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La chute d’Omar Al-Bachir n’est que le début d’un Soudan nouveau

Un garçon soudanais brandit le drapeau national après que le président Omar el-Béchir a été démis. Khartoum, la capitale du Soudan, le 12 avril 2019. AFP/EBRAHIM HAMID

Les deux dernières semaines ont été décisives pour la gouvernance de l’Afrique en général, et plus particulièrement pour sa transition démocratique. La jeunesse algérienne a contraint le président perpétuellement « absent », Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, à capituler après 20 ans au pouvoir.

Le président soudanais Omar Al-Bachir, 75 ans, a, quant à lui, été rapidement évincé. Sa chute survient près de 30 ans après le coup d’État militaire qu’il a mené en avril 1989.

Au cours des dernières années, Al-Bachir avait surmonté un certain nombre de crises politiques et de difficultés qui avaient mis en péril sa présidence.

On a d’abord pensé qu’il résisterait une fois de plus à cette nouvelle vague de protestations, mais cette crise s’est révélée sans précédent. Alors que les précédentes révoltes étaient matées brutalement, à la faveur de l’arrestation des chefs de l’opposition et dans le cadre d’une vaste répression, ce mouvement insurrectionnel a persisté, malgré la violente répression du régime qui, selon certaines informations, aurait provoqué la mort de 60 personnes.

Cette fois, le déclencheur de la crise – la mauvaise santé économique du pays – a fait écho aux préoccupations de la rue. À cela s’est ajoutée la ténacité dont a fait preuve l’Association professionnelle soudanaise qui a mis en place une organisation très structurée pour les manifestations. Autre facteur déterminant, les militaires ont laissé tomber l’homme qu’ils avaient aidé à rester au pouvoir pendant trois décennies.

La force de l’Association professionnelle

L’Association professionnelle soudanaise – composée d’enseignants, d’avocats, de médecins et d’autres personnes appartenant à l’élite professionnelle du pays – a été le noyau dur de ce mouvement insurrectionnel. Les membres de ce groupe ont vécu les mêmes expériences à travers le pays. Ils ont constitué la colonne vertébrale organisationnelle du mouvement de protestation.

La capacité de l’association à mobiliser la population dans la rue, dans tout le pays, a exercé une pression singulière quant à la capacité du régime à réprimer le mécontentement qui s’est largement propagé dans les villes et les villages. Le fait que les organisateurs n’appartenaient pas à une classe politique traditionnelle leur a donné une forte crédibilité politique. Même si certains ont vu dans ce mouvement l’ombre d’une opposition engagée dans un jeu politique classique, l’association a rapidement gagné en crédibilité et en confiance.

Le président soudanais Omar Al-Béchir reçoit son homologue égyptien à l’aéroport international de Khartoum, le 25 octobre 2018. Ashraf Shazly/AFP

Au fur et à mesure que la crise se prolongeait, les membres de l’Association ont non seulement maintenu la pression, mais ils se sont montrés de plus en plus intransigeants : ils ont alors exigé une transformation totale du régime. Certes, Al-Bachir est parti, mais il est peu probable que les leaders du mouvement se contentent d’un régime militaire dirigé par un clone d’Al-Bachir.

La classe politique : disparue au combat

Pendant plusieurs années, les partis politiques d’opposition ont été les précurseurs de la contestation face au pouvoir d’Al-Bachir. Ce sont eux qui ont subi les foudres de l’État et leurs dirigeants ont soit été arrêtés, soit incarcérés et/ou encore contraints à l’exil.

Mais cette fois-ci, la crise semble les avoir pris au dépourvu. Les dirigeants des trois principaux partis d’opposition – la National Consensus Forces Alliance, Nidaa al-Soudan et Ummar – se sont joints tardivement aux appels au changement, laissant le champ libre à la société civile.

Même s’ils sont restés au second plan dans les manifestations, les partis d’opposition traditionnels sont appelés à jouer le rôle de faiseurs de roi dans tout processus de transition. Pour sa part, l’association professionnelle devrait apporter une contribution importante au changement.

Sans oublier un autre acteur clé au Soudan dans l’après-Al Bachir : l’armée.

Le rôle ambigu de l’armée

Les coups d’État militaires ont rythmé la politique africaine dans les années 1970 et 1980. Avec l’émergence des réformes démocratiques dans les années 1990, l’armée a été forcée de regagner ses casernes. Durant cette période, l’institution militaire s’est vue confier le rôle de gardien de l’État mais aussi, d’une certaine manière, de la classe politique.

Au centre, le lieutenant général Omar Zain al-Abdin, chef du nouveau conseil militaire, donne une conférence de presse, un jour après l’éviction du président Omar Al-Bachir. Khartoum, Soudan, le 12 avril 2019. Ashraf Shazly/AFP

Ce sont les militaires qui tirent réellement les ficelles dans les régimes où les dirigeants ont été propulsés au pouvoir, apparaissant par la suite comme des hommes forts. Ainsi, Al-Bachir s’est appuyé sur l’armée lorsqu’il a mené le coup d’État de 1989. Puis il a pu compter sur les généraux pour surmonter les nombreuses de crises qui ont émaillé son règne.

Le fait que l’armée l’ait forcé à démissionner est effectivement capital. Cela montre que les militaires restent bien les faiseurs de rois. Leur réticence à réprimer le mouvement et, dans certains cas, la protection apportée à la population face aux vols et les exactions des services de renseignement, confirme leur image de gardiens de l’État.

D’un autre côté, leur décision de superviser la période de transition pour une période de deux ans montre que les militaires veillent à préserver jalousement leurs intérêts. Reste que cette décision risque bien d’être perçue comme une usurpation du rôle dévolu à la classe politique dans la conduite de la transition.

La fin d’une époque

Le temps des réformes politiques en profondeur est venu. Après 30 ans de répression politique, de corruption systémique et de subversion des institutions de l’État au service de l’enracinement d’Al-Bachir au pouvoir, des défis aigus – mais aussi nombre d’opportunités – se dessinent avec la fin d’une ère.

Le Soudan a une chance unique de s’engager sur la voie de la réconciliation en rassemblant les représentants de l’opposition et ce qui reste de l’ancien régime.

Par ailleurs, il est urgent d’entreprendre des réformes constitutionnelles. Il faudra y ajouter des garanties concernant les droits civiques et politiques des citoyens, l’élargissement de l’espace politique aux anciens et nouveaux acteurs politiques et l’établissement de nouveaux mécanismes garantissant la transparence et la nécessité de rendre des comptes.

Par-dessus tout, l’économie doit être relancée pour relever les défis socio-économiques immédiats qui ont sous-tendu ce soulèvement.

À cet égard, la chute d’Al-Bachir n’est que le début d’un Soudan nouveau.

This article was originally published in English

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