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La Chine et les Balkans occidentaux : un ancrage à la périphérie de l’UE

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En 2012, la Chine a créé, avec 17 pays d’Europe centrale et du sud-est le Format 17+1, une composante de l’ambitieux projet Belt and Road Initiative (« belt » pour les corridors terrestres – lignes de chemin de fer – à travers l’Asie centrale, et « road » pour les deux corridors maritimes).

Cinq pays des Balkans occidentaux – l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie (le Kosovo en est exclu) – en composent le flanc sud. Les 12 autres comprennent les 11 nouveaux pays membres de l’Union européenne qui l’ont rejointe depuis 2004, ainsi que la Grèce. Les cinq pays des Balkans occidentaux sus-cités sont en cours d’adhésion à l’UE ou ont été invités à la rejoindre dans un horizon de temps encore éloigné.

L’UE est aujourd’hui le principal partenaire commercial (plus de 70 %) et investisseur (plus de 60 %) de chacun de ces cinq pays. La Chine vient en deuxième position ; ses échanges commerciaux ainsi que ses investissements en infrastructures portuaires, ferroviaires et autoroutières s’accroissent. Avec la Serbie – une première dans l’espace européen –, la coopération s’étend jusqu’aux domaines militaires (fourniture de matériel) et de la sécurité (systèmes de surveillance). Toutefois, en volume, tant les échanges que les investissements chinois dans la région restent très limités.

Les intérêts des parties concernées

Pour les dirigeants des pays récepteurs, la présence chinoise est un moyen d’accéder à des ressources complémentaires leur permettant de gagner du temps, de satisfaire leurs populations et de contourner les contraintes d’une transformation structurelle coûteuse économiquement et politiquement.

Pour la Chine, sa présence parmi les Cinq s’inscrit dans sa politique globale de coopération avec l’Europe. Elle y met en œuvre une stratégie économique sans forte conditionnalité – la « diplomatie des infrastructures » – qui se confronte au pouvoir normatif de l’UE. Cette dernière, en effet, fait dépendre la distribution de crédits et d’aides des efforts réalisés par les pays récepteurs dans l’optique de leur future adhésion.

Plusieurs facteurs motivent la présence des firmes chinoises dans la région :

  • La zone géographique se trouve à l’intersection de deux corridors de l’Initiative : l’un, terrestre, arrive en Pologne, l’autre atteint le port du Pirée. Une ligne ferroviaire doit réaliser la jonction entre le nord et le sud. Autour de cet axe, les firmes chinoises sont engagées dans la modernisation et la construction d’infrastructures portuaires, ferroviaires, autoroutières qui font toujours défaut.

  • C’est le moyen de réaliser des investissements en mobilisant les surcapacités des firmes d’État, et de construire des centrales thermiques qui ne peuvent plus l’être en Chine.

  • Créer des réseaux pour favoriser l’implantation de grands groupes chinois dans le domaine des télécommunications.

  • Acquérir des actifs dans le secteur énergétique, des matières premières (raffinerie de pétrole, mines cuivre), de la sidérurgie.

  • Contribuer au développement de chaînes régionales de valeur dans les secteurs des composants, batteries électriques, construction de pneumatiques en procédant à des investissements vierges.

  • L’implantation de banques accompagne ces nombreux projets.

Un état des lieux de la présence chinoise

À ce jour, la Chine soutient en finance dans les Balkans occidentaux de nombreux projets achevés, en cours ou prévus.

  • Albanie : Construction d’une autoroute, d’un port, d’un parc industriel, gestion de l’aéroport de Tirana, acquisition d’une raffinerie de pétrole. Coût estimé : 385 millions d’euros.

  • Bosnie-Herzégovine : Construction et modernisation de trois centrales électriques au charbon, construction d’une autoroute. Coût estimé : 1 018 milliards d’euros. En 2018, la Bosnie-Herzégovine doit près de 14 % de sa dette externe à la Chine.

  • Macédoine du Nord : Construction d’autoroutes, du réseau gazier du pays, d’une ligne de chemin de fer, d’une centrale hydroélectrique. Vente d’une flotte d’autobus, de locomotives électriques, télécommunications. Coût estimé : 1 milliard d’euros. En 2018, la Macédoine du Nord devait près de 20 % de sa dette extérieure à la Chine.

  • Monténégro : Construction d’une ligne de chemin de fer et d’une autoroute. Rénovation d’une ligne de chemin de fer, investissements dans plusieurs projets hydroélectriques et thermiques. Coût estimé : 909,6 millions d’euros. Le Monténégro doit près de 40 % de sa dette extérieure à la Chine.

