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La délégation des athlètes réfugiés aux JO, miroir d’un monde fracturé

Plusieurs personnes sourient en brandissant le drapeau olympique
Les membres de l’équipe olympique des réfugiés prennent la pose lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, le 26 juillet 2024, devant la Tour Eiffel. Cameron Spencer/AFP

Le 26 juillet 2024, le deuxième bateau (après celui de la Grèce) à défiler sur la Seine, lors de la mémorable cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, était celui de la délégation des 37 athlètes réfugiés.

Ces 24 hommes et 13 femmes ont représenté les plus de 120 millions de personnes réfugiées dans le monde, qui vivent dans des conditions souvent dramatiques et sont nombreuses à trouver la mort sur les routes de l’exil, en particulier aux portes de l’Europe.

Une innovation datant des JO de Rio en 2016

Cette délégation a été créée à l’occasion des JO de Rio en 2016. Cette année-là, elle comptait 10 athlètes réfugiés, qui « ont marqué l’histoire en concourant pour la première fois sous un drapeau olympique distinct ».

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En 2024, les 37 athlètes réfugiés, soutenus par 15 Comités nationaux olympiques représentant chacun de leurs pays d’accueil (Allemagne, Autriche, Canada, Espagne, États-Unis, France, Israël, Italie, Jordanie, Kenya, Mexique, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse), ont concouru dans 12 sports différents : athlétisme, badminton, boxe, breaking, canoë, cyclisme, haltérophilie, judo, lutte, natation, tir et taekwondo. La cheffe de mission est Masoomah Ali Zada, cycliste originaire d’Afghanistan et étudiante à Lille. Ces athlètes défilent sous bannière neutre et, en cas de médaille d’or, c’est l’hymne olympique qui doit être joué.

Le CIO fait valoir que « dans cette équipe, les jeunes déplacés reconstruisent leur vie ». Grâce au sport et à l’esprit olympique, ils retrouvent « un sentiment d’appartenance, développent des compétences de vie et façonnent leur propre avenir ». Le soutien du CIO à l’équipe olympique des réfugiés se traduit par un appui financier et logistique tout au long de l’année des JO. Un financement de 6 millions de dollars est alloué, depuis 2016, aux bourses d’études destinées aux athlètes réfugiés. De plus, la Fondation olympique pour les réfugiés (ORF), créée en collaboration avec le HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, a mis en place un programme d’aide et de soutien aux sportifs réfugiés, qui touche 132 600 jeunes, dans 11 pays et sur cinq continents.

Une success story qui masque des destins plus tragiques

Aux JO de Paris, la boxeuse Cindy Ngamba, 26 ans, est devenue la première athlète réfugiée à remporter une médaille (bronze).

Née au Cameroun, elle a été réfugiée à l’âge de 9 ans en France avec sa famille, puis au Royaume-Uni où elle a vécu en situation irrégulière (étant même brièvement internée dans un camp de rétention pour migrants à Londres), avant d’obtenir en 2020 le statut de réfugiée, son orientation sexuelle étant réprimée au Cameroun. C’est pour surmonter une situation de harcèlement scolaire et de grossophobie qu’elle s’était mise au sport et avait découvert la boxe.

Mais cette success story masque des destins plus tragiques : ainsi, l’athlète somalienne Samia Yusuf Omar a pu concourir aux JO de Pékin en 2008 en sprint, à l’âge de 17 ans, dans des conditions précaires (maigre et sous-alimentée, portant une paire de baskets offerte par des coureuses soudanaises) ; bien qu’elle soit arrivée dernière de sa série, elle semble avoir été plus applaudie que la médaille d’or, du fait de son parcours du combattant ; mais elle est morte quatre ans plus tard en 2012, âgée d’à peine 21 ans, noyée dans la Méditerranée alors qu’elle était sur un bateau de migrants qui cherchaient à rejoindre l’Europe, entre la Libye et l’Italie…

Les projecteurs des JO de Pékin n’ont pas suffi à la porter vers un avenir meilleur. En Somalie, elle avait dû s’entraîner en burqa. À Pékin, elle a déclaré : « c’était une expérience merveilleuse de défiler sous les couleurs de mon pays et aux côtés des meilleurs athlètes du monde. Ce moment était magique et fort. Nous avons senti que nous étions importants. » Ainsi, « en quelques instants, Samia Yusuf est devenue le symbole du combat des femmes somaliennes qui risquent leur vie pour leur émancipation face aux islamistes chebabs », comme le dépeint Nicolas Guillermin dans L’Humanité. Il poursuit :

