-il fondamental que le concept de RID s’applique, en distinguant bien les projets de Recherche et d’Innovation de ceux de Développement.

2. Instrumenter l’exploration de l’inconnu, avec l’open controlling

L’outil de pilotage proposé pour les projets de recherche ou d’innovation est un modèle de management qui dispose d’une vision plurielle de la valeur, afin d’obtenir une meilleure description des incertitudes associées à la conception innovante. Si cet instrument a vocation à rejoindre la boîte à outils de la gestion budgétaire classique, son objectif n’est cependant pas d’évaluer les projets à partir de référentiels stables et disponibles, mais de fournir des leviers de pilotage du potentiel économique, stratégique et organisationnel des projets.

Si le management des projets de développement est bien connu et enseigné dans la plupart des écoles d’ingénieurs et de commerce, il en est tout autrement du pilotage des projets d’innovation.

L’open controlling concentre les nouveaux défis du contrôle de gestion, en permettant à une fonction particulièrement fossilisée de se révolutionner, notamment dans sa capacité de discernement : les activités de développement doivent être revisitées, à l’instar du lean management des usines, et celles d’innovation doivent déboucher sur un nouveau pilotage triaxial de la performance :

  • une valeur économique, bien sûr, pour servir la croissance rentable de l’entreprise,

  • une valeur stratégique, évidemment, pour décider en fonction de critères non monétaires qui fondent l’identité collective de l’entreprise,

  • une valeur d’adhésion des parties prenantes internes, pour détecter et traiter les phénomènes de rejet et d’engouement propres aux projets innovants.

3. Associer le pilotage économique et stratégique à l’adhésion des acteurs

L’évaluation à priori de la performance économique ou stratégique d’un projet de conception innovante est une utopie, car il est impossible de le décrire avant qu’il ait été conçu, même sous forme de cahier des charges. Aussi la structuration d’un processus d’interaction et de convergence des différents acteurs est-elle à même de conditionner la performance du produit ou du service final, et l’introduction de l’adhésion des parties prenantes comme levier de performance du pilotage des projets innovants est en soi une innovation de gestion.

Elle est d’autant plus importante que le modèle de management triaxial ne précise volontairement pas le poids relatif de chacune des trois dimensions de la valeur, pour favoriser la réponse à deux points clés de ce pilotage atypique :

  • la construction progressive de la confiance entre les parties prenantes de l’innovation

  • la préparation des conditions techniques et organisationnelles de l’intégration d’une innovation

4. Passer du contrôle de gestion (tueur) à la gestion des contrôles (des pépites)

Il est fondamental de se concentrer sur les transformations du métier « contrôle de gestion », car les projets d’innovation sont en rupture avec les règles de conception du dominant design, et se distinguent par la radicalité des alternatives de conception en présence. La méthode de pilotage proposée répond quantitativement aux questions suivantes, pour chaque projet d’innovation :

  • quel pourcentage de chances le projet a-t-il d’avoir une VAN positive ou nulle, en tenant compte de la façon « habituelle » avec laquelle l’entreprise se trompe dans ses prévisions de recettes et de coûts ?

  • quel est le score du profil stratégique du projet, indicateur non monétaire indispensable ?

  • quel est le taux d’adhésion des équipiers affectés à chaque projet, pour mesurer et traiter l’adéquation entre les compétences et le projet ?

La R&D doit surveiller de près la rentabilité économique régalienne de ses projets classiques, avec un mode de management très financiarisé, et aussi « tueur » que nécessaire. La RID doit compléter cette surveillance en installant pour les projets d’innovation un autre mode de management, davantage protecteur des gisements de pépites potentielles. Ce sont ces embryons d’activités innovantes qui se développeront, et donneront naissance à des produits ou services dont les prix de vente seront infiniment plus élevés que ceux imposés par les marchés concurrentiels.

En permettant à l’entreprise de maximiser ainsi les futurs résultats de son P&L, la RID devient un puissant catalyseur de la transformation d’un priceless business-model en un cost-plus business-model, aidé en cela par l’open controlling, traduction effective du passage d’un contrôle de compliance à un contrôle habilitant.

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