Couleur rose, goût fraise… Il ne s’agit pas du dernier bonbon à la mode dans les cours de récréation, mais bien d’un mélange de drogues en vogue depuis quelque temps chez certains « clubbers » en Europe : la « cocaïne rose ». Derrière ce nom trompeur se cache un cocktail dont la dangerosité est notamment due à sa composition très variable.
Au début du mois de septembre 2024, les autorités espagnoles ont mené une opération ciblant des réseaux de narcotrafiquants à Ibiza et à Malaga. Celle-ci a mené à la plus importante saisie de drogues de synthèse jamais effectuée dans ce pays : plus d’un million de pilules d’ecstasy ont été confisquées, ainsi qu’une grande quantité de « pink cocaine » (cocaïne rose, en français).
Responsable d’un nombre croissant de décès, ce cocktail de drogues de synthèse, dont la composition varie, est depuis quelque temps devenu une préoccupation majeure en Espagne et dans d’autres pays, notamment au Royaume-Uni (en France, la cocaïne rose a été signalée à partir de 2022,ndlr). Au point que les organismes européens de lutte contre les drogues ont alerté sur la nécessité de s’attaquer aux risques liés à cette substance.
Que contient la cocaïne rose ?
Malgré son nom, la cocaïne rose ne contient pas nécessairement de cocaïne. Généralement, il s’agit plutôt d’un mélange de diverses autres substances, notamment de la MDMA, de la kétamine et du 2C-B. La MDMA, communément appelée ecstasy, est un stimulant aux propriétés psychédéliques, tandis que la kétamine est un puissant anesthésique aux effets sédatifs et hallucinogènes. Les drogues 2C sont quant à elles classées comme psychédéliques, mais peuvent également produire des effets stimulants. C’est le biochimiste américain Alexander Shulgin, qui synthétisa pour la première fois le 2C-B en 1974. La variante moderne, apparue vers 2010 en Colombie, en est une version contrefaite.
La cocaïne rose se présente habituellement sous forme de poudre ou de pilule. Elle est notoirement connue pour sa couleur vive, obtenue grâce à des colorants alimentaires et destinée à améliorer son attrait visuel (en outre, la poudre est parfois aromatisée à la fraise ou à d’autres saveurs). Après avoir progressivement gagné en popularité sur les scènes festives d’Amérique latine, la cocaïne rose – aussi connue sous les noms de « cocaina rosada » et « tusi » ou « tusibi » (transcriptions phonétiques respectives de 2C et de 2C-B, prononcé à l’anglaise) – s’est propagée en Europe.
Roulette russe
La composition de la cocaïne rose est imprévisible, c’est en grande partie la raison de sa dangerosité. Lorsqu’ils la consomment, les utilisateurs s’attendent souvent à prendre un stimulant similaire à la cocaïne, mais la présence de kétamine peut plutôt entraîner la survenue d’effets dissociatifs. En outre, la kétamine est largement diffusée dans les clubs, or en absorber de trop grandes quantités peut faire perdre conscience et entraîner des difficultés respiratoires.
On retrouve le même genre d’attrait pour la cocaïne rose que pour des drogues comme la cocaïne et la MDMA, des substances considérées comme « glamour » malgré les risques liés à leur consommation. L’apparence et le statut de « drogue de synthèse » contribuent en particulier à l’attrait qu’elle exerce sur les jeunes et les consommateurs novices. Elle est par ailleurs commercialisée comme un produit « haut de gamme », le gramme se monnayant aux alentours de 100 dollars en Espagne (près de 90 €).
Mais ce positionnement ne doit pas faire oublier le danger bien réel associé à la prise de cocaïne rose, que les experts comparent au célèbre et mortifère jeu de la roulette russe, en raison de la composition hasardeuse du mélange.
En Europe, cette drogue est partie des clubs d’Ibiza pour atteindre les côtes du Royaume-Uni, où elle gagne désormais du terrain en Écosse, ainsi que dans certaines parties du Pays de Galles et en Angleterre. Sur le continent, les autorités de santé tirent également la sonnette d’alarme (la cocaïne rose a également été détectée en France, en Allemagne ou au Benelux, notamment), tandis que, de l’autre côté de l’Atlantique, une augmentation de sa disponibilité a également été constatée à New York.
L’un des problèmes rencontrés au cours de la lutte contre la cocaïne rose est que cette drogue est difficilement détectable par les tests de dépistage standards. Par ailleurs, en Espagne, les tests actuellement utilisés ne sont pas encore capables d’en identifier tous les composants potentiels.
La réponse juridique apportée varie selon les pays. Les autorités espagnoles tentent de freiner sa distribution. Au Royaume-Uni, la cocaïne rose n’est pas explicitement mentionnée dans le Misuse of Drugs Act 1971, qui répertorie les drogues en trois classes, A, B et C, en fonction de leur nocivité. En revanche, les substances qui la composent y figurent : la MDMA et le 2C-B sont des drogues de classe A, tandis que la kétamine appartient à la classe B.
Réduire les méfaits de la cocaïne rose
L’augmentation de consommation de la cocaïne rose met en évidence la nécessité d’améliorer l’accès à des kits permettant de vérifier la composition des drogues. Ce type d’outil est essentiel pour réduire les méfaits des mélanges : ils permettent en effet aux utilisateurs de tester les substances qu’ils ont l’intention de consommer, leur permettant d’identifier les composants inconnus, et offrant de ce fait une forme de protection.
Fournir ce type de service, en vue de diminuer les conséquences délétères liées aux usages de drogue, est un enjeu vital, comme le montrent notamment mes propres travaux. Une approche complémentaire consiste à mettre en place des campagnes de sensibilisation du public. Enfin, mettre en place des services d’assistance joue également un rôle important dans la lutte contre les méfaits des drogues.
La popularité croissante de la cocaïne rose nous rappelle que le paysage des drogues est en constante évolution, sous l’effet notamment des modes et tendances qui se diffusent via les médias sociaux, qui peuvent contribuer à l’émergence de nouvelles menaces.