Menu Close

La Centrafrique, un tremplin politique pour les militaires gabonais

Soldats de la MISCA en Centrafrique (2013). Minusca/Flickr, CC BY-SA

Partenaire du Forum « Guerre et politique », organisé à Paris le mois dernier par l’Université d’Auvergne et l’EHESS, The Conversation France publie toute cette semaine une série de textes issus de ces travaux qui mettent en perspective les nouveaux visages de la guerre.


Depuis 2003, la troupe gabonaise a constamment été déployée en République centrafricaine pour contribuer au retour à la paix dans ce pays en proie à une crise politique et militaire. En dépit de la taille réduite de son armée, de son territoire et de sa population, le Gabon mise sur sa diplomatie de défense pour s’imposer dans le jeu d’influence régionale. Si ses interventions militaires permettent au pays d’exercer un poids sur l’échiquier géopolitique, ses officiers en retirent aussi un bénéfice au plan individuel étant donné la possibilité de convertir ce capital guerrier en carrière politique.

Contribuer aux opérations de maintien de la paix permet en effet d’atteindre des positions élevées dans la hiérarchie du système politique national. L’histoire de l’engagement militaire du Gabon en République centrafricaine (RCA) fait ainsi ressortir l’usage politique de cette implication aussi bien sur le théâtre des opérations qu’à l’échelle des acteurs militaires. Les missions de paix confiées aux soldats gabonais placent en effet leurs cadres au cœur de la négociation diplomatique, faisant des officiers supérieurs de véritables « diplomates militaires » aguerris aux tractations politiques et à la diplomatie de défense.

L’influence du Gabon dans la région dépend de l’implication de ses soldats de la paix : seul, le Gabon ne peut rien ; s’il est absent, il n’est plus rien.

Une succession d’opérations en RCA

En République centrafricaine, en 2016, le Gabon compte environ 450 soldats déployés à Bangui dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies pour la Centrafrique (MINUSCA), dont l’objectif est de contribuer à la stabilisation du pays suite à la crise de 2013. Malgré la taille réduite de son armée (6 700 hommes) et sa faible population (1,7 million d’habitants), le Gabon mise sur sa diplomatie de défense pour maintenir sa présence dans le jeu d’influence géopolitique régionale, hormis dans la lutte contre l’organisation Boko Haram à laquelle il ne prend pas part directement, contrairement au Congo-Brazzaville et au Tchad.

Le Gabon est un pays engagé de longue date dans les opérations de maintien de la paix qui se sont succédées en Centrafrique. Dès 1997, la troupe gabonaise est déployée en RCA dans la Mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui (MISAB). En novembre 2002, il s’implique avec d’autres pays de la région (Congo-Brazzaville, Guinée Équatoriale et Tchad) dans la Force multinationale en Centrafrique (FOMUC), déployée par la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique Centrale (CEMAC). Six ans plus tard, en juillet 2008, cette opération est remplacée par la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX), cette fois-ci sous le mandat de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC). 500 militaires gabonais y participent.

Enfin, à partir de décembre 2013, le pays contribue à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA), dont le colonel gabonais Patrice Ostangue Bengone assure le commandement de la composante police. L’implication du pays sous la bannière onusienne s’inscrit bien dans le prolongement de cette action militaire menée de longue date : la mission du bataillon gabonais est d’aider à la sortie de crise politico-militaire en RCA.

un blindé tchadien déployé en Centrafrique en décembre 2013. Idriss Fall/Wikimedia

Le Gabon s’implique aussi dans le champ diplomatique, par exemple au sein de la mission des Nations unies en RCA et au Tchad, la Minurcat, créée en septembre 2007. Plusieurs officiers gabonais de haut rang assument des responsabilités politiques au sein de cette force (notamment le commandant-major Jean Bernard Nguema Bilong et le lieutenant-colonel Guy Claude Ndong Edou).

Aujourd’hui, quelque 500 militaires du contingent gabonais participent à la force de l’ONU en RCA, la MINUSCA, appuyée par la force française de l’opération Sangaris (2013-2016). Mais au-delà, les soldats gabonais engagés ces dix dernières années en Centrafrique endossent un rôle politique qui dépasse nettement leur savoir-faire militaire.

Un rôle stabilisateur limité par un manque de moyens

Le rôle politique de la troupe gabonaise se traduit par sa capacité à contribuer à la stabilisation des territoires affectés par la guerre, faisant de Libreville un médiateur précieux dans la résolution des crises qui affectent la région, en particulier sous le régime d’Omar Bongo (décédé en 2009). Cette capacité lui donne un avantage politique indéniable qui compense son faible rendement opérationnel.

Plusieurs facteurs expliquent que la troupe soit démotivée sur le théâtre d’opérations. Un équipement qui laisse à désirer, la faiblesse chronique du renseignement militaire et des politiques des ressources humaines défaillantes sont bien réels. Sans oublier les faibles rémunérations perçues par la troupe, et le détournement des primes versées par l’ONU au profit des gradés. Enfin, chez eux, les soldats souffrent d’un manque de légitimité sociale : ils sont en butte à l’hostilité et la méfiance des populations envers les « corps habillés ».

Le terrain, une ressource politique

Un certain nombre d’officiers gabonais qui participent à des opérations de paix en RCA utilisent cette expérience à leur profit personnel, la convertissant en ressource politique pour une carrière internationale ou sur la scène politique nationale.

C’est le cas du général de brigade Auguste Itandas Bibaye, ancien commandant de la force multinationale de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) en République centrafricaine, de 2004 à 2008. Cet ancien chef d’état-major des armées gabonaises sous la présidence d’Ali Bongo Ondimba, qui démissionnera de cette fonction au plus fort des tensions postélectorales du mois d’août 2016, a été l’ancien chef d’état-major particulier de la présidente de transition en 2009, Rose Francine Rogombé, suite au décès d’Omar Bongo.

Le général gabonais Jean-Claude Ella Ekhoga, connaît un parcours professionnel similaire, entre le terrain militaire et le champ politique. Ancien commandant de la force multinationale de la CEMAC de 2003 à 2004, ce général (aujourd’hui décédé) a été l’ancien conseiller pour les affaires de défense du président Ali Bongo Ondimba. Avant d’arriver à la présidence de la République, il fut aussi le chef du cabinet militaire d’Ali Bongo, alors ministre de la Défense de son père, Omar Bongo.

Pour les officiers et les soldats participant aux opérations de paix régionales, celles-ci apparaissent bien comme une opportunité politique. Du moins pour les contingents dont le rôle diplomatique est beaucoup plus déterminant dans le processus global de résolution du conflit, comme en Centrafrique.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,300 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now