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La déchéance de la nationalité, au risque de l’inégalité entre Français

Seuls les Français naturalisés depuis moins de 15 ans peuvent être déchus de leur nationalité. Mairie de Strasbourg

Cinq Français condamnés pour terrorisme à la suite des attentats de Casablanca au Maroc en 2003, ont été privés de leur nationalité par une décision du gouvernement français du 7 octobre dernier. Jusqu’alors, on ne comptait que 21 déchéances de nationalité, et ce depuis 1989. Mais, déjà, l’an dernier, le gouvernement avait pris un premier décret de déchéance de nationalité, mettant fin à une longue période de non-application de cette mesure depuis 2006.

Le contexte actuel, marqué par les actes terroristes en France, y est évidemment pour beaucoup. La menace de la déchéance de nationalité est ainsi régulièrement agitée par la classe politique, sans qu’elle ait pour autant été suivie d’effets. Elle est donc redevenue effective avec les cinq décrets portant déchéance de la nationalité française pris par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.

Les conditions de la déchéance

L’examen des critères juridiques encadrant la déchéance de nationalité permet de pointer la stigmatisation induite par cette sanction qui, visant à punir une atteinte grave aux intérêts de l’État, ne s’applique qu’aux Français naturalisés et porte en elle les germes d’une division des Français selon leur naissance.

Juridiquement, la déchéance de nationalité est prévue par les articles 25 et 25-1 du Code civil – qui régit dans son titre 1er bis « la nationalité française ». Mais elle est strictement encadrée. Ainsi elle ne concerne que les individus ayant acquis la nationalité française – ce qui en exclut les Français de naissance. De plus, la déchéance de nationalité ne peut être encourue que si les faits en cause sont antérieurs à l’acquisition de la nationalité française ou datent de moins de 10 ans après celle-ci (un délai porté à quinze ans dans le cas d’actes de terrorisme). Enfin, elle ne peut s’appliquer que si l’individu déchu de la nationalité française possède une autre nationalité.

Cette condition a pour but de protéger les individus contre la perte de toute nationalité – ce qui aurait pour effet de les rendre apatrides. Cette limite a été introduite par la loi relative à la nationalité du 16 mars 1998, afin de mettre la législation française en accord avec la Convention européenne sur la nationalité de 1997. Celle-ci affirme, dans son article 4, le droit « à une nationalité » et le droit de ne pas « être arbitrairement privé de sa nationalité ». Des droits déjà proclamés en 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 15).

Deux catégories de Français

Les motifs de la déchéance de nationalité sont également restreints. L’individu doit avoir été condamné pour avoir porté atteinte aux « intérêts fondamentaux de la nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme » (art. 25.1), pour des atteintes à l’autorité de l’État (art. 25.2), pour s’être soustrait aux obligations du service national (art. 25.3), ou encore pour s’être « livré au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France » (art. 25.4).

On le voit : les motifs justifiant la déchéance de nationalité touchent tous à la souveraineté de l’État et s’apparentent à ce que le droit qualifie – de manière floue – d’« atteintes à l’intérêt fondamental de la nation ». Or ce qui est frappant, c’est que depuis la modification législative de 1998 (qui a supprimé un motif de déchéance de nationalité relevant du droit commun) la totalité des déchéances de nationalité a été prononcée sur le seul fondement de terrorisme. S’il est bien entendu qu’il s’agit d’actes très graves, il n’en reste pas moins qu’on ne peut occulter son utilisation politique, au moment où la France est la cible de plusieurs attentats meurtriers.

50 000 militaires, au total, ont été déployés depuis le début de l’opération Sentinelle. Ministère de la Défense

Face à la multiplication de ces actes terroristes, qui plus est commis par des Français, le pouvoir répond ainsi par une mesure symbolique forte. On peut évidemment douter du fait que déchoir un individu naturalisé de la nationalité française soit une solution pérenne au terrorisme. Il s’agit plutôt ici d’une peine supplémentaire émanant de l’État, qui fait suite à la condamnation pénale de l’individu par la justice. Mais ce qui, surtout, est problématique c’est que la déchéance de nationalité, si elle vise à sanctionner une atteinte fondamentale aux intérêts de l’État, a pour effet collatéral de créer deux catégories de Français : les Français de naissance qui ne peuvent perdre leur nationalité et les Français naturalisés à qui elle peut être retirée.

Le principe d’égalité remis en question

Le Conseil constitutionnel avait, d’ailleurs, été saisi lors de la dernière procédure de déchéance de nationalité de la conformité à la Constitution française des articles 25 et 25-1 du Code civil. Cette affaire survenait juste après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher à Paris, contribuant à relancer l’idée de la déchéance de nationalité comme sanction du terrorisme.

Au coeur de la question juridique qui était alors posée à la juridiction constitutionnelle se trouvait le respect du principe d’égalité. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 prévoit en effet, dans son article 6, que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Dans sa décision du 23 janvier 2015, dans l’affaire M. Ahmed S., le Conseil a cependant estimé que le législateur pouvait déroger à l’égalité entre Français pour « des raisons d’intérêt général » et en raison de la « gravité toute particulière » des faits en question, à la condition que la possibilité de déchoir un individu de sa nationalité soit limitée dans le temps. En l’espèce : quinze ans maximum après l’acquisition de la nationalité.

Le terrorisme est ainsi devenu aujourd’hui un fondement dérogatoire au principe d’égalité entre tous les Français. Et il n’est pas sûr que cela soit une bonne nouvelle. Véritable mise au ban de la communauté, la déchéance de nationalité représente une mesure d’exception, amalgamant étranger et terrorisme. Car elle ne vise, en réalité, qu’à pouvoir expulser l’individu désormais déchu de sa nationalité.

Reste la limite posée par le Conseil constitutionnel à l’extension inconditionnelle de la déchéance de nationalité : une généralisation de la mesure serait inconstitutionnelle, tout allongement du délai de quinze ans constituant alors – enfin ! serait-on tenté de dire – une atteinte disproportionnée à l’égalité entre les Français.

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