« De retour à Mogadiscio […], le contact avec la réalité est brutal. Les fondamentalistes islamistes gagnent du terrain, interdisent le sport dans les zones qu’ils contrôlent et imposent la burqa. Réfugiée dans l’athlétisme depuis la mort de son père, tué un an plus tôt par un tir de mortier en pleine rue, Samia décide de taire son aventure. […] La jeune athlète, obligée d’arrêter l’école pour s’occuper de ses cinq frères et sœurs […] s’entraîne sous un long voile intégral, croisant le regard désapprobateur de voisins et d’habitants. Victime de menaces, elle commence à craindre pour sa vie. »

En décembre 2009, elle déménage incognito avec sa famille dans un camp de réfugiés. En 2011, elle fuit la guerre et s’installe seule à Addis-Abéba, en Éthiopie, nourrissant l’espoir de participer aux JO de 2012 à Londres. Elle tente le tout pour le tout en s’embarquant sur une frêle embarcation pour traverser la Méditerranée. Mais l’embarcation coule, elle meurt noyée, et l’information ne sera pas relayée avant quatre mois, tant les vies de migrants comptent peu sur la scène médiatique…

Pour lui rendre hommage, une pièce de théâtre sur sa vie a été écrite par Gilbert Ponté et jouée par Malyka R. Johany au Festival d’Avignon 2018. Pour son auteur, « l’histoire de Samia raconte la souffrance des femmes somaliennes et de toutes celles qui vivent sous le joug islamiste ».

En 2024 à Paris, une meilleure visibilisation des athlètes réfugiés

Une autre athlète de la délégation des athlètes réfugiés 2024, la coureuse cycliste éthiopienne Eyeru Gebru, 28 ans, a confié à la BBC : « La guerre a commencé et tout est allé très mal, mais j’ai choisi d’être forte et de me concentrer sur mes rêves. Cela m’a aidé à traverser cette période difficile », ajoutant : « quand j’ai appris que j’étais retenue dans l’équipe, c’était un moment unique. J’étais soulagée, très émue et surtout très excitée de pouvoir enfin y participer […]. Je pense que le cyclisme m’a sauvé la vie. »

Née dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, elle a été invitée en 2017 à s’entraîner au Centre mondial du cyclisme en Suisse, mais trois ans plus tard, peu après son retour au pays, le déclenchement de la guerre du Tigré en novembre 2020 a brisé ses rêves. Le gouvernement éthiopien a affronté les forces de la région, notamment le Front de libération du peuple du Tigré, l’ancien parti au pouvoir dans ce pays d’Afrique de l’Est. Cette guerre aurait fait jusqu’à 600 000 morts, plus de deux millions de personnes ont été déplacées et près de 900 000 ont été contraintes de fuir en tant que réfugiés.

Gebru a quitté l’Éthiopie huit mois après le début des combats, officiellement pour participer aux championnats du monde de 2021 en Belgique, mais en réalité pour demander l’asile à Nice, en France. Cette décision l’a empêchée de participer à des compétitions professionnelles pendant deux ans : « Je ne participais pas aux compétitions et je ne m’entraînais pas, mais je continuais à y croire. Je ne voulais pas abandonner facilement, même si la vérité était très dure. »

Heureusement pour elle, sa demande d’asile a été acceptée, et un ancien entraîneur l’a aidée à trouver un club de cyclisme à Nice. Ensuite, elle a obtenu la bourse de réfugié pour les JO, ce qui lui a permis de se préparer pour les JO de Paris 2024.

Si les JO de Paris ont permis de braquer le projecteur et d’attirer l’attention de l’opinion publique sur la situation difficile des sportifs réfugiés, il reste beaucoup à faire pour faire évoluer les mentalités vers plus d’empathie pour le sort dramatique des migrants et réfugiés qui sont plus de 63 000 depuis 2014 à être morts en tentant de franchir la Méditerranée, souvent refoulés violemment, enfermés dans des centres de rétention aux conditions de détention inhumaines et renvoyés dans leur pays où ils risquent la mort et affrontent des situations atroces.


Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 26 et 27 septembre 2024 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du Forum mondial Normandie pour la Paix.

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