  • Serbie : Construction de ponts, d’autoroutes, d’une voie périphérique autour de Belgrade, du métro de Belgrade, construction et modernisation de lignes de chemin de fer, réalisation d’un parc industriel, modernisation de centrales thermiques. Acquisition de firmes dans la sidérurgie et les mines de cuivre. Investissements dans les secteurs automobiles (batterie, construction de pneumatiques). Fourniture d’équipements et de services de surveillance (Huawei a fourni 1 000 caméras faciales pour équiper trois villes). Livraison de matériel militaire, achat de drones. Coût estimé : 3 320 milliards d’euros. En 2018, la Serbie devait près de 12 % de sa dette à la Chine.

Rivalité ou complémentarité ?

Les investissements chinois se portent principalement vers le secteur des infrastructures et contribuent à combler les besoins d’infrastructures dans le domaine des transports, manifestement sous-développées dans la région. Ils s’ajoutent à ceux financés par l’UE, dont les prêts et subventions égalent ceux réalisés par la Chine. Les engagements financiers de l’UE dans le secteur des infrastructures dépassent les engagements chinois réellement déboursés : 1 809 contre 1 662 millions d’euros en Serbie, 1 184 contre 614 millions en Bosnie-Herzégovine. Seule exception, le Monténégro : 344 contre 796 millions. Quant aux échanges commerciaux, ils demeurent très asymétriques, l’ensemble des pays enregistrant des déficits importants vis-à-vis de la Chine.

Les critiques avancées à l’encontre de la stratégie chinoise sont de différents ordres :

  • Le lancement de projets dont la justification économique n’est pas justifiée.

  • Les modalités d’allocation des ressources et de distribution des crédits, notamment les faibles conditionnalités concernant l’octroi des crédits. Certains pays, comme le Monténégro, voient leur endettement monter dangereusement suite aux emprunts contractés auprès des établissements financiers chinois. D’autres, comme la Bosnie-Herzégovine, réduisent leurs dépenses dans certains secteurs (protection sociale) pour pouvoir honorer le service de la dette.

  • Les investissements dans des secteurs provoquant des dégâts environnementaux, induisent des surcapacités (centrales thermiques) freinant la conversion énergétique.

  • Les travaux d’infrastructures sont réalisés quasi exclusivement par des firmes chinoises qui importent la main-d’œuvre et le matériel, et laissent peu de place à l’emploi local.

  • Les faibles retombées en termes d’emplois et d’essaimage des investissements, notamment la faiblesse à ce jour d’investissements vierges créateurs d’activités à l’exception des investissements présentant une dimension politique (promesse de maintien de l’emploi dans une entreprise sidérurgique en Serbie).

Au-delà de la présence économique, une influence politique ?

La Chine a-t-elle les moyens ou cherche-t-elle à interférer dans les affaires de l’Europe, à ses marges ?

Comment peut-elle rechercher une coopération avec l’UE tout en enfonçant un coin dans son pré carré ? Elle peut le faire marginalement (neutralisation du vote de la Hongrie, de la Grèce sur des questions concernant les droits de l’homme dans des agences de l’ONU), en exerçant son soft power (création d’Instituts Confucius, distribution de bourses d’études). Mais pour beaucoup de pays de la région, les limites de la contribution chinoise commencent à être perceptibles et conduisent certains dirigeants de pays membres du Format à changer de pied au vu de la faiblesse des engagements financiers et industriels de Pékin.

La Serbie se distingue à la fois par le volume de ses échanges, de ses investissements et de sa coopération militaire tant avec la Russie que la Chine. Elle tire profit du relatif détachement l’UE et de sa tendance à tolérer des dirigeants qui jouent sur ses ambiguïtés.

La Serbie peut-elle devenir un pôle régional à partir duquel la Chine renforcera sa présence dans la région ? Son marché reste très étroit, ses capacités d’endettement limitées. L’esprit de l’Initiative est centré sur la coopération bilatérale alors que l’Union européenne promeut une approche régionale mettant l’accent sur l’intégration avancée des pays en accession comme condition de leur adhésion future.

Il reste que le futur de cette présence et de son extension dépend de l’évolution des relations économiques et politiques entre l’UE et la Chine. Or la contraction et la fragmentation de la mondialisation en cours, ainsi que la baisse de la croissance chinoise, paraissent annoncer une réduction des moyens disponibles alloués au financement de l’Initiative.

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