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L'objectif du « zéro défaut » recherché par les avionneurs les détourne de la réflexion sur la gestion de crise en cas de problème. Steve Mann / Shutterstock

La délicate gestion de crise dans les entreprises qui font tout pour les éviter

Depuis plusieurs années, résilience et agilité sont les maîtres mots de l’industrie. Derrière cette terminologie parfois passe-partout se cache la volonté de mettre en place des mécanismes de prévention des crises. Cependant diminuer les risques ne signifie pas éliminer les crises et parfois cela contribue même à en accroître les effets.

Si l’on revient un peu dans le temps, on note que le XXe siècle a été l’ère de l’industrialisation de masse. Sa seconde moitié a notamment vu croître la technique en matière de gestion de la qualité. Du toyotisme aux fusées envoyées dans l’espace, le management s’est emparé de la réduction des risques.

Plus proche de nous, au début du XXIe siècle, on va plus loin pour s’intéresser à la mise en place d’organisations qui ont la capacité à s’adapter et à répondre à l’évolution rapide de l’environnement d’affaires, notamment en matière de risque. On a ainsi vu tout un pan de la recherche en gestion s’intéresser aux organisations dans leur réponse aux risques. Tout d’abord à l’agilité des entreprises, c’est-à-dire à leur capacité de répondre aux changements de l’environnement ; puis à la fameuse résilience qui est une capacité pour l’organisation à résister aux chocs, à rebondir, à retrouver sa forme après une crise.

Cultiver des capacités spécifiques

Les organisations de haute fiabilité (HRO) sont ainsi des organisations qui cherchent à éviter autant que faire se peut les crises. Elles sont souvent dans des secteurs où la survenue d’une crise peut avoir un impact très fort, comme l’aéronautique, le médical ou la chimie. De telles organisations cultivent cinq principales capacités vertueuses que sont :

  • Une préoccupation constante pour les défaillances et les erreurs qui ne sont d’ailleurs pas intéressantes en soi, mais comme symptômes d’une potentielle défaillance systémique. Le reporting est l’un des moyens de travailler sur ces signaux faibles.

  • Une réticence à la simplification qui s’interdit de vouloir interpréter des faits sur la base d’hypothèses ad hoc. Concrètement cela correspond à réduire au maximum les a priori et les conclusions hâtives.

  • Une sensibilité aux opérations qui permet d’avoir à la fois une connaissance du terrain et une vue d’ensemble du système, donc des liens de causalités transverses aux silos qu’une organisation traditionnelle peut générer. C’est une capacité à prendre du recul.

  • Un engagement vers la résilience car il est impossible d’éviter les crises et il faut nourrir au sein de l’organisation la capacité à continuer à fonctionner malgré de menues défaillances.

  • Une déférence à l’expertise plutôt qu’à la hiérarchie de l’organisation, car ce qui est important c’est le savoir, plus que la chaîne de commandement, pour pouvoir comprendre avant de prendre des décisions. Cette capacité est parfois plus complexe à mettre en place dans des organisations avec une forte distance hiérarchique ou dans des entreprises paternalistes et des start-up qui fondent leur réussite sur l’omniscience du patron.

Pourtant si ces organisations HRO font tout pour éviter les crises, ces dernières ne sont pas toujours évitables. Surtout, lorsqu’elles surviennent, leur totale imprévisibilité désempare l’organisation. En effet, quand on fait tout pour éviter les crises, on est rarement prêt à affronter ce qui arrive, car on ne l’avait pas prévu. Une centrale nucléaire japonaise est prête pour résister aux tremblements de terre et aux tsunamis, mais pas aux deux en même temps.

La risque d’un séisme doublé d’un tsunami n’avait pas été anticipé par les exploitants de la centrale nucléaire de Fukushima, dévastée en 2011. Smallcreative/Shutterstock

Manque de pratique

L’industrie aéronautique est un autre bon exemple. Cette industrie travaille selon le principe du « zéro défaut » avec des armées d’ingénieurs qualifiés ceinture noire « Six Sigma », c’est-à-dire des experts parmi les experts en matière de qualité. Pourtant des crises peuvent survenir. La preuve en est le récent double accident du Boeing 737 Max avec les graves conséquences humaines et financières qu’on lui connaît.

Dans le cas des constructeurs aéronautiques, ce qui est intéressant c’est qu’ils ne sont pas, la plupart du temps, les entreprises qui communiquent lorsqu’il y a un sinistre : ce sont les compagnies aériennes, les aéroports, la direction de l’aviation civile, voire le ministère de l’Intérieur selon le type de crise. D’ailleurs, lors d’appels d’offres de mise en concession d’assistance en escale dans les aéroports, la partie gestion de crise et contingence compte pour une part importante du savoir-faire de l’assistant en escale. La méconnaissance ou le manque de pratique chez un constructeur de la communication de crise renforce la crise dans un monde où la gestion est pour beaucoup de la communication.

Face à ces problématiques de crise dans les industries qui font tout pour les éviter, il existe des modèles de gestion de crise. On peut ainsi, tout en se fondant sur les solides bases que procure la prévention des risques en matière d’agilité et de résilience, construire une culture qui prépare à répondre de manière adéquate à la crise.

Ensuite, l’approche réseau permet de construire une cellule de crise flexible qui va se concentrer sur trois éléments essentiels : en premier lieu, une vue d’ensemble des problématiques qui permet de travailler rapidement, efficacement et avec les partenaires idoines lorsqu’une crise survient ; en deuxième lieu, une vision des impacts pour l’ensemble des partenaires qu’ils soient économiques ou simples parties prenantes du projet en crise. En troisième lieu, une cellule de crise multifonctionnelle qui va se reposer sur une équipe regroupant les experts de la gestion de crise au sein de l’organisation (cellule communication, cellule compliance, cellule juridique, membres du comité de direction) et des experts techniques liés au problème spécifique de la crise.

Les réticences des parties prenantes (riverains, ONG, grand public, etc.) face au cas récent de crise liée à l’incendie de l’usine Lubrizol, montrent un manque de maîtrise de ce type d’outils, malgré la très probable maîtrise des risques au sein de cette usine à haute fiabilité classée Seveso. On notera que l’on peut être très performant dans la maîtrise des risques tout en n’étant pas aussi performant dans la gestion de la crise si d’aventure, elle survient. Or, le risque, c’est une fonction de la probabilité de survenue d’un événement et de son impact. Ce n’est pas parce qu’on minimise la probabilité qu’il faut délaisser l’impact.

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