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La démission de Jacinda Ardern : une histoire de genre, de leadership et de compassion

Jacinda Ardern en train de sourire pendant une conférence de presse
Jacinda Ardern sera restée six ans à la tête de la Nouvelle-Zélande. Alexandros Michailidis/Shutterstock

« Inquiète est la tête qui porte une couronne », écrivait Shakespeare à la fin du XVIe siècle. Il n’y a rien de nouveau dans l’idée que les personnes exerçant de hautes responsabilités sont soumises à un stress intense qui peut avoir pour elles des effets graves. Plus l’exposition au stress est prolongée, plus le risque d’épuisement augmente.

Tout cela est, certes, connu ; pour autant, peu d’entre nous sont capables de comprendre à quel point diriger un pays est une tâche exigeante et difficile. À plus forte raison en temps de crise et dans l’environnement médiatique et numérique moderne, où chaque déclaration, voire chaque geste de la personnalité se trouvant au sommet du pouvoir exécutif fait l’objet d’innombrables commentaires.

Dernièrement, les critiques visant la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern (Parti travailliste, en poste depuis 2017) se sont faites de plus en plus violentes et misogynes.

Bien qu’elle n’ait pas présenté ces attaques comme étant la cause de sa démission, annoncée à la surprise générale ce 19 janvier, le fait d’être ciblée de cette manière, et de savoir que son compagnon et même leur fille, âgée de quatre ans, étaient également visés, a certainement rendu son travail, déjà difficile, encore plus pénible.


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Gestion de crises : un modèle Ardern ?

Les crises sont depuis longtemps considérées comme les moments où les compétences et le caractère des dirigeants sont mis à l’épreuve avec la plus grande intensité. Ces séquences impliquent de prendre des décisions lourdes, qui parfois portent littéralement sur des questions de vie ou de mort, et qui doivent être adoptées rapidement, souvent sur la base d’informations insuffisantes pour prévoir avec certitude les conséquences des choix effectués.

Au cours de ses six années au pouvoir, Jacinda Ardern a été confrontée à plusieurs crises successives. Chaque fois, elle a fait preuve d’une grande force de caractère et de capacités de leadership certaines.

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Sa réaction à l’effroyable attentat de Christchurch, le 15 mars 2019 – une attaque commise par un terroriste d’extrême droite contre deux mosquées, qui a causé 51 morts et 49 blessés –, lui a valu l’admiration du monde entier pour son sang-froid, sa compassion et sa détermination à faire en sorte que des actes aussi odieux ne puissent pas se reproduire dans son pays : elle a notamment fait adopter des lois interdisant la vente de fusils d’assaut et de fusils semi-automatiques.

Sa réponse à l’éruption de White Island, le 9 décembre 2019, qui a fait 22 morts, a suscité des éloges similaires. Le fait que Mme Ardern ait cherché à combiner la compassion avec le courage de prendre des décisions difficiles est une caractéristique majeure de son style.


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Aucun leader n’est infaillible

Tout au long de la pandémie de Covid-19, qui a démarré peu après, Arden a fait preuve à plusieurs reprises de sa capacité à prendre des décisions courageuses. En parvenant à sensibiliser le grand public et en obtenant le soutien de ses concitoyens à la stricte stratégie « zéro Covid » mise en place pour lutter contre la crise sanitaire elle a contribué au succès de cette stratégie, qui a permis d’épargner de nombreuses vies et moyens de subsistance.

Lorsque les variants Delta puis Omicron ont émergé, Ardern a continuellement cherché à adapter la politique du gouvernement à un contexte changeant. Si la ténacité et la résilience font partie de ses nombreuses forces, le dogmatisme n’est pas une de ses faiblesses.

Bien sûr, toutes ses décisions ne se sont pas révélées optimales – et il aurait été tout à fait irréaliste d’attendre qu’elles le soient. Certaines de ses mesures ont suscité des réactions très virulentes. Mais il serait insensé d’exiger la perfection de la part des dirigeants, le fait de se trouver au pouvoir impliquant inévitablement de prendre des décisions difficiles qui ne font pas l’unanimité.

Attaques misogynes

Aucun dirigeant n’est omnipotent, surtout dans une démocratie et dans un monde interconnecté.

La dernière crise avec laquelle Jacinda Ardern a été aux prises – la hausse du coût de la vie – est dans une large mesure déterminée par des dynamiques mondiales et échappe au contrôle de tout premier ministre néo-zélandais. La situation de la Nouvelle-Zélande est meilleure que celle de nombreux autres pays mais, malheureusement pour la première ministre, ce constat ne suffit pas à apaiser la colère d’une partie de ses concitoyens.

Son [impopularité croissante au cours de ces derniers mois] est en partie due au fait que les gens ont des attentes irréalistes quant à ce que les dirigeants peuvent ou ne peuvent pas faire. Mais on ne peut pas non plus ignorer le fait que beaucoup trop de critiques dirigées contre la cheffe du gouvernement ont été teintées de misogynie.

On observe une continuité dans la façon dont de telles attaques s’expriment. Cela commence par le fait de la désigner par un surnom, Cindy, qui relève d’une tentative sexiste de rabaisser son autorité et son statut de femme adulte élue à la tête du pays. Et cela continue par des insultes ouvertement sexistes. Les recherches menées par le Disinformation Project montrent que la désignation d’Ardern par des termes sexuels dégradants s’inscrit dans un discours plus large qui dénigre d’autres aspects de son identité de femme, certains internautes allant jusqu’à fantasmer sur son viol et sa mort.

Ce type de comportement est tout simplement inexcusable. On ne peut pas le justifier en arguant que les politiques mises en œuvre par Jacinda Ardern ont été controversées et qu’elle « mériterait » donc ces attaques : un tel raisonnement ne fait que reproduire la défense utilisée depuis longtemps par les violeurs et les auteurs de violences domestiques.

Jacinda Ardern aura été la troisième femme à occuper le poste de premier ministre en Nouvelle-Zélande. Le plafond de verre pour ce rôle est bel et bien brisé. La loi du pays impose désormais que les femmes et les hommes soient représentés à parts égales au sein du Parlement. Mais la nature sexiste et misogyne d’une grande partie des critiques adressées à Ardern montre également que nous sommes encore très loin d’une égalité de traitement des femmes se trouvant aux postes de direction.

This article was originally published in English